• La guerre à Gaza, inverser la situation et en sortir - par Omer Bartov sur AOC media
    https://aoc.media/opinion/2024/01/16/la-guerre-a-gaza-inverser-la-situation-et-en-sortir

    Ce qu’il faut d’urgence, c’est un accord international, mené par les États-Unis et d’autres grands pays européens, et accepté par Israël, l’Autorité palestinienne et des États comme l’Égypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite, pour que les forces de défense israéliennes cessent le feu, que les otages soient rendus en échange des Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes et que la population retourne dans ses foyers – reconstruits avec le soutien de la communauté internationale –, le tout dans le cadre d’un accord général entre l’Autorité palestinienne et Israël pour passer à un nouveau paradigme politique de recherche d’une résolution du conflit par la négociation, et la création d’un État palestinien indépendant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

    Certes, les chances que cela se produise sous le gouvernement israélien et la direction du Hamas actuels sont minces. Mais ces dirigeants peuvent être emportés par les marées politiques. Il faut prendre la mesure du fait que la tentative de « gestion » de la question palestinienne a échoué de manière spectaculaire. Depuis 1948, Israël n’a jamais été aussi peu sûr et vulnérable qu’aujourd’hui. Pourtant, les moyens de renverser cette situation sont clairement à portée de main. Il s’agit de repenser fondamentalement la relation entre les 7 millions de Juifs et les 7 millions de Palestiniens qui vivent entre le fleuve et la mer. Les dirigeants qui ont conduit leurs nations là où nous en sommes ont été profondément discrédités. D’où la nécessité d’une autre façon d’envisager l’avenir.

    Repenser ainsi les choses ne peut qu’entraîner un changement de la situation immédiate sur le terrain. Plutôt qu’un effort désespéré pour rétablir l’équilibre de la terreur entre deux populations dévastées, on pourrait imaginer une voie vers un avenir entièrement différent. Plutôt que l’idée insensée d’exiler la population de Gaza à travers le monde, on pourrait imaginer de faire de Gaza le Dubaï du Moyen-Orient, comme cela avait été envisagé pendant toutes ces années des accords d’Oslo. Au lieu de réfléchir à la manière de protéger les colonies israéliennes le long de la bande de Gaza avec davantage de murs, de clôtures et d’équipements électroniques, on peut réfléchir à la coexistence avec les Palestiniens, comme cela a en effet été le cas dans le passé, dans l’intérêt mutuel des deux parties.

    Quelles seraient les conséquences d’un tel scénario ? Comment cette terre peut-elle être partagée par deux groupes ayant une si longue histoire de conflits et d’effusions de sang ? Il existe de nombreux projets en la matière, mais l’un d’entre eux, A Land for All, me semble le plus intéressant, le plus original et le plus réaliste. Ce plan prévoit la création de deux États le long des frontières de 1967, en confédération l’un avec l’autre, chacun étant pleinement indépendant et souverain, sur la base d’un droit à l’autodétermination et d’un droit au retour, avec une capitale commune à Jérusalem.

    Ce qui différencie ce plan de la défunte solution à deux États, c’est que cette confédération ferait une distinction entre les droits de citoyenneté et ceux de résidence, de sorte que les Juifs et les Palestiniens pourraient être citoyens d’un État mais résider dans un autre. Ainsi, les colons qui choisiraient de rester dans l’État palestinien seraient autorisés à le faire, mais voteraient à la Knesset israélienne et s’engageraient à respecter les lois de la Palestine. Quant aux Palestiniens vivant à Naplouse ou revenant d’exil, ils seraient autorisés à résider en Israël, mais voteraient pour le parlement palestinien et s’engageraient à respecter les lois israéliennes.

    Bien entendu, le nombre de résidents étrangers de part et d’autre devra être réglementé, mais les frontières seraient ouvertes, permettant la libre circulation entre les États. L’ensemble du territoire étant déjà inextricablement lié en ce qui concerne les transports, l’énergie, l’eau, le cyberespace et d’autres infrastructures, les institutions confédérales contrôleraient ces interconnexions ainsi que les frontières extérieures de l’entité.

    La manière dont tout cela fonctionnerait en détail est encore en cours d’élaboration et on ne peut pas s’attendre à ce que cela se produise dans un avenir proche. Mais parce qu’il s’agit d’un horizon d’espoir et de promesse politiques, d’une voie de sortie de la destruction et de la violence, ce plan, ou d’autres similaires, peut changer la trajectoire de la politique et l’imagination des gens, permettant à la région de s’engager sur le chemin de la réconciliation et de la coexistence. Il n’y a, en effet, pas d’autre moyen, si l’on n’accepte pas la logique sinistre des fanatiques et des extrémistes, qui continuent à chercher la destruction de l’autre, même au prix de leur propre anéantissement. En ce moment de crise profonde, il est temps d’envisager un avenir différent pour les générations à venir.

  • Condamnez-vous le Hamas ? Un Palestinien répond

    « Je condamne ma propre naissance de m’avoir fait naître Palestinien, alors que selon bien des gens la Palestine n’existe pas ». Je souhaite diffuser cet admirable texte d’#Abdel_Fattah_Abu_Srour, en réponse à l’injonction à condamner le #Hamas, après le le 7 octobre.

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    Condamnez-vous le Hamas ? Je me condamne

    Abdel Fattah Abu Srour, directeur du centre Al Rowwad dans le camp de réfugiés d’Aida (près de Bethléem)

    Chers amis,

    J’aimerais remercier tous ceux qui m’ont contacté pour m’assurer de leur solidarité et s’enquérir de moi, de ma famille, de ma communauté et de mon peuple. Je suis infiniment reconnaissant envers ceux qui nous soutiennent dans ces temps si difficiles.

    Les journalistes des medias, les interviewers des télés viennent à nous, pointant le doigt vers nous et nous posant sans cesse la même question : condamnez-vous le terrorisme palestinien ? Condamnez-vous le Hamas ?

    Répondons

    Je me condamne vraiment moi-même, je condamne toute mon existence

    Je condamne ma propre naissance dans un camp de réfugiés dans mon propre pays. Comment est-ce que j’ose être un réfugié et vous charger de remettre en question votre humanité ?

    Je condamne ma propre naissance de m’avoir fait naître Palestinien, alors que selon bien des gens la Palestine n’existe pas

    Je condamne mes parents, qui furent déracinés de leurs villages détruits et me donnèrent naissance dans un camp de réfugiés

    Je condamne toute ma vie, avoir grandi, obtenu une éducation, avoir eu des espoirs et des rêves de devenir un grand biologiste, un grand chercheur qui sauverait des vies…, d’être un peintre extraordinaire, un merveilleux photographe, un écrivain talentueux qui inspirerait le monde entier… Rien de ce que j’ai fait ne m’a fait devenir célèbre

    Je me condamne pour clamer et continuer à clamer que je suis un être humain, que je défend mon humanité et ma dignité ainsi que celles des autres… On dirait que je ne suis qu’un animal humain, ou encore moins… que je suis un extraterrestre imaginant qu’il a une place sur cette terre. Comment est-ce que j’ose même penser que je suis un être humain tout comme vous ?

    Je me condamne pour croire que les valeurs et les droits humains nous incluent, nous les extraterrestres… Comment est-ce que j’ose même penser que nous faisons partie de ces valeurs ?

    Je me condamne pour croire au droit international et aux résolutions de l’ONU et à toutes ces déclarations qui disent que : les peuples sous occupation ont le droit légitime de résister par TOUS LES MOYENS. Comment est-ce que j’ose considérer que nous sommes occupés, même par une entité illégale qui est représentée comme l’unique démocratie du Moyen Orient.

    Je vous demande pardon

    Je me condamne pour parler de cette occupation comme d’une entité. Je lis que ce qui définit un état est d’avoir : une constitution, des frontières définies, et une nationalité. Et puisque ce que vous appelez État d’Israël ne possède pas jusqu’à aujourd’hui de constitution, ni de frontières définies, et bien qu’ ils aient voté la loi de Nationalité c’est un pays uniquement pour les Juifs…

    Mais apparemment vous pouvez vous proclamer État sans aucun de ces critères. Pardonnez s’il vous plaît mon ignorance…

    Que puis-je dire… je suis si ignorant…

    Je croyais qu’une victime de viol avait le droit de se défendre. Mais il semble que je me sois trompé… je n’ai pas compris que l’on doive féliciter le violeur et condamner la victime si ou elle oses résister… que il ou elle prend plaisir au viol et en redemande…

    Je croyais qu’être solidaire avec les opprimés était une attitude juste. Erreur encore car je ne devrais jamais m’identifier aux autres peuples opprimés. Il n’y a qu’une entité opprimée au monde et aucune autre.

    Je devrais féliciter les Israéliens pour opprimer les soi-disant Palestiniens… et leur apprendre qui ils sont et quelle est leur valeur aux yeux de la communauté internationale. Que leurs vies sont égales à zéro.

    Alors

    Monde !

    Je suis vraiment désolé

    Je ne me suis pas rendu compte que j’étais induit en erreur et mal informé

    Devrais-je m’excuser ?

    Je m’excuse profondément

    Monde !

    Toutes mes excuses

    Mes parents m’ont toujours dit que je devais soutenir les opprimés et empêcher les oppresseurs de continuer leur oppression

    Je m’excuse

    On m’a dit que je devais soutenir les méchants Sud-Africains noirs contre le gentil système d’apartheid blanc censé les humaniser

    Je m’excuse

    On m’a dit que je devais soutenir les sauvages Amérindiens contre ces merveilleux colonisateurs blancs arrivés pour les civiliser et les débarrasser du fardeau de leurs terres et de leurs propriétés

    On m’a dit de soutenir les Aborigènes retardés d’Australie contre ces extraordinaires colonisateurs britanniques civilisateurs blancs qui vinrent les instruire

    Je m’excuse

    On m’a dit de soutenir les terroristes vietnamiens contre les très civilisés colonisateurs… Français ou Américains qui savaient comment exploiter les pays colonisés et domestiquer leurs habitants.

    Je m’excuse

    On m’a dit de soutenir les Indiens en Inde, les Irlandais, les Ecossais

    les Sud-Américains

    les Cubains,

    Les Espagnols et les Italiens contre les dictatures et les fascistes

    Les Allemands et les Européens contre les nazis

    Les Arabes contre les colonisations française et britanniques

    Les Palestiniens contre l’occupation britannique et sioniste

    On m’a même dit de soutenir les Ukrainiens contre les Russes

    Mes parents m’ont même parlé des pauvres juifs qui arrivèrent en Palestine dans les années 1900..

    Et dans ce temps-là on avait pitié d’eux et on les aidait avec de la nourriture et plus encore…

    Je m’excuse

    On m’a dit de soutenir la résistance de l’opprimé contre l’oppresseur

    Je ne savais rien du droit international et des droits de l’homme

    Je ne savais pas que tout ceci était faux et que c’est juste un mensonge qui convient à certains et pas à d’autres

    Donc

    Monde,

    Laisse-moi me condamner et m’excuser encore et encore…

    Je me condamne pour être ce que je suis

    Je m’excuse d’être Palestinien… D’être né dans un pays que mes parents appellent Palestine…

    Je m’excuse d’être né dans un camp de réfugiés… Dans mon propre pays. Et de n’avoir pu oublier les villages de mes parents qui furent détruits en octobre 1948

    Je m’excuse de n’avoir ni cheveux blonds ni yeux bleus… Bien que certains de mes cousins aient des cheveux blonds et des yeux bleus ou verts

    Je m’excuse de toujours m’identifier comme Palestinien alors qu’on me dénie cette nationalité

    Je m’excuse d’encore appeler mon pays du nom de Palestine bien qu’il ait été émietté en morceaux disjoints… et je ne peux toujours pas l’oublier

    Je m’excuse de pas pouvoir oublier que je suis encore un réfugié dans mon propre pays

    De ne pas avoir jeté la vieille clé rouillée de la maison de mes parents dans leur village détruit

    Je condamne la revendication obstinée de mon droit à revenir aux villages détruits de mes parents

    Comment est-ce que j’ose faire ça ? Comment tous ces Palestiniens obstinés osent-ils revendiquer leur droit au retour ? Nous sommes si aveugles que nous ne pouvons même pas voir les faits sur le terrain après les 75 années d’existence de la seule démocratie du moyen orient

    Je condamne mes parents qui m’ont élevé selon « Celui qui est consumé par la haine perd son humanité »

    Comment n’ont-ils pas osé m’enseigner la haine ?

    Je condamne tout acte de résistance contre l’injustice et l’oppression, l’occupation. Comment osent les opprimés défier les oppresseurs ?

    Je condamne chaque victime de viol ayant résisté au violeur. Ne peux-tu pas simplement ouvrir les jambes et l’accepter ? Comment oses-tu refuser le plaisir du viol ?

    Je condamne les assassinats de tout système terroriste. Les oppresseurs devraient avoir carte blanche pour continuer leur oppression sans avoir à en rendre compte.

    Je condamne ces Palestiniens et leurs supporters… Pourquoi ne peuvent-ils pas juste se taire et accepter que cette occupation illégale est le seul super pouvoir de la région et que lui résister est un acte raciste.

    Je m’excuse réellement auprès de vous tous de ne pas avoir été capable de coexister avec l’oppression… et de n’avoir pas été capable d’accepter de prendre plaisir à la torture, à l’oppression et à l’humiliation. Certains y prennent plaisir… Pourquoi pas moi ?

    Je m’excuse de ne pas accepter l’exil de mon frère, l’emprisonnement de mes frères, de mes cousins, neveux, voisins, et tant d’autres… Je ne m’étais pas rendu compte que c’était pour leur bien, et qu’ils étaient mieux en prison ou en exil que dehors au soleil…

    Je m’excuse de ma stupidité. Je n’ai pas compris vos droits de l’homme et votre droit international. Je pensais que j’étais comme vous autres, et non pas un animal humain. Je m’excuse de mon ignorance… Je ne comprends même pas comment on peut être un animal humain. Je pensais qu’il y avait des êtres humains, et des animaux, bien que certains de ces animaux soient plus humains que les soi-disant humains…

    je m’excuse, je me suis trompé…

    J’ai vu comment vous souteniez des résistances comme l’Ukraine et acclamiez ces combattants pour la liberté. Et combien héroïques étaient ces enfants entraînés pour résister aux Russes et qui pensaient que c’était normal. Je suis vraiment stupide et je m’excuse de ma stupidité. Je devrais aussi condamner la résistance ukrainienne.

    Je le promets, je fêterais l’apartheid, je célébrerais la violations des valeurs et des droits humains.

    Je louerai tous les oppresseurs et les dictateurs

    Je devrais louer tous les violeurs pour qu’ils continuent leurs viols

    Je devrais louer tous les menteurs et les manipulateurs pour leur distorsions des faits et de la vérité

    Je suis vraiment désolé d’avoir tant échoué… Vraiment désolé de n’avoir pas su comment coexister avec ces doubles critères. Comment coexister avec l’occupation, l’oppression, la déshumanisation et en être heureux ?

    Avez-vous un entraînement spécial ? J’aimerais vous rejoindre. Ou plutôt vous pourriez me rejoindre, porter ma peau et me montrer comment je peux être le gentil animal que vous pourriez domestiquer ?

    Ou devrais-je simplement dire, non merci …

    Je ne peux jamais accepter vos ordres et votre chantage

    Je ne peux jamais accepter que les opprimés s’habituent à l’oppression et coexistent avec l’oppresseur tant que l’oppression durera

    Nous n’oublierons pas… Nous nous souviendrons

    Nous n’oublierons pas le silence, l’hypocrisie, les ordres et le chantage

    Nous n’oublierons pas ceux qui ont élevé la voix et se sont levés pour ce qui est juste

    Nous n’oublierons rien

    Vous pouvez continuer à nous pousser au désespoir et nous continuerons à faire épanouir l’espoir

    Vous pouvez continuer à promouvoir la mort… Nous continuerons à promouvoir la vie

    Vous continuerez à faire le pire… Nous continuerons à faire le meilleur

    https://blogs.mediapart.fr/dominique-natanson/blog/221023/condamnez-vous-le-hamas-un-palestinien-repond
    #condamnation #réponse #7_octobre_2023 #Palestine #Israël #humanité #dignité #excuses #résistance #réfugiés_palestiniens #torture #oppression #humiliation #droit_international #animal_humain #animaux #viol #coexistence #oppression #silence #hypocrisie #chantage #désespoir #espoir #à_lire

  • Lettre ouverte au président de la République française - L’Orient-Le Jour
    https://www.lorientlejour.com/article/1354010/lettre-ouverte-au-president-de-la-republique-francaise.html

    Lettre ouverte au président de la République française
    OLJ / Par Dominique EDDÉ, le 20 octobre 2023 à 10h30

    Monsieur le Président,

    C’est d’un lieu ruiné, abusé, manipulé de toutes parts, que je vous adresse cette lettre. Il se pourrait qu’à l’heure actuelle, notre expérience de l’impuissance et de la défaite ne soit pas inutile à ceux qui, comme vous, affrontent des équations explosives et les limites de leur toute puissance.

    Je vous écris parce que la France est membre du Conseil de sécurité de l’ONU et que la sécurité du monde est en danger. Je vous écris au nom de la paix.

    L’horreur qu’endurent en ce moment les Gazaouis, avec l’aval d’une grande partie du monde, est une abomination. Elle résume la défaite sans nom de notre histoire moderne. La vôtre et la nôtre. Le Liban, l’Irak, la Syrie sont sous terre. La Palestine est déchirée, trouée, déchiquetée selon un plan parfaitement clair : son annexion. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les cartes.

    Le massacre par le Hamas de centaines de civils israéliens, le 7 octobre dernier, n’est pas un acte de guerre. C’est une ignominie. Il n’est pas de mots pour en dire l’étendue. Si les arabes ou les musulmans tardent, pour nombre d’entre eux, à en dénoncer la barbarie, c’est que leur histoire récente est jonchée de carnages, toutes confessions confondues, et que leur trop plein d’humiliation et d’impotence a fini par épuiser leur réserve d’indignation ; par les enfermer dans le ressentiment. Leur mémoire est hantée par les massacres, longtemps ignorés, commis par des Israéliens sur des civils palestiniens pour s’emparer de leurs terres. Je pense à Deir Yassin en 1948, à Kfar Qassem en 1956. Ils ont par ailleurs la conviction – je la partage – que l’implantation d’Israël dans la région et la brutalité des moyens employés pour assurer sa domination et sa sécurité ont très largement contribué au démembrement, à l’effondrement général. Le colonialisme, la politique de répression violente et le régime d’apartheid de ce pays sont des faits indéniables. S’entêter dans le déni, c’est entretenir le feu dans les cerveaux des uns et le leurre dans les cerveaux des autres. Nous savons tous par ailleurs que l’islamisme incendiaire s’est largement nourri de cette plaie ouverte qui ne s’appelle pas pour rien « la Terre sainte ». Je vous rappelle au passage que le Hezbollah est né au Liban au lendemain de l’occupation israélienne, en 1982, et que les désastreuses guerres du Golfe ont donné un coup d’accélérateur fatal au fanatisme religieux dans la région.

    Qu’une bonne partie des Israéliens reste traumatisée par l’abomination de la Shoah et qu’il faille en tenir compte, cela va de soi. Que vous soyez occupé à prévenir les actes antisémites en France, cela aussi est une évidence. Mais que vous en arriviez au point de ne plus rien entendre de ce qui se vit ailleurs et autrement, de nier une souffrance au prétexte d’en soigner une autre, cela ne contribue pas à pacifier. Cela revient à censurer, diviser, boucher l’horizon. Combien de temps encore allez-vous, ainsi que les autorités allemandes, continuer à puiser dans la peur du peuple juif un remède à votre culpabilité ? Elle n’est plus tolérable cette logique qui consiste à s’acquitter d’un passé odieux en en faisant porter le poids à ceux qui n’y sont pour rien. Écoutez plutôt les dissidents israéliens qui, eux, entretiennent l’honneur. Ils sont nombreux à vous alerter, depuis Israël et les États-Unis.

    Commencez, vous les Européens, par exiger l’arrêt immédiat des bombardements de Gaza. Vous n’affaiblirez pas le Hamas ni ne protégerez les Israéliens en laissant la guerre se poursuivre. Usez de votre voix non pas seulement pour un aménagement de corridors humanitaires dans le sillage de la politique américaine, mais pour un appel à la paix ! La souffrance endurée, une décennie après l’autre, par les Palestiniens n’est plus soutenable. Cessez d’accorder votre blanc-seing à la politique israélienne qui emmène tout le monde dans le mur, ses citoyens inclus. La reconnaissance, par les États-Unis, en 2018, de Jérusalem capitale d’Israël ne vous a pas fait broncher. Ce n’était pas qu’une insulte à l’histoire, c’était une bombe. Votre mission était de défendre le bon sens que prônait Germaine Tillion « Une Jérusalem internationale, ouverte aux trois monothéismes. » Vous avez avalisé, cette même année, l’adoption par la Knesset de la loi fondamentale définissant Israël comme « l’État-Nation du peuple juif ». Avez-vous songé un instant, en vous taisant, aux vingt et un pour cent d’Israéliens non juifs ? L’année suivante, vous avez pour votre part, Monsieur le Président, annoncé que « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme. » La boucle était bouclée. D’une formule, vous avez mis une croix sur toutes les nuances. Vous avez feint d’ignorer que, d’Isaac Breuer à Martin Buber, un grand nombre de penseurs juifs étaient antisionistes. Vous avez nié tous ceux d’entre nous qui se battent pour faire reculer l’antisémitisme sans laisser tomber les Palestiniens. Vous passez outre le long chemin que nous avons fait, du côté dit « antisioniste », pour changer de vocabulaire, pour reconnaître Israël, pour vouloir un avenir qui reprenne en compte les belles heures d’un passé partagé. Les flots de haine qui circulent sur les réseaux sociaux, à l’égard des uns comme des autres, n’exigent-ils pas du responsable que vous êtes un surcroît de vigilance dans l’emploi des mots, la construction des phrases ? À propos de paix, Monsieur le Président, l’absence de ce mot dans votre bouche, au lendemain du 7 octobre, nous a sidérés. Que cherchons-nous d’autre qu’elle au moment où la planète flirte avec le vide ?

    Les accords d’Abraham ont porté le mépris, l’arrogance capitaliste et la mauvaise foi politique à leur comble. Est-il acceptable de réduire la culture arabe et islamique à des contrats juteux assortis – avec le concours passif de la France – d’accords de paix gérés comme des affaires immobilières ? Le projet sioniste est dans une impasse. Aider les Israéliens à en sortir demande un immense effort d’imagination et d’empathie qui est le contraire de la complaisance aveuglée. Assurer la sécurité du peuple israélien c’est l’aider à penser l’avenir, à l’anticiper, et non pas le fixer une fois pour toutes à l’endroit de votre bonne conscience, l’œil collé au rétroviseur. Ici, au Liban, nous avons échoué à faire en sorte que vivre et vivre ensemble ne soient qu’une et même chose. Par notre faute ? En partie, oui. Mais pas seulement. Loin de là. Ce projet était l’inverse du projet israélien qui n’a cessé de manœuvrer pour le rendre impossible, pour prouver la faillite de la coexistence, pour encourager la fragmentation communautaire, les ghettos. À présent que toute cette partie du monde est au fond du trou, n’est-il pas temps de décider de tout faire autrement ? Seule une réinvention radicale de son histoire peut rétablir de l’horizon.

    En attendant, la situation dégénère de jour en jour : il n’y a plus de place pour les postures indignées et les déclarations humanitaires. Nous voulons des actes. Revenez aux règles élémentaires du droit international. Demandez l’application, pour commencer, des résolutions de l’ONU. La mise en demeure des islamistes passe par celle des autorités israéliennes. Cessez de soutenir le nationalisme religieux d’un côté et de le fustiger de l’autre. Combattez les deux. Rompez cette atmosphère malsaine qui donne aux Français de religion musulmane le sentiment d’être en trop s’ils ne sont pas muets.

    Écoutez Nelson Mandela, admiré de tous à bon compte : « Nous savons parfaitement que notre liberté est incomplète sans celle des Palestiniens, » disait-il sans détour. Il savait, lui, qu’on ne fabrique que de la haine sur les bases de l’humiliation. On traitait d’animaux les noirs d’Afrique du Sud. Les juifs aussi étaient traités d’animaux par les nazis. Est-il pensable que personne, parmi vous, n’ait publiquement dénoncé l’emploi de ce mot par un ministre israélien au sujet du peuple palestinien ? N’est-il pas temps d’aider les mémoires à communiquer, de les entendre, de chercher à comprendre là où ça coince, là où ça fait mal, plutôt que de céder aux affects primaires et de renforcer les verrous ? Et si la douleur immense qu’éprouve chaque habitant de cette région pouvait être le déclic d’un début de volonté commune de tout faire autrement ? Et si l’on comprenait soudain, à force d’épuisement, qu’il suffit d’un rien pour faire la paix, tout comme il suffit d’un rien pour déclencher la guerre ? Ce « rien » nécessaire à la paix, êtes-vous sûrs d’en avoir fait le tour ? Je connais beaucoup d’Israéliens qui rêvent, comme moi, d’un mouvement de reconnaissance, d’un retour à la raison, d’une vie commune. Nous ne sommes qu’une minorité ? Quelle était la proportion des résistants français lors de l’occupation ? N’enterrez pas ce mouvement. Encouragez-le. Ne cédez pas à la fusion morbide de la phobie et de la peur. Ce n’est plus seulement de la liberté de tous qu’il s’agit désormais. C’est d’un minimum d’équilibre et de clarté politique en dehors desquels c’est la sécurité mondiale qui risque d’être dynamitée.

    Par Dominique EDDÉ. Écrivaine.

    • Ça n’organise rien. C’est un moyen de se tenir informé d’actions auxquelles je ne suis plus connecté depuis que je suis en retraite.
      Comment tu fais quand l’info du blocage du periph passe essentiellement sur whatsapp ?
      Tu engueules les gens parce qu’ils ne sont pas sur Signal ?

    • #Facebook et moi sommes tombés d’accord de nous considérer mutuellement comme fraudeurs nuisibles à notre cause, alors on a conclu un marché : Je ne le combat pas de l’intérieur et il ne me surveille pas. Nous pratiquons la coexistence pacifique jusqu’à ce que le mur du walled garden tombe.

      Il n’y a pas de protocole prévu pour ce jour mais je crois qu’on acceuillera les réfugiés dans un grand effort humanitaire soutenu par #Mastodon et #Seenthis ;-)

      P.S. Si les communistes allemands avaient embauché la SS pour gérer leur communication, ils auraient sans doute réussi à écarter les nazis du parlement et l’Europe serait socialiste aujourd’hui, pas vrai ?

      Est-ce que vous vous rendez compte des idées qu’inspirent les Zuckerberg et autres patrons de plateformes étatsuniennes ?

      https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Coexistence_pacifique
      https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Schutzstaffel
      https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Objectivisme_(Ayn_Rand)
      https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Le_Mythe_du_vingti%C3%A8me_si%C3%A8cle

      #coexistence_pacifique

    • L’utilisation de WhatsApp, nous rapporte exodus-privacy, nécessite l’installation d’un pisteur et de 66 permissions des plus intrusives.

      https://reports.exodus-privacy.eu.org/fr/reports/com.whatsapp/latest

      Facebook-Whatsapp est une saloperie. Ce n’est pas une révélation. Je le sais depuis toujours.

      Je ne vis pas (plus) parmi des geeks et encore moins parmi des hackers. Je ne suis en contact avec ces milieux, que par l’intermédiaire du web, notamment ici, sur seenthis. J’ai le plus grand respect pour ces communautés, en particulier, pour votre communauté (j’ai déjà eu l’occasion de le dire).

      Je ne suis pas un geek mais dans mon milieu professionnel, mon ancien boulot et mon réseau militant, sans évoquer ma famille, je suis connu pour mes positions - totalement isolées – mais tenaces contre les Gafam, pour le libre et les communs (utilisateur de Linux et de e/OS). Je n’ai pas de compte Gmail, ni Facebook, ni Twitter, ni Microsoft, ni Apple, ni Adobe… ni Whatsapp (jusqu’à hier). Je ne rentrerai pas dans les détails, mais étant complètement isolé sur ces positions, j’ai eu à en subir les conséquences sur le plan professionnel, sans parler des douces moqueries pour le reste.

      Alors il est vrai que je suis à cran quand on s’adresse à moi, ici, comme si je n’avais pas conscience que le fait d’installer cette merde sur mon smartphone pour rester en contact avec des actions du mouvement social actuel représente une réelle contradiction. Je n’ai fait qu’installer ça sur mon appareil, en toute connaissance de cause. Je ne considère pas que c’est super cool. Je ne demande à personne d’en faire autant.

      Je me suis souvent exprimé pour réfuter, par exemple dans des AG militantes, l’hypothèse selon laquelle le printemps arabe se serait développé grâce à Facebook et à Twitter. Je garde le même point de vue aujourd’hui.

      L’omniprésence des réseaux sociaux dans le mouvement social ne représente en rien une condition même minime de ce dernier mais il en constitue, au contraire, une contradiction majeure, ne serait-ce que par la connexion avérée qui existe entre les États et les Gafams, sachant le niveau de profilage personnalisé que ces derniers sont capables d’opérer sur la population.

      Ce n’est pas la seule contradiction qui traverse le mouvement social actuel. Nous l’avons déjà évoqué notamment lors d’échanges avec @colporteur. En plus de l’usage de Whatsapp, il faudrait aussi ajouter les ambiguïtés concernant les revendications même sur les retraites et le travail, alors que tant de précaires en sont exclus, les organisations syndicales bureaucratisées et institutionnalisées (je paie toujours mes cotis, et bim encore une tarte), le fétichisme des actions spectaculaires (qui alimentent les réseaux sociaux), les différentes formes de virilisme militant, etc.

      Une liste à n’en plus finir, non ?

      Voilà de quoi est fait le réel et faut bien se le fader alors vous avez tout à fait raison de pointer la contradiction mais, de grâce, je vous demande juste de ne pas me plaquer un discours qui n’est pas le mien.

      Merci, sincèrement.

    • Je suis tout à fait d’accord avec @cabou. Faut vraiment ne faire absolument aucune action commune dans la vie réelle (pas son blog ou magazine internet), pour ne vraiment rien avoir à faire avec les gafam. Il faut bien sûr continuer de militer contre et dans nos groupes proposer des flux d’infos en plus pour celleux qui n’y sont pas (et je dis bien « en plus » pas à la place : 99% des gens y sont, et il FAUT les toucher, pas nos trois potes). Mais de nombreux événements ne sont relayés que comme ça, donc si t’y es pas, bah juste tu restes chez toi et tu râles contre les gafam sur internet.

      Ce qui n’empêche pas de proposer à nos camarades des groupes Telegram plutôt que WA (et suivant les participant⋅es, des groupes Signal encore mieux) et aussi avoir une hygiène d’inscription (à conseiller aux autres) : pas de vrais noms sur ces comptes, s’inscrire au max avec des emails bidons dédiés, pas son email perso (mais quand ya des apps qui sont pas avec le numéro de tel on est niqué c’est sûr), etc.

      Enfin bon c’est exactement le même problème que les gens qui pensent changer le monde en faisant une ferme en autarcie loin de tout : ça démontre qu’on peut le faire, mais ça ne touche à peu près personne, donc il faut en parallèle faire partie de la société (de merde) dans laquelle on vit.

    • Oui et je suis d’accord aussi.

      Par contre, le « il faut en même temps » est un problème : quand on a vu les associations passer toute leur militance sur Facebook, elle ont largement tué leurs sites Web et délaissé tout outil alternatif. « Parce que c’est là que sont les gens ».

      Je sais que je suis vieux, mais le gros mouvement que j’ai vu, c’est pas que les groupes qui n’avaient aucun outil avant se sont mis à utiliser Facebook « pour commencer sur le Web », c’est plutôt que beaucoup de groupes avaient des supports et médias en ligne, et les ont abandonnés pour passer sur les plateformes commerciales.

    • Sinon tout de même :

      Comment tu fais quand l’info du blocage du periph passe essentiellement sur whatsapp ?
      Tu engueules les gens parce qu’ils ne sont pas sur Signal ?

      Si derrière il y a une répression judiciaire (ce qu’on a vu assez systématiquement lors des GJ, et qui a l’air de se mettre en place depuis que le 49.3 siffle la fin de la mise en scène démocratique), c’est tout de même bien un souci, non, d’avoir utilisé un « mouchard » pour organiser une action sans doute illégale.

      Tant qu’on est dans les clous, un mouchard c’est gérable (puisque de toute façon on déclare déjà le parcours de sa manif, sur place le type des RG viendra dire bonjour et essayer de faire copain-copain…). Mais dès qu’on est dans le hum-hum (organisation d’une manifestation non déclarée), ça revient à donner volontairement des armes (liste de noms) au pouvoir. C’est problématique tout de même.

    • Merci @rastapopoulos et @arno pour vos précisions :-)

      Par contre, le « il faut en même temps » est un problème : quand on a vu les associations passer toute leur militance sur Facebook, elle ont largement tué leurs sites Web et délaissé tout outil alternatif. « Parce que c’est là que sont les gens ».

      Totalement d’accord avec toi @arno : le constat du remplacement des sites par les plateformes de blog puis par Facebook est assez éloquent.

      Les sites des nombreuses instances de la CGT, par exemple, qui utilisent très souvent Spip ne sont jamais mis à jour (logiciel et contenu). C’est la cata ; en fait, ils s’en tapent. J’ai l’impression que c’est aussi le cas de beaucoup d’associations. Et là je ne parle même pas de toutes les entités commerciales ou non qui remplacent leurs sites web par des applications.

      Néanmoins pour les actions sociales dont je parle, Facebook n’a aucune utilité.
      Je n’ai pas de compte Facebook je ne vois aucune raison d’en avoir. La seule fois où, par nécessité, j’en ai créé un bidon, il était complètement vide, j’ai été éjecté au bout de quelques semaines :-)))

      Tant qu’on est dans les clous, un mouchard c’est gérable (puisque de toute façon on déclare déjà le parcours de sa manif, sur place le type des RG viendra dire bonjour et essayer de faire copain-copain…). Mais dès qu’on est dans le hum-hum (organisation d’une manifestation non déclarée), ça revient à donner volontairement des armes (liste de noms) au pouvoir. C’est problématique tout de même.

      Oui, sur le fond c’est tout à fait vrai puisque nous savons, notamment aux USA, que les Gafam (tous autant qu’ils sont) s’exécutent quand l’État exige des infos. En tout cas, en France, je n’ai pas connaissance qu’il soit avéré que cela se soit vraiment produit (mais il est possible que l’info m’ait échappée).
      Est-ce que Whatsapp permettrait par une porte dérobée ou un autre moyen de communiquer des infos aux services de police ? Selon la version officielle c’est non. Mais comme c’est impossible à vérifier il est totalement légitime d’émettre les plus grands doutes sur ce point. Donc, ok : faut pas faire confiance mais c’est un compromis, qui n’est pas facile à trouver entre une sociabilité, objectivement aliénée aux Gafam et le respect essentiel de sa vie privée.

      Quoi qu’il en soit, il ne faut pas non plus sous-estimer que les services de police utilisent les moyens humains classiques d’infiltration, ou les bons vieux micros ou la vidéosurveillance (cela a été mentionné il y a quelques temps sur seenthis), lesquels peuvent s’avérer plus efficaces que l’espionnage via les applications. Mais c’est vrai qu’avec la typologie des mouvements sociaux actuels - sans organisation, proprement dite ni « leader » - cela devient assez compliqué pour eux. Et cela, c’est quelque chose de très intéressant mais ça explique peut-être aussi pourquoi ils sont si violents.

  • #No_voy_solo_no
    https://www.youtube.com/watch?v=HXkOeBoL86w

    Cuando la zorra viene llena de arena x2
    Es señal que ha andado el zorro con ella x2

    Rondadora, rondadora de mi corazon
    No voy sola, no voy sola, que voy con mi amor

    Cuando la zorra viene llena de polvo x2
    Es señal que ha andado con ella el lobo x2

    Rondadora, rondadora de mi corazon
    No voy sola, no voy sola, que voy con mi amor

    Los primeros amores no sé que tienen x2
    Se meten en el alma y salir no pueden x2

    Rondadora, rondadora de mi corazon
    No voy sola, no voy sola, que voy con mi amor

    El bailar quiere gracia y el cantar brío x2
    El tocar el pandero mucho sentido x2

    Rondadora, rondadora de mi corazon
    No voy sola, no voy sola, que voy con mi amor

    #amour #musique #musique_populaire #péninsule_ibérique #folk #chants_populaires #Peñaparda #Ajechao #pandero_cuadrado #Espagne #coetus

  • #Suisse : « Les effectifs de loups augmentent de manière exponentielle » Yann Amedro/vajo - RTS
    https://www.rts.ch/info/suisse/13283954-isabelle-germanier-les-effectifs-de-loups-augmentent-de-maniere-exponen

    Cet été, les attaques de loups sur les bovins se multiplient dans le Jura et les Alpes vaudoises. La relative paix entre le grand carnivore et les humains semble menacée, car le prédateur s’est en partie adapté à son environnement.

    La correspondante pour la Suisse romande du Groupe Loup Suisse, organisation s’engageant à faciliter la coexistence entre les humains et les grands carnivores indigènes dans le pays, Isabelle Germanier observe que les effectifs augmentent « de manière exponentielle ». En Suisse, les loups sont passés de 34 en 2015 à 180 en 2022.


    Les attaques de loups se multiplient dans le Jura : interview d’Isabelle Germanier / Le 12h30 / 4 min. / aujourd’hui à 12:34

    « Forcément, quand il y a plus de loups, il y a plus d’attaques », note Isabelle Germanier, mercredi dans le 12h30 de la RTS. Le journal 24 heures explique que le loup s’est adapté à son environnement, « sans quoi il aurait déjà été exterminé », explique-t-elle.

    Moins d’ovins dans le Jura vaudois
    « Il y a beaucoup moins d’ovins dans la région du Jura vaudois », cite-t-elle en exemple. « En voyant que les proies étaient beaucoup plus volumineuses, le loup a pris l’habitude de garder des jeunes des années précédentes pour avoir une meute beaucoup plus grande afin d’attaquer des proies plus importantes. On observe à l’est de l’Europe que les loups arrivent à tuer des bisons quand ils sont en meute. »

    Le canton de Vaud envisage donc d’abattre un des deux membres du couple géniteur de la meute du Marchairuz. « Le canton prévoit d’abattre le mâle, mais il se peut que ce soit la femelle qui mène les opérations. Les spécialistes sur place connaissent la meute, l’essentiel est de prélever le bon individu pour tenter de baisser la pression. Mais dans tous les cas, il n’y a aucune garantie de succès. On ne peut toutefois nier la souffrance des éleveurs et la situation actuelle ne fait que renforcer les extrémistes des deux côtés, ce qui est regrettable », expliquait il y a quelques jours le canton dans un communiqué.

    « On essaie des choses »
    Le nouveau conseiller d’Etat Vert Vassilis Venizelos avouait avoir fait « à contrecœur » la demande de régulation à l’Office fédéral de l’environnement.

    « On essaie des choses », déclare Isabelle Germanier. « Si on tire des jeunes, c’est surtout pour éviter une dispersion dans d’autres meutes des mauvais comportements que les jeunes loups ont appris comme le détournement des moyens de protection. Ce n’est pas pour essayer de diminuer les pertes sur le lieu même des attaques. »
    #loup #écologie #équilibre #nature #environnement #adaptation #animaux_domestiques #moutons #ovins #coexistence

    • En baie de Somme, des bébés phoques abandonnés à cause des touristes Allouville-Bellefosse (Seine-Maritime) et Saint-Valery-sur-Somme (Somme), reportage

      De plus en plus de touristes se rendent dans la baie de Somme. Les associations de protection de la nature s’inquiètent des conséquences de cet afflux sur l’écosystème, en particulier sur les colonies de phoques.
      Peut-on pâtir de sa mignonnerie ? Assurément, pense-t-on en plongeant son regard dans les grands yeux noirs des petits phoques veaux-marins (Phoca vitulina). Les voici étendus sur le carrelage délavé du centre de soins du Chene, à Allouville-Bellefosse (Seine-Maritime). Pelages humides, museaux fins et longues moustaches, Maloya, Pogo et Calypso sautillent gauchement en attendant leur repas.


      Pogo, jeune phoque recueilli par le Centre d’hébergement et d’étude sur la nature et l’environnement d’Allouville-Bellefosse. - © Tiphaine Blot / Reporterre

      Leurs cris s’intensifient à l’arrivée de leur soigneuse, Julia, les bras chargés d’une bouillie de poisson rosâtre. Revêtue d’une combinaison médicale, la jeune femme cale délicatement les petits phoques entre ses cuisses avant de les intuber pour leur faire ingurgiter la mixture. « Si on veut leur faire reprendre des forces, on n’a pas le choix, explique-t-elle. Ce ne sont pas des chiens, ils ne mangent pas dans une gamelle. Ce serait trop bien ! »


      Calypso, qui ne peut pas encore avaler de poissons entiers, est nourrie par sonde. © Tiphaine Blot / Reporterre

      En tout, huit petits phoques ont été recueillis par le centre depuis le début de l’été. Tous ont été abandonnés par leurs mères encore allaitantes, très probablement après avoir été dérangés par des touristes. « Par curiosité, les gens viennent voir les phoques de près quand ils se reposent sur le sable. Les mamans ont peur et fuient dans l’eau, tandis que les bébés restent sur place », raconte Julia. À leur arrivée au centre de soins, la plupart étaient à peine plus gros que des chats. Quelques-uns avaient encore leur cordon ombilical.

      « C’est désastreux, soupire une soigneuse, Louise. Certains touristes vont même jusqu’à les prendre dans leurs bras. Ça fait des orphelins. » Tous les petits ne survivent pas à cette séparation forcée. Deux jeunes recueillis par le centre après avoir été manipulés par des humains sont déjà morts cette année. « Il y en a un qui est parti dans mes bras », souffle Julia. Elle ironise : « Il faudrait qu’ils aient l’air plus féroce. Peut-être que l’on s’en approcherait moins. »


      « Il faudrait qu’ils aient l’air plus féroce. Peut-être que l’on s’en approcherait moins. » © Tiphaine Blot / Reporterre

      Les pensionnaires du Chene sont nés à 130 kilomètres de là, sur les côtes picardes de la baie de Somme (Hauts-de-France) : d’immenses étendues de sable cernées de salicorne, sans cesse dénudées et rhabillées par la mer. Le tourisme a commencé à se développer dans la région au cours des années 1980.

      Il représente aujourd’hui une véritable manne : plus de 2 millions de visiteurs arpentent chaque année ses plages et ses prés salés, générant plus de 2 000 emplois et 160 millions d’euros de revenus, selon les chiffres de Somme Tourisme. L’agence vante un patrimoine naturel « exceptionnel », pouvant être consommé « à tout moment de l’année », comme l’expliquait son directeur François Bergez aux Échos, en 2020.

      Boules à neige et porte-clés
      La colonie locale de phoques, qui regroupe environ 400 veaux-marins (Phoca vitulina) et 100 phoques gris (Halichoerus grypus), a grandement contribué à l’essor de cette industrie. À Saint-Valery-sur-Somme, d’où partent la plupart des expéditions « nature », les phocidés sont partout. Déclinés en boules à neige, en peluches ou en porte-clés, des bébés phoques au sourire malicieux et au regard farceur inondent les vitrines des buralistes et des marchands de souvenir.

      Jusque dans les toilettes des restaurants, des affiches promettent une expérience « unique » à la rencontre des mammifères marins. Sur les quais bondés, tous guettent l’animal, appareil photo en bandoulière. En mer, les conducteurs de bateaux touristiques se pressent devant les bancs de sable où se reposent les phocidés pour expliquer à leurs clients, micro en main, comment ils vivent.


      Une quinzaine de jeunes phoques en détresse sont recueillis chaque année par les associations. © Tiphaine Blot / Reporterre

      La situation agace autant qu’elle inquiète Patrick Thiery, président de l’association de protection de l’environnement Picardie Nature. « La Baie de Somme est quasiment présentée comme un parc animalier gratuit », regrette-t-il. Depuis que l’endroit a été labellisé « Grand Site de France », en 2011, les activités commerciales liées à la nature ont explosé dans les zones où vivent les oiseaux et les phoques. « Il y a des guides à pied, des trottinettes électriques, des fat bikes, des chevaux, des pirogues, des bateaux à moteur… Quand on additionne tout ça, on arrive à un cumul d’activité, à marée basse et à marée haute, pile au moment où ils se reproduisent. Il n’y a aucun répit. »

      Aucune étude d’incidence n’a été réalisée pour évaluer les effets cumulés de ces activités sur l’écosystème, regrette Patrick Thiery. Le ballet incessant d’êtres humains aux alentours des bancs de sable est pourtant susceptible de stresser la faune sauvage. Même s’il est interdit d’approcher les phoques à moins de 300 mètres, les bénévoles de Picardie Nature observent fréquemment des promeneurs s’arrêter pour les caresser ou prendre des selfies avec eux.

      Des dérangements aux lourdes conséquences
      « Les phoques sont capables d’apprendre ce qui peut être une source de dérangement ou non », signale Cécile Vincent, enseignante-chercheuse au Centre d’études biologiques de Chizé et spécialiste des phoques. Elle évoque l’exemple d’un site de reproduction anglais, situé juste à côté d’une piste de décollage d’avions de la Royal Air Force. « Il y a une pollution sonore énorme, mais les phoques s’y sont habitués, parce qu’ils savent que personne ne viendra les toucher. » En Baie de Somme, où les humains circulent librement, les phoques ne peuvent avoir cette certitude. Par peur, il arrive qu’ils se jettent à l’eau à leur approche.

      « Ce n’est pas bon pour eux pour des questions de thermorégulation, poursuit Cécile Vincent. S’ils le font une seule fois, ce n’est pas dramatique. Le problème est la répétition. Les phoques sont des animaux homéothermes. Ils vivent dans un environnement plus froid que leurs corps, qui doit rester à environ 37 °C. Sous l’eau, l’environnement est beaucoup plus froid, et la perte de chaleur est beaucoup plus importante que dans l’air. S’ils vont fréquemment dans l’eau pour fuir les dérangements, ils perdent de l’énergie. » Les mères risquent également de ne pas retrouver leurs petits à leur retour sur terre. Cela peut « clairement » faire baisser les effectifs, selon la chercheuse.


      Les phoques les plus autonomes sont nourris dans cette piscine. © Tiphaine Blot / Reporterre

      Pour le moment, précise-t-elle, la colonie se porte bien. Mais le tourisme s’ajoute à d’autres menaces liées aux activités humaines, comme le changement climatique, la diminution des stocks de poisson, ou encore les captures accidentelles de phoques par les pêcheurs. « On ne connaît pas les effets de ces impacts cumulés, souligne Cécile Vincent. Il faut avoir une approche prudente, sans forcément tout bloquer. »

      Chaque année, environ 15 phoques en détresse — soit 10 % des nouveaux-nés — sont recueillis par les bénévoles de Picardie Nature, puis placés au centre de soins du Chene ou de la Ligue de Protection des Animaux (LPA) de Calais. « Mais si on n’était pas là pour effectuer des patrouilles et prévenir les dérangements, ils seraient 30 ou 40 », estime Patrick Thiery.


      En plus des phoques, des oiseaux sont aussi recueillis par le Chene. © Tiphaine Blot / Reporterre

      Les phoques ne sont par ailleurs pas les seuls à pâtir de l’afflux de visiteurs. Le piétinement des passants peut endommager les plantes. Les oiseaux, dont certains nichent sur les plages, peuvent également être perturbés par les activités touristiques. « Quand il y a des vols de montgolfière à basse altitude, les brûleurs font un boucan du diable, et les oiseaux s’envolent », raconte Patrick Thiery.

      Le président de Picardie Nature dénonce un « déséquilibre flagrant » entre les revenus générés par l’exploitation touristique de l’écosystème et les moyens alloués à sa protection. « Toutes ces activités génèrent des centaines de milliers d’euros de chiffres d’affaires, tandis que nous, on rame pour organiser une surveillance estivale et trouver des gîtes pour loger nos bénévoles. »

      Chaque été, l’association se démène avec une petite dizaine de volontaires pour sensibiliser des centaines de milliers de touristes. « Ce n’est pas idéal. » Le centre de sauvegarde du Chene peine lui aussi à joindre les deux bouts. La prise en charge d’un jeune phoque coûte plus de 2 000 euros. « On est soutenus par les collectivités, mais pas autant que nous devrions l’être », estime Alain Beaufils, son responsable.

      « On subit les bons vouloirs des politiques et des financeurs »

      Le syndicat mixte Baie de Somme-Grand littoral picard, qui gère la réserve, plaide également un manque de moyens financiers et humains. Il ne dispose pour le moment que de deux gardes assermentés pour surveiller plusieurs milliers d’hectares. « On subit les bons vouloirs des politiques et des financeurs, confie Alexandre Quénu, la conservatrice de la réserve naturelle. Arriver à maintenir et justifier les postes de chacun, c’est un combat permanent. On serait plus confortables avec une ou deux personnes supplémentaires. »

      Patrick Thiery, de Picardie Nature, défend depuis plusieurs années le principe d’une écotaxe, qui serait prélevée auprès des entreprises touristiques, puis reversée à ceux qui protègent la réserve. Les discussions avec les gestionnaires de la réserve n’ont pour le moment pas abouti. Seules quelques avancées ont été réalisées dans le domaine de la communication. Somme Tourisme s’est engagée à ne plus utiliser d’images de phoques en gros plan dans ses supports, afin de ne pas donner l’impression aux visiteurs qu’il est possible de les approcher de près.

      L’agence essaie également de développer l’offre touristique dans les terres afin de réduire la pression sur le littoral. « Mais on ne peut pas obliger nos partenaires institutionnels et les prestataires privés à ne pas communiquer sur le phoque, précise Dorothée Maréchal, responsable du pôle développement de la performance. C’est plus vendeur qu’une plante, ils essaient forcément d’utiliser cette image-là. »


      Les phoques seront relâchés s’ils survivent jusqu’à atteindre 35 kilos. © Tiphaine Blot / Reporterre

      D’autres manières de cohabiter avec les phoques restent à inventer. Picardie Nature anime chaque année des points d’observation à la longue vue, grâce auxquelles les phocidés peuvent être observés sans être dérangés. Julia, du Chene, suggère d’interdire certaines plages au public lors de la période de reproduction des phoques. Une telle mesure semble encore loin. En attendant, les soigneurs réparent les pots cassés.

      Sur les bords de la piscine du Chene, Julia apprend à ses protégés à manger des poissons entiers. Salsa, Boogie et Hip semblent en bonne voie. Les petits phoques se trémoussent dans l’eau jusqu’aux jambes de la soigneuse, puis bondissent pour attraper les harengs qu’elle leur tend. S’ils survivent, ils seront relâchés à l’automne, lorsqu’ils auront atteint 35 kilos. D’ici là, les parkings se seront vidés. La baie résonnera d’autres bruits que de ceux des touristes.

      Notre reportage en images : Le lien https://reporterre.net/En-baie-de-Somme-des-bebes-phoques-abandonnes-a-cause-des-touristes

  • #Simon_Springer : « A un moment donné, il faut juste dire "#fuck !" au #néolibéralisme dont la fonction première est de créer des #inégalités »

    Pour cet activiste du quotidien, lire #Kropotkine et #Reclus, c’est revenir aux sources de la géographie comme de l’#anarchisme. La #géographie_radicale propose de penser toutes les histoires, en s’éloignant du seul point de vue anthropocentrique. Cela inclut l’histoire des animaux, des plantes… Et surtout la prise en compte des #interactions et des #coopérations.

    L’affiche ressemble à s’y méprendre à celle de la tournée d’un groupe de hard rock. Si Simon Springer est bien fan de ce genre musical, les 28 dates du tour d’Europe qu’il a honorées avant l’été ont invité le public non pas à des concerts, mais à des conférences autour de son dernier ouvrage, Pour une géographie anarchiste (Lux éditeur, 2018). Professeur depuis 2012 à l’université de Victoria, au Canada, il rejoindra en septembre l’université de Newcastle, en Australie. Géographe radical, spécialiste de la pensée anarchiste et du Cambodge, Simon Springer se présente comme athée, végan, pacifiste, « straight edge » (sous-culture punk qui bannit la consommation de psychotropes) et « super-papa ». Cet activiste du quotidien revient pour Libération sur la nécessité d’une lutte à petits pas afin d’enrayer toute forme de domination.

    Qu’est-ce qu’est une géographie anarchiste ?

    Les systèmes de hiérarchie et de domination qui structurent nos vies découlent d’un apprentissage. Devenir anarchiste, c’est les désapprendre. J’ai trois enfants, qui détiennent de manière inhérente beaucoup de valeurs anarchistes. Ce sont mes plus grands professeurs. La géographie est un champ très vaste qui va de la géographie physique à la géographie humaine. Si vous revenez à Pierre Kropotkine et Elisée Reclus, aux sources de la géographie comme de l’anarchisme, il n’y a pas de séparation claire. Doreen Massey, une géographe radicale britannique, considère que la géographie raconte l’histoire, les histoires. Il s’agit de penser toutes les histoires collectées, pas uniquement d’un point de vue anthropocentrique. Cela inclut l’histoire des animaux, des plantes, et toutes les interconnexions qui font de la Terre ce qu’elle est.

    On ne conçoit pas l’espace de manière générale, mais de manières particulières, au pluriel. Doreen Massey considère que les lieux forment des constellations, comme un squelette des interconnexions que nous expérimentons. Cet ensemble de relations sociales, politiques et économiques est en évolution permanente. Il y a la grande histoire, et il y a le canevas des petites histoires. Rien n’est figé, accompli.
    En quoi l’anarchisme et ses idées permettent-ils de repenser notre rapport à l’espace et aux histoires des uns et des autres ?

    L’anarchisme est une manière d’être au monde, une question de liberté, d’émancipation. Dès lors qu’il y a une forme de hiérarchie, il y a un positionnement critique à avoir, et pas uniquement au sujet des relations que les humains ont entre eux. La pensée des Lumières a longtemps positionné l’homme au sommet de l’évolution des espèces. Chez Kropotkine et Reclus, dès le XIXe siècle, il s’agit de lui redonner une juste place : non pas supérieur, mais simplement existant aux côtés des autres espèces vivantes. Kropotkine pensait la mutualisation, la collaboration et la réciprocité à l’échelle de l’évolution entière. Afin de s’opposer au darwinisme, interprété comme une nécessaire compétition et la suprématie d’une espèce sur une autre, il souligne qu’un autre pan de la pensée de Darwin met en avant l’interdépendance des êtres vivants. Le processus d’évolution est lié à cela : certaines espèces survivent uniquement en vertu des liens qu’elles ont avec d’autres. Cette perspective permet de réimaginer la notion de survie, en réorientant la lecture de Darwin de la seule compétition à la coopération. L’anarchisme est aussi une question d’association volontaire et d’action directe. La première relève du choix, du libre arbitre, la seconde en découle : nous n’avons pas besoin d’attendre que des leaders élus, qu’une avant-garde, que quelqu’un d’autre nous autorise à repenser nos vies si nous avons envie de le faire. Selon Doreen Massey, il s’agit d’influer sur l’histoire, sur les histoires, pour qu’elles correspondent plus à nos désirs, nos intérêts et nos besoins.
    En quoi cette pensée peut-elle être actuelle ?

    Oppression raciale, violence d’Etat, violence capitalistique : les formes de violence dues aux hiérarchies se multiplient et se perpétuent aujourd’hui. L’anarchisme est beaucoup plus large que le proudhonisme originel. Il ne s’agit pas seulement d’une remise en cause de l’Etat, de la propriété, mais de toutes les formes de domination, en terme de genres, de sexualités, de races, d’espèces. L’anarchisme doit contribuer à forger une autre forme d’imagination, plus large, à mettre en avant les connexions entre les êtres plutôt que de leur assigner des étiquettes.
    Vous avez écrit un pamphlet intitulé « Fuck neoliberalism » (1), littéralement, « emmerdons le néolibéralisme »…

    A un moment donné, il faut juste dire « fuck it ! » [« merde ! », ndlr]. Car on a beau étudier dans le détail le fait que le marché avantage certains et en désavantage d’autres, un grand nombre de gens continueront de ne pas se sentir concernés. Donc il faut dire stop et s’atteler à renverser la tendance. Le capitalisme est fondé sur la domination, sa fonction première est de produire des inégalités. Dans ce système, certains réussissent, les autres restent derrière. En tant qu’universitaires, combien d’articles devrons-nous encore écrire pour dénoncer ses méfaits à tel endroit ou sur telle population ?

    C’est une provocation pour attirer l’attention sur le problème plutôt que de continuer à tourner autour. C’est le texte le plus lu de ma carrière. Il porte un message profondément anarchiste. Or, la réponse à cet article a été massivement positive dans le monde universitaire. Peut-être car le terme d’« anarchisme » n’apparaît jamais. La plupart des gens qui ont intégré des principes anarchistes à leur vie quotidienne ne l’identifient pas nécessairement comme tel. La coopération, la réciprocité, l’aide mutuelle, tout le monde les pratique chaque jour avec ses amis, sa famille. Lancer un jardin partagé, rester critique face à ses professeurs, interroger l’individualisme qui va de pair avec le néolibéralisme, cela fait partie d’une forme d’éthique de la vie en communauté. Nous sommes tous coupables - moi compris - de perpétuer le système. L’un des piliers du néolibéralisme est cette volonté de se focaliser sur l’individu, qui entraîne une forme de darwinisme social, les « tous contre tous », « chacun pour soi ».
    Vous évoquez un activisme de la vie quotidienne. Quel est-il ?

    L’activisme ne se résume pas à être en tête de cortège, prêt à en découdre avec la police. Il passe par des gestes très quotidiens, ce peut être de proposer à vos voisins de s’occuper de leurs enfants un après-midi. A Victoria, il existe un groupe de « mamies radicales » qui tricotent des vêtements pour les sans-abri. Mieux connaître ses voisins, aider quelqu’un à traverser la route, lever les yeux de nos téléphones ou débrancher notre lecteur de musique et avoir une conversation avec les gens dans le bus ou dans la rue : ces choses très simples font peser la balance dans l’autre sens, permettent de court-circuiter l’individualisme exacerbé produit par le néolibéralisme. Si vous vous sentez de manifester contre le G20, très bien, mais il faut également agir au quotidien, de manière collective.

    Une des meilleures façons de faire changer les gens d’avis sur les migrants est de leur faire rencontrer une famille syrienne, d’engager un échange. Frôler leur situation peut être le moyen de réhumaniser les réfugiés. Cela implique d’avoir un espace pour enclencher cette conversation, un lieu inclusif, libre des discours haineux. En s’opposant au nationalisme, l’anarchisme encourage le fait de penser le « non-nationalisme », de regarder au-delà des réactions épidermiques, d’élargir le cercle de nos préoccupations et notre capacité à prendre soin de l’autre, à se préoccuper de l’humanité entière.
    Cet ethos permet-il de lutter contre la violence institutionnelle ?

    Je me considère pacifiste, mais ça ne veut pas dire que les gens ne devraient pas s’opposer, lutter, pratiquer l’autodéfense. Pour moi, l’anarchisme est fondamentalement non-violent - un certain nombre d’anarchistes ne sont pas d’accord avec cela. Un système de règles et de coercition est intrinsèquement violent. L’Etat revendique le monopole de cette violence. Quand des groupes d’activistes, d’anarchistes ou n’importe qui s’opposent à l’Etat, c’est un abus de langage d’appeler cela de la violence. C’est un moyen pour l’autorité de discréditer la dissidence. Si l’Etat revendique le monopole de la violence, acceptons-le en ces termes. La violence est répugnante, vous en voulez le monopole ? Vous pouvez l’avoir. Mais alors n’appelez pas « violence » notre réponse. Le but d’un anarchiste, d’un activiste, ce n’est pas la domination, la coercition, mais la préservation de son intégrité, la création d’une société meilleure, de plus de liberté. L’autodéfense n’est pas de la violence.
    D’une certaine façon, un Black Bloc ne serait pas violent, selon vous ?

    Chaque Black Bloc, dans un contexte donné, peut être motivé par de nombreuses raisons. Mais de manière générale, je ne crois pas que son objectif soit la violence. La première raison pour laquelle le Black Bloc dissimule son visage, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’intérêts individuels, mais d’un mouvement collectif. La majorité des médias parle du Black Bloc uniquement en terme de « violence », or c’est d’abord une forme de résistance, d’autodéfense, non pas uniquement pour les individus qui forment à un moment le Black Bloc, mais une autodéfense de la communauté et de la planète sur laquelle nous vivons. Qu’est-ce que va changer, pour une banque, une vitrine brisée, très vite remplacée ? Condamner la violence des Black Blocs, ça permet d’occulter la violence de la police, vouée à la domination, la coercition, la suppression de la liberté de certains individus dans le seul but de préserver la propriété d’une minorité puissante.

    (1) « Fuck le néolibéralisme », revue Acme, 2016, en libre accès sous Creative Commons sur www.acme-journal.org

    https://www.liberation.fr/debats/2018/08/20/simon-springer-a-un-moment-donne-il-faut-juste-dire-fuck-au-neoliberalism

    #géographie_anarchiste #hiérarchie #domination #histoire #histoires #espace #liberté #émancipation #mutualisation #réciprocité #collaboration #darwinisme #compétition #interdépendance #survie #association_volontaire #action_directe #choix #libre_arbitre #violence #imagination #fuck #fuck_it #capitalisme #domination #aide_mutuelle #individualisme #darwinisme_social #chacun_pour_soi #tous_contre_tous #activisme #résistance #non-nationalisme #nationalisme #pacifisme #autodéfense #non-violence #dissidence #monopole_de_la_violence #coercition #Black_Bloc #violence_institutionnelle

    • Pour une géographie anarchiste

      Grâce aux ouvrages de David Harvey, Mike Davis ou même Henri Lefebvre, on connaît aujourd’hui la géographie radicale ou critique née dans le contexte des luttes politiques des années 1960 aux États-Unis et qui a, comme le disait Harvey, donné à Marx « la dimension spatiale qui lui manquait ». Dans ce livre, Simon Springer enjoint aux géographes critiques de se radicaliser davantage et appelle à la création d’une géographie insurrectionnelle qui reconnaisse l’aspect kaléidoscopique des espaces et son potentiel émancipateur, révélé à la fin du XIXe siècle par Élisée Reclus et Pierre Kropotkine, notamment.

      L’histoire de l’humanité est une longue suite d’expériences dans et avec l’espace ; or aujourd’hui, la stase qui est imposée à ces mouvements vitaux, principalement par les frontières, menace notre survie. Face au désastre climatique et humain qui nous guette, il est indispensable de revoir les relations que nous entretenons avec le monde et une géographie rebelle comme celle que défend Springer nous libérerait du carcan de l’attentisme. Il faut se défaire une bonne fois pour toutes des géographies hiérarchiques qui nous enchaînent à l’étatisme, au capitalisme, à la discrimination et à l’impérialisme. « La géographie doit devenir belle, se vouer entièrement à l’émancipation. »

      https://luxediteur.com/catalogue/pour-une-geographie-anarchiste

      #livre

  • #Gluten, l’ennemi public ?

    En abordant le sujet de l’explosion contemporaine d’#intolérance au gluten, ce film raconte en fait d’une bataille menée par certaines des sociétés les plus puissantes de la planète contre la science libre et notre #santé à nous tous. En jeu, en plus, est la survie de millions de petits agriculteurs, tout autour de la planète, qui risquent d’être chassés du marché. Comment ces choses peuvent être liées entre elles ?

    http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/62747_1
    #industrie_agro-alimentaire #gluten #film #documentaire #film_documentaire #blé #céréales #alimentation #gluten-free #allergie #intolérances_alimentaires #business #alimentation #blé #coeliaquie #industrie_chimique #CIMMYT #Fondation_Rockfeller #engrais #engrais_chimiques #Norman_Borlaug #Sonora_64 #révolution_verte #agriculture #industrialisation #glyphosate #ABCD (#Archer_Daniels_Midland, #Bunge, #Cargill, #Louis_Dreyfus_Company) #agriculture_intensive #OGM #Monsanto #herbicide #microbiome #roundup #OMC #barrières_non-tarifaires #protectionnisme #capitalisme

    voir aussi, via @odilon :
    https://seenthis.net/messages/911865

  • Rania Masri / رانية المصري sur Twitter : “طالما أننا نتحدث عن”التعايش" فإننا نواصل اعتبار ان ابناء هذه الأرض هم أجانب. نتعايش مع الأجانب (أو القبح) ؛ نحن لا نتعايش مع أنفسنا. نحن نعيش مع أنفسنا. لكن الأنظمة الطائفية تتطلب أن نرى بعضنا على أنه “الآخر” بدلاً من “الذات” - ومن ثم فهو يديم الصراع والانقسام." / Twitter
    https://twitter.com/rania_masri/status/1450167657899204608

    Tant que nous parlons de « #coexistence », nous continuons à considérer les habitants de cette terre comme des #étrangers.

    #Liban

  • The macho state: coercion, patriarchy and resistance

    When police officers themselves are responsible for so many cases of gender-based violence and when so many cases are never addressed by the judicial system, what does that say about both the institution of the police, the state and their coercive apparatus?

    https://longreads.tni.org/stateofpower/the-macho-state-coercion-patriarchy-and-resistance

    #machisme #partiarcat #résistance #violences_sexuelles #justice #impunité #insitutions #police #coercition #féminicide #féminicides #femmes #viols #culture_du_viol #violence #invisibilisation #genre #Etat #omission #violence_institutionnelle

    ping @_kg_

    • To paraphrase Paulo Freire, it seems to varying degrees that we are coming to the realisation of our condition of oppression. The moment is ripe to also realise that “nobody liberates themselves all alone. People liberate themselves in fellowship with each other.” Invoking the appeals of abolitionists who see not only the need but also the potential for the world to transform itself, it is time to forge ties of solidarity, communities of care, but above all communities of understanding, to come closer to the one another and find our own humanity in this otherness. This we owe to ourselves, to those who came before, but above all to those who will come after.

      ajouté ici —> https://seenthis.net/recherche?recherche=%23metalist+%23gender

  • "OK, pour pas être en retard, je ne m’arrête pas photographier toutes les 2 minutes... Oh un coeur !" ... :green_heart :
    https://www.flickr.com/photos/valkphotos/51316638735

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    ValK. a posté une photo :

    #Nantes, 16 juillet 2021. . Série ♧ série Resilience : vu.fr/valk-resilience . ¤ autres photos : vu.fr/valkphotos ¿ infos audios : frama.link/karacole ☆ oripeaux : frama.link/kolavalk ◇ rdv locaux : 44.demosphere.net ○ réseaux : twitter.com/valkphotos ♤ me soutenir : liberapay.com/ValK . :camera : #photo #photography #foto #photodujour #picoftheday #pictureoftheday #photooftheday #fotodeldia #LesPetitesPhotos :seedling : #nature #naturephotography #naturaleza #résilience #resilience #resiliencia #coeur #kalon #heart #corazón #vert #glas #green #verde

  • #8M2021 : Aujourd’hui j’ai finalement passé la difficile #InternationalWomenDay avec moi. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas vue...
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  • Entretien avec #Mathieu_Rigouste : une #généalogie coloniale de la police française
    (2017 —> pour archivage)

    L’entretien qui suit est la transcription d’une conversation ayant eu lieu le 23 septembre 2016 afin de figurer dans le 8ème numéro de The Funambulist (disponible en ligne et dans certaines librairies) dedié a une critique de la police dans differents contextes politiques et géographiques (États-Unis, Palestine, Égypte, Allemagne, Brésil, France). https://thefunambulist.net/magazine/police

    LÉOPOLD LAMBERT : Mathieu, ton travail consiste à beaucoup d’égards de mettre à jour la #généalogie_coloniale déterminante de la #police_française. J’aimerais donc commencer cette conversation avec le #massacre du #17_octobre_1961 qui a vu la police parisienne tuer entre 40 et 100 algérien-ne-s lors de manifestations ayant rassemblé environ 30 000 personnes en solidarité avec le #FLN. Lorsque nous évoquons la répression sanglante de l’état français au moment de la révolution algérienne, nous pensons souvent aux #violences commises en Algérie mais pas nécessairement en « métropole » ; c’est pourtant là que ce se détermine la police française d’aujourd’hui en relation à la partie de la population provenant d’anciennes colonies de « l’Empire » (nous en parlerons plus tard). Peux-tu nous décrire cette relation, ainsi que de la figure déterminante de #Maurice_Papon, préfet pour le régime Vichiste, puis à #Constantine en Algérie et enfin à l’œuvre à Paris donnant l’ordre d’un tel massacre ?

    MATHIEU RIGOUSTE : Il y a plusieurs racines de l’#ordre_sécuritaire. L’axe de mes recherches, c’est la #restructuration_sécuritaire qui accompagne la restructuration néolibérale du #capitalisme à l’époque contemporaine. Dans tous mes travaux je retombe sur ce mécanisme dans lequel on voit la société impérialiste française importer dans son système de #contrôle, de #surveillance, de #répression des dispositifs qui viennent des répertoires coloniaux et militaires. Au sein de l’Algérie qui est la colonie de peuplement et d’expérimentations d’une gestion militaire de la population colonisée la plus poussée, sont développés des répertoires d’#encadrement qui vont influencer en permanence, depuis 1830, la restructuration du contrôle de la population « en métropole ». Notamment par l’application de ces dispositifs sur les populations directement désignées comme étant la continuité des indigènes en Algérie, c’est-à-dire principalement les #arabes à #Paris. On a donc des répertoires particuliers, des #régimes_policiers de #violences appliqués aux colonisés « en #métropole » qui font un usage régulier de pratiques de #coercition, d’#humiliation, de #rafles, d’#assassinats, de #tortures longtemps avant la #guerre_d’Algérie et de manière continue. On a déjà une police dans les années 30 qui s’appelle #Brigade_de_surveillance_des_Nord-Africains (#BNA) qui est donc une police opérant sous critères racistes, chargée par l’utilisation de la coercition d’encadrer les français de souche nord-africaine. Ces répertoires vont se transmettre. La continuité de l’état, ça veut dire la continuité des personnels, des administrations, des bureaucraties. Et à travers la restructuration des unités de police, se transmettent des systèmes de #discours, d’#imaginaires, d’#idéologies, et de #pratiques.

    Donc au moment du 17 octobre 1961, il y a déjà tous ces répertoires qui appartiennent à l’arsenal de l’encadrement normal et quotidien des arabes à Paris. J’essaye d’alimenter une piste un peu nouvelle qui apporte un regard supplémentaire aux travaux critiques qui avaient été faits sur la question et qui essaye de montrer comment les doctrines de #contre-insurrection dominaient la pensée militaire de l’époque et comment elles ont été importées et réagencées après leur application industrielle pendant la guerre d’Algérie, notamment à partir de 1956, pour passer du répertoire militaire et colonial dans le répertoire policier de l’écrasement des arabes à Paris. Tu l’as dit, ça passe par des personnels ; on pense à la figure de Maurice Papon en effet, mais aussi à des « étages » moyens et inférieurs de la police, les #CRS, les #gendarmes_mobiles… tout le monde fait son séjour en Algérie pendant la guerre en tant que policier en formation ou pour servir puisqu’on avait utilisé la plupart des effectifs militaires et policiers disponibles à l’époque. Il y a donc déjà une masse de policiers et de gendarmes qui ont été faire la guerre aux colonisés et ils se sont appropriés le modèle de contre-insurrection, le modèle de #terreur_d’Etat. Et puis, il y a aussi tout le contingent, les « #appelés », toute une génération de jeunes mâles qui vont se construire – certains, en opposition, mais une minorité – dans cette guerre d’Algérie, et à travers toute l’économie psychique que ça suppose, les #peurs et la #férocité que ça va engendrer dans toute une génération qui prendra ensuite les manettes de la #Cinquième_République.

    Ce que j’essaye de montrer donc, et que l’on voit bien dans le discours de Maurice Papon à l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) en 1960, c’est que lui en tant que #IGAME, c’est-à-dire super préfet itinérant en Algérie, se forme à la contre-insurrection – c’était déjà un spécialiste des mécanismes de #purges, il s’était illustré par la #déportation des juifs de Bordeaux pendant l’occupation – et donc, assez logiquement, est nommé super préfet en Algérie pour organiser l’écrasement de la #révolution_algérienne. Il se forme ainsi à la contre-insurrection et expériment une forme de remodelage d’une contre-insurrection militaire et coloniale en contre-insurrection militaro-policière et administrative. Il se fascine completement pour cette doctrine qui exhorte à se saisir de l’ennemi intérieur pour pacifier la population, qui dit que le guérillero, le partisan, est comme un poisson dans l’eau, l’eau étant la population, et donc qu’il faut se saisir de la population. Ce système idéologique et technique va être élevé au rang de doctrine d’état et devenir hégémonique dans la pensée militaire francaise à partir de 1956. Dès lors, la doctrine « de la guerre (contre) révolutionnaire » alimente la restructuration des appareils de défense intérieure, « la #défense_intérieure_du_territoire » à l’époque, c’est-à-dire les grands plans de #militarisation_du_territoire en cas d’invasion soviétique. #Papon fait partie de la plateforme de propulsion d’une analyse qui dit que probablement une invasion soviétique – c’est la grille de lecture générale de toute la pensée militaire de l’époque – serait certainement précédée de manifestations géantes communistes et nord-africaines. Papon a en quelque sorte ouvert les plans de défense intérieure du territoire le 17 octobre. Il n’y avait eu que très peu de renseignements du côté de la Préfecture et ils ont été pris au dépourvu ; lorsqu’ils se sont rendus compte le 16 au soir, ou le 17 au matin qu’il y allait il y avoir des manifestations, ils sont allés chercher dans les répertoires disponibles, en l’occurrence la défense intérieure du territoire qui sont donc des plans de gestion militaire de la métropole en cas d’invasion soviétique. Ca explique pas mal de choses sur la puissance du dispositif mis en œuvre. Sur la radio de la police, on diffusait des messages d’#action_psychologique, on disait que les arabes avaient tué dix policiers à tel endroit, etc. pour exciter la #férocité des policiers. Il y a encore un autre aspect qu’il faut prendre en compte – j’y travaille en ce moment – c’est le soulèvement des masses urbaines de décembre 1960 en Algérie. C’est un peu la réponse à la #bataille_d’Alger, c’est-à-dire la réponse du peuple colonisé à la contre-insurrection. C’est un déferlement des masses (avec des enfants, des vieux, des femmes, etc.) dans les rues des grandes villes algériennes qui déborde la militarisation, déborde la contre-insurrection militaire et policière et emporte le versant politique de la guerre d’Algérie alors que le versant militaire était quasiment perdu. Le FLN et l’#Armée_de_Libération_Nationale étaient quasiment K.O. technique, militairement parlant et c’est donc le plus petit peuple qui remporte l’aspect politique de la guerre d’Algérie. Ça va marquer très très fort les administrations, les états-majors politiques, militaires et policiers et quand Papon se fait « ramener » à Paris c’est parce qu’il est reconnu comme un spécialiste de la gestion des arabes aux colonies et qu’on lui demande de faire la même chose à Paris. Il emporte donc cette mémoire avec lui et au moment où son état-major obtient l’information qu’il va il y avoir des manifestations organisées par le FLN et que des algériens vont marcher, depuis les périphéries vers le centre-ville – c’est-à-dire le même mouvement qu’en décembre 1960 en Algérie – il va utiliser l’arsenal d’écrasement qui est à sa disposition.

    Bien entendu, tout cela va semer des graines dans toute la Cinquième République qui est fondée autour du coup d’état militaire qui porte De Gaulle au pouvoir en 1958 et à travers toute cette grammaire idéologique qui considère les arabes et les communistes comme un #ennemi_intérieur dont il faudrait se saisir pour protéger la France et « le monde libre ». Voilà pour le contexte idéologique.

    LÉOPOLD LAMBERT : Dans le livre qu’est devenu ta thèse, L’ennemi intérieur (La Découverte, 2009), tu décris cette généalogie dans de grands détails. Peux-tu nous parler en particulier de la manière dont la doctrine de contre-insurrection coloniale française, élaborée d’abord par des militaires comme le Maréchal #Bugeaud au moment de la colonisation de l’Algérie, puis par d’autres comme #Roger_Trinquier, ou #Jacques_Massu au moment de la guerre de son indépendance a par la suite influencé d’autres polices et armées à l’échelle internationale – on pense notamment à Ariel Sharon ou David Petraeus ?

    MATHIEU RIGOUSTE : On peut dire que c’est à l’origine même de la construction de l’Etat. L’Etat se forge comme #contre-révolution. C’est un appareil qui permet aux classes dominantes de refermer soit le mouvement révolutionnaire soit le temps et l’espace de la guerre pour asseoir leur domination. Tout état se forme donc sur des appareils de contre-insurrection. Du coup, on trouve une pensée contre-insurrectionnelle chez #Sun_Tzu ou dans toute autre philosophie politique. Mais effectivement avec l’avènement de l’état nation moderne, du capitalisme et de sa version impérialiste, la contre-insurrection va elle-même prendre des formes modernes, industrielles, va se mondialiser, va se techniciser, va se rationaliser, et va évoluer en même temps que les systèmes technologiques. Du coup on a des formes modernes de doctrines de contre-insurrection chez le Maréchal Bugeaud en effet. Lui-même, son parcours et sa pensée reproduisent le mécanisme de restructuration impériale, c’est-à-dire l’importation de dispositifs issus de l’expérimentation coloniale et militaire vers le domaine du contrôle. Il va ainsi pouvoir expérimenter des pratiques contre-insurrectionelles à travers la conquête de l’Algérie avec toute sortes de dispositifs qui vont perdurer, comme les rafles, les déplacements de population, etc. et d’autres qui vont être mis de côté comme les enfumades, mais il y reste bien une logique d’extermination durant toute la conquête de l’Algérie.

    Pendant les dernières décennies de sa vie, Bugeaud ne cesse d’insister sur le fait qu’il a constitué une doctrine de contre-insurrection applicable au mouvement ouvrier en métropole. Il passe également beaucoup de temps à démontrer les similarités qu’il y aurait entre le processus révolutionnaire – ce que lui appelle « les insurrections » – au XIXe siècle en métropole et les révoltes aux colonies. À la fin de sa vie, il écrit même un livre (qui ne sera pas distribué) qui s’appelle La guerre des rues et des maisons dans lequel il propose de transférer son répertoire de contre-insurrection à la guerre en ville en métropole contre le peuple et dans lequel il développe une théorie d’architecture qui va se croiser avec toute l’hausmannisation et qui correspond à l’application de la révolution industrielle à la ville capitaliste. On va donc voir des doctrines militaires et coloniales passer dans le domaine policier en même temps que Hausmann « perce la citrouille » comme il dit ; c’est-à-dire en même temps qu’il trace les grandes avenues qui permettent à la police ou l’armée de charger les mouvements ouvriers. On introduit également tout cet imaginaire de la tuberculose, des miasmes, etc. On assimile les misérables à une maladie se répandant dans Paris et il faudrait donc faire circuler l’air. C’est comme aujourd’hui dans la rénovation urbaine, on ouvre des grands axes pour que la police puisse entrer dans les quartiers populaires le plus facilement possible et aussi pour les enfermer. Et on invoque la circulation de l’air. On a donc ces logiques avec tout un imaginaire prophylactique, hygiéniste, qui se met en place en même temps qu’on importe le répertoire contre-insurrectionnel dans le domaine de la police sur toute la seconde partie du XIXe siècle.

    Avec la restructuration impérialiste, les Etats-nation, les grandes puissances impérialistes du monde occidental vont s’échanger en permanence leurs retours d’expériences. On en a des traces dès 1917 après la révolution russe, où on voit donc les polices et les armées du monde occidental se faire des comptes rendus, s’échanger des synthèses d’expérience. Et c’est comme ça tout au long du XXe siècle. Tu parlais d’Ariel Sharon ; on a des traces du fait que des envoyés spéciaux de l’armée (et peut-être aussi de la police) israélienne qui ont été en contact et qui ont sans doute été également formés au Centre d’Instruction à la Pacification et à la contre-Guérilla (CIPCG) en Algérie. Les spécialistes de la contre-insurrection français et israéliens s’échangent donc, dès la guerre d’Algérie, des modèles d’écrasement de leurs ennemis intérieurs respectifs. On a donc une sorte de circulation permanente des textes révolutionnaires et contre-révolutionnaires. J’avais travaillé là-dessus pour une préface que j’ai écrite pour la réédition du Manuel du guérillero urbain ; on pense que ce manuel a beaucoup plus circulé dans les milieux contre-insurrectionnels que dans les mouvements révolutionnaires – ceux-ci disaient d’ailleurs qu’il n’avaient pas vraiment eu besoin d’un manuel de guérilla urbaine dans les années 1970. On a donc une circulation permanente et parfois paradoxale des textes révolutionnaires et contre-révolutionnaires, et des expériences.

    LÉOPOLD LAMBERT : Et des films comme La bataille d’Alger !

    MATHIEU RIGOUSTE : Exactement ; j’allais y venir. Ce film est d’abord censuré les premières années mais il va circuler en sous-main et il va être validé très rapidement par l’armée française qui dit que les choses se sont passées de manière très proche de ce qu’on voit dans le film. Celui-ci va donc à la fois permettre d’introduire la question contre-insurrectionnelle et le modèle français notamment. Bien que ça n’ait pas forcément forcé l’application exacte de ce modèle dans toutes les armées occidentales, on retrouve ce film dans beaucoup de formations militaires étrangères. On retrouve le film dans des mouvements révolutionnaires également : on sait par exemple que les zapatistes le projettent de temps en temps et s’en servent, d’autant que l’armée mexicaine est une grande collaboratrice de l’armée française. La gendarmerie mexicaine qui a tué des enseignants à Oaxaca il y a trois mois venait d’être formée par la gendarmerie française à ce modèle de gestion des foules, mais aussi au maniement des armes que la France vend avec.

    LÉOPOLD LAMBERT : Dans un autre livre, La domination policière (La Fabrique, 2012), tu dédies un chapitre entier à une branche de la police française qui est sans doute celle contribuant le plus à la continuation de la ségrégation coloniale de la société française, en particulier dans les banlieues, la Brigade AntiCriminalité (BAC). Quelqu’un comme Didier Fassin a fait une étude anthropologique très utile mais, somme toute assez académique puisque venant de l’extérieur, mais toi-même a vécu la plus grosse partie de ta vie en banlieue parisienne, à Gennevilliers et tes écrits peuvent ainsi nous donner un regard plus incarné à la violence raciste (et souvent sexiste et homophobe) qu’une telle branche de la police développe. Peux-tu brièvement nous retracer l’histoire de la BAC et nous parler de son action en banlieue ces dix dernières années (cad, depuis les révoltes de 2005) ?

    MATHIEU RIGOUSTE : Les Brigades AntiCriminalités représentent assez bien ce que j’essaye de démontrer dans mes travaux sur le capitalisme sécuritaire parce qu’elle a deux origines ; c’est la fusion des polices endo-coloniales et de la restructuration néolibérale de l’État. Ce sont des polices qui vont être formées au début des années 1970 et qui vont aller puiser dans les personnels, dans les grilles idéologiques, dans les boites à outils pratiques des polices endocoloniales. Je dis endocolonial pour parler de ces polices comme la Brigade de surveillance des Nord-Africains, et par la suite les Brigades Agression et Violence qui déploient les repertoires coloniaux sur des populations internes au pays sur des critères socio-racistes. Je parle d’endocolonialisme car ce ne sont pas les mêmes régimes de violence que ce qui est appliqué aux colonies et ce ne sont pas les mêmes régimes de violence appliqués aux classes populaires blanches – les Black Panthers ne se prenaient pas tellement la tête ; ils parlaient juste de colonies intérieures. Et parce que la société impérialiste a besoin de maintenir la surexploitation et la surdomination d’une partie des classes populaires, la partie racisée, elle a aussi besoin d’une police spécifique pour ça. C’est pour ça qu’après 1945, c’est-à-dire après le vrai-faux scandale de la collaboration de la police française à la destruction des juifs d’Europe, la bourgeoisie Gaulienne invente « la France résistante » et tente de faire croire que ce racisme a été renvoyé aux oubliettes. Mais bien-sûr on va reproduire les mêmes types de dispositifs avec souvent les mêmes personnels – on va aller rechercher les gens qui étaient dans les BNA vu qu’ils savent faire et qu’on va leur refiler le même boulot – et on va trouver une nouvelle dénomination, celle des Brigades Agression et Violence. Un appareil de gestion socio-raciste va ainsi être mystifié par cette dénomination, ce qu’on retrouve également dans la dénomination d’AntiCriminalité aujourd’hui dans cette rhétorique de la « guerre à la délinquance » qui permet de cacher les appareils de production du socio-apartheid derrière des mythes légalistes.

    On se retrouve donc avec une police qui fait à peu près la même chose, qui se rationalise, se modernise, et au tout début des années 1970, c’est-à-dire juste après 1968 – parce que dans tous ces ennemis intérieurs, il y a aussi le gauchiste, la figure qui n’avait jamais complètement disparue du révolutionnaire qu’incarnait la figure du fellagha – on considère qu’il faut des polices modernes qui vont aller dans les quartiers populaires installer la nouvelle société rationnelle, optimisée, néolibérale, etc. On va donc aller chercher dans les répertoires d’idées, de pratiques, de personnels, pour forger une nouvelle police. La première expérimentation se fait en Seine-Saint-Denis, c’est pas un hasard et en 1973, on file à un ancien des Brigades Agression et Violence la charge de policer les quartiers populaires de Seine-Saint-Denis et son unité va donc s’appeler la Brigade AntiCriminalité. Il va mettre à profit tout ce qu’on apprend à l’époque dans les grandes écoles de la nouvelle société, c’est-à-dire, ce qui s’appellera bientôt le néomanagement : l’application aux appareils d’état de la restructuration néolibérale dans les entreprises en quelques sortes. D’ailleurs, la doctrine de la guerre contre-révolutionnaire va elle-même être transposée dans les théories néolibérales et on parlera de doctrines de « guerre économique » par exemple. Il s’agit de détruire l’entreprise ennemie, en l’empoisonnant, en quadrillant son marché, en utilisant des agents de renseignement, tout ça nait au cours des années 1970. Cette première BAC va influencer la naissance d’autres unités sur le même mode dans différente villes et on va ainsi appliquer aux quartiers populaires des méthodes de gestion endocoloniales ce qui va mener aux premières grandes révoltes contre les violences policières dans les cités.

    Il apparait également une nouvelle logique comptable qu’on va appeler aujourd’hui « la politique du chiffre » qui consiste à optimiser le rendement, la productivité de la machine policière. Faire du chiffre, ça veut dire faire le plus possible de « bâtons », c’est-à-dire des « mises-à-disposition ». Ils appellent ça « faire une affaire » ; une affaire, c’est ramener quelqu’un et une histoire à traiter pour l’Officier de Police Judiciaire (OPJ) et si cette histoire est suffisamment utilisable pour en faire une affaire auprès du procureur et du coup aller jusqu’en justice et mettre cette personne en prison ou en tout cas essayer, ça fera un « bâton ». Ces bâtons gonflent une carrière et donc par exemple un commissaire qui veut « grimper », devenir préfet ou je ne sais quoi, il a tout intérêt à développer des unités de BAC dans son commissariat parce que celles-ci font beaucoup de mises-à-disposition puisqu’elles fonctionnent sur le principe du flagrant délit – les Brigades Nord-Africaines fonctionnaient déjà sur cette idée. Le principe du flagrant délit, c’est un principe de proaction. On va laisser faire l’acte illégal, on va l’encadrer, voire l’alimenter, voire même le suggérer ou le produire complétement pour pouvoir se saisir du « délinquant » au moment où il passe à l’action. La BAC est donc un appareil qui tourne beaucoup autour de la production de ses propres conditions d’extension. Cette logique de fond, c’est notamment ça qui va faire que les BAC vont se développer dans l’ère sécuritaire, c’est parce qu’elles font beaucoup de chiffre et qu’elles produisent également beaucoup de domination socioraciste, dont l’Etat a besoin pour contenir le socio-apartheid. Ceci se trouve dans le fait que le plus facile pour faire des mises-à-disposition et remplir ainsi cette mission néolibérale consiste à « faire » des ILS et des ILE : des Infractions à la Législation sur les Stupéfiants – des mecs qui fument des joints – et des Infractions à la Législation sur les Étrangers – des sans-papiers. Comment on trouve du shit et des gens qui n’ont pas de papiers ? Eh bien on arrête les noirs et les arabes. On traine donc autour des quartiers populaires pour faire des arrestations au faciès sur les classes populaires de couleur.

    Voilà comment nait en gros la BAC dans les années 1970 ; elle s’est ensuite développée tout au long des années 1980, d’abord par l’intermédiaire des BAC de Surveillance de Nuit (BSN) et au début des années 1990 et l’avènement de Charles Pasqua – le symbole le plus caricaturale des logiques politiques, policières et militaires de la guerre d’Algérie et dont la carrière politique est structurée autour de la chasse à l’ennemi intérieur – au Ministère de l’Intérieur, il va intensifier cette utilisation des répertoires de contre-insurrection et va être à la pointe de la genèse du système sécuritaire français. C’est lui notamment qui va rendre possible que toutes les villes de France puisse développer des BAC. Ce qui est à nouveau très intéressant du point de vue du capitalisme sécuritaire c’est que les BAC sont des unités qui utilisent beaucoup de matériel, et qui en revendiquent beaucoup, qui « gueulent » pour être de plus en plus armées. Ça c’est très intéressant pour les industriels de la sécurité. Pour les flashballs par exemple ; les BAC ont demandé à en être armées très vite, elles veulent les nouveaux modèles et elles participent avec les industriels à créer les nouveaux modèles et, bien-sûr, c’est elles qui utilisent le plus de munitions : le flashball est utilisé tous les soirs pour tirer dans les quartiers populaires de France. C’est la même chose pour les grenades lacrymogènes ; on en voit beaucoup dans le maintien de l’ordre des manifestations de mouvements sociaux dans les centre-villes mais les gaz sont utilisés quotidiennement dans les quartiers populaires.

    Le phénomène continue de se développer dans les dix dernières années. La BAC semble vraiment caractéristique de ce capitalisme sécuritaire, notamment par sa férocité mais aussi par son aspect ultralibéral, ultraproductif, ultraoptimisé, ultraviril, ultramédiatique : la BAC se met en scène, les agents s’inspirent énormément de ce qu’ils voient à la télévision… On a même une extension de ce qu’elle a inventé comme système de domination et d’écrasement des quartiers populaires vers la gestion des autres mouvements sociaux, comme récemment des luttes contre la loi travail. Généralement, la BAC est utilisée comme dispositif de pénétration, de saisie, de capture et elle est de plus en plus combinée à des dispositifs d’encerclement, d’enfermement, d’étranglement dans lesquels on utilise plutôt les CRS, les gardes mobiles. On a vu pendant le mouvement contre la loi travail, les BAC qui étaient employées à faire « du maintien de l’ordre ». À Toulouse, on a vu les effectifs des BAC sont utilisés dans l’expérimentation de nouveaux dispositifs hybrides : capable de faire et du maintien de l’ordre et de la capture, de l’intervention, de passer de l’un à l’autre en permanence, et de passer à des niveaux d’intensité très hauts très rapidement. La BAC rejoint ainsi la logique de restructuration de tous les appareils en ce moment qui consiste à devenir rhéostatique : être capable de s’adapter comme le mode de production toyotiste, c’est-à-dire s’adapter le plus instantanément à la demande, avec le moins de stock et de dépenses possibles et de la manière la plus rationalisée qui soit.

    LÉOPOLD LAMBERT : Tout comme Hacène Belmessous dans le deuxième numéro de The Funambulist, tu décris la manière dont « la rénovation urbaine » enclenchée en 2003 constitue à beaucoup d’égards une manière pour la police de s’approprier l’espace urbain des banlieues. Peux-tu nous en dire plus ? Cela intéressera sans doute beaucoup la moitié (ou le tiers) des lecteurs/-trices de The Funambulist qui sont architectes ou urbanistes !

    MATHIEU RIGOUSTE : Il y a effectivement un sursaut en 2003, mais ça avait commencé bien avant. Un des premiers grands quartiers qui est soumis à une politique de ce qu’ils appellent « la rénovation urbaine », mais ce qui est en fait de la destruction et du réaménagement, c’est le quartier où je suis né ; le Luth à Gennevilliers. Il s’agissait d’une coopération du Plan Pasqua et du Parti Communiste Français (PCF) qui gère la ville depuis les années 1930, tous deux ravis de se débarrasser des familles les plus pauvres et d’essayer une nouvelle forme de gestion des quartiers populaires. C’est un processus constant : la ville capitaliste au gré des crises de suraccumulation du capital, se restructure pour continuer à concentrer des masses de travailleurs pauvres autour de ses centres d’accumulation du capital. Et dans ces quartiers populaires, ces campements, ces bidonvilles, ces territoires misérables, les dominé-e-s, les exploité-e-s, les opprimé-e-s, les damné-e-s, inventent en permanence des formes d’auto-organisation, d’autonomisation, de fuites et de contre-attaques, des cultures d’insoumission et des manières de se rendre ingouvernables. Il faut donc en permanence, pour le pouvoir, à la fois une police qui permette de détruire cette dynamique d’autonomisation récurrente et de survie – parce qu’en fait les gens n’ont pas le choix – et un réaménagement des territoires : il faut à la fois ségréguer et pénétrer ces territoires pour aller y détruire tout ce qui peut émerger de subversif. Et l’urbanisme tient un rôle fondamental dans la restructuration sécuritaire de la ville capitaliste. Cette logique est déjà à l’œuvre dans les bidonvilles durant la guerre d’Algérie ; on a des polices spécialisées à la gestion des bidonvilles, c’est-à-dire au harcèlement, à la brutalisation, à la surveillance, au fichage, parfois à la torture, parfois même aux assassinats et aux disparitions d’habitants du bidonville et qui détruisent les cabanes des habitant.e.s parce que même dans le bidonville, on voit ré-émerger des formes de mises-en-commun, d’auto-organisation, de politisation révolutionnaire, de colère, d’entraide, toute sorte de choses qui menace le pouvoir et qui nécessite donc une intervention. En plus d’intervenir avec de l’idéologie, du divertissement ou de l’aménagement, il faut intervenir avec de la coercition.

    On retrouve ce processus dans toute l’histoire de la ville capitaliste ; c’est une dialectique permanente. Sauf que ce qui nait dans les années 1970, c’est un schéma qu’on va voir apparaître ; à partir du moment où on met des polices féroces, comme la BAC, autour des quartiers populaires, celles-ci produisent de la violence policière et donc produisent de la colère. Les dominé-e-s, face à ça, vont produire des tactiques, des techniques, des stratégies, des pratiques de résistance et de contre-attaque. Ça va donner lieu à des révoltes, parfois très spontanées, parfois plus organisées : une histoire des contre-attaques face à la police nait dans les années 1970 et on se rend compte, au gré de ces révoltes et de leur répression et de leur gestion médiatique que des municipalités en collaboration avec la police et les média sont capables de désigner aux pouvoirs publics et au reste de la population en général un quartier populaire comme ingérable, infâme, irrécupérable. Ceci s’accompagne d’une logique humanitaire ; aller « sauver des gens » alors que les revendications pour des meilleures conditions de vie sont permanentes et que les habitants n’obtiennent jamais rien.

    Toute cette logique va activer au cours des années 1970 la reconnaissance par les pouvoirs publics et par le capital industriel et financier du fait que lorsqu’on est capable de désigner un quartier populaire comme infâme, on va pouvoir activer un circuit de capitaux financiers d’abord, puis industriels, liés à ce qu’on va appeler de manière publicitaire « la rénovation urbaine », c’est-à-dire un protocole de restructuration de ce quartier qui peut aller jusqu’à sa destruction complète. Il va ainsi apparaitre beaucoup de régimes de restructuration : certains consistent à éloigner les populations les plus pauvres ou les moins gouvernables, d’autres vont organiser l’évacuation totale de ces populations, d’autre encore qu’on observe beaucoup depuis le début des années 2000 à travers la mystification de la mixité sociale consistent à parler de réhabilitation mais à en fait déplacer les plus pauvres, sans détruire le quartier. On fait ça à la fois avec de la police et de la prison, mais aussi avec la hausse des loyers provoquée par l’arrivée de nœuds de transports en commun qui permet de faire venir des cadres qui ne se seraient pas déplacés jusque-là ; la petite bourgeoisie à laquelle on veut permettre de venir s’installer à la place des quartiers populaires. Bref, à travers tout ce programme publicitaire qu’est la rénovation urbaine, la transformation des quartiers populaires en quartiers petits-bourgeois va attirer des flux de capitaux gigantesques, notamment liés au fait que depuis le début des années 2000, l’État investit énormément pour appuyer les pouvoirs locaux dans leur politiques de restructurations urbaines. C’est de l’argent qui va retomber immédiatement dans les poches des industriels du bâtiment et aussi dans celles des industriels de la sécurité, encore une fois, parce qu’on voit qu’une fois que la police, les média, la prison et les autorités municipales ont réussi à « déblayer le terrain », le réaménagement des quartiers se fait en partenariat avec tous les industriels du bâtiment mais aussi des technologies de surveillance, de design – les cliques du néo-urbanisme – les publicitaires, les commerces, bref tout un système d’entreprises qui vivent autour de ça. La logique de fond est à la fois le renforcement du socio-apartheid, mais aussi une forme de colonisation interne à travers l’expansion de la ville capitaliste et l’invention de nouvelles formes d’encadrement de la vie sociale.

    LÉOPOLD LAMBERT : À l’heure où nous parlons, l’état d’urgence promulgué par François Hollande au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 a déjà été renouvelé trois fois. Pour un certain nombre de francais-e-s blanc-he-s de classe moyenne ou riches, cela ne représente qu’une nuisance négligeable mais pour la population racisée française, en particulier ceux et celles que l’on nomme pudiquement « musulman-ne-s d’apparence » ce régime légal donnant une latitude encore plus importante à la police insiste encore d’avantage sur l’existence d’une sous-citoyenneté qui ne dit pas son nom. Travailles-tu actuellement sur la manière dont l’état d’urgence agit comme précédent à la fois légal et dans les pratiques policières ? Peux-tu nous en parler ?

    MATHIEU RIGOUSTE : Je ne travaille pas précisément sur cet aspect des choses mais bien-sûr, je suis ce qui est en train de se passer, notamment au sein des luttes dans lesquelles on avance et on réfléchit sur cet aspect-là. Et effectivement, tu le résumes bien, il y a toute une partie des strates privilégiées, même des classes populaires qui ne se rend pas compte de ce à quoi sert l’état d’urgence parce qu’il ne le voit pas et les média ont vraiment un rôle fondamental là-dedans. C’est ça aussi le socio-apartheid : les vies sont séparées, elles ne se croisent pas. Effectivement l’état d’urgence a permis une intensification de la ségrégation mais aussi de mécanismes d’oppression contre les quartiers populaires, ce qui peut rester complétement invisible pour le reste de la population. L’angle d’attaque, c’est l’Islam et les violences, ce sont des perquisitions fracassantes : explosion de la porte, on met tout le monde a terre et en joue, parfois on gaze à l’intérieur des appartements, parfois on tabasse. Ca provoque des traumatismes très forts dans les familles ; on a des récits de perquisitions en pleine nuit et les enfants, la maman, la grand-mère, plusieurs mois après, cherchent à être suivis par des psychologues. À l’école, c’est dramatique, les enfants n’y arrivent pas, après que des unités militaro-policières ont débarqué chez eux en mode anti-terrorisme. Les violences, ce sont aussi des assignations à résidence ; on a du mal à le saisir lorsqu’on ne le vit pas, mais il s’agit d’un système d’encadrement très dur car il faut aller pointer régulièrement. La plupart de ces histoires, je tiens à le dire, se dégonflent après ; il y a déjà des victoires dans les tribunaux parce que l’immense majorité de ces assignations à résidence sont fondées sur rien du tout, surtout par le fait que la personne a été désignée par quelqu’un comme étant « très pratiquante », possiblement « radicalisée », c’est de l’ordre de la délation. Ce sont donc des violences très fortes et très profondes dans les familles, principalement musulmanes à travers ces perquisitions, ces assignations à résidence et ces procédures judiciaires qui durent bien-sûr et qui épuisent. Les noms des gens sont lâchés dans la presse, toute une ville peut d’un seul coup vous considérer comme un probable terroriste.

    Donc voilà, l’état d’urgence permet l’intensification du socio-apartheid, de l’islamophobie et des racismes d’état, ce qui se conjugue assez bien à la gestion quotidienne des quartiers populaires dans la France impérialiste.

    https://blogs.mediapart.fr/leopold-lambert/blog/200117/entretien-avec-mathieu-rigouste-une-genealogie-coloniale-de-la-polic
    #colonialisme #colonisation #bac #police #Algérie #France #histoire #entretien #interview

  • Les Coups d’Etau permanents | Terrestres
    https://www.terrestres.org/2020/11/18/les-coups-detau-permanents

    Sur les cinq dernières années, la France a vécu plus de la moitié du temps sous un état d’exception restreignant les #libertés fondamentales3 . La panique d’Etat face au mouvement des Gilets-Jaunes a ouvert un régime de #coercition brutale. Le pouvoir politique a encouragé et couvert les #violences policières par une série de discours, de mesures administratives et de #lois permettant de protéger les agissements policiers4 . Pour mesurer l’#acclimatation progressive et presque inaperçue de notre quotidien à la société de contrôle, projetons-nous il y a seulement une vingtaine d’années.

    Lors de sa création en 1998, le Fichier enregistrant les empreintes génétiques devait uniquement recenser les délinquants sexuels condamnés. En 2018, il renferme l’ADN de plus de 3 millions de personnes, conservé 25 ans pour l’écrasante majorité qui n’ont pas été condamnées et 40 ans pour celles qui l’ont été5 . Justifié au nom des crimes sexuels, le périmètre s’est élargi à divers crimes, puis à de simples délits et est devenu presque banal pour les individus participant à des mouvements sociaux.

    A la fin des années 1990, seule la ville-laboratoire des Balkany Levallois-Perret s’est aventurée dans une expérimentation appartenant au répertoire standard de la science-fiction : disposer des caméras dans les principaux lieux de passages pour y filmer l’espace public. La vie ordinaire allait désormais être encapsulée 24 heures sur 24. Aujourd’hui, l’ensemble du territoire totalise le chiffre vertigineux de 1,5 à 2 millions de caméras, tandis que Nice, la ville la plus quadrillée du pays, en compte une pour 130 habitants6

  • Car notre coeur rouge est noir... . .
    https://www.flickr.com/photos/valkphotos/50563661622

    Flickr

    ValK. a posté une photo :

    . [#LesPetitesPhotos] [Co-vide] . #feuille #leaf #hoja #lierre #ivy #hiedra #coeur #heart #corazón #jardin #garden #jardín #automne #autumn #fall #otoño #confinement #confinamiento . ☆ autres photos : frama.link/valk ☆ infos / audios : archive.org/details/@karacole ☆ oripeaux : frama.link/kolavalk ☆ me soutenir : liberapay.com/ValK

  • Ussama Makdisi sur Twitter :

    "This image of the creation of “Grand #Liban” from 1920 sums up the tragedy of #Lebanon. And speaks volumes about the lasting legacy of French orientalism and colonialism: the idea that religious diversity in the Orient is inherently sectarian unless managed by Western power." / Twitter
    https://twitter.com/UssamaMakdisi/status/1300763848627154946

    The further tragedy is how many Arabs now accept this insidious myth. They ignore how much work and ideology goes into the creation of #sectarianism and its enabling structures. And they ignore how this region had a long history of #coexistence before Western colonialism.

    We need to study this #coexistence critically, but this does not mean we should denigrate one of the most important ecumenical aspects of our historical experience, namely the insistence and ability of so many people in ME to transcend religious difference for common purpose.

    #sectarisme #colonialisme #diviser_pour_régner

  • War & Pacification

    TNI’s War & Pacification work concerns the nexus between militarisation, security and globalisation. It confronts the structures and interests that underpin a new era of permanent war, makes visible the technologies of control and repression, highlights the impacts on people considered threatening or worthless by the powerful, and advocates alternatives based on peacebuilding, conflict transformation and respect for fundamental human rights.

    TNI uses the term ‘pacification’ to describe what is frequently presented as ‘security’. Our research has long shown that the effect of many policies adopted in the name of security is increased social control, allowing the maintenance of social orders that are deeply unequal and unjust. Pacification thus encompasses elite attempts to police the contours of globalisation’s discontents – the unworthy and expendable, the restive and resistant – and close down the progressive spaces occupied by civil society.

    –-> avec une série d’articles et analyses sur le sujet à trouver sur le site web du TNI :

    https://www.tni.org/en/war-pacification

    #militarisation #globalisation #répression #contrôle #technologie #guerre #exclusion #dépossession #coercition #conflits #peace-building #frontières #contrôles_frontaliers #militarisation_des_frontières #privatisation #violence #mouvements_sociaux

    –-

    @karine4 :

    TNI uses the term ‘pacification’ to describe what is frequently presented as ‘security’.

    #terminologie #pacification #sécurité #mots #vocabulaire

    ping @isskein

  • https://lundi.am/Le-coronavirus-et-l-etat-d-exception-en-chacun

    Rappel pour les élèves du premier rang : le contrat social qui a inspiré et inspire le plus le réseau de pouvoir n’est pas celui de Jean-Jacques Rousseau mais bien celui de Thomas Hobbes - « Le Léviathan » - ayant engendré entre autres le courant utilitariste dont le panoptique de Jeremy Bentham. Ce brillant ouvrage d’urbanisme (Le Panoptique !) à l’usage de nos gouvernants a enfanté l’architecture de la plupart de nos prisons mais aussi de nos écoles. Peu intéressés par la science-politique et l’urbanisme carcéral, vous vous demandez quel est le rapport entre ce contrat social et le caractère terrorisant de cette grippe ?

    #coercition #terreur_d'état #gestionnaires_du_cheptel_humain

  • Entre expulsion et retour volontaire, la frontière est fine

    Une nouvelle sémantique s’est construite au sein de l’Union européenne : celle du « retour volontaire » des migrants irréguliers. Découvrez sur le blog « Dialogues économiques » l’analyse du politologue #Jean-Pierre_Cassarino, qui travaille depuis de longues années sur la #migration_de_retour et met en garde contre l’utilisation abusive du terme « #retour » dans le discours politique.

    À l’heure des fake news et des décodex, les mots prennent des tournures ambivalentes. Langue de bois et autres artefacts langagiers construisent, au-delà des mots, des murs. Des murs qui n’ont plus d’oreilles et brouillent notre compréhension. Derrière cet appel incessant au « retour », résonnent les mots de Patrick Chamoiseau : « Ils organisent le fait que l’on n’arrive jamais1 ».

    Contrôles aux frontières, centres de détention, identification par empreintes digitales ou encore quotas d’expulsions ont fleuri dans tous les pays européens. Ces dispositifs ont germé sur le terreau fertile des discours sur le « retour » des migrants, diffusés dans les États membres et au sein de l’Union européenne.

    Avec la première vague migratoire venue des Balkans, cette nouvelle terminologie s’est affirmée au cours des années 1990 au point de devenir hégémonique aujourd’hui. Basée sur la dichotomie entre « #retour_volontaire » et « #retour_forcé », elle a été accréditée par l’#Organisation_internationale_pour_les_migrations (#OIM). Elle prend corps dans divers mécanismes comme « l’#aide_au_retour_volontaire » en France qui propose aux migrants irréguliers de retourner dans leur pays moyennant #compensation_financière.

    À travers une multitude d’entretiens réalisés en Algérie, au Maroc et en Tunisie avec des migrants expulsés ou ayant décidé de rentrer de leur propre chef, Jean-Pierre Cassarino, enseignant au Collège d’Europe et titulaire de la Chaire « Études migratoires » à l’IMéRA (Marseille), en résidence à l’IMéRA et enseignant au Collège d’Europe (Varsovie) revient sur l’utilisation trompeuse de ces catégories.

    La #novlangue du retour forcé/retour volontaire

    Dans 1984, George Orwell construisait une véritable novlangue où toutes les nuances étaient supprimées au profit de dichotomies qui annihilent la réflexion sur la complexité d’une situation. C’est oui, c’est non ; c’est blanc, c’est noir ; c’est simple. Toute connotation péjorative est supprimée et remplacée par la négation des concepts positifs. Le « mauvais » devient « non-bon ». Dans le livre d’Orwell, cette pensée binaire nie la critique vis-à-vis de l’État et tue dans l’œuf tout débat.

    Aujourd’hui, les instances internationales et européennes produisent un #discours_dichotomique où le retour volontaire se distingue du retour forcé. En 2005, le Conseil de l’Europe, écrit dans ses « Vingt principes directeurs sur le retour forcé » : « Le retour volontaire est préférable au retour forcé et présente beaucoup moins de #risques d’atteintes aux #droits_de_l’homme. C’est pourquoi il est recommandé aux pays d’accueil de l’encourager, notamment en accordant aux personnes à éloigner un délai suffisant pour qu’elles se conforment de leur plein gré à la décision d’éloignement et quittent le territoire national, en leur offrant une #aide_matérielle telle que des #primes ou la prise en charge des frais de transport, en leur fournissant des informations détaillées dans une langue qui leur est compréhensible sur les programmes existants de retour volontaire, en particulier ceux de l’Organisation internationale des migrations (OIM)2. »

    Pour Jean-Pierre Cassarino, la #coercition s’applique pourtant dans les deux cas. L’Allemagne par exemple, considère l’Afghanistan comme un pays sûr. Elle a signé un accord avec ce dernier pour le « retour » volontaire et forcé des Afghans en situation irrégulière. Mais « les migrants qui ont été expulsés d’#Allemagne ont été forcés d’accepter le retour volontaire », explique Jean-Pierre Cassarino. Un des interrogés afghans témoigne ainsi : « On m’a demandé de signer et j’étais en détention, je ne voulais plus rester enfermé, j’avais peur ». Dans ce cas, parler de « retour volontaire » affirme un aspect positif. C’est un mécanisme politique plus facilement accepté par le public.

    Pour l’OIM, le retour volontaire concerne la personne qui signe une #déclaration dans laquelle elle accepte de retourner dans son pays. Dans ce cas et en règle générale, on lui offre le billet de retour. À l’inverse, dans le cas du retour forcé, la personne est contrainte, par ordre de la préfecture, de quitter le territoire. Elle est souvent accompagnée d’une #escorte de #rapatriement qui est coûteuse pour le gouvernement. Le retour volontaire n’est pas qu’une question sémantique, c’est aussi une question financière. On estime entre 10 000 et 15 000 euros une #reconduite_forcée à la frontière contre 2 000 à 4 000 pour un retour volontaire3. Dans tous les cas, dans cette dichotomie, la décision individuelle du migrant compte de moins en moins.

    Que se cache-t-il derrière le mot retour ?

    Peut-on utiliser le même mot pour un #migrant_rapatrié dans un pays en guerre, pour celui qui est renvoyé parce qu’illicite et pour celui qui décide, de sa propre initiative, de revenir au pays ? Difficile de nier l’aspect pluriel du retour migratoire.

    Jean-Pierre Cassarino explique comment la terminologie du « retour » s’assimile à l’#expulsion, par #manipulation_politique. Il se réfère à Albert Camus. Dans L’homme révolté, Camus plaide pour la #clarté_terminologique, parce qu’il ne faut pas « pactiser avec la propagande ». « Si une personne est expulsée de son pays elle n’est pas ‘retournée’ au pays. Les chercheurs travaillent de fait sur l’expulsion quand ils parlent de retour. »

    « Éjecté volontaire » ou « déplacé poétique », écrit l’écrivain Patrick Chamoiseau pour faire contrepoids.

    Retour pour le développement ?

    L’ampleur qu’a pu prendre « le retour » dans les instances internationales repose aussi sur la promotion du #développement dans les pays d’origine. Jean-Pierre Cassarino et son équipe de chercheurs ont interrogé 700 migrants tunisiens de retour en questionnant l’influence de l’expérience migratoire sur l’#entreprenariat. En mars 2014, un partenariat avait été signé entre la Tunisie et l’Union européenne pour faciliter l’acquisition de #compétences aux jeunes Tunisiens afin de leur permettre, une fois rentrés, de « développer des activités économiques rentables ».

    Qu’en est-il dans les faits ? Les migrants qui se sont insérés facilement dans le marché du travail avaient achevé leur séjour migratoire par eux-mêmes en affirmant leur souhait de revenir au pays. Qu’ils aient fini leurs études, qu’ils veuillent créer leur entreprise ou qu’ils aient atteint leurs objectifs en France, tous ont pu réunir les opportunités, le temps et les ressources nécessaires pour construire un projet de retour. Ici le « retour volontaire » prend tout son sens. Jean-Pierre Cassarino parle de cycle migratoire « complet ».

    Mais tous les migrants n’ont pas eu cette chance. La décision relève parfois d’un choix par défaut. Une socialisation difficile, des problèmes familiaux ou la précarité peuvent pousser la personne à rentrer à contrecœur. Pire, l’expérience migratoire peut être brutalement interrompue par une obligation à quitter le territoire. Pour ces migrants qui ne peuvent achever leur cycle (qu’il soit incomplet ou interrompu), de sérieuses difficultés se présentent sur la route du retour. Ils ont beaucoup plus de mal à s’insérer dans le monde professionnel.

    En approchant le retour par la complétude des #cycles_migratoires, Jean Pierre Cassarino montre qu’il n’y a pas qu’une façon de revenir et que la durée du séjour a des conséquences sur le développement dans le pays d’origine. C’est un appel à repenser les usages politiques et sémantiques du « retour » ; à remettre en question des notions qui s’inscrivent dans les inconscients collectifs. C’est un rappel à ce que Václav Havel écrit dans Quelques mots sur la parole : « Et voilà justement de quelle manière diabolique les mots peuvent nous trahir, si nous ne faisons pas constamment preuve de prudence en les utilisant ».

    Références :
    – Cassarino, Jean-Pierre (2014) « A Reappraisal of the EU’s Expanding Readmission System », The International Spectator : Italian Journal of International Affairs, 49:4, p. 130-145.
    – Cassarino, Jean-Pierre (2015) « Relire le lien entre migration de retour et entrepreneuriat, à la lumière de l’exemple tunisien », Méditerranée, n° 124, p. 67-72.

    https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/dialogues-economiques-leco-a-portee-de-main/entre-expulsion-et-retour-volontaire-la
    #expulsion #retour_volontaire #mots #sémantique #vocabulaire #migrations #asile #réfugiés #dichotomie #prix #coût

    Autres mots, @sinehebdo ?
    #migration_de_retour
    #migrant_rapatrié
    « #éjecté_volontaire »
    « #déplacé_poétique »

    ping @_kg_ @karine4

  • New surveillance tech means you’ll never be anonymous again

    Forget facial recognition. Researchers around the world are creating new ways to monitor you. Lasers detecting your heartbeat and microbiome are already being developed

    The fight over the future of facial recognition is heating up. But it is just the beginning, as even more intrusive methods of surveillance are being developed in research labs around the world.

    In the US, San Francisco, Somerville and Oakland recently banned the use of facial recognition by law enforcement and government agencies, while Portland is talking about forbidding the use of facial recognition entirely, including by private businesses. A coalition of 30 civil society organisations, representing over 15 million members combined, is calling for a federal ban on the use of facial recognition by US law enforcement.

    Meanwhile in the UK, revelations that London’s Metropolitan Police secretly provided facial recognition data to the developers of the Kings Cross Estate for a covert facial recognition system have sparked outrage and calls for an inquiry. The Information Commissioner’s Office has launched an investigation into the legality of the program. But the scandal comes at the same time as a landmark ruling by the High Court in Cardiff that said the use of facial recognition by South Wales police is legal. (The decision is likely to be appealed).

    Facial recognition is only the tip of the creepy surveillance iceberg, however. If strict regulation is brought in to govern the use of facial recognition, it is possible we may simply see a switch to one, or several, of the other forms of surveillance technologies currently being developed. Many are equally if not more invasive than facial recognition – and potentially even harder to regulate. Here’s a look at some of what might be coming down the pipeline.

    How you walk

    The rapidly growing field of behavioural biometrics is based on recognising individuals from their patterns of movement or behaviour. One example is gait recognition, which may well be the next surveillance technology to hit the mainstream, especially if facial recognition comes under tight regulation. The technique is already being trialled by police in China, which frequently leads the field when it comes to finding new ways to monitor its people, whether they like it or not.

    There are a few different ways of recognising an individual from the way they walk. The method being trialled by Chinese police is based on technology from a company called Watrix, and relies on the use of video surveillance footage to analyse a person’s movements as they walk. In a recently granted patent, Watrix outlines a method of using a deep convolutional neural network to train an AI system capable of analysing thousands of data points about a person as they move, from the length of their stride to the angle of their arms, and use that to recognise individuals based on their ’gait record’. Watrix claims that its systems achieve up to 94 per cent accuracy, and that it holds the world’s largest database of gait records.

    The vision-based methods of gait recognition being developed by Watrix and others can be used to identify people at a distance, including in crowds or on the street, in a similar way that facial recognition can – which could make it a quick and easy substitute if regulation is brought in against facial recognition. Increasingly, many video surveillance systems are collecting multi-modal biometrics. That means they may be using facial recognition and gait recognition simultaneously, which at least in theory should both increase the accuracy and tackle issues like identifying people facing away from the cameras.

    Another method for identifying people by their walk relies on sensors embedded in the floor. Researchers from the University of Manchester used data from 20,000 footsteps belonging to 127 individuals to train a deep residual neural network to recognise 24 distinct factors, like the person’s stride cadence and the ratio of time on toe to time on heel (the people did not need to take off their shoes, as the system analyses movement rather than shape of the foot). Using this system, they were able to identify individuals with over 99 per cent accuracy in three ’real world’ scenarios: the workplace, the home environment, and airport security checkpoints.

    According to the researchers, the benefits of this kind of identification over vision-based systems are that it is less invasive, and less prone to disruption from objects or other people obscuring the camera’s view. Of course, another way of saying that it is less invasive is that it is harder for people to detect when it’s being used on them. People might notice when they’re being watched by cameras, but they’re much less likely to be aware of sensors in the floor.

    Heartbeat detection

    Your heartbeat and your breathing pattern are as unique as your fingerprint. A small but growing number of remote sensing technologies are being developed to detect vital signs from a distance, piercing through skin, clothes and in some cases even through walls.

    In June, the Pentagon went public with a new laser-based system capable of identifying people at a distance of up to 200m. The technology, dubbed Jetson, uses a technique known as laser doppler vibrometry to detect surface movement caused by your heartbeat.

    The eventual goal is to be able to identify a target within five seconds based on their cardiac signal, or ’heartprint.’ At the moment, however, the Pentagon’s system has a number of limitations: the target needs to be standing still, needs to be wearing light clothing (thick clothing, like a heavy coat, can interfere with the signal), and most importantly there needs to be a clear line of sight between the laser and the target.

    Coats, walls, even rocks and rubble are no obstacle for another nascent surveillance technology, however. Researchers are hard at work developing radar-based systems capable of tracking vital signs for a range of purposes, from non-invasive monitoring of patients and aiding in medical diagnoses to finding survivors in search and rescue operations.
    Monitoring indoor movements

    But why bother installing new radars when we’re already bathed in a different sort of radiation pretty much all the time? Wi-Fi can also be used to locate individuals, identify their position in the room and whether they’re sitting or standing, and even track vital signs.

    Until recently, it was thought a dedicated Wi-Fi network was required, in part because the technique depends on knowing the exact position of the Wi-Fi transmitters. In 2018, however, a group of researchers at the University of California built an app which allowed them to figure out the exact location of existing Wi-Fi transmitters in a building. With that information, they were able to use normal smartphones and existing ambient Wi-Fi networks to detect human presence and movement from outside the room. “With more than two Wi-Fi devices in a regular room, our attack can detect more than 99 per cent of user presence and movement in each room tested,” the researchers claim.

    Some research groups want to go further than just using Wi-Fi to identify people. Based on movement and vital signs, they claim it is possible to monitor the subject’s emotional state and analyse their behavioural patterns. These researchers have formed a company to market a ’touchless sensor and machine learning platform for health analytics’, which they claim has been deployed in over 200 homes and is being used by doctors and drug companies.

    Beyond the potential benefits for healthcare and emergency responders, however, the technology also has obvious applications for surveillance. Technology which is capable of building up a profile of a person’s heartbeat and breathing in order to watch for abnormalities in a health context is readily adaptable to being used to identify one person from another. Radar-based security surveillance systems capable of detecting people are already on the market, It’s only a matter of time, and perhaps not even very much time, before the ability to identify individual people is layered on top.
    Tracking your microbial cells

    Every person emits around 36 million microbial cells per hour, and human microbiomes are unique for a certain period of time (a 2015 study found that around 80 per cent of people could be re-identified using their microbiome up to a year later). This means that the constant trail of microbial traces we leave behind us, as well as those we pick up from our surroundings, can be used to help reconstruct a picture of a person’s activities and movements, like where they walked, what objects they touched and what environments they have been in.
    Monitoring your scent

    Identifying people by smell is actually one of the oldest police tricks in the book, but doing it with computers instead of bloodhounds is still in its infancy in comparison with facial and fingerprint recognition. The field of odor biometrics may be useful for individual authentication but is not well suited to mass surveillance – separating exactly who smells like that in a crowd can be tricky, as anyone who has been stuck in public transport on a hot day probably knows.
    Bum detection

    Then there are the identification techniques designed for very specific use cases. One pioneering suggestion from a team of Japanese researchers for an anti-theft system for cars was based on using 360 sensors to measure the unique shape of the driver’s rear end. Despite achieving a 98 per cent accuracy rate in trials, tragically this important security innovation does not seem to have gone any further than lab testing.
    The regulation problem

    Trying to regulate surveillance technologies one by one is likely to be futile. The surveillance industry is simply developing too fast, and it is too easy to switch from one kind of surveillance to another. The difference between a facial recognition system and one based on behavioural biometrics may simply be a matter of swapping the software on an existing camera network, for example.

    Increasing cooperation between government agencies and the private sector also means that regulations like San Francisco’s, which limits only government use of certain types of surveillance, are insufficient according to Katina Michael, a professor in the School for the Future of Innovation in Society and School of Computing, Informatics and Decision Systems Engineering at Arizona State University.

    Amazon is perhaps the prime example for this blurring of the lines between private and government surveillance. Amazon has previously come under criticism for selling facial and emotion-recognition systems to police. More recently, it has been revealed that Amazon is partnering with hundreds of law enforcement agencies in the US, including giving them access to surveillance data gathered through its Ring home doorbell in return for police actively marketing the devices to the community.

    “Fundamentally, we need to think about democracy-by-design principles,” Michael says. “We just can’t keep throwing technologies at problems without a clear roadmap ahead of their need and application. We need to assess the impact of these new technologies. There needs to be bidirectional communication with the public.”

    Surveillance changes the relationship between people and the spaces they live in. Sometimes, that change is for the better; there are real benefits from increased security, and the insights which can be gained into how people use public places can be used to help shape those places in the future. At the same time, however, we need to ask ourselves whether the future society we want to live in is one which constantly watches its citizens – or, more likely, one in which citizens are never totally sure when, how and by whom they’re being watched.

    https://www.wired.co.uk/article/surveillance-technology-biometrics
    #surveillance #laser #microbiome #battements_cardiaques #coeur #comportement #mouvement #marche #respiration #corps #vibrométrie #doppler_vibrometry

    ping @etraces

    • Another method for identifying people by their walk relies on sensors embedded in the floor. Researchers from the University of Manchester used data from 20,000 footsteps belonging to 127 individuals to train a deep residual neural network to recognise 24 distinct factors, like the person’s stride cadence and the ratio of time on toe to time on heel (the people did not need to take off their shoes, as the system analyses movement rather than shape of the foot). Using this system, they were able to identify individuals with over 99 per cent accuracy in three ’real world’ scenarios: the workplace, the home environment, and airport security checkpoints.

      According to the researchers, the benefits of this kind of identification over vision-based systems are that it is less invasive, and less prone to disruption from objects or other people obscuring the camera’s view. Of course, another way of saying that it is less invasive is that it is harder for people to detect when it’s being used on them. People might notice when they’re being watched by cameras, but they’re much less likely to be aware of sensors in the floor.