La #commission_mixte_paritaire (#CMP) qui s’est tenue hier après-midi, lundi 9 novembre 2020, était chargée de trancher les points de désaccords persistants entre l’Assemblée nationale et le Sénat à propos de la loi de programmation de la recherche. Pour cela, elle devait trancher, article par article, entre la version du texte votée par l’Assemblée nationale en première lecture et celle retenue par le Sénat.
Les choix qu’elle a faits ont été pour le pire. Mais sur un point bien précis, pourtant, la CMP a choisi d’innover, plutôt que de trancher : elle a inséré dans la loi un nouvel article 20 bis AA qui dispose que :
« Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est passible des #sanctions définies dans la section 5 du chapitre Ier du titre III du livre IV du #code_pénal ».
Cet article est tombé du ciel. Plus précisément, il élargit de façon considérable un précédent article, que le Sénat avait lui-même déjà sorti de son chapeau (amendement n°147), et à propos duquel Academia n’a eu de cesse de sonner l’alerte.
Un tel article est très grave – l’un des plus graves que contient la LPR, même – pour les raisons que nous avons exposées dans les minutes qui ont suivi la fin de la CMP : il sonne rien moins que la fin pure et simple des contestations sur les campus et ouvre grand la porte à toutes les dérives autoritaires.
Il faut d’ailleurs mesurer la bassesse de la manœuvre de la ministre : jusqu’à présent, la ministre avait veillé à ne donner aucune prise directe à une #contestation du projet de loi par les étudiant·es et leurs organisations. Elle savait, en effet, que si cette #contestation_étudiante venait à s’ajouter à la fronde des personnels de l’ESR, le projet de loi ne s’en relèverait pas. Le nouveau #délit qui a été introduit hier montre, pourtant, que ces organisations étudiantes se trouvaient bien, en réalité, au centre du viseur gouvernemental. Car ce sont bien elles, à n’en pas douter, qui seront les premières victimes de la #pénalisation des #contestations dans les établissements.
Un énorme doute nous étreint, au passage. Academia a déjà expliqué la basse manœuvre procédurale dont a usé la ministre pour court-circuiter tout débat autour de la mise à l’écart du Conseil national des universités. Et si, assistée de quelques chefs d’établissement, elle avait fait pire encore ? Et si l’introduction d’un tel article en commission mixte paritaire – ce qui revient à évincer littéralement les deux chambres, à supprimer toute forme de débat public à propos de cette mesure, et à court-circuiter toute protestation étudiante – était, elle aussi, préméditée ? Ce qui est sûr, c’est que, préméditation ou improvisation de dernière minute, l’introduction d’un délit de grande ampleur au stade d’une commission mixte paritaire dite « conclusive » est une ignominie. Ce ne sont pas des pratiques qui, dans une démocratie, devraient être permises.
Une rumeur circule néanmoins à propos de ce délit, à laquelle il faut couper court : celle selon laquelle les collègues affectés dans un établissement, ou sous contrat avec celui-ci, ainsi que les étudiant·es qui y sont inscrit·es n’entreraient pas dans le champ du délit nouvellement créé. Cette interprétation est tout à fait discutable : dès lors que la formule choisie intègre dans le champ du délit toutes les personnes situées dans l’enceinte de l’université qui n’y ont pas été « autorisé[es] par les autorités compétentes », son champ d’application est, au contraire, très étendu. Quelques explications très brèves s’imposent à ce propos .
La pénalisation des « non-autorisé·es »
Il n’y a rien de plus simple que de placer quelqu’un dans une situation de ne pas être autorisé·e à être dans tout ou partie de l’université, y compris si cette personne est un personnel de cette université ou un·e étudiant·e qui y est inscrit·e.
Il existe, pour cela, deux moyens.
Le premier moyen relève de ce que l’on nomme le pouvoir de police général du président d’établissement. Celui-ci est « responsable du maintien de l’ordre » dans l’université (article L. 712-2, 6° du code de l’éducation, complété par l’article R. 712-1). A ce titre, il peut, soit lui-même, soit par l’entremise du directeur ou de la directrice de site ou de composante auquel·le il a donné délégation, refuser la tenue de certaines manifestations ou évènements, et même interdire « à toute personne et, notamment, à des membres du personnel et à des usagers de l’établissement ou des autres services ou organismes qui y sont installés l’accès de ces enceintes et locaux » d’accéder à ces locaux (article R. 712-8 du même code). Sur ce fondement, la possibilité de se retrouver en situation « non autorisée » est considérable, et ce, quand bien même on est directement rattaché à l’établissement.
Le deuxième moyen est plus puissant encore, car il est préventif, et fait écho à une vive polémique qui s’était développée en février dernier, concernant l’université Paris-Descartes (université de Paris). Il suffit, pour cela, de créer, dans le règlement intérieur des établissements, des obligations sévères concernant l’organisation des évènements scientifiques, des réunions publiques et autres assemblées générales, ou concernant l’accès aux locaux des présidences ou aux séances des conseils d’administration. On songe, par exemple, à des obligations de présenter, deux mois à l’avance, une demande d’affectation d’un local auprès du président de l’université » ou aux interdictions de se rendre dans certains locaux sans autorisation formelle préalable, que le « badgage » à grande vitesse des universités rend aujourd’hui très concrètes.
C’est même une tendance de fond des dernières années, que nous sommes nombreux·ses à dénoncer : les « non-autorisé·es » se multiplient à l’infini, la tradition d’accessibilité aux campus est en voie de disparition, les universités, devenues paranoïaques sous l’impulsion de réseaux comme Vigilance Universités ou Qualité de la science française, se ferment physiquement, en même temps que les collègues et les étudiant·es se trouvent sans cesse plus contrôlé·es, que ce soit pour faits de grève ou pour prétendu·es radicalisations.
Et voilà donc que maintenant, d’un trait de plume dans les règlements intérieurs, ces « non-autorisé·es » sont en voie de pénalisation, avec des peines disproportionnées allant d’un à trois ans d’emprisonnement. Mais quelle université sommes-nous donc en train de voir éclore ?
L’atteinte aux franchises universitaires
Précisons, enfin, qu’une fois ces règlements intérieurs rédigés pour ce qui concerne les personnels et les étudiant·es de l’établissement, et indépendamment même de ces règlements intérieurs pour tou·tes les autres, les forces de l’ordre pourront intervenir, au titre du flagrant délit, et les procureurs pourront engager des poursuites, sans même que le président de l’établissement ne les sollicite. C’est, autrement dit, la reprise en main des universités qui se dessine au travers de cette disposition, et une attaque d’une violence presque sans précédent à l’égard des franchises universitaires.
Cette manière de faire a la finesse d’un bulldozer. Depuis l’article 157 du décret impérial du 15 novembre 1811 relatif au régime de l’université, qui disposait :
« Hors les cas de flagrant délit, d’incendie ou de secours réclamés de l’intérieur des lycées, collèges et autres écoles publiques appartenant à l’université, aucun officier de police ou de justice ne pourra s’y introduire pour constater un corps de délit ou pour l’exécution d’un mandat d’amener ou d’arrêt dirigé contre des membres ou élèves de ces établissements, s’il n’en a l’autorisation spéciale et par écrit de nos procureurs généraux, de leurs substituts ou de nos procureurs impériaux »,
les franchises universitaires, tout comme les libertés académiques dont elles sont une déclinaison, plient seulement devant le droit pénal. Dès lors, il existe une manière très simple de procéder, que la ministre et celles et ceux qui la soutiennent ont bien assimilées : cette manière de faire consiste, non pas à toucher directement aux « franchises universitaires », mais à « se contenter » d’étendre le champ de la pénalisation des universités, et donc… le pouvoir d’intervention des autorités extérieures aux universités. C’est comme cela que l’on tue, sans le dire et sans l’assumer, mais de manière incontestable, ces franchises.
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Bref, on l’aura compris, il est parfaitement irresponsable de faire circuler la rumeur selon laquelle les collègues affectés dans un établissement, ou sous contrat avec celui-ci, ainsi que les étudiant·es qui y sont inscrit·es n’entreraient pas dans le champ du délit nouvellement créé.
N’oublions pas, non plus, que cet article nouveau, que la CMP a introduit hier, est le décalque d’un article du code pénal, le L. 422-31, qui existe d’ores et déjà depuis dix ans concernant les établissements scolaires et non universitaires, à la suite d’une des lois les plus liberticides du quinquennat de Nicolas Sarkozy, la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public. Un article qui a allègrement servi, au printemps 2018, à placer en garde à vue, puis à déférer devant un juge des adolescent·es occupant le lycée Arago à Paris.
Quand la police a embarqué tout le monde, la question de savoir lesquel·les de ces lycéen·nes étaient, ou non, inscrit·es dans l’établissement, et bien personne ne l’a posée…