(...) RT France : Pensez-vous que la Turquie va réussir à rester crédible sur ce dossier ?
Bassam Tahhan : Je ne le pense pas, mais vous savez, ce n’est pas un problème pour les Occidentaux. Par ce qu’en géopolitique, la vérité – on en fait ce qu’on veut. C’est-à-dire que, s’il y a un consensus du coté occidental pour mener une guerre contre la Russie et essayer de contrecarrer ses succès, par exemple, en essayant de compliquer les relations entre l’Europe et la Russie pour former une coalition de lutte contre Daesh. C’était un des objectifs de cet incident d’avion abattu, sûrement.
Nous avons deux explications. Certains disent que l’incident a été commandité par les Américains, par l’OTAN, pour justement empêcher qu’il y ait une entente entre l’Europe représentée par Hollande, la France et la Russie. Une autre explication, c’est tout simplement un cri de désespoir de la part d’Erdogan, voyant qu’il n’avait pas réussi à renverser Assad, alors qu’il a touché tout l’argent qu’il fallait pour, du Qatar, de l’Arabie saoudite et d’autres. Il avait même reçu par la France des armes pour les donner à l’opposition. François Hollande l’a reconnu dans un ouvrage qui sera publié d’ici un mois et demi. Donc, pour moi c’est un cri de désespoir après ses échecs aux élections. Je pense notamment aux Kurdes qui n’ont pas été dupes de son jeu en formant leur propre parti politique et en étant présent avec 13% lors des premières et deuxièmes élections. Vous ajoutez à cela tout le problème du génocide arménien, où Erdogan a perdu plus que des plumes, parce qu’il a été décrié par le monde entier.
Donc, je serais pour cette explication-là, qu’Erdogan a voulu impliquer l’OTAN, les Américains, et c’est vrai, il a réussi relativement bien pour le moment. Est-ce que c’est de tout cœur que les États-Unis et l’OTAN vont engager une guerre contre la Russie ? Je ne le pense pas du tout, par ce que la Russie, déjà dans la région, avait tous les systèmes de missile S-300, S-400, qui sont installés en Syrie, qui vont être vendus à l’Iran. Il y a un front de résistance, qui se consolide et n’oubliez pas que la Chine pourrait rejoindre ouvertement Poutine vu que les Ouïghours sont entraînés en Turquie et sont envoyés à Pékin et à Shanghai et dans d’autres villes et provinces chinoises. Je crois que quand Erdogan dit que c’est Poutine qui joue avec le feu, je crois que c’est le contraire, c’est Erdogan qui joue avec le feu et il va se bruler gravement.
RT : Pensez-vous que les alliés vont soutenir la Turquie dans le cadre de l’alliance de l’OTAN ?
Bassam Tahhan : C’est un soutien formel, c’est vrai qu’ils vont envoyer des armes à la Turquie, mais je ne vois pas l’OTAN mener des opérations militaires contre la Russie. Pas du tout, pour moi c’est exclu.
Maintenant, à présent, il ne faut pas oublier que la Russie renouvèle son accord avec la Turquie concernant son intégrité territoriale. C’est un accord qui a été signé, qui a été revu et corrigé. Et là, la Russie peut agiter tout le dossier arménien (Arménie occidentale) et le Kurdistan turc (c’est-à-dire, tout l’Est du Lac de Van, c’est la région la plus riche en eau). Et après tout, cette Turquie qu’on a voulue laïque, ne l’est plus, parce que Poutine a bien précisé que la voie sur laquelle Erdogan engage son pays, cette voie islamique et fanatique, n’est pas la bonne. On peut se demander si cette Turquie ne sera pas meilleure avec un éclatement, comme on a fait éclater la Yougoslavie. Il y aurait un pays des Alevis, un pays des Kurdes, un pays pour les Arméniens. Et même entre sunnites turcs et turcophones, au niveau ethnique ou linguistique, il y déjà toute une opposition. Donc, il y a une masse indécise de musulmans sunnites turcophones qui se demandent si en réélisant Erdogan, ils ont fait le bon choix. (...)