• Troubles dans la condition libérale – Luttes du troisième type (1/2) - Par Michel Feher

    Qui compte ? Au printemps 2020, les « travailleurs essentiels » révélés par la pandémie de Covid-19 et les « vies noires » dressées contre le racisme endémique ont placé cette question au cœur de l’agenda politique.

    A priori, pourtant, la déconsidération des premiers et les violences subies par les secondes ne relèvent pas de la même problématique. Le contraste observé pendant les premiers mois de la crise sanitaire entre l’utilité sociale et la rémunération de certains métiers renvoie à la formation des prix par le marché, tandis que les méfaits dénoncés par Black Lives Matter et le comité « La vérité pour Adama » témoignent d’inégalités de traitement cautionnées par l’État. Reste qu’en dissociant les iniquités imputables à la marchandisation du travail des injustices résultant de la racisation des populations non blanches, on risque d’occulter la résonance entre les revendications impliquées par la catégorie de « premiers de corvée » et celles que portent les minorités dites visibles.

    Il ne s’agit pas seulement de rappeler ce que l’essor économique de l’Occident doit au pillage des terres colonisées et à l’asservissement de leurs populations, ni de constater la perpétuation du racisme systémique et du développement inégal à l’ère postcoloniale, ni même de souligner les croisements entre les différentes fabriques d’inégalités. Sans doute la socio-démographie des victimes du coronavirus et des violences policières fait-elle bien ressortir l’imbrication de la question sociale et de la question raciale. Mais plus encore que leur intersection, c’est l’émergence d’un type de conflits dont la valorisation est l’enjeu que manifestent à la fois la cause des travailleurs essentiels et le mouvement pour les vies noires. L’une et l’autre visent en effet les critères d’appréciation dont dépendent aussi bien la rétribution des tâches que l’exercice effectif des droits.

    Que l’importance relative des vies s’impose désormais comme une question génératrice de luttes spécifiques est une hypothèse également étayée par des initiatives telles que #MeToo et Ni Una Menos, qui ambitionnent de discréditer les conduites responsables de la dépréciation des femmes, ainsi que par les mouvements écologistes qui, à l’instar de Sunrise, Extinction Rebellion Youth et Fridays for Future, mettent en avant l’impact de l’irresponsabilité environnementale sur l’avenir des jeunes d’aujourd’hui. Pour mieux cerner les contours et les conditions de ce nouveau registre d’action militante, il convient d’abord de rappeler qui sont ses prédécesseurs et de revenir sur les circonstances qui ont provoqué leur affaiblissement.

    Conflits d’intérêts

    La lutte des classes, dont Karl Marx fait le moteur de l’Histoire, s’exprime avant tout en termes d’intérêts collectifs antagonistes. Contemporain de la révolution industrielle et bénéficiaire de la disparition des ordres, le capitalisme libéral a institué une société de propriétaires également libres de rechercher leur satisfaction par le négoce, mais pour la diviser entre des salariés qui ne possèdent autre chose que leur force de travail et les détenteurs de capitaux suffisamment conséquents pour employer de la main d’œuvre.

    La relation salariale que les travailleurs nouent avec leurs employeurs ne scelle pas seulement la subordination des premiers, contraints de travailler pour des entreprises dont ils ne contrôlent ni les ressources ni les objectifs, mais aussi leur exploitation par les seconds, dans la mesure où le salaire qu’ils reçoivent correspond au prix que le marché de l’emploi octroie à leur force de travail et non à la valeur des richesses que leur labeur génère. Si la conscience d’être exploités nourrit la solidarité des travailleurs, les luttes que ceux-ci engagent ne vont pas exposer les rouages de la doctrine libérale sans lui emprunter une partie de son lexique.

    Le libéralisme classique repose en effet sur la reconnaissance de l’intérêt, conçu comme une disposition aussi spontanée qu’utile à la prospérité de tous, et par conséquent sur la liberté pour chacun de poursuivre le sien. Comme l’explique l’économiste Albert Hirschman, les libéraux considèrent que si les hommes demeurent irréductiblement hédonistes et égoïstes, ils sont néanmoins mus par deux types de passions : tandis que les unes s’avèrent trop impulsives – soit à la fois trop violentes et trop inconstantes – pour être propices au progrès ou à la pacification des mœurs, les autres sont intéressées, c’est-à-dire perméables aux calculs d’optimisation, et par conséquent porteuses d’échanges mutuellement bénéfiques et de régulations librement consenties.

    Pour assouvir leurs désirs, les premiers humains décrits par les Lumières écossaises ont d’abord été tentés de s’emparer des objets qu’ils convoitaient sans songer aux conséquences de leurs actes. Progressivement, toutefois, la raison instrumentale dont ils sont équipés les a informés des risques d’une prédation aussi imprévoyante qu’impétueuse. Guidés par l’expérience et la réflexion, les hommes ont appris qu’il leur était plus profitable de négocier l’acquisition de ce qu’ils désirent et d’épargner une part du produit de leur commerce que de laisser libre cours à leurs impulsions et de dilapider inutilement la totalité de leurs gains.

    La conversion des passions abrasives en intérêts raisonnés a certes été graduelle et demeure nécessairement incomplète mais, à terme, elle assure l’aménagement d’une sphère marchande où l’égoïsme de chacun va nourrir la prospérité collective – pour autant que les gouvernants accompagnent cette heureuse évolution en permettant à leurs administrés de commercer librement mais aussi en leur imposant de tenir leurs engagements et de respecter la propriété d’autrui.

    Également critique des vertus dont les libéraux parent le marché et des licences qu’ils octroient aux propriétaires, le mouvement ouvrier va pourtant s’emparer des concepts sur lesquels s’appuie la doctrine libérale, quitte à les détourner de leur vocation initiale. Tel est d’abord le cas de la notion d’intérêt : plutôt que la propension naturelle de tout individu à rechercher sa satisfaction personnelle en calculant les coûts et les bénéfices de ses actes, les tenants de la lutte des classes lui font désigner l’aspiration commune d’un groupe social à maintenir son hégémonie ou, au contraire, à contester la sujétion et l’exploitation qu’il subit. Autrement dit, l’intérêt n’est plus une inclination individuelle dictée par la nature mais le ressort de dominations et d’émancipations collectives dont la succession rythme l’histoire.

    S’en suit une appropriation des autres termes cardinaux de la rationalité libérale que sont la compétition et la négociation. Revisitées par les organisations syndicales, la première n’évoque plus la concurrence inhérente au jeu de l’offre et de la demande mais bien le conflit structurel du travail et du capital, tandis que la seconde ne correspond plus aux marchandages entre vendeurs et acheteurs mais bien aux concessions que les représentants des employés arrachent aux employeurs.

    En transférant les catégories de la pensée libérale des échanges marchands aux rapports de classes, les syndicats ouvriers sont parvenus à prendre pied sur le marché de l’emploi et à y peser sur la formation des prix mais aussi à faire œuvre pédagogique. Persuader les travailleurs qu’ils partagent les mêmes intérêts permet en effet à leurs représentants d’imposer des négociations collectives aux détenteurs de capitaux – en appuyant leurs revendications sur des menaces de grèves, d’occupations d’usines, voire de destruction de l’outil de travail – et, forts de leur solidarité, de modifier la répartition des revenus de la production.

    Par elle-même, l’action syndicale trouve sans doute sa limite dans la condition de salarié qu’elle s’efforce d’améliorer – soit, dans la fiction juridique du « travailleur libre », de marchander la cession de sa force de travail. La remise en cause de la domination et de l’exploitation inscrites dans l’institution du salariat est quant à elle l’affaire d’un engagement politique visant à modifier le régime de propriété – qu’il s’agisse de socialiser le capital industriel et financier sous l’égide de l’État, de substituer des coopératives ouvrières aux entreprises privées ou, plus modestement, de contenir les disparités créées par l’économie de marché grâce à la progressivité de l’impôt, l’extension des services publics et la couverture sociale des risques.

    Mais quelle que soit leur orientation – et en dépit de leur inimitié mutuelle –, les partisans respectifs de la dictature du prolétariat, du socialisme autogestionnaire et de la social-démocratie réformiste se retrouvent au moins pour considérer que l’indispensable ferment des projets de société dont ils se réclament réside dans la négociation des intérêts de la classe ouvrière par les organisations syndicales et son impact sur la rémunération du travail.

    Droits et normes

    Si la question sociale se rapporte avant tout au dispositif d’exploitation que masque l’égale liberté de contracter des transactions intéressées, les questions raciales et de genre font référence, pour leur part, aux discriminations qui forment l’autre versant de la condition libérale. Celle-ci implique sans doute la reconnaissance des droits indispensables à la poursuite des intérêts individuels : droits de posséder des biens négociables et d’en disposer à son gré, mais aussi de faire respecter son intégrité physique et morale, d’exiger des autres qu’ils tiennent leurs engagements contractuels, et de ne consentir à l’impôt qu’en échange d’une participation au moins indirecte aux affaires publiques. Reste que, jusqu’à une période relativement récente, les gouvernements libéraux vont réserver les bénéfices de cette armature juridique à une portion congrue des populations qu’ils administrent.

    Parmi les exclus de ce que le politiste C. B. McPherson a naguère analysé sous le nom d’individualisme possessif, figurent les femmes et les peuples colonisés par les puissances occidentales. Dans les deux cas, c’est un ordre réputé naturel qui va d’abord justifier les privilèges des hommes blancs au sein de sociétés ostensiblement fondées sur l’égalité des conditions : la nature sera invoquée pour fonder une complémentarité des sexes qui cantonne les femmes dans la sphère domestique et aux marges de la citoyenneté, mais aussi pour légitimer une hiérarchie des races qui dénie aux colonisés la possession de leurs terres et même la disposition de leur propre corps.

    Longtemps reléguées au second plan par les mouvements ouvriers européens et la critique marxiste de l’exploitation, les dérogations à l’universalité du statut de propriétaire ne contribueront pourtant pas moins à l’accumulation du capital que son application au travailleur salarié. En outre, leur retrait progressif des textes juridiques ne va aucunement mettre fin aux discriminations qu’elles ont instituées. Car après avoir mobilisé des différences biologiques pour inscrire les inégalités dans la loi, les gouvernements libéraux s’abriteront derrière l’octroi de droits civiques à l’ensemble de leurs concitoyens pour occulter la persistance des normes qui font obstacle à leur exercice.

    Contrairement aux prescriptions légales – que nul n’est censé ignorer – le pouvoir normatif trouve son efficacité dans l’inattention dont bénéficient ses opérations : validées par la parole publique et perpétuées par les pratiques institutionnelles, les normes s’appliquent en disparaissant derrière l’impression de normalité dont elles entourent les situations et les perceptions qu’elles façonnent. Ainsi en va-t-il des différences de traitement et d’accès réservés aux individus en fonction du genre et de la race qui leur sont assignés : même lorsque le sexisme et le racisme cessent d’être rapportés à la nature et entérinés par la législation, l’égalité des droits demeure ineffective tant qu’il demeure conforme au sens commun d’estimer que la responsabilité de vaquer aux tâches domestiques et de tempérer la violence masculine incombe normalement aux femmes, tandis que celle de lever les soupçons auxquels leur apparence les expose – auprès des policiers, des juges, des logeurs ou des recruteurs – appartient aux personnes racisées.

    Au cours des deux derniers siècles, les mouvements féministes et antiracistes se sont appliqués à traquer les inflexions de l’universalisme tronqué qui leur était opposé – de la codification des inégalités à la normalisation de leur entretien. Toutefois, à l’instar du mouvement ouvrier, ils n’ont pas combattu les discriminations systémiques opérées par les régimes libéraux sans emprunter des éléments de leur corps de doctrine. En l’occurrence, ce ne sont pas les intérêts, leur concurrence et la négociation de leur satisfaction qui ont fait l’objet d’appropriations, mais plutôt les droits requis par la poursuite des échanges intéressés – droits de disposer de soi et d’imposer le respect de sa personne et de sa propriété, mais aussi droit de regard sur la gestion des affaires de la cité –, ainsi que le principe selon lequel les mêmes règles doivent s’appliquer à tous et enfin l’habilitation de chacun à plaider sa cause, devant les tribunaux comme auprès de l’opinion.

    L’utilisation de certains traits distinctifs du libéralisme n’implique nullement que sa réforme constitue l’horizon politique des combats contre les discriminations. De même que les accords négociés par les organisations syndicales ne visent pas moins à corroder l’institution du salariat qu’à obtenir des augmentations de salaires, les avancées obtenues par les biais de la jurisprudence et du débat public sont davantage envisagées par leurs avocats comme l’amorce d’une redéfinition de l’universalité que comme les étapes d’une intégration des populations jusque-là marginalisées dans l’orbe de l’individualisme possessif. Pour autant, le recours à une casuistique exposant les contradictions et les perversions de régimes se réclamant de l’égalité des droits joue bien le même double rôle de galvanisation des siens et de déstabilisation de l’adversaire que l’investissement de la liberté de contracter par les représentants des travailleurs.

    D’une crise l’autre

    En dépit du fréquent manque de coordination, voire de solidarité, entre les différents types de luttes, la persévérance concomitante des mouvements qui les conduisent ne va pas seulement contraindre les régimes libéraux à se réformer – par la concession de droits sociaux, l’extension des droits civiques et la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les avancées obtenues par l’action militante révèlent en outre que le capitalisme industriel, dont les institutions libérales assurent la légitimation politique, s’accommode aussi mal de l’essor des conventions collectives que de la contestation de leur statut subalterne par les femmes, les minorités visibles et les nations décolonisées.

    Au cours des années 1970, la pénétration du libéralisme par des aspirations démocratiques formulées dans sa langue va prendre un tour doublement critique. D’une part, les négociations menées au nom des intérêts de la classe ouvrière débouchent sur une redistribution du produit qui accentue la crise de rentabilité du capital – à un moment où l’achèvement de la reconstruction des économies dévastées par la seconde guerre mondiale entraîne déjà un fléchissement important du taux de croissance. D’autre part, les procès intentés au sexisme et au racisme institutionnels impulsent un réaménagement des normes qui plonge les sociétés occidentales dans ce que l’anthropologue David Graeber a nommé une crise d’inclusion – à un moment où la compétition idéologique avec le bloc soviétique et surtout la crainte d’un basculement des anciennes colonies dans le camp socialiste contraignent les représentants du « monde libre » à donner des gages d’attachement aux droits de tous leurs citoyens.

    Menacé par la démocratisation de la condition libérale sur ses deux versants – celui des intérêts que chacun est libre de poursuivre et celui des droits nécessaires à leur poursuite –, le capitalisme finira bien par sortir renforcé de sa double crise, mais non sans avoir remodelé les atouts et les attentes des sujets dont il tire son dynamisme. Initialement, toutefois, tant les contempteurs néolibéraux de la démocratie sociale que les détracteurs néoconservateurs des revendications féministes et minoritaires se sont plutôt posés en restaurateurs : imputant la stagflation qui affectait les économies développées à la prolifération des revendications catégorielles, les uns ont plaidé pour le rétablissement d’un régime de concurrence affranchie des distorsions de prix causées par les coalitions d’intérêts particuliers, tandis que les autres ont appelé à la réhabilitation d’un ordre politico-institutionnel alliant l’autorité de la loi commune au respect des normes qui président traditionnellement à son application.

    Pour parvenir à leurs fins, les défenseurs autoproclamés de l’héritage libéral n’ont pas hésité à user des techniques d’appropriation discursive prisées par leurs adversaires. Ainsi, non contents de fustiger l’intrusion des pouvoirs publics dans les transactions marchandes et les pratiques monopolistes des syndicats, les néolibéraux se sont aventurés sur le terrain de la lutte des classes, mais pour en proposer une version conforme à leur cause : à l’exploitation des travailleurs par les détenteurs de capitaux, ils ont en effet substitué la spoliation des contribuables honnêtes et travailleurs par une nouvelle caste de rentiers – à savoir les bénéficiaires de conventions collectives, de protections statutaires et de transferts sociaux dissociés du mérite.

    Parallèlement, loin de se borner à déplorer le déclin des valeurs familiales et de la civilisation occidentale, les néoconservateurs se sont emparés de l’égalité des droits, mais pour professer que celle-ci se dénaturait dès lors qu’elle cessait d’être aveugle au sexe, à la couleur de peau ou à l’origine des individus. Opportunément drapée dans un universalisme intransigeant, la critique néoconservatrice s’est systématiquement opposée à toute action délibérée visant à exposer et à enrayer la normalisation des discriminations au motif qu’une pareille démarche n’aurait pas pour objectif de remédier à des inégalités structurelles de traitement et d’accès mais au contraire de conférer des droits spécifiques à quiconque s’estime lésé par des pratiques ou des représentations discriminatoires.

    Les diatribes concurremment adressées aux rentes de situation des « assistés » et aux dérives « identitaires » du féminisme et de l’antiracisme ont indéniablement composé la bande-son de la contre-réforme néolibérale et néoconservatrice. Force est pourtant de reconnaître que celle-ci doit moins son succès à l’efficacité rhétorique de ses chantres qu’à l’avènement d’un régime d’accumulation du capital davantage axé sur la recherche de plus-values financières que sur l’optimisation des revenus de la production industrielle. Or même si ce changement d’orientation procède bien des mesures de déréglementations des marchés, initiées au cours des années 1980, on peut avancer qu’il n’a guère été anticipé par les liquidateurs du compromis social d’après-guerre.

    Les concepteurs de la « révolution conservatrice » menée par Margaret Thatcher et Ronald Reagan s’étaient donnés pour missions de soustraire les entreprises privées aux négociations susceptibles de déboucher sur une répartition moins inégalitaire des revenus et de prémunir les pouvoirs publics contre les plaidoiries en faveur d’une révision des normes les plus inéquitables. Conséquence imprévue de leurs efforts, la financiarisation du capitalisme a sans doute puissamment contribué à l’étouffement des luttes contre l’exploitation et les discriminations. Toutefois, plutôt que par la restauration de l’entrepreneur maître de ses choix et de l’État affranchi des pressions sectorielles, c’est par l’inféodation des employeurs et des élus aux estimations des investisseurs qu’elle a mis fin à la démocratisation des institutions libérales.

    Les nouveaux ressorts du capitalisme

    La levée des restrictions à la circulation des capitaux et au développement de l’ingénierie financière n’a pas tardé à modifier les orientations de la gouvernance entrepreneuriale et des politiques gouvernementales : la valeur actionnariale s’est imposée comme l’unique boussole des firmes, tandis que la confiance accordée à leur dette par les marchés obligataires est devenue la préoccupation majeure des gouvernements. Car une fois libres de déplacer et de générer des liquidités à leur guise, les bailleurs de fonds sont en mesure de dicter leurs préférences : ainsi peuvent-ils enjoindre aux chefs d’entreprise de configurer la masse salariale en fonction de priorités telles que la distribution généreuse de dividendes ou le rachat d’actions sur le marché secondaire, mais aussi persuader les dirigeants nationaux de préserver l’attractivité de leur territoire grâce à une fiscalité compétitive, des budgets sociaux allégés et le souci de faire passer le paiement du service de leur dette avant toute autre dépense.

    Dévastatrice pour l’ensemble des luttes contre les inégalités, l’hégémonie de la finance mondialisée ne se résume cependant pas à un simple retour en arrière, soit à la reconstitution d’une condition libérale repliée sur la poursuite des intérêts individuels et la reconnaissance des droits qui assurent leur concurrence. Les habitants du monde régi par les arbitrages des investisseurs offrent en effet un profil bien différent de celui du propriétaire naturellement disposé à profiter de la cession des marchandises en sa possession et juridiquement habilité à négocier les termes des transactions auxquelles il s’adonne.

    À l’image des personnes morales, entreprises ou États, dont la conduite est guidée par le cours de leurs titres financiers, les personnes physiques affectées par le nouveau régime d’accumulation du capital s’apparentent à des porteurs de projets en quête d’appréciation. Davantage que le profit généré par leurs échanges, leur souci principal est le crédit que leur accordent les recruteurs, les prêteurs, les sponsors et, depuis une décennie, les « amis » et autres « suiveurs » récoltés sur la toile. Quant à leur activité première, elle ne réside pas dans la négociation du prix des marchandises dont elles font commerce mais plutôt dans la spéculation sur la valeur des ressources qui composent leur portefeuille : patrimoine, diplômes, talents, relations, vertus, mais aussi marqueurs identitaires tels que la nationalité, les origines, le code postal, la couleur de la peau, le sexe biologique et l’orientation sexuelle.

    L’émergence d’une telle condition est évidemment indissociable des règles de « bonne gouvernance » auxquelles se plient les entreprises privées et les administrations publiques. Obsédés par le « coût du travail », dont leurs actionnaires exigent sans cesse la réduction, les employeurs cherchent moins leur compétitivité dans l’exploitation des travailleurs salariés, même si celle-ci ne diminue aucunement, que dans le contournement du salariat : multiplication des contrats courts, des intérims et des stages, recours généralisé à la sous-traitance, voire substitution de l’achat de tâches et du partenariat commercial aux emplois proprement dits, mais aussi croissance de la part des revenus variables – des stock-options aux primes de rendement – au détriment du salaire fixe.

    Tandis que l’excellence managériale se manifeste dans la flexibilisation continue des conditions d’embauche, de rémunération et de licenciement, la rationalité gouvernementale porte, pour sa part, avant tout sur l’entretien d’une attractivité financière qui passe sinon par la suppression des droits sociaux du moins par de sévères coupes dans les budgets affectés à leur exercice et le durcissement des critères permettant d’en bénéficier.

    La précarisation des vies affectées par cette double évolution entraîne bientôt une modification substantielle des horizons d’attente. Confrontés à la pénurie des emplois stables, à la part décroissante des salaires garantis et au rétrécissement de la couverture sociale des risques, les individus dont le capital humain est la principale ressource se retrouvent dans l’obligation de le faire valoir sans cesse : qu’ils postulent pour des recrutements temporaires, des prêts renouvelables ou des financements sur projet, il leur faut mettre en avant leurs compétences, leur expérience, leurs réseaux de connaissances, mais aussi leur dévouement et leur disponibilité sans faille.

    La course au crédit, moral autant que financier, des spéculateurs sur leurs propres atouts débute lors de la dernière décennie du siècle dernier. Les partisans de la « troisième voie », qui lui donnent son impulsion initiale, l’associent alors aux mots d’ordre de la « mondialisation heureuse » que sont l’égalité des chances – plus encore que celle des droits – et la liberté de cultiver ses différences – plus encore que celle de défendre ses intérêts. La quête d’appréciation se poursuivra ensuite, en dépit de la crise financière, et intègrera bientôt de nouvelles sources, concurremment puisées dans le développement du numérique et la résurgence des nationalismes.

    D’une part, grâce à l’essor des plateformes de « partage », l’emprise du capital « réputationnel » va non seulement s’étendre à la vie sociale mais aussi hâter l’effacement des frontières entre les différents compartiments de l’existence – tant il est vrai que la renommée glanée en ligne brouille les distinctions entre le public et le privé, l’intime et le professionnel. D’autre part, les courtiers en redressement national auront beau afficher leur aversion pour le mondialisme de l’après-guerre froide, leur offre politique ne se résume pas moins à une promesse de revalorisation d’actifs tels que les souches, la pigmentation et les parures traditionnelles de la différence des sexes.

    Sans doute ne saurait-on affirmer que le porteur de titres appréciables a supplanté le propriétaire de marchandises négociables. La relation entre ces deux formations subjectives relève bien davantage de la superposition que de la substitution. Reste que si l’attention croissante que les individus prêtent à l’entretien de leur crédit ne suffit pas à leur faire oublier leurs intérêts et leurs droits, il n’est guère contestable qu’elle tend à les dissuader de se mobiliser pour les défendre. Or c’est précisément dans ce contexte défavorable aux luttes contre l’exploitation et les discriminations qu’apparaissent des mouvements sociaux d’un type nouveau, dont la préoccupation majeure est la valorisation du capital humain.

    Michel Feher
    Philosophe, Fondateur de Zone Books

    #BlackLivesMatter #Ni_Una_Menos #Michel_Feher #comite_adama #capitalisme_financiarisé #metoo

  • Les Gilets jaunes et la question démocratique | Samuel Hayat - Science politique - Mouvement ouvrier, démocratie, socialisme
    https://samuelhayat.wordpress.com/2018/12/24/les-gilets-jaunes-et-la-question-democratique

    Face à ce mouvement citoyenniste, qui ira défendre la vieille politique, celle des partis et des élu.e.s ? A part ceux qui sont payés pour, gageons qu’il y aura peu de monde. C’est que la #politique_partisane se trouve déjà fortement affaiblie, et ce de longue date. D’abord, le conflit partisan s’est émoussé : vu du dehors du monde des professionnel.le.s, il n’y a plus, depuis longtemps, de différence significative entre la #droite et la #gauche, qu’il s’agisse de l’origine sociale des candidat.e.s ou de la nature des politiques menées. Partout, avec quelques nuances indéchiffrables pour le plus grand nombre, on trouve la même marchandisation des services publics, les mêmes manœuvres de séduction adressées aux capitalistes pour attirer leurs précieux investissements, le même zèle à limiter les #libertés_publiques, surarmer les forces de l’ordre, enfermer les #pauvres et expulser les #étranger.e.s. A cette neutralisation du conflit politique s’ajoute le dépérissement des partis comme moyens d’inclusion de la masse des citoyen.ne.s dans la politique partisane : le nombre d’adhérent.e.s des partis ne cesse de chuter, comme celui des syndicats ou de tous les outils habituels (comme la presse militante) de socialisation à la politique partisane. Dans ces conditions, qu’est-ce qui pourrait s’opposer à la démonétisation de cette conception de la politique ? Les tenants mêmes du pouvoir, les professionnel.le.s de la politique, semblent ne plus croire aux possibilités de l’action politique, et répètent avec diverses modulations qu’il n’y a pas d’alternative au néolibéralisme. Pourquoi alors défendre leur jeu, si de leur propre aveu, il n’a plus d’enjeu ? Cette perte de sens de la politique partisane a permis à un simple conseiller économique, un technicien ignorant des usages de la politique partisane, Emmanuel Macron, de devenir ministre puis président, en répétant à l’envi transcender les clivages et en refusant de s’appuyer sur les partis existants – il préfère en créer un, portant ses initiales, un artifice marketing bouffon qui aurait dû immédiatement lui enlever tout crédit si le système partisan avait gardé un tant soit peu de sens de sa dignité. Comment Emmanuel Macron pourrait-il, lui qui s’enorgueillissait hier d’avoir mis à genoux l’ancien système, le vieux monde, en appeler aujourd’hui à la mobilisation pour sauver ce même système et ses affrontements désormais vides de sens ? D’où son silence, la position impossible dans laquelle il est, et l’usage disproportionné de la répression face à un mouvement qui lui doit tant et qui, par bien des aspects, en est comme le reflet inversé[8].

     

    #Citoyennisme et #néolibéralisme

    Car c’est bien là qu’est le problème : la politique citoyenniste puise sa force dans le mécontentement justifié vis-à-vis de la politique partisane et dans une longue histoire de l’aspiration démocratique, mais aussi dans la montée en puissance des cadres de pensée du #gouvernement_des_expert.e.s, de tous ceux qui veulent remplacer la politique (politics) par une série de mesures techniques (policies), néolibéraux en tête. Le mouvement des #Gilets_jaunes s’oppose aux technocrates, mais il en reprend largement la conception péjorative de la politique partisane et la manière de penser l’action publique. Le #référendum est le pendant démocratique du macronisme qui nous disent tous les deux qu’il faut en finir avec les idéologies : l’un comme l’autre réduisent la politique à une suite de problèmes à résoudre, de questions auxquelles répondre. Certes, il n’est pas équivalent de dire que ces questions doivent être résolues par des experts ou par les citoyens ; le citoyennisme propose bien une démocratisation, mais c’est la démocratisation d’une conception de la politique qu’il partage avec les néolibéraux. Le monde des citoyennistes est un monde homogène, peuplé d’individus qui ressemblent à s’y méprendre à ceux des économistes néoclassiques : on les imagine aller lors des référendums exprimer leurs préférences politiques comme les économistes imaginent les consommateurs aller sur le marché exprimer leurs préférences, sans considération pour les rapports de pouvoir dans lesquels ils sont pris, les antagonismes sociaux qui les façonnent.

     

    Mais comme chez les économistes, cette représentation de la citoyenneté est un mythe – agissant mais trompeur, agissant parce que trompeur. L’image du peuple décidant par référendum ou par le biais de délégué.e.s tiré.e.s au sort vient recouvrir l’aspect irréductiblement conflictuel de la politique, sa possibilité guerrière. Il n’y a rien ici de nouveau : l’historienne Nicole Loraux a déjà montré comment ce type de discours, dans l’Athènes démocratique, glorifiant l’unanimité du peuple et le caractère réglé de ses institutions, venait masquer l’autre aspect de la politique démocratique, le conflit (statis), faisant toujours courir le risque de la guerre civile et devant par là être oublié, refoulé[9]. Loin d’être une anomalie de la #démocratie, le conflit en était une possibilité toujours présente, et s’il apparaissait, il était obligatoire pour les citoyens de choisir un parti – l’abstention, signe de passivité et d’indifférence, valait retrait de ses droits politiques. En voulant se débarrasser des partis, au sens des organisations en compétition pour le pouvoir, le citoyennisme met aussi à mal la possibilité d’expression des divisions au sein de la cité. Or l’antagonisme politique, le conflit, est aussi nécessaire à la démocratie, même authentique et déprofessionnalisée, que ne l’est l’inclusion directe de tou.te.s les citoyen.ne.s.

    • Je republie ici un commentaire publié sur un fil FB en défense de ce texte et en réponse à une critique (visiblement d’orientation FI) qui y voyait une "cochonnerie" (sic) "social-démocrate".
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      Si Samuel Hayat ne s’avance sur le terrain de la définition d’un projet politique qu’indirectement (par référence notamment à 1848), c’est (indirectement donc mais sans équivoque) le projet et l’histoire socialistes qui forment l’arrière-plan (et la « culture » ou l’environnement de pensée) de son analyse.

      Sa critique d’une revendication « démocratique » (le #RIC) fondée sur une conception non-conflictuelle ou consensuelle de la « démocratie » est liée à l’idée selon laquelle il faudrait (et il est possible) d’assumer la conflictualité de classes qui existe bel et bien au sein du mouvement des #GiletsJaunes — conflictualité que « Chouard et ses amis », mais aussi une partie de FI, entendent évacuer.

      La position social-démocrate, du moins telle qu’elle se redéfinit après la fin des Trente Glorieuses, est fondée sur l’abandon de la classe ouvrière, qui s’apprête à partir du milieu des années 80 à recevoir de plein fouet le choc de la réorganisation du travail, de la modernisation de l’appareil de production et de la mondialisation des échanges. Cet abandon est aussi celui des générations qui suivront, marquées par le chômage de masse et la relégation urbaine (et, pour les enfants de l’immigration d’après-guerre et les descendants de l’histoire coloniale, par la discrimination et les violences policières). De cet abandon, la montée régulière du FN depuis 1983 est la principale traduction politique. (Du côté social-démocrate, cet abandon prend la forme idéologique de la surenchère droitière sur les questions d’immigration et sur la gestion policière des habitant.e.s de banlieues ; sur le plan économique, par le rôle-clef joué par les formations social-démocrates dans l’application des plans d’austérité.)

      Le type d’alliances de classes promu aujourd’hui sous l’appellation de « populisme » est notamment fondé sur l’alliance entre classes populaires « nationales » (imaginairement intégrées à l’Etat-Nation) et parties de la classe moyenne, de la petite bourgeoisie, de la petite entreprise menacées par la mondialisation, pour des raisons rappelées notamment ici : https://carbureblog.com/2018/12/23/sur-le-fil-le-ric-la-gauche-et-les-gilets-jaunes.

      Les résistances ou propositions alternatives à cette stratégie tiennent notamment au fait que la stratégie populiste repose sur / opère une fracture au sein même des classes populaires (entre blancs et racisés, nationaux et non-nationaux, voire selon des critères religieux : la charge de plus en plus agressive et exclusive de la thématique laïque en France au cours de ces dernières années est indicative de ce processus).

      Tout ce qui s’oppose à la stratégie populiste n’est pas forcément « social-démocrate ». D’autres alliances peuvent être promues et avancées, intégrant ces « segments de classe » qui ne peuvent être représentés par / se reconnaître dans les symboles nationaux, comme l’a prouvé l’initiative du Comité Adama. Cette dimension était aussi présente en Grèce avant 2015 (mais tend depuis, significativement, à céder le pas, ici comme ailleurs, à une logique nationale / nationaliste).

      Contrairement à ce que prétendent certains anarchistes grecs (notamment ici : https://agitationautonome.com/2018/12/15/gilets-jaunes-discussion-entre-la-grece-et-la-france, le mouvement des places en Grèce n’a pas été unifié / hégémonisé par un discours de type national-populiste mais par un discours social, ce qui explique que les discours d’extrême-droite aient été largement battus en brèche (jusqu’à disparaître presque complètement) au moment du référendum sur le « Non » (juillet 2015).

      Si l’auteur ne parle ici qu’indirectement de « socialisme » (comme si ce terme recouvrait plus un héritage et une toile de fond qu’un discours effectivement réactualisable, au moins sous sa forme classique : socialisation des moyens de production, dictature du prolétariat... — quelque chose pourtant qui, ne serait-ce qu’en toile de fond, demeure agissant et a une actualité propre), c’est probablement d’avoir conscience que les alliances de classes qui permettraient de résister au rouleau compresseur néo-libéral ne peuvent avoir un caractère purement ouvrier ou populaire (mais passent par une alliance avec cette classe moyenne menacée, présente dès le départ du mouvement des Gilets Jaunes et qui était aussi présente à Syntagma ; en atteste notamment le fait que des Gilets Jaunes qui appartiennent à cette classe moyenne précarisée et menacée s’expriment parfois comme s’ils étaient déjà passés de l’autre côté, comme s’ils avaient déjà décroché : « On crève »).

      Pour le dire autrement : impossible de faire l’économie d’une critique de l’UE et de contourner comme si de rien n’était la question du « retour » à une forme de redistribution garantie par l’Etat-nation.

      La situation actuelle en France montre bien que c’est d’une certaine façon dans le cadre même du processus populiste que nous sommes amené.e.s à redéfinir et à avancer des stratégies de résistance et d’alliances (et pas en extériorité à ce mouvement, comme a tenté de le faire la #CGT). Il ne s’agit pas de faire comme si la gauche n’avait pas perdu l’initiative.

      De ce point de vue, on peut peut-être dire que le moment, oui, est qu’on le veuille ou non « populiste », indéniablement marqué notamment par l’opposition « peuple » / « élites », mais que ça n’interdit pas (au contraire) de faire usage de la critique et d’ouvrir des pistes : orienter le mouvement dans un sens qui « nous » permette de « nous » y intégrer (« nous » minoritaire, notamment sur les orientations sexuelles ou religieuses, racisé, non-national) ; retraduire l’ensemble du processus en termes d’alliances de classe (contre la "simplification" de l’opposition des "99%" contre les "1%").

      La dualité des modes d’action qui caractérisent le mouvement des Gilets Jaunes (occupation des ronds-points en semaine, séquence émeutière le samedi) correspond peu ou prou (j’ai bien conscience de simplifier, mais il me semble qu’il y a quand même là "une part de vérité") à cette composition de classes et à cette alliance effective (entre prolétariat et "classe moyenne" précarisée ou en passe de l’être).

      On voit bien que l’impossibilité de contourner la question de l’Etat-Nation, par les traductions idéologiques quelle induit, se dresse aujourd’hui en face de ce « nous » comme un roc contre lequel « nous » risquons de nous fracasser. C’est pour cette raison que je parlais dans le texte que j’ai publié ces jours-ci (https://oulaviesauvage.blog/2018/12/23/on-vous-attend-notes-sur-les-gilets-jaunes) de « position défensive ». Cette position défensive n’induit pas nécessairement une position de repli (CGT) : elle peut trouver à s’exprimer politiquement par une sorte de contre-offensive au nom d’intérêts de classe communs (position du #Comité_Adama et de la Plateforme d’enquêtes militantes, parmi d’autres).

  • 18 décembre : #colère noire ! | Le Club de Mediapart
    https://blogs.mediapart.fr/marche-des-solidarites/blog/051218/18-decembre-colere-noire

    A l’#appel de Collectifs de #Sans_Papiers, de multiples collectifs de solidarité partout en France, des syndicats, de la Marche des Solidarités, des Etats Généraux des Migrations, du #Comité_Adama et du #Collectif_Rosa_Parks, des associations….

    Parce que c’est l’équivalent d’une ville entière comme Marseille qui a perdu un proche, une proche depuis dix ans sur les routes de la migration ! Par la faute des gouvernements qui se sont succédé. C’est par leur faute que l’hécatombe continue alors qu’elle pourrait s’arrêter demain.

    Parce que ces gouvernements voudraient que l’on se divise. En 20 ans la France a produit près de deux fois plus de richesses. Y-a-t-il deux fois moins de pauvres ? Le SMIC a-t-il été multiplié par deux ? Y-a-t-il deux fois moins de mal-logés ? Non bien sûr ! Mais dans le même temps la fortune des 500 plus riches en France a été multipliée par 7 !

    L’appel le dit : « C’est la précarisation générale, la remise en cause des acquis sociaux par les politiques d’austérité menées par nos gouvernants qui nourrissent les sentiments de mal-être et de repli sur soi dans la population. C’est en luttant ensemble que nous pourrons nous battre efficacement pour une société meilleure et égalitaire. »

    Alors le 18/12/18, partout, avec ou sans gilets, avec ou sans-papiers, partout, ensemble, rdv à 18H !

  • 1er décembre. Le Comité #Adama appelle à manifester avec les gilets jaunes

    Le Comité Adama, qui lutte sans faille contre les violences policières et le racisme, appelle les quartiers populaires à manifester aux côtés des gilets jaunes samedi prochain. Ils dénoncent le régime Macron qui laisse les habitants des quartiers agoniser chaque fin de mois et expliquent les points de convergence avec ce mouvement de colère sociale qui a explosé dans le pays.

    http://www.revolutionpermanente.fr/1er-decembre-Le-Comite-Adama-appelle-a-manifester-avec-les-gile

    "Ce qui compte est d’avoir une ligne claire et de ne pas se trahir. Ne pas trahir ses idéaux politiques."
    RDV 13h30 Gare Saint-Lazare pour partir direction les Champs-Elysées.

    http://www.mizane.info/comite-adama-gilets-jaunes-nous-devons-lutter-dans-la-rue

    Le comité Adama rejoint les gilets jaunes : « Ce n’est pas une alliance au prix d’un renoncement politique »

    https://www.bondyblog.fr/reportages/cest-chaud/gilets-jaunes-quartiers-comite-adama

    #Comité_Adama #violences_policières #racisme #quartiers #gilets_jaunes #Macron #convergence #colère_sociale

    • DEUX SOCIOLOGUES DANS LES BEAUX QUARTIERS AVEC LES GILETS JAUNES

      Les violences commises sur les Champs-Élysées sont la réponse à la violence de l’oppression que nous subissons chaque jour.

      DEUX SOCIOLOGUES DANS LES BEAUX QUARTIERS AVEC LES GILETS JAUNES
      Lundi, 26 Novembre, 2018
      Monique et Michel Pinçon-Charlot
      Monique et Michel Pinçon-Charlot ont rejoint les gilets jaunes aux abords des Champs-Élysées. Récit d’une confrontation avec une richesse arrogante.

      En ce samedi 24 novembre 2018, nous partons rejoindre le mouvement des gilets jaunes pour nous faire notre propre opinion. Nous pressentons que l’instrumentalisation de l’extrême droite est une manipulation de plus pour discréditer la colère des « gueux », pour reprendre une expression souvent employée par des manifestants qui se sentent dépouillés non seulement financièrement, mais jusque dans leur humanité même. Le mépris et l’arrogance d’Emmanuel Macron reviendront plus souvent dans les témoignages que nous avons recueillis que la hausse des taxes sur le carburant. Cette hausse est en réalité le déclencheur d’une colère beaucoup plus profonde, qui réunit les hommes et les femmes dans une révolte dont ils savent parler. Ils contestent la légitimité d’Emmanuel Macron à l’Élysée, son élection n’étant que le résultat du pouvoir de l’argent sur le monde politique : « Nous ne sommes pas dans une démocratie mais dans une dictature ! » « Nous allons faire en sorte que Macron ne puisse plus se présenter comme le chef du monde libre et de la démocratie. » « Plus rien n’est cohérent, on ne peut plus faire de projets. » Quant aux violences commises, notamment sur les Champs-Élysées, elles sont « la réponse à la violence de l’oppression que nous subissons chaque jour ».

      « C’est nous qui vous engraissons »
      Les gilets jaunes choisissent de manifester dans les beaux quartiers, de façon visible, avec ce jaune fluorescent comme symbole de leur chaleureuse détermination à renverser les rapports de forces, puisque « c’est nous qui vous engraissons : rendez-nous notre pognon ! », comme ils l’ont dit aux clients du restaurant de l’Avenue, à l’angle de la rue de Marignan et de l’avenue Montaigne, juste en face de chez Dior. La préfecture de police voulait les cantonner au Champ-de-Mars, qu’ils ont boudé tout au long de la journée au bénéfice des lieux de pouvoir, le plus près possible de l’Élysée.

      Pour nous deux, la confrontation entre les gilets jaunes et les clients chics de ce restaurant cher du 8e arrondissement a constitué un moment d’observation sociologique exceptionnel. Poussés par les gaz lacrymogènes, les bombes assourdissantes et les canons à eau, nous avons fui par la rue de Marignan avec le slogan repris en chœur : « Macron démission ! » Il est aux environs de 13 heures et la terrasse du restaurant de l’Avenue est pleine à craquer d’hommes et de femmes des beaux quartiers qui portent sur leur corps et leur tenue vestimentaire la douceur et la richesse d’une vie quotidienne embaumée par les pétales de roses. Les gilets jaunes encerclent la terrasse avec leur corps malmené par des conditions de vie difficiles, et ce fameux gilet jaune, symbole du prolétariat et des gagne-petit. Il n’y aura aucune violence physique mais les paroles seront franches dans cette confrontation de classe entre les premiers et les derniers de cordée. « Profitez-en, cela ne va pas durer », « Picolez car vous n’allez pas rire longtemps ! » Les femmes minces et élégantes et leurs maris en costume croisé se lèvent peu à peu pour se réfugier à l’intérieur du restaurant, « Ah bon ! alors on vous dérange ? » demande un gilet jaune. Qu’à cela ne tienne, les manifestants se collent aux baies vitrées et poursuivent leurs invectives de classe : « L’ISF pour les bourgeois ! », « Ils sont en train de bouffer notre pognon ! » C’en est trop, les clients du restaurant ferment alors les rideaux. « Ah ! vous ne voulez plus voir les gueux ? » Ceux-ci se sont peu à peu éloignés pour manifester toujours et encore leur colère.

      Colère de classe contre assurance de classe
      Nous avons été frappés par le calme des grands bourgeois et surtout par leur détermination à déjeuner dans ce restaurant, le lieu où ils avaient décidé de retrouver leurs amis et où ils avaient réservé leur table, dans un entre-soi qu’ils savaient au fond d’eux-mêmes garanti par les forces de l’ordre. Au point même que, vers 13 h 30, quelques clients faisaient la queue à l’extérieur en attendant de pouvoir bénéficier d’une table à l’intérieur. Ils ont affiché une assurance de classe qui ne doit pas présenter de faille, tant que leur vie n’est pas en danger.

      Nous avons été surpris par la reconnaissance de notre travail sur la violence des riches : « Vous avez mis des mots sur notre souffrance et tout ce que vous dites, c’est la vérité ! », « Vous êtes vraiment nos porte-voix ! » Nous avons fait des selfies, il y a eu des embrassades amicales, nous avons échangé et longuement discuté avec les personnes qui nous ont reconnus et abordés. Avant de partir pour le salon du livre de Radio France à la Maison de la radio dans le 16e arrondissement, nous avons rencontré un militant de la fédération CGT des dockers qui leur a conseillé « de rallier les gilets jaunes pour participer à ce mouvement », en disant qu’il « fallait savoir prendre le train en marche pour l’orienter et le soutenir dans ses aspects de confrontation entre les intérêts du capital et ceux du travail ».

      Notre témoignage sûrement incomplet ne se veut pas une analyse péremptoire de ce mouvement des gilets jaunes. Il s’agit plutôt d’attirer l’attention sur les processus de stigmatisation qui ont été mis en œuvre dès le départ afin de masquer une colère de classe en casse séditieuse d’extrême droite. Lorsque nous sommes arrivés à Radio France, la fouille de nos sacs à dos a révélé la présence de nos deux gilets jaunes, dont nous avons dû nous séparer le temps de nos dédicaces mais que nous avons récupérés à la sortie. Nous avons été accueillis par de nouveaux gilets jaunes nous annonçant leur volonté de s’en prendre aux médias publics. Ils avaient le projet d’occuper le lendemain, dimanche 25 novembre, l’esplanade devant France Télévisions.

      Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

      https://www.humanite.fr/deux-sociologues-dans-les-beaux-quartiers-avec-les-gilets-jaunes-664163

      #mouvement #gilets_jaunes #instrumentalisation #extrême_droite #manipulation #colère #gueux #mépris #arrogance #Macron #carburant #révolte #pinçon_charlot #Charlot

    • Gilets jaunes : questions pour ceux qui cherchent des alliances
      https://carbureblog.com/2018/11/27/gilets-jaunes-questions-pour-ceux-qui-cherchent-des-alliances

      On aimerait bien y croire, dans la capacité des choses à être autre chose que ce qu’elles sont. Oui mais… s’il est évident que les quartiers ont tout à faire dans une insurrection populaire contre la misère, comment se fait-il que jusqu’à présent ils aient été absents de ce mouvement ? Est-ce qu’il n’y a pas une différence entre passer une #alliance avec un mouvement et simplement considérer que – de droit – on en fait partie ? Est-ce qu’on peut passer une alliance avec quelque chose comme une coquille vide ? Est-ce qu’on peut s’allier avec quelque chose qu’on va définir soi-même, c’est-à-dire avec quelque chose qu’on ignore ? Est-ce qu’on peut s’allier sans avoir fait le point sur ce qui nous oppose à ceux avec qui on s’allie ? Est-ce qu’on peut s’allier sans savoir si l’autre souhaite s’allier aussi ? Est-ce que le mouvement des Gilets jaunes ne dit rien, que ce soit par ses mots ou par ses actes ? Est-ce qu’il est vraiment une coquille vide qui attend d’être remplie ? Pourquoi a-t-on une oreille ouverte sur le « #social », et l’autre fermée sur le #racisme, comme si c’était des choses différentes, comme si ces discours sortaient de bouches différentes ? Est-ce que le « social » est un discours politique, et pas le racisme ? Est-ce que l’extrême-droite ne peut pas avoir un discours « social », qui impliquerait le racisme ? Est-ce que le « social », c’est seulement la gauche ? Est-ce que le racisme c’est juste un réflexe de petits blancs débiles, ou est-ce que ça peut orienter des politiques ? Est-ce que quand on est Noir ou Arabe en France, on a seulement des problèmes avec le racisme, où est-ce que ça implique une position sociale particulière ? Est-ce que les Blancs ont intérêt à ce que le racisme existe, ou est-ce que le racisme existe malgré eux ? Est-ce que ce mouvement est un mouvement d’intérimaires, de chômeurs et de bénéficiaires du RSA, ou de petits patrons, d’auto-entrepreneurs, de commerçants et d’artisans ? Ou les deux ? Et si oui, quel lien et quelle alliance entre les deux ? Est-ce que la France blanche-d’en-bas serait légitime, si elle n’était composée que de chômeurs, RSAstes, travailleurs précaires, etc. ? Est-ce qu’il faut travailler pour avoir le droit d’être Français ? Est-ce que le fait d’avoir du mal à remplir son frigo pour nourrir ses enfants, c’est la même chose que critiquer la hausse des taxes et de la CSG ? Est-ce qu’on a un problème avec la CSG quand on n’est pas imposable ? Est-ce que tout le monde a les moyens de se payer une voiture ou une moto ? Est-ce qu’on peut demander la baisse des loyers et baisser les taxes sur la propriété foncière ? Est-ce qu’on peut à la fois augmenter le SMIC et les minima sociaux et baisser les charges patronales ? Est-ce que la France blanche-d’en-bas et les quartiers peuvent s’allier sans mettre ces questions sur la table, quitte à se foutre sur la gueule ? Est-ce que la France blanche-d’en-bas se sent plus proches des petits patrons qui râlent sur le prix du gas-oil ou des habitants des quartiers ? Est-ce que les Gilets jaunes, ça n’est pas déjà une alliance entre pauvres et moins pauvres ? Entre ceux qui ont du mal à remplir leur frigo et ceux qui aimeraient partir plus souvent en vacances ? Et qui va ressortir gagnant de cette alliance ? Est-ce que la lutte des classes, c’est seulement entre le « peuple » et le pouvoir ? Est-ce que le problème c’est Macron ? Est-ce qu’il faut « dégager Macron » et refaire des élections ? Et dans ce cas qui sera élu à sa place ? Est-ce que les quartiers populaires ont quelque chose à y gagner ? Est-ce que la France blanche-d’en-bas a quelque chose à y gagner ? Est-ce que les plus pauvres ont quelque chose à y gagner ? Pourquoi quand les quartiers manifestent leur colère il y a couvre-feu, alors que quand la France blanche-d’en-bas le fait elle est reçue dans les ministères ? Est-ce qu’on a jamais demandé aux #émeutiers de 2005 de se choisir des #représentants ? Est-ce qu’il y a seulement entre les quartiers et la France blanche-d’en-bas de l’incompréhension et de vagues préjugés hérités de la colonisation ? Pourquoi on envoie l’armée à la Réunion et pas sur les barrages en Corrèze ? Pourquoi en 2016 Fillon appelait à interdire les manifestations, et pas maintenant ? Est-ce qu’on n’entend pas tout de même la France blanche-d’en-bas dire qu’elle a un droit légitime, en tant que VRAI peuple Français, à être mieux traitée que la France des quartiers, que les migrants, etc. ? Est-ce que quand des gilets jaunes menacent un patron parce qu’il embauche des étrangers, ça ne veut rien dire politiquement ? Est-ce que c’est du racisme, ou du protectionnisme, ou des mots en l’air ? Est-ce que ça peut être les deux, et si oui, quel est le lien ? Est-ce que n’existe pas un discours qui oppose ceux qui travaillent et ceux qui profitent et grattent les allocs ? Est-ce que ce discours ne vise pas explicitement les quartiers, et les racisés en général ? Est-ce que ce discours est d’extrême-droite pour ceux qui le tiennent ? Est-ce qu’il n’est pas aussi tenu à gauche, de manière de plus en plus répétée ? Est-ce qu’on peut vraiment passer sur tout ça au nom d’une alliance « populaire » ? Est-ce que ce discours n’est pas lui-même une « alliance » ? Est-ce qu’il faut ouvrir une lutte autour de la légitime qualification « populaire » ? Est-ce que les quartiers sont « populaires » ? Est-ce qu’ils représentent légitimement le peuple français ? Qui est-ce qui décide de ce qui est « populaire » et de ce qui ne l’est pas ? Qui est-ce qui décide de ce qui est légitime et de ce qui ne l’est pas ? Est-ce que les quartiers peuvent vraiment obtenir cette légitimité que tout le monde leur refuse, et que la société dans son ensemble accorde d’emblée à la France blanche-d’en-bas ? C’est quoi alors le « peuple », si les quartiers n’en font pas tout à fait partie ? Etc., etc.

      Rendez-vous samedi 1er décembre gare Saint-Lazare pour commencer à poser ces questions, et peut-être entrevoir quelques réponses.