De nombreux tests ont déjà été réalisés par le passé mais le dernier en date, publié en mai dans le European Journal of Psychotraumatology, est assez impressionnant. Il a été réalisé par des chercheurs de l’université d’Utrecht (Pays-Bas) sur un contingent de soldats néerlandais qui, en 2009-2010, avaient été envoyés en mission en Afghanistan pour quatre mois. L’objectif premier de ces psychologues consistait à étudier les facteurs favorisant l’apparition et la guérison des troubles de stress post-traumatique, que l’on retrouve fréquemment chez les militaires revenant de zones de combat. Mais les chercheurs ont « profité » de ce cadre pour mener, en parallèle, une expérience sur les faux souvenirs.
Les soldats (qui avaient été vus une première fois avant de partir en Afghanistan) ont été invités à un « débriefing » deux mois après leur retour. Il s’agissait d’évaluer le degré d’exposition au stress et au danger auquel ils s’estimaient avoir été soumis sur le terrain. Au cours de l’entretien, les expérimentateurs glissaient une fausse information concernant un événement qui ne s’était pas produit mais aurait plausiblement pu arriver : ils décrivaient une attaque à la roquette du camp la veille du Nouvel An, attaque sans conséquences ni blessés. Quelques détails étaient apportés sur le bruit de l’explosion et les graviers que celle-ci avait projetés, à la fois pour renforcer la crédibilité de l’histoire et pour donner des éléments permettant de l’imaginer. Evidemment, personne ne s’en souvenait.
Sept mois plus tard, les quelque deux cents militaires ont de nouveau été testés. Et là, surprise : 26 %, plus d’un quart d’entre eux, ont assuré avoir été présents lors de l’attaque à la roquette de la Saint-Sylvestre. Selon l’étude, le faux souvenir s’était, en moyenne, installé plus aisément chez les soldats ayant le plus souffert du stress sur le terrain et étant le plus en état d’alerte ainsi que chez les individus ayant le moins bien réussi les tests cognitifs. Dans le premier cas, le stockage de faux souvenirs peut être dû à la facilité avec laquelle les personnes stressées se fabriquent des images et des scénarios. Dans le second, le phénomène peut s’expliquer plus simplement, par une moins bonne précision du processus de mémorisation. Même si les résultats s’inscrivent dans la lignée des travaux précédents sur le sujet, l’étude sort du lot pour plusieurs raisons : d’une part, il ne s’agit pas d’une expérience en laboratoire, contrairement à ce qui se fait le plus souvent, et, d’autre part, l’intervalle de temps entre l’implantation du faux souvenir et sa résurgence est nettement plus long qu’à l’ordinaire. Enfin, la facilité avec laquelle les chercheurs ont pu créer un souvenir de guerre factice chez des soldats de métier ne laisse pas de surprendre et souligne le caractère grandement malléable du cerveau. Avec sa nouvelle Souvenirs à vendre, qui a inspiré les films Total Recall, Philip K. Dick n’était pas loin de la réalité...