Il y a un an prenaient fin les opérations d’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (#NDDL), débutées quatre mois plus tôt. Un document de la gendarmerie, que Le Télégramme a pu consulter, revient sur la stratégie mise en place et dresse le bilan de cette opération hors normes, qui a mobilisé jusqu’à 2 500 gendarmes.
Un an de préparation. L’intervention (commencée en février 2018 par la réouverture à la circulation de la « route des Chicanes », puis par l’évacuation des occupants illégaux en avril 2018) a été préparée un an à l’avance. La mission a été confiée, en concertation avec la préfecture de Loire-Atlantique, au Centre de planification et de gestion de crise (CPGC) de la gendarmerie. Cette unité, projetable rapidement et en tout lieu, est activée pour gérer les crises majeures sur le territoire national et en opérations extérieures, et préparer les grands événements (G7, Coupe du monde de football, etc.).
La gendarmerie et seulement la gendarmerie. Pas question de répéter l’échec cuisant de 2012. L’opération César avait permis de déloger temporairement les zadistes, mais pas de détruire les squats. En 2017, la gendarmerie propose de gérer et mener seule la nouvelle opération (problèmes de coordination avec la police en 2012 et à Calais ensuite). Le statut militaire des gendarmes (grande amplitude horaire de travail possible ; formation commune à tous les gendarmes, etc.) plaide en leur faveur. Le gouvernement accepte.
Le test de la « route des Chicanes ». Cette première mission assignée aux gendarmes était surtout un « test » voulu par les politiques pour s’assurer de la volonté de coopération des zadistes (quitter les lieux occupés illégalement ou déclarer individuellement un projet d’installation légale). Test qui s’est conclu par un échec pour une partie des occupants et a conduit au lancement de l’opération d’évacuation d’avril.
De 200 à plus de 500 éléments violents. Les gendarmes effectuent un gros travail de renseignement préalable, sur la configuration géographique et sur le profil de leurs futurs adversaires. Ils sont en moyenne près de 400 zadistes présents sur site, dont la moitié sont jugés violents. Ils sont présents dans trois zones : à l’ouest, des agriculteurs (hostiles mais non violents) ; à l’est, des éleveurs jugés non dangereux et, au centre, les « irréductibles ». Plus de 300 Black Blocs (parfois plus du double) se greffent occasionnellement aux zadistes. Mais, cette fois-ci, et contrairement à 2012, aucun renfort d’élus et d’agriculteurs n’est pressenti (possibilité d’afflux de sympathisants écologistes). En tout, 97 squats (de la simple tente jusqu’à la maison en bois) sont identifiés. L’objectif donné aux gendarmes : évacuer et détruire 39 d’entre eux.
40 escadrons envisagés, 24 finalement déployés. Près de 2 000 gendarmes et policiers avaient été déployés en 2012. Cette fois-ci, le recours à plus de 3 000 gendarmes est envisagé, dont 40 escadrons de gendarmerie mobile (sur 109), soit l’équivalent de l’ensemble des escadrons mobilisés chaque jour sur tout le territoire national ! Hélicoptères, drones, blindés (une trentaine, dont la moitié en réserve, stationnée à Angers), unités spécialisées (dégagement d’obstacles, antenne du GIGN de Nantes, observation et imagerie légale…), officiers de police judiciaire sont également mobilisés. Au final, « seuls » 24 des 40 escadrons interviendront (1 800 gendarmes mobiles). Chaque unité déployée sur le terrain passe préalablement par un sas, pendant 24 heures, pour recevoir un ultime « pack formation » (cadre légal, manœuvres prévues, rappel des règles, emploi des grenades, tronçonneuses et disqueuses, etc.).
Un QG à la Beaujoire : 50 000 € par jour. Où héberger le QG et faire converger chaque jour les forces et leurs véhicules ? Les organisateurs prospectent et repèrent des infrastructures du stade de la Beaujoire. La facture présentée - près de 50 000 € par jour - sera dissuasive. Le site de l’ancienne École du gaz, située à Saint-Étienne de Montluc (formation agents ERDF), à une dizaine de kilomètres de la ZAD, sera finalement retenu.
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Pas d’unités sur zone la nuit. Malgré une présence massive, les gendarmes veulent économiser leurs moyens. Contrairement à l’opération César, décision est prise de ne mobiliser aucune unité sur la ZAD la nuit : trop dangereux pour les gendarmes et les zadistes, et trop gourmand en effectifs (trois unités mobilisées la nuit égalent six unités perdues le jour suivant).
Trois phases chaque jour. Cette décision implique de rentrer (et sortir) chaque jour en force et en nombre, pour libérer les axes, protéger les huissiers qui désignent les objectifs et procèdent aux expulsions, et les concourants (conducteurs engins de chantier, déménageurs qui doivent emballer les meubles/objets récupérés dans les habitations, etc.). Trois phases se succèdent : une offensive massive tous les matins (par des itinéraires différents), à une heure où les adversaires sont peu mobilisés ; une occupation du terrain pendant une quinzaine d’heures, où les forces sont plus exposées car dispersées ; et un retrait très dangereux car progressif (sous le « feu » des adversaires qui préparaient ce moment toute la journée), via des itinéraires chaque jour différents (commandés par le sens du vent). Pendant les quatre premiers jours, les opérations débutent à 2 h du matin et se terminent après 22 h. Chaque jour, la plupart des gendarmes effectuent une dizaine de kilomètres à pied, avec tout leur équipement sur le dos.
La stratégie : casser le moral des zadistes. Plutôt que de grignoter sur les flancs de l’adversaire et l’affaiblir petit à petit, décision est prise de concentrer les moyens et de frapper dès le départ en force, et au cœur de la ZAD, là où se trouvent les « irréductibles ». « En cassant tous les matins les barricades qu’ils érigeaient la nuit, on cassait aussi leur moral », commente un officier supérieur.
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Un adversaire « grégaire », « peu offensif » et « peu organisé ». Profil des zadistes par les gendarmes : des adversaires « jeunes mais qui tardent à se mobiliser », « s’épuisent la nuit en discussions et en préparatifs défensifs », « peu présents avant 10 h-11 h le matin », « grégaires, regroupés, mais peu organisés », « peu offensifs malgré l’utilisation de moyens dangereux » et « sans véritable stratégie ». « Ils étaient équipés de moyens radios mais ne s’en servaient que pour dire « attention les keufs arrivent ». Cela n’allait pas au-delà », rapporte un officier.
Beaucoup de femmes. Elles sont nombreuses sur zone. Elles renseignent, gèrent les communications et, dans les périodes calmes, harcèlent verbalement les jeunes gendarmes. « Elles venaient au contact, récitaient d’incessants vers, les abreuvaient d’insultes. Les gars n’en pouvaient plus, témoigne un officier. On était obligés de les relever toutes les 20 minutes ».
Catapulte géante et atelier de fabrication d’engins explosifs. En plus des fusées de détresse, cocktails molotov et explosifs (essence + pétard ou aérosol + acide), les zadistes ont utilisé une grosse « catapulte projetant des blocs de 5 à 7 kg », qui a « considérablement gêné » les forces de l’ordre (plusieurs blessés). Une intervention de l’antenne nantaise du GIGN était programmée pour percer le dispositif adverse et mettre la main sur l’arme. Mais celle-ci a disparu et n’a plus été utilisée par la suite. Une intervention dans une ferme a permis de mettre la main sur 800 engins explosifs et incendiaires. Les zadistes disposaient d’artificiers qui ont récupéré des grenades GLI-F4 n’ayant pas explosé. Ils ne sont cependant pas parvenus à les réutiliser.
Guérilla Vietcong. Après les imposantes barricades, assez aisément balayées par les blindés, les zadistes ont mis en place d’autres moyens d’obstruction. Notamment des « touches de piano » (une succession de tranchées interdisant tout passage de véhicules, hormis des piétons ou des vélos grâce à des planches) : une technique empruntée à la guérilla Vietcong lors de la guerre d’Indochine. « En une nuit, ils ont creusé une tranchée de 300 m de large. Nous étions très heureux. Ils se sont épuisés toute la nuit et on a simplement contourné l’obstacle au petit matin », confie, sourire en coin, un officier.
Blindé en feu. Un VBRG (véhicule blindé à roues de la gendarmerie) ciblé par des zadistes a commencé à prendre feu (pneus), provoquant un instant de panique au sein de l’équipage. Une manœuvre a permis de sauvegarder l’engin et ses hommes. Les flammes n’ont pas atteint l’intérieur mais la température est montée à 70 degrés à bord (apparition de cloques), où se trouvaient des munitions et des grenades GLI F4.
Drone capturé. À deux reprises, les unités engagées ont été survolées par un drone. Un a pu être capturé (ainsi que sa précieuse vidéo), grâce à l’utilisation d’un « bâton anti-drone » (BAD). Cet appareil immobilise en vol le drone visé, jusqu’à épuisement de sa batterie. Les gendarmes disposaient également d’équipements permettant de repérer des émetteurs radio et de brouiller les ondes (radio et talkies-walkies). « On a préféré ne pas les utiliser. Il était préférable pour nous d’écouter », rapporte un officier.
Pas d’armes à feu. Aucune arme à feu n’a été trouvée lors des opérations. « Certes, des zadistes étaient dangereux et voulaient nous blesser, mais il n’y avait pas de volonté réelle de tuer, insiste un officier supérieur. Il a fallu expliquer cela à nos gendarmes. C’était très important car cela conditionnait nos réactions sur le terrain ». L’antenne du GIGN prévue en cas de tir par arme à feu n’a jamais été engagée.
Guerre des images. Les zadistes ont filmé chaque face-à-face avec les forces de l’ordre. Et vice-versa. Tous les gendarmes qui le souhaitaient pouvaient utiliser des dispositifs d’enregistrement vidéo. Ces dispositifs ont donné lieu à des « scènes ubuesques », en période calme, où chaque camp filmait l’autre, avec des dizaines de caméras en œuvre. « Cela apaisait la situation », rapporte un officier. Inconvénient : des flots d’images à traiter insurmontables…
Blindés déterminants. Ils n’avaient pas été employés « depuis très longtemps » en métropole. Sans eux, il aurait été « impossible ou beaucoup plus compliqué » de briser les défenses adverses. Depuis, les blindés de la gendarmerie sont mis en œuvre lors des grosses opérations de maintien de l’ordre (depuis le 8 décembre pour les grandes manifs des Gilets jaunes). « On s’est aperçu au cours de ces manifestations qu’aucun élément ne venait au contact d’un dispositif intégrant ces engins », observe un autre officier supérieur. Dissuasif (chaque jet de son diffuseur équivaut à 200 grenades lacrymogènes permettant de « traiter » l’équivalent d’un terrain grand comme le Stade de France), le blindé fait également office de « tour d’observation ». À NDDL, l’utilisation de chiens, dissuasive elle aussi, a permis d’interpeller deux zadistes, « sans aucune blessure ». Les recours au Bâton anti-drone, à des unités de la Sécurité civile (franchissement, déblaiement), à des hélicoptères et des drones étaient aussi « une première ».
Plus de 700 000 € de munitions. Les forces de gendarmerie ont rempli l’objectif qui leur était fixé : détruire les 39 squats (sur 97) désignés. Plus de 200 barricades ont été réduites et plus de 30 tranchées comblées. Entre janvier et fin mai 2018, 16 000 grenades ont été utilisées, dont 4 000 GLI-F4/GM2L (lacrymogène et assourdissante), et 400 tirs de LBD ont été effectués (lanceurs de balles de défense en caoutchouc). Les seules munitions représentent, selon nos calculs, une enveloppe de plus de 700 000 €.
L’équivalent… de la seule manif du 1er décembre (gilets jaunes). « On pensait que cet usage de munitions avait été énorme », rapporte un officier supérieur. Mais ça, c’était avant le mouvement des gilets jaunes. Ce chiffre de 16 000 grenades en quelques mois (près d’un millier par jour au début de l’évacuation d’avril) correspond à ce qui a été tiré… en une seule journée, lors de la manifestation des gilets jaunes du 1er décembre 2018 (14 500 grenades, 1 300 tirs de LBD) ! À titre de comparaison, la journée du 4 février 1994 - date gravée dans les annales du maintien de l’ordre en France (manifestation des marins-pêcheurs à Rennes ; Parlement incendié ; 77 blessés)-, avait généré le tir de 3 200 grenades.
430 blessés. Du côté des forces de l’ordre, 130 gendarmes ont été blessés (dont 4 graves), contre 300 pour les adversaires (traumas sonores, polycriblage et une main arrachée), selon les décomptes de la gendarmerie.
Création d’un exercice « NDDL ». Un mois après la fin de l’opération, ce retour d’expérience donnait lieu à la création d’un « exercice NDDL » qui est depuis systématiquement proposé aux forces mobiles et gendarmes qui viennent se former et/ou se recycler (tous les 30 mois pour les mobiles) dans leur centre national d’entraînement (CNEFG).