▻http://www.liberation.fr/planete/2015/12/27/l-elimination-de-zahran-alloush-le-combattant-islamiste-que-tous-adoraien
Comme annoncé par Nidal (▻http://seenthis.net/messages/443513), Hala Kodamni, fidèle messagère d’une certaine diplomatie, se fait l’avocate d’une "explication" que l’on risque de lire encore pas mal dans les médias ces jours-ci. Les Saoudiens (les Turcs et les Qataris) ne craignent rien autant qu’un possible accord russo-américain, dont on a vu les prémices se mettre en place ces dernières semaines. L’enjeu consiste pour les deux grandes puissances à mettre un terme à 5 ans d’une guerre qui n’aura pas de gagnant ou de perdant (sauf pour le peuple syrien), sachant que, plus le temps passe et plus le soutien militaire russe risque de faire peser la balance du côté du régime El-Assad. Il est vrai qu’au départ, les esprits forts qui ont imaginé ce renversement du régime en place, tablaient sur un conflit qui ne devait durer que quelques mois, un ou deux ans grand maximum. Les réfugiés étaient mis en réserve dans les pays limitrophes (Jordanie, Turuqie, Liban) en attendant une solution qui n’est pas venue (et qui précipite désormais la venue en Europe de nombre d’entre eux, ce qui n’avait sans doute pas été imaginé au départ).
En France, deux camps s’affrontent, ce qu’on pourrait appeler la ligne Fabius, jusqu’au boutiste, et les tenants d’un pragmatisme plus ouvert à la négociation, surtout depuis les attentats du 13 novembre (mais bien avant pour les milieux sécuritaires et quelques diplomates).
Pour la ligne dure, le discours consiste à dire à présent que la mort d’Alloush, qu’on présente comme un extrémiste modéré en somme, met un terme à la négociation tout juste amorcée (réunion à Riyadh pour un front commun de l’opposition, tandis que la Jordanie propose un décompte des rebelles acceptables, en parallèle à des réunions diplomatiques sur la base d’une période de transition en Syrie). La ficelle est un peu grosse mais, visiblement, on s’emploie quand même à essayer de faire passer ce récit. Il faut dire que certains ont beaucoup investi (dans tous les sens du terme) dans la révolution et qu’il est difficile de faire marche arrière...
On retrouve dans l’article de Kodamni l’histoire, aussi souvent reprise que celle des ongles arrachés aux enfants de Deraa et tout aussi fondatrice dans la rhétorique des rebelles/révolutionnaires, des quelques militants islamistes qui ont été relâchés par les autorités syriennes au début du conflit pour provoquer inexorablement une guerre civile. D’ordinaire, le récit est utilisé pour "expliquer" Daesh, mais là on nous rappelle (fort utilement d’ailleurs) qu’Alloush faisait partie de la bande. Si on suit la logique, la manipulation par le régime syrien de la violence sectaire touche donc toute l’opposition syrienne ou presque, non ? On évoque le fait qu’Alloush avait nettoyé sans pitié l’opposition dite démocratique (Razan Zeitouné et ses camarades), mais c’est pour nous dire que ces mêmes démocrates ne se réjouissent pas de cette mort (je voudrais bien avoir la totalité du témoignage de Haj Saleh et pas seulement la phrase retenue par la journaliste).
Passons sur la vision idyllique du "fief islamiste" (l’expression est de moi) tenu par ce chef de milice qui réussit à dire tout sans le dire. En d’autres termes, que c’était un chef de guerre, s’enrichissant dans le chaos de la guerre (« Du fait de la corruption et du ravitaillement par les tunnels contrôlés par le seigneur de guerre », disent les détracteurs d’Alloush.), vérité reconnue qui est immédiatement gommée par une légende, difficilement crédible, d’une gestion exemplaire, grâce à l’eau, l’agriculture et la créativité des citoyens !!!
Les priorités d’Alloush sont bien notées (débarrasser notre pays de toute forme de dictature et de terrorisme. Comme toutes les autres forces révolutionnaires, nous combattons tant les forces d’Assad que la mentalité takfiriste de l’Etat islamique »), en omettant soigneusement de signaler les côtés parfaitement terrifiants du personnage, éructant de haine notamment contre les Alaouites (tous les Alaouites)...
Au passage, on découvre, quelques années plus tard, que certains rebelles syriens reconnaissent désormais que l’Arabie saoudite offre un soutien généreux aux rebelles syriens. Secret de polichinelle bien entendu mais qui avait rarement été avoué d’une manière aussi crue par les acteurs eux-mêmes...
Enfin, il faudrait accepter de croire que la mort de ce chef de guerre est un accident malheureux. C’est affreux mais, dans cette guerre, il n’y a pas que les malheureux civils syriens qui meurent (ou qui sont exécutés). Un chef de milice, de fait, prend des risques qui peuvent conduire à son élimination physique !!! Qu’un chef de guerre se réunissant avec d’autres chefs de guerre soit "une cible de choix", perso, sans être grand stratège, cela me paraît assez inévitable !
Pourquoi "l’opposition syrienne démocrate", puisqu’elle se présente ainsi, regrette-t-elle tellement la disparition de cette figure absolument indéfendable (rappelons ses hauts faits contre les militants des droits de l’homme) ? N’est-ce pas avouer, en fin de compte, qu’elle n’existe qu’avec le soutien extérieur (saoudien en l’occurrence) et que ce qui est regretté c’est que la disparition de l’homme des Saoudiens - du mercenaire collabo des Saoudiens pourrait-on écrire si l’on adopte le point de vue d’une partie importante des Syriens fidèles à leur gouvernement - révèle plus encore l’absence de poids politique des démocrates syriens, faute d’un soutien extérieur accordé à des personnes qui partagent leur cible politique mais rien d’autre sinon ? (Sans parler de la disparition totale ou quasi des forces dites démocratiques sur le plan militaire.)
Est-il vraiment impossible à cette "opposition démocratique" de trouver un compromis diplomatique qui permette de sortir de l’impasse militaire et de préparer un autre avenir à ce pays ? (La réponse est "oui", hélas, c’est impossible car cette "révolution", quelle que soit sa légitimité dans l’absolu, n’en est pas une, faute de soutiens suffisants à l’intérieur du pays, faiblesse qu’elle a cru pouvoir pallier en acceptant n’importe quel "soutien" de l’étranger avec une irresponsabilité, ou un opportunisme, qui désespère...)
#syrie (hélas)