« Un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme », disait Winston Churchill à propos de la Russie en octobre 1939. « Le déni enveloppé de ressentiment au sein d’une colère aveuglante », écrivait, le 18 février, le quotidien israélien Haaretz à propos de Donald Trump.
Le locataire égocentrique de la Maison Blanche commet en moyenne une bourde par jour depuis qu’il a pris ses fonctions, ce qui n’a rien de surprenant puisqu’il est un président stagiaire. Mais la plus énorme remonte au temps de sa campagne, à l’époque où il n’imaginait pas qu’il puisse remporter l’élection et devenir président – reste à savoir s’il le souhaitait, mais c’est une autre histoire.
Lorsque les services de renseignement américains sont arrivés à la conclusion que la Russie était derrière le piratage des courriels d’Hillary Clinton et leur divulgation par WikiLeaks, en vue de faire basculer le vote de 2016 en faveur de M. Trump, l’homme d’affaires milliardaire a perdu le peu de sang-froid qu’il possédait.
Dans ses diatribes et déclarations sur Twitter, il a calomnié la CIA en particulier et la communauté du renseignement en général, en les accusant de divulguer de « fausses informations ». « On vit dans l’Allemagne nazie ou quoi ? », a-t-il fulminé, comparant de manière insultante la Central Intelligence Agency (CIA) à la Gestapo d’Hitler.
Torrent d’insultes
Il a accusé les espions de politiser le renseignement, d’être totalement incompétents et même de mentir. Il a affirmé que les rapports sur l’ingérence de la Russie dans l’élection américaine étaient « ridicules ».
Confrontés au torrent d’insultes de Trump, sans parler de son désintérêt pour les briefings des services de renseignement, les espions ont riposté. « C’est triste, s’est désolé un responsable du renseignement, que des politiques accordent davantage de crédit à Vladimir Poutine et à Julian Assange [le fondateur de WikiLeaks] qu’aux Américains qui risquent leur vie au quotidien pour fournir des analyses objectives et impartiales. »
La visite du président au siège de la CIA à Langley (Virginie), le lendemain de son entrée en fonction, n’a fait qu’aggraver les choses. Devant le mur mémorial où sont gravées 117 étoiles, représentant chacune des agents tués dans l’exercice de leurs fonctions, il a parlé de… lui ; il a accusé les « médias malhonnêtes » de sous-estimer le nombre de personnes venues assister à son investiture comme 45e président des Etats-Unis.
Ce sont des moments comme ceux-là qui donnent la mesure d’une présidence. La communauté du renseignement que M. Trump tourne en ridicule consiste en dix-sept organismes ou entités – la CIA et la National Security Agency (NSA) étant les plus célèbres – qui emploient 850 000 personnes ! Oui, 850 000 ! Ils sont plus ou moins au courant de tous les cadavres dans le placard.
Le précédent Kennedy
Retournons un instant à l’époque de la présidence de John F. Kennedy. Lui et son frère Robert, qui, en tant que ministre de la justice, chapeautait le Federal Bueau of Investigation (FBI), détestaient son très despotique directeur J. Edgar Hoover, et souhaitaient le congédier.
Hoover, dit-on, débarqua un jour dans le bureau de Robert avec un dossier sous le bras qu’il montra au frère du président. Ce dernier jeta un œil à son contenu puis rendit le dossier à son visiteur sans dire un mot : lui et son frère renoncèrent à virer Hoover.
Le patron du FBI savait avec qui le président couchait quand Jackie Kennedy était en déplacement. Il y avait les deux jeunes employées de la Maison Blanche qui se baignaient nues avec lui dans la piscine de la Maison Blanche. Il y avait cette femme venue d’un pays d’Europe de l’Est qui était peut-être une espionne – elle fut conduite sous escorte à l’aéroport et expulsée dans la plus grande discrétion. Parmi les nombreuses maîtresses de « JFK » figurait aussi Judith Exner, qui partageait aussi la couche du boss de la Mafia de Chicago, Salvatore « Mooney Sam » Giancana. Bref, Hoover connaissait tous les secrets du président.
La charge brutale de M. Trump contre la communauté du renseignement – alimentée par une colère aveuglante – s’est retournée contre lui. Il continuera à en payer le prix tant qu’il sera à la Maison Blanche, avec la distillation lente et douloureuse de détails embarrassants, voire contraires à la loi, sur son mode opératoire. Il n’est pas exclu non plus que les espions fournissent le détail croustillant qui l’éjectera du bureau Ovale.
Un nouveau Watergate
L’autre tourment de M. Trump, ce sont les grands médias. Il n’a cessé d’attaquer la presse (« elle est l’ennemie du peuple américain ») au point que son entourage et lui parlent ouvertement, et au mépris du premier amendement de la Constitution (qui protège la liberté de la presse), d’une guerre entre la Maison Blanche et les médias.
Mais les journalistes politiques basés à Washington, qui ont noué au fil des ans des contacts au sein de la communauté du renseignement, flairent un nouveau Watergate. Ils auront leur carrière assurée dans les mois et les années qui viennent s’ils parviennent à porter un coup à l’ego surdimensionné de M. Trump ou, mieux encore, à obliger les élus républicains réticents de la Chambre des représentants à faire passer le pays avant leur parti et à le destituer.
Ne nous y trompons pas : Donald Trump est en grande difficulté. On sait qu’il vend des biens immobiliers à des riches russes depuis des années. On sait qu’il tente, en vain jusqu’à présent, d’installer la marque Trump à Moscou. Il a visiblement plus de succès en Chine : maintenant qu’il est revenu au principe de la « Chine unique », Pékin a accordé à son entreprise la possibilité d’utiliser la marque Trump dans le pays.
En refusant de rendre publique sa déclaration d’impôts – contrairement à tous les candidats à la présidentielle depuis quarante ans –, Donald Trump alimente le soupçon que son empire commercial est financé par des banques russes.
Cadavres dans le placard
Son peu d’empressement à critiquer les violations des droits de l’homme du Kremlin, son refus d’admettre que la Russie est intervenue pour l’aider à remporter l’élection, le nombre de personnes de son entourage entretenant des liens douteux avec Moscou – Paul Manafort, Carter Page, Roger Stone et le conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn, ce dernier contraint à la démission le 13 février –, tout cela suscite de la désapprobation.
Et voilà à présent que la communauté du renseignement – les 850 000 personnes à Washington qui sont au courant des cadavres dans le placard – confirme (malgré les démentis de Trump) l’existence de contacts répétés entre des responsables du renseignement russe et des membres de l’équipe de M. Trump au cours de la campagne présidentielle. A suivre…
Trump et ses sbires au Congrès et au ministère de la justice sont dans le déni : ils tentent de détourner l’attention du contenu des fuites pour la focaliser sur les fuites elles-mêmes. Le président a juré de mettre au jour l’identité des auteurs des fuites et de les sanctionner. Bonne chance ! Quand bien même il parviendrait à colmater cette fuite, cela provoquera à coup sûr une autre fuite ailleurs.
Deviendra-t-il un jour adulte ?
Donald Trump n’est pas un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme. Il est tout juste le déni enveloppé de ressentiment au sein d’une colère aveuglante. Pour lui, le vrai problème n’est pas que ces choses arrivent alors qu’il est aux commandes, le problème c’est que, à cause des « fuites » de la communauté du renseignement qui a connaissance des cadavres dans le placard, ces choses soient rendues public.
Ce qui l’irrite, ce n’est pas le crime mais le châtiment. On connaît bien ça quand on est parent : l’enfant, pris sur le fait, n’est pas désolé de sa faute, il est désolé de s’être fait prendre.
Donald Trump deviendra-t-il un jour adulte ? Les Etats-Unis résisteront-ils à ses accès de colère en 140 caractères ? Etant donné que nombre des 850 000 membres de la communauté du renseignement ont accès à des informations potentiellement compromettantes, aura-t-il le temps de devenir adulte pendant qu’il est le locataire égocentrique de la Maison Blanche ?
Même s’il n’arrive pas au terme de son premier mandat, la démocratie américaine en sortira-t-elle indemne ou sera-t-elle définitivement déformée par la candidature puis la présidence d’un président enfant ?
Robert Littell