Moi, j’allais faire tellement illusion que ma première année au 6ème, j’allais finir en tête : 1er de la classe ! Je me souviens du bonheur de ma mère en apprenant ma pôle position.
Ce qui ne m’était jamais arrivé. Même au Cp ! Une progression hallucinante par rapport à ma dixième place au CM2. Mais ma médaille d’or n’était qu’un trompe l’œil et cachait une cruelle réalité.
Les neufs premiers du Cm2, Benoit, Carine, Aude et les autres enfants qui vivaient dans les beaux quartiers de la ville et qui m’avaient fait tant progressé à l’école primaire avaient foutu le camp, nous abandonnant. Finie la mixité sociale. Il ne restait plus que nous, les classes dangereuses, les damnés de la société. Le niveau général allait terriblement baisser.
Leurs parents, de beaux enfoirés, qui savaient garder un secret pour eux tout seuls, s’étaient démerdés pour placer leurs progénitures ailleurs. Ils connaissaient parfaitement les rouages du système. Quand les uns choisissaient une première langue étrangère rare pour que leurs enfants soient inscrits dans un collège plus fréquentable, ou faisaient jouer leurs réseaux afin d’obtenir une « adresse » à proximité d’un bon établissement, les autres signaient un chèque pour les inscrire dans des écoles privées.
Au début, je me suis accroché, en essayant de ne pas trop laisser de plumes en route. Je vivais sur mes acquis. Mais les redoublants, pour nous, étaient des modèles. Plus forts physiquement, plus sûrs d’eux, plus marrants. En avance sur la vie, mais en retard à l’école. Fallait qu’ils deviennent tes potes si tu voulais passer quatre piges peinard. Faire des bêtises, comme eux, pour être accepté.
Ça s’est fait naturellement. Je les aidais en contrôle, ça me permettait de suivre, d’être pas trop à la ramasse. Et puis, tiré vers le bas, j’ai commencé à lâcher. En 4ème, je ne foutais plus rien. Au lieu d’étudier consciencieusement, comme je l’avais appris à l’école primaire, je préparais à chaque contrôle des antisèches. J’avais perdu le goût d’apprendre.