• Covid-19, crise du commandement capitaliste et contagion sociale. Comment intervenir ? – ACTA, Texte initialement publié sur le site Infoaut.
    https://acta.zone/covid-19-crise-du-commandement-capitaliste-et-contagion-sociale

    Le Covid-19 est l’incursion violente, rapide et incontrôlable d’un virus qui fragilise la santé de la population mondiale en se propageant par le contact humain dans les voies respiratoires. Il a déjà contaminé et tué des dizaines de milliers de personnes.

    En se propageant à travers les réseaux du commerce international, le Covid-19 a constitué d’emblée une crise sanitaire mondiale. Il a rendu visible les effets des coupes dans les investissements publics sur la qualité des services sanitaires, thérapeutiques et de prévention primaire ; le manque de stratégies de prévention et de formation épidémiologique des responsables institutionnels ; l’absence d’organisation structurée en « couloirs sanitaires », de réseaux d’assistance sur le territoire et de moyens de protection adéquats (tests de dépistage, équipements de protection) pour le personnel médical qui s’infecte à tout-va.

    Mais la crise sanitaire est en train de devenir ou est déjà devenue une crise « du social » : restrictions de mobilité et isolement humain ; propagation régulière et continue du virus le long des lignes de la productivité ; absence de réponses économiques (face à la faim et aux dettes) et de services pour la population (il suffit de penser au deuil sans l’encadrement rituel des funérailles). Elle deviendra une crise économique, avec un ralentissement de l’accumulation et de la production de valeur. Licenciements, faillites, saisies, compétition inter-capitalistes dans le transfert et l’absorption de la crise n’en sont que quelques aspects triviaux déjà visibles pour tout un chacun.

    Insister sur la crise du commandement capitaliste

    Mais une autre prise de conscience habite l’élite mondiale. « L’alternative – une destruction permanente de la capacité de production et donc de l’assiette fiscale – serait beaucoup plus préjudiciable pour l’économie et éventuellement la confiance dans le gouvernement »1. Tels sont les mots de Mario Draghi dans son vibrant appel à prendre conscience de l’état de guerre dans lequel nous nous trouvons, incitant les autorités à se débarrasser du dogme de l’équilibre budgétaire en injectant des centaines de milliards de dollars dans les veines du patient mourant formé par le corps socio-économique tout entier. Leur grande crainte est que la crise se transforme en effondrement, que ce soit la prise du Gouvernement sur les événements qui soit en jeu dans la contagion pandémique, c’est-à-dire l’organisation hiérarchique de la société en fonction de leur Économie. L’hypothèse qu’elle débouche sur une « crise » du commandement se manifeste dans l’incapacité systémique à penser des alternatives efficaces capables de réorganiser de façon durable et cohérente la production de biens en lien avec la reproduction sociale de l’être humain. Les propositions de voies de sortie venues du camp capitaliste et sagement esquissées par l’ancien président de la Banque centrale européenne, énoncent et renouvellent les causes de la crise actuelle. Davantage de dettes pour sauver le capital fictif, peut-être un peu d’helicopter money [NdT : en anglais dans le texte] pour permettre à la valeur de se réaliser sur le marché. Ainsi, le plan visant à « desserrer les cordons de la bourse » pour transformer une partie de la finance en revenu de consommation est le premier grand signe d’opposition des classes dominantes à l’effondrement de la civilisation capitaliste.

    Cependant, sous les latitudes plus ordinaires de la réalité sociale, celles où nous nous trouvons presque tous en quarantaine, au travail ou à l’hôpital, la crise de la reproduction capitaliste contenue dans la situation d’urgence soulève de nouvelles questions, auparavant ensevelies sous le flux continu de l’ordre social. C’est un peu comme un hamster qui cesse soudainement de tourner dans son manège, et découvre, stupéfait, une nouvelle perspective. Il remarque la cage, la scrute, jette un œil au dehors. Il essaie de comprendre à quoi ce dehors ressemble, avant même de penser à scier ses barreaux pour s’échapper. Dans cette « guerre contre le Covid-19 », le blocage partiel mais significatif de la reproduction capitaliste ouvre une nouvelle série d’expériences collectives et massifiées et de nouvelles dimensions de la vie sociale. Cette fois-ci, elles ne sont pas complètement dirigées par d’autres car elles condensent un travail humain et parce qu’elles sont « influencées » par la propagation du virus lui-même, comme élément d’ingouvernabilité. Par là, ces expériences peuvent contribuer à faire varier le cours de l’Histoire. C’est donc à ce niveau que nous devons réfléchir à une action commune à la hauteur de la tâche.

    L’hypothèse politique que nous proposons dans ces pages est de se saisir de l’urgence pandémique, comme destruction et comme opportunité, dans les termes subjectifs d’un sujet encore à construire : transformer l’objectivité de la crise en déstructuration du commandement capitaliste. C’est-à-dire faire ressortir et renforcer la nature antagoniste au système dominant présente dans les actions des sujets sociaux dans le cadre d’un affrontement qui a déjà commencé. Cet affrontement ne peut, à ce jour, être une question de pouvoir, de force, de combat frontal avec le camp adverse, de conflit d’autorité sur ce qu’est et qui décide dans l’état dit d’exception. Il ne peut en être ainsi, non pas parce qu’il s’agit d’une conception dépassée des rapports de force entre les classes, mais parce que le Sujet historique n’existe pas en tant que tel. Pour l’instant, il est matériellement dispersé sous la forme d’une présence au sein des ganglions de la reproduction sociale. Il existe en puissance, sous la forme de femmes et d’hommes engagés d’une certaine manière dans la lutte pour survivre à l’intérieur et contre l’urgence du Covid-19.

    #crise_sanitaire #crise_économique #reproduction_sociale #Commandement_capitaliste

  • Yvon Le Men, le poète qui attaque Pôle Emploi en justice - Bibliobs - Le Nouvel Observateur
    http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20140730.OBS5061/yvon-le-men-le-poete-qui-attaque-pole-emploi-en-justice.html

    Quand on écrit, on écrit toujours à partir de soi, mais un soi qui serait les autres. Un soi universel. En creusant au fond de soi, on trouve quelqu’un, un homme, une femme, un enfant, qui a quelque chose à vous dire. Je l’ai écrit pour ceux à qui on enlève leurs droits : au-delà de l’argent, le droit de se défendre, le droit d’être écouté. J’ai été accusé et condamné sans même pouvoir me défendre, alors j’ai parlé pour ceux qui ont du mal à parler. J’étais l’un d’eux. Je l’ai écrit pour mes frères humains, il y a des gens du personnel de Pôle Emploi qui l’ont lu et qui se sont retrouvés dans mon texte. C’est pour ça, il me semble, qu’il a été aussi entendu au festival de Saint-Malo : parce qu’il dépasse la question des intermittents…

    La vraie question est : « où en est notre humanité ? » C’est facile de sévir quand on ne voit pas les gens, de tirer un trait de crayon sur quelqu’un. C’est un peu le malheur d’aujourd’hui, l’humanité disparaît tout doucement, et avec l’administration c’est encore plus vrai, personne n’est en face, pas de médiation, pas de discussion. Mais dans le comité de soutien, il y a aussi des gens de Pôle Emploi dont certains souffrent dans leur travail.

  • The Rich and Their Robots Are About to Make Half the World’s Jobs Disappear
    http://motherboard.vice.com/blog/the-rich-and-their-robots-are-about-to-make-half-the-worlds-jobs-d

    Le Monde nous apprenait hier que le nombre de chômeurs ne cessait d’augmenter au niveau mondial, 202 millions aujourd’hui, 218 en 2018.
    http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/01/20/le-nombre-de-chomeurs-dans-le-monde-continue-d-augmenter_4351299_3234.html
    Mais il semblerait que ce ne soit que le début d’une catastrophe à venir : 47% des emplois pourraient être détruits par la robotisation d’après cet article de Vice.

    Two hugely important statistics concerning the future of employment as we know it made waves recently:

    1. 85 people alone command as much wealth as the poorest half of the world.

    2. 47 percent of the world’s currently existing jobs are likely to be automated over the next two decades.

    Combined, those two stats portend a quickly-exacerbating dystopia. As more and more automated machinery (robots, if you like) are brought in to generate efficiency gains for companies, more and more jobs will be displaced, and more and more income will accumulate higher up the corporate ladder. The inequality gulf will widen as jobs grow permanently scarce—there are only so many service sector jobs to replace manufacturing ones as it is—and the latest wave of automation will hijack not just factory workers but accountants, telemarketers, and real estate agents.

    That’s according to a 2013 Oxford study, which was highlighted in this week’s Economist cover story. That study attempted to tally up the number of jobs that were susceptible to automization, and, surprise, a huge number were. Creative and skilled jobs done by humans were the most secure—think pastors, editors, and dentists—but just about any rote task at all is now up for automation. Machinists, typists, even retail jobs, are predicted to disappear.

    And, as is historically the case, the capitalists eat the benefits.

    Les chiffres sont en fait issus d’un édito de The Economist :
    http://www.economist.com/news/leaders/21594298-effect-todays-technology-tomorrows-jobs-will-be-immenseand-no-co

    Le journal est si peu susceptible d’être critique de la technologie, ils sont si étonnés par leur propre audace, qu’ils prennent des précautions oratoires en début d’article :

    For those, including this newspaper, who believe that technological progress has made the world a better place, such churn is a natural part of rising prosperity. Although innovation kills some jobs, it creates new and better ones, as a more productive society becomes richer and its wealthier inhabitants demand more goods and services. A hundred years ago one in three American workers was employed on a farm. Today less than 2% of them produce far more food. The millions freed from the land were not consigned to joblessness, but found better-paid work as the economy grew more sophisticated. Today the pool of secretaries has shrunk, but there are ever more computer programmers and web designers.

    Pour passer de 33 % à 2% d’employés dans le secteur agroalimentaire, ça aura coûté une catastrophe écologique et humaine, mais passons.

    En fait, The Economist est terrifié par les perspectives sociales d’une telle évolution :

    If this analysis is halfway correct, the social effects will be huge. Many of the jobs most at risk are lower down the ladder (logistics, haulage), whereas the skills that are least vulnerable to automation (creativity, managerial expertise) tend to be higher up, so median wages are likely to remain stagnant for some time and income gaps are likely to widen.

    Anger about rising inequality is bound to grow, but politicians will find it hard to address the problem.

    Et de conclure sur une mise en garde :

    Innovation has brought great benefits to humanity. Nobody in their right mind would want to return to the world of handloom weavers. But the benefits of technological progress are unevenly distributed (…). Today’s governments would do well to start making the changes needed before their people get angry.

    Pas sûr que les changements mis en place par les gouvernants soient alors fondamentalement démocratique étant donnés les moyens de contrôle que permettent aujourd’hui le numérique (cf. http://seenthis.net/messages/219551 )

    • On pourrait peut-être aussi se souvenir que les principes de l’automation ont donné lieu à des procédés qui sont restés à l’état de prototypes (par ex. en matière de construction des bagneules durant les 50’) tant que l’insubordination ouvrière et le refus du travail n’ont pas contraints les capitalistes à les utiliser en série , se souvenir, même si aujourd’hui cela parait contre intuitif, du vieux dicton : "là où il y’a la grève arrive la machine."

      #RTT #emplois_nuisibles #commandement_capitaliste

    • Il y a une donnée de plus que les riches ne perdent certainement jamais de vue : si tout le monde avait leur niveau de vie, il nous faudrait 10 planètes pour satisfaire les besoins. Autrement dit, les riches sont d’autant plus cruellement concernés par le mur écologique qu’ils sont en première ligne.

      Il y a deux façon de régler le problème :
      – répartir les ressources plus équitablement
      – réduire le nombre de convives autour de la table

      Autant la première solution signifierait que ceux qui auraient le plus à perdre seraient forcément les riches, autant la seconde nécessite de quantifier précisément les surnuméraires, c’est à dire la quantité de population humaine dont les riches n’ont absolument pas besoin pour perpétuer le système outrageusement à leur service.

      La robotisation a cela de merveilleux qu’elle permet de continuer à produire les biens et services dont ont besoin les riches tout en diminuant drastiquement le nombre d’humains nécessaires pour continuer à produire ; ce qui augmente d’autant la quantité de ressources disponibles pour les dominants.

      Ensuite, comment régler le problème des #surnuméraires ?
      Rien de plus facile : tu marchandises toutes les ressources vitales, puis tu diminues la quantité de monnaie disponible pour les acquérir. Par contre, tu penses à ne pas négliger la sécurité.

    • @monolecte, je ne sais pas si les "surnuméraires" (notion promue par un Robert Castel devenu irénique, voir son La « guerre à la pauvreté » aux États-Unis : le statut de l’indigence dans une société d’abondance , Robert #Castel, de 1978, avant son recentrage républicain,
      http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4243 )sont inutiles…

      Ainsi la régression du "pouvoir d’achat" du RSA, par exemple, ne signifie pas seulement que l’on ne compte pas sur ces pauvres pour faire tourner l’économie en consommant, ni même seulement que l’on appauvrit ces pauvres pour leur faire accepter les bads jobs dans le cadre d’un plein emploi précaire. La majorité (relative) des chômeurs indemnisés est désormais constituée de 40% de "chômeurs en activité à temps réduit" ; idem, les "RSAstes" sont fort nombreux à occuper un ou des emplois durant l’année… De plus, on ne peut sérieusement mesurer l’activité ou l’utilité au seul critère de l’emploi (une formalisation du travail qui n’en contient pas toutes les modalités, bien loin de là).
      Cet appauvrissement me semble aussi avoir pour fonction de fabriquer une figure lisible, évidente, incontestable, de cette déchéance sociale dont nous devons tous nous sentir menacés (ni travail, ni famille, ni patrie, cela doit faire peur). On a vu ces dernières années par exemple de nombreux "sondages" destinés à montrer que de larges fractions de la population craignaient d’avoir à survivre à la rue, vivaient avec la peur plus ou moins forte d’être soumis à un devenir SDF. On est là dans un domaine "symbolique", et pas au sens d’un hochet-repoussoir imaginaire et sans portée, mais bien dans l’affirmation d’un ordre symbolique, de la loi de cette "société de travail" (comme disait Jospin contre les mouvements de chômeurs en 1997/98, cf http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5374), c’est-à-dire de cette société gouvernée par l’argent car fondée sur l’exploitation pour le profit.

      Comme dit la chanson, la meilleure des polices ne porte pas d’uniforme… Autant il me parait erroné d’appliquer ad vitam eternam la notion d’"armée industrielle de réserve" à l’analyse du travail et du monde social (…), autant il semblerait judicieux de chercher comment, dans le péplum aux figurants innombrables de la domination capitaliste, des images (de mort sociale) ont a être incarnées afin d’être en mesure de gouverner par la peur, d’affecter de part en part l’intime et par là d’obérer toute possibilité de communauté qui ne soit pas régie par cette peur.

      L’autre point que tu soulèves, je le résumerais en disant qu’il existe une disproportion radicale des "empreintes écologiques" des riches et des pauvres (cette disproportion quantitative dit fort bien que l’inégalité qualifie décisivement ce monde ) a fait sur seenthis l’objet de nombreux échanges ces derniers temps, échanges placés sous le signe du refus du #moralisme_écolo.
      Que des bourges (déclassés, ont précisé certains) coupables d’avoir de générations en générations détruit massivement des ressources (la vie de ceux qui ont produit pour eux, des matières premières, des biens communs) veuillent expier les comportements prédateurs de leurs ancêtres les plus directs et viennent aujourd’hui expliquer aux pauvres qu’il faudrait être raisonnable avec la planète - et pourquoi pas quitter les achèlèmes et les pavs où nombre d’entre eux ont été parqués avec un chauffage électrique destiné à faire marcher et légitimer et la gabegie et le nucléaire (Guattari et Deleuze formulent, dès 1973, la notion d’ antiproduction capitaliste , cessons de trasher toute "boite à outils" !), me parait abject.

      Faire de la #morale, c’est fabriquer du surmoi collectif, et ici c’est celui bien bourgeois de la "responsabilité individuelle". Un sadisme social qui fait l’économie du collectif pour congédier plus encore cette dimension, quitte pour certains à prôner la small collectivité (plutôt que ou en même temps que la "culture de l’entreprise"), celle qui jamais n’aurait à se battre contre l’ordre social, juste à être "supérieure" (plus efficace, plus désirable) à d’autres "formes de vie" ; mais ça marche pas, pas du tout, ainsi qui a cru fuir le monde du capital dans une yourte, ou se mettre à l’abri de la concurrence pour l’emploi et du contrôle avec un pauvre RSA finit par être confronté, après le ressentiment du voisin, aux préfets, aux présidents de conseils généraux, aux agents de contrôle.

      Plutôt que de verser dans la culpabilisation de ces "pauvres aliénés", on peut préférer imaginer encore un mouvement de désaliénation. Qui croit à la vertu d’un conflit qui s’enfermerait pas dans l’intériorisation sait user, cherche à user, de quelques points de repères parmi tous ceux qu’une longue histoire DE LUTTE a fourni. Marcher sur la tête des rois, guerre aux châteaux, paix aux chaumières, a-t-il par exemple été dit. On ne trahira ces restes sublimes que pour essayer de les traduire, d’expérimenter leur actualisation. Sinon, c’est déconner.