• #Alma_Dufour, #Vincent_Jarousseau : le #RN, #Marine_Le_Pen et les #classes_populaires
    https://lvsl.fr/alma-dufour-vincent-jarousseau-le-rn-marine-le-pen-et-les-classes-populaires

    Percée de RN dans les classes populaires, sentiment d’abandon par les représentants politiques et besoin de protection étatique : l’analyse des affects politiques conduisant de nombreux Français à voter pour le #Rassemblement_national (et à s’en remettre à la figure de Marine Le Pen) paraît plus que jamais importante. Pour analyser cette dynamique électorale sans verser […]

    #Politique #Jean-Marie_Le_Pen #Stratégie_électoral

  • RN et ruralité : une relation pas si évidente
    https://metropolitiques.eu/RN-et-ruralite-une-relation-pas-si-evidente.html

    Travaillant sur les rapports ordinaires à la #politique, Maeva Durand et Raphaël Challier reviennent sur la présence du #Rassemblement_national en milieu rural et populaire. Bien que ce parti y obtienne de bons scores électoraux, en capitalisant sur le sentiment de délaissement par l’État, sa présence n’y apparaît ni naturelle, ni évidente. Entretien réalisé par Myrtille Picaud. Pouvez-vous vous présenter et décrire vos approches ? Raphaël Challier – J’ai d’abord réalisé une thèse sur les simples #Entretiens

    / #extrême_droite, Rassemblement national, ruralité, #classes_populaires, politique

    #ruralité
    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met-entretien-durand-challier.pdf

  • Vivons-nous encore dans une société de classes ?
    Trois remarques sur la société française contemporaine, Olivier SCHWARTZ, 2009
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20090922_schwartz.pdf

    Je ferai brièvement référence à une enquête que je mène depuis longtemps, pour m’arrêter sur l’un des constats auxquels elle m’a conduit. Je travaille depuis plusieurs années sur les conducteurs des bus de la RATP en région parisienne, ceux qu’on appelle les machinistes, c’est-à-dire des gens dont on peut dire qu’ils sont à la frontière des catégories populaires et des classes moyennes salariées. Dans la division sociale du travail au sein de leur entreprise, les conducteurs des bus de la RATP occupent une position subordonnée. Ils sont en bas de la hiérarchie : même s’ils disposent d’une large autonomie dans la conduite de leur travail, ce sont des exécutants, qui mettent en œuvre des consignes et des tâches qui leur sont données par leur hiérarchie. Avec comme conséquence que, comme beaucoup d’#ouvriers et d’employés, beaucoup d’entre eux adhèrent spontanément à une représentation binaire de la société, fondée sur une opposition entre le haut d’une part – les dirigeants, les puissants, ceux qui possèdent l’instruction, la puissance, l’argent – et d’autre part ceux qui sont en dessous, les simples exécutants, les ouvriers, les employés, ceux dont ils estiment de manière générale faire partie. De sorte que pendant assez longtemps, j’ai pensé retrouver chez eux tous un type de représentation sociale dont Richard Hoggar avait montré, dans des textes très connus, l’importance dans le monde des ouvriers et des #classes_populaires anglaises des années 1950 : une opposition entre « eux », ceux du haut, et « nous », ceux du bas, les exécutants.

    Mais je me suis finalement rendu compte que pour une partie d’entre eux, les choses étaient plus compliquées, même si c’est pour une partie d’entre eux seulement. Leur représentation, leur conscience du monde social était non pas bipolaire, mais triangulaire : ils avaient le sentiment d’être non pas seulement soumis à une pression venant du haut, mais aussi à une pression venant du bas, venant de plus bas qu’eux. Cette pression venant du bas, (c’est moi qui dis les choses ainsi bien sûr, mais les propos qui m’ont été tenus à plusieurs reprises par des conducteurs vont clairement dans ce sens), c’est par exemple l’idée qu’il y a trop de #chômeurs qui non seulement n’ont pas d’emploi mais qui n’en cherchent pas, qui vivent du RMI ou des aides sociales, qui se dispensent par conséquent de chercher du travail, et qui peuvent s’en dispenser parce que d’autres paient des impôts pour eux : d’autres qui, eux, travaillent, parmi lesquels, bien sûr, les conducteurs de bus. Ou encore, ce peut être l’idée que dans certaines familles immigrées, on vit sans travailler, grâce aux #allocations, c’est-à-dire grâce à des #aides_sociales qui, là encore, sont financées par ceux qui travaillent et grâce à leurs impôts. À plusieurs reprises, j’ai rencontré, chez mes enquêtés, ce sentiment d’être lésés à la fois par des décisions qui viennent du haut mais aussi par des comportements qui viennent de ceux du bas, d’être lésés à la fois par les plus puissants et par les plus pauvres.

    L’un d’entre eux me disait par exemple un jour : « C’est nous qui payons pour tout le monde », et il est clair qu’il avait alors en tête à la fois le haut et le bas.

    #Conscience_sociale_triangulaire

  • Donald #Trump et le désalignement électoral
    https://lvsl.fr/donald-trump-et-le-desalignement-electoral

    Le verdict des urnes signe la faillite de la stratégie « anti-Trump » des démocrates. Il met à mal le grand récit des succès économiques de l’administration Biden. Frappée de stupeur, la gauche est incapable de proposer une analyse rationnelle du phénomène Trump. Loin d’être un OVNI, celui-ci est pourtant l’émanation d’une frange du Parti républicain, relativement […]

    #International #Les_États-Unis,une_puissance_menacée ? #classes_populaires #classes_sociales #Kamala_Harris

  • Tous américains ! [LettrInfo 24-XXV] - Éditions Agone
    https://agone.org/tous-americains-lettrinfo-24-xxv

    Dans le dernier volet de son triptyque, Thomas Frank analyse l’histoire du populisme. Non pas l’insulte qu’on dégaine à tort et à travers pour éviter de comprendre mais un retour historique sur une tradition qui a longtemps nourri le refus du peuple de « rester à sa place », celle que lui attribue une élite qui ne conçoit la démocratie que comme l’expression de ses seuls intérêts.
    L’« autopsie du désastre » – comme les médias qualifient l’élection de Trump – s’accompagne de micro-trottoirs, autant de pleurs dans les chaumières et d’appels à une « douloureuse introspection des démocrates ». N’est-ce pas aussi à l’introspection de la gauche française que ce résultat appelle avec plus d’urgence ?

    #USA #États-Unis #élection #Donald_Trump #politique #droite #gauche #classes_populaires #Thomas_Frank

  • Les revers de la modernité au #Maroc
    https://metropolitiques.eu/Les-revers-de-la-modernite-au-Maroc.html

    À travers une enquête ethnographique au sein des quartiers marginalisés de la capitale économique marocaine, Cristiana Strava montre les évolutions des politiques qui visent à les moderniser, mais aussi les continuités qui caractérisent le rejet et le contrôle des #classes_populaires de l’ère coloniale à nos jours. Dans Precarious Modernities, Cristiana Strava aborde la modernité depuis les marges de la ville de #Casablanca. Par son analyse des évolutions urbanistiques, économiques et politiques du #Commentaires

    / Casablanca, Maroc, #quartiers_populaires, #périphérie, #rénovation_urbaine, #ségrégation, #capitalisme, classes populaires, (...)

    #résistance
    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met_amarouche.pdf

  • Mathieu Fulla, historien : « Reconquérir un électorat hostile à la gauche implique un travail de terrain ardu »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/25/mathieu-fulla-historien-reconquerir-un-electorat-hostile-a-la-gauche-impliqu

    A la tête du Parti de #gauche puis de #LFI, Mélenchon s’efforce, jusqu’en 2019, de séduire les « fâchés pas fachos » des milieux populaires, réfugiés dans l’#abstention ou ayant opéré un glissement vers la #droite et, de plus en plus souvent, vers l’#extrême_droite. L’entreprise fait long feu. Elle contribue à expliquer la réorientation stratégique opérée depuis par la direction de LFI vers la « stratégie des tours » et de la jeunesse.

    Ce glissement progressif, dont les effets sont déjà très visibles en 2022, ne peut se comprendre sans garder à l’esprit l’obsession, toute mitterrandienne, de Jean-Luc Mélenchon pour la conquête de la magistrature suprême. Le choix de s’adresser prioritairement à des électorats et à des territoires déjà largement acquis lui semble la voie la plus sûre pour accéder au second tour en 2027 et y affronter le candidat du Rassemblement national (#RN).

    Redynamisation des milieux syndicaux et associatifs

    Les « insoumis » ne sont cependant pas les premiers, à gauche, à envisager de « laisser tomber » une grande partie des #classes_populaires, notamment celles concentrées dans les territoires périurbains, aujourd’hui solides bastions du RN. En 2011, au nom de l’efficacité électorale, une note rédigée par un think tank proche du PS, Terra Nova, recommandait déjà au futur candidat socialiste à l’élection présidentielle non pas d’abandonner les classes populaires, comme cela est trop souvent affirmé, mais plutôt de cibler l’effort militant sur « la France de la diversité », présentée comme la composante la plus dynamique de la gauche. La direction de LFI s’est réapproprié cette grille d’analyse qui suscitait jusqu’à présent un fort embarras dans les milieux de gauche.

    https://justpaste.it/au2h2

    • « La gauche a intérêt à reconnaître la production d’idées, la stratégie électorale et le modèle d’organisation comme indissociables », Pierre-Nicolas Baudot
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/25/la-gauche-a-interet-a-reconnaitre-la-production-d-idees-la-strategie-elector

      .... en politique les questions sont souvent plus importantes que les réponses. Or, les travaux de science politique s’accordent pour donner une image guère reluisante des partis, à laquelle la gauche n’échappe pas. Ils inspirent une forte défiance dans l’opinion et sont décrits comme des entre-soi professionnalisés et repliés sur eux-mêmes, où se côtoient élus, collaborateurs d’élus et aspirants à l’élection, selon des normes qui leur sont propres.

      [...]

      C’est un fait que les transformations socio-économiques du XXe siècle, et leurs effets sur le développement de nouvelles formes d’organisation du travail, n’ont pas été porteuses pour la permanence d’une conscience collective favorable à l’ancrage social d’une pensée de gauche. De plus, si ces évolutions ont donné naissance à de nouveaux groupes sociaux dominés, elles ont également suscité des réactions libérales, réactionnaires ou les deux à la fois. Ces constats rendent d’autant plus indissociables les appels au travail doctrinal et le souci d’une refonte organisationnelle destinée à penser les partis depuis la société, et non au-dessus d’elle.

      L’histoire de la gauche démontre que, même au meilleur de sa forme, les mouvements de contestation ou d’émancipation n’ont pas procédé des partis, mais y ont abouti – lui permettant de se placer auprès de groupes sociaux en expansion numérique. La méfiance que suscitent les partis est moins liée à une forme partisane générique, qu’à son état actuel. Si, du fait de leur professionnalisation, le lien entre les partis et l’Etat s’est renforcé, celui avec la société est abîmé. Ce constat impose de repenser la capacité à assurer un lien à double sens entre la société et l’Etat.

      Pour cela, la gauche devra admettre de se poser un certain nombre de questions, parmi lesquelles celle de son rapport à la démocratie sociale, de la place à conférer à un militantisme qui a changé mais qui demeure, d’une organisation qui considère le pluralisme et la délibération collective sans hypothéquer l’unité, de la sociologie de ses représentants ou encore de son inscription dans le monde du #travail. Ce travail suppose de déconstruire la distinction entre idées et structures, pour mieux mesurer leur imbrication et l’indissociabilité du projet politique et de l’organisation collective.

      Pierre-Nicolas Baudot est docteur en science politique. Il est l’auteur d’une thèse sur le Parti socialiste et la politisation de la question des immigrés (1971-2017).

      https://justpaste.it/g0bk9

    • Pour changer le monde, la gauche doit changer de monde, Nicolas Truong (mars 2022)

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/04/pour-changer-le-monde-la-gauche-doit-changer-de-monde_6116102_3232.html

      Des électeurs désespérés. Une gauche désespérante. Non pas une défaite, mais une débâcle annoncée. Tel est le sentiment largement partagé au sein du camp progressiste à la veille de l’élection présidentielle. Loin de la Norvège, de l’Allemagne, de l’Espagne ou du Portugal, la #social-démocratie française ne parvient pas à coaliser des forces et à nouer des compromis afin d’exercer durablement le pouvoir. Après de notables percées, notamment lors des « mouvements des places » des années 2010 (d’Occupy Wall Street à Nuit debout), le #populisme de gauche semble s’essouffler. Une forme de socialisme paraît achever un cycle historique avec le déclin du parti issu du congrès d’Epinay (1971).

      Le communisme institutionnel séduit davantage par sa défense de l’industrie nucléaire et de la francité que par ses mesures pour l’égalité. L’écologisme, qui pourrait porter le grand récit émancipateur à l’heure du réchauffement climatique, n’a pas encore de base sociale constituée et peine à intégrer les révolutions de la nouvelle pensée du vivant. Le trotskisme est réduit à une culture minoritaire et presque patrimoniale, ponctuée par quelques apparitions électorales. Sans parler de la mouvance insurrectionnelle, certes indifférente aux élections « pièges à cons », qui se déchire sur le conspirationnisme ou les procès en véritable #anticapitalisme.

      [...]

      « La gauche est un monde défait », estime le politiste Rémi Lefebvre, dans Faut-il désespérer de la gauche ? (Textuel, 160 pages, 15,90 euros). « La gauche est en état de décomposition avancé et doit se détacher de ses atavismes et de ses identités partisanes arrimés au XXe siècle », constate le sociologue Laurent Jeanpierre, coauteur, avec Haud Guéguen, de La Perspective du possible (La Découverte, 336 pages, 22 euros). « Nous vivons sans doute un bouleversement aussi grand que celui de la révolution industrielle, qui a débuté à la fin du XVIIIe siècle », explique l’historienne Marion Fontaine, professeure à Sciences Po. Une modification des façons de travailler et de vivre « qui touche la gauche de plein fouet », poursuit la directrice des Cahiers Jaurès. Ainsi la gauche oscille-t-elle entre abandon et victimisation, glorification et nostalgie, remarque la revue Germinal, dans son numéro consacré à « La politique des classes populaires », que Marion Fontaine a coordonné avec le sociologue Cyril Lemieux (n° 3, novembre 2021).

      https://justpaste.it/3idt9

  • Hégémonie sur le terrain, normalisation, racisme : les ressorts du vote RN |
    https://www.mediapart.fr/journal/politique/270624/hegemonie-sur-le-terrain-normalisation-racisme-les-ressorts-du-vote-rn


    Benoît Coquard et Félicien Faury. © Photomontage Mediapart

    L’un a travaillé sur les zones rurales du Grand Est, l’autre sur l’électorat RN dans la région Sud-Paca. #Benoît_Coquard et #Félicien_Faury échangent sur le ressort du #vote pour l’#extrême_droite, à l’heure où l’hégémonie qu’ils ont observée sur leurs terrains se décline à grande échelle.
    Fabien Escalona
    27 juin 2024

    Après les européennes et à quelques jours du premier tour des élections législatives anticipées, les médias et les responsables politiques les ont sollicités plus que d’ordinaire, saisis par les nouveaux seuils franchis par le vote en faveur du Rassemblement national (#RN). Benoît Coquard, sociologue à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), est l’auteur de Ceux qui restent (La Découverte, 2019). Félicien Faury, chercheur postdoctoral au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), vient de publier Des électeurs ordinaires (Seuil, 2024).

    Tous deux travaillent sur des zones de force du RN, qui n’ont pas les mêmes caractéristiques. D’un côté, Benoît Coquard écrit sur les campagnes désindustrialisées du Grand Est ; de l’autre, Félicien Faury a installé son dispositif d’enquête dans la région attractive du Sud-Paca (Provence-Alpes-Côtes d’Azur). S’ils ont tous deux déjà accordé des entretiens à Mediapart (ici ou là), ils n’avaient encore jamais échangé. Le croisement de leurs perspectives nous intéressait, et aussi leur sentiment de chercheurs à l’heure où le scénario d’une majorité absolue pour le parti lepéniste n’a jamais été aussi crédible. 

    Mediapart : Vous travaillez depuis des années sur l’électorat RN. Comment lisez-vous la période actuelle ?

    Félicien Faury : Sur le strict plan des rapports de force électoraux, elle n’est pas surprenante. Le RN continue de prolonger des courbes électorales qui étaient déjà ascendantes. Depuis plusieurs années, on repérait que, y compris dans un contexte très abstentionniste, le RN continuait à mobiliser ses électeurs. On disait son électorat volatil, notamment aux élections intermédiaires, mais une fidélisation croissante était à l’œuvre, qu’on a retrouvée aux élections européennes du 9 juin. Un noyau électoral puissant a été solidifié.

    Benoît Coquard : Désormais, l’hégémonie de l’extrême droite que l’on observe sur nos terrains se décline avec de plus en plus de force au niveau national, que ce soit dans les urnes ou à travers la manière dont Emmanuel Macron l’a posée en adversaire centrale.
    Chez beaucoup de gens aujourd’hui règne l’impression d’être du côté des vainqueurs, ce qui est conforté par les effets d’entourage et des médias consommés. Quand on se souvient des vieilles affiches du Front national, représentant Jean-Marie Le Pen avec un bâillon, incarnant un vote de gens marginalisés qu’on ne laissait pas parler, c’était vraiment un monde différent. 

    Félicien Faury : Je suis tout à fait d’accord. Dans beaucoup de territoires, le RN ne peut absolument plus être considéré comme un parti « stigmatisé », c’est même tout l’inverse.

    Dans vos travaux respectifs, vous insistez sur le fait que le vote RN n’est pas un vote de personnes isolées ou atomisées, comme on l’entend parfois. Est-ce qu’on ne peut pas admettre, comme le chercheur Matthijs Rooduijn, qu’elles sont prises dans des liens sociaux qui n’ont pas la force de ceux des syndicats ou des Églises ?

    Benoît Coquard : Le vote RN n’est pas mon objet de recherche et je l’attrape justement par cette question des liens sociaux. J’ai travaillé sur la reconstitution des appartenances dans des bourgs désindustrialisés, et j’y ai observé des formes de repli, mais pas d’individualisme. En fait, les classes populaires n’en ont pas le luxe.
    Il ne s’agit pas tant de liens faibles que d’un resserrement de la conscience collective sur un petit nombre de personnes homogènes dans leur vision du monde et qui pensent aussi pouvoir s’entraider. Cette observation ethnographique corrobore de grandes enquêtes sociologiques menées à l’échelle européenne. Celles-ci établissent une corrélation ente le fait de ne faire confiance qu’à un petit nombre de personnes et le vote pour l’extrême droite. 

    Félicien Faury : Nos travaux diffèrent par leur objet. Benoît travaille sur les sociabilités rurales, les modes de vie, en explorant les différentes scènes d’une existence. De mon côté, la focale est plus restreinte autour de l’acte de vote, en se demandant ce qui est politisé ou « électoralisé » dans la vie des personnes. Mais je crois, en effet, que même dans l’isoloir et à bulletin secret, on continue à voter en groupe, comme les gens de qui on se sent proches socialement.
    La « normalisation » du RN, c’est aussi ça : quand ce vote devient légitime auprès de ceux qui comptent et qui font autorité près de soi. Cela vaut également pour le racisme. On pourrait avoir tendance à penser que c’est le défaut d’institutions et de « social » qui amène les gens à se replier et à devenir racistes. Or, c’est triste à dire, mais le #racisme, c’est aussi du #lien_social. Il existe des sociabilités qui entretiennent et autorisent l’expression de la parole raciste.

    De façon générale, je trouve que l’argument de l’atomisation ou des liens sociaux faibles revient parfois à « battre en retraite » sociologiquement. Le lien social est toujours présent, reste à savoir avec qui et quoi. Il faut donc plutôt se demander quels type de liens sociaux créent quels types de vote.
    Sur la question du « repli sur soi », j’aimerais souligner à quel point la question du diplôme est fondamentale. C’est un capital immatériel, sanctifié par l’État, qui vous donne de grandes possibilités de « voyager socialement ». Il y a comme une sécurité symbolique qui voyage avec vous lors de votre confrontation avec d’autres groupes sociaux. Lorsque vous n’en bénéficiez pas, comme c’est souvent le cas des électeurs du RN, l’ancrage local et le patrimoine matériel deviennent particulièrement importants – d’où le grand impact affectif des cambriolages, par exemple.
    Benoît Coquard : Effectivement, plus on est diplômé, plus on part facilement de sa campagne, moins on est tenu par les enjeux réputationnels qui y prévalent, moins on y souffre d’un éventuel déclassement territorial. Quand toutes vos ressources sont locales, en revanche, c’est très différent. On est alors beaucoup plus exposé à l’idée de l’extrême droite selon laquelle il faut faire passer les gens exactement comme soi avant, sinon on ne s’en sortira pas. C’est l’une des choses qui me font dire que les populations acquises à cette idée sont engagées dans le vote RN pour longtemps.

    Vous venez d’employer la notion de « #déclassement », de plus en plus mobilisée pour éclairer le vote RN. Est-ce qu’elle vous parle, ou est-ce qu’elle vous semble trop réductrice, quand ce parti est aussi capable de percer dans des milieux plutôt favorisés ?

    Félicien Faury : Il faut préciser de quoi on parle. Dans le Sud-Est où j’ai travaillé, c’est l’incertitude économique et le pessimisme résidentiel qui dominaient. Mes enquêtés, peu fragiles sur le marché du travail, ne vivent pas le déclassement sur un mode individuel mais plutôt collectif, avec l’idée que « tout se dégrade ». Ça se vit à l’échelle du quartier, du lotissement, de la commune, et ça peut s’extrapoler à la région et au pays. 

    Benoît Coquard : J’ai pour ma part écrit contre les théories de la France périphérique et de l’insécurité culturelle. Les milieux populaires ruraux que je côtoie ne peuvent pas être décrits comme des « petits Blancs » vivant dans un sentiment d’abandon, même s’ils peuvent exprimer ce discours face à des journalistes qui les rencontrent en quelques minutes. Ils développent en fait des contre-modèles de style de vie, affirment volontiers une mentalité insulaire, du type « on est maîtres chez nous ».

    Félicien Faury : Pour le coup, j’ai moins rencontré cette mentalité insulaire en Paca. Contrairement aux campagnes en déclin étudiées par Benoît, le Sud-Est est un territoire attractif, si bien que l’arrivée régulière de nouveaux résidents remet régulièrement en cause le capital local des résidents les plus anciens. Si ces évolutions peuvent être regardées avec colère ou amertume, j’observe néanmoins une résignation face à « l’invasion du haut » par les classes supérieures, quand les migrations du « bas » sont beaucoup plus facilement politisées. 

    Benoît Coquard, vous avez exprimé récemment l’idée que les propositions sociales du Nouveau Front populaire (NFP) pourraient parler aux fractions populaires de l’électorat RN. Cela peut sembler en contradiction avec les arguments de Félicien Faury qui met en avant la « matrice raciale » de ces comportements électoraux. Est-ce que vous avez une divergence ou des nuances sur le sujet ?

    Benoît Coquard : Je disais surtout que ces propositions seraient invisibles pour cet électorat, par manque de mixité politique dans son entourage et en raison de ses sources d’information. Le fait même d’être exposé à ces propositions n’est pas évident. Plutôt que de convertir des électeurs, l’enjeu me semble de s’adresser aux classes populaires entourées de gens qui votent RN, et qui n’osent pas dire autour d’elles qu’elles ne votent pas RN, car sinon elles se font traiter d’« #assistées ». 
    De fait, les stigmates associés à la #gauche sur mon territoire, c’est surtout ceux des « branleurs », des « cas sociaux ». Ce n’est que dans un second temps que le qualificatif d’« #Arabes » finit par arriver. On racialise le social, et les divisions sociales entre les précaires et les stables marchent d’autant plus qu’elles sont raciales.
    Cette dimension est clairement plus forte dans ce qu’écrit Félicien. Cela peut être lié à l’enquêteur, notamment avec qui on va parler, quelle place on prend dans les sociabilités. Moi, par exemple, j’étais au milieu des commérages. Du coup, je voyais beaucoup de dénigrement latéral entre habitants non racisés.

    Félicien Faury : J’ai aussi rencontré un sentiment « anti-assistés » très fort. Et effectivement, quand on laisse dérouler les discours, on se rend compte que ce sentiment se retrouve particulièrement exacerbé quand les personnes visées sont en plus identifiées comme « immigrées », c’est-à-dire jugées « moins françaises » que d’autres. Dans mon enquête, je constate que c’est lors de ce redoublement que la critique de l’#assistanat devient particulièrement politisée, et vient nourrir plus spécifiquement le vote RN.
    J’essaie de poser la question du racisme autrement qu’en termes de « présence » ou d’« absence », et d’observer plutôt les formes qu’il prend, et comment ça s’articule à des expériences sociales concrètes. Par ailleurs, il y a des enjeux de parole publique : à quel point faut-il insister sur cette dimension raciste ? C’est une question que je me suis beaucoup posée durant l’écriture, et encore davantage maintenant lors des présentations de mon travail en public et dans les médias. 

    Le fait d’avoir travaillé surtout sur les petites classes moyennes, et non sur le vote RN ouvrier, a pu contribuer à ce que je m’autorise à utiliser le terme de « racisme » et à le mettre au cœur de mes études. Comme le sens courant (et non sociologique) en donne une définition associée à la bêtise et à l’archaïsme, son usage peut contribuer à stigmatiser des groupes subalternes.

    Mais le risque inverse serait de ne pas en parler du tout. Il faut bien que cette dimension centrale soit rappelée, dans un contexte où son omission serait tout de même étrange, avec une extrême droite aux portes du pouvoir. J’essaie aussi d’insister dès que je le peux sur le caractère transversal du racisme, qui existe dans tous les milieux sociaux – y compris la bourgeoisie culturelle de gauche. Je vois bien que cette partie-là de mon propos est plus rarement reprise…

    Benoît Coquard : Je trouve que Félicien s’explique très clairement à ce sujet dans son livre. Si le racisme était absent de son explication causale des conduites électorales, ce serait effectivement l’éléphant dans la pièce.
    Il y aurait d’ailleurs quelque chose de méprisant à ne pas écouter les arguments des gens qu’on interviewe. Je ne vois pas pourquoi, parce qu’un enquêté est ouvrier ou moins diplômé, il faudrait retraduire ses propos au point qu’ils ne lui ressemblent plus. Là où il faut être prudent, c’est qu’il est important de relier les affects aux transformations macrosociales qui leur donnent du sens.

    La question raciale, en particulier, ne peut pas être envisagée sans les exclusions économiques qu’elle permet. Il y a comme un « #salaire_psychologique minimum », un capital minimal procuré par le fait de savoir que tu as toujours quelqu’un en dessous de toi. Le RN arrive à mettre ça en place localement.
    Cela me rappelle des groupes d’amis très unis sur lesquels j’ai travaillé, incluant des binationaux franco-algériens. Quand il y avait des accrochages, entre Blancs on s’insultait de « cas soc’ », mais quand cela les concernait, ils étaient traités de « sales Arabes ». L’exclusion était redoublée par un racisme resurgissant sur ces gens-là. Leur place ne tenait qu’à un fil car ce registre-là, exercé contre « plus tricard que soi », permettait de les exclure à n’importe quel moment.

    Félicien Faury : Je suis tout à fait d’accord, et j’ai d’ailleurs toujours cherché à relier les propos, parfois très explicites, que je pouvais entendre à des processus collectifs en termes de classe ou de ségrégation, dont les électeurs du RN sont au fond très peu responsables. Le racisme de ces électeurs n’émerge qu’en s’adossant à des processus de racialisation collectifs qui dépassent très largement la seule extrême droite.
    Encore une fois, je vois bien comment certains groupes sociaux pourraient s’autorassurer en se disant que le racisme, c’est au RN, que les racistes, « ce sont eux », et s’innocenter ainsi à bon compte. Cette mise à distance est évidemment trop facile.

    À court et plus long terme, quelles sont les pistes que peuvent suivre les gauches, ou du moins les adversaires du RN, pour reconquérir des milieux conquis par ce parti ?

    Félicien Faury : Je ne sais pas s’il faut poser la question de cette manière. Est-ce que le seul but doit être de « faire baisser le RN » ? Si oui, en Paca, si vous voulez prendre des électeurs au RN, le plus efficace est sans doute de mener une politique de droite dure ! La vocation de la gauche reste de lutter contre les inégalités de classe, la domination masculine, le racisme… Bien sûr, la stratégie électorale est très importante, mais la conquête des électeurs du RN ne doit pas être le seul horizon. 
    Une fois dit cela, il faut bien sûr ajouter que les #classes_populaires ne sont en aucun cas condamnées à voter pour le RN. Il y a un ensemble de points, sur les services publics, le pouvoir d’achat, les inégalités, à propos desquels la gauche peut activer des affects dans son sens. C’est un travail de long terme qui doit être mené. 
    Ce qui m’a frappé dans les espaces sociaux sur lesquels j’ai enquêté, c’est que les discours qui circulent, cadrés en faveur du RN, ne sont jamais contredits. Il n’y a jamais aucune sanction sociale face aux propos négatifs sur, par exemple, les « assistés » ou les « immigrés ». Il faudrait parvenir à diffuser des contre-discours, pour éviter ces effets de consensus autour de thématiques favorables à l’extrême droite.

    Par ailleurs, il faut aussi poser la question de l’incarnation et du recrutement politique au sein des partis de gauche. Trop souvent, les corps et manières d’être de la gauche, à la télé comme sur le terrain, témoignent de l’éloignement des mondes sociaux.

    Benoît Coquard : On se rejoint car je rappelle toujours que des modèles de respectabilité sociale sont essentiels pour offrir un autre son de cloche. Il n’y a pas de slogan magique.
    On parle des scores réalisés par La France insoumise dans les quartiers populaires racisés de Paris ou d’autres grandes villes, mais je ne suis pas sûr qu’ils soient aussi impressionnants dans ceux des bourgs et petites villes du Grand Est où je travaille. Je mets aussi en garde contre l’idée que les abstentionnistes seraient un réservoir évident pour la gauche. Là où le RN est hégémonique, en tout cas, les abstentionnistes, dans l’état actuel des choses, se sentent proches de Marine Le Pen.
    Et même si la gauche reprend des voix parmi les milieux populaires, ceux-ci auront été imprégnés des discours du RN. Il y a donc un travail de fond à faire en reprenant pied en milieu populaire au quotidien.

    Félicien Faury : On peut aussi ajouter que la politisation du racisme, dont les succès du RN sont un des symptômes, vient après une période où le racisme existait tout autant sinon plus, mais était naturalisé. Il y a eu des contestations et des victoires du côté des mouvements antiracistes et des minorités ethnoraciales, qui ont entraîné une forme de réaction, de réflexe défensif. On peut faire un parallèle avec le backlash [le « retour de bâton » – ndlr ]suscité par la révolution féministe.

    Si la montée de l’extrême droite se greffe à un appareil d’État, les cartes pourraient être rebattues de manière inquiétante, évidemment. Mais on peut aussi lire la situation comme un potentiel chant du cygne de certaines formes de domination raciale.

    "Je préfère une société de travail à l’assistance", un premier ministre de gauche, 1998.

  • « La question décisive est de savoir dans quelle proportion l’électorat de gauche se mobilisera »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/06/21/legislatives-la-question-decisive-est-de-savoir-dans-quelle-proportion-l-ele

    Les commentateurs ont dit et répété que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), forgée dans l’urgence afin d’éviter la débâcle aux législatives de 2022, avait été définitivement enterrée durant la campagne des européennes. Le 9 juin au soir, la #gauche paraissait à ce point divisée que le président fit – selon toute vraisemblance – le calcul qu’elle ne s’en relèverait pas, offrant à Renaissance un boulevard pour un troisième duel (après 2017 et 2022) avec le Rassemblement national.

    Une semaine plus tard, ce scénario semble pourtant pouvoir être déjoué. Sous la menace de l’#extrême_droite et grâce à la pression de la société civile, mais aussi des organisations de jeunesse des partis politiques, les dirigeants de ces derniers sont parvenus à trouver un accord. La donne s’en trouve bouleversée : au second tour, le Rassemblement national (#RN) pourrait devoir ferrailler avec le Nouveau Front populaire (#NFP), et non avec la majorité présidentielle. Le NFP sera-t-il en mesure de transformer l’essai ?
    ​Si l’on projette le résultat des élections européennes du 9 juin sur les législatives du 30 juin, c’est-à-dire si les résultats du 30 juin étaient strictement équivalents à ceux du 9 juin, on obtient le résultat suivant : au second tour, 461 des 577 circonscriptions donneront lieu à un duel Rassemblement national-Nouveau Front populaire.

    L’unité paye

    Si la gauche était restée divisée, le scénario aurait été radicalement différent : il y aurait seulement 236 duels entre le RN et une force de gauche au second tour, et 275 duels RN-Renaissance au second tour. Autrement dit : l’unité paye, elle permet à la gauche d’être deux fois mieux représentée au second tour et de disputer la victoire finale à l’extrême droite.
    Bien sûr, cet exercice de politique-fiction doit être manié avec précaution : les enjeux du 30 juin ne sont pas les mêmes que ceux du 9 juin, les règles de scrutin diffèrent et la temporalité de la campagne législative n’a rien à voir avec celle des européennes. Par ailleurs, nous sommes dans une situation électorale inédite : pour la première fois depuis la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral (en l’an 2000), les #législatives ne seront pas une ratification du résultat de la présidentielle, une simple formalité pour l’exécutif.

    ​Malgré ces inconnues, il faut affronter la question : l’électorat de gauche suivra-t-il les partis dans leur aspiration à l’unité ? L’accord par le haut entre appareils politiques se prolongera-t-il par un plébiscite par le bas de la part des citoyens et citoyennes ? Il convient ici de rappeler trois faits.

    Premièrement, au cours des deux dernières décennies, les électeurs de gauche se sont montrés plus unitaires que les candidats et les partis pour lesquels ils votaient. La Nupes en 2022, le Nouveau Front populaire, aujourd’hui, sont d’abord des réponses à des demandes, formulées depuis longtemps, par le peuple de gauche, et renouvelées dès le 9 juin au soir à travers une série de rassemblements spontanés.

    La lutte contre le terrorisme

    Une deuxième donnée à avoir en tête est qu’il existe désormais, au sein de l’électorat de gauche, une importante volatilité. D’un scrutin à l’autre, des fractions significatives du peuple de gauche changent de bulletin. La logique du _vote utile s’est généralisée.

    Pour donner quelques exemples de cette fluidité : 35 % des électeurs de Mélenchon au premier tour de 2022 qui sont allés voter le 9 juin 2024 ont glissé un bulletin Europe Ecologie-Les Verts (EELV) ou PS-Place publique. Réciproquement, 31 % de ceux qui avaient voté pour François Hollande en 2012 ont choisi Mélenchon en 2022. Cette porosité électorale, qui concerne ici le couple PS-LFI, est encore plus prononcée entre LFI et le PC, et entre EELV et le PS.

    Une troisième et dernière donnée importante est que, selon de nombreuses enquêtes d’opinion (Baromètre de la confiance politique, European Value Survey), les différents électorats de gauche partagent un large socle de valeurs. Ce qui les rassemble (la lutte contre les inégalités, les droits des minorités, l’attachement à la démocratie, les services publics) est plus fort que ce qui les divise (l’Europe, la laïcité, le nucléaire), même si des nuances existent.
    Selon l’enquête effectuée par l’IFOP le soir du 9 juin, la lutte contre le terrorisme préoccupe autant les électeurs de Manon Aubry (43 %) que ceux de Raphaël Glucksmann (46 %) et de Marie Toussaint (42 %) [respectivement LFI, Place publique et EELV].

    En revanche, concernant la lutte contre le #racisme et les discriminations, il s’agit d’un enjeu jugé déterminant par 69 % des électeurs « insoumis », contre 49 % des électeurs socialistes et 41 % des écologistes.

    ​Vieillissement et embourgeoisement

    La vraie question n’est donc pas de savoir si les électeurs de gauche plébisciteront dans les urnes, le 30 juin, les candidats de l’unité. On peut annoncer sans risque que ceux qui iront voter le feront en faveur de ce Nouveau Front populaire. Il y aura certainement des candidatures dissidentes, comme l’ont déjà laissé entendre d’anciens ministres socialistes, des dirigeants de Place publique et des déçus ou exclus de LFI et des Verts, mais les sondages indiquent que ces échappées solitaires semblent vouées à l’échec.

    La question décisive est de savoir dans quelle proportion l’électorat de gauche se mobilisera. L’électorat de gauche (toutes tendances confondues) est globalement plus jeune et plus populaire que celui de Renaissance et du Rassemblement national – le 9 juin 2024, la vraie nouveauté de l’électorat lepéniste est son vieillissement et son embourgeoisement.

    Les jeunes votent majoritairement pour la gauche, mais ils votent moins que leurs aînés. Par ailleurs, en 2017 comme en 2022 et en 2024, on constate que la gauche (à nouveau toutes tendances confondues) a son centre de gravité électoral plus proche des #classes_populaires que Renaissance et le RN. Or les jeunes et les classes populaires sont les catégories de la population les plus enclines à s’abstenir.

    ​Les candidats du NFP parviendront-ils à contrer cette #abstention différentielle, à remobiliser leur base en moins de trois semaines ? Cela à la veille des vacances d’été ? Alors que l’extrême droite est galvanisée par son résultat des élections européennes et la promesse d’une arrivée à Matignon, que ses adversaires oscillent entre la stupeur et la sidération ? Et que le dimanche 30 juin pourrait correspondre avec le huitième de finale de l’équipe de France de football ?

    Manuel Cervera-Marzal est enseignant-chercheur en science politique à l’université de Liège/Fonds de la recherche scientifique (FNRS), auteur des « Nouveaux Désobéissants : citoyens ou hors-la-loi ? » (Le Bord de l’eau, 2016).

    #électorat_volatile

  • « L’abstention ne constitue plus un obstacle à la victoire électorale du Rassemblement national »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/06/12/l-abstention-ne-constitue-plus-un-obstacle-a-la-victoire-electorale-du-rasse

    À peine plus d’un inscrit sur deux s’est déplacé le 9 juin pour prendre part à l’élection des députés français au Parlement européen (51,4 %). Si la participation a gagné un point et demi par rapport à 2019, ce qui frappe reste la stabilité de l’#abstention à un niveau très élevé dans ce scrutin traditionnellement peu mobilisateur. Il en résulte qu’aucune liste n’a massivement séduit les citoyens : la liste gouvernementale conduite par Valérie Hayer n’a rassemblé que 7,3 % des inscrits, la liste Parti socialiste-Place publique de Raphaël Glucksmann 6,9 %, et même celle du Rassemblement national (#RN), grand vainqueur du scrutin, ne représente que 15,7 % des inscrits.

    Dans un contexte où la France qui vote est minoritaire, les facteurs sociodémographiques de la participation ont joué à plein. Le 9 juin, les catégories âgées, les catégories les plus diplômées et les plus aisées ont davantage voté que les plus jeunes, les plus fragiles et les moins diplômées. Comme le montrent les sondages, le différentiel de participation a été d’environ 30 points entre la tranche d’âge la moins votante, les 18-34 ans, et la plus votante, les 60-75 ans. Les enquêtes confirment également la mobilisation plus massive des cadres, par comparaison avec celle des ouvriers et des employés.
    Le revenu est également hautement prédictif de la participation au vote de dimanche : là aussi, l’écart entre les plus bas revenus – inférieur ou égal à 1 000 euros – et les plus hauts revenus – plus de 5 000 euros – est d’environ 30 points de participation. D’un scrutin à l’autre, les logiques sociales de l’abstention sont d’une régularité impressionnante, et, dans cette perspective, rien n’est plus facilement prévisible que la sociologie de l’abstention et, par conséquent, puisqu’elle est en quelque sorte son image inversée, de la participation.

    Le 9 juin à 20 heures, comme lors de chaque scrutin, c’est dans les périphéries jeunes et populaires des grandes agglomérations métropolitaines que l’on a le moins voté : 10 points de moins qu’en moyenne nationale à Roubaix (Nord) ou Vaulx-en-Velin (Grand Lyon). A l’intérieur de ces territoires, les bureaux de vote des quartiers de grands ensembles ont enregistré une abstention encore plus élevée : un quart de votants seulement dans le bureau de la cité des Cosmonautes [à La Courneuve, en Seine-Saint-Denis], que nous étudions depuis 2002.

    Forte abstention structurelle

    Symétriquement, les bureaux de vote des centres-villes ou des périphéries bourgeoises, à la fois plus âgés et plus aisés, ont enregistré un taux de participation de 10 points supérieurs à la moyenne, comme à Versailles, Arcachon [Gironde] ou Paris centre. Les mondes ruraux plus âgés et mieux inscrits sur les listes électorales, parce que plus stables géographiquement, ont également confirmé leur plus forte disposition à voter.

    Dans ce contexte marqué par une forte abstention structurelle, le score impressionnant du RN est d’autant plus remarquable. Pendant longtemps, les scrutins de second ordre ont été défavorables au Front national devenu Rassemblement national. Jean-Marie Le Pen faisait ses meilleurs scores à la présidentielle et sous-performait lors d’un scrutin tel que les européennes. La sociologie de l’électorat frontiste expliquait une bonne part du phénomène : plus populaire, plus ouvrier, moins diplômé, plus urbain aussi, cet électorat était plus difficile à mobiliser lors d’élections de faible intensité, a fortiori pour un parti sans grande implantation locale.

    La perspective d’une alternance à venir a consolidé son socle électoral. En atteste le très bon report des voix obtenues par le RN en 2022 au profit de la liste conduite par Jordan Bardella, de l’ordre de 85 %. En attestent également la certitude de choix et la détermination à se rendre aux urnes de cet électorat, plus élevée que la moyenne. Le RN a, de toute évidence, été porté par une dynamique politique. Mais, dans le contexte abstentionniste de dimanche, ce score historique s’explique surtout par les mutations sociologiques de son électorat. On peut même considérer que ce score constitue, par lui-même, la preuve empirique de cette grande transformation.

    Séquence électorale inédite

    Ces dernières années, l’expansion électorale du RN s’est réalisée en grande partie sur les segments de l’ancien électorat de la droite. En schématisant, le RN « normalisé » de Marine Le Pen a très largement prospéré au sein de la coalition électorale qui avait porté Nicolas Sarkozy au pouvoir, dans les classes moyennes, chez les retraités, dans les mondes ruraux. Parmi les électeurs qui avaient soutenu Nicolas Sarkozy en 2007 et ont voté le 9 juin, quatre sur dix l’ont ainsi fait en faveur de la liste conduite par Jordan Bardella.
    Cette évolution se vérifie dans toutes les enquêtes. Ce ne sont plus seulement les artisans, les commerçants, les ouvriers les moins qualifiés et les employées sans diplôme qui placent le RN en première position quand ils votent. Ce sont également les classes moyennes propriétaires de leur résidence principale en périphérie urbaine, les agriculteurs, les entrepreneurs et les retraités résidant dans les villes moyennes et à la campagne.

    Tout cela entraîne des conséquences sur le profil sociologique des électeurs : dimanche, le RN a obtenu plus de 30 % des voix parmi les 65-74 ans et 24 % des voix parmi les individus dont les revenus sont supérieurs à 3 000 euros mensuels. A la manière de ce qu’on observe aux Etats-Unis au sein de l’électorat républicain ou en Italie au sein de l’électorat de Giorgia Meloni, le RN est devenu, de fait, un parti interclassiste et intergénérationnel, surreprésenté, et ce n’est pas un détail en matière de participation, dans les mondes ruraux. Compte tenu de cette profonde transformation, l’abstention alimentée par les facteurs sociodémographiques ne constitue plus un obstacle à la victoire électorale du RN.

    La séquence électorale inédite des 30 juin et 7 juillet s’annonce donc particulièrement risquée pour la majorité présidentielle qui a, en quelques années, perdu sur ce plan une bonne part de l’avantage concurrentiel dont elle disposait face au RN. Le résultat de ces législatives 2024 pourrait donc se jouer sur des facteurs beaucoup plus strictement politiques qu’à l’accoutumée et donner paradoxalement à la campagne improvisée qui se prépare une importance primordiale.

    Céline Braconnier est professeure des universités en science politique, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, chercheuse au Cesdip-CY Université.

    Jean-Yves Dormagen est professeur de science politique à l’université de Montpellier, président de Cluster 17.

    #sociologie électorale

    • Oups, mon collègue est devenu RN… ou la « ciottisation » de la vie professionnelle, Nicolas Santolaria
      https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2024/06/20/oups-mon-collegue-est-devenu-rn-ou-la-ciottisation-de-la-vie-professionnelle

      « Work in progress ». Hier encore, ils sifflotaient « Le Chant des partisans » à la cantine. Aujourd’hui, les mêmes n’hésitent plus à clamer « Vivement Bardella ! ». La submersion idéologique touche désormais tous les milieux.

      Nous vivons un moment troublant de « ciottisation » de nos vies professionnelles. Président des Républicains – ayant proposé une alliance au Rassemblement national pour les élections législatives anticipées rejetée par les autres responsables du parti –, Eric Ciotti est emblématique de ces collègues que vous pensiez il y a peu encore indéfectiblement allergiques à l’extrême droite, et qui s’affichent désormais tout feu, tout flamme, pour le RN.

      Bien entendu, chacun est libre de ses opinions mais, dans les faits, beaucoup d’entreprises ou d’institutions fonctionnaient jusqu’alors comme des cocons idéologiques, représentant des communautés de valeurs plus ou moins implicites. Cet entre-soi – questionnable, bien entendu – opérait également à une échelle catégorielle plus large : la sociologie du vote d’extrême droite, traditionnellement ancrée chez les employés et les ouvriers, a longtemps pu laisser penser aux membres de groupes sociaux plus favorisés que le RN, c’était ailleurs, que le RN, c’étaient les autres.

      Depuis les résultats des élections européennes, le 9 juin, où la liste emmenée par Jordan Bardella a recueilli 31,6 % des suffrages, ce sentiment rassurant s’est dissipé : d’après une enquête Ipsos réalisée les 6 et 7 juin 2024, le RN a progressé, entre 2019 et aujourd’hui, de 13 % à 20 % chez les cadres, tout en renforçant son socle traditionnel. Le RN est ainsi devenu le premier parti des salariés (36 % des voix), dans le public (34 %) comme dans le privé (37 %). Croiser à la cafèt un type qui porte un tee-shirt « Jordan je t’aime » sous sa chemise n’est donc plus une hypothèse farfelue, et la suspicion est désormais de mise. « Là, j’ai la haine. Je me rappelle de mon collègue, ce fumier qui tenait des propos tendancieux, je suis sûr à 99 % qu’il a voté RN », s’énervait un utilisateur de X au lendemain des européennes.

      Mue traumatisante

      Cette mue traumatisante du collègue lambda en électeur d’extrême droite constitue la scène inaugurale de l’enquête prophétique Les Grands-Remplacés (Arkhê, 2020), de Paul Conge. Le journaliste y évoque notamment Joël, informaticien toulousain un peu gris, fils de socialistes, qui finit par se persuader que son monde est gangrené par l’immigration et le renoncement. Il se met alors à la muscu : « Happé progressivement par la propagande radicale de la “dissidence” sur Internet, il déroule désormais son “prêt-à-penser” sur ses collègues, ces “bobos” aux “corps de lâches”. »

      Le plus déstabilisant en la matière est la progression de cet agglomérat d’idées rances dans des univers qui y étaient jusqu’alors totalement étanches. Dispensant des formations dans les univers professionnels pour dénoncer l’« imposture sociale » du Rassemblement national, l’association intersyndicale Visa (pour Vigilance et Initiatives syndicales antifascistes) tente d’enrayer la séduction que ce parti opère, depuis son ravalement de façade, sur des publics historiquement ancrés à gauche. Car, manifestement, les « cordons », les « barrières », les « barrages » et autres vocables incantatoires d’endiguement ne suffisent plus à empêcher la submersion idéologique du « populisme Ultrabrite ». Y compris dans l’esprit de ceux qui, l’an dernier encore à la cantine, sifflotaient Le Chant des partisans.

      Nicolas Santolaria

    • « La question décisive est de savoir dans quelle proportion l’électorat de gauche se mobilisera »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/06/21/legislatives-la-question-decisive-est-de-savoir-dans-quelle-proportion-l-ele

      Les commentateurs ont dit et répété que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), forgée dans l’urgence afin d’éviter la débâcle aux législatives de 2022, avait été définitivement enterrée durant la campagne des européennes. Le 9 juin au soir, la #gauche paraissait à ce point divisée que le président fit – selon toute vraisemblance – le calcul qu’elle ne s’en relèverait pas, offrant à Renaissance un boulevard pour un troisième duel (après 2017 et 2022) avec le Rassemblement national.

      Une semaine plus tard, ce scénario semble pourtant pouvoir être déjoué. Sous la menace de l’#extrême_droite et grâce à la pression de la société civile, mais aussi des organisations de jeunesse des partis politiques, les dirigeants de ces derniers sont parvenus à trouver un accord. La donne s’en trouve bouleversée : au second tour, le Rassemblement national (#RN) pourrait devoir ferrailler avec le Nouveau Front populaire (#NFP), et non avec la majorité présidentielle. Le NFP sera-t-il en mesure de transformer l’essai ?
      ​Si l’on projette le résultat des élections européennes du 9 juin sur les législatives du 30 juin, c’est-à-dire si les résultats du 30 juin étaient strictement équivalents à ceux du 9 juin, on obtient le résultat suivant : au second tour, 461 des 577 circonscriptions donneront lieu à un duel Rassemblement national-Nouveau Front populaire.

      L’unité paye

      Si la gauche était restée divisée, le scénario aurait été radicalement différent : il y aurait seulement 236 duels entre le RN et une force de gauche au second tour, et 275 duels RN-Renaissance au second tour. Autrement dit : l’unité paye, elle permet à la gauche d’être deux fois mieux représentée au second tour et de disputer la victoire finale à l’extrême droite.
      Bien sûr, cet exercice de politique-fiction doit être manié avec précaution : les enjeux du 30 juin ne sont pas les mêmes que ceux du 9 juin, les règles de scrutin diffèrent et la temporalité de la campagne législative n’a rien à voir avec celle des européennes. Par ailleurs, nous sommes dans une situation électorale inédite : pour la première fois depuis la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral (en l’an 2000), les #législatives ne seront pas une ratification du résultat de la présidentielle, une simple formalité pour l’exécutif.

      ​Malgré ces inconnues, il faut affronter la question : l’électorat de gauche suivra-t-il les partis dans leur aspiration à l’unité ? L’accord par le haut entre appareils politiques se prolongera-t-il par un plébiscite par le bas de la part des citoyens et citoyennes ? Il convient ici de rappeler trois faits.

      Premièrement, au cours des deux dernières décennies, les électeurs de gauche se sont montrés plus unitaires que les candidats et les partis pour lesquels ils votaient. La Nupes en 2022, le Nouveau Front populaire, aujourd’hui, sont d’abord des réponses à des demandes, formulées depuis longtemps, par le peuple de gauche, et renouvelées dès le 9 juin au soir à travers une série de rassemblements spontanés.

      La lutte contre le terrorisme

      Une deuxième donnée à avoir en tête est qu’il existe désormais, au sein de l’électorat de gauche, une importante volatilité. D’un scrutin à l’autre, des fractions significatives du peuple de gauche changent de bulletin. La logique du _vote utile s’est généralisée.

      Pour donner quelques exemples de cette fluidité : 35 % des électeurs de Mélenchon au premier tour de 2022 qui sont allés voter le 9 juin 2024 ont glissé un bulletin Europe Ecologie-Les Verts (EELV) ou PS-Place publique. Réciproquement, 31 % de ceux qui avaient voté pour François Hollande en 2012 ont choisi Mélenchon en 2022. Cette porosité électorale, qui concerne ici le couple PS-LFI, est encore plus prononcée entre LFI et le PC, et entre EELV et le PS.

      Une troisième et dernière donnée importante est que, selon de nombreuses enquêtes d’opinion (Baromètre de la confiance politique, European Value Survey), les différents électorats de gauche partagent un large socle de valeurs. Ce qui les rassemble (la lutte contre les inégalités, les droits des minorités, l’attachement à la démocratie, les services publics) est plus fort que ce qui les divise (l’Europe, la laïcité, le nucléaire), même si des nuances existent.
      Selon l’enquête effectuée par l’IFOP le soir du 9 juin, la lutte contre le terrorisme préoccupe autant les électeurs de Manon Aubry (43 %) que ceux de Raphaël Glucksmann (46 %) et de Marie Toussaint (42 %) [respectivement LFI, Place publique et EELV].

      En revanche, concernant la lutte contre le #racisme et les discriminations, il s’agit d’un enjeu jugé déterminant par 69 % des électeurs « insoumis », contre 49 % des électeurs socialistes et 41 % des écologistes.

      ​Vieillissement et embourgeoisement

      La vraie question n’est donc pas de savoir si les électeurs de gauche plébisciteront dans les urnes, le 30 juin, les candidats de l’unité. On peut annoncer sans risque que ceux qui iront voter le feront en faveur de ce Nouveau Front populaire. Il y aura certainement des candidatures dissidentes, comme l’ont déjà laissé entendre d’anciens ministres socialistes, des dirigeants de Place publique et des déçus ou exclus de LFI et des Verts, mais les sondages indiquent que ces échappées solitaires semblent vouées à l’échec.

      La question décisive est de savoir dans quelle proportion l’électorat de gauche se mobilisera. L’électorat de gauche (toutes tendances confondues) est globalement plus jeune et plus populaire que celui de Renaissance et du Rassemblement national – le 9 juin 2024, la vraie nouveauté de l’électorat lepéniste est son vieillissement et son embourgeoisement.

      Les jeunes votent majoritairement pour la gauche, mais ils votent moins que leurs aînés. Par ailleurs, en 2017 comme en 2022 et en 2024, on constate que la gauche (à nouveau toutes tendances confondues) a son centre de gravité électoral plus proche des #classes_populaires que Renaissance et le RN. Or les jeunes et les classes populaires sont les catégories de la population les plus enclines à s’abstenir.

      ​Les candidats du NFP parviendront-ils à contrer cette #abstention différentielle, à remobiliser leur base en moins de trois semaines ? Cela à la veille des vacances d’été ? Alors que l’extrême droite est galvanisée par son résultat des élections européennes et la promesse d’une arrivée à Matignon, que ses adversaires oscillent entre la stupeur et la sidération ? Et que le dimanche 30 juin pourrait correspondre avec le huitième de finale de l’équipe de France de football ?

      Manuel Cervera-Marzal est enseignant-chercheur en science politique à l’université de Liège/Fonds de la recherche scientifique (FNRS), auteur des « Nouveaux Désobéissants : citoyens ou hors-la-loi ? » (Le Bord de l’eau, 2016).

      #électorat_volatile

  • « Des électeurs ordinaires » : à la découverte de la vision racialisée du monde des partisans du RN

    Le sociologue Félicien Faury décortique la mécanique du vote Rassemblement national, après un travail de terrain réalisé entre 2016 et 2022 dans le sud-est de la France.

    [...]

    Ses conversations avec les électeurs donnent à voir des « logiques communes », un rapport au monde qui oriente vers le vote Le Pen. « Les scènes fiscales, scolaires et résidentielles deviennent les théâtres de compétitions sociales racialisées, dans lesquels les groupes minoritaires, construits et essentialisés en tant que tels, sont perçus et jugés comme des concurrents illégitimes », décrit l’auteur. La prégnance de cette vision du monde dans le quartier ou au travail conduit à légitimer le vote Le Pen, à le priver de son stigmate de l’extrémisme et, in fine, à le renforcer.

    A l’automne 2023, un débat avait opposé deux interprétations du vote populaire pour le RN, que l’on peut ainsi schématiser : d’un côté, les économistes Julia Cagé et Thomas Piketty, auteurs d’une somme de géographie électorale (Une histoire du conflit politique, Seuil, 2023), pour qui les inégalités socio-économiques sont le principal déterminant du vote RN ; de l’autre, le sondeur de l’Institut français d’opinion publique, Jérôme Fourquet, qui, dans La France d’après. Tableau politique (Seuil, 2023), soulignait le primat de la question identitaire.

    Le travail de terrain de Félicien Faury invite à pencher fortement en faveur de la seconde analyse. Il dissèque la manière dont les expériences de classe de l’#électorat RN rejoignent toutes la question raciale. Le chercheur prend toujours soin de situer cette vision raciste dans le contexte d’une société où se perpétuent les processus de racialisation. De la part d’électeurs en risque de déclassement social, écrit-il, « le vote RN doit aussi se concevoir comme un vote produit depuis une position dominante sur le plan racial, dans l’objectif de sa conservation ou de sa fortification ».
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/24/des-electeurs-ordinaires-a-la-decouverte-de-la-vision-racialisee-du-monde-de

    https://justpaste.it/a4997

    #extrême_droite #RN #racisme #livre

    • Dans l’électorat du RN, « le racisme s’articule à des expériences de classes » | entretien avec Félicien Faury
      https://www.mediapart.fr/journal/politique/010524/dans-l-electorat-du-rn-le-racisme-s-articule-des-experiences-de-classes

      Ce que j’essaie de démontrer dans mon livre, c’est que le vote RN est une modalité parmi d’autres de participation aux processus de #racialisation. Il est le fruit d’une vision raciste qui s’articule à une expérience de classe particulière, de sorte qu’elle est politisée de manière spécifique en direction de ce parti.

      https://justpaste.it/51uy6
      #islamophobie

    • Félicien Faury, politiste : « Pour les électeurs du RN, l’immigration n’est pas uniquement un sujet identitaire, c’est aussi une question socio-économique »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/06/14/felicien-faury-politiste-pour-les-electeurs-du-rn-l-immigration-n-est-pas-un

      Le vote #RN, à la fois protestataire et conservateur, exprime un attachement inquiet à un ordre que ses électeurs estiment menacé, explique le chercheur, spécialiste de l’extrême droite.
      Propos recueillis par Anne Chemin

      Rattaché au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, rattaché au CNRS, le sociologue et politiste Félicien Faury travaille sur l’extrême droite. Il est l’auteur de Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite (Seuil, 240 pages, 21,50 euros), un ouvrage adossé à une enquête de terrain de six ans (2016-2022), qui analyse l’implantation électorale et partisane du Front national, puis du Rassemblement national (RN), dans un territoire du sud-est de la France.

      Comment analysez-vous le geste politique d’Emmanuel Macron qui provoque des élections législatives ?

      Comme beaucoup l’ont souligné avant moi, ce choix repose sur la volonté d’imposer un clivage opposant un parti « central », incarné par Renaissance, et l’extrême droite – avec le présupposé que la gauche sera faible ou divisée. Dans un contexte où le président de la République suscite toujours davantage de défiance, ce clivage a pour effet de faire du RN l’alternative principale au macronisme. Cette situation explique sans doute pourquoi la #dissolution était une demande explicite de Jordan Bardella et de Marine Le Pen – et pourquoi cette annonce a été accueillie par des cris de joie, lors des soirées électorales du RN.

      On dit souvent que les électeurs du RN sont très sensibles aux questions sociales – en particulier au pouvoir d’achat –, mais votre ouvrage montre la place centrale qu’occupe le racisme dans leurs choix électoraux. Comment cette « aversion envers les minorités ethnoraciales », selon votre expression, se manifeste-t-elle ?

      Il faut en fait articuler les deux phénomènes. Les questions sociales comme le pouvoir d’achat sont toujours entremêlées avec des thématiques comme l’immigration et la place des #minorités_ethnoraciales dans la société française. Pour les électeurs du RN, l’immigration n’est pas uniquement un sujet « identitaire » : c’est aussi, et peut-être surtout, une question pleinement socio-économique. Lorsque les immigrés sont spontanément associés au #chômage et aux #aides_sociales, l’immigration se trouve liée, par le biais des impôts et des charges à payer, à la question du pouvoir d’achat. Ce qu’il faut chercher à comprendre, ce n’est donc pas ce qui « compte le plus » – préoccupations de classe ou racisme –, mais selon quels raisonnements ces enjeux sont reliés.

      S’agit-il d’un racisme ouvertement exprimé ou du racisme « subtil » dont on parle parfois pour qualifier, par exemple, le racisme « systémique » ?

      Tout dépend, bien sûr, des profils des personnes interrogées et du contexte de l’interaction, mais il s’agit souvent de propos assez clairs et explicites dans leur hostilité aux minorités ethnoraciales. C’était un enjeu important dans l’écriture de mon livre : il me paraissait nécessaire de rendre compte du racisme qui s’exprime dans beaucoup de discours, mais il fallait aussi prendre garde à ne pas redoubler, dans l’écriture, la violence des propos dans une sorte de voyeurisme malsain. J’ai donc cherché à me limiter à ce qui était nécessaire à l’analyse sociologique.

      Par ailleurs, il existe effectivement des formes plus « subtiles » d’expression du racisme. Le racisme est un fait social multiforme et transversal : on le trouve dans tous les milieux sociaux, mais selon des formes différentes – certaines sont claires, d’autres sont plus policées ou plus discrètes. L’extrême droite et ses électorats n’ont en rien le monopole du racisme : il y a du racisme dans le vote RN, mais ce vote n’est qu’une forme parmi d’autres de participation aux inégalités ethnoraciales qui continuent à exister dans notre pays.

      Vous évoquez, pour expliquer le sentiment d’injustice et de fragilité ressenti par les électeurs du RN, la notion de « conscience sociale triangulaire » forgée par le chercheur Olivier Schwartz. Comment décririez-vous cette représentation du monde social ?

      La #conscience_sociale_triangulaire désigne le sentiment d’être pris en tenaille entre une pression sociale « par le haut » et une autre « par le bas ». Sur mon terrain, cette double pression est particulièrement ressentie dans sa dimension résidentielle. Les électeurs du RN ont l’impression de se faire « rattraper » par les « quartiers », où logent des #classes_populaires_précarisées souvent issues de l’immigration, mais ils regardent aussi avec inquiétude l’appropriation de certains territoires par des groupes très dotés économiquement. Dans le Sud-Est, beaucoup de familles prospères viennent, en effet, s’installer ou acheter des résidences secondaires, ce qui a pour effet d’engendrer une forte pression immobilière.

      Le « haut » et le « bas » ne sont pas politisés de la même façon chez ces électeurs du RN. La pression par le haut suscite de l’amertume, mais aussi beaucoup de fatalisme. Par contraste, la pression par le bas est considérée comme scandaleuse et évitable, notamment lorsqu’elle est racialisée : les électeurs du RN estiment qu’on aurait pu et dû limiter, voire stopper, une immigration qui est jugée responsable de la dégradation des #quartiers environnants. C’est sans doute un effet du racisme que de faire regarder vers le bas de l’espace social lorsqu’il s’agit de politiser ses aversions.

      L’inquiétude vis-à-vis de l’avenir des électeurs du RN concerne finalement moins l’emploi que des domaines que l’on évoque plus rarement dans le débat public, comme le logement ou l’école. Comment ces thèmes se sont-ils imposés ?

      C’est une spécificité des électeurs du Sud-Est que j’ai interrogés : bénéficiant d’un statut socioprofessionnel relativement stable, leurs craintes ne portent pas spécifiquement sur la question de l’emploi et du chômage. Ils ont des préoccupations socio-économiques bien réelles, mais elles concernent la valeur de leur logement, les impôts et les charges, les aides sociales perçues ou non, ou l’accès à des services publics de qualité.

      La question résidentielle est centrale, surtout dans cette région Provence-Alpes-Côte d’Azur caractérisée par une concurrence exacerbée entre les territoires. La question scolaire, elle aussi, revient souvent dans les entretiens : les électeurs du RN ont le sentiment que l’#école publique « se dégrade », ce qui engendre des inquiétudes d’autant plus vives qu’ils sont souvent peu diplômés : ils ont moins de ressources que d’autres pour compenser les défaillances de l’école. Beaucoup se résignent d’ailleurs à scolariser leurs enfants dans le privé.

      Les électeurs du RN qui estiment que leur situation sociale est fragile comptent-ils sur l’aide de l’Etat ?

      Oui. On est, en France, dans une situation assez différente des Etats-Unis, où l’extrême droite est imprégnée par une idéologie libertarienne. Les électeurs RN croient en l’#Etat et ses missions de protection sociale, mais ils sont très critiques vis-à-vis de ses performances et de ses principes de redistribution. S’agissant des enjeux de redistribution, cette déception s’accompagne d’un sentiment d’injustice qui est souvent racialisé : la croyance selon laquelle la puissance publique privilégierait les « immigrés » et les « étrangers » dans l’octroi des aides sociales est particulièrement répandue.

      Diriez-vous que l’attachement des électeurs du RN au monde stable, familier et rassurant qu’ils disent avoir connu dans le passé fait d’eux des conservateurs ?

      Effectivement, le vote RN est à la fois #protestataire et #conservateur. C’est un vote qui s’exprime depuis la norme : les électeurs ont l’impression qu’elle est fragilisée et qu’il faut la défendre. « C’est pas normal » est l’expression que j’ai le plus souvent entendue. Les électeurs ont le sentiment que « leur » normalité est en train de vaciller peu à peu. Le vote RN exprime un attachement inquiet à un ordre encore existant mais menacé.

      Si le vote en faveur du RN est massif, c’est aussi parce que, dans les territoires que vous avez étudiés, il est « banalisé », dicible, voire légitime. Comment fonctionne cette normalisation progressive du vote RN ?

      La normalisation du RN passe beaucoup par son acceptation progressive au sein du champ politique et de l’espace médiatique, mais aussi par les discussions du quotidien et les interactions ordinaires entre amis, voisins, collègues, en famille. Ce vote est validé par les proches, par les gens qui comptent ou, plus simplement, par les gens qui se ressemblent socialement. Cette normalisation est cependant très loin d’être achevée : pour une part encore très importante de la population, le RN reste un vote illégitime, voire un vote repoussoir. Il n’y a donc rien d’irréversible.

      Beaucoup voient dans le succès du RN un vote de colère, protestataire, voire « dégagiste ». Ce n’est pas votre analyse. Pourquoi ?

      Ce n’est pas faux, bien sûr, mais cette explication m’a toujours semblé incomplète. D’une part, _[et Ruffin devrait accepter d’y penser, ce qui le conduirait peut-être à mettre en cause sa propre aversion pour les étrangers...] la colère exprimée n’est pas une colère « aveugle » qui se distribue au hasard : elle vise prioritairement certains groupes sociaux – je pense notamment aux minorités ethnoraciales, aux « assistés » et à certaines fractions des élites culturelles, médiatiques et politiques. D’autre part, les électeurs n’ont pas toujours un comportement « dégagiste » : la majorité des mairies conquises par le FN en 2014 ont été reconduites lors des élections suivantes, souvent dès le premier tour, avec des scores très impressionnants. C’est peut-être une leçon pour les législatives à venir : lorsque l’extrême droite parvient au pouvoir, souvent, elle s’y maintient. Ses victoires lui permettent de solidifier ses soutiens électoraux et de « transformer l’essai » lors des élections suivantes. Beaucoup d’exemples étrangers abondent dans ce sens.

      Pensez-vous que le RN peut remporter une majorité relative, voire absolue, aux élections des 30 et 7 juillet ?

      Il est très important, pour les chercheurs en science politique, de savoir reconnaître leur ignorance faute d’éléments suffisants. Aujourd’hui, on ne dispose pas de suffisamment d’indices sur la manière dont vont se structurer l’opinion publique et l’offre politique au niveau local pour pouvoir en tirer des conclusions sérieuses.

    • Chez les classes moyennes, un vote marqué par la #peur du #déclassement
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/23/mais-maman-on-est-pauvres-les-classes-moyennes-a-l-heure-du-declassement_624

      Frappées de plein fouet par l’inflation, exclues des dispositifs d’aide destinés aux plus modestes et sans perspectives d’ascension sociale, les classes moyennes se tournent vers le Rassemblement national, traditionnellement plutôt ancré dans les milieux populaires.
      Par Béatrice Madeline

      « Pour nous, la victoire du Rassemblement national [RN], c’est tout sauf une surprise », confie Yvon Le Flohic, médecin généraliste dans un cabinet médical de Ploufragan, dans l’agglomération de Saint-Brieuc. Un morceau de France ordinaire, où le #revenu annuel moyen était de 23 010 euros en 2021, presque identique à la moyenne nationale (23 160 euros). En 2020, on y comptait un quart de retraités. Parmi les personnes en activité, 20 % d’ouvriers, 30 % d’employés, 30 % de professions intermédiaires et 13 % de cadres ou professions supérieures. Le tout, au cœur d’une Bretagne historiquement imperméable aux extrêmes, affectée ni par la désindustrialisation, ni par le chômage ou l’insécurité.

      Pourtant, le 9 juin au soir, la liste de Jordan Bardella est arrivée en tête aux élections européennes dans les Côtes-d’Armor, avec 28,21 % des suffrages (27,11 % à Ploufragan). En 2019, Renaissance était en tête, et Marine Le Pen obtenait 19 % des voix. « Dans notre cabinet, on voit défiler tout le monde, poursuit le médecin. Nous étions sûrs du résultat. Ici, les gens ont la sensation de ne plus être pris en compte, de ne pas être représentés, ils ne croient plus aux institutions. Et cela ne date pas d’hier. »
      A l’échelle du pays, ces classes moyennes ont exprimé ce ressentiment le 9 juin, lors des élections européennes, certains par l’abstention, et beaucoup d’autres en votant en faveur du RN, traditionnellement plutôt ancré dans les milieux populaires. Selon l’analyse réalisée par OpinionWay, 41 % des ménages gagnant entre 1 000 et 2 000 euros par mois ont voté pour Jordan Bardella, et 33 % de ceux aux revenus compris entre 2 000 et 3 500 euros. Une percée sociologique : parmi les employés, le RN a gagné dix points entre 2019 et 2024, et quinze points parmi les professions intermédiaires.

      De plein fouet

      A ce malaise s’est ajouté un ouragan appelé #inflation, qui a fait vaciller les modes de vie et les certitudes. « On n’avait pas vu une telle hausse des prix depuis quarante ans, et à l’époque, tous les salaires étaient indexés sur les prix, rappelle Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyses et prévisions à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). C’est la première fois qu’on vit une telle crise inflationniste sans cette protection. »

      Prises de plein fouet par la flambée des produits de base – l’alimentaire a connu une hausse de 20 % en deux ans, l’électricité de 70 % en cinq ans –, exclues des dispositifs d’aide destinés aux plus modestes, les classes moyennes ont vu leurs habitudes et leurs modes de consommation bouleversés, comme le raconte Elisabeth (elle a préféré garder l’anonymat), 56 ans, installée sur la côte varoise : « Depuis plusieurs années, j’ai pris l’habitude de compter chaque euro lors de mes courses, et je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule. Je vois aussi des hommes parcourir les rayons la calculette en main. Et ce n’est pas tout. Chaque dépense est planifiée, je ne peux plus partir en vacances, ni épargner. »

      Les « périurbains » et les ruraux ont été plus pénalisés que les autres. On comptait, au plus fort de la crise, trois points d’écart dans la hausse moyenne du coût de la vie entre eux et ceux vivant dans les centres-villes, selon l’OFCE. Certes, les loyers sont plus élevés dans les métropoles, mais les périurbains ou les ruraux sont bien plus tributaires de leur voiture au quotidien et dépensent davantage en chauffage pour leur logement, souvent une maison individuelle.

      Sous pression, les ménages ont du mal à boucler leurs fins de mois, une fois payées les charges fixes, l’électricité, le carburant, les assurances, et l’alimentation, et encore, en supprimant souvent les produits les plus coûteux. « Aujourd’hui, je ne vais plus au restaurant, à peine au cinéma, encore moins à l’opéra. Je voyage en rêve, je suis à découvert le 15 du mois, je paie mon garagiste en trois fois, et j’achète mes vêtements en seconde main », résume Anne, 50 ans, professeure certifiée à temps partiel et un enfant à charge.

      Des dettes impossibles à apurer

      Pour certains, la crise inflationniste s’est traduite par des dettes impossibles à apurer. « On voit arriver des gens qui n’auraient jamais passé notre porte avant, confirme Laetitia Vigneron, conseillère financière à l’Union des associations familiales (UDAF) du Cher. Des personnes qui travaillent, qui ont des crédits immobiliers ou des crédits voiture. » Entre janvier et mai, le nombre de dossiers de surendettement déposés auprès de la Banque de France a augmenté de 6 % par rapport à 2023. « Le prix des courses a explosé. Les gens n’arrivent plus à s’en sortir. On voit des dossiers de surendettement constitués uniquement de dettes de charges courantes : loyers, assurances, électricité », renchérit Céline Rascagnères, également conseillère financière pour l’UDAF, dans l’Aude.
      Pour ces personnes ni riches ni pauvres, la dégringolade ne se fait pas ressentir uniquement dans le train de vie. Elle est aussi symbolique. « Dans ma tête, un prof faisait partie des classes moyennes supérieures, il pouvait s’offrir deux-trois restos mensuels, des voyages pour le plaisir, des loisirs pour se cultiver, une petite maison pour la retraite et de l’argent pour les enfants, explique Anne, la professeure. Je suis déclassée. » Un sentiment partagé par bon nombre de ses semblables.

      Audrey, une Parisienne de 44 ans, éducatrice spécialisée, gagne 2 100 euros par mois (salaire, prime et pension alimentaire), pour la faire vivre avec son fils : « Le déclassement social, je le vis de la façon suivante : un salaire insuffisant au regard de mes études et de mes responsabilités professionnelles ; le fait de ne pas avoir les moyens de scolariser mon fils dans le privé ; deux semaines de vacances seulement pour moi et une colonie de vacances, en partie financée par la ville, pour mon fils ; la perte de la valeur travail et l’absence d’ascenseur social. »

      Michel, un retraité de 69 ans, est en colère : déposé en février 2024, le dossier de retraite de son épouse, atteinte d’une maladie neurologique, est toujours à l’étude. « En attendant, nous sommes confrontés à des problèmes financiers et à des problèmes de santé, mais nous n’avons aucune aide, car l’on considère que l’on gagne trop ! A ce jour, nous ne faisons qu’un repas sur deux, en mangeant des pâtes et des œufs, et encore, pas toujours. Quel plaisir d’avoir cotisé cinquante-deux ans pour en arriver là ! »

      Précarité nouvelle

      Le sentiment de déclassement s’exprime aussi au travers du regard d’autrui. Installée à Nantes, Catherine, bac + 5, est chargée de communication indépendante, avec des revenus autour de 2 500 euros par mois, « sans aucune perspective de progression ». Elle travaille chez elle, réfléchit depuis deux ans à changer sa voiture sans pouvoir franchir le pas, et ses dernières vacances se résument à une semaine à l’été 2023 dans un village éloigné du Limousin. Mais c’est face à sa fille que la conscience de sa précarité nouvelle la taraude le plus. « L’autre jour, elle a voulu que je lui achète un pull à 90 euros, à la mode chez ses copines. J’ai dit non. Elle s’est exclamée : “Mais, maman, on est pauvres ?” »

      Anne, Audrey et Catherine incarnent la fragilisation financière des familles monoparentales, essentiellement des mères célibataires. Un tiers des pensions alimentaires reste impayé, et le taux de pauvreté dans leurs rangs atteint 32,3 %, contre 14,5 % pour l’ensemble de la population, selon des données de la Caisse d’allocations familiales ou de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Faut-il y voir un lien ? Parallèlement, le vote RN a progressé de manière spectaculaire chez les femmes : dix points entre 2019 et 2024, contre trois seulement chez les hommes, indique Ipsos. « Tenant à distance l’héritage viriliste et sexiste de son père, Marine Le Pen se présente comme une femme moderne, mère de famille, divorcée, travaillant, affichant sa “sensibilité à la cause féminine” », rappelait la philosophe Camille Froidevaux-Metterie dans une tribune du Monde du 13 juin.

      Le sentiment de déclassement se voit parfois dans le regard des enfants, mais se mesure toujours par rapport à la génération précédente. « Moins bien que mes parents », déplore Tim, ingénieur dans la fonction publique, quand il parle de l’appartement de 68 mètres carrés qu’il a « difficilement » pu acquérir à Grenoble avec le fruit de son travail. Et il craint que sa propre descendance ne vive la même mésaventure. « Malgré une vie peu dépensière, je peine à épargner et à financer pour mes enfants des études équivalentes à celles que j’ai pu suivre, enchaîne-t-il. En somme, je vis moins bien que mes parents, et la dynamique est à la dégradation. »

      « L’absence de perspectives, la difficulté de dessiner une trajectoire ascendante » font partie des désillusions des classes moyennes, souligne Nicolas Duvoux, sociologue à l’université Paris-VII, qui évoque l’érosion des « possibilités de vie ». Une érosion qui va en s’accentuant, s’inquiète le chercheur. « La précarité sur le marché du travail est devenue la norme, explique-t-il, particulièrement pour les jeunes. Or, la précarité dans l’emploi se traduit par l’impossibilité de construire sa vie de manière durable. Cela ronge le corps social. »

      En vain

      Confrontés à cette précarisation, les jeunes se sentent en outre comme rejetés des villes où ils ont parfois grandi, et souhaiteraient vivre. A 35 ans, Antoine, Bordelais, salarié dans l’associatif, voudrait acheter un 40 mètres carrés dans sa ville : « Impensable avec un smic seul. » Parisiens, Patrick et son épouse, deux enfants, cherchent à s’agrandir. En vain. « Impossible pour nous, couple d’ingénieurs, d’avoir plus de trois pièces. Même les logements sociaux auxquels nous avons droit sont au-dessus de notre budget. Nous voilà moins bien lotis qu’un ouvrier des années 1960 », tranche l’homme de 35 ans. Le problème est encore aggravé dans les régions très touristiques, où les résidences secondaires et autres meublés assèchent le marché pour les locaux, contraints d’aller habiter loin de leur travail – et d’avoir une voiture, qui plombe définitivement le budget.

      Au fond, les classes moyennes « ont une vision ternaire de la société, décrypte le politologue Jérôme Fourquet : « Pour eux, il y a en bas les plus pauvres, les assistés, et au-dessus les riches qui se gavent. Ils ont le sentiment d’être trop riches pour être aidés, trop pauvres pour s’en sortir, et d’être taxés pour financer un modèle social auquel ils n’ont plus accès. Le pacte social implicite, qui est de payer ses impôts mais, en retour, d’en avoir pour son argent, est rompu. »

      Or la gauche, elle, oppose aujourd’hui une vision « binaire », estime M. Fourquet, qui repose sur l’idée du peuple contre les élites – un schéma dans lequel les catégories intermédiaires ne se retrouvent pas : « Le RN, en faisant par exemple de la #voiture un thème politique, a réussi à créer une proximité avec les classes moyennes, qui se sentent enfin prises en compte. »

  • Jordan Bardella, les dessous d’une « politique TikTok »
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/10/jordan-bardella-les-dessous-d-une-politique-tik-tok_6215810_823448.html

    Le président du Rassemblement national cultive sa « marque » à coups de discours flous. Dépassant largement en popularité Marine Le Pen, il commence à s’en émanciper, sous le regard bienveillant de Vincent #Bolloré.
    Par Clément Guillou et Corentin Lesueur

    Difficile de s’imaginer dans une réunion politique. Le tube Bande organisée résonne au Duplex, célèbre boîte de nuit parisienne, pour accompagner l’arrivée de la star du soir, ce samedi 27 janvier, vers 23 heures. Un costume sombre fend une nuée de téléphones tournés vers lui. L’ambiance est festive, rythmée par les textes subversifs des rappeurs marseillais, aux antipodes des valeurs que l’invité principal entend incarner. Des centaines de jeunes endimanchés scandent « Jordan, Jordan ! », rient lorsqu’un amuseur rêve tout haut de « Jordan 2027 » : nous sommes bien au lancement de l’écurie personnelle du président du Rassemblement national (#RN), Les Jeunes avec #Bardella.
    Cela n’est pas qu’une soirée en discothèque. Il faut se figurer la valeur symbolique d’un tel événement dans un mouvement qui entretient le culte du chef et n’a jamais sanctifié qu’un seul nom, celui de Le Pen. Mais Jordan Bardella est porté par un courant puissant : l’opinion. En témoigne son entrée dans le traditionnel baromètre des 50 personnalités préférées des Français, produit par l’IFOP pour Le Journal du dimanche, publié le 2 janvier, où il est le seul homme politique présent. Il s’y classe en 30e position, alors que Marine Le Pen n’y a jamais figuré. Au panthéon du consensus et du conservatisme, dans un palmarès très masculin, se hisse un homme de 28 ans imprégné des idées de la #nouvelle_droite, un courant racialiste de l’#extrême_droite, mais que les Français peinent encore à cerner. Aux yeux d’une majorité d’entre eux, il est encore ce jeune costumé et bien peigné qui s’inscrit dans le sillage de Marine Le Pen (...)
    Un positionnement flou recherché par la tête de liste du RN pour les élections européennes de juin.

    [...]

    Il y a plus concret que les sondages : la justice, avec le procès à venir concernant l’affaire des assistants parlementaires du parti au Parlement européen, où Marine Le Pen risque une peine d’inéligibilité et dans lequel Jordan Bardella n’est pas inquiété, bien que son nom figure au dossier.

    [...]

    Le président du RN ressemble à un produit à la mode. Du premier slogan de sa campagne des européennes, qui ne dit rien sinon une date (« Vivement le 9 juin ! »), le député du Gard Pierre Meurin dit qu’il vise à susciter l’attente d’un événement, « comme la sortie du dernier iPhone ». « Sa personnalité, ce qu’il incarne, fait appel aux mêmes réflexes de consommation. » « Il est devenu une marque, renchérit le sénateur lepéniste Aymeric Durox. Un visage connu dans une époque dépolitisée, une époque du selfie. » En Seine-et-Marne où il est élu, ce dernier dit rencontrer des élus de #droite qui n’attendent plus que la prise du pouvoir du jeune homme pour basculer. Le sénateur se dit que « pour avoir toutes les chances de gagner, il faudrait que Jordan puisse faire le débat d’entre-deux-tours à la place de Marine ».

    https://justpaste.it/fw0sn

    #Hanouna #identitaire

    • « On aurait plus de chances avec Bardella » : les doutes des militants du RN sur Marine Le Pen

      https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/11/on-aurait-plus-de-chances-avec-bardella-les-doutes-des-militants-du-rn-sur-m

      De nombreux membres du parti lepéniste jugent le jeune président du RN mieux placé pour s’imposer lors de la prochaine élection présidentielle, convaincus que Marine Le Pen payera in fine son nom et ses échecs passés.
      Par Clément Guillou et Corentin Lesueur

      En monarchiste convaincue, Geneviève Salvisberg n’a rien contre les dynasties. Mais cette adhérente historique du Rassemblement national (RN), passée par l’Action française dans sa jeunesse, est prête à faire exception avec la famille qui règne depuis un demi-siècle sur son parti. « Marine Le Pen est toujours très appréciée, mais Jordan Bardella est tout simplement extraordinaire, beau gosse et tellement brillant, loue la septuagénaire, suppléante du député de l’Aude Julien Rancoule. Il est assez intelligent pour attendre son tour. Mais pourquoi ne pas le lancer dès 2027 ? »

      Laisser Jordan Bardella représenter l’ex-Front national dès la prochaine #présidentielle à la place de Marine Le Pen ? Beaucoup d’adhérents l’envisagent à trois ans du scrutin roi de la vie politique nationale. Durant le mois de janvier, Le Monde est parti à la rencontre des militants lepénistes lors des cérémonies de vœux de certains députés. A la question d’une éventuelle victoire en 2027, une majorité d’entre eux considérait que le jeune homme offrirait davantage de chances que la triple candidate. Dans un parti aux réflexes légitimistes, et alors que Marine Le Pen a annoncé vouloir représenter le parti dans trois ans, ce fond de l’air bardelliste dans la base militante n’est pas anodin.
      La fille de Jean-Marie Le Pen reste unanimement saluée pour sa résilience et le travail de dédiabolisation du parti. Le « ticket » proposé, avec Jordan Bardella présenté en premier ministre putatif, séduit. Mais les militants n’échappent pas à la dynamique qui, depuis plusieurs mois, porte leur jeune président, bien au-delà des rangs du mouvement d’extrême droite. « Beau », « trop fort à la télé », « il présente et s’exprime bien », « sens de la répartie ».
      Les atouts brandis par les défenseurs de Jordan Bardella se rapportent presque uniquement à ses passages télévisés et à son image « lisse ». Un profil « rassurant » pour rallier à leur cause des électeurs hésitant encore à assumer un vote radical. « Pour les frileux, c’est bien… On sera au pouvoir un jour, mais jamais avec un Le Pen », tranche Gérard Aubenas, électeur lepéniste depuis 1981 et retraité dans la région de Cavaillon (Vaucluse).

      Des punchlines sur les plateaux télé
      Le bardellisme existe jusque dans le bassin minier du Pas-de-Calais, le fief de Marine Le Pen. « Son discours, quand elle était présidente du parti, m’a convaincue. Mais c’est quand Bardella est arrivé que j’ai complètement adhéré », raconte Tatiana Focqueur, 27 ans, qui a troqué sa carte Les Républicains contre celle du RN. « Bardella fait le travail pour enlever cette étiquette de racisme », se réjouit son mari, Sébastien, 47 ans. Qui, lui, se moque bien des étiquettes : il dirige le Black Shadow North, un club de motards associé au Gremium MC, de l’ancien chef du groupe parisien de skinheads #néonazis, Serge Ayoub. Avant de tracter pour le RN, il s’affichait avec cette figure du milieu en 2021, comme l’a documenté le site d’information StreetPress.

      Si certains élus tancent Jordan Bardella pour son absence de ligne idéologique, nombre de militants y voient une force. Une #stratégie, même, pour dissimuler les fondamentaux du RN sous une communication se résumant à quelques #punchlines répétées sur tous les plateaux et relayées sur les réseaux sociaux. « Un homme politique n’a pas à rabâcher ce qu’il pense : on sait très bien ce que défend Jordan puisqu’il représente le parti et son histoire, explique Nathalie, 59 ans, en Seine-et-Marne. Il est jeune, parle bien et dispose d’une bonne gueule : exactement comme Macron en 2017. A l’époque, beaucoup ont voté pour lui sans trop savoir ce qu’il pensait. »

      Se libérer du patronyme Le Pen
      Chez les plus jeunes adhérents frontistes, séduits par ses vidéos sur TikTok ou sa présence sur le plateau de Cyril Hanouna, Jordan Bardella est décrit en figure tutélaire. « Son physique nous influence sans qu’on s’en rende compte, c’est inconscient », avoue Loly Lucas, 19 ans. « J’adhère aux idées de Marine Le Pen mais il y a toujours cette peur vis-à-vis de sa famille, alors que Bardella n’a pas de passé politique », distingue l’étudiante de Montpellier. Alimenté par la malédiction qui collerait à la lignée des Le Pen, l’enthousiasme pour le natif de Drancy (Seine-Saint-Denis) transcende désormais les générations.

      Parmi ceux qui cotisaient déjà sous « Jean-Marie », beaucoup n’y croient plus après trois premiers échecs de sa fille à la présidentielle. « Le nom lui colle toujours à la peau. Macron veut continuer à dire “Front national”, et on comprend pourquoi… », déplore Dominique Caplin, retraité d’un établissement public de gestion de l’eau et néoadhérent gardois. Au-delà du patronyme, d’autres considèrent que Marine Le Pen a péché, lors de ses tentatives infructueuses, dans les domaines qui font justement la réputation de son cadet.
      « On aurait plus de chances avec Bardella. Marine est plus énervée et agressive, elle n’a pas le même sang-froid, tranche Frédéric, un policier de 56 ans. A chaque débat d’entre-deux-tours, elle est mauvaise. » Et, lorsque vient la question de la jeunesse de Jordan Bardella, la réponse est toujours la même : « Et notre nouveau premier ministre, il a quel âge ? »

      Aux vœux de Jordan Bardella, l’ombre de la « #GUD connexion »
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/15/aux-v-ux-de-jordan-bardella-l-ombre-de-la-gud-connexion_6210954_823448.html

      Le président du Rassemblement national a dû s’expliquer lundi sur le maintien de relations d’affaires avec Frédéric Chatillon, ancien patron du Groupe union défense, une organisation étudiante d’extrême droite connue pour son radicalisme et sa violence.

      https://justpaste.it/cnu61

      Le reportage consacré au jeune président du RN sera bien diffusé, même si le parti a déclaré avoir missionné des huissiers pour empêcher la diffusion d’un extrait relatif au compte Twitter anonyme, raciste et homophobe, qu’aurait utilisé Jordan Bardella.

      https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/18/complement-d-enquete-sur-jordan-bardella-france-televisions-maintient-sa-ver

    • Jordan Bardella tente de séduire la droite pour « élargir » la base électorale du Rassemblement national, Clément Guillou
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/09/16/jordan-bardella-tente-de-seduire-la-droite-pour-elargir-la-base-electorale-d

      Alors que Marine Le Pen cible en priorité les classes populaires, le président du parti d’extrême droite s’efforce de séduire les classes moyennes supérieures et les retraités. Une répartition des rôles plus assumée entre eux. Publié le 16 septembre 2023.

      « Il a fait une campagne à l’américaine exemplaire. C’est même un modèle qu’on pourra étudier plus tard à Sciences Po. » Ainsi parlait, en 2007, Jean-Marie Le Pen au sujet de Nicolas Sarkozy, après s’être fait siphonner ses électeurs au premier tour de l’élection présidentielle. Sa fille Marine, directrice de campagne, ne partageait pas son enthousiasme vis-à-vis du personnage, qu’elle « trouvait faux », se souvient l’un des acteurs de la présidentielle 2007 au Front national. L’ancien chef de l’Etat, qui, entre deux actualités judiciaires, distribue les bons et mauvais points à l’occasion de la parution du deuxième tome de ses mémoires (Le Temps des combats, Fayard, 592 pages, 28 euros), est aussi de retour dans les discussions au sein du parti à la flamme.
      Cet été, le député Rassemblement national (RN) du Nord Sébastien Chenu s’est rafraîchi la mémoire en revisionnant La Conquête, le film de Xavier Durringer (2011) retraçant, dit-il, « la meilleure campagne de ces quinze dernières années, [qui] n’était pas une union des droites mais une capacité rare à faire sauter les clivages sociologiques ». Dans une vidéo tournée à l’occasion de la rentrée scolaire, Jordan Bardella laisse traîner, en évidence sur son bureau, le dernier opus sarkozyste.
      Le pavé est au même endroit quelques jours plus tard, quand les caméras de France 3 l’interrogent : « J’avais déjà lu Le Temps des tempêtes [L’Observatoire, 2020] », leur signale le président du mouvement d’extrême droite, qui doit lancer sa campagne pour les élections européennes de juin 2024, samedi 16 septembre, lors des universités d’été du RN, à Beaucaire (Gard).

      Le sillon sarkozyste
      Jordan Bardella avait 11 ans durant la campagne victorieuse de Nicolas Sarkozy. De son propre aveu, son intérêt pour la politique n’était pas tel qu’il puisse en garder un souvenir net. « J’ai admiré le personnage, disait-il toutefois au Monde en février. Il avait la capacité de tout changer, réunissait les classes moyennes, l’ouvrier d’Aubervilliers et le cadre sup de Versailles. Je pense que c’est la clé du pouvoir et qu’on est sur ce chemin-là. Parler, au-delà de la France des oubliés, à la France qui se lève tôt » – un label sarkozyste.

      En ce début de campagne des élections européennes, celui qui sera la tête de liste du RN tente d’emprunter le sillon sarkozyste. M. Bardella encourage ses troupes à « recréer l’UMP [Union pour un mouvement populaire, devenue Les Républicains, LR] », rapporte Le Figaro. Le RN n’a pas l’armée de militants, de cadres locaux et politiques chevronnés qu’avait la formation de droite, lors de l’accession de M. Sarkozy au pouvoir. Mais rien ne l’empêche d’en adopter certains accents.
      Auprès d’un parti qui veut désormais renforcer son implantation chez les classes moyennes supérieures et les #retraités, le candidat Sarkozy exerce une forte attraction, bien que son action à l’Elysée demeure largement rejetée. Dans la bouche de quelques-uns des néodéputés de la vague élue en juin 2022, on entend les comparaisons avec le Rassemblement pour la République (RPR) d’antan, tentative d’extraire le RN du champ des extrêmes auquel son programme fondé sur la préférence nationale et le rejet de l’Union européenne le ramène inexorablement. Le député des Bouches-du-Rhône Franck Allisio, ancien de l’UMP, n’a-t-il pas récupéré la marque RPR pour fonder un mouvement local d’« union des droites » ?

      Dans le duo Marine Le Pen-Jordan Bardella, au sein duquel le rapport hiérarchique est de moins en moins affirmé, c’est au cadet de 28 ans que revient l’incarnation de la jambe la plus droitière ; à Marine Le Pen revient celle d’un national-populisme qui s’adresse à une partie des #classes_populaires. Depuis les violences urbaines du mois de juillet, la double finaliste de l’élection présidentielle a acté le principe d’une répartition des rôles encore plus assumée qu’elle ne l’était. Cela vaut pour la différence de stratégie médiatique – à elle la rareté, à lui l’omniprésence – comme politique – à elle la figure protectrice, à lui celle d’autorité. « Elle considère qu’il touche des gens différents et que c’est à exploiter », explique-t-on dans le premier cercle de Marine Le Pen.

      Clins d’œil à l’électorat de gauche
      La cheffe de file de l’extrême droite a laissé Jordan Bardella bénéficier de l’exposition offerte par Emmanuel Macron, qui l’a convié personnellement, par téléphone, aux « rencontres de Saint-Denis » (Seine-Saint-Denis), le 30 août. A l’issue, les proches du chef de l’Etat ont distillé des propos flatteurs à son endroit, louant son attitude générale et sa préparation – qu’importe qu’il ait, dans sa lettre de propositions au locataire de l’Elysée, confondu défiscalisation et exonération de cotisations patronales. Les mots du camp présidentiel visent à piquer la jalousie de Marine Le Pen, qui ne montre pour l’heure aucun signe d’agacement. Elle a même validé la publication d’une tribune de M. Bardella sur la présence française en Afrique, le 31 août, dans Valeurs actuelles ; elle qui considère pourtant l’international comme son domaine réservé.
      Omniprésent en cette rentrée politique, le jeune homme tente de s’ancrer à droite, même s’il conserve sa matrice populiste qu’il reprend dans Le Figaro, en dépeignant M. Macron comme « politiquement de nulle part ». « Mérite », « autorité », « charges », « taxes »… Celui qui incarne la marque identitaire et sécuritaire du RN s’efforce désormais de reprendre les mots traditionnels du parti Les Républicains. Interrogé sur RTL, le 12 septembre, il aborde ainsi la question des salaires : « Il faut permettre un petit coup de pouce salarial, ce que beaucoup de chefs d’entreprise ne peuvent pas faire compte tenu du niveau de charges délirant dans notre pays. » En février, il avait déjà lancé, depuis un château de la Sarthe, une campagne de communication baptisée « Où passe notre argent ? », dépeignant une France « championne d’Europe des impôts et des taxes ».

      Ce discours est compensé par quelques clins d’œil à l’électorat de gauche, comme la taxation des superprofits énergétiques, la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité et l’opposition à la réforme des retraites. Mais tout va comme si le parti avait acté que sa marge de progression se situe à la droite de l’échiquier politique, et non plus chez les abstentionnistes ou dans la gauche souverainiste, dite « patriote ».
      « Il faut maintenir et élargir notre nouvelle base sociologique née des législatives. Il n’y a plus, dans notre électorat, cet aspect “déclassés” contre “élites”, souligne Pierre-Romain Thionnet, le bras droit de Jordan Bardella. Il ne faut pas laisser dire qu’on est socialistes. » C’est particulièrement vrai à l’aube d’un scrutin européen, en juin 2024, où l’#abstention_différenciée (l’écart de participation entre différents électorats) devrait jouer contre le RN, les classes populaires s’exprimant traditionnellement peu dans ces élections. « Ceux qui aujourd’hui s’intéressent aux européennes sont très politisés et plutôt à droite ; c’est le lectorat du Figaro. Parler aux classes populaires de cette élection en septembre, c’est parler à des gens qui ont bien d’autres préoccupations », explique Jean-Philippe Tanguy, président délégué du groupe RN à l’Assemblée nationale.

      Apprécié par les électeurs d’Eric Zemmour
      Le RN avait déjà revu à la baisse ses ambitions sociales dans son programme présidentiel de 2022, et envoyé plusieurs signaux favorables aux employeurs au long de la première année de la législature. Une évolution peu visible dans son discours, focalisé sur le pouvoir d’achat et l’immigration, et le magma des débats parlementaires.
      Jordan Bardella se positionne pour être celui qui incarne ce RN plus « droitard », un mot que Marine Le Pen prononce avec un dégoût non dissimulé. Dans les enquêtes d’opinion, il est, bien plus qu’elle, très apprécié par les électeurs de droite et d’Eric Zemmour. « Si Jordan n’était que Marine avec les cheveux courts, cela n’aurait que peu d’intérêt », estime Sébastien Chenu, lui-même issu de l’UMP. « Jordan a son espace et doit aller le prendre. L’intérêt est qu’il puisse continuer à élargir notre base électorale. Il nous faut des profils et des sensibilités différents. C’est un de nos défis », reconnaît-il.
      Sauf que, dans le même temps, le président du RN ouvre aussi les bras à Reconquête !, faisant mine de croire à une union de leurs forces pour le scrutin du 9 juin 2024, malgré les supposées différences de nature entre deux visions économiques et sociétales. Et alors même que Marine Le Pen a toujours refusé de se laisser tenter par l’arlésienne de l’« union des droites ».

      Le risque de ces multiples manœuvres est d’écailler franchement le vernis « ni droite ni gauche » que la dirigeante d’extrême droite, à la suite de son père, a patiemment apposé sur le parti à la flamme. Et de se perdre dans la tactique électorale. Alors que l’option « ni droite ni gauche » fut une clé de l’explosion des scores lepénistes après la scission avec Bruno Mégret, en 1999.

      #stratégie_électorale

    • L’enfance de Jordan Bardella à Saint-Denis, du mythe à la réalité
      https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/06/02/l-enfance-de-jordan-bardella-a-saint-denis-du-mythe-a-la-realite_6236866_450

      La tête de liste du Rassemblement national aux européennes du 9 juin a passé une partie de sa jeunesse à Saint-Denis. Parmi ceux qui l’ont côtoyé à l’époque, amis ou camarades du lycée privé où il donnait des cours de français aux migrants, son engagement politique surprend encore.
      https://justpaste.it/ey4jl

      #racisme

  • « Faire du brevet l’examen de l’entrée en seconde, c’est la fin programmée du collège unique », Claude Lelièvre

    Invité à préciser ce qu’il entendait par « libéralisme avancé », le président de la République Valéry Giscard d’Estaing (« VGE ») déclarait, sur RTL, le 20 mai 1975 : « Il y a dans la pensée de gauche des éléments positifs importants dont je compte bien m’inspirer ; ce qui fait que, dans l’action libérale avancée, il y a beaucoup d’idées de gauche qui doivent être mises en œuvre. »

    Quelques-unes d’entre elles ont alors défrayé la chronique : création d’un secrétariat à la condition féminine, loi Veil sur l’IVG, abaissement de l’âge de la majorité à 18 ans, regroupement familial pour les immigrés, collège unique.

    On aurait pu penser qu’avec son antienne du « en même temps », la présidence d’Emmanuel Macron s’inscrirait dans cette filiation. On voit clairement qu’il n’en est rien. La loi Veil sur l’IVG a été adoptée avec l’appui de l’ensemble des députés de gauche le 20 décembre 1974 et une minorité de parlementaires de droite.

    A contrario, la récente loi sur l’immigration a été adoptée avec l’appui de l’ensemble des députés du Rassemblement national. Par ailleurs, Michelle Perrot, la grande spécialiste de l’histoire des femmes, a pu se dire « scandalisée » par les propos d’Emmanuel Macron concernant l’affaire Depardieu.

    Rupture avec la « tradition républicaine »

    La conception du « collège unique » est une version française de l’« école de base » suédoise (sociale-démocrate), de la « comprehensive school » (travailliste), de la « Gesamtschule » (sociale-démocrate). Dans le cadre du « libéralisme avancé », le collège unique a été voulu et porté personnellement par Valéry Giscard d’Estaing, mais a rencontré de nombreuses oppositions, en particulier dans son propre camp politique. Encore en octobre 1991, Alain Juppé (alors secrétaire général du RPR) proclamait qu’il fallait « casser le collège unique ». Mais, dans son livre paru en vue de la campagne présidentielle de 2017, il ne prônait plus que quelques aménagements.

    Marine Le Pen, elle, a proposé dans son programme pour l’élection présidentielle de 2022 une arme de « destruction massive » afin d’en finir avec le collège unique : « Le diplôme national du brevet deviendra un examen d’orientation post-troisième. » L’ex-ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, a repris pour l’essentiel cette prescription en annonçant que le brevet serait désormais une condition nécessaire pour entrer en seconde (générale et/ou technologique ?), ce qu’il n’a jamais été jusque-là. Faire du brevet l’examen de l’entrée en seconde, c’est choisir sans appel que le collège doit être une propédeutique au lycée, et non pas la deuxième phase d’une instruction obligatoire (pour tous).

    C’est la fin programmée du collège unique et de son sens originel initié dans le cadre du libéralisme « avancé ». « VGE » avait été très net, en 2001 : « Le débat doit se concentrer sur cette question : quels savoirs donner à cet ensemble de jeunes qui constituent un acquis culturel commun ? On n’a guère avancé depuis vingt-cinq ans. Au lieu d’avoir rabattu tout l’enseignement des collèges vers l’enseignement général, les rapprochant des classes de la 6e à la 3e des lycées d’autrefois, en un peu dégradé, il aurait mieux valu en faire une nouvelle étape de la construction du cycle scolaire. »

    Le renoncement aux ambitions portées par le libéralisme « avancé » dans certains domaines peut parfois aller plus loin et rompre non seulement avec le « libéralisme avancé » mais même avec la simple « tradition républicaine ». On peut en prendre pour exemple significatif la volonté réitérée constamment ces derniers mois par l’ex-ministre de l’éducation nationale d’aller vers une forte « labellisation » ministérielle des manuels scolaires.

    Le choix des manuels scolaires, question vive

    La question du choix des manuels scolaires a été une question vive lors de l’instauration de l’école républicaine et laïque, sous la IIIe République. Le 6 novembre 1879, le directeur de l’enseignement primaire, Ferdinand Buisson, dans une note adressée à Jules Ferry, indique qu’« il y aurait de graves inconvénients à imposer aux maîtres leurs instruments d’enseignement » et qu’« il n’y en a aucun à leur laisser librement indiquer ce qu’ils préfèrent ».

    En conséquence, Jules Ferry signe, le 16 juin 1880, un arrêté qui fait largement appel au concours des maîtres et il souligne que « cet examen en commun deviendra un des moyens les plus efficaces pour accoutumer les enseignants à prendre eux-mêmes l’initiative, la responsabilité et la direction des réformes dont leur enseignement est susceptible ». Le 13 octobre 1881, une circulaire établit, pour les professeurs de collèges et lycées, des réunions mensuelles en leur confiant le choix des livres de classe.

    L’école républicaine instituée sous la IIIe République s’est ainsi distinguée nettement de ce qui l’a précédée et de ce qui l’a suivie dans ce domaine. Par exemple, François Guizot, ministre de l’instruction publique en 1833, a fait paraître des manuels scolaires officiels dans les cinq matières principales de l’école primaire. Et, dès l’arrivée de Philippe Pétain au pouvoir, un décret du 21 août 1940 a mis un terme à l’attitude libérale qui avait prévalu : ce décret ne traite plus de la liste « des livres propres à être mis en usage » mais de celle « des livres dont l’usage est exclusivement autorisé ».

    A la Libération, le 9 août 1944, une ordonnance annule « tous les actes relatifs à l’interdiction de livres scolaires ou instituant des commissions à l’effet d’interdire certains livres ».

    En miroir, on peut rappeler la réponse du ministre de l’éducation nationale Alain Savary à une question écrite de parlementaires en avril 1984 à propos d’un manuel incriminé : « Le ministre ne dispose pas du pouvoir d’injonction lui permettant de faire retirer ni même de faire amender un ouvrage. Il n’exerce aucun contrôle a priori sur le contenu des manuels scolaires et il n’a pas l’intention de modifier la politique traditionnellement suivie à cet égard. Il n’existe pas de manuels officiels, pas plus qu’il n’existe de manuels recommandés ou agréés par le ministère de l’éducation nationale. Il y a eu dans le passé des tentatives allant dans ce sens, avec risques de censure. »

    Oui, dans bien des domaines, on est désormais loin de l’horizon d’un certain libéralisme « avancé » qui se voulait « moderniste » : ce qui se profile, c’est presque sans fard un libéralisme « d’attardés » plus ou moins assumé.

    Claude Lelièvre est l’auteur de L’Ecole d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire (Odile Jacob, 2021).

    https://www.lemonde.fr/education/article/2024/01/16/faire-du-brevet-l-examen-de-l-entree-en-seconde-c-est-la-fin-programmee-du-c

    #école #BEPC #collège

    • « Si le récit égalitaire perdure, l’Etat organise une forme d’optimisation scolaire », Laurent Frajerman
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/si-le-recit-egalitaire-perdure-l-etat-organise-une-forme-d-optimisation-scol

      L’ancien ministre Gabriel Attal avait annoncé, en novembre 2023, avant sa nomination comme premier ministre le 9 janvier, un important train de mesures pour réformer l’éducation nationale, incluant d’aborder la « question du tabou du #redoublement » et de créer des #groupes_de_niveau au collège. Au regard des enquêtes internationales, personne ne conteste plus la baisse du niveau des #élèves français, même de ceux qui figurent parmi les meilleurs.

      L’ex-ministre en avait conclu que l’#enseignement doit se montrer plus exigeant, ce qui correspond à un sentiment très majoritaire. Outre les menaces qu’elles font peser sur la liberté pédagogique, on peut douter que les mesures soient à la hauteur de l’enjeu. Toutefois, ces critiques ne peuvent dissimuler que cela fait plus de dix ans que la dynamique positive qui a démocratisé l’école française a disparu. La panne du modèle actuel, miné par la #ségrégation_sociale et des cures d’#austérité à répétition, impose des changements. Tout l’enjeu étant de savoir si c’est pour revenir aux années 1950 ou pour relancer sa démocratisation.

      Les politiques éducatives menées depuis le général de Gaulle œuvraient pour la scolarisation de tous les élèves du même âge dans une structure identique, dans l’objectif de leur délivrer le même enseignement. En conséquence, les classes ont été marquées par une hétérogénéité croissante, avec son corollaire : une baisse d’exigence, afin de faciliter l’accès de tous les élèves aux anciennes filières élitistes.

      Avec succès, puisque l’#accès_aux_études a été considérablement élargi. Cela s’accompagne du passage presque automatique en classe supérieure. A la fin des années 1960, le redoublement constituait la règle : un tiers des élèves redoublait la classe de CP, contre 1,3 % aujourd’hui. En 2021, seulement 12 % des élèves arrivaient en seconde avec du retard. Devenu résiduel, le redoublement a changé de nature, ne concernant plus que des élèves en forte difficulté, qu’elle soit structurelle ou conjoncturelle.

      Classes moyennes supérieures

      Les enseignants affichent leur scepticisme. Ils ne considèrent pas le redoublement comme une recette miracle, car il peut générer ennui et découragement. Toutefois, ils se trouvent démunis devant l’écart grandissant entre les meilleurs élèves, qu’il faut stimuler, et ceux qui cumulent les difficultés de compréhension. Ils constatent que plus les années de scolarité passent, plus l’échec s’enkyste, moins la notion de travail scolaire ne revêt de sens, générant quelquefois une attitude perturbatrice.

      Gabriel Attal en a tiré d’ailleurs argument pour dénoncer l’absurdité de cette situation et la souffrance qu’elle génère pour les élèves. Nombre d’enseignants vivent une situation d’autant plus ingérable que, paradoxalement, si l’affichage est homogène, le rêve de l’école commune s’éloigne.

      Jusque-là, la sociologie de l’éducation dénonçait les limites de cette politique de massification. Les inégalités sociales étant structurelles, le système est d’abord soumis aux effets de la #ségrégation-spatiale. Quoi de commun entre un collège en éducation prioritaire et un autre situé en centre-ville d’une métropole ?

      Quatre types d’école cohabitent, donc : l’#école_publique normale, celle en #éducation_prioritaire, l’école publique élitiste, et l’#école_privée. Aujourd’hui, avec le développement d’un #marché_scolaire, nous vivons une nouvelle phase. L’Etat aggrave la fracture existante en créant des établissements dérogatoires et de nouvelles #filières_élitistes sélectionnant par les langues, critère socialement discriminant. Pire, il subventionne massivement sa propre concurrence, l’enseignement privé.

      Le privé accueille de plus en plus d’élèves des milieux favorisés, au détriment de la mixité sociale. Les difficultés se concentrent alors dans l’école publique « normale ». Seule à supporter réellement les contraintes de la démocratisation, celle-ci n’en est que plus répulsive pour les classes moyennes et supérieures, générant un terrible cercle vicieux. Si le récit égalitaire perdure, l’Etat organise en réalité une forme d’#optimisation_scolaire au détriment de ceux qui n’ont pas d’échappatoire.

      Depuis une quinzaine d’années, les enquêtes internationales nous alertent sur l’aggravation du poids des #inégalités_sociales dans les résultats scolaires. Ce constat est dissimulé par l’invisibilisation de la #compétition. D’un côté, les notes ont été remplacées par les compétences, de l’autre, elles connaissent une inflation qui, malheureusement, ne reflète pas une hausse du niveau réel. En 2022, 59 % des bacheliers ont obtenu une mention. Ils étaient moins de 25 % en 1997… Le flou qui en résulte bénéficie aux familles les plus informées sur la règle du jeu, ou capables de payer coachs et cours particuliers.

      Politique éducative « discount »

      Le second vice de fabrication de la démocratisation scolaire est son caractère « discount ». Par exemple, l’argent économisé par la quasi-suppression du redoublement n’a guère été réinvesti dans des dispositifs permettant d’épauler les élèves en difficulté. Autrefois, les enseignants encadraient les élèves dans leurs exercices et l’apprentissage du cours en dehors des heures de classe. Aujourd’hui, ce type de travail est généralement confié à des étudiants bénévoles ou à des animateurs ou surveillants peu qualifiés. Même dans le dispositif « Devoirs faits » en collège, la présence d’enseignants est optionnelle.

      De nombreux choix proviennent de la #rationalisation_budgétaire : chasse aux options, suppression progressive des dédoublements de classe. Par exemple, en 2010, un élève de 1re L avait obligatoirement six heures de cours en demi-groupe (en français, langues, éducation civique, mathématiques et sciences). Aujourd’hui, les établissements ont toujours la latitude de créer de tels groupes, mais en prenant dans une enveloppe globale qui se réduit d’année en année et sans qu’un nombre maximum d’élèves ne soit prévu.
      Le pouvoir d’achat des #enseignants a baissé d’environ 20 %, source d’économie massive sur les salaires. Les effets commencent seulement à en être perçus : crise du recrutement, hausse exponentielle des démissions et professeurs en place démotivés par le déclassement de leur métier. Les promoteurs de cette politique leur préfèrent des enseignants précaires et sous-qualifiés, sommés de suivre les injonctions pédagogiques du moment. Remarquons que ces #contractuels sont nettement plus nombreux dans les établissements difficiles de l’enseignement public…

      Depuis 2002, les gouvernements de droite et de centre droit suppriment des postes d’enseignant. Malgré le redressement opéré sous François Hollande, le solde reste négatif, avec moins 36 500 postes. Le second degré a été particulièrement affecté, avec un solde de moins 54 700 postes, au nom de la priorité au primaire. Un maillon essentiel de la chaîne éducative a donc été fragilisé, alors que c’est le lieu de maturation des contradictions du système. Quel sens cela a-t-il d’habituer un élève de REP + à des classes de quinze élèves pour, devenu adolescent, le mettre dans une classe de vingt-cinq au collège ? Ces politiques de ciblage, censées produire des résultats visibles à un moindre coût, créent souvent inégalités et incohérences.

      Aujourd’hui, la France dépense 1 point de moins du PIB pour l’éducation qu’en 1995. Si on appliquait aujourd’hui les ratios en usage à l’époque, le budget consacré à l’avenir du pays augmenterait de 24 milliards d’euros, dont 15,5 milliards d’euros dépensés par l’Etat. Ce sous-investissement chronique se paie par la crise de notre #système_scolaire. Un débat sans arguments d’autorité s’impose donc, sous peine que les idéaux généreux et les politiques cyniques aboutissent définitivement à une école à plusieurs vitesses, dans laquelle les #classes_populaires seront assignées à un enseignement public dégradé.

      Laurent Fajermann est professeur agrégé d’histoire au lycée Lamartine, sociologue, chercheur associé au Centre de recherches sur les liens sociaux, du CNRS

    • Philippe Mangeot (philippe.duke ) sur Instagram :

      Lecture effarée du rapport de l’enquête administrative de l’Inspection générale sur le collège Stanislas, que publie dans son intégralité @mediapart. Toutes les informations qui circulaient sur les pratiques de cet établissement privé sous contrat sont corroborées et objectivées : contournement de la loi et de Parcoursup, pédagogie brutale et assumée comme telle, programmes non respectés, enseignement sexiste et homophobe..

      À ce stade, le scandale n’est pas seulement que la ministre de l’Éducation nationale ait choisi d’y inscrire ses enfants, contournant l’enseignement public au profit d’une école privée où se cultive l’entre-soi. Il est que le ministère dirigé à l’époque par Gabriel Attal a mis ce rapport sous le boisseau depuis qu’il lui a été rendu en juillet dernier, refusant de le rendre public.

      Mais il est également que cette institution privée, qui viole en toute impunité le contrat qui la lie à l’État, est mieux dotée, sur fonds publics, que la quasi-totalité des établissements scolaires publics de Paris, comme l’a révélé en janvier dernier une enquête de @lemondefr. L’argent public favorise Stanislas, c’est-à-dire les familles les plus fortunées : les « trois petits garçons » de Madame Oudéa-Castéra ont coûté plus cher à l’État.que les élèves du public.

      L’anagramme de Stanislas dit une vérité : la complaïisäncé : des pouvoirs publics à l’égard d’un établissement qui devrait n’avoir aucune place dans « l’École de la République », comme dit la ministre, nous salit tous et toutes.

  • « En sociologie, la prise en compte du ressenti peut aider à identifier les inégalités les plus critiques », Nicolas Duvoux
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/20/en-sociologie-la-prise-en-compte-du-ressenti-peut-aider-a-identifier-les-ine

    La sociologie ne peut prétendre à la neutralité, puisqu’elle est une science étudiant la société au sein de laquelle elle émerge. Elle est prise dans les divisions et conflits sociaux, elle met au jour des formes de contrainte et de domination auxquelles elle ne peut rester indifférente. De quel côté penchons-nous ?, demandait à ses pairs le sociologue américain Howard Becker, dans un texte majeur (« Whose Side Are We on ? », Social Problems, 1967). Cependant, cette discipline n’a pas vocation à se substituer à la politique et aux choix collectifs qui relèvent du débat public. La contribution qu’elle peut apporter est de formuler un diagnostic aussi précis que possible sur les dynamiques sociales et la différenciation de leurs effets selon les groupes sociaux.

    L’inflation et la hausse des prix alimentaires très forte depuis l’année 2022 affectent beaucoup plus durement les ménages modestes. Ceux-ci consacrent en effet une part plus importante de leurs revenus à ce poste de consommation. Le relever revient à formuler un constat objectif. De même, la hausse des taux d’intérêt immobiliers exclut davantage de l’accès à la propriété les ménages sans apport (plutôt jeunes et de milieux populaires) que les autres. Il y va ainsi des évolutions de courte durée, mais aussi de celles de longue durée : le chômage touche plus fortement les moins qualifiés, les ouvriers et employés, même s’il n’épargne pas les cadres, notamment vieillissants ; la pauvreté touche davantage les jeunes, même si elle n’épargne pas les retraités.
    Formuler un diagnostic suppose d’éviter deux écueils qui se répondent et saturent un débat public fait d’oppositions, voire de polarisation, au détriment d’une compréhension de l’état de la société. La littérature du XIXe siècle – comme les sciences sociales avec lesquelles elle a alors partie liée – a souvent oscillé entre d’un côté une représentation misérabiliste du peuple, en soulignant la proximité des classes laborieuses et des classes dangereuses, et de l’autre une vision populiste qui exalte les vertus des classes populaires. Claude Grignon et Jean-Claude Passeron l’ont montré dans un livre qui a fait date (Le Savant et le Populaire, Gallimard, 1989). De la même manière, le débat public semble aujourd’hui osciller entre un optimisme propre aux populations favorisées économiquement et un catastrophisme des élites culturelles.

    Cruel paradoxe

    Pouvoir envisager l’avenir de manière conquérante vous place du côté des classes aisées ou en ascension. Cette thèse a un enjeu politique évident : le rapport subjectif à l’avenir nous informe sur la position sociale occupée par un individu et non sur sa représentation de la société. Pour ne prendre qu’un exemple, sur la fracture entre les groupes d’âge, on n’est guère surpris qu’en pleine période inflationniste le regain de confiance en son avenir individuel soit le privilège quasi exclusif [d’un %] des seniors. Il faut être déjà âgé pour penser que l’on a un avenir, cruel paradoxe d’une société qui fait porter à sa jeunesse le poids de la pauvreté et de la précarité de l’emploi, au risque de susciter une révolte de masse.
    Peut-être est-ce un signe de l’intensité des tensions sociales, nombre d’essais soulignent le décalage entre la réalité d’une société où les inégalités sont relativement contenues et le pessimisme de la population. Les dépenses de protection sociale sont parmi les plus élevées du monde, sinon les plus élevées. En conséquence de ces dépenses, les Français jouissent d’un niveau d’éducation, d’égalité et d’une sécurité sociale presque sans équivalent. Ces faits sont avérés.

    Mais le diagnostic ne se borne pas à ce rappel : les données objectives qui dressent le portrait d’une France en « paradis » sont, dans un second temps, confrontées à l’enfer du « ressenti », du mal-être, du pessimisme radical exprimé par les Français, souvent dans des sondages. Ainsi, dans « L’état de la France vu par les Français 2023 » de l’institut Ipsos, il apparaît que « 70 % des Français se déclarent pessimistes quant à l’avenir de la France ». Les tenants de la vision « optimiste », qui se fondent sur une critique du ressenti, tendent à disqualifier les revendications de redistribution et d’égalité.

    Or l’écart entre le « ressenti » et la réalité objective des inégalités peut être interprété de manière moins triviale et surtout moins conservatrice. Cet écart peut être travaillé et mis au service d’un diagnostic affiné de la situation sociale, un diagnostic qui conserve l’objectivité de la mesure tout en se rapprochant du ressenti.

    Une autre mesure de la pauvreté

    La notion de « dépenses contraintes » en porte la marque : ce sont les dépenses préengagées, qui plombent les capacités d’arbitrage des ménages, notamment populaires, du fait de la charge du logement. Entre 2001 et 2017, ces dépenses préengagées occupent une part croissante du budget, passant de 27 % à 32 %, selon France Stratégie. « Le poids des dépenses préengagées dans la dépense totale dépend d’abord du niveau de vie. Il est plus lourd dans la dépense totale des ménages pauvres que dans celle des ménages aisés, et l’écart a beaucoup augmenté entre 2001 (6 points d’écart) et 2017 (13 points d’écart). »
    Cette évolution et le renforcement des écarts placent de nombreux ménages – même s’ils ne sont pas statistiquement pauvres – en difficulté. La volonté de rapprocher « mesure objective » et « ressenti » permet de prendre une tout autre mesure de la pauvreté, qui double si l’on prend en compte le niveau de vie « arbitrable » , soit le revenu disponible après prise en compte des dépenses préengagées.

    De ce point de vue, l’équivalent du taux de pauvreté, c’est-à-dire la part des personnes dont le revenu arbitrable par unité de consommation est inférieur à 60 % du niveau de vie arbitrable médian, s’établissait à 23 % en 2011, selon des travaux réalisés par Michèle Lelièvre et Nathan Rémila pour la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Ce chiffre atteint même 27 % si l’on prend en compte les dépenses peu compressibles, comme l’alimentation. Comparativement, le taux de pauvreté tel qu’on le définit traditionnellement se fixait en 2011 à 14,3 %. L’augmentation de la fréquentation des structures d’aide alimentaire témoigne des difficultés croissantes d’une part conséquente de la population.

    Le parti du catastrophisme

    L’optimisme empêche de penser les réalités dans toute leur violence et d’identifier les remèdes qui conviennent le mieux à ces maux. Le catastrophisme doit également être évité. Il a tendance à accuser exclusivement les super-riches dans la genèse des maux sociaux, en mettant en avant une explosion des inégalités démentie par les faits, si l’on exclut le patrimoine et la forte augmentation de la pauvreté dans la période post-Covid-19. En prenant le parti du catastrophisme, la sociologie, et avec elle la société, s’exonérerait d’un travail de fond.
    Un certain nombre de points soulignés par ceux qui critiquent le pessimisme restent vrais. La société française a connu une relative mais réelle démocratisation de l’accès à des positions privilégiées. Les postes d’encadrement n’ont cessé d’augmenter en proportion de la structure des emplois, une partie non négligeable de la population – y compris au sein des catégories populaires – a pu avoir accès à la propriété de sa résidence principale, a pu bénéficier ou anticipe une augmentation de son patrimoine. Les discours sur la précarisation ou l’appauvrissement généralisés masquent la pénalité spécifique subie par les groupes (jeunes, non ou peu qualifiés, membres des minorités discriminées, femmes soumises à des temps partiels subis, familles monoparentales) qui sont les plus affectés et qui servent, de fait, de variable d’ajustement au monde économique. Le catastrophisme ignore ou feint d’ignorer les ressources que les classes moyennes tirent du système éducatif public par exemple.

    Le catastrophisme nourrit, comme l’optimisme, une vision du monde social homogène, inapte à saisir les inégalités les plus critiques et les points de tension les plus saillants, ceux-là mêmes sur lesquels il faudrait, en priorité, porter l’action. La prise en compte du ressenti peut aider à les identifier et à guider le débat et les décideurs publics, à condition de ne pas entretenir de confusion sur le statut des informations produites, qui ne se substituent pas aux mesures objectives, mais peuvent aider à les rapprocher du sens vécu par les populations et ainsi à faire de la science un instrument de l’action.

    Nicolas Duvoux est professeur de sociologie à l’université Paris-VIII, auteur de L’Avenir confisqué. Inégalités de temps vécu, classes sociales et patrimoine (PUF, 272 pages, 23 euros).

    voir cette lecture des ressorts du vote populaire RN depuis les années 2000
    https://seenthis.net/messages/1027569

    #sociologie #inflation #alimentation #aide_alimentaire #dépenses_contraintes #revenu_arbitrable #revenu #pauvreté #chômage #jeunesse #femmes #mères_isolées #précarité #taux_de_pauvreté #patrimoine #inégalités #riches #classes_populaires

    • « Les inégalités sont perçues comme une agression, une forme de mépris », François Dubet - Propos recueillis par Gérard Courtois, publié le 12 mars 2019
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/12/francois-dubet-les-inegalites-sont-percues-comme-une-agression-une-forme-de-

      Entretien. Le sociologue François Dubet, professeur émérite à l’université Bordeaux-II et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), vient de publier Le Temps des passions tristes. Inégalités et populisme (Seuil, 112 p., 11,80 €).

      Reprenant l’expression de Spinoza, vous estimez que la société est dominée par les « passions tristes ». Quelles sont-elles et comment se sont-elles imposées ?

      Comme beaucoup, je suis sensible à un air du temps porté sur la dénonciation, la haine, le #ressentiment, le sentiment d’être méprisé et la capacité de mépriser à son tour. Ce ne sont pas là seulement des #émotions personnelles : il s’agit aussi d’un #style_politique qui semble se répandre un peu partout. On peut sans doute expliquer ce climat dangereux de plusieurs manières, mais il me semble que la question des #inégalités y joue un rôle essentiel.

      Voulez-vous parler du creusement des inégalités ?

      Bien sûr. On observe une croissance des inégalités sociales, notamment une envolée des hyper riches qui pose des problèmes de maîtrise économique et fiscale essentiels. Mais je ne pense pas que l’ampleur des inégalités explique tout : je fais plutôt l’hypothèse que l’expérience des inégalités a profondément changé de nature. Pour le dire vite, tant que nous vivions dans une société industrielle relativement intégrée, les inégalités semblaient structurées par les #classes sociales : celles-ci offraient une représentation stable des inégalités, elles forgeaient des identités collectives et elles aspiraient à une réduction des écarts entre les classes [et, gare à la revanche ! à leur suppression]– c’est ce qu’on appelait le progrès social. Ce système organisait aussi les mouvements sociaux et plus encore la vie politique : la #gauche et la #droite représentaient grossièrement les classes sociales.

      Aujourd’hui, avec les mutations du capitalisme, les inégalités se transforment et se multiplient : chacun de nous est traversé par plusieurs inégalités qui ne se recouvrent pas forcément. Nous sommes inégaux « en tant que » – salariés ou précaires, diplômés ou non diplômés, femmes ou hommes, vivant en ville ou ailleurs, seul ou en famille, en fonction de nos origines… Alors que les plus riches et les plus pauvres concentrent et agrègent toutes les inégalités, la plupart des individus articulent des inégalités plus ou moins cohérentes et convergentes. Le thème de l’#exploitation de classe cède d’ailleurs progressivement le pas devant celui des #discriminations, qui ciblent des inégalités spécifiques.

      Pourquoi les inégalités multiples et individualisées sont-elles vécues plus difficilement que les inégalités de classes ?

      Dans les inégalités de classes, l’appartenance collective protégeait les individus d’un sentiment de mépris et leur donnait même une forme de fierté. Mais, surtout, ces inégalités étaient politiquement représentées autour d’un conflit social et de multiples organisations et mouvements sociaux. Dans une certaine mesure, aussi injustes soient-elles, ces inégalités ne menaçaient pas la dignité des individus. Mais quand les inégalités se multiplient et s’individualisent, quand elles cessent d’être politiquement interprétées et représentées, elles mettent en cause les individus eux-mêmes : ils se sentent abandonnés et méprisés de mille manières – par le prince, bien sûr, par les médias, évidemment, mais aussi par le regard des autres.

      Ce n’est donc pas simplement l’ampleur des inégalités sociales qui aurait changé, mais leur nature et leur perception ?
      Les inégalités multiples et individualisées deviennent une expérience intime qui est souvent vécue comme une remise en cause de soi, de sa valeur et de son identité : elles sont perçues comme une agression, une forme de #mépris. Dans une société qui fait de l’#égalité_des_chances et de l’#autonomie_individuelles ses valeurs cardinales, elles peuvent être vécues comme des échecs scolaires, professionnels, familiaux, dont on peut se sentir plus ou moins responsable.

      Dans ce régime des inégalités multiples, nous sommes conduits à nous comparer au plus près de nous, dans la consommation, le système scolaire, l’accès aux services… Ces jeux de comparaison invitent alors à accuser les plus riches, bien sûr, mais aussi les plus pauvres ou les étrangers qui « abuseraient » des aides sociales et ne « mériteraient » pas l’égalité. L’électorat de Donald Trump et de quelques autres ne pense pas autre chose.

      Internet favorise, dites-vous, ces passions tristes. De quelle manière ?

      Parce qu’Internet élargit l’accès à la parole publique, il constitue un progrès démocratique. Mais Internet transforme chacun d’entre nous en un mouvement social, qui est capable de témoigner pour lui-même de ses souffrances et de ses colères. Alors que les syndicats et les mouvements sociaux « refroidissaient » les colères pour les transformer en actions collectives organisées, #Internet abolit ces médiations. Les émotions et les opinions deviennent directement publiques : les colères, les solidarités, les haines et les paranoïas se déploient de la même manière. Les #indignations peuvent donc rester des indignations et ne jamais se transformer en revendications et en programmes politiques.

      La démultiplication des inégalités devrait renforcer les partis favorables à l’égalité sociale, qui sont historiquement les partis de gauche. Or, en France comme ailleurs, ce sont les populismes qui ont le vent en poupe. Comment expliquez-vous ce « transfert » ?

      La force de ce qu’on appelle les populismes consiste à construire des « banques de colères », agrégeant des problèmes et des expériences multiples derrière un appel nostalgique au #peuple unique, aux travailleurs, à la nation et à la souveraineté démocratique. Chacun peut y retrouver ses indignations. Mais il y a loin de cette capacité symbolique à une offre politique, car, une fois débarrassé de « l’oligarchie », le peuple n’est ni composé d’égaux ni dénué de conflits. D’ailleurs, aujourd’hui, les politiques populistes se déploient sur tout l’éventail des politiques économiques.

      Vous avez terminé « Le Temps des passions tristes » au moment où émergeait le mouvement des « gilets jaunes ». En quoi confirme-t-il ou modifie-t-il votre analyse ?

      Si j’ai anticipé la tonalité de ce mouvement, je n’en avais prévu ni la forme ni la durée. Il montre, pour l’essentiel, que les inégalités multiples engendrent une somme de colères individuelles et de sentiments de mépris qui ne trouvent pas d’expression #politique homogène, en dépit de beaucoup de démagogie. Dire que les « gilets jaunes » sont une nouvelle classe sociale ou qu’ils sont le peuple à eux tout seuls ne nous aide guère. Il faudra du temps, en France et ailleurs, pour qu’une offre idéologique et politique réponde à ces demandes de justice dispersées. Il faudra aussi beaucoup de courage et de constance pour comprendre les passions tristes sans se laisser envahir par elles.

      #populisme

  • La figure de l’étranger, ce repoussoir imaginaire : comment le vote RN a évolué
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/17/la-figure-de-l-etranger-ce-repoussoir-imaginaire_6200771_3232.html


    SERGIO AQUINDO

    (...) A partir des scrutins législatif et présidentiel de 2002, les métropoles et les banlieues à forte diversité qui, dans les années 1980, avaient fait le succès du Front national, se détournent peu à peu de l’extrême droite. Au second tour de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen, qui remporte 33,9 % des suffrages au niveau national, n’en rassemble que 19,68 % dans le Val-de-Marne, 14,35 % dans les Hauts-de-Seine et 21,18 % en Seine-Saint-Denis – trois départements qui comptent une proportion d’immigrés deux, voire trois fois plus élevée que la moyenne nationale de l’époque.

    (...) Si le RN, à partir des années 2000, perd du terrain dans les métropoles et les banlieues métissées qui constituaient auparavant ses bastions, il conquiert peu à peu des territoires ruraux et périurbains au profil radicalement différent. Au second tour de la présidentielle de 2022, Marine Le Pen, qui recueille 41,45 % des voix au niveau national, obtient ainsi ses plus beaux scores (plus de 50 %) dans les villages de moins de 2 000 habitants, où les étrangers sont rares – moins de 5 % de la population. (...)

    Comment, dans un paysage où l’immigration est aussi lointaine, voire absente, comprendre le triomphe du RN ? Pourquoi les électeurs de cette France rurale et périurbaine qui accueille très peu d’étrangers votent-ils massivement pour un parti qui, même s’il privilégie aujourd’hui un discours social, continue à dénoncer haut et fort les ravages de l’immigration ? La théorie du contact, qui suppose des échanges fréquents entre les communautés, ne fournit, en l’espèce, aucune clé d’explication. Plus pertinente paraît la théorie de la menace – à condition de retenir son versant non pas « réaliste » mais « symbolique ».

    Pour la politiste Nonna Mayer, l’hostilité peut en effet reposer sur des mécanismes imaginaires. « Il n’est nul besoin de vivre avec ou près des étrangers pour en avoir peur ou de connaître des juifs pour être antisémite, rappelle l’autrice de Ces Français qui votent Le Pen (Flammarion, 2002). En France comme ailleurs, il y a un antisémitisme sans juifs comme il y a un vote d’extrême droite sans immigrés. Parce que l’imaginaire se nourrit de ce que l’on ne connaît pas, l’absence de contacts favorise parfois une vision fantasmée de l’étranger : il incarne alors une menace, non pas réelle, mais symbolique. »

    Selon les chercheurs qui travaillent sur les zones rurales et périurbaines conquises par l’extrême droite, cette menace « symbolique » hante le discours des électeurs du RN. « Les immigrés, même absents, constituent des figures repoussoirs qui permettent de montrer, par contraste, que l’on est un travailleur méritant et respectable, analyse Nonna Mayer. Les salariés modestes qui ont réussi, grâce à leurs efforts, à acquérir une petite position sociale rejettent à la fois les classes supérieures, dont les valeurs culturelles sont très éloignées des leurs, et les immigrés, assimilés aux “assistés” et aux “cas sociaux”, qu’ils considèrent comme des parasites. »

    Hantise du déclassement

    Pour le sociologue Olivier Schwartz, cette vision du monde renvoie à une conscience sociale qu’il qualifie de « triangulaire ». A l’opposition classique entre le « eux » des possédants et le « nous » des ouvriers analysée dans les années 1950 par le sociologue Richard Hoggart, Olivier Schwartz ajoute un troisième terme : le « bas ». Hantées par le spectre du déclassement, les classes populaires et moyennes cherchent à se distinguer des « assistés » qui profitent indûment du système. Accusés de vivre des allocations, de la délinquance et des trafics, les immigrés incarnent l’un des visages de ce « bas » de la hiérarchie sociale – qu’ils vivent ou non dans le même quartier qu’eux.

    Les succès de l’extrême droite dans le monde rural et périurbain sont fondés, analyse le géographe Jean Rivière, sur cette « quête de respectabilité ». « Ce qui est important, pour comprendre le vote RN, ce n’est pas la proximité, ou non, avec l’immigration mais l’image que les groupes se font les uns des autres, explique-t-il. Ces classes populaires blanches, qui ont accédé à la propriété et qui travaillent dans de petites entreprises, résident à côté d’artisans, de petits patrons et de petits indépendants. Dans ces mondes sociaux qui opposent sans cesse la respectabilité acquise par le travail à l’immoralité de l’assistanat, les immigrés sont vus comme les figures emblématiques de la paresse. »

    [...]
    Les travaux ethnographiques réalisés dans les espaces ruraux ou périurbains confortent cette lecture du vote RN. Pour la sociologue Violaine Girard, l’accès à la propriété, au sein des classes populaires « établies » qu’elle a étudiées dans une commune rurale de la grande région lyonnaise, est un « élément de distinction » par rapport aux habitants des HLM. « Ce qui se joue dans l’achat d’un pavillon, c’est l’accès à la respectabilité sociale, précise l’autrice de l’ouvrage Le Vote FN au village (Le Croquant, 2017). Vivre dans un lotissement, c’est un signe de réussite professionnelle, conjugale et familiale. »

    Souvent associé au vote RN, qui est aujourd’hui motivé par des préoccupations essentiellement sociales, ce souci de se démarquer du « bas » de la hiérarchie ne s’accompagne pas forcément de discours xénophobes. « Certains rejettent ouvertement les immigrés et leurs descendants – et les plus âgés font parfois des blagues racistes, poursuit Violaine Girard. Mais les discours de stigmatisation qui visent les #étrangers, les #chômeurs et les #intérimaires sont surtout fondés sur le statut social. Cette hostilité sert à créer une frontière symbolique entre la sociabilité paisible des mondes ruraux et le mode de vie jugé déviant des résidents des quartiers d’habitat social. »

    « Une forme d’honorabilité »

    Pour le sociologue Benoît Coquard, qui travaille sur les zones rurales en déclin du Grand-Est, cette conscience sociale « triangulaire » est une manière, pour les électeurs du RN, d’affirmer leur appartenance au monde des « gens bien ». « Sur le plan social, les jeunes immigrés des cités sont les homologues de classe des jeunes des villages mais ils sont classés à l’autre bout du spectre, parmi les fainéants et les chômeurs, explique l’auteur de Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin (La Découverte, 2019). Le vote RN garantit aux jeunes des villages qu’il y a pire qu’eux : il les définit de manière positive et il leur assure une forme d’honorabilité. »

    Plus qu’un programme, plus que des candidats, plus qu’un projet politique, ajoute Benoît Coquard, le Rassemblement national propose à ses électeurs une vision du monde. « Lorsque le Parti communiste était fortement présent dans les milieux populaires, il avait, lui aussi, une conception conflictuelle de l’univers social mais il définissait le “nous” et le “eux” autrement, précise-t-il. Les tensions inhérentes aux expériences sociales étaient admises par les classes populaires mais elles étaient formulées en termes de classe et non de nationalité : le PC opposait les ouvriers aux patrons alors que le RN oppose les Français aux étrangers. »

    L’implantation, depuis le début des années 2000, du Rassemblement national dans les #classes_populaires et moyennes des zones rurales et périurbaines semble donc valider la théorie de la menace, non pas « réaliste », comme le clament volontiers les dirigeants du parti d’extrême droite, mais « symbolique » : elle est l’expression d’une conscience sociale « triangulaire » plus que le signe de difficultés tangibles de cohabitation avec les immigrés. Pour beaucoup d’électeurs du RN, l’étranger n’est ni un voisin de palier ni un voisin de quartier, mais une figure qui incarne, au même titre que les « #assistés » ou les « #cassos », un monde social dont ils tiennent à tout prix à se distinguer.

    https://archive.ph/L7h6N

    edit
    compter les pauvres avec Duvoux. depuis le revenu arbitrable et l’alimentation, on dira 27% de la population, a minima.
    ce régime d’inégalités multiples conduit à nous comparer au plus près de nous (Dubet)
    https://seenthis.net/messages/1027760

    les réformes #chômage, #RSA, puissant appel du pied politique auquel aucune vision du monde ne parait s’opposer
    #extrême_droite #RN #immigration #racisme #xénophobie #théorie_du_contact #France_rurale #France_périurbaine #concurrence #Peur #peur_du_déclassement #ségrégation_spatiale #conscience_sociale_triangulaire #stigmatisation

  • Un cas d’école de génocide | Raz Segal
    https://cabrioles.substack.com/p/un-cas-decole-de-genocide-raz-segal

    · Note de Cabrioles : Nous aurions aimé ces denières semaines trouver les forces nécessaires pour visibiliser la situation palestinienne tout en réalisant un dossier sur la pandémie dans le contexte colonial palestinien.

    Nous aurions sûrement traduit des articles de The Pandemic and #Palestine_, le numéro du _Journal of Palestine Studies de 2020 dédié à la #pandémie. Peut-être des extraits de l’interview que sa coordinatrice Danya Qato avait donné à nos camarades de Death Panel. Fouiller dans les articles de Nadia Naser-Najjab qui a donné une conférence The Darkest Side of #Covid-19 in Palestine et publiera en 2024 un livre intitulé Covid-19 in Palestine, The Settler Colonial Context. Enfin nous vous aurions invité à relire l’interview de Danya Cato traduite en 2020 dans À l’encontre et cet article d’ACTA paru en avril 2020 : Le peuple palestinien entre pandémie, harcèlement colonial et autodéfense sanitaire.

    Mais ces forces nous font pour le moment défaut. Pour autant nous ne pouvons nous taire sur ce qui se passe au Moyen Orient ces dernières semaines. Notre voix est faible, mais dans ces moments d’effondrement général il semblerait que chaque voix compte. La pandémie de Covid-19 nous a mis face à deux phénomènes majeurs : la production industrielle de l’insensibilisation à la mort de masse et la complaisance abyssale de la #gauche avec l’#antisémitisme.

    Le premier a de multiples racines dont les principales sont le #colonialisme et le #racisme meurtrier qui structurent le #capitalisme_racial et ses ressorts eugénistes. Racisme, #validisme et #eugénisme sont historiquement inextricables. Les plus de 300 morts par jour de novembre 2020 à avril 2021, et les dizaines de milliers qui ont précédées et suivies, ont pu être d’autant plus facilement acceptées et oubliées qu’elles touchaient d’abord les #classes_populaires racisées, et que depuis des années nous avions été habitué·es au décompte des morts dans la #méditerranée de personnes en exil. En les déshumanisant, en en faisant un rebut.

    Le second phénomène, l’antisémitisme au sein de la gauche, nourrit les rapprochements et dangers les plus corrosifs à force d’être nié par celle-ci. Nous avons vu de larges pans de la gauche et des mouvements #révolutionnaires défilés aux côté d’antisémites assumés, prendre leur défense, relativiser le génocide des Juifves d’Europe. Nous avons vu nombres de camarades se rapprocher de formations fascisantes en suivant cette voie. À travers l’antisémitisme la #déshumanisation des Juifves opère en en faisant non un rebut mais un groupe prétendument homogène qui détiendrait le pouvoir, suscitant des affects de haine d’autant plus féroces.

    Ces deux phénomènes ont explosé ces dernières semaines. À l’#animalisation des palestinien·nes en vue de leur #nettoyage_ethnique est venue répondre la culpabisation par association de toute la #population_israélienne, si ce n’est de tous les Juifves de la terre, aux massacres perpétués par le gouvernement d’#extrême-droite de l’État d’#Israël et les forces capitaliste occidentales.

    La projet de #colonisation de la Palestine est né des menées impérialistes de l’#occident capitaliste et de l’antisémitisme meurtrier de l’#Europe. Ils ne pourront être affrontés séparément. Les forces fascisantes internationales qui prétendent désormais sauver le capitalisme des désastres qu’il a produit par un #nationalisme et un #suprémacisme débridé, se nourrissent de l’intensification de tous les racismes - #islamophobie, antisémitisme, #négrophobie, #antitsiganisme, #sinophobie…- en vue de capturer les colères et de désigner comme surplus sacrifiables des parts de plus en plus larges de la population.

    En #France l’extrême-droite joue habilement de l’islamophobie et de l’antisémitisme structurels, présents jusque dans les rangs de la gauche radical, en potentialisant leurs effets par un jeu de miroirs explosif.

    Face à cela il nous faut un front uni qui refuse la déshumanisations des morts et des #otages israelien·nes tout en attaquant le #système_colonial qui domine et massacrent les palestinien·nes. Il nous faudra également comprendre l’instrumentalisation historique des Juifves et de l’antisémitisme par l’#impérialisme_occidental dans la mise en place de ce système.

    Nous n’avons pas trouvé les forces pour faire ce dossier. Nous republions donc ce texte important de l’historien israélien Raz Segal paru il y a maintenant deux semaines dans la revue Jewish Current. Deux semaines qui semblent aujourd’hui une éternité. Il nous faut nous organiser pour combattre de front la montée incendiaire de l’antisémitisme et de l’islamophobie. Et faire entendre haut et fort :

    Un #génocide est en cours en Palestine.
    Tout doit être fait pour y mettre un terme.

  • Un lumineux quartier français
    https://metropolitiques.eu/Un-lumineux-quartier-francais.html

    Pour son livre Un quartier français, le photographe Nanda Gonzague s’est installé dans une banlieue de #Dunkerque promise à la démolition dans le cadre de la politique de #rénovation_urbaine. Vanessa Delevoye propose un compte rendu de son travail, qui mêle sa propre lecture et le point de vue du photographe. Une fillette attend. Elle doit avoir dans les 8 ou 9 ans. On ne distingue pas son visage, caché par de beaux et longs cheveux bouclés. Son chat roux, enfermé dans une cage de transports, fixe, #Commentaires

    / #classes_populaires, #photographie, #quartiers_populaires, rénovation urbaine, Dunkerque

    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met-delevoye.pdf

  • Les obstacles à « la reconquête du vote populaire rural » : discussion sur l’ouvrage de Cagé et Piketty, Benoit Coquard
    https://theconversation.com/les-obstacles-a-la-reconquete-du-vote-populaire-rural-discussion-su


    Thizy, Rhône, 2021. Des commerces vides le long de la rue principale, signe de la #désertification rurale et industrielle de ce bourg qui était autrefois un petit centre de production textile dans la campagne. Jeanne Menjoulet/Flickr, CC BY-NC-ND

    Les deux économistes se risquent ainsi à un certain volontarisme politique sur la base d’un travail scientifique à la fois original, rigoureux et discutable par endroits. Ils invitent notamment à renforcer les services publics dans les espaces ruraux où dominerait, selon l’expression consacrée et maintes fois utilisée dans le livre, un fort « sentiment d’abandon » chez les classes populaires. Une autre de leurs idées est de faciliter, à l’instar du RN, l’accès à la propriété pour ces ménages sensibles aux inégalités de patrimoine et très attachés au fait de posséder leur chez-soi.

    Mais par-delà l’adéquation a priori des mesures proposées, l’hypothèse de la « reconquête » des classes populaires rurales par la gauche n’a rien d’évident dans certains villages et bourgs où les idées d’extrême droite sont devenues hégémoniques face à l’absence d’opposition.

    Il y a la difficulté pour un ouvrier ou une employée à se déclarer publiquement de gauche, tandis que se dire « de droite » ou « pour Le Pen », c’est déjà s’assurer un minimum de respectabilité en se désolidarisant des plus #précaires taxés « d’#assistés » par ces discours politiques dominants.

    #classes_populaires #revenu #propriété_du_logement #idéologie #vote

    • ça remonte à loin, et ce ne fut pas que discours. il me semble que plus que "le gauchiste" ça vise des figures sociales que l’on voue à la vindicte, dans un très pauvre reste de l’idéologie du mérite et du travail.

      Le 19 septembre [1998] à Perpignan, une manifestation organisée à l’initiative d’AC ! s’est achevée par une tentative d’occupation du Conseil général des Pyrénées-Orientales, peu avant d’être dispersée par la police. Le Président socialiste du Conseil général, Christian Bourquin, avait en effet annoncé vouloir imposer aux allocataires du RMI du département des heures de travail non rémunérées.

      https://www.cip-idf.org/spip.php?article8006

      Un conseil général socialiste (Ariège) supprime le RSA à des centaines de personnes, et le revendique (2012)
      https://www.cip-idf.org/spip.php?article6332

      je répéterais inlassablement ce fait, si largement oublié, le la avait été donné bien avant l’investiture présidentielle de Sarkozy (« Le travail c’est la liberté », 2007), que l’on cite usuellement à ce sujet, par le premier ministre Jospin en 1998 (« nous ne voulons pas une société d’assistance mais une société fondée sur le travail »)
      https://www.cip-idf.org/spip.php?article5374

      exacerber la guerre entre pauvres, c’est une des politiques du capital, fabriquer la concurrence ne va pas sans formes de subjectivation.

      edit sum up, en terme de "désolidarisation des plus précaires" (Coquard), l’exemple vient de haut, à #gauche, c’est d’ailleurs le sel de son efficacité contre révolutionnaire (je vous refais pas "Médine" cette fois m’enfin...)

  • Julia Cagé et Thomas Piketty livrent une vision inédite de l’histoire politique française
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/05/julia-cage-et-thomas-piketty-livrent-une-vision-inedite-de-l-histoire-politi

    Dans « Une histoire du conflit politique », les économistes publient une somme sur l’histoire électorale de la France. En fonction des revenus, du milieu social et du lieu d’habitation des votants, ils analysent les rapports de force – bipartition ou tripartition – qui dominent le champ politique et leurs liens avec les inégalités sociales.

    La classe géosociale

    Mais comment fait-on pour savoir qui vote pour qui ? A cette question centrale, les auteurs ne peuvent s’appuyer que sur des informations électorales à l’échelon des communes – ce qui implique un niveau territorial et non individuel. Ils ne bénéficient pas, en effet, d’études d’opinions avant les années 1950. D’où la nécessité, de l’aveu même des auteurs, de redoubler de prudence quant aux interprétations, mais aussi de trouver une autre base de référence : la classe géosociale.

    Grâce à l’usage systématique de cette notion, les deux économistes arrivent à des conclusions fortes qui viennent contredire les débats politiques actuels. Ils expliquent notamment que les variables liées à la religion et aux origines étrangères ont beaucoup moins d’importance que celles liées à la classe géosociale. « Autrement dit, ce sont bien les enjeux socio-économiques – et non les questions identitaires ou la proportion d’étrangers – qui déterminent les clivages électoraux. » Ces résultats sont valables pour les scrutins présidentiels de 1848, mais aussi de 1965 à 2022, malgré l’omniprésence de ces thèmes dans le débat public.

    Les auteurs proposent aussi une chronologie originale de deux cent trente ans de vie politique française. Celle-ci a connu, expliquent-ils, des périodes de « bipolarisation » et de « tripartition ». Ainsi, de 1848 à 1910, on assiste à une première tripartition, avec des socialistes et radicaux-socialistes à gauche ; des républicains modérés et opportunistes au centre, et, à droite, des conservateurs catholiques et des monarchistes, permettant aux partis du centre de gouverner.

  • Habitants et militants
    https://laviedesidees.fr/Habitants-et-militants

    Dans un panorama sur le #militantisme des quartiers populaires initié par la Fondation Abbé Pierre, le sociologue Denis Merklen éclaire les logiques sociales qui s’y déploient et les formes de créativité militante, en faisant la part peut-être un peu trop belle aux acteurs institutionnalisés. À propos de : Denis Merklen, Les indispensables. Sociologie des mondes militants, Éditions du Croquant

    #Société #classes_populaires
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20230904_merklen.docx

    • De fait, les militants dont il est beaucoup question ici ont en commun de s’être constitués en associations dans la mouvance des politiques de la ville impulsées par l’État à partir du début des années 1980 pour faire face à la « crise des banlieues », d’abord considérée comme un déficit de « cohésion sociale » - plutôt que démocratique. Aussi, faire partie d’une association est « indispensable » pour bénéficier des ressources distribuées par les diverses institutions. Pas d’autre solution aujourd’hui, par exemple, afin de bénéficier d’emplois subventionnés, de financements de fonctionnement, ou encore d’un simple local. En retour, ces institutions exercent un droit de regard, voire de contrôle sur l’activité de ces « militants associatifs » - comme elles pèsent de plus en plus sur le travail social, pour en reformater et parfois en dénaturer les missions. On comprend que ces démarches interrogent les acteurs eux-mêmes ; d’un côté, elles ne vont nullement de soi, l’accès aux ressources est un marathon, la concurrence est vive ; de l’autre, la dépendance au secteur public (et privé) pose problème.

      L’objection que l’on peut faire est donc la suivante : comme il existe des militants des quartiers populaires qui échappent à cette logique du guichet et font de leur indépendance un principe absolu, de même bien des activités, par exemple, en matière de violences policières et racistes, ou encore de redistribution alimentaire (Brigades de solidarité alimentaire, cantines, collectifs divers) évitent à tout prix de prendre la forme d’associations ; il en va du même principe d’autonomie de ces collectifs informels en lien avec des formes de vie (quartiers urbains, squats, communautés, collectifs ruraux, etc.). Qu’ils soient moins ou plus dotés en capitaux, scolaire et culturel, soient employés par les collectivités territoriales ou précaires vivant du RSA, ces militants-là entendent rester à bonne distance de l’institution sous toutes ces formes.

    • Dans l’article d’origine, une explication toute bête, pour Paris au moins :

      « Actuellement, la question de l’entretien est fondamentale dans les aménagements urbains et les projets de rénovation, car cela a un coût, encore plus quand des villes sont sous pression austéritaire – comme beaucoup de communes de Seine-Saint-Denis, poursuit Matthieu Adam. Embaucher des jardiniers formés pour entretenir les arbres est plus cher que d’avoir un agent qui vient nettoyer une dalle au jet d’eau. Ce qui fait qu’en banlieue la végétation est moins présente. »

      Par ailleurs, nombre de projets de rénovation proposent encore des aménagements très minéralisés, en partie pour réaliser de la prévention situationnelle. « En somme, ne pas planter des arbres est plus pratique pour laisser l’espace urbain ouvert afin de contrôler la population via des caméras de vidéosurveillance, des drones ou la simple vue des patrouilles de police », précise le chargé de recherche CNRS.

    • Pour Marseille, un peu différent, les riches privatisent les quartiers végétalisés :

      « En réalité, Marseille reste une ville très minérale où la végétation est plutôt absente, et la saisonnalité invisible. Les espaces verts urbains représentent seulement 4,6 m² par habitant. C’est moins que Paris (14 m2), indique le géographe Allan Popelard, qui dirige la collection « L’ordinaire du capital » aux éditions Amsterdam. Marseille compte environ dix fois moins d’arbres d’alignement par habitant que les autres grandes villes européennes étudiées. »

      Par ailleurs, le nombre d’arbres y est en nette régression : en 75 ans, le cœur historique de Marseille a perdu la moitié de son patrimoine arboré. Professeure à Aix-Marseille Université et chercheuse au Laboratoire Population Environnement Développement, Élisabeth Dorier précise pour Mediapart : « Dans le centre-ville de Marseille, il existe encore quelques rares cours intérieures avec des arbres. C’est une adaptation ancienne aux chaleurs des quartiers historiques qu’il faut à tout prix préserver. »
      [...]
      Allan Popelard : « Cette division socio-environnementale Nord-Sud résulte des choix d’aménagement opérés notamment sous les mandatures de Gaston Defferre (1953-1986) et Jean-Claude Gaudin (1995-2020). Une politique de classe qui a concentré les externalités négatives dans les quartiers nord. »
      [...]
      Les cartographies de la végétalisation et des revenus des ménages font apparaître au sud de la métropole les quartiers chics du Roucas-Blanc et de la colline Périer (7e et 8e arrondissements) où se trouvent des résidences fermées et végétalisées sous vidéosurveillance.

      Depuis 2007, Élisabeth Dorier se penche avec son équipe de recherche sur l’essor de ces résidences sécurisées. « Dans ces quartiers réservés aux privilégiés, les espaces verts sont progressivement privatisés. La colline Périer est devenue un écrin de verdure privé et bien gardé avec murs, patrouilles de gardiennage et vidéosurveillance, détaille la chercheuse. La fermeture résidentielle est ici un outil de valorisation foncière et d’exclusivité sociale. »

    • @olaf sur le « jardinage urbain », voir les travaux de mon ex-collègue #Marion_Ernwein :

      Les natures de la #ville_néolibérale

      « Zéro phyto », gestion écologique : les #espaces_verts_urbains longtemps conçus sur le mode « nature morte » de la tradition horticole se font de plus en plus vivants. Plus participatifs aussi, comme en témoigne la prolifé­ration des programmes de jardinage collectif. Cet ouvrage invite à com­prendre l’insertion de ces transforma­tions dans les nouvelles logiques de production de la ville et des services urbains.
      Sur la base d’enquêtes de terrain menées à Genève (Suisse) – auprès de responsables administratifs, politiques et associatifs, de travail­leurs de la nature, et de citadins-jar­diniers – il illustre la manière dont les politiques urbaines néolibérales faisant la part belle à l’événement, au managérialisme et aux #partenariats_publics-privés modèlent la ville vi­vante et le rôle qu’y jouent humains et non-humains. En détaillant le traitement réservé à différentes formes de végétaux – horticoles, vivriers, bio-divers – l’ouvrage développe des outils conceptuels pour une #écologie_politique du #végétal_urbain.

      https://www.uga-editions.com/les-natures-de-la-ville-neoliberale-544600.kjsp

      –—

      Et une recension du #livre :
      https://journals.openedition.org/cybergeo/35592

      #nature_en_ville

  • [Plus de talbins pour les zinzins, moins de logement pour les sans-dents] Le logement « intermédiaire », priorité très contestable du gouvernement | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/logement-intermediaire-priorite-tres-contestable-gouvernement/00107475

    Le gouvernement mise sur le logement « intermédiaire » – plus cher que le logement social mais moins cher que le marché – pour loger les classes moyennes, mais c’est un choix coûteux pour les finances publiques, surtout au moment où le logement social s’enfonce dans la crise.

    Toutes les parties prenantes du logement ont été déçues par les non-annonces issues du Conseil national de la refondation (CNR)-Logement, le 5 juin dernier. Toutes ? Non. Les acteurs du logement dit « intermédiaire » se félicitent d’une forme de consécration.

    Alors que la Première ministre Elisabeth Borne avait confirmé la rigueur budgétaire sur le #logement_social ou l’accession à la propriété, le #logement_intermédiaire est le grand gagnant des annonces des dernières semaines.

    Parmi les programmes des promoteurs, le bailleur de la Caisse des dépôts, #CDC-Habitat, compte racheter 17 000 logements, pour en faire majoritairement des logements intermédiaires. #Action_Logement (ex-1 % Logement) compte en racheter 30 000, là aussi a priori pour les confier à sa filiale de logements intermédiaires In’Li.

    La Première ministre a annoncé l’assouplissement des conditions de production de ces fameux logements, qui pourront désormais être financés dans davantage de zones, alors qu’ ils étaient réservés jusque-là aux zones tendues et hors des communes carencées en Habitation à loyer modéré (HLM) au titre de la loi SRU1.

    Fort besoin de logement social

    Qu’est-ce qu’un logement locatif intermédiaire (LLI) ? C’est un logement, soutenu par un régime fiscal avantageux créé en 2014 et porté par des investisseurs institutionnels privés ou publics, plus cher qu’un logement social mais un peu moins que le marché.

    Contrairement au logement social, son loyer n’est pas calculé selon son coût de production ni pour répondre aux ressources des demandeurs de logement, mais s’exprime en fonction du loyer de marché, souvent 10 % en-dessous.

    Sa production est passée de 8 000 à 18 000 logements financés par an entre 2017 et 2021. Le plan de relance post-Covid avait déjà fait la part belle à ce segment avec l’engagement de la Caisse des dépôts d’en produire 25 000.

    Ce produit semble être devenu la nouvelle martingale du Président de la République, qui a déclaré dans Challenges en mai 2023 qu’il fallait « développer beaucoup plus de logements locatifs intermédiaires pour baisser les prix, parce que la crise du logement se situe là. »

    Profonde erreur d’analyse. Certes, dans les zones très tendues, il existe un creux dans la distribution des loyers, entre les loyers HLM (entre 5 et 10 euros/m²) et ceux du marché libre (qui peuvent monter au-delà de 20 euros/m² en Île-de-France).

    Pourtant, les besoins prioritaires relèvent incontestablement du logement social : 2,4 millions de ménages en attendent un. Un chiffre en hausse rapide ces dernières années.

    Pour être plus précis, la demande, très largement, ne relève même pas du logement social, mais [vu sa définition,] du #logement_très_social. 73 % des demandeurs HLM sont sous les plafonds PLAI (Prêt locatif aidé d’intégration), c’est-à-dire moins d’un Smic pour deux par exemple pour un couple.

    Leurs besoins sont urgents, parfois vitaux. Or, 17 % seulement des personnes sans-abri obtiennent un HLM dans l’année. Et cette part est à peine plus élevée (21 %) pour les personnes en habitat précaire et celles des hébergés chez un tiers (24 %).

    Les personnes en attente d’un logement social plus pauvres encore que les locataires actuels

    Les logements #PLUS (Prêt Locatif à Usage Social) correspondent à l’essentiel des HLM et répondent à un objectif de mixité sociale. Sont par exemple éligibles les personnes seules qui gagnent moins de 21 878 euros par an _[soit, jusqu’à 1823/mois pour les plus solvables...]_en France métropolitaine (hors Paris et Île-de-France). Les personnes étant en dessous de 60 % du PLUS sont souvent éligibles aux logements financés par un #PLAI (Prêt Locatif Aidé d’Intégration). Elles rencontrent des difficultés économiques et sociales importantes pour se loger. Sont par exemple éligibles les personnes seules qui gagnent moins de 12 032 euros par an en France métropolitaine (hors Paris et Île-de-France).

    En revanche, les logements intermédiaires s’adressent à une autre cible sociale, les « classes moyennes », dans le discours officiel. Mais pas n’importe lesquelles, puisque les travailleurs essentiels, ou de seconde ligne, infirmiers, professeurs, pompiers ou éboueurs sont déjà largement sous les plafonds HLM.

    En réalité, les logements intermédiaires s’adressent plutôt aux cadres voire aux cadres supérieures. Les plafonds de ressources pour un couple avec deux enfants, à Lille ou Lyon par exemple, s’élèvent à 90 000 euros par an, soit 7 500 euros par mois…

    Dénaturation du logement social

    Cette banalisation voire dénaturation du logement social au profit de l’intermédiaire, pour noyer le tout dans une vague notion de « logement abordable », est une idée relativement récente en France, qui a été diversement promue par des acteurs influents au sein de l’Etat, de la Caisse des dépôts ou d’Action Logement, comme l’ont décrit minutieusement les chercheurs Matthieu Gimat, Antoine Guironnet et Ludovic Halbert.

    Il y a quatorze ans, le président de CDC-Habitat de l’époque, André Yché, un général reconverti dans le logement, avait adressé au président Sarkozy une « note blanche » qui avait fait grand bruit. Elle conseillait de vendre 10 % des logements sociaux français et de laisser les mains libres aux acteurs publics et parapublics pour rapprocher le monde HLM du secteur privé, utiliser la « #plus-value_latente » de son parc social, réduire les aides publiques et le laisser se financer sur les marchés, quitte à devoir rémunérer les apporteurs de capitaux. Le tout alors que le monde HLM est un secteur à but non-lucratif.

    L’idée fera son chemin. Le secrétaire d’Etat au Logement d’alors, Benoist Apparu, a poursuivi cette orientation dans le privé au sein d’Action Logement après son passage en politique. Le lobbying en faveur de l’intermédiaire se révèle efficace.

    En 2014, sous François Hollande, le taux de TVA applicable est divisé par deux, tombant à 10 % tandis que ce produit se voit exonérer de taxe foncière pendant 20 ans. Une ordonnance permet par ailleurs la création de filiales au sein des bailleurs sociaux destinées au logement intermédiaire, sur le modèle britannique développé quelques années plus tôt.

    Bien que sa ministre du Logement Cécile Duflot s’en méfie au point de réclamer une « muraille de Chine » entre les activités du social et celles de l’intermédiaire, le risque est grand que la priorité des acteurs du logement se porte davantage sur l’intermédiaire, le nouveau produit à la mode, qu’il s’agisse de leurs fonds, de leurs compétences ou surtout des fonciers disponibles.

    Aggravation de la crise du logement

    Depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le discours est revenu en force, comme on l’a vu, mais avec une nouveauté de taille qui change tout. Alors que le gouvernement précédent soutenait le logement intermédiaire et le logement social, le nouvel exécutif, depuis 2017, s’en prend de façon inédite au logement social, avec le relèvement de la TVA du secteur, passée de 5,5 à 10 %, la suppression des subventions d’Etat sous forme d’aides à la pierre et bien sûr la ponction de 1,3 milliard d’euros par an dite « RLS » (Réduction de loyer de solidarité).

    Sans surprise, la production HLM s’est effondrée, passant de 125 000 logements autorisés en 2016 à 95 000 par an entre 2020 et 2022, et sans doute encore moins en 2023. Créer du logement intermédiaire en plus du logement social peut être utile, mais s’il s’agit de le développer à la place du HLM, cette politique se révèle contre-productive pour les mal-logés.

    Or, depuis l’an dernier, la remontée des taux d’intérêt du livret A, auquel le secteur #HLM rembourse sa dette de 150 milliards d’euros à taux variable, fragilise encore plus gravement le secteur. Mais la priorité gouvernementale reste les économies budgétaires, et, à ce titre, le logement intermédiaire, proche des loyers de marché, mobilise moins d’argent public. Tout porte donc à croire que la pénurie de logements accessibles aux #classes_populaires et moyennes va s’accentuer dans les mois à venir, sans que le gouvernement ne s’en soucie.

    #logement #rente_foncière #fiscalité

  • Les #classes_populaires rurales, « un sujet obligé des #campagnes électorales » ?
    https://metropolitiques.eu/Les-classes-populaires-rurales-un-sujet-oblige-des-campagnes-elector

    Le sociologue Benoît Coquard livre dans un entretien à Métropolitiques ses réflexions sur le rapport à la politique des classes populaires rurales trop souvent stigmatisées. Il souligne que le véritable enjeu reste celui de la lutte contre les #inégalités et les dominations. Dossier : Élections nationales 2022 : pour une analyse localisée du vote et de ses enjeux Entretien réalisé par Emmanuel Bellanger et Jean Rivière. Dans votre ouvrage Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin (La #Entretiens

    / classes populaires, #élections, campagnes, #jeunes, #dépolitisation, inégalités, #rural, #domination

    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met_entretien_coquard.pdf

  • La démission d’un Gendarme

    Nous, policiers et gendarmes, participons à la #criminalisation des #classes_populaires. Les collègues ne cachent pas leur #xénophobie. Je pense toujours qu’il ne faut pas laisser ces métiers à des gens de droite. Mais j’ai envie de rejoindre la lutte face à ce système profondément injuste. Passer de l’autre côté de la barricade, comme diraient certains.

    Aujourd’hui, j’ai décidé de démissionner.

    Je ne le fais pas parce que je n’aime plus mon #métier, pas parce que je trouve qu’il est difficile, que selon certains on ne se fait plus respecter, qu’il n’y a pas de #justice et autres inepties. Non, j’ai décidé d’arrêter car ce métier n’est pas aligné avec mes #valeurs. Des valeurs d’#entraide, de #solidarité, de #justice, d’#écologie, d’#égalité, toute simplement des valeurs Humaines ; Des valeurs profondément ancrées à #Gauche.

    Je me suis engagé avec l’idée de pouvoir améliorer un peu le monde à mon échelle : aider les victimes notamment de violences sexuelles et sexistes, aider la population en général, insuffler des idées humanistes d’entraide et de partage au sein de la #Gendarmerie. La Gendarmerie est un corps militaire où la tradition veut que le #collectif dépasse l’individu, on s’engage pour une cause, pour les autres. Et pourtant même ici l’#individualisme est triomphant, l’#esprit_de_corps n’existe plus. C’est chacun ses petites guéguerres, les égos qui se brisent entre eux mélangé à un #racisme latent. Les collègues qui ne cachent pas leur xénophobie face à ceux qu’ils appellent avec ironie « #les_suédois », bel euphémisme pour parler de ceux qui n’auraient pas la bonne couleur de peau ; qui ne cachent pas non plus leur vote pour Marine Le Pen. Par contre, osez dire, même d’une petite voix, enfoui dans un coin de votre bureau, que vous ne pensez pas comme eux et vous serez mis au ban. On vous expliquera que vous n’êtes pas comme les autres et on hésitera pas à vous rappeler chaque jour que vous êtes différents. Pour eux, vous êtes l’utopiste ou pire, un clown. Il ne leur apparaît même pas vraisemblable que quelqu’un avec une opinion différente puisse s’être engager dans la tanière du loup.

    Je pense toujours qu’il ne faut pas laisser ces métiers à des gens de droite ; mais la question me taraude de plus en plus de savoir si la #Police, sous sa forme actuelle, est réellement utile et devrait exister.

    Je ne me vois pas continuer dans ce métier qui défend un système profondément injuste où les inégalités battent leur plein. Les travailleurs galèrent à acheter de quoi manger et à payer leur facture chaque mois tandis que certains organisent des dîners à presque un SMIC par personne.

    Tandis que certains sont obligés d’utiliser leur voiture thermique chaque jour afin d’aller bosser, faute d’avoir d’autres moyens de locomotion, d’autres utilisent des jets privés afin de faire un Paris-Milan aller/retour pour le simple plaisir de dormir chez soi.

    Tandis que nous, policiers et gendarmes, participons à la criminalisation des classes populaires. Nous sommes le fameux « bras de la justice » face au vol à l’étalage pour se nourrir. Nous sommes aussi les gardiens de l’ordre « Républicain », sensés répondre face aux mouvements sociaux qui troubleraient la République par ces velléités démocratiques.

    Face à l’urgence climatique et sociale, on ne peut pas rester de marbre face à nos concitoyens qui réclament un peu plus de justice, un peu plus de solidarité et d’Humanité.

    Et d’autant plus à l’aune de la réforme des retraites, en plein bafouillement de la démocratie par un énième 49-3 et par un gouvernement à peine légitime, élu encore une fois à défaut d’autre choix démocratique, je ne me vois pas d’autres choix que de partir.

    Quand je vois sur internet diffuser les vidéos de mes collègues, leurs #agissements, leur #violence non-nécessaire et non-proportionné, bien loin de ce qu’on nous avait pris en école, je me demande ce qu’il reste de nos #forces_de_l’ordre. Où sont les fameux #Gardien_de_la_paix, les Gendarmes calmes et bienveillants venus assurer la sécurité de leur concitoyen ? Je n’en vois aucun sur ces vidéos. Où sont tous ces gendarmes et policiers qui s’engagent, non pour protéger l’État et un pouvoir « démocratique », mais pour protéger le peuple ? On s’engage dans ce genre de métier avant tout pour les autres, alors où sont passés ces convictions quand ils frappent sur leurs frères et sœurs ?

    Je suis en #colère et profondément déçu de ce système, de ces injustices qui triomphent encore une fois de plus. Je ne veux plus être derrière lui, je veux être devant. J’ai envie de manifester cette colère, mon #mécontentement. J’ai envie de rejoindre la #lutte face à ce système profondément injuste. Passer de l’autre côté de la barricade, comme diraient certains.

    Aujourd’hui, je démissionne.

    https://blogs.mediapart.fr/gendarmedemissionnaire/blog/240323/la-demission-dun-gendarme
    #gendarme #témoignage #démission #déception

    –—

    ajouté à la métaliste de #témoignages de #forces_de_l'ordre, #CRS, #gardes-frontière, qui témoignent de leur métier. Pour dénoncer ce qu’ils/elles font et leurs collègues font, ou pas :
    https://seenthis.net/messages/723573

    • Iran : face à une dictature obscurantiste, élément de l’ordre impérialiste

      Cercle Léon Trotsky n°170 (#archiveLO, 5 février 2023)

      Le texte : https://www.lutte-ouvriere.org/publications/brochures/iran-face-une-dictature-obscurantiste-element-de-lordre-imperialiste

      Sommaire :

      – Introduction
      – Sous la tutelle impérialiste
      – L’impact de la #révolution_russe
      – De la tutelle britannique à celle des #États-Unis, l’échec de #Mossadegh
      – Le #chah, un dictateur au service de l’#impérialisme américain
      – L’opposition politique au chah
      – La montée révolutionnaire de 1978-79
      – La #république_islamique, une dictature réactionnaire, anti-ouvrière et garante de l’ordre social
      #Nationalisme et #anti-impérialisme exacerbés
      – La république islamique, élément de l’ordre impérialiste au #Moyen-Orient
      – Une puissante économie régionale
      – Les tribulations de l’accord sur le nucléaire
      – Une population éduquée qui s’enfonce dans la crise
      – Une classe dirigeante privilégiée et corrompue
      – De la révolte de 2009 à celle de 2019
      – Une classe ouvrière combative
      – La #révolte actuelle
      – L’attitude de la #classe_ouvrière
      – La politique du régime
      – Quelle direction ? Quelle perspective ?

      Introduction

      La révolte qui secoue l’Iran depuis l’assassinat de Mahsa Amini par la police des mœurs, le 16 septembre dernier, impressionne par la détermination et l’engagement des femmes et des hommes qui l’animent. Elle frappe par le très jeune âge de ceux qui se révoltent.

      Désormais des dizaines de milliers de #femmes sortent sans voile et tiennent tête à ceux qui les agressent. Hier encore, comme chaque vendredi, une nouvelle manifestation a eu lieu à #Zahedan, la capitale du #Baloutchistan. Depuis cinq mois, les manifestations étant dispersées dans la plupart des autres villes, des rassemblements ont été improvisés, des locaux de la police attaqués. Ces actions se terminent par des charges policières meurtrières, des #exécutions en pleine rue et des arrestations massives. Mais des femmes et des hommes recommencent les jours suivants. Les quelque 20 000 arrestations, 500 morts, les dizaines de condamnations à mort pour avoir simplement manifesté, les exécutions publiques de quatre jeunes, tous des travailleurs, tout cela a renforcé la rage contre la république islamique.

      La #jeunesse est en première ligne mais elle est soutenue par tout un peuple : par les #classes_populaires privées de viande, d’oeufs et de tant d’autres produits de base, à cause de l’inflation et de la spéculation ; par les travailleurs, en particulier ceux du pétrole et du gaz, de la métallurgie, des transports ou de l’enseignement qui ont multiplié les grèves ces dernières années pour obtenir #augmentations_de_salaires ou titularisation des précaires ; par la #petite-bourgeoise appauvrie par la crise et privée d’avenir avec l’#embargo_américain ; par les milieux intellectuels, artistiques ou sportifs qui dénoncent aujourd’hui ce régime « tueur d’enfants ». L’enjeu a dépassé la liberté des femmes et même la liberté tout court, c’est le système lui-même qui est contesté.

      Ce mouvement de contestation n’est pas le premier en Iran. Rien que dans les cinq dernières années, deux révoltes ont éclaté contre le pouvoir. Les deux fois, la dictature et ses sbires les ont étouffé en déployant une répression impitoyable. A chaque fois les dirigeants occidentaux l’ont dénoncée du bout des lèvres car ils ne veulent surtout pas que ce régime soit renversé par une révolution populaire.

      La révolte actuelle est plus profonde que les précédentes. Elle l’est par sa durée, parce qu’elle touche toutes les couches sociales du pays et parce que la rupture entre la société et les dirigeants de république islamique semble irrémédiable. Va-t-elle trouver les voies et le courage de rebondir malgré la répression ? Finira-t-elle par faire tomber cette dictature obscurantiste et anti-ouvrière ? Nous ne pouvons évidemment que l’espérer !

      Mais il ne suffit pas aux opprimés de renverser une dictature pour changer leur sort. La population iranienne l’a cruellement expérimenté à ses dépens : le régime des mollahs aujourd’hui haï est arrivé au pouvoir en s’appuyant, en 1978-79, sur la révolte de tout un peuple contre la dictature pro-américaine du chah d’Iran. Né en prétendant défendre les pauvres contre les riches et en exploitant les sentiments anti-impérialistes de la population, ce régime est aujourd’hui le défenseur sanglant des privilégiés iraniens. Il est aussi, de fait, un gardien de l’#ordre_mondial.

      Pour qu’il en soit autrement, la seule voie est que la classe des travailleurs prenne consciemment la tête de la révolte, avec sa propre organisation et ses propres objectifs politiques. Dans cette puissance régionale qu’est l’Iran, avec ses 87 millions d’habitants, sa longue histoire de révoltes sociales, son industrie développée et sa classe ouvrière combative, une telle perspective n’est pas une chimère : c’est un programme !

      #lutte_de_classe #analyse_de_classe #marxisme #histoire