city:gaziantep

  • #métaliste (qui va être un grand chantier, car il y a plein d’information sur seenthis, qu’il faudrait réorganiser) sur :
    #externalisation #contrôles_frontaliers #frontières #migrations #réfugiés

    Des liens vers des articles généraux sur l’externalisation des frontières de la part de l’ #UE (#EU) :
    https://seenthis.net/messages/569305
    https://seenthis.net/messages/390549
    https://seenthis.net/messages/320101

    Ici une tentative (très mal réussie, car évidement, la divergence entre pratiques et les discours à un moment donné, ça se voit !) de l’UE de faire une brochure pour déconstruire les mythes autour de la migration...
    La question de l’externalisation y est abordée dans différentes parties de la brochure :
    https://seenthis.net/messages/765967

    Petit chapitre/encadré sur l’externalisation des frontières dans l’ouvrage "(Dé)passer la frontière" :
    https://seenthis.net/messages/769367

    Les origines de l’externalisation des contrôles frontaliers (maritimes) : accord #USA-#Haïti de #1981 :
    https://seenthis.net/messages/768694

    L’externalisation des politiques européennes en matière de migration
    https://seenthis.net/messages/787450

    "#Sous-traitance" de la #politique_migratoire en Afrique : l’Europe a-t-elle les mains propres ?
    https://seenthis.net/messages/789048

    Partners in crime ? The impacts of Europe’s outsourced migration controls on peace, stability and rights :
    https://seenthis.net/messages/794636
    #paix #stabilité #droits #Libye #Niger #Turquie

    Proceedings of the conference “Externalisation of borders : detention practices and denial of the right to asylum”
    https://seenthis.net/messages/880193

    Brochure sur l’externalisation des frontières (passamontagna)
    https://seenthis.net/messages/952016

  • Ankara construit un site industriel dans le nord de la Syrie – Site de la chaîne AlManar-Liban
    http://french.almanar.com.lb/776272

    « La Turquie est la prolongation de l’Empire Ottoman,… c’est la même essence, la même nature », a lancé le président Erdogan. Au lendemain du crash d’un hélicoptère militaire turc près des frontières avec la Syrie, la Turquie franchit un nouveau pas dans le sens de l’occupation du Nord de la Syrie et annonce son intention de « mettre sur pied le premier site industriel dans la ville d’al-Bab » en Syrie.

    Lors d’une cérémonie, samedi 10 février, avec la participation de plusieurs responsables de la province turque de Gaziantep, Ankara a inauguré le projet de construction d’un site industriel dans la ville frontalière d’al-Bab dans le nord syrien.

    Que cherche la Turquie ?

    À en croire, le président du conseil local de la ville syrienne d’al-Bab Jamal Ahmad Othman, « le complexe industriel qui devrait s’ériger à 5 km du centre de la ville vise à donner un coup de pouce à l’essor économique de la région ». Est-ce la vérité ? Selon les sources proches de l’armée syrienne, la ville d’al-Bab, que la Turquie occupe depuis 2013, abrite désormais des dizaines d’ateliers de contrebandes où la Turquie fabrique des produits à bas coût pour mettre en place un trafic lucratif vers l’Europe, et ce pour échapper aux mesures de taxation européennes.

    #turquie #syrie

    Se souvenir des plaintes, sans suite, des industriels alépins à propos du pillage de leurs usines...

  • A #Gaziantep, les #fonds de l’UE bénéficient aux #réfugiés_syriens

    Vues du modeste appartement de Nahla, trois pièces mal chauffées en sous-sol d’un immeuble situé dans un quartier populaire de Gaziantep, les arrière-pensées politiques de l’accord Union européenne (UE)-Turquie sur les migrants semblent bien loin. « Mon loyer est de 400 livres turques [85 euros] par mois et les charges de 200 », explique cette veuve syrienne, qui, avec ses neuf enfants, a fui Alep, dans le nord de la Syrie, pour la Turquie en 2013.

    Pour payer ces frais et « nourrir ses enfants », elle ne pouvait compter, jusqu’au début de 2017, que sur le salaire au noir de son fils aîné comme plâtrier, les quelques dizaines de livres que lui verse une usine locale pour assembler des pièces de pantoufle depuis son salon et les heures de travail de son fils de 12 ans dans un supermarché après l’école… Tout cela complété par les dons de voisins.

    Très contesté, l’accord signé entre Bruxelles et Ankara en mars 2016 a conduit à un renforcement drastique des contrôles en Turquie et autorisé le renvoi de tout Syrien arrivant sur les côtes grecques. Mais en échange de chaque renvoi, l’UE s’est engagée à relocaliser un Syrien sur son territoire – un point qui a finalement été à peine appliqué faute de renvois effectifs – et a débloqué 3 milliards d’euros (dont 300 millions par la France) pour soutenir les réfugiés en Turquie. Un tiers de cette somme sert à financer le plus grand programme humanitaire de l’histoire de l’UE : la distribution massive d’argent à près de 1,2 million de réfugiés. Ce qui a changé la vie de Nahla.

    Depuis mars 2017, elle et ses enfants ont ainsi droit à 720 livres par mois. Auxquels s’ajoutent des versements chaque trimestre et des bonus si ses enfants vont bien à l’école. « Je n’ai plus à me préoccuper du loyer, se réjouit-elle. Je veux rentrer en Syrie dès que la situation sera plus sûre, Gaziantep est très proche de la frontière et ressemble en plus beaucoup à Alep. »

    Ouverture d’un centre de santé

    Avec 325 000 réfugiés pour une population de 1,6 million d’habitants, la ville est depuis le début de la guerre le principal refuge des Syriens en Turquie. S’ils y ont été globalement bien accueillis, ils ont souvent dû occuper des logements ou des commerces pour lesquels ils ont du mal à payer le loyer, ce qui a pu générer des tensions avec les Turcs.

    L’argent européen a grandement amélioré les choses. Début janvier, près de la moitié des Syriens de Gaziantep bénéficiaient d’aides versées chaque mois sur une carte bancaire gérée par le Croissant-Rouge turc et le Programme alimentaire mondial (PAM), un organisme de l’ONU qui a invité Le Monde et plusieurs autres journalistes européens pour ce reportage.

    « Contrairement au mythe qui voudrait que cet argent soit dépensé en cigarettes, il sert en priorité à payer les loyers, vante Jonathan Campbell, directeur adjoint du PAM en Turquie, en écartant les inquiétudes de détournement des fonds. Ainsi, 87,5 % de l’argent européen est allé directement aux réfugiés, un taux impossible à atteindre si on ne donnait que des denrées. »

    A Gaziantep, les fonds ont aussi permis d’ouvrir un centre de santé réservé aux réfugiés avec des médecins syriens ayant bénéficié d’un programme de validation des compétences par le ministère turc de la santé. « Ils peuvent enfin voir des docteurs qui parlent arabe », vante Hani Al-Ashawi, gynécologue qui a bénéficié de ce programme et a même pu obtenir la nationalité turque. En tout, les ministères turcs de l’éducation et de la santé ont bénéficié de 600 millions d’euros pour adapter les infrastructures à ce soudain afflux de population.

    Même les ONG syriennes le reconnaissent, l’accord « a rendu service aux réfugiés les plus pauvres », selon Assad Al-Achi, directeur de Baytna Syria, implantée à Gaziantep. Il regrette toutefois que cette aide se soit accompagnée d’un renforcement de contrôles turcs sur le travail des ONG syriennes. La maire de Gaziantep, Fatma Sahin, a aussi plaidé à Bruxelles pour que l’UE privilégie le financement de formations. Mais les autorités turques distribuent au compte-gouttes les permis de travail qui permettraient aux Syriens de vraiment s’intégrer.

    « Manne tombée du ciel »

    Depuis l’accord et surtout la tentative de coup d’Etat contre Recep Tayyip Erdogan en juillet 2016, Ankara a retiré les accréditations de nombreuses ONG occidentales, et les autorités européennes ont été incitées à faire passer leur argent par les organisations officielles. Ce sont ainsi les services sociaux nationaux qui coordonnent les inscriptions pour bénéficier des allocations.

    Pour toucher l’argent européen, les Syriens doivent en plus être déclarés au ministère de l’immigration et enregistrés à une adresse. Comme cette obligation s’est conjuguée au renforcement des contrôles prévus dans l’accord, les réfugiés ne peuvent presque plus se déplacer dans une autre région du pays sans autorisation. A commencer par celle d’Izmir, principale ville de transit pour les Syriens qui rêvent d’Europe. « Bien sûr qu’il y a plus de contrôle. On a coupé les flux pour l’UE, c’est bien pour ça qu’ils donnent de l’argent ! », lâche, comme une évidence, Levent Yuncu, le directeur des services sociaux de Gaziantep, quand on l’interroge sur le sujet. « Mais pour vous et pour nous, c’est un bon accord », assure-t-il.

    De ses bureaux d’Ankara, la cheffe du programme humanitaire de l’UE en Turquie, Jane Lewis, s’enorgueillit d’avoir décroché cette « manne tombée du ciel », et vante aussi un accord « gagnant-gagnant, pour la Turquie et pour l’UE ». Elle relativise les vives critiques que M. Erdogan a exprimées lors de sa visite à Paris, le 5 janvier. Le président turc avait dénoncé « les promesses non tenues de l’UE » en parlant de « seulement 900 millions d’euros reçus ». « Les chiffres changent très vite, 1,85 milliard a déjà été dépensé. Dans un contexte de rapports difficiles, nous avons réussi à construire des relations de confiance avec le gouvernement », promet-elle.

    S’il reste assez de fonds pour verser les allocations jusqu’en janvier 2019, la suite dépendra du déblocage d’un deuxième volet de 3 milliards prévu dans l’accord. Or les négociations entre Européens, qui doivent précéder celles avec les Turcs, n’ont pas encore commencé.


    http://lirelactu.fr/source/le-monde/49896ea6-143a-42d4-a858-228eb6c0435e
    #Turquie #UE #EU #aide_financière #accord_UE-Turquie #externalisation #asile #migrations #réfugiés #statistiques #chiffres #visualisation
    cc @i_s_

    Avec ce commentaire de Emmanuel Blanchard :

    Par un journaliste embedded par le PAM (programme alimentaire mondial de l’ONU) : il ne faut donc pas attendre un point de vue très critique sur l’arrangement UE-Turquie ou l’externalisation du contrôle des frontières. Des informations intéressantes cependant sur les circuits de « l’aide européenne » et sur les conditions de vie des exilés syriens à Gaziantep.

  • Comment du sucre français s’est retrouvé dans les bombes de Daech
    http://www.lejdd.fr/international/comment-du-sucre-francais-sest-retrouve-dans-les-bombes-de-daech-3516794

    Les registres de l’entreprise sont formels. Les numéros de série imprimés sur les sacs découverts dans les réserves de Daech se rapportent à deux cargaisons au moins, parties d’ici au début du mois de mai 2015 pour être déposées à Anvers, en Belgique, le deuxième plus grand port d’Europe pour la marine marchande. Là, les lots ont été chargés sur des géants des mers, notamment un porte-conteneurs de 295 mètres de long, le MSC Matilde. Le bateau a appareillé le 10 mai à destination du port de Gebze, en Turquie. Sur les bons de commande des chargements litigieux, on lit toujours le nom du même client, Sinerji, un groupe établi à Istanbul, spécialisé dans la distribution de produits agroalimentaires sur le territoire turc. Les responsables commerciaux de Tereos le connaissent bien, ils précisent qu’ils collaborent avec cette entreprise « depuis une dizaine d’années » dans le cadre d’un accord de distribution.

    Gaziantep, une ville turque où Daech a implanté ses réseaux
    La direction de Sinerji n’a pas souhaité s’entretenir avec nous. Ses dirigeants ont simplement reconnu avoir réceptionné les chargements de sorbitol, qu’ils auraient ensuite directement écoulés auprès d’un grossiste en pâtisseries établi dans le nord de la Syrie. Les documents financiers et douaniers que nous avons recueillis auprès de nos contacts en Turquie ainsi que des courriels concernant ces envois décrivent cependant un circuit bien différent.

    Après leur déchargement sur les docks de Gebze, à 70 km au sud d’Istanbul, un homme d’affaires turc s’en est d’abord porté acquéreur, selon les récépissés portuaires. Il s’appelle Tahir Toprak. Entre août 2015 et janvier 2016, il a acheté la marchandise en s’acquittant des factures par au moins quatre virements au profit de Sinerji, sur un compte bancaire de ce groupe à la Ziraat Bankasi d’Istanbul. Nous avons trouvé le numéro de portable de ce négociant, mais il n’a pas souhaité s’expliquer sur la nature de ses activités. Selon des courriels émis par les commerciaux de l’entreprise turque, Tahir Toprak a ensuite organisé le transport du sorbitol à travers tout le pays, en direction de Gaziantep, dans le Sud-Est, un périple de 1.150 km sur les autoroutes locales.

    #Syrie

  • Local Politics and the Syrian Refugee Crisis | A new report

    A new report by Alexander Betts, Ali Ali, and Fulya Memişoğlu on ‘Local Politics and the Syrian Refugee Crisis: Exploring Responses in Turkey, Lebanon, and Jordan’ is published today. This report details the findings of their research project The Politics of the Syrian Refugee Crisis, funded by the Human Security Division of the Swiss Federal Department of Foreign Affairs.

    In order to explain responses to Syrian refugees, it is important to understand politics within the major host countries. This involves looking beyond the capital cities to examine variation in responses at the local level. Turkey, Lebanon, and Jordan followed a similar trajectory as the crisis evolved. Each began the crisis in 2011 with a history of relative openness to Syrians, then increased restrictions especially around October 2014 with the growing threat of ISIS, before agreeing major bilateral deals with the European Union in early 2016. These common trajectories, however, mask significant sub-national variation. To explore this the authors examine three local contexts in each of the main countries: Gaziantep, Adana, and Izmir in Turkey; Sahab, Zarqa, and Mafraq in Jordan; and predominantly Christian, Shia, and Sunni areas in Lebanon. In each country, some governorates and municipalities have adopted relatively more inclusive or restrictive policies towards Syrian refugees. The main sets of factors that appear to mediate this relate to identity and interests, but also to the personalities of individual heads of municipal authorities. The report argues that political analysis – across all levels of governance – matters for refugee protection. There is a need to enhance the capacity for political analysis within humanitarian organisations.

    https://www.rsc.ox.ac.uk/publications/local-politics-and-the-syrian-refugee-crisis-exploring-responses-in-turkey-lebanon-and-jordan/@@images/f78d35ae-9de3-4b45-920b-57e3d68ed28b.jpeg
    https://www.rsc.ox.ac.uk/news/new-report-on-local-politics-and-the-syrian-refugee-crisis
    #réfugiés #réfugiés_syriens #asile #migrations #réfugiés #rapport #Liban #Jordanie #Turquie #politiques_locales

  • Ce que révèle l’enquête judiciaire sur les agissements du cimentier Lafarge en Syrie

    http://www.lemonde.fr/international/article/2017/09/20/ce-que-revele-l-enquete-judiciaire-sur-les-agissements-du-cimentier-lafarge-

    « Le Monde » a eu accès à l’enquête sur les activités de Lafarge qui tentait de préserver sa cimenterie en Syrie pendant la guerre civile. Des responsables ont reconnu le versement de sommes à l’EI.

    Une date suffit à condenser le parfum de soufre qui émane de ce dossier. Le 29 juin 2014, l’organisation Etat islamique (EI) proclame l’instauration du « califat » : un immense territoire à cheval entre l’Irak et la Syrie bascule « officiellement » sous le joug de l’organisation terroriste. Le même jour, à Rakka (Syrie), un cadre d’une usine du cimentier français Lafarge, située dans le nord du pays, informe par mail ses supérieurs qu’il a pris rendez-vous avec un « responsable de l’Etat islamique » pour négocier la sécurité des employés du site.

    Ce rendez-vous surréaliste marque le point culminant d’un engrenage commencé trois ans plus tôt. Depuis son implantation en Syrie, fin 2010, Lafarge n’a qu’une obsession : maintenir coûte que coûte l’activité de son usine de Jalabiya, à 87 kilomètres de Rakka, quitte à financer indirectement des organisations terroristes. Une aventure industrielle hasardeuse qui se conclura de façon dramatique, le 19 septembre 2014, par la prise de la cimenterie par les troupes de l’EI.

    Après la révélation de ce scandale par Le Monde, en juin 2016, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire, en octobre 2016, faisant suite à une plainte du ministère des finances pour « relations financières illicites entre la France et la Syrie ». Dans cette enquête confiée aux douanes judiciaires, que Le Monde et Le Canard enchaîné ont pu consulter, les neuf principaux responsables de Lafarge – fusionné en 2015 avec le suisse Holcim – et de sa filiale Lafarge Cement Syria (LCS) ont été entendus.

    Leurs auditions décrivent de l’intérieur les mécanismes qui ont entraîné l’entreprise dans ce naufrage judiciaire et moral. Elles racontent, mois par mois, l’entêtement d’un groupe aveuglé par une obsession : ne pas abandonner la cimenterie LCS, promise à l’appétit destructeur des belligérants, afin de conserver un avantage stratégique dans la perspective de la reconstruction du pays.

    Cette enquête révèle deux faits majeurs. Tout d’abord, la décision du leader mondial des matériaux de construction de rester en Syrie a reçu l’aval des autorités françaises, avec lesquelles le groupe était en relation régulière entre 2011 et 2014. Ensuite, les responsables de l’usine ont omis de préciser aux diplomates le prix de leur acharnement : plusieurs centaines de milliers d’euros versés à divers groupes armés, dont 5 millions de livres syriennes (20 000 euros) par mois à l’EI.

    La conclusion des douanes est sans appel : Lafarge a « indirectement » financé des groupes « terroristes », par le truchement d’un intermédiaire, produisant au besoin « de fausses pièces comptables ». Et si seuls trois responsables ont avoué avoir eu connaissance de ces pratiques, « il est tout à fait vraisemblable que d’autres protagonistes aient couvert ces agissements », dont l’ex-PDG du groupe, Bruno Lafont, le « directeur sûreté », Jean-Claude Veillard, et « certains actionnaires ».

    Aucun de ces responsables n’a été amené à s’expliquer devant un tribunal à l’issue de cette enquête. Mais les investigations suivent leur cours. Une information judiciaire, ouverte le 9 juin 2017 pour « financement du terrorisme » et « mise en danger d’autrui » après une plainte déposée par l’ONG Sherpa, a été élargie, le 23 juin, aux faits visés par le travail des douanes.

    2008-2010 : le pari de Lafarge en Syrie

    L’engrenage qui a conduit Lafarge à se compromettre dans le conflit syrien débute à la fin des années 2000. En 2008, le cimentier, qui vient de racheter la société égyptienne Orascom afin de renforcer son implantation dans la région, valide la construction d’une usine dans le nord de la Syrie, près de la frontière turque. Deux ans plus tard, la cimenterie LCS sort de terre. L’investissement s’élève à 680 millions de dollars, l’amortissement est prévu sur vingt ans. Mais l’histoire va quelque peu bousculer ces prévisions comptables.

    Mars 2011 : le début des troubles

    L’usine vient à peine de commencer sa production de ciment quand d’importantes manifestations embrasent le sud du pays et se propagent rapidement aux principales agglomérations. En relation avec les autorités françaises, les responsables du groupe décident de rester.

    « On est informés, forcément. On avait vu ce qui s’était passé pour les “printemps arabes”, mais on était dans l’incapacité totale d’anticiper et de prévoir », explique l’ancien PDG de Lafarge Bruno Lafont, devant les enquêteurs des douanes judiciaires. « L’usine est au nord, près de la frontière turque, très isolée. Au début, et pendant toute l’année 2011, il ne se passe absolument rien », tempère Bruno Pescheux, PDG de LCS jusqu’en juin 2014.

    Tout au long de son aventure syrienne, Lafarge est resté en contact permanent avec l’ambassade de France à Damas – qui sera fermée par Nicolas Sarkozy en mars 2012 –, puis avec l’ambassade de France en Jordanie. Jean-Claude Veillard, un ancien fusilier marin dans les forces spéciales et les commandos, est également en relation avec la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

    « Jean-Claude avait de bons contacts avec les services, notamment la DGSE », explique Eric Olsen, ancien DRH, puis directeur général de Lafarge. Il « me tenait informé des mouvements des Kurdes et de l’Armée syrienne libre, poursuit-il. Je comptais sur l’expertise et la protection de l’Etat français pour nous tenir au courant ».

    Chaque mois, au siège de Lafarge à Paris, un comité de sûreté réunissant les opérationnels, le département juridique, l’assurance, le directeur du siège et les ressources humaines fait le point sur les pays où le groupe est implanté, dont la Syrie.

    Mai 2011 : les premières sanctions

    Le 9 mai 2011, le Conseil de l’Union européenne (UE) adopte un embargo sur les armes et le pétrole syriens. Celui-ci sera étendu le 18 janvier 2012 pour un ensemble élargi de matériaux, notamment certains ciments. A cette époque, Lafarge, dont le marché est local, ne s’estime pas concerné par les sanctions. « D’après ce que j’avais compris, explique Bruno Pescheux, il s’agissait essentiellement de prohibition d’exportations depuis la Syrie vers l’UE. Or, nous étions dans l’autre sens, on importait. »

    Décembre 2011 : Total quitte la Syrie

    Le 1er décembre, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme déclare la Syrie en état de guerre civile. Quatre jours plus tard, le pétrolier Total annonce son départ du pays. Dans les mois qui suivent, Air liquide et les fromageries Bel plient bagages à leur tour. Fin 2012, Lafarge est le dernier groupe français présent en Syrie.

    « Pourquoi Lafarge reste en Syrie ?, demandent les enquêteurs aux responsables du cimentier.

    – On pouvait toujours fonctionner en sécurité et en conformité. Donc on a continué, répond laconiquement Bruno Lafont.

    – Mais en janvier 2012, la situation dégénérait…, intervient l’enquêteur.

    – Ce n’est pas ce que disait le Quai d’Orsay, insiste Christian Herrault, ancien directeur général adjoint opérationnel du groupe. Le Quai d’Orsay dit qu’il faut tenir, que ça va se régler. Et il faut voir qu’on ne peut pas faire des allers-retours, on est ancrés et, si on quitte, d’autres viendront à notre place… »

    Juillet 2012 : l’évacuation des expatriés
    A l’été 2012, l’armée du régime perd le contrôle de la frontière turque. A l’ouest, la zone passe sous l’emprise des Kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD), à l’est, sous celle de l’Armée syrienne libre et de divers groupes islamistes. La ville de Kobané, à 55 kilomètres de l’usine, est tenue par les Kurdes, tandis que Manbij, à 66 kilomètres, est sous le contrôle des rebelles.

    « Cette nouvelle redistribution des cartes ne vous fait-elle pas craindre pour vos salariés et votre usine ?, s’enquiert l’agent des douanes.

    – Un peu, oui, répond M. Lafont. Mais, là encore, je me fie à ce que mes collaborateurs me disent. »

    Les « collaborateurs » de M. Lafont semblaient pourtant bien au fait des risques encourus par le personnel du site. « On a même interrompu l’usine à l’été 2012, faute de sûreté suffisante », relate M. Pescheux. Le directeur de la cimenterie demande alors aux employés chrétiens et alaouites de ne plus venir travailler, pour raison de sécurité. Les expatriés – une centaine de salariés sur plus de 300 – sont quant à eux exfiltrés du pays en juillet 2012.

    A partir de la fin de l’été, seuls les employés sunnites et kurdes sont autorisés à continuer à travailler sur le site. Afin de limiter les trajets, de plus en plus périlleux, leur patron leur demande de se domicilier à Manbij, ou d’emménager directement dans la cimenterie. M. Pescheux, lui, déménage ses bureaux de Damas au Caire, en Egypte, d’où il dirige l’usine à distance, en toute sécurité.

    Malgré la dégradation de la situation, le directeur de LCS justifie devant les enquêteurs la décision de maintenir l’activité du site avec le personnel local : « L’idée était de préserver l’intégrité de l’usine en la faisant fonctionner, même de manière discontinue. On voulait éviter la cannibalisation de l’usine, qui serait arrivée si elle avait été perçue comme à l’abandon. »

    Davantage que le profit immédiat – la production de ciment a rapidement chuté, passant de 2,3 millions de tonnes en 2011 à 800 000 tonnes en 2013 –, c’est la volonté acharnée d’occuper le site dans la perspective de la reconstruction du pays qui motivera les décisions du groupe. A cette date, personne, au sein de l’entreprise, pas plus qu’au Quai d’Orsay, ne semble anticiper la tragédie dans laquelle la Syrie est en train de sombrer.

    Septembre 2012 : une « économie de racket »

    A la fin de l’été 2012, la situation dégénère. « L’économie de racket a commencé en septembre ou octobre 2012 », se souvient M. Herrault. En septembre, deux responsables du groupe, Jean-Claude Veillard, le directeur de la sûreté, et Jacob Waerness, gestionnaire de risque sur le site de l’usine LCS, se rendent à Gaziantep, en Turquie, pour y rencontrer des milices de l’opposition syrienne.

    « Il était très clair qu’elles étaient indépendantes et ne voulaient pas se coordonner. Et il était très clair qu’elles voulaient taxer ce qui passait par les routes, poursuit M. Herrault. C’était clairement du racket, même si c’était les “bons” qui rackettaient. Tous les six mois, on allait voir le Quai d’Orsay, qui nous poussait à rester.

    – Vous vous souvenez du nom de ces milices ?, demande l’enquêteur.

    – Ah non, elles changent d’allégeance… Ce qui était un peu fou, c’est que toutes ces milices étaient alimentées en armes et argent par le Qatar et l’Arabie saoudite, sous le regard américain, sans aucun discernement. On aime bien mettre des noms sur les choses, mais là-bas rien n’est si simple… »

    A l’issue de la réunion de Gaziantep, LCS missionne un ancien actionnaire minoritaire de l’usine, Firas Tlass, pour monnayer la sécurité de ses employés sur les routes. Entre septembre 2012 et mai 2014, cet homme d’affaires – fils de l’ex-ministre de la défense du président Bachar Al-Assad, ayant fait défection au régime – se voit remettre entre 80 000 et 100 000 dollars par mois pour négocier avec les groupes armés qui tiennent les checkpoints autour de l’usine.

    A cette période, l’Etat islamique en Irak, ancêtre de l’EI, n’a pas encore fait irruption dans la guerre civile syrienne. L’usine est en revanche encerclée par les milices kurdes et des groupes islamistes, dont le Front Al-Nosra. Selon le directeur de l’usine, M. Pescheux, il n’existait pas de liste précise des destinataires des fonds versés par Firas Tlass : « Ceux qui gardaient un checkpoint pouvaient changer d’allégeance », assure-t-il.

    Octobre 2012 : neuf employés kidnappés

    En octobre 2012, neuf employés de l’usine sont pris en otage. Le directeur sûreté de Lafarge, M. Veillard, raconte : « Ces employés alaouites avaient été écartés de l’usine pour leur sécurité confessionnelle. Ils étaient au chômage technique, à Tartous [dans l’ouest de la Syrie]. Ils étaient payés jusqu’au jour où le DRH de l’usine leur a demandé de venir percevoir leur salaire à l’usine. Les neuf employés sont venus en bus, via Rakka, et se sont fait enlever par des Kurdes, puis [ont été] revendus à des milices locales. Lafarge a payé 200 000 euros, en livres syriennes. »

    Avril 2013 : Lafarge, « c’est le drapeau français »

    Début 2013, le pays bascule dans une nouvelle ère. Le 6 mars, Rakka est prise par différents groupes islamistes, dont le Front Al-Nosra, qui prête allégeance à Al-Qaida et tombe donc sous le coup des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU. Un mois plus tard, le 9 avril, l’Etat islamique en Irak, qui s’est implanté en Syrie, se rebaptise « Etat islamique en Irak et Levant » (EIIL). Le groupe prend le contrôle de Rakka le 13 juin.

    « Comment Lafarge peut-elle conserver une usine dans cette guerre qui devient de plus en plus sale, qui dégénère ? demande un enquêteur aux dirigeants du groupe.

    – C’est là où on se pose la question si on reste ou pas, répond le PDG, Bruno Lafont. On commence à penser qu’on va se replier. On a eu des feedbacks de nos gars. On pouvait visiblement continuer.

    – Ce qu’il faut comprendre, c’est que lorsque cette guerre a commencé, l’usine venait de démarrer, insiste le patron de l’usine, Bruno Pescheux. On pensait que quand tout serait fini, il y aurait au moins une cimenterie qui pourrait fournir du ciment pour reconstruire la Syrie…

    – On allait voir, tous les six mois, l’ambassadeur de France pour la Syrie [à Paris], et personne ne nous a dit : “Maintenant, il faut que vous partiez”, précise Christian Herrault. Le gouvernement français nous incite fortement à rester, c’est quand même le plus gros investissement français en Syrie et c’est le drapeau français. Donc oui, Bruno Lafont dit : “On reste.” »

    Octobre 2013 : « Daech s’inscrit dans le paysage »
    Le 11 octobre 2013, le Conseil européen confirme les sanctions à l’encontre de certaines entités terroristes, dont le Front Al-Nosra, Al-Qaida et l’EIIL. « Pourquoi Lafarge a pris le risque de rester en Syrie, où ces trois organisations sont présentes ? », demande l’enquêteur. La réponse du directeur général adjoint opérationnel est un pur modèle de rationalisation économique :

    « On gérait les risques par cette économie de racket, et il n’y a pas eu de phénomène marquant jusqu’à fin 2013 », explique Christian Herrault, oubliant au passage l’enlèvement de neuf employés alaouites de l’usine un an plus tôt.

    « Quel est ce phénomène marquant ?

    – Daech s’inscrit dans le paysage. Ils affichent la volonté de taxer les routes. Un des chefs se réclamant de Daech convoque Bruno [Pescheux] et Jacob [Waerness] à Rakka (…). C’est Firas [Tlass], ou un de ses hommes, qui y va et voit la situation. Daech vient dans la liste des racketteurs, ça fait 10 % des sommes, dont la moitié était pour les Kurdes.

    – A ce moment-là, que vous dit le Quai d’Orsay ?

    – Pas de changement de leur position. Encore une fois, pas de solution intermédiaire, soit on partait, soit on restait. Le rackettage de Daech, c’était l’équivalent de 500 tonnes… Sachant qu’on a trois silos de 20 000 tonnes… Est-ce qu’on va tout plier pour 500 tonnes ? »

    C’est l’ancien actionnaire minoritaire M. Tlass qui sera chargé de payer les groupes armés en utilisant le cash de l’usine. Pour entrer ces dépenses dans la comptabilité, « on utilisait des notes de frais que je signais “frais de représentation”, explique M. Herrault. Donc là, c’était les notes de Bruno [Pescheux], mais il n’y avait rien dessus, il n’y avait aucun nom de milice. »

    Bruno Pescheux, lui, se souvient avoir vu les noms de Daech et du Front Al-Nosra mentionnés sur des documents :

    « Avez-vous vu le nom de Daech ? demande l’enquêteur.

    – Oui, répond le directeur de l’usine.

    – Avez-vous une idée du montant prévu pour Daech ?

    – De l’ordre de 20 000 dollars par mois. »

    Juin 2014 : un rendez-vous avec l’organisation Etat islamique
    A l’été 2014, l’EIIL contrôle le nord-est de la Syrie et fait une percée vers l’ouest. Le 29 juin, l’organisation proclame le « califat » et se baptise « Etat islamique ». Au sud de l’usine, les combats font rage entre le Front Al-Nosra et l’EI, qui est aux prises avec les Kurdes au nord du site. L’étau se resserre : à 500 mètres de l’usine, un checkpoint marque la sortie de la zone kurde ; à 20 kilomètres, un barrage signale l’entrée de la zone contrôlée par l’EI.

    Ce 29 juin, le nouveau responsable sûreté de l’usine, un ancien des forces spéciales jordaniennes qui a remplacé M. Waerness, envoie un mail au DRH local, avec le directeur de LCS, M. Pescheux, en copie : « Je viens d’arriver de Rakka. Le responsable de l’Etat islamique est toujours là, il est à Mossoul en ce moment. Notre client de Rakka m’a arrangé un rendez-vous avec lui, concernant nos expatriés au Pakistan et en Egypte. Une fois que j’aurai l’autorisation, je vous informerai. »

    « Pourquoi aller voir cette personne de l’El ?, demande l’enquêteur au directeur de l’usine.

    – L’idée était de dire : pour faire fonctionner cette usine, les locaux ont beaucoup de mal. L’idée était de faire revenir des expats pour les épauler, mais il fallait garantir leur sûreté : pas de kidnapping ou de choses comme ça », répond M. Pescheux.

    Juillet 2014 : « La situation autour de l’usine a empiré »
    Début juillet, l’El attaque les Kurdes à Kobané, à 50 kilomètres de la cimenterie. Les combats font plusieurs centaines de morts. Le 8 juillet, le responsable jordanien de la sûreté de l’usine envoie un mail alarmiste à M. Pescheux, qui a été versé au dossier par la plainte de Sherpa :

    « La situation autour de l’usine a empiré après que le camion-suicide a explosé au checkpoint du PYD [parti kurde] hier, à minuit. C’était à 10 kilomètres à l’est de l’usine, les quatre passagers ont été tués. L’Etat islamique a commencé une campagne discrète contre le PYD dans notre région (…). Le PYD a établi de sérieuses mesures de sécurité autour de l’usine, et a demandé la fermeture et l’évacuation de l’usine. »

    « A ce moment-là, on me dit que la situation est de plus en plus difficile. Je sais, à ce moment-là, qu’on va partir », assure Bruno Lafont. Le directeur sûreté du groupe, M. Veillard, est moins alarmiste : « Pour moi, l’attentat à 10 kilomètres n’existe pas. Il n’y a rien autour de l’usine. Le premier village doit être à 30 kilomètres. Maintenant, c’est peut-être un type qui s’est fait sauter. En aucun cas, il n’y avait un risque pour les employés et l’usine. »

    Le 17 juillet, un responsable de l’usine envoie pourtant un nouveau mail sans équivoque au PDG de LCS : « Notre personnel à l’usine est très perturbé et inquiet. Ils se sentent comme des prisonniers au sein de l’usine (…). L’EI est en train de s’emparer du contrôle de l’entrée de l’usine et n’autorise personne à entrer ou sortir (…). Nous ne sommes pas capables de rassurer nos employés (…). Nous avons besoin de votre aide pour régler cette question avec nos voisins. »

    27 juillet 2014 : l’usine interrompt sa production

    A la fin du mois de juillet 2014, la dégradation de la situation militaire contraint la cimenterie à interrompre son activité. Malgré les injonctions du chef militaire kurde d’évacuer les lieux, LCS reprendra pourtant la production cinq semaines plus tard.

    15 août 2014 : « J’ai fait la recommandation de fermer l’usine »

    Le 15 août 2014, une résolution de l’ONU interdit toute relation financière avec les groupes terroristes présents en Syrie, pouvant être « considérée comme un appui financier à des organisations terroristes ». « Que s’est-il passé chez Lafarge à ce moment-là ? », s’enquiert un enquêteur des douanes.

    « Frédéric [Jolibois, qui a remplacé Bruno Pescheux à la tête de LCS] envoie un mail au service juridique pour la conduite à tenir. Il faut voir que Daech n’avait alors rien fait en dehors de la Syrie, il n’y avait pas eu Charlie, le Bataclan… C’était alors une affaire syrienne, relativise M. Herrault. Je précise au service juridique que Daech, vers le 16 août, est bel et bien une organisation terroriste. Ce que je sais, c’est que rien n’a été payé après le 15 août. »

    La directrice juridique de Lafarge est consultée. Elle explique aux douaniers : « J’ai été informée sur deux points (…). Le deuxième était : l’Etat islamique demande des taxes aux transporteurs. Peut-on traiter avec ces transporteurs ? C’était en août 2014. L’avis juridique a été rendu début septembre 2014 et était très clair : oui, il y a un risque juridique. J’ai fait la recommandation de fermer l’usine. »

    1er septembre 2014 : le laissez-passer de l’EI

    Malgré l’avis de la direction juridique, l’usine se prépare à reprendre ses activités. Un laissez-passer pour ses clients et transporteurs, daté du 1er septembre 2014 et tamponné par le gouverneur de l’El à Alep, a été versé au dossier. Son contenu laisse entendre que l’usine a passé un « accord » avec l’EI : « Au nom d’Allah le miséricordieux, les moudjahidine sont priés de laisser passer aux barrages ce véhicule transportant du ciment de l’usine Lafarge, après accord avec l’entreprise pour le commerce de cette matière. »

    9 septembre 2014 : reprise de l’activité

    Passant outre les injonctions du commandant kurde, l’usine reprend sa production le 9 septembre. Le lendemain, son nouveau directeur, M. Jolibois, se rend à l’ambassade de France en Jordanie. Selon le compte rendu qu’a fait l’ambassade de cet entretien, il réaffirme la volonté du groupe de se maintenir en Syrie pour « préserver ses actifs et ses activités futures ».

    Le directeur de LCS assure aux autorités françaises que Lafarge « ne verse rien au PYD ou à l’Etat islamique ». Il reconnaît seulement que les « transporteurs locaux » doivent obtenir des laissez-passer « sans impliquer l’usine ou Lafarge », ce qui semble contredit par l’exemplaire daté du 1er septembre qui a été retrouvé. Le compte rendu de l’ambassade conclut : « Jolibois ne semblait pas particulièrement inquiet des conséquences, pour la sécurité de l’usine et de son personnel, de la présence de l’Etat islamique à quelques kilomètres d’Aïn-Al-Arab [nom arabe de Kobané]. »

    « Nous sommes à cinq jours d’une attaque décisive de l’El dans la région. Comment pourrait-on caractériser ces déclarations : un manque de lucidité, la cupidité ou business as usual ?, s’enquiert l’agent des douanes.

    – Je ne suis pas au courant, élude le PDG, M. Lafont. Je pense qu’il faut poser la question à M. Jolibois. Je ne sais pas de quoi il était au courant. »

    Dans leur rapport de synthèse, les douanes s’étonnent des réponses systématiquement évasives du PDG de Lafarge : « Bruno Lafont disait tout ignorer des pratiques de son personnel en Syrie (…). Il serait tout à fait étonnant que M. Lafont n’ait pas demandé à son équipe de direction d’avoir un point précis de la situation d’une cimenterie dans un pays en guerre depuis plusieurs années. »

    Le jour de l’entretien de M. Jolibois à l’ambassade de France en Jordanie, ce dernier a en effet envoyé un mail à plusieurs responsables du groupe, à Paris, évoquant un plan d’évacuation de l’usine : « La semaine prochaine, Ahmad [le directeur sûreté de l’usine] partagera notre plan d’évacuation avec le département de sécurité de Lafarge, et il devrait être en mesure de nous envoyer la version à jour d’ici deux semaines. » L’usine sera attaquée dix jours plus tard…

    19 septembre 2014 : l’attaque de l’usine

    Le 18 septembre, un employé de l’usine est informé d’une attaque imminente de l’EI et en fait part à son patron. Le directeur de l’usine envoie par mail ses dernières consignes de sécurité. Il suggère de « préparer des matelas, de la nourriture, de l’eau, du sucre, dans les tunnels techniques de l’usine ». « Si les affrontements arrivent à l’usine, déplacer les équipes dans les tunnels et attendre », précise-t-il.

    Quelques heures plus tard, les troupes de l’EI sont aux portes de l’usine. La plupart des employés sont évacués en catastrophe par bus vers Manbij. Mais le plan d’évacuation est défaillant. Les bus ne reviennent pas à l’usine. Une trentaine d’employés bloqués sur place doivent s’enfuir par leurs propres moyens, entassés dans deux véhicules abandonnés sur le site. L’usine sera prise d’assaut dans la nuit.

    Quatre employés de Lafarge sont arrêtés par l’EI pendant l’évacuation, et retenus en otage une dizaine de jours. Parmi eux, deux chrétiens arrêtés dans un des bus affrétés par Lafarge sont contraints de se convertir à l’islam avant d’être relâchés.

    Le 21 septembre, un employé en colère écrit un mail au directeur de la cimenterie : « Nous vous demandons fermement de commencer une enquête afin de vérifier les faits suivants (…). Après plus de deux ans de réunions quotidiennes portant sur la sécurité, qui est responsable de l’absence de plan d’évacuation de l’usine de notre équipe, et qui a abandonné plus de trente de nos braves employés une heure avant l’attaque de l’El et l’explosion du réservoir de pétrole ? »

    Quelques jours plus tard, M. Jolibois se félicitera pourtant, dans un mail envoyé au groupe, du succès de l’évacuation : « Malgré la complexité de la situation et l’extrême urgence à laquelle nous avons été confrontés, nous avons réussi à sortir nos employés de l’usine sains et saufs. Les choses ne se sont probablement pas déroulées telles que nous les avions planifiées ; néanmoins, nous avons atteint le but principal. Lafarge Cement Syria n’est pas morte. Je suis convaincu que nous gagnerons la dernière bataille. »

  • visionscarto.net | De Rome à Gaziantep, des réfugié·es otages de l’Union européenne
    http://asile.ch/2016/09/27/visionscarto-net-de-rome-a-gaziantep-refugie%c2%b7es-otages-de-lunion-europeen

    Pour les milliers de réfugié·es qui ont pris le chemin de l’exil, la vie s’est figée dans le temps et dans l’espace, coincé·es en Italie, en Grèce ou en Turquie. Depuis l’accord UE-Turquie du 18 mars 2016, l’Europe s’efforce de contenir à tout prix leur mouvement dans sa partie méridionale. En témoigne ce reportage photographique […]

  • De Rome à Gaziantep, des réfugié·es otages de l’Union européenne

    http://visionscarto.net/de-rome-a-gaziantep-des-refugie-es

    Nous commençons la semaine avec Sara Prestianni, photographe et membre du réseau Migreurop. Sara est partie, comme elle en a l’habitude, à la rencontre des migrants et des réfugiés pour recueillir leur témoignage, constater leur conditions de vie souvent précaires, constater aussi les conséquences désastreuses des choix de l’Europe pour ce qui concerne les politiques migratoires.

    « Pour les milliers de réfugié·es qui ont pris le chemin de l’exil, la vie s’est figée dans le temps et dans l’espace, coincé·es en Italie, en Grèce ou en Turquie. Depuis l’accord UE-Turquie du 18 mars 2016, l’Europe s’efforce de contenir à tout prix leur mouvement dans sa partie méridionale. En témoigne ce reportage photographique de la vie des réfugié·es dont l’attente est devenue la mesure du temps et l’absence d’informations la cause du désespoir. »

    En 2012, Sara nous avait aussi confier un reportage tr-ès émouvant qu’elle avait réalisé au Sénégal auprès de réfugié·es Mauritanien·nes :

    À Dakar, sans espoir de retour : paroles de réfugié·es mauritanien·nes
    http://visionscarto.net/dakar-sans-espoir-de-retour

    #migrations #réfugiés #asile #mauritanie #grèce #turquie #italie #photographie

  • Dites bonjour à la coalition ATM (Ankara-Téhéran-Moscou)
    https://www.crashdebug.fr/international/12287-dites-bonjour-a-la-coalition-atm-ankara-teheran-moscou

    Par Pepe Escobar – Le 26 août 2016 – Source Russia Today

    Soldats turcs sur un véhicule blindé, vue à Karkamis, sur la frontière turco-syrienne, dans la province

    sud-orientale de Gaziantep, en Turquie, le 25 août 2016. Photo Umit Bektas – Reuters

    Le président turc Recep Tayyip Erdogan, dit « le sultan », s’apprêterait donc à effectuer une visite de haut niveau à Téhéran (la date n’a pas encore été fixée), essentiellement pour donner le coup d’envoi à la coalition ATM (Ankara-Téhéran-Moscou) en Syrie.

    Quiconque aurait osé prédire une secousse tectonique géopolitique d’une telle ampleur il y a à peine quelques semaines aurait été traité de fou furieux. Mais que s’est-il passé pour que l’impossible se produise ?

    C’est qu’un revirement stratégique majeur s’est déjà produit quand la Russie s’est mise à bombarder les (...)

    #En_vedette #Ça_s'est_dit_par_là... #International

  • L’appareil d’Etat turc est « paralysé », estime le chercheur Hamit Bozarslan
    https://www.mediapart.fr/journal/international/240816/l-appareil-d-etat-turc-est-paralyse-estime-le-chercheur-hamit-bozarslan

    L’Etat turc est en train de se désagréger. C’est du moins la thèse d’Hamit Bozarslan, directeur de recherche à l’Ehess et auteur de nombreux ouvrages sur la #turquie et le #Moyen-Orient. Entretien, quelques jours jours après l’attentat de Gaziantep qui a fait 51 morts.

    #International #combattants_kurdes #débat_vidéo #débats #Djihad #EI #Erdogan #Etat_islamique #Irak #kurdes #Kurdistan #PYD #Syrie #vidéo

  • Suicide bombing shows how Turkey’s Kurds are getting hit from all sides

    The suicide bomb that ripped through a Kurdish wedding in the southeastern Turkish city of Gaziantep over the weekend killed 51 people, roughly half of whom were children, and wounded dozens more. Turkish officials say the assailant acted in the service of the Islamic State. If they’re right, that would make the blast the worst jihadist strike on Turkey since the extremists’ brazen assault on Istanbul’s main airport in June.

    https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2016/08/23/suicide-bombing-shows-how-turkeys-kurds-are-getting-hit-from-all-sid
    #Kurdes #Kurdistan #Turquie
    cc @isskein

  • De bien jeunes adolescents utilisés en kamikazes par Daesh...
    http://www.argotheme.com/organecyberpresse/spip.php?article2891

    Le président turc a personnellement intervenu à propos du dernier attentat de Gaziantep, ville sud du pays et proche de la frontière syrienne, qui a eu lieu dans la soirée du samedi 20 août dans un quartier kurde. C’est parce que cette attaque est la plus meurtrière depuis le début l’année 2016 et aussi le mode opératoire des terroristes est nouveau, voire insolite, pour que le chef de l’Etat turc a été obligé d’en parler. De bien jeunes garçons, Boko Harem a déjà employé des filles de cet âge, (...)

    international, suivi, grand événement, internationaux, monde, continent, Etats, conflits, paix,

    / #Syrie,_opposition,_Turquie,_Qatar,_armée,_Alep,_Damas,_Bashar_Al-Assad,_Liban, #Turquie,_journaliste,_lettre,_prison,_démocratie,_islamistes,_islamisme, Terrorisme , islamisme , Al-Qaeda , politique , , (...)

    #international,suivi,_grand_événement,_internationaux,_monde,_continent,_Etats,_conflits,_paix, #Terrorisme_,_islamisme,Al-Qaeda,politique,_ #Irak,_prison,_pétitions,_chiite,_sunnite,_journaliste #fait_divers,_société,_fléau,_délinquance,_religion,_perdition

  • Noces de sang à Gaziantep-Kedistan
    http://www.kedistan.net/2016/08/21/attentat-gaziantep

    @Ad Nauseam - #Kedistan est au Festival de Douarnenez, consacré cette année aux “peuples de Turquie”. Ce sont des “vacances” studieuses, mais extrêmement riches en rencontres dont nous vous ferons part.Hier soir, nous participions gaiement sur la place du “village du Festival” à la bonne humeur générale. Beaucoup (...)

    Kedistan / #Mediarezo

  • Syrie : les troubles arrangements de Lafarge avec l’Etat islamique

    http://www.lemonde.fr/syrie/article/2016/06/21/syrie-les-troubles-arrangements-de-lafarge-avec-l-etat-islamique_4955023_161

    C’est l’histoire d’une dérive, une histoire de « zone grise » comme les guerres en produisent. L’histoire d’une cimenterie en Syrie, l’une des plus modernes et importantes du Proche-Orient, que sa direction a tenté de faire fonctionner coûte que coûte au milieu d’un pays à feu et à sang, au prix d’arrangements troubles et inavouables avec les groupes armés environnants, dont l’organisation Etat islamique (EI). C’est, enfin, l’histoire d’une société française, Lafarge, numéro un mondial du ciment depuis sa fusion avec le suisse Holcim et fleuron du CAC 40, qui a indirectement – et peut-être à son insu – financé les djihadistes de l’EI pendant un peu plus d’un an, entre le printemps 2013 et la fin de l’été 2014.

    La cimenterie de Jalabiya, dans le nord-est de la Syrie, a été acquise par Lafarge en 2007, lorsque le groupe français rachète l’usine encore en construction à l’égyptien Orascom. L’homme d’affaires syrien Firas Tlass, proche du régime mais aujourd’hui en exil, est le partenaire minoritaire de Lafarge Cement Syria (LCS). L’usine rénovée, dont la capacité annuelle de production est de 2,6 millions de tonnes de ciment par an, entre en activité en 2010. Estimé à 600 millions d’euros, il s’agit du plus important investissement étranger en Syrie hors secteur pétrolier.

    La Syrie de Bachar Al-Assad se convertit alors au capitalisme, et le marché du ciment, récemment ouvert à la concurrence, est en pleine expansion ; la production nationale ne suffit pas à répondre à la demande intérieure. « Un panneau placé à l’entrée de la cimenterie indiquait que la production quotidienne de clinker [constituant du ciment] était de 7 000 tonnes par jour », se souvient un employé syrien de l’entreprise Lafarge, réfugié en Turquie depuis 2014. « La direction Lafarge en Syrie s’en vantait. Nous produisions bien plus et bien mieux que les autres cimenteries en Syrie », ajoute-t-il.

    Jusqu’en 2013, la production se maintient malgré l’instabilité croissante dans la région due à la guerre civile qui a débuté en 2011. Selon nos sources, la sécurité autour de l’usine est d’abord assurée par l’armée syrienne, puis, à partir de l’été 2012, par le YPG, la branche militaire du Parti kurde de l’union démocratique (PYD, autonomiste). A partir de 2013, la situation se dégrade. La production de l’usine Lafarge ralentit. « De dix mille tonnes de ciment produit par jour, l’usine n’en fabrique plus que six mille en 2013 », se souvient un ancien employé. Mais l’envolée des prix de cette matière très demandée s’envole : le sac de 50 kg, vendu 250 à 300 livres syriennes avant la guerre, se négocie 550 livres…

    La direction était au courant

    A partir du printemps 2013, l’EI (à l’époque surnommé l’Etat islamique en Irak et au Levant) prend progressivement le contrôle des villes et des routes environnant l’usine de Lafarge. Des courriels envoyés par la direction de Lafarge en Syrie, publiés en partie par le site syrien proche de l’opposition Zaman Al-Wasl et que Le Monde a pu consulter, révèlent les arrangements de Lafarge avec le groupe djihadiste pour pouvoir poursuivre la production jusqu’au 19 septembre 2014, date à laquelle l’EI s’empare du site et Lafarge annonce l’arrêt de toute activité.

    Rakka, située à moins de 90 kilomètres de l’usine par la route, tombe aux mains de l’EI en juin 2013. En mars 2014, c’est au tour de Manbij, une ville située à 65 kilomètres à l’est du site et où la plupart des employés de Lafarge sont hébergés. Pendant cette période, Lafarge tente de garantir que les routes soient ouvertes pour ses ouvriers, comme pour sa marchandise, entrante comme sortante.

    Un certain Ahmad Jaloudi est envoyé par Lafarge à Manbij pour obtenir des autorisations de l’EI de laisser passer les employés aux checkpoints. On ne trouve aucune trace d’Ahmad Jaloudi dans l’organigramme de Lafarge Syrie. Il dispose pourtant d’une adresse électronique avec le nom de domaine Lafarge. Un ancien employé explique : « Il est entré illégalement en Syrie par la frontière syrienne avec la Turquie. Il est jordanien de nationalité mais parle l’arabe avec l’accent syrien de Deraa [une ville syrienne à la frontière avec la Jordanie]. Il était gestionnaire de risques pour Lafarge. » « Il se déplaçait sans cesse entre Gaziantep [en Turquie], Rakka, Manbij et l’usine où il dormait comme certains d’entre nous contraints de rester sur place », ajoute l’employé.

    Dans un courriel daté du 28 août 2014, Ahmad Jaloudi relate ses efforts à Frédéric Jolibois, PDG de la filiale de Lafarge en Syrie depuis juin 2014. « L’Etat islamique demande une liste de nos employés… j’ai essayé d’obtenir une autorisation pour quelques jours mais ils ont refusé », regrette-t-il. Il suggère d’organiser une « conférence téléphonique » en urgence avec « Frédéric [Jolibois, basé à Amman], Mamdouh [Al-Khaled, directeur de l’usine, basé à Damas], Hassan [As-Saleh, représentant de Mamdouh Al Khaled dans l’usine] » et lui-même.

    Frédéric Jolibois répond le lendemain et ajoute en copie Jean-Claude Veillard, directeur sûreté du groupe Lafarge à Paris. Les échanges ne révèlent pas quel fut le résultat de cette discussion. Ils permettent cependant de conclure que la direction de Lafarge à Paris était au courant de ces efforts. « Les points sur la sécurité avec Jean-Claude Veillard à Paris étaient quotidiens. Ils se tenaient par conférence téléphonique à 11 heures », confie un employé.

    « Taxes de passage de l’EI »

    Il ne s’agit pas là du seul contact avec l’EI. Deux mois plus tôt, le 29 juin 2014, Ahmad Jaloudi écrit à Mazen Shiekh Awad, directeur des ressources humaines à Lafarge Syrie. Il met en copie Bruno Pescheux, alors PDG de Lafarge Syrie depuis l’ouverture de l’usine en 2010. Ahmad Jaloudi explique qu’il vient juste de revenir de Rakka : « Le haut responsable de l’EI n’est pas encore rentré. Il est pour l’instant à Mossoul [la « capitale » du « califat » de l’EI en Irak depuis juin 2014]. Je le verrai dès son retour. Notre client [il ne précise pas lequel] à Rakka m’a organisé un rendez-vous avec lui. » Le motif de cette tentative de contact avec un haut responsable de l’EI reste obscur.

    « Lafarge continuait d’alimenter le marché syrien du ciment et, pour cela, avait besoin d’acheminer sa production par les routes », explique un ancien employé de Lafarge. D’après une carte qui date du printemps 2014 et dessinée à partir des informations collectées par Ahmad Jaloudi auprès des chauffeurs qui acheminaient le ciment pour Lafarge, les checkpoints alentour étaient à l’époque en majorité contrôlés par l’EI. La carte, que Le Monde a pu consulter, indique les routes empruntées par les camions Lafarge : Jalabiya-Manbij-Alep-Sarakeb et Jalabiya-Tal Abyad-Rakka-Deir ez-Zor-Albou Kamal. Autant de villes tenues entièrement ou partiellement par l’EI.

    Un laissez-passer estampillé du tampon de l’EI et visé par le directeur des finances de la « wilaya » (région) d’Alep, daté du 11 septembre 2014, atteste des accords passés avec l’EI pour permettre la libre circulation des matériaux. Le laissez-passer que le chauffeur de Lafarge devait présenter aux checkpoints de l’EI somme « les frères combattants de laisser passer ce véhicule aux checkpoints [qui transporte] du ciment de l’usine Lafarge après un accord passé avec l’usine pour le commerce de ce matériau ». « Tout document qui n’a pas été tamponné n’est pas valable pour passer les checkpoints », est-il précisé.

    Pourquoi ce laissez-passer a t-il été visé par le directeur des finances de l’EI et non par un responsable militaire ?

    « L’EI pratique des taxes de passage pour les convoyeurs de marchandises. Les revenus sont gérés par Bayt Al-Mal, le “ministère islamique des finances” qui gère les revenus collectés ou distribués dans les différentes wilayas de l’EI », explique Wassim Nasr, journaliste spécialiste des mouvements djihadistes à France 24 et auteur d’Etat islamique, le fait accompli (Plon, 192 p., 12 €).

    « Pas les faire tourner en bourrique »

    Pour fabriquer le ciment, Lafarge avait notamment besoin de se fournir en roches calcaires et en argile. « Les roches calcaires étaient extraites à l’aide d’explosifs dans les carrières à côté de l’usine et acheminées dans des chargeuses jusqu’à la cimenterie pour être concassées, explique un employé. Même pendant la guerre, Lafarge achetait une centaine de camions remplis de roches calcaires par jour. » Selon nos sources, à partir de 2012, l’entreprise égyptienne Silika, qui fournissait la cimenterie en roches calcaires, cesse ses activités. Lafarge se tourne alors vers des entrepreneurs locaux pour s’approvisionner. « Les carrières étaient dans une région contrôlée par les Kurdes. Tous ces entrepreneurs étaient kurdes », explique un ancien employé.

    Pour fabriquer du ciment, des matières actives comme le gypse et la pouzzolane sont mélangées au clinker, résultat du chauffage de la matière crue à 1 450 degrés dans un four rotatif. « Lafarge achetait en moyenne trois camions de pouzzolane et une dizaine de camions de mazout lourd par jour », précise un employé proche de la production.
    « Impossible, sans carburant, de faire chauffer le précalcinateur et le four rotatif à de telles températures. Lafarge n’avait pas d’autres choix que d’acheter du pétrole de l’EI, qui contrôlait alors toutes les sources de production à Rakka et à Deir ez-Zor », ajoute-t-il.
    Quant à la pouzzolane, elle venait d’une carrière située près de Rakka. Même si le propriétaire de la carrière n’est pas un membre de l’organisation djihadiste, il y a toutes les chances que ce dernier soit « taxé » par l’EI, comme c’est le cas de tous les entrepreneurs de la région.

    Un courriel daté du 9 septembre 2014 révèle le fonctionnement de Lafarge pour s’approvisionner en pétrole et en pouzzolane. Un certain Ahmad Jamal écrit dans un anglais approximatif à Frédéric Jolibois, le nouveau PDG de Lafarge Syrie. En copie du courriel, il ajoute la responsable des approvisionnements de Lafarge en Syrie, basée à Damas. « Cela fait plus de deux mois que vous ne nous avez pas versé la somme de 7 655 000 livres syriennes [l’équivalent aujourd’hui de plus de 30 000 euros]. » Ahmad Jamal met en garde Lafarge contre les dangers qu’il encourt à cause de ce retard de paiement. « Essayez s’il vous plaît de comprendre qu’il s’agit de l’argent de fournisseurs qui travaillent avec l’armée islamiste la plus forte sur le terrain. Lafarge ne doit pas les faire tourner en bourrique. »

    Lafarge passait donc par des intermédiaires et des négociants qui commercialisaient le pétrole raffiné par l’EI, contre le paiement d’une licence et le versement de taxes. Beaucoup décrivent Ahmad Jamal comme un profiteur de guerre. Originaire de Rakka, il avait d’étroites relations avec l’EI et différents fournisseurs.
    « Il assurait un approvisionnement continu en pétrole. Lafarge payait au prix fort, mais obtenait ainsi une sécurité relative pour la poursuite de ses activités », raconte un ancien employé.

    « Lafarge a dépassé les limites »

    Dans son courriel du 9 septembre 2014, Ahmad Jamal révèle le schéma de paiement des fournisseurs de l’usine. « Dr Taleb a fait tout son possible pour calmer l’ensemble des parties, les Kurdes y compris, mais Lafarge a dépassé les limites. » Ahmad Jamal demande que le paiement dû par Lafarge soit versé « en euros ou en dollars sur le compte de Dr Taleb au Liban ». Il fait pression pour qu’un échéancier soit respecté : « Pour preuve de bonne foi, nous avons besoin au moins de 24 000 dollars ou 18 000 euros d’ici à la fin de la semaine et la somme totale d’ici à la fin du mois. »

    Amro Taleb, présenté comme « le Dr », est un jeune homme d’affaires syrien canadien de 28 ans, qui présente bien. La faculté de droit de l’université de Harvard, celle où Barack Obama a étudié, l’a même invité à donner une conférence en janvier 2015 sur la « résolution des conflits ». Il se présente comme consultant en gestion de l’environnement pour le gouvernement syrien et pour Lafarge Syrie et propriétaire d’une société d’import-export basée en Turquie, près de la frontière syrienne.

    Selon le contrat signé en avril 2013 entre Bruno Pescheux et Amro Taleb, présenté comme consultant pour Lafarge Cement Syria (LCS) et chef de projet de la société Greenway Ecodevelopment, basée en Inde, Amro Taleb est chargé de représenter Lafarge pour des opérations en lien avec les crédits carbone. « Pourquoi Bruno Pescheux signe-t-il un tel contrat en 2013, alors que la situation sécuritaire est déjà très instable et que les conditions de production sont loin d’être idéales ? Etait-ce vraiment nécessaire à ce moment-là ? », se demande un ancien employé de Lafarge. Selon lui, il s’agissait surtout de dissimuler des transactions financières illicites.

    Dans une interview accordée au Stanford Daily le 12 janvier 2015, Amro Taleb soulignait le « pragmatisme » dont beaucoup de tribus et d’hommes d’affaires syriens savent faire preuve dans leur relation avec l’Etat islamique… Il insistait même sur les « compétences » de certains membres de l’EI dans la gestion des affaires courantes.

    Cet environnement trouble inquiète certains cadres de Lafarge. Ainsi, à la réception du courriel d’Ahmad Jamal, la responsable des approvisionnements avoue à son directeur, Frédéric Jolibois, prendre des risques en communiquant avec ce fournisseur dans l’intérêt de Lafarge : « J’ai reçu ce mail d’Ahmad Jamal. Comme je vous l’ai expliqué auparavant, ce fournisseur nous fournit en carburant et en pouzzolane. » « D’ordinaire, tous les accords et négociations passaient par lui [Ahmad Jamal] et Bruno Pescheux [le précédent directeur] », précise-t-elle à l’attention du nouveau directeur. En réponse, Frédéric Jolibois lui demande, après vérification du dernier ordre d’achat, de procéder au virement. « Plus besoin pour vous d’être en communication avec ce fournisseur. Renvoyez-le vers moi en cas de problèmes. »

    Jeu trouble et dangereux

    Dans les faits, Frédéric Jolibois, qui venait de remplacer Bruno Pescheux, entre-temps muté au Kenya, a hérité d’un système dirigé par trois hommes, qui avaient pris le contrôle de l’usine, aux dires de plusieurs anciens employés : Mamdouh Al-Khaled, avec le titre officieux de « responsable de la production », Amro Taleb, « coordinateur financier », et Ahmad Jamal, « fournisseur principal ». Selon plusieurs témoignages, les trois hommes agissaient de concert, quitte à ne pas forcément tenir au courant la direction française de leurs arrangements et à se partager les bénéfices des surfacturations liées aux difficultés d’approvisionnement et taxes instaurées par les groupes armés.

    Dans ce jeu trouble et dangereux, chacun cherche à se « couvrir » au cas où un scandale éclaterait. Ainsi, le 13 juillet 2014, Mamdouh Al-Khaled, que beaucoup décrivent comme un membre du parti Baath proche du gouvernement syrien, s’inquiète des discussions qui ont cours « à tous les niveaux » sur l’achat illégal de pétrole à des « organisations non gouvernementales », c’est-à-dire des milices armées. Il craint que des « mesures » ne soient prises par le gouvernement syrien « contre les personnes ou entreprises » impliquées. Il invite Bruno Pescheux à développer un argumentaire pour répondre aux questions éventuelles des autorités. Ce dernier développe dans sa réponse une défense point par point et prend soin de mettre en copie Frédéric Jolibois, son successeur.

    En substance, il explique d’abord que les mazouts lourds sont « absolument nécessaires » au fonctionnement de l’usine. En outre, l’entreprise n’achète que de petites quantités par rapport au pétrole qui transite clandestinement depuis la Turquie. Il ajoute qu’il est très difficile d’acheminer du carburant de Tartous (port sous contrôle du gouvernement syrien). Enfin, il explique que la poursuite des activités de Lafarge sert les intérêts du gouvernement : la vente du ciment est une source de revenus pour l’Etat syrien, qui perçoit des impôts dessus.

    Une partie de l’usine démontée et revendue

    Le 19 septembre, l’EI s’empare de l’usine, évacuée la veille par une partie des employés. Lafarge abandonne le site. Les silos, remplis de ciment, ont été vidés de leur contenu vendu au détail. Nul ne sait qui a donné les codes ouvrant les silos : d’anciens employés ou le directeur de l’usine, qui aurait voulu éviter que le ciment ne prenne ?

    Quelque temps plus tard, Amro Taleb prend contact avec la direction de Lafarge, selon le site Intelligence Online : il propose de reprendre la production sous la protection des nouveaux occupants du site – « des hommes d’affaires de Rakka », en fait les chefs locaux de l’Etat islamique – en échange de 15 % de la production. Lafarge décline.
    Amro Taleb serait revenu à la charge en se présentant directement au siège parisien de l’entreprise, rue des Belles-Feuilles dans le 16e arrondissement, en janvier 2015, le même jour que l’attentat contre Charlie Hebdo. Lafarge prend peur et veut couper tout contact, même indirect, avec l’EI. Selon un ancien cadre syrien, une partie de l’usine a été démontée et revendue, les voitures volées. En février 2015, l’EI a quitté la zone, chassé par les combattants kurdes des YPG.

    Jointe par téléphone, la chargée de la communication du groupe Lafarge à Paris, Sabine Wacquez, a expliqué au Monde : « La situation en Syrie était très compliquée et évolutive en 2013-2014. Les personnes ayant travaillé sur place ne sont pas toutes joignables. Il nous est difficile de réagir à des courriels sans avoir tout vérifié, l’usine est fermée depuis septembre 2014. »

  • Syrie : « Pourquoi les Américains n’ont-ils rien fait ? »

    http://www.lemonde.fr/international/article/2016/03/15/syrie-pourquoi-les-americains-n-ont-ils-rien-fait_4882787_3210.html

    C’est l’histoire d’un hold-up tragique, aux répercussions mondiales, et de quelques hommes de bonne volonté qui ont tenté de l’empêcher. Cinq ans après le premier défilé anti-Assad, dans les souks de Damas, le 15 mars 2011, la révolution syrienne est prise en tenailles par les forces prorégime, d’une part, et les djihadistes du Front Al-Nosra et de l’organisation Etat islamique (EI), de l’autre.

    Ces deux formations issues d’Al-Qaida, initialement absentes de la révolution, ont réussi une percée foudroyante, au détriment des combattants de l’Armée syrienne libre (ASL), les pionniers de l’insurrection. La bannière noire des djihadistes flotte désormais sur la plus grande partie du nord du pays, une région libérée à l’hiver 2012-2013, et dont les opposants rêvaient de faire le laboratoire d’une nouvelle Syrie.

    Les principales causes de ce détournement, qui a ébranlé tout le monde arabe et dont l’onde de choc est ressentie jusque dans les capitales européennes, sont bien connues : la brutalité sans limite du régime syrien, qui a semé le chaos propice à l’implantation des extrémistes ; le jeu trouble des bailleurs de fonds du Golfe, qui ont contribué à la confessionalisation du soulèvement ; et le morcellement de l’opposition, qui a multiplié les erreurs.

    A ces trois facteurs, il faut en rajouter un quatrième : le dédain des Etats-Unis pour les opposants syriens, dont les signaux d’alerte ont été régulièrement ignorés. Le Monde a mené l’enquête, recueillant la confession exclusive d’un homme, le maître-espion de l’Armée syrienne libre (ASL), « M. » rencontré à trois reprises.

    Pendant près de deux ans, il a transmis à la CIA des
    rapports très fouillés, nourris par son réseau d’informateurs. Une mine de données, truffées de cartes, de photographies, de coordonnées GPS et de numéros de téléphone.

    « Du moment où Daech [l’acronyme arabe de l’EI] comptait 20 membres à celui où il en a compté 20 000, nous avons tout montré aux Américains, explique cette source. Quand on leur demandait ce qu’ils faisaient de ces informations, ils répondaient de façon évasive, en disant ce que c’était entre les mains des décideurs. »

    Le Monde a pu prendre connaissance de plusieurs de ces pièces et en récupérer quelques-unes, notamment la localisation des bureaux et des check points des djihadistes à Rakka, leur quartier général en Syrie. Par la même filière, Le Monde a eu accès à un plan secret, élaboré à l’été 2014, en concertation avec Washington, qui devait permettre d’expulser l’EI de la province d’Alep. Repoussée à plusieurs reprises par les Américains, l’attaque a finalement été torpillée fin 2014, par un assaut surprise du front Al-Nosra, sur la brigade de l’ASL qui devait la mener.

    Des entretiens avec deux autres hommes de l’ombre ont permis d’authentifier ces documents, ainsi que de recouper et d’enrichir le récit initial. Mis bout à bout, ces éléments dessinent les contours d’une formidable occasion manquée. Si elle avait été saisie, il est probable que la communauté internationale se serait retrouvée dans une situation beaucoup plus confortable qu’elle ne l’est, aujourd’hui, face à l’EI.

    « Nous sous-estimons la richesse que les Syriens peuvent apporter en termes de renseignements sur l’EI », affirme Charles Lister, un spécialiste des mouvements djihadistes syriens, qui a été confronté à de multiples reprises aux récriminations d’opposants, dont les informations avaient été ignorées par les Etats-Unis.

    « A la fin de l’année 2013, nous avons raté deux coches, renchérit un diplomate occidental. Le premier, c’est l’attaque chimique contre la banlieue de Damas [le 21 août 2013], qui est restée sans réponse, ce qui a remis en selle le régime. Le second, c’est le renforcement de l’acteur qui aurait lutté contre Daech, et l’ASL était la mieux placée pour assumer ce rôle. »

    Appelons notre source « M. ». Pour des raisons de sécurité, son identité ne peut être révélée, de même que celle de tous les autres Syriens cités dans cet article. Dans la Syrie d’aujourd’hui, il ne fait pas bon espionner l’EI. Ces derniers mois, plusieurs militants révolutionnaires exilés en Turquie ont payé de leur vie leur engagement antidjihadiste.
    La carrière de « M. » dans le renseignement débute en avril 2013, lorsqu’il intègre le Conseil militaire suprême (SMC). Formé quatre mois plus tôt, cet organe ambitionne de coordonner les opérations des brigades labellisées ASL, et de centraliser l’aide financière qui afflue alors dans le plus grand désordre.

    « M. » contribue d’abord à la mission d’enquête des Nations unies sur
    l’usage d’armes chimiques en Syrie. Puis, il participe à des médiations destinées à obtenir la libération d’étrangers, capturés par des groupes djihadistes. Mais très vite son attention se porte sur l’EI, qu’il a observé à Saraqeb, une ville de la province d’idliv.

    « Son responsable sur place s’appelait Abou Baraa Al-Jazairi, c’était un Belgo-Algérien, raconte M. Il jouait à l’idiot, il fumait du haschisch en permanence. Il parlait de créer un califat, qui s’étendrait comme un cancer, et tout le monde pensait qu’il rigolait. Mais son parcours m’intriguait. Il avait combattu en Irak et en Afghanistan, il parlait le russe, le français et l’anglais, avec un background d’ingénieur. Tout sauf un amateur. Quand ses hommes ont ouvert un tribunal et ont commencé à y juger des gens, on a réalisé que les bêtises d’Abou Baraa étaient sérieuses. »

    En accord avec ses chefs, « M. » décide de monter des dossiers sur ces intrus. L’EI s’appelle alors l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Ses combattants, non Syriens en majorité, se distinguent par leur empressement à imposer leur loi sur le territoire où ils se déploient, contrairement à leurs rivaux d’Al-Nosra, mieux intégrés à l’insurrection, qui se concentrent sur le renversement du régime. Ils arrivent par centaines chaque mois à la frontière syro-turque, dont la traversée est alors un enfantillage.

    « Ces étrangers venaient voler notre pays, nos droits et notre terre », s’indigne « M. » qui les identifie comme un danger mortel pour la révolution. « Si vous n’arrêtez pas ce flot de terroristes, dans trois mois, même les Syriennes porteront la barbe », s’alarme son chef, à peine ironique, lors d’une rencontre en Turquie avec Robert Ford, l’ambassadeur américain auprès de l’opposition syrienne.

    Infiltré au sein de l’EI

    « M. » est envoyé se former à l’étranger. A son retour, il recrute une trentaine d’hommes de confiance, disséminés dans les villes qui sont en train de tomber sous la coupe de l’EIIL. Jarablus, Al-Bab, Tell Abyad, Manbij, Rakka. Pour financer son réseau, l’espion en chef demande
    30 000 dollars (27 000 euros) par mois aux Etats-Unis. Il en reçoit 10 000. Les rencontres avec ses officiers traitants se tiennent dans les palaces de la Turquie centrale, à Adana, Gaziantep, Ankara.

    L’un des agents les plus précieux du SMC est une taupe infiltrée dans le bureau des affaires financières de l’EIIL, situé à Manbij, non loin de la frontière turque. Un rapport rédigé sur la base de ses « infos », que Le Monde s’est procuré, fait état de transfert d’argent de Radwan Habib, un parlementaire syrien, membre du Ba’as, le parti au pouvoir, vers son frère Ali, émir de l’EI à Maskaneh, une petite ville sur l’Euphrate. Dix versements sont recensés entre novembre 2013 et avril 2014, dont l’un d’une valeur de 14 millions de livres syriennes (environ 67 000 euros).
    « Initialement, il s’agissait pour Radwan Habib de soutenir son frère, un simple chef rebelle, face à une tribu rivale, détaille « M ». Mais quand Ali est passé chez Daech, l’argent a continué à affluer. »

    Les mouchards de l’ASL ne font pas qu’écouter aux portes. Ils font aussi de la reconnaissance de terrain, parfois très risquée. Au Monde, « M. » a montré la photographie, prise au téléobjectif, d’un camp d’entraînement, dans le nord de la province de Lattaquié, fréquenté par des djihadistes étrangers. « Je l’ai évidemment transmise à mes contacts occidentaux, avec les coordonnées GPS, mais je n’ai eu aucun retour, maugrée « M. ». Des agents à moi ont aussi réussi à se procurer des numéros de téléphone de responsables de Daech, des numéros de série d’appareils satellites et même des adresses IP. Mais là encore, zéro retour. »

    A l’époque, au tournant de l’année 2013-2014, les Etats-Unis sont encore loin d’être entrés en guerre contre l’EI. Ils observent en retrait les groupes armés qui poussent alors comme des champignons, tentant de déceler ceux qui menacent leurs intérêts et ceux avec lesquels ils pourraient travailler.
    « Obama et son équipe ont toujours été très réticents à utiliser la force militaire en Syrie et à équiper les rebelles, rappelle Robert Ford, qui a pris sa retraite de diplomate en février 2014, et officie aujourd’hui comme chercheur au Middle East Institute. Leur inquiétude était double : d’une part que les armes fournies soient utilisées contre le régime Assad, ce qui aurait été une grave violation du droit international [les Etats-Unis considérant toujours que, même si leur ambassade à Damas a fermé, le régime Assad

    reste dépositaire de la légalité syrienne]. D’autre part, que ces armes puissent atterrir dans les mains de groupes comme Nosra. »
    A cet égard, la capture des bureaux et des entrepôts de l’ASL, en décembre 2013, dans le village d’Atmeh, sur la frontière turque, marque un tournant. En quelques heures, des groupes islamistes armés s’emparent des lieux et de l’arsenal qui s’y trouve. C’est le coup de grâce pour le SMC, déjà court-circuité par de nombreux bailleurs de la rébellion. Le Qatar et la Turquie par exemple disposent de leur propre filière et de leurs propres clients, hors ASL. Des armes arrivent même de Libye par bateaux, affrétés par un imam de Stockholm, Haytham Rahmé, membre des Frères musulmans.

    Halte à la foire, disent les Etats-Unis. Désormais tout devra passer par le « MOM » [un acronyme du turc qui signifie centre d’opérations militaires], une structure de coordination, hébergée dans les bases militaires du sud de la Turquie, où siègent les principaux parrains des rebelles (Arabie saoudite, Qatar, Turquie, France et Royaume-Uni), sous la baguette de la CIA. Pour faire avaler la pilule aux rebelles, les Etats-Unis leur promettent des armes antichars : les missiles TOW. Ils seront fournis par l’Arabie saoudite et la formation des artilleurs sera faite au Qatar, par des experts américains. Un coup à trois bandes.
    La première brigade de l’ASL à recevoir ces engins, au mois de mars 2014, s’appelle Harakat Hazm. Elle a été fondée au début de l’année par des anciens du bataillon Farouk, les défenseurs de la vieille ville de Homs. Avec les TOW – dont les premières vidéos font sensation sur Internet –, 4 000 hommes répartis entre les provinces d’Idlib, d’Alep et de Hama et un budget mensuel de quelques centaines de milliers de dollars, réglé par l’Oncle Sam, Hazm voit loin : elle aspire à devenir le principal pôle rebelle du nord.

    « Ce n’était pas la priorité de Washington »

    C’est là que se recycle « M. » après le fiasco du SMC. Pendant tout l’été 2014, alors que les hordes de l’Etat islamique proclamé par Abou Bakr Al-Baghdadi déferlent sur Mossoul, en Irak, il travaille à un plan secret, susceptible de bouleverser l’équilibre des forces dans le nord de la Syrie. Il s’agit d’attaquer les positions de l’EIIL du nord au sud de l’axe Azaz-Alep, ce qui compléterait l’offensive du mois de janvier 2014, qui avait déjà permis d’expulser les djihadistes d’Alep. Le Monde a vu les documents soumis aux Américains en préparation de cette offensive, à laquelle d’autres brigades de l’ASL devaient se joindre, comme Jaysh Al-Moudjahidin, basée à Alep.

    Tout était prévu, heure par heure, rue par rue : de l’itinéraire suivi par les assaillants, aux filières de ravitaillement en armes et en essence. Un travail de fourmi nourri par l’armée d’indics de « M ».
    « Dans chacun des villages tenus par Daech, on connaissait le nombre d’hommes armés, l’emplacement de leurs bureaux et de leur planque, on avait localisé les snipers et les mines, on savait où dormait l’émir local, la couleur de sa voiture, et même sa marque. D’un point de vue tactique comme stratégique, on était prêts. »

    Les Américains hésitent, demandent des précisions. Mais le temps presse. Dans la région d’Idlib, le Front Al-Nosra se fait menaçant. Au mois d’août, il s’empare de Harem, dans la région d’Idlib, en y délogeant les hommes du Front des révolutionnaires syriens (FRS), un groupe estampillé ASL et armé par le MOM, commandé par Jamal Maarouf, un ancien ouvrier du bâtiment reconverti en seigneur et profiteur de guerre.

    L’offensive d’Al-Nosra pose un dilemme à Hazm qui connaît la popularité du groupe sur le terrain, non seulement parmi les civils mais aussi dans les rangs des rebelles modérés. « Nous avons sondé nos contacts au Conseil de sécurité national, à Washington, se remémore un consultant syrien, embauché par Hazm. Nous leur avons parlé de combattre le Front Al-Nosra, avant qu’il ne devienne trop fort. Ils ont refusé, en expliquant que ce n’était pas leur priorité. »

    L’urgence, pour la Maison Blanche, est à Kobané. A la mi-septembre 2014, l’EI rentre dans cette bourgade kurde, adossée à la frontière turque. L’aviation américaine, déjà à l’œuvre en Irak, bombarde aussitôt ses colonnes de pick-up. Pendant tout l’automne, l’US Air Force offre aux combattants du YPG, le bras armé du mouvement autonomiste kurde, un soutien aérien massif, qui débouchera sur le retrait des djihadistes, fin janvier 2015. Les membres d’Hazm, qui comme la plupart des révolutionnaires syriens se méfient du YPG, coupables à leurs yeux de collusion avec le régime syrien, observent la bataille avec des sentiments mêlés.

    Car parallèlement, la planification de leur propre offensive contre l’EI s’est enlisée. Beaucoup de réunions dans les palaces turcs et toujours pas de feu vert. « Les Américains rechignaient à nous fournir des images satellites, déplore « M ». Ils disaient aussi que leurs avions ne pourraient pas nous aider une fois les combats avec l’EI commencés. Tout ce qu’ils nous proposaient, c’était de nous débarrasser d’un ou deux obstacles, avant le début de l’offensive. »

    Le Front Al-Nosra ne leur en donnera pas l’occasion. En novembre, il s’empare des QG du FRS et de Hazm dans la province d’Idlib. En quelques semaines, ses combattants balaient leurs rivaux, en qui ils voient une copie conforme des « Sahwa », ces milices sunnites que Washington avait mobilisées en Irak, de 2007 à 2010, pour défaire Al-Qaida. En réaction, Washington suspend son aide militaire et financière aux deux groupes rebelles syriens. Une réunion des chefs de l’ASL est organisée en urgence à Reyhanli, du côté turc de la frontière.
    Dans une atmosphère électrique et enfumée, le chef de Hazm, Hamza Al-Shamali, plaide pour une riposte musclée à Nosra et surtout un engagement à s’entraider, en cas de nouvelle attaque. « Tous les chefs de l’ASL ont dit d’accord en bombant le torse, se rappelle un conseiller de l’opposition syrienne, présent ce jour-là. Mais au bout de quelques minutes, j’en ai vu qui se mettaient déjà à douter. Quand, au mois de janvier, Nosra a attaqué le dernier QG de Hazm à l’ouest d’Alep, personne n’a bougé. La vérité, c’est que Nosra faisait peur à tout le monde. Et que les Américains n’ont pas encouragé leurs autres clients à réagir. »

    Lâchage ? Manipulation ? L’ex-ambassadeur américain Robert Ford, qui n’était plus alors en poste, répond sur un ton clinique. « Les membres de Nosra qui ont défait Hazm ne préparaient pas d’attaque contre des cibles américaines. Ils n’étaient pas une priorité. Et par ailleurs, les Etats-Unis ont toujours été nerveux sur la fiabilité des groupes armés du nord de la Syrie », dit-il en visant implicitement la formation de Jamal Maarouf, accusé de multiples exactions.

    Le fiasco du programme « Train and Equip »

    En Turquie, « M. » fulmine. A la suite d’une ultime rencontre, il coupe les ponts avec ses officiers traitants. « Si nous avions pu aller au bout de notre plan, nous serions considérés aujourd’hui comme les partenaires obligés dans la lutte contre le terrorisme, dit-il. Mais visiblement, quelqu’un ne voulait pas que nous accédions à cette position. »

    « Je ne crois pas aux théories du complot, corrige le consultant d’Hazm, associé de près à la filière CIA. Obama n’est pas interventionniste, c’est comme ça. Il estime que c’est aux Etats du Moyen- Orient de gérer leur chaos. Son seul souci, c’est de parler avec tout le monde. Quant à l’opposition, elle ne peut pas se plaindre. Elle a reçu plein d’armes. Mais elle a fait trop d’erreurs. »

    Sur le terrain, l’épisode de l’automne 2014 a des conséquences dramatiques. De peur de subir le même sort que Hazm et le FRS, les autres leaders de l’ASL se placent plus ou moins sous la tutelle du Front Al-Nosra. Plus possible pour les modérés de prendre des initiatives sans son aval. « Nosra s’est mis à prélever une partie de l’aide humanitaire et militaire qui arrive à l’ASL, accuse Jamal Maarouf, rencontré dans une banlieue du sud de la Turquie, où il vit aux crochets du gouvernement Erdogan. Mais il leur laisse les missiles TOW dont il a besoin pour détruire les tanks du régime. Il sait que s’il s’en empare, les Américains cesseront de les livrer. »

    A l’été 2015, le fiasco du programme « Train and Equip » (« Entraînement et équipement ») qui devait permettre de former des rebelles anti-EI, pousse les conséquences des errements américains dans ce conflit à leur paroxysme. A peine entrés en Syrie, les quelques dizaines d’hommes armés sélectionnés à la va-vite par le Pentagone, sont dépouillés de leurs armes par les combattants du Front Al-Nosra. Parce qu’il interdisait à ses recrues de combattre le régime, le Pentagone n’avait pas jugé bon d’offrir à ses « protégés » une couverture aérienne.

    Depuis la Turquie, « M. » ressasse son amertume. Il voit les Kurdes du YPG, avec lesquels les Etats-Unis collaborent de plus en plus, s’arroger le rôle dont il rêvait. Son ultime travail pour les Américains a consisté à monter un gros rapport sur Rakka, le sanctuaire de l’EI en Syrie. Un document qui comporte l’organigramme local de l’organisation djihadiste, de l’émir jusqu’aux responsables des check points, ainsi que des pages entières de coordonnées GPS. « C’était il y a un an et demi et Rakka est toujours la capitale de Daech », vitupère « M. ».

    Palmyre abandonnée

    Un autre Syrien partage sa colère. Un ancien officier des services de renseignements du régime Assad en rupture de ban, reconverti dans le business au Royaume-Uni, qui sert d’intermédiaire discret à l’ASL. Le Monde l’a rencontré en novembre, dans un hôtel de Gaziantep, pour parler à sa demande de Palmyre. Quelques mois plus tôt, en juin 2015, la célèbre cité antique avait été saisie par les troupes de l’EI, en un raid éclair qui avait stupéfait le monde entier. Une attaque dont les Américains avaient pourtant été prévenus, affirme-t-il.

    « J’étais à Iskanderun [un port turc, non loin de la Syrie]. Des gars à moi à Soukhné [une ville à une centaine de kilomètres à l’est de Palmyre] m’ont appelé pour me dire que des jeeps de l’EI fonçaient vers Palmyre. J’ai alerté la CIA et le Pentagone. La seule réponse que j’ai eue, c’est qu’ils avaient vu eux aussi le départ des convois, mais que leur pilote avait repéré des enfants dans une camionnette. Et les autres véhicules alors ? »

    Cette source n’a pas produit de documents étayant ses propos. Mais ils sonnent juste. « Dans l’opposition, tout le monde savait au moins dix jours à l’avance, que l’EI allait attaquer Palmyre, assure l’ex-consultant d’Hazm. C’est du terrain, plat, désertique, facile à bombarder. Pourquoi les Américains n’ont-ils rien fait ? Cela reste un mystère ». L’analyste Charles Lister n’a pas de réponse non plus. « L’opposition doute depuis longtemps des objectifs des Etats-Unis en Syrie, dit-il. Et il semble que la méfiance existe de l’autre côté aussi. Pourtant l’EI ne pourra jamais être vaincu sans l’aide des Syriens du terrain, autrement dit, l’opposition, majoritairement sunnite et arabe. »

    Dimanche 13 mars, une autre brigade de l’ASL, la Division 13, a été défaite par le Front Al-Nosra dans la ville de Maarat Al-Numan et les villages environnants. Après le FRS et Hazm, c’est un nouveau groupe modéré qui s’incline face aux djihadistes. La série noire continue. Il est minuit moins le quart en Syrie.

  • A #Gaziantep (2). Les opposants syriens ne « voient qu’un tunnel noir »
    https://www.mediapart.fr/journal/international/190216/gaziantep-2-les-opposants-syriens-ne-voient-quun-tunnel-noir

    Gaziantep, grande ville du sud-est de la #turquie proche de la frontière syrienne, est l’antichambre de la guerre. Beaucoup de responsables de l’opposition à #Bachar_al-Assad y vivent et se désespèrent des échecs répétés de l’Occident. « Le plus urgent est de stopper les crimes. Chassons Bachar al-Assad et Daech se dégonflera », disent-ils. Deuxième volet de notre reportage.

    #International #Proche-Orient #Syrie

  • A Gaziantep, dans l’antichambre de la guerre syrienne
    https://www.mediapart.fr/journal/international/170216/gaziantep-dans-lantichambre-de-la-guerre-syrienne

    Les ruines de l’hôpital de #MSF bombardé lundi. © (MSF) Gaziantep, grande ville du sud-est de la #turquie à trente minutes de la frontière syrienne, face à #Alep, est désormais la capitale des ONG qui essayent de travailler en #Syrie. Alors qu’un hôpital de MSF a été bombardé lundi, le travail de terrain des humanitaires souligne les immenses lacunes de la communauté internationale. Premier volet de notre reportage.

    #International #action_humanitaire #Gazantiep #Moyen-Orient

  • Gaziantep est devenue le QG des humanitaires aux portes de la guerre syrienne
    https://www.mediapart.fr/journal/international/170216/gaziantep-est-devenue-le-qg-des-humanitaires-aux-portes-de-la-guerre-syrie

    Les ruines de l’hôpital de #MSF bombardé lundi. © (MSF) Gaziantep, grande ville du sud-est de la #turquie à trente minutes de la frontière syrienne, face à #Alep, est désormais la capitale des ONG qui essayent de travailler en #Syrie. Alors qu’un hôpital de MSF a été bombardé lundi, le travail de terrain des humanitaires souligne les immenses lacunes de la communauté internationale.

    #International #action_humanitaire #Gazantiep #Moyen-Orient

  • « Est-ce que tu serais prêt à tirer dans la foule ? »

    http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2016/01/06/est-ce-que-tu-serais-pre-t-a-tirer-dans-la-foule_4842273_4809495.html

    « Il m’a juste dit de choisir une cible facile, un concert par exemple, là où il y a du monde. Il m’a précisé que le mieux, après, c’était d’attendre les forces d’intervention sur place et de mourir en combattant avec des otages. » Dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ce jeudi 13 août 2015, un apprenti djihadiste passe aux aveux.

    Interpellé deux jours plus tôt à Paris, à son retour de Syrie, Reda H., un Parisien de 30 ans, raconte tout aux enquêteurs : les raisons de son départ, le passage de la frontière syrienne, ses entraînements militaires, les éclats de métal retrouvés dans son genou... Il explique surtout avoir été missionné à Rakka par un certain Abou Omar, la « kounia » (le surnom musulman) d’Abdelhamid Abaaoud, un des coordinateurs des attentats du 13 novembre 2015, pour commettre un massacre lors d’un « concert de rock ».

    Ses aveux prémonitoires, trois mois avant la prise d’otages sanglante du Bataclan, hantent encore les services de renseignement. « Tout ce que je peux vous dire, c’est que cela va arriver très bientôt, insiste le jeune homme en garde à vue. Là-bas, c’était une véritable usine, et ils cherchent vraiment à frapper en France ou en Europe. »

    La cible de ce projet d’attaque a-t-elle été suffisament prise au sérieux ? Aurait-il fallu renforcer la sécurité devant les salles de concert parisiennes ? « Le mode opératoire décrit par Reda H. dans ses auditions » est en tout cas « exactement celui qui a été utilisé par les auteurs des attentats du 13 novembre 2015 », constate un officier de la DGSI dans un procès-verbal versé au dossier ;

    Reda H. affirme qu’il n’a jamais eu l’intention de passer à l’acte. Devant les enquêteurs, il se présente comme un djihadiste repenti et malhabile, qui se serait blessé à l’entraînement en sautant sur sa propre grenade. La nature exacte de ses intentions est difficile à cerner. Le récit qu’il fait de son séjour en Syrie, extrêmement circonstancié, permet en revanche de mieux comprendre la façon dont l’organisation Etat Islamique (EI) recrute et forme certains sympathisants pour frapper l’Europe.

    Trentenaire parisien de confession musulmane, Reda H. ne correspond pas à l’idée qu’on se fait généralement d’un candidat au martyre. Il ne vient pas d’un de ces quartiers ghettoïsés où le sentiment de relégation fait le lit de cette identité refuge qu’est devenu l’islam radical. Il n’est pas davantage originaire de ces ensembles pavillonnaires où l’absence de perspective fait parfois basculer ceux qu’on appelle un peu vite les « convertis » dans la dernière idéologie alternative du XXIe siècle.

    Les motivations : « J’étais mitigé »

    Né dans le 17e arrondissement de Paris, Reda H. vivait jusqu’à son départ pour la Syrie dans un quartier plutôt cossu du 15e arrondissement et travaillait dans la maintenance informatique chez Astrium, une filiale spatiale du groupe Airbus. En avril 2014, il perd son travail. Révolté par le conflit syrien qui fait rage depuis 2011, il sombre dans l’oisiveté et se met en tête de rejoindre ses frères combattants :

    « J’estime légitime le combat contre le régime de Bachar Al-Assad qui massacre son propre peuple », se justifie-t-il en garde à vue. « J’ai été dans un premier temps séduit par l’efficacité de l’Etat islamique en Irak, puis en Syrie. Ce qu’ils arrivent à faire avec seulement 30 000 hommes, c’est incroyable. L’Armée syrienne libre [ASL, la seule force d’opposition non djihadiste], c’est un groupe de mercenaires voleurs et avides qui comptaient prendre le pouvoir pour des raisons financières », croit-il comprendre.

    Entre une ASL discréditée par la propagande de l’EI et un « califat » se réclamant de Dieu, le jeune homme n’hésite pas. Son indignation humanitaire est mêlée de considérations religieuses. Interrogé sur sa perception de la charia, la loi islamique, il admet qu’elle était « une des raisons » de son départ : « La loi de Dieu n’est appliquée nulle part sur terre. Seul l’Etat islamique prétend l’appliquer. » Le policier tente alors de cerner son degré de radicalisation :

    « Estimez-vous légitime de couper la main d’un voleur, sachant que vous avez été arrêté en 2007 pour une série de vols à la roulotte ?

    – Je suis d’accord avec le principe de couper la main d’un voleur, mais je pense que cela ne doit s’appliquer qu’à des récidivistes.

    – N’avez-vous pas été choqué par le nombre de décapitations imputables à l’EI sur les vidéos que vous avez vues [avant son départ] ?

    – J’ai vu des trucs qui m’ont retourné, comme des enfants qui tenaient des têtes coupées de soldats syriens. J’ai commencé à douter. Mais quelque chose en moi me disait que ce n’était que les médias qui le disaient. (...) Ce qui me faisait douter, c’était que ces vidéos sont diffusées par l’Etat islamique lui-même. J’étais mitigé. »

    Reda H. ne fait pas confiance aux médias qui « racontent des mensonges » : il élabore son projet de départ en s’informant exclusivement sur Internet. Entre deux vidéos de décapitation, il entre en relation, au printemps 2014, avec deux djihadistes sur les réseaux sociaux : le Français Quentin Lebrun, alias Abou Oussama Al-Faransi, et le Belge Tarik Jadaoun, alias Abou Hamza Al-Belgiki.

    Le premier avait appelé, dans une vidéo diffusée en novembre 2014, ses « frères » musulmans à rejoindre la Syrie ou, le cas échéant, à « tuer des mécréants » en France. Le second avait menacé la Belgique dans une autre vidéo, en janvier 2015, quelques jours après le démantèlement à Verviers d’une cellule terroriste belge pilotée par Abdelhamid Abaaoud, le futur recruteur de Reda H.

    Le voyage : « J’ai dit à ma mère que j’allais en Grèce en vacances »

    Début mai 2015, l’aventure interdite du Parisien se concrétise. Suivant les conseils de ses nouveaux amis, le futur djihadiste s’achète une paire de Timberland et des chaussures de trek en prévision du passage « difficile » de la frontière turco-syrienne. Il s’offre également des pantalons larges – « pour des raisons religieuses, on ne porte pas de pantalon serré en Syrie » – et une tablette pour « profiter du Wi-Fi ». Avec 1 300 euros en poche, il annonce à sa mère qu’il part en vacances en Grèce le 15 mai.

    A Alanya, sur la côte sud de la Turquie, il passe quelque temps à l’hôtel – « Je suis sorti, je suis allé à la plage, tout ça » – et contacte, par
    messagerie cryptée, un interlocuteur qui se trouve à Rakka. Le 3 juin, ce dernier lui demande de se rendre à Gaziantep, une ville proche de la frontière syrienne. Reda H. saute dans un bus et chemine le long de la côte durant 600 kilomètres. Une fois sur place, son interlocuteur lui ordonne de prendre un taxi jusqu’à un quartier pavillonnaire, où l’attend une camionnette. Le chauffeur est turc : « Il m’a juste dit “kounia ?” Il ne parlait ni français ni arabe. J’ai dit “Abou Omar AI-Faransi.” Il a passé un coup de téléphone et il m’a dit que c’était OK. »
    Après une demi-heure de route, la camionnette fait escale dans un quartier résidentiel entre Ourfa et Gaziantep, devant une « maison beige ». Le chauffeur monte ses valises. Reda H. se retrouve dans une pièce avec un Australien « pure souche » et sa femme, un Kurde, un Egyptien avec son épouse et son fils, deux Algériens, un Luxembourgeois accompagné de sa femme et de ses deux enfants âgés de 4 ans et 6 mois, un enfant de 10 ans, un Indien et sa femme, et un Qatari. Les femmes font chambre à part. « Tout le monde était joyeux, se souvient-il. Quelqu’un amenait des courses, et on se faisait à manger. »

    La frontière : « Les femmes en niqab, c’était pas très discret »

    Le grand moment approche. La petite colonie venue des quatre coins de la planète s’apprête à fouler la terre du « calife » Abou Bakr Al-Baghdadi, successeur autoproclamé du Prophète. Vers 3 heures du matin, le 4 juin, le départ est donné. Deux véhicules attendent les candidats à l’exil : une camionnette pour les hommes, une autre pour les femmes. Après avoir « roulé comme des balles », tous phares éteints, pendant plus d’une heure sur des chemins de terre, le convoi s’immobilise sur un terrain vague. La frontière est là, toute proche. Le soleil se lève à peine.

    « On était un bon groupe. Les femmes en niqab, c’était pas très discret, se souvient le jeune homme. On nous a dit de courir. Les femmes, elles étaient en galère. Un moment, il y avait un fossé violent à traverser. Heureusement, j’avais mes Timberland. La femme de l’Indien s’est cassée la jambe en le traversant. On a dû courir entre 500 mètres et un kilomètre à travers des champs et des trucs qui piquent. Il y avait comme un sentier. Au bout, on a vu un petit village avec des drapeaux de l’Etat islamique. On était contents et soulagés. »

    Arrivées en terre du Cham (le nom antique de la Syrie), les nouvelles recrues sont accueillies par deux Jeep : une pour les hommes, une pour les femmes, un leitmotiv de leur séjour syrien. A leur bord, des hommes en armes. Le convoi roule à travers champs, traverse plusieurs checkpoints et un village. « Je n’ai pas vu de femmes dans ce village. Si, une seule, devant sa maison, en niqab complet, on ne voyait que ses yeux. »

    Le groupe fait halte dans une première maison. Chacun se repose comme il peut sur des matelas. Les recrues sont ensuite invitées à se présenter avec leurs papiers d’identité et leur matériel informatique, à détailler le trajet qu’elles ont emprunté et à décliner la kounia de leur « garant ». Contraint de gérer l’incroyable succès de sa campagne de recrutement, l’EI est obsédé par les infiltrations d’espions.

    L’accueil : « Ils étaient contents que je vienne de Paris »

    Reda H. patiente dans une petite pièce avec une poignée d’hommes armés de kalachnikovs et de « fusils mitrailleurs sur trépied ». De nouveau, il est interrogé sur son parcours professionnel et ses motivations. « Ils étaient contents que je vienne de Paris, ils avaient l’air impressionnés. » Le jeune homme semble alors ignorer que ce détail fera bientôt de lui une recrue de choix pour commettre une attaque dans sa ville natale.

    Dans l’après-midi, une camionnette vient chercher les recrues. Le paysage défile, ponctué de drapeaux de l’EI, de paysans au travail et de moudjahidin en armes « postés un peu partout ». Nouvelle escale dans un grand bâtiment « qui ressemblait à une école », avec des tableaux noirs. Des responsables font de nouveau l’appel, « comme à l’école ». Le groupe monte dans un bus « climatisé » et fait route vers Rakka, le fief de l’Etat islamique. Reda H., enfant perdu de l’école laïque, s’installe devant, « de manière à ne pas voir les femmes ».

    Le long de la route, des drapeaux noirs, partout. Une terre de pirates. « On sentait qu’ils avaient réellement le contrôle du territoire, ce n’était pas une blague. » Après la traversée du pont de l’Euphrate, qui marque l’entrée de la ville, deux jeunes hommes en armes demandent aux passagers de baisser les stores : « Ils nous ont expliqué qu’il y avait des traîtres à Rakka qui placent des puces électroniques dans les immeubles pour diriger les missiles, et qu’il ne fallait pas regarder à l’extérieur. »

    Le règlement : « Pour chaque infraction, tu te manges une croix »

    Le bus s’arrête devant un bâtiment de six étages. Terminus. Les recrues rejoignent « une centaine de personnes » parquées dans une grande pièce, dont « beaucoup de Philippins », des Russes, des Bosniens, des Tchétchènes, des Chinois, un Américain, des Indiens ou encore des Marocains. Pour passer le temps, Reda H. converse avec un Algérien, qui lui explique que certains patientent ici depuis plusieurs semaines avec interdiction de sortir. « Là, j’ai commencé à regretter », se souvient le jeune homme. On lui conseille de fréquenter les Marocains ou les Algériens et d’éviter les Français, qui auraient « mauvaise réputation » : « Ils se comportent souvent comme à la cité », lui glisse-t-on.

    Reda H. a de la chance. Son attente sera brève. Le soir-même, « une armoire à glace avec une grosse barbe » vient faire l’appel. Le jeune homme change de nouveau de moyen de transport – un camion militaire cette fois – vers un dernier point de chute. Les candidats sont regroupés par nationalités et envoyés dans des chambres. « Il n’y avait aucun Français, j’étais donc avec les Marocains et les Algériens. »
    Le lendemain, pendant la prière de l’aube, un cadre de l’EI présente le programme aux nouvelles recrues. Ballotté de Jeep en camionnette, d’immeuble en immeuble, Reda H. ne comprend pas tout. Son nouveau copain algérien lui explique ce qui les attend : un mois de formation religieuse, plus un mois de formation militaire.

    « Moralement, j’étais pas bien à ce moment-là », admet le jeune homme. Le cadre de l’EI expose le règlement intérieur, digne d’un pensionnat religieux. Reda H., qui vient de fêter ses 30 ans, apprend qu’il n’aura plus le droit de quitter sa chambre passé 22 heures. « Ils ont un système de croix. Pour chaque infraction au règlement, tu te manges une croix, et au bout de trois croix, tu te manges une semaine de plus. »

    Le recrutement : « Il m’a regardé avec amour »

    Un « organisateur » de l’EI se présente bientôt dans le baraquement et demande qui est Abou Omar Al-Faransi. « Quand je lui ai dit que c’était moi, il m’a regardé avec amour. Il m’a dit qu’il reviendrait. » Peu après 22 heures, ce soir-là, un homme, « sûrement un Syrien », vient le chercher dans sa chambre, lui demande de préparer ses affaires et de le suivre : « Tout le monde me regardait avec des grands yeux. » Reda H. est l’élu. Mais de quelle élection ? « Dehors, un gars au visage dissimulé m’a dit de baisser les yeux et de ne rien regarder. J’ai prié comme si j’allais mourir. »

    Après un bout de route à l’arrière d’une camionnette militaire, Reda H. est transféré dans un SUV à vitres teintées. Le conducteur est francophone. « Monte devant », lui ordonne-t-il. Visage dissimulé sous un « foulard marron », son arme de poing rangée dans un holster d’épaule, l’homme lui dit simplement qu’il a la même kounia que lui : Abou Omar. Reda H. ignore alors qu’il s’agit d’Abdelhamid Abaaoud. Ce n’est qu’une fois dans les locaux de la DGSI qu’il reconnaîtra le coordonnateur des principaux projets d’attentat ayant visé la France depuis le début 2015.

    Apparemment séduit par le profil du Parisien, Abaaoud sonde sa recrue : « Il m’a demandé si ça m’intéressait de partir à l’étranger. Il m’a dit, par exemple : “Imagine un concert de rock dans un pays européen, si on te passe de quoi t’armer, est-ce que tu serais prêt à tirer dans la foule ?” Pour trouver des armes, il m’a dit qu’il n’y avait aucun souci. Je n’avais qu’à demander ce dont j’avais besoin, en France ou en Europe. Je lui ai dit que je voulais combattre les soldats de Bachar Al-Assad. »

    En bon commercial, Abaaoud déroule sa dialectique : « Il m’a dit que celui qui fonce seul face à l’ennemi sans se retourner, il a la récompense de deux martyrs. Il m’a dit que si sa tête ressemblait à la mienne, il aurait pris mon passeport et y serait allé lui-même. Il m’a dit qu’il allait me montrer des blessés de guerre pour me faire comprendre la chance que j’avais de retourner en France. Il m’a dit que, si je refusais, j’allais le regretter. Il a ajouté que, si beaucoup de civils étaient touchés, la politique étrangère de la France changerait. »
    Au terme de la laborieuse odyssée qui l’a mené jusqu’à la terre du « calife », Reda H. ne semble guère emballé à l’idée de rebrousser chemin pour mourir. C’est en tout cas ce qu’il affirme aux enquêteurs. « Là, j’ai compris que c’était la seule manière pour moi de garder mon passeport. Je lui ai demandé un délai pour réfléchir. Je savais que, vu la date d’expiration de mon passeport, j’allais rentrer bientôt en France. Donc j’ai dit OK, dans la seule optique de pouvoir sortir de ce bourbier. »

    Abaaoud le dépose dans un endroit où dormir. Reda H. passe la soirée en compagnie d’un Iranien blessé à la jambe, d’un Kazakh armé d’un M16 et d’un « couteau impressionnant » et de deux Afghans bardés de cicatrices. « Ils étaient sympathiques, mais on n’avait pas de langue commune. Et puis on sentait qu’ils ne rigolaient pas... »

    L’entraînement : « Il me stressait en criant »

    Le lendemain matin, le 6 juin, Abdelhamid Abaaoud passe le prendre en 4 × 4 pour lui expliquer sa future mission. Dans les environs de Rakka, il initie Reda H. au montage et au démontage d’une kalachnikov : « J’ai un peu galéré, je me suis fait mal au pouce, mais j’ai fini par y arriver. »

    Les deux hommes se rendent dans un parc brûlé par le soleil. Abaaoud confie au Parisien une kalachnikov et un gilet tactique muni de cinq chargeurs. « J’avais très chaud. Il y avait une maisonnette en murs blancs avec des cibles et des impacts de balles. Il m’a fait tirer au coup par coup et en rafale. Je me suis fait engueuler parce que, en rafale, je tirais en l’air. Il m’a fait faire plein d’exercices. Les herbes sèches ont même pris feu. » Après cette première journée d’entraînement, Reda H. regagne son dortoir. Là, un « Black » anglophone, informaticien, remet à chaque pensionnaire une clé USB contenant un logiciel de cryptage, TrueCrypt. Le kit de base des terroristes en mission.

    Le lendemain, Abaaoud revient chercher Reda H. en voiture. Il faut terminer la formation du nouveau soldat. Les deux hommes retournent au parc : « Il m’a donné un pistolet et une grenade assourdissante. Il m’a expliqué qu’elle était réglée sur trois secondes. Il a dessiné des silhouettes dans la maisonnette. Il m’a demandé de prendre l’arme, de jeter la grenade à l’intérieur, d’attendre l’explosion, puis d’entrer et de tirer sur les cibles. Il faisait très chaud, j’étais fatigué, j’en pouvais plus. J’y suis allé, il me stressait en criant. J’ai jeté la grenade dans la maisonnette, j’ai entendu une petite explosion, je suis rentré dans la maison, j’ai tiré dans trois cibles, puis la grenade a explosé. Je saignais du bras, de la jambe. »

    Retour en France : « Les mécréants sont des innocents »

    Après un bref passage dans un hôpital de Rakka, Reda H., qui n’est que légèrement blessé, rejoint l’appartement qu’on lui a assigné. Il y passe trois jours à « rien faire », c’est-à-dire à regarder des
    « vidéos sur les méthodes des troupes d’élite ». Abdelhamid Abaaoud revient le voir. « Il m’a dit qu’il fallait y aller, parce que mon passeport était bientôt périmé. » Il lui donne 2 000 euros en liquide, lui conseille de passer par Prague et griffonne un numéro de téléphone turc sur un papier « avec écrit papa dessus ». Abaaoud prend sa nouvelle recrue dans ses bras et lui dit « adieu ».

    A la tombée de la nuit, une camionnette passe le prendre. Le 12 juin, Reda H. est convoyé jusqu’à la frontière turque, en compagnie d’un Belge d’origine marocaine muni d’un faux passeport, lui aussi missionné pour commettre un attentat en Europe et qui sera interpellé à Varsovie trois jours plus tard. Au poste-frontière, les deux hommes mettent pied à terre : « On a couru jusqu’à un grillage barbelé avec une porte en fer. Un jeune Turc a tiré la porte et on était en Turquie. » Le jeune homme n’aura passé qu’une semaine en Syrie.

    Après quelques jours à Istanbul en compagnie de son compagnon belge, Reda H. prend un avion, le 15 juin, pour Prague. Deux jours plus tard, il s’envole pour Amsterdam, puis prend un train pour Bruxelles où il aurait, selon ses dires, jeté le numéro de téléphone d’Abaaoud ainsi que l’identifiant et le mot de passe fournis par l’informaticien « black ». Le lendemain, il prend un train Thalys qui arrive en gare du Nord.

    Interpellé le 11 août, après quelques semaines de surveillance, Reda H. se retranche derrière une version fantaisiste de son périple. Il affirme avoir fait un simple voyage d’agrément en Turquie et avoir été blessé à la jambe lors d’une manifestation réprimée à Istanbul. Les enquêteurs ne trouvant aucune trace de ce rassemblement, l’apprenti djihadiste passe aux aveux.

    Son récit, très détaillé, révèle aux enquêteurs un projet d’attentat qu’ils ne soupçonnaient pas. Le jeune homme affirme n’avoir jamais eu l’intention d’obéir aux ordres. Il achètera pourtant, sur le trajet du retour, une puce téléphonique en Turquie, deux autres à Prague, et effectuera une copie du logiciel de cryptage qui lui a été fourni, suivant ainsi scrupuleusement les consignes reçues en Syrie.
    Reda H. s’apprêtait-il à commettre un attentat en France ? « Je préfère mourir en allant au paradis que de tuer des innocents et aller en enfer, assure-t-il aux enquêteurs. Puis il ajoute : Je précise que les mécréants sont des innocents, ne serait-ce que parce qu’ils peuvent devenir croyants. » Une vision toute relative de l’innocence.

  • « Mon usine était le quartier général de l’État islamique à Alep » - Propos recueillis par Caroline HAYEK - L’Orient-Le Jour
    http://www.lorientlejour.com/article/957522/-mon-usine-etait-le-quartier-general-de-letat-islamique-a-alep-.html

    Vous avez accusé le gouvernement turc d’être derrière le pillage des usines d’Alep...
    Oui. Et j’ai des preuves sérieuses. J’ai déposé deux plaintes contre le gouvernement turc, aux tribunaux de Strasbourg et à La Haye. J’ai recueilli des preuves solides, des vidéos, des confessions et des témoins. Beaucoup d’industriels m’appelaient en panique me disant que les rebelles étaient dans leur usine et que des experts turcs étaient avec eux. Les hommes armés ne font pas la différence entre les différentes lignes de production d’une usine. Ils ne savent pas comment désassembler les machines sans les endommager. C’est pourquoi les experts turcs étaient présents, pour choisir leur butin et les envoyer à Gaziantep, à Adana... J’ai reçu plus de 5 000 plaintes d’industriels, victimes de vols. Le butin est parti en Turquie avec la complicité de la police turque. Impossible de faire passer du matériel d’usine facilement. Certaines machines font 20, 30 mètres de long. Ils ont utilisé des camions, sont passés aux postes-frontières, pas à travers des champs d’oliviers. C’est de la contrebande organisée. Ils ont vidé les zones industrielles d’Alep. C’est un champ de ruines.

    Choses connues de longue date mais utiles à répéter aujourd’hui que la diplomatie française commence à changer de route.

    #syrie #alep

    • Les commentaires de l’article sont intéressants à lire aussi ... ;-)

      pour relativiser les déclarations de ce chef d’entreprise, qui, et on peut très bien le comprendre, préfère la stabilité d’un régime très répressif.

  • Du coton de la guerre syrienne dans les vêtements vendus en France
    http://www.rfi.fr/emission/20150924-coton-guerre-syrie-daech-etat-islamique-ei-vetements-textile-trafic-tur

    Mais la plus grande partie des fils de coton syrien se perd clandestinement dans la filière turque, au profit de l’organisation État islamique, qui a mis la main sur plus de 80 % des champs de coton. On ne peut expliquer autrement que la Syrie ait officiellement exporté aussi peu de coton en 2015 (pour 40 000 dollars au premier trimestre, contre 24,6 millions de dollars attendus), ni que la Turquie ait pu réaliser une telle hausse des exportations textiles avec officiellement aussi peu d’importations de matière première.

    Le coton absent des statistiques est du coton syrien qui entre clandestinement en Turquie pour rejoindre le centre textile turc de Gaziantep, spécialisé dans la maille. Jusqu’à 20 %, des T-shirts fabriqués en Turquie pourraient contenir du coton syrien finançant l’EI, conclut l’étude.