• #Wikipédia, #démocratie_rhétorique

    Depuis quelques années, des discussions ont lieu dans la version francophone de Wikipédia pour essayer d’aboutir à des conventions de styles relatives à la #transidentité, comme dans la version anglophone. Début 2024, un #sondage interne à Wikipédia a été ouvert à propos de la mention du nom de naissance pour les personnes trans. Ce sondage a suscité presque immédiatement la #polémique. L’affaire a été beaucoup discutée sur Mastodon et s’est retrouvée dans la presse.

    Jusque-là, mon rapport à Wikipédia était assez banal : consultation fréquente (plusieurs fois par semaines, voire par jour) mais pas de contribution. Il faut dire que j’avais retenu la leçon vécue par Marc Jahjah : il vaut mieux s’être bien renseigné sur le fonctionnement de Wikipédia avant de contribuer, car c’est rempli de patrouilleurs indélicats. Et pour présenter rapidement Wikipédia en cours, une compréhension de surface suffit.

    Arrive cette controverse sur le nom des personnes trans. Parce que je connais quelques universitaires impliqués dans les débats, j’ai commencé à parcourir les pages de discussion, par curiosité. Et parce qu’il est indispensable de se renseigner sur le fonctionnement de Wikipédia pour décoder ces discussions, notamment tous les sigles employés, je me suis mis à parcourir toutes les pages qui décrivent le projet Wikipédia, notamment sa hiérarchie des #normes (#principes_fondateurs, #règles et #recommandations).

    Dans la foulée, quelques personnes ont publié des analyses : « contradiction entre volonté de #transparence et d’#entre-soi »  ; « désillusion de l’#intelligence_collective »… c’est là que les roues se sont mises à tourner à toute vitesse dans ma tête.

    Attention : ce qui suit, ce sont mes élucubrations personnelles. Si je les partage, c’est parce qu’elle ne recoupent pas ce que j’ai pu lire ailleurs. Coïncidence, ces jours-ci sort un livre de Sana Boussetat intitulé La formule Wikipédia . Je vois dans la table des matières que quelques pages portent sur le débat participatif et la gestion des conflits, il va en être question dans ce billet… En m’exprimant sur un sujet qui n’est pas ma spécialité, je risque un peu la sortie de piste, donc je préfère le signaler dès ici. Si besoin, je mettrai mon billet à jour.

    #Communs

    Wikipédia fait partie des #biens_communs, plus spécifiquement de la catégorie des #biens_communs_informationnels, ou #communs_de_la_connaissance. Quand on parle de « #communs » tout court, on entend généralement des espaces « collectivement construits et administrés ».

    Wikipédia fait le pari de l’intelligence collective. Or Tam Kien Duong résume justement la controverse actuelle comme une « désillusion de l’intelligence collective ». Pour qu’il y ait #désillusion, il faut qu’il y ait illusion. Alors voici une hypothèse : on a pensé que les communs de la connaissance seraient vertueux par essence.

    #Utopie :

    « Le fruit des rencontres entre les biens et les personnes peut être aussi bien positif que négatif ou quelque part entre les deux. Dans l’arène intellectuelle, le concept des biens communs est souvent brandi comme un étendard synonyme de liberté d’expression, d’accès libre et universel, et d’autogestion […] Cela peut être constructif, d’ailleurs cela donne souvent de l’élan aux actions collectives autour des communs. Mais un commun n’est pas chargé de valeurs. Son impact peut être bon ou mauvais, durable ou non ».

    Les effets produits par les communs de la connaissance dépendent donc de la manière dont ils sont collectivement construits et administrés.

    Comme pour chaque autre catégorie de biens communs, concevoir des communs de la connaissance implique des difficultés spécifiques. Et dans le cas de Wikipédia, il y en a une qui s’est avérée particulièrement aiguë : la tension entre l’idée d’une encyclopédie qui doit être une source de savoir contrôlé, et le principe d’une encyclopédie ouverte, dont tout le monde peut parler, que tout le monde peut rejoindre.
    Démocratie

    Quand on utilise le nom « Wikipédia », on peut désigner l’encyclopédie mais aussi l’organisation qui produit cette encyclopédie. La nature de l’encyclopédie est clairement expliquée sur la page Wikipédia est une encyclopédie : c’est une collection d’articles qui présentent chacun une synthèse des connaissances sur un sujet. En revanche, la nature de l’organisation est un peu moins simple à appréhender.

    La page Principes fondateurs définit dans les grandes lignes « Wikipédia et les conditions de son élaboration ». Elle parle aussi d’un « projet collaboratif ». La page Ce que Wikipédia n’est pas mentionne une « communauté ». Pour mieux cerner cette organisation, il faut donc creuser. On découvrira progressivement que le fonctionnement de Wikipédia est organisé suivant une hiérarchie des normes :

    - principes fondateurs (fondement intangible)  ;
    - règles (issues d’une prise de décision, c’est-à-dire d’un vote)  ;
    - recommandations (élaborées par consensus)  ;
    - essais (propositions relatives au fonctionnement de l’encyclopédie).

    Comment qualifier ce fonctionnement  ? Démocratique  ? Bureaucratique  ? Si on en croit Wikipédia, ni l’un ni l’autre. D’abord, ce ne serait pas « un projet politique » :

    « La communauté s’est dotée de certaines règles, mais il ne faut pas perdre de vue qu’elles n’existent que pour le but auquel la communauté aspire : construire une encyclopédie de qualité. Par extension, Wikipédia n’est ni une démocratie, ni une dictature, ni une anarchie, ou toute autre tentative de réalisation d’un projet politique quelconque. »

    Ce passage a de quoi étonner. Le terme « démocratie » est ramené à une définition historique – « tentative de réalisation d’un projet politique » –, ce qui permet d’affirmer ensuite que Wikipédia ne correspond pas à la définition. Or cette dernière est contestable. On peut arguer du fait que la démocratie n’est pas un processus historique mais sociologique : Raymond Aron par exemple définit la démocratie comme l’organisation pacifique de la compétition pour le pouvoir, et cela s’applique très bien à Wikipédia.

    #Consensus

    Wikipédia a donc un fonctionnement démocratique, que Dominique Cardon résume ainsi : « Wikipédia possède une sorte de Constitution, dont les principes, les règles et les recommandations permettent de trancher en cas de litige ». Concrètement, il y a du vote à certains niveaux mais pas partout : le mécanisme central est en fait le consensus. Celui-ci repose sur les règles suivantes :

    - il y a toujours un consensus pré-établi, qu’il soit tacite ou manifeste  ;
    – si vous voulez modifier quelque chose, « cherchez une modification judicieuse mariant les idées de chacun »  ;
    – si vous êtes en désaccord, « trouvez un compromis »  ;
    – si le désaccord persiste, on revient au consensus précédent.

    Le consensus est un processus dialectique : on exprime des avis  ; on interprète l’ensemble de ces avis  ; on exprime des accords ou désaccords à propos de cette interprétation. Or ce processus n’a qu’un ensemble limité de règles, qui se concentrent sur la mise en forme, la politesse et la traçabilité. Il n’y a pas de règlement politique du consensus. Et pour moi, une dialectique sans règles politiques dégénère immédiatement en rhétorique.
    Bureaucratie

    Wikipédia est parfois qualifiée de bureaucratie. L’encyclopédie elle-même affirme ressembler à une bureaucratie mais ne pas en être une :

    « Bien que Wikipédia rassemble de nombreux éléments d’une bureaucratie, elle n’est pas régie par les lois : ce n’est pas un organisme quasi-judiciaire, et les règles ne sont pas le but final de la communauté. Bien que certaines règles puissent être appliquées, les règles écrites ne fixent pas l’usage accepté. Elles se contentent plutôt de documenter les consensus communautaires existants concernant ce qui doit être accepté et ce qui doit être rejeté. »

    On retrouve le même problème qu’avec « démocratie » : le terme est défini de manière très spécifique pour pouvoir dire ensuite que Wikipédia ne correspond pas à la définition. Pour moi, l’affirmation ci-dessus ne permet pas de dire que Wikipédia n’est pas une bureaucratie, circulez, y’a rien à voir. Tout ce qu’elle fait, c’est déplacer le centre de gravité du fonctionnement bureaucratique vers le consensus, qui est un processus tout à fait formalisé – il est même représenté sous la forme d’un schéma décisionnel.

    Sachant qu’on revient toujours au consensus précédent si un nouveau consensus ne peut pas être trouvé, le système tend au statu quo, en raison d’un paradoxe empirique : un consensus peut s’obtenir très facilement (soit parce qu’il est tacite, soit parce qu’il est produit par une toute petite poignée de contributeurs) mais un nouveau consensus peut être très difficile à obtenir, parce qu’il implique un dilemme social (la remise en question d’un consensus) et que le dépassement de ce dilemme génère une friction énorme.

    En effet, et contrairement à l’un des principes essentiels de conception des communs – créer des mécanismes de résolution des conflits dont le coût soit peu élevé –, l’élaboration du consensus sur Wikipédia contient plusieurs sources de frictions majeures.

    Il y a d’abord ce parasitage de la dialectique par la rhétorique, que j’ai évoqué un peu plus tôt. Certaines personnes le dénoncent parfois, en accusant des contributeurs favorables au statu quo d’étirer les discussions à dessein pour épuiser leurs contradicteurs, qui finissent par jeter l’éponge. Selon moi, Wikipédia souffre ici d’un déficit de régulation. Dans l’espace public politique, il n’y a pas que les suffrages qui soient réglementés : la parole l’est aussi. Ce n’est pas pour rien que l’Assemblée nationale fonctionne avec des temps de parole et un agenda. Une discussion sans limite de temps ou de signes, sans contrainte basée sur la représentativité des interlocuteurs, c’est une discussion qui favorise naturellement les esprits procéduriers et vétilleux.

    Il y a ensuite l’effet « aiguille dans une botte de foin » : un sujet passe facilement sous les radars, du fait de l’immensité de l’encyclopédie. Les personnes qui pourraient y contribuer utilement ne sont donc pas forcément au courant, malgré des mécanismes comme le Bistro – la page d’actualités quotidienne de Wikipédia en français.

    Autre source de frictions, la prime à l’ancienneté : considérer que ceux qui contribuent suffisamment et régulièrement à Wikipédia sont plus légitimes que les autres pour décider de son fonctionnement. Cette idée a un versant positif, aligné avec la notion de biens communs en général : les communs doivent être administrés par la communauté concernée. Mais elle a aussi un versant négatif, quand on conçoit cette communauté comme structurée en cercles concentriques hermétiques. Pour réduire la tension entre l’envie d’ouvrir l’encyclopédie et la nécessité de protéger son fonctionnement interne, les contributeurs utilisent par exemple des critères de participation aux sondages (nombre de contributions total, nombre de contributions récentes). Ceci permet de se protéger de manœuvres visant à détourner le projet encyclopédique en faveur d’intérêts particuliers. Mais cela empêche aussi des groupes de voir leurs intérêts représentés dans le processus, ce qui les repousse vers des mécanismes externes de résolution des conflits, comme les systèmes médiatique et judiciaire.

    Certaines recommandations de Wikipédia comme Ne mordez pas les nouveaux visent à éviter la discrimination envers les novices  ; j’ai mentionné en introduction le cas de Marc Jahjah, eh bien le contributeur qui l’avait si mal accueilli a été sanctionné. La prime à l’ancienneté est une forme plus subtile de cette même logique, qui permet paradoxalement de reconstituer des enclosures à l’intérieur du bien commun.

    Ces différents phénomènes compliquent la résolution des conflits les plus difficiles. Et à cela viennent s’ajouter deux notions qui m’ont l’air de causer beaucoup de problèmes : la neutralité et la bonne foi.

    #Neutralité

    L’un des #Principes_fondateurs de Wikipédia est la Neutralité de point de vue. Il ne s’agit pas de faire émerger un « point de vue neutre » mais de restituer la pluralité des points de vue de manière neutre, c’est-à-dire de manière équitable, en contextualisant les différents points de vue, et en citant des sources.

    La neutralité pose des difficultés car son sens dérive vite. Sur la page de discussion du fameux sondage, on peut lire plusieurs commentaires qui opposent « la communauté Wikipédia » à des « communautés militantes », qui ne seraient pas « neutres ». C’est oublier que la neutralité de Wikipédia n’est pas la recherche d’un point de vue neutre mais d’une pluralité de points de vue. C’est surtout croire qu’il existerait une séparation magique entre une communauté Wikipédia qui serait non militante et des communautés extérieures militantes.

    Militer consiste à « agir pour faire reconnaître et triompher ses idées » (source : TLF). Sachant que la frontière qui séparerait Wikipédia du reste de la société n’existe en fait pas, il est inévitable que des personnes militantes s’impliquent sur Wikipédia. Si une personne militante agit en opposition au principe de neutralité, par exemple en effaçant les idées contraires aux siennes, ses modifications (qui peuvent s’apparenter à du vandalisme) seront retoquées. Mais si elle respecte les règles de Wikipédia, par exemple en faisant représenter ses idées aux côtés d’idées antagonistes, alors son militantisme n’est pas un danger pour Wikipédia. De fait, nombre de contributeurs sur Wikipédia sont « militants » de quelque chose et l’encyclopédie s’en porte très bien.

    Qualifier les militants de « non neutres », c’est donc confondre les actions concrètes de personnes militantes et leurs objectifs supposés, c’est-à-dire leur faire un procès d’intention. Et c’est ici qu’intervient l’hypocrisie de la « bonne foi ».

    #Bonne_foi

    Supposez la bonne foi est une recommandation importante dans Wikipédia. Elle implique deux choses :

    « Quand vous pouvez supposer raisonnablement qu’une erreur faite par quelqu’un est née d’une bonne intention pour atteindre les objectifs du projet, corrigez-la sans la critiquer. »

    « Quand vous n’êtes pas d’accord avec quelqu’un, rappelez-vous qu’il est probable qu’il souhaite et croit sincèrement contribuer à Wikipédia. »

    La bonne foi est ainsi définie comme le souhait sincère de faire progresser l’encyclopédie, de ne pas la dégrader ni lui nuire. En d’autres termes, cela consiste à respecter les principes fondateurs, et notamment le deuxième – la neutralité de point de vue.

    Que la bonne foi existe chez certains, c’est une certitude. En revanche, la présomption systématique de bonne foi me semble constituer un principe naïf, ce que Frédéric Lordon appellerait une « anthropologie enchantée ». Présumer la bonne foi n’implique pas que les gens soient réellement de bonne foi. Et au risque d’enfoncer des portes ouvertes, rien ne permet de présumer que la communauté Wikipédia est constituée exclusivement de gens parfaitement informés et toujours bienveillants : tout indique au contraire qu’elle peut être un haut lieu d’ignorance et d’intolérance, et qu’en cela elle s’inscrit malheureusement assez bien dans l’histoire de l’encyclopédisme et de l’organisation des connaissances.

    Dans la discussion à propos du fameux sondage, il y a quelques personnes qui me semblent d’une mauvaise foi crasse, évidente, assumée  ; des personnes dont tout le monde peut voir qu’elles utilisent sciemment les règles pour orienter le cours des choses dans le sens qu’elles veulent. « Mais non, pensez-vous, je ne fais que m’en tenir aux principes de notre encyclopédie. » Il suffit de lire leur page utilisateur pour découvrir une adhésion revendiquée à des écoles de pensée et des familles idéologiques. L’hypocrisie dont je parlais est là : dire qu’il faut présumer de la bonne foi, se récrier face à toute accusation de parti pris idéologique, et faire des procès d’intention à ceux qui s’opposent à nous.

    Cela va donc sembler un peu violent, surtout pour les personnes attachées à ce principe, mais je crois que la présomption de bonne foi est à la fois une friction et une fiction. C’est un piètre paravent, qui empêche de forcer tout un chacun à jouer cartes sur table dans la résolution des conflits. Elle grippe l’élaboration du consensus. Elle aiguise la duplicité de ceux qui masquent leurs intentions tout en dénonçant celles des autres. Elle permet à certains de jouir d’un pouvoir légitimé par des règles qu’il est très difficile de faire évoluer, par inertie ou effet de majorité  ; des gens qui feront tout pour écœurer les personnes opposées à la reconduction de l’existant, et qui n’hésiteront pas à affirmer ensuite que ce sont ces opposants qui ont déserté (comme on peut le lire dans le Bistro du 6 mars).

    À ce stade de l’écriture, je fais une pause pour boire un verre d’eau et me calmer un peu afin de finir sur une note un peu plus maîtrisée. Pas simple car en lisant des pages de discussion Wikipédia, on attrape vite un syndrôme d’exaspération par procuration.

    #Information

    Suite au sondage, la controverse a fait tache d’huile et atteint désormais de nombreuses pages de discussion, comme celle d’Elliot Page, Chelsea Manning ou encore Laverne Cox. Certaines personnes questionnent le choix des informations données, leur forme, leur place. D’autres résistent, avec plus ou moins de… bonne foi.

    Le désaccord porte sur la tension entre la volonté d’informer et celle de « ne pas nuire », cette dernière faisant partie des recommandations de Wikipédia concernant les Biographies de personnes vivantes. J’ai dit que Wikipédia est une encyclopédie et une organisation, il manquait donc un troisème élément : le lectorat. C’est essentiel car la controverse porte sur l’acte d’informer, qui est la fonction de l’encyclopédie. La neutralité de point de vue, par exemple, est pensée non pas pour elle-même mais pour le bénéfice des lecteurs.

    Or, et c’est une autre difficulté intrinsèque à l’usage du mot « neutralité », certains sur Wikipédia croient qu’il est possible d’informer de manière neutre. Il y aurait une équivalence entre respecter la pluralité des points de vue et informer le lectorat de façon neutre. Voilà qui sonne à mes oreilles comme une résurgence du modèle de la communication chez Shannon : un tuyau qu’on optimise jusqu’à ce que le bruit disparaisse. C’est impossible : informer/s’informer, c’est un processus communicationnel qui implique réception et feedback. C’est toujours situé, toujours soumis à diverses subjectivités, toujours parasité – jamais neutre.

    Si je devais le dire avec d’autres concepts d’info-com, je dirais qu’il y a une poussée ces jours-ci sur Wikipédia pour tenir compte de l’expérience informationnelle des personnes documentées dans l’encyclopédie. C’est un rejet de la tyrannie de la majorité, version encyclopédique. Et je dirais aussi que cela relève d’une chose plus générale : la volonté de tenir compte des valeurs portées par les processus/systèmes d’organisation des connaissances et des effets qu’ils produisent – ce que Birger Hjørland appelle une épistémologie « pragmatique » de l’organisation des connaissances. C’est ce courant de pensée qui produit aujourd’hui des recherches sur l’invisibilisation de certains groupes sociaux dans les archives et les encyclopédies, par exemple.

    #Universalisme

    Dans le fonctionnement de Wikipédia, les dilemmes sociaux qui ne peuvent être tranchés débouchent sur des compromis. Il n’y a pas d’autre issue au dissensus que le consensus. Pourquoi  ? Parce que Wikipédia est conçu pour afficher toujours le même contenu pour chaque lecteur.

    Dans un article de Wikipédia, on peut lire deux sections qui présentent des idées contradictoires. Mais on ne peut pas lire deux articles différents sur le même sujet, qui développent chacun leur lecture de ces contradictions. C’est le principal grief envers Wikipédia de mon co-directeur de thèse, l’historien Bertrand Müller, qui travaille sur le développement d’encyclopédies documentaires numériques capables de représenter le dissensus d’une autre manière. C’est en discutant de ce genre de chose que je me suis mis à faire des fiches de la forme « Concept (Auteur) » pour documenter des variantes de concepts par auteurs, et qu’à la fin on s’est retrouvés avec Cosma.

    Dans un article de Wikipédia, on peut lire qu’une personne stylise son nom d’une certaine manière, tout en minuscules par exemple. Mais on ne peut pas cocher une option qui permette d’afficher l’article dans cette convention de style. Il en résulte des bizarreries : on a un article « bell hooks » mais un article « Danah Boyd ».

    Dans un article de Wikipédia, on peut lire qu’une personne souffre de voir certaines informations divulguées, comme un nom de naissance. Mais on ne peut pas lire une version de cet article où ce nom est caché par défaut. Cela ne concerne pas que des personnes ayant fait une transition mais aussi des artistes dont le nom d’origine fuite et se retrouve relayé par Wikipédia (j’ai un exemple en tête mais par politesse je ne le citerai pas).

    Bref, Wikipédia est à la fois très innovante et pas innovante du tout. En tant qu’organisation éditoriale, c’est une nouveauté (et une réussite) indéniable. Le modèle encyclopédique, lui, est beaucoup plus classique, surtout au regard de ce qu’on pourrait faire avec le Web, les ontologies, le balisage sémantique… À quand Wikipédia multiformats  ?

    –-

    Pour clore ce billet bien trop long, je tiens à exprimer un petit message de soutien (sans les nommer) aux collègues qui s’investissent dans Wikipédia. Ils et elles se reconnaîtront. J’admire leur courage et leur patience. Si j’ai qualifié Wikipédia de démocratie rhétorique, disserté sur l’illusion de la présomption de bonne foi et les confusions autour de la neutralité, imaginé des rebonds parmi les concepts de ma discipline, eh bien c’est d’abord parce qu’il y a des collègues qui travaillent dur en première ligne et qui font connaître leurs efforts. Alors on s’y intéresse, on découvre de nouvelles choses, on élabore ses propres idées. Mais surtout l’enjeu c’est de propager l’idée centrale des communs : l’auto-organisation des personnes concernées. Au-delà des éléments précis abordés dans ce billet, c’est surtout cette idée-là qui me semble importante et intéressante.
    Bibliographie
    Bruce, Davis, Hughes, Partridge et Stoodley (dir.). Information experience : approaches to theory and practice. Emerald, 2014. 978-1-78350-815-0.
    Buckland, Michael. « Information as thing ». Journal of the American Society for Information Science. 1991, Vol. 42, n° 5, p. 351‑360. https://doi.org/10.1002/(SICI)1097-4571(199106)42:5<351::AID-ASI5>3.0.CO;2-3.
    Cardon, Dominique. Culture numérique. Presses de Sciences Po, 2019. Les petites humanités. 978-2-7246-2365-9.
    Gorichanaz, Tim. « Information and experience, a dialogue ». Journal of Documentation. 2017, Vol. 73, n° 3, p. 500‑508. https://doi.org/10.1108/JD-09-2016-0114.
    Hess et Ostrom (dir.). Understanding knowledge as a commons : from theory to practice. MIT Press, 2007. 978-0-262-08357-7.
    Hjørland, Birger. « Classification ». Knowledge Organization. 2017, Vol. 44, n° 2, p. 97‑128. https://doi.org/10.5771/0943-7444-2017-2-97.
    Lévy, Pierre. L’intelligence collective : pour une anthropologie du cyberspace. La Découverte, 1997. 978-2-7071-2693-1.
    Merzeau, Louise. « De la communication aux communs ». InterCDI. 2016, n° 261, p. 29‑30. http://www.intercdi.org/de-la-communication-aux-communs.
    Shannon, Claude E. « A Mathematical Theory of Communication ». Bell System Technical Journal. 1948, Vol. 27, n° 3, p. 379‑423. https://doi.org/10.1002/j.1538-7305.1948.tb01338.x.
    Wiener, Norbert. Cybernétique et société : l’usage humain des êtres humains. Trad. par Ronan Le Roux et Pierre Yves Mistoulon. Seuil, 2014 [1954]. 978-2-7578-4278-2.
    Wiener, Norbert. La cybernétique : information et régulation dans le vivant et la machine. Trad. par Ronan Le Roux, Robert Vallée et Nicole Vallée-Levi. Éditions du Seuil, 2014 [1948]. 978-2-02-109420-6.

    https://www.arthurperret.fr/blog/2024-03-08-wikipedia-democratie-rhetorique.html

    • #Sana_Boussetat, La Formule Wikipédia

      À l’heure où Wikipédia est entrée dans sa deuxième décennie et où les générations nées après les années 2000 n’auront pas connu d’avant Wikipédia, cet ouvrage propose de revenir sur l’œuvre qui est parvenue à dépoussiérer la norme et les usages bien pensés d’une tradition séculaire. Désormais, il est indéniable que l’avènement de Wikipédia a permis de franchir un cap vers une ère nouvelle où la connaissance et l’information ne s’écrivent plus exclusivement entre experts mais par le concours de rédacteurs bénévoles. Bouleversante, Wikipédia a osé modifier notre façon de rechercher la connaissance et, plus généralement, notre rapport au savoir. Mais sait-on vraiment ce qui se cache derrière un principe en apparence simple, celui d’une encyclopédie publiée sous licence libre et gratuite ? D’où nous vient ce concept hors norme ? Quels sont les fondements qui le régissent ? Comment s’organisent ses activités ? À quels rôles et quels moyens peut-on prétendre en rejoignant la communauté des wikipédiens ?

      Pensé comme un guide, cet ouvrage propose de revenir sur cette formule pionnière pour en offrir une description détaillée et un décryptage précis. Une entreprise indépendante dont l’unique but est d’aider le lecteur à appréhender un outil déjà bien installé dans les habitudes d’un grand nombre d’entre nous et qui façonne au quotidien notre information et notre connaissance du monde.

      https://www.fabula.org/actualites/119359/sana-boussetat-la-formule-wikipedia.html
      #livre

  • Ivan Illich, Le silence comme bien commun, 1981 – Et vous n’avez encore rien vu…
    https://sniadecki.wordpress.com/2024/02/18/illich-silence-fr

    La gestion électronique d’un problème politique peut être envisagée de multiples façons. Je propose, comme introduction à cette consultation publique, d’approcher cette question sous l’angle de l’écologie politique. L’écologie, au cours des dix dernières années, a acquis une nouvelle signification. Il s’agit encore du nom d’une branche particulière de la biologie professionnelle, mais le terme sert à présent de plus en plus de label au nom duquel un large public politiquement organisé analyse et influence les décisions techniques. Je veux me concentrer sur les nouveaux appareils électroniques comme représentant un changement technique dans l’environnement humain qui, même encore bénin, doit rester sous contrôle politique (et pas uniquement celui des experts).

    […]

    Au cours des treize minutes qu’il me reste à cette tribune, je vais m’attacher à clarifier une distinction que je crois fondamentale pour l’écologie politique. Je vais distinguer l’environnement comme bien commun de l’environnement comme ressource.

    […]

    Leur première réaction est de penser à l’apparition d’un nouvel ordre capitaliste. Confrontés à cette douloureuse nouveauté, ils oublient que le mouvement des enclosures signifie également quelque chose de plus simple. L’enclosure des communaux instaure un nouvel ordre écologique : l’enclosure n’a pas seulement pour effet de transférer physiquement aux riches propriétaires le contrôle des pâturages. L’enclosure marque un changement radical dans les attitudes de la société face à l’environnement. Auparavant, dans n’importe quel système juridique, une grande partie de l’environnement était considérée comme faisant partie des communaux desquels une majorité de gens tiraient une large part de leur subsistance sans devoir recourir au marché. Après l’avènement de l’enclosure, l’environnement devint en première instance une ressource au service des « entreprises » lesquelles, en développant une main-d’œuvre salariée, ont transformé la nature en biens et services dont dépendent la satisfaction des besoins essentiels des consommateurs. Cette transformation est l’angle mort de l’économie politique.

    #communs #commons #bien_commun #Ivan_Illich #subsistance

  • #Des_Livres_en_Communs lance son appel à publication 2024
    https://framablog.org/2024/02/09/des-livres-en-communs-lance-son-appel-a-publication-2024

    Rappelez-vous, il y a deux ans (déjà !) nous vous avions annoncé le lancement de notre maison d’édition version 2 qui succède à Framabook. #des_livres_en_communs avait alors lancé deux propositions : un modèle alternatif radical (et anticapitaliste) à l’édition, … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #Commun #DLeC #édition #licence_libre #Livre #Projet

  • Les nouvelles du samedi 20:42
    https://framablog.org/2024/01/27/les-nouvelles-du-samedi-2042

    Pour achever cette semaine, deux nouvelles de 2042 concoctées avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de #Compiègne (UTC). En 2042, on rénove et on en profite pour faire autrement, que ce soit à la … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #Enjeux_du_numérique #UPLOAD #Agriculture #amiante #atelier #bâtiment_passif #briques #désamiantage #durabilité #écriture #empreinte_carbone #éolien #ferme #fromage #hangar #high-tech #LowTech #nouvelle #PMR #rénovation #solaire #Solarpunk #urbanisme_durable #UTC

  • La #nouvelle du jeudi 20:42
    https://framablog.org/2024/01/25/la-nouvelle-du-jeudi-2042

    Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de #Compiègne (UTC). Aujourd’hui, sous le regard étonné des enfants de 2042, une exposition sur Compiègne … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #Enjeux_du_numérique #UPLOAD #atelier #Democratie #écriture #indices #LowTech #oligarchie #PIB #Politique #représentation #RIP #Sante #soin #Solarpunk #UTC #Voitures

  • La nouvelle du mercredi 20:42
    https://framablog.org/2024/01/24/la-nouvelle-du-mercredi-2042

    Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC). Aujourd’hui, des étudiants aux champs ou plutôt à la vigne, l’agro-écologie est au … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #Enjeux_du_numérique #UPLOAD #agro-écologie #Ecologie #grelinette #jardin #Solarpunk #vendanges

  • La #nouvelle du lundi 20:42
    https://framablog.org/2024/01/22/la-nouvelle-du-lundi-2042

    Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de #Compiègne (UTC). Aujourd’hui, ça clashe sévère à la #radio_pirate… Panique à bord de Padakor … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #Enjeux_du_numérique #UPLOAD #atelier #écriture #LowTech #Solarpunk #UTC

  • Peregrine est sur le point de se crasher sur la Terre, et ses restes humains avec elle
    https://www.huffingtonpost.fr/science/article/peregrine-est-sur-le-point-de-se-crasher-sur-la-terre-et-ses-restes-h

    ESPACE - C’est la fin du voyage des passagers insolites de la mission Peregrine. Car si les restes humains présents sur la sonde espéraient continuer leur chemin vers l’infini, ils devront accepter un sort bien différent… Au fond de l’océan Pacifique, une fois rentrés dans l’atmosphère dans la nuit du 18 janvier.

    En effet, la sonde a qui décollé lundi 8 janvier en direction de la Lune est désormais de retour sur Terre. Si Peregrine n’a jamais pu atteindre son objectif, c’est à cause d’une « anomalie » parvenue peu après sa séparation d’avec la fusée Vulcan. Cet accident lui avait empêché d’accomplir une orientation stable faisant face au Soleil, nécessaire pour suivre sur sa route vers la Lune. La sonde a néanmoins continué le chemin le plus loin possible, jusqu’à atteindre la distance lunaire, avant de perdre le contrôle.

    Un ratage donc pour la société Astrobotic, chargée de construire l’alunisseur. La start-up, qui espérait devenir la première entreprise privée à réussir à se poser sur le satellite, n’a pas réalisé son objectif. Un échec complet ? Pas pour les amérindiens Navajos, qui s’étaient opposés à la mission dès le début, au nom de la désacralisation de la Lune par des restes humains.
    À jamais sous l’océan

    Update #20 for Peregrine Mission One : https://t.co/m6fQcPiedN pic.twitter.com/Ot9GU6ncsG
    — Astrobotic (@astrobotic) January 17, 2024

    Ce sont les invités d’honneur de « Tranquillity », un projet de la société Celestis, spécialisé dans les voyages spatiaux post-mortem. L’entreprise avait participé à cette mission pour envoyer dans l’espace les cendres de soixante-cinq humains et d’un chien répondant au doux nom d’Indica-Noodle, contenus dans des capsules. Les familles des passagers de Peregrine avaient dû débourser plus de 10 000 dollars (9 100 euros) par capsule.

    Mais la fin précoce de la mission fait réjouir au moins quelqu’un. L’initiative avait en effet suscité la colère des Amérindiens Navajos, car d’après eux les restes humains auraient profané le terrain sacré du satellite.

    Sur la sonde, figurait aussi (mais seulement sous forme de quelques brins d’ADN) d’autres passagers de haute gamme, qui finiront eux aussi parmi les poissons : les trois présidents américains George Washington, John F. Kennedy et Dwight D. Eisenhower et les créateurs de la célèbre série Star Trek. Ils devront finalement se contenter d’un enterrement en pleine mer.

    « Astrobotic a positionné le vaisseau spatial Peregrine pour garantir une rentrée sûre et contrôlée sur Terre au-dessus d’une zone isolée du Pacifique Sud », l’entreprise a-t-elle écrit dans un communiqué. Peregrine va donc finalement brûler en rentrant dans l’atmosphère de la Terre ce jeudi 18 janvier à 22 heures françaises. Dans les vagues du Pacifique tomberont en poussière instruments de mesure variés, matériel scientifique… Et passagers.

    #Espace #Communs #Enclosure

  • Ateliers #Solarpunk#UPLOAD : bientôt des #Nouvelles de 2042
    https://framablog.org/2024/01/18/ateliers-solarpunk-upload-bientot-des-nouvelles-de-2042

    … et des extraits aujourd’hui pour l’apéritif ! Les ateliers de l’UTC de l’opération #Solarpunk #UPLOAD ont été plus que fructueux ! Si vous avez raté le début, parcourez cet article récent et cet autre… Sept groupes de participant⋅es ont collectivement imaginé … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #Enjeux_du_numérique #atelier #Compiègne #écriture #UTC

  • #ateliers #Solarpunk-UPLOAD : c’est parti !
    https://framablog.org/2024/01/16/ateliers-solarpunk-upload-cest-parti

    — De quoi ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ? — Si vous avez raté le début, l’article qui explique le contexte et le cahier des charges de participant⋅es a été publié hier ici… Mais déjà les participations sont lancées sur … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #UPLOAD #Ccompiègne #cours #étudiant⋅es #Fictions #LowTech #mastodon #UTC

  • Vingtième et dernière partie : le commun et la non-propriété « Enlace Zapatista
    https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2024/01/08/vingtieme-et-derniere-partie-le-commun-et-la-non-propriete

    Et tout ça à cause d’un foutu papier. Même si le papier date de l’époque de la Nouvelle Espagne, le papier ne vaut rien pour celui qui a le pouvoir. C’est une tromperie. C’est pour que tu aies confiance, que tu restes tranquille, jusqu’à ce que le système découvre que, en-dessous de ta pauvreté, il y a du pétrole, de l’or, de l’uranium, de l’argent. Ou qu’il y a une source d’eau pure, car maintenant il se trouve que l’eau est devenue une marchandise qui s’achète et se vend.

    Une marchandise comme le furent tes parents, tes grands-parents, tes arrière-grands-parents. Une marchandise comme tu l’es toi, et comme le seront tes enfants, tes petits-enfants, tes arrière-petits-enfants et ainsi, pendant des générations.

    Alors ce papier, c’est comme les étiquettes des marchandises sur les marchés, c’est le prix de la terre, de ton travail, de tes descendants. Et tu ne te rends pas compte, mais tu fais déjà la queue à la caisse et tu es sur le point d’arriver. Et il se trouve que non seulement tu vas devoir payer, mais que tu vas sortir du magasin et que tu vas voir qu’ils t’ont pris la marchandise, que tu n’as même pas le papier pour lequel tu t’es tant battu, toi et tes ancêtres. Et que tu vas peut-être léguer à tes enfants un papier, mais peut-être même pas. Les papiers du gouvernement sont le prix de ta vie, et tu dois payer ce prix avec ta vie. C’est-à-dire que tu es une marchandise légale. C’est l’unique différence avec l’esclavage.

    Alors les plus vieux te racontent que le problème, la division, les discussions et les disputes sont arrivés quand sont arrivés les papiers de propriété. Ce n’est pas qu’avant il n’y avait pas de problèmes, c’est qu’ils se résolvaient en faisant un accord.

    […]

    Qu’en a-t-il été dans notre histoire de lutte de ce qu’on appelle « base matérielle » ?

    Et bien, d’abord il y a eu l’alimentation. Avec la récupération des terres qui étaient aux mains des grands propriétaires terriens, l’alimentation s’est améliorée. La faim a cessé d’être l’invitée dans nos maisons. Ensuite, avec l’autonomie et le soutien de gens qui sont des « bonnes personnes », comme nous disons d’elles, ce fut le tour de la santé. Là, ce fut et c’est très important le soutien des docteurs fraternels, comme nous les appelons, parce qu’ils sont comme nos frères qui nous aident, et pas seulement pour les maladies graves mais également et surtout dans la préparation, c’est-à-dire dans le savoir lié à la santé. Ensuite, l’éducation. Ensuite, le travail de la terre. Ensuite, ce qui concerne le gouvernement et l’administration des propres pueblos zapatistes. Ensuite, ce qui concerne le gouvernement et la coexistence pacifique avec ceux qui ne sont pas zapatistes.

    […]

    La base matérielle ou de production de cette étape va être une combinaison du travail individuel-familial, du collectif et de cette chose nouvelle que nous appelons « travail en commun » ou « non-propriété ».

    Le travail individuel-familial se base sur la petite propriété individuelle. Une personne et sa famille travaillent leur lopin de terre, leur petite boutique, leur moyen de locomotion, leur bétail. Le gain ou le bénéfice revient à cette famille.

    Le travail collectif repose sur l’accord entre compañeras et/ou compañeros pour effectuer des travaux sur des terres collectives (attribuées comme telles avant la guerre et élargies après la guerre). On répartit les travaux selon le temps, la capacité et la disposition. Le gain ou bénéfice est pour le collectif. On l’utilise généralement pour les fêtes, les mobilisations, l’acquisition de matériel de santé, la formation des promoteurs de santé et d’éducation et pour les déplacements et les frais de fonctionnement des autorités et des commissions autonomes.

    Le travail commun commence, maintenant, par la possession de la terre. Une partie des terres récupérées est déclarée pour « le travail commun ». C’est-à-dire qu’elle n’est pas morcelée et qu’elle n’est la propriété de personne, qu’elle n’est ni petite, ni moyenne, ni grande propriété. Cette terre n’est à personne, elle n’a pas de propriétaire. Et, en accord avec les communautés proches, on se « prête » mutuellement cette terre pour la travailler. On ne peut ni la vendre, ni l’acheter. On ne peut pas l’utiliser pour la production, le transfert ou la consommation de stupéfiants. Le travail se fait « à tour de rôle » en accord avec les GALs et les frères non zapatistes. Le bénéfice ou le gain revient à celles et ceux qui travaillent, mais la propriété n’en est pas une, c’est une non-propriété qu’on utilise en commun. Peu importe si tu es zapatiste, affilié à un parti, catholique, évangéliste, presbytérien, athée, juif, musulman, noir, blanc, brun, jaune, rouge, femme, homme, autre. Tu peux travailler la terre en commun, avec l’accord des GALs, CGAL et ACGal, selon le village, la région ou la zone, qui sont ceux qui veillent à ce que les règles d’usage commun soient respectées. Que tout serve au bien commun, que rien n’aille contre le bien commun.

    […]

    P.S. QUI DÉCLARE SOUS SERMENT À aucun moment ou étape de la délibération qui a conduit à la décision que prirent les pueblos zapatistes n’ont surgi des citations, des notes de bas de pages ou encore des références, même lointaines, de Marx, Engels, Lénine, Trotski, Staline, Mao, Bakounine, le Che, Fidel Castro, Kropotkine, Flores Magón, la Bible, le Coran, Milton Friedman, Milei, le progressisme (pour autant qu’il ait des références bibliographiques qui ne soient pas celles de ses gratte-papiers), la Théologie de la Libération, Lombardo, Revueltas, Freud, Lacan, Foucault, Deleuze, ce qui est à la mode – ou au mode – dans les gauches, ni n’importe quelle source des gauches, des droites ou des centres inexistants. Ce n’est pas tout, je sais aussi qu’ils n’ont lu aucun des ouvrages fondateurs des ismes qui alimentent rêves et défaites de la gauche. Pour ma part, je donne un conseil non sollicité à celles et ceux qui ont lu ces lignes : chacun est libre de faire le ridicule, mais je vous recommanderais qu’avant de commencer avec vos niaiseries du type « le laboratoire de la Lacandone », « l’expérience zapatiste », et de cataloguer cela dans un sens ou dans un autre, vous y pensiez à deux fois. Parce que, en parlant de ridicules, vous le faites en grand depuis presque 30 ans à vouloir « expliquer » le zapatisme. Peut-être que vous ne vous en souvenez plus maintenant, mais ici, ce qui ne manque pas, à part la dignité et la boue, c’est la mémoire. C’est comme ça.

    #EZLN #zapatistes #autonomie #communs #propriété

  • Sylvain Machefert : « Si durant vos balades familiales de fin d’année vous croisez des boîtes à livres »
    https://framapiaf.org/@symac@mamot.fr/111653501473525832

    Si durant vos balades familiales de fin d’année vous croisez des boîtes à livres, assurez vous qu’elles sont déclarées sur https://www.boites-a-livres.fr (et donc #openstreetmap ) et sinon pensez à les signaler, avec photo si possible. Je viens d’ajouter un formulaire sur le site, je m’occuperai de la mise en ligne sur OpenStreetMap et Wikimédia Commons pour une diffusion de l’information la plus large possible ! #communs #geocommuns

    https://www.boites-a-livres.fr

  • Navajo Nation president asks NASA to delay Moon launch over possible human remains
    https://www.knau.org/knau-and-arizona-news/2023-12-28/navajo-nation-president-asks-nasa-to-delay-moon-launch-over-possible-human-rem

    Envoyer des résidus de crémation sur la Lune !!! Mais combien d’idées farfelues, inutiles, malsaines peuvent naître dans l’esprit de gens avides d’argent ? (car l’entreprise est certainement payante, je dirais même rentable, tant les riches veulent laisser leur empreinte partout, quitte à détruire le commun).

    Navajo Nation President Buu Nygren has asked NASA to delay a scheduled launch to the Moon that could include cremated remains.

    Nygren says he recently learned of the Jan. 8 launch of the Vulcan Centaur carrying the Peregrine Mission One. The lander will carry some payloads from a company known to provide memorial services by shipping human cremated remains to the Moon.

    Nygren wants the launch delayed and the tribe consulted immediately. He noted the Moon is sacred to numerous Indigenous cultures and that depositing human remains on it is “tantamount to desecration.”

    NASA previously came under fire after the ashes of former geologist and planetary scientist Eugene Shoemaker were sent to the Moon in 1998.

    Then-Navajo Nation President Albert Hale said the action was a gross insensitivity to the beliefs of many Native Americans. NASA later apologized and promised to consult with tribes before authorizing any similar missions in the future.

    Nygren highlighted this commitment in his letter, as well as a 2021 memo signed by the Biden administration that pledged to consult the tribe on matters that impact them.

    “This memorandum reinforced the commitment to Executive Order 13175 of November 6, 2000,” President Nygren wrote. “Additionally, the Memorandum of Understanding Regarding Interagency Coordination and Collaboration for the Protection of Indigenous Sacred Sites, which you and several other members of the Administration signed in November 2021, further underscores the requirement for such consultation.”

    He added this explicitly recognizes that sacred sites can consist of “places that afford views of important areas of land, water, or of the sky and celestial bodies.”

    NASA has yet to respond.

    #Espace #Lune #Enclosure #Communs #Crémation #Connerie_humaine

  • Pour finir l’année en toute beauté !
    https://framablog.org/2023/12/31/pour-finir-lannee-en-toute-beaute

    Cette année encore, nous avons fait appel à #David_Revoy pour illustrer notre campagne de fin d’année. Et en ce dernier jour de 2023, c’est le moment de faire un petit clin d’œil à cet important travail ! 🦆 VS 😈 : … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #coin-coin #collectivisons_internet_convivialisons_internet #Communaute #Culture_Libre #Framaccueil #Illustrations #soutenir

  • To end the year in style !
    https://framablog.org/2023/12/31/to-end-the-year-in-style

    Once again this year, we asked #David_Revoy to illustrate our year-end campaign. And on this last day of 2023, it’s time to give a little nod to this important work ! 🦆 VS 😈 : Let’s take back some ground from … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #coin-coin #collectivise_Internet_Convivialise_Internet #collectivisons_internet_convivialisons_internet #Culture_Libre #English #framahome #Illustrations #soutenir

  • Huitième partie : P.S. QU’IL FAUT LIRE POUR SAVOIR DE QUOI IL S’AGIT. « Enlace Zapatista
    https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/11/29/24593

    Beaucoup d’idées et de mots se dirent, et ils ne rentraient plus dans sa tête à la Ixmucané. Alors elle a commencé à les garder dans les cheveux et ses cheveux ont commencé à pousser, c’est pour cela que les femmes ont les cheveux longs. Mais ensuite, ça n’a pas non plus suffi, même si elle arrangeait au fur et à mesure ses cheveux et c’est là qu’on inventa la « pince à cheveux » qui, comme son nom l’indique, veut dire « attrape idées ». Jusqu’au sol arrivait sa chevelure de la Ixmucané et ils continuaient à parler des idées et des mots. Alors la Ixmucané commença à garder les idées dans les blessures qu’elle s’était faites en tombant et avec les épines et les lianes. Partout, elle avait des blessures : au visage, sur les bras, sur les mains, sur les jambes. Tout son corps était plein de blessures, donc elle a pu tout garder. C’est pour cela qu’il est dit que les gens âgés, des sages quoi, qui ont beaucoup de rides et de cicatrices, ça veut dire qu’ils ont beaucoup d’idées et d’histoires. C’est-à-dire qu’ils savent beaucoup.

    À un autre moment, je vais vous raconter ce sur quoi ils s’accordèrent dans cette première assemblée qu’il y eut dans la Maison des Êtres, mais là je vous dis ce que dit la Ixmucané : « Bon, alors, on a déjà, comme qui dirait, un plan pour affronter ce problème que nous avons. Comme le monde est à peine en train de naître et qu’on est en train de mettre un nom à chaque chose ou à chaque cas, selon ce qu’il en est, pour ne pas nous tromper, ce qu’on a fait, on va l’appeler “en commun“, parce qu’on a tous participé : les unes en donnant des idées, les autres en en proposant d’autres, et il y a qui donne la parole et il y a qui prend des notes de ce qui se dit. »

    Il y eut d’abord un silence. Lourd, fort était le silence. Après on commença à entendre qu’une applaudissait, après, un autre, ensuite tous applaudirent et on entendait qu’ils étaient très contents. Et ils n’ont pas guinché parce qu’on n’y voyait que dalle. Mais ils riaient beaucoup parce qu’ils avaient trouvé un nouveau mot qui s’appelle « en commun », qui veut dire « chercher ensemble le chemin ». Et ce ne sont pas les dieux premiers qui l’ont inventé, ceux qui enfantèrent le monde, sinon qu’il arriva que ce furent les hommes, les femmes et les autres de maïs qui, en commun, l’ont trouvé le mot, c’est à dire, le chemin.

    –*-

    Ixmucané était la plus savante de tous les dieux et, comme ce fut la première qui arriva à la Maison des Êtres, elle avait plus de blessures, à cause de la chute et de la course qu’elle fit dans l’acahual, et ainsi elle resta marquée de ces cicatrices. « Rides » et « cicatrices », les nommèrent-ils. Depuis lors, les rides et les cicatrices représentent la sagesse. Plus il y a des rides et cicatrices, plus il y a de savoir. Bien sûr, en ce temps il n’y avait pas de réseaux sociaux et personne n’utilisait de maquillages et ne modifiait ses photos avec une célèbre application virtuelle. Et après, il arrive que tu regardes la photo de profil et après tu regardes la réalité, et tu veux partir en courant. Non, les rides et les cicatrices étaient une fierté, et pas pour n’importe qui. Même les hommes et les femmes jeunes se peignaient rides et cicatrices, ou d’emblée fonçaient dans la broussaille pour que les épines et les lianes leur griffent le visage. Parce que ne valait pas plus la ou le plus jolie ou joli, mais la ou le plus savante ou savant. Au lieu de « followers » et « likes » était recherché qui avait le plus de rides et de cicatrices.

    Et voilà.

    #conte #dieux #communs #sagesse #expérience #zapatistes #Marcos

  • EN COMMUN ! La propriété collective à l’épreuve de la modernité

    Ce film documentaire est issu d’une recherche pluridisciplinaire menée pendant quatre années, sur différents sites en France, par le Centre de recherche en droit Antoine Favre de l’Université Savoie Mont Blanc. A partir d’une pluralité de points de vue, recueillis lors d’entretiens et témoignages, il rend compte de l’évolution et du fonctionnement de propriétés collectives foncières ancestrales, également connues sous le nom de « #communaux » ou « #biens_communaux ». Il s’intéresse en particulier à deux de ces systèmes singuliers et méconnus présents en zone rurale, notamment en région de #montagne : les #sections_de_commune et les #bourgeoisies. Quels rôles ces #communs_fonciers en mutation jouent-ils aujourd’hui à l’échelle des territoires en matière de gestion des ressources naturelles, de cohésion sociale ou de dynamiques patrimoniales ? En quoi ces systèmes peuvent-ils participer à une revivification originale et pertinente de la démocratie locale ? A rebours de l’idée reçue selon laquelle ils seraient condamnés dans la société moderne, le changement de perception dont ils font l’objet à présent les place-t-ils à l’avant-garde de la résolution de certains problèmes territoriaux ou climatiques du XXIème siècle ? Plus largement, à l’intersection de nombreux enjeux de société, ce film alimente une réflexion sur la redéfinition d’un cadre de vie conciliant progrès, #justice_sociale et préservation de l’environnement.

    https://www.youtube.com/watch?v=BclZKvhpww4

    #propriété_collective #terres #foncier #modernité #communs #commons #communs #documentaire #film_documentaire #film #forêt #bois #droits_d'usage #France #Alpes #montagne #élevage #sol #usage_du_sol #biens_communs #biens_de_section #Etat #Etat_moderne #municipalisation #droit_public #agriculture #tradition #terres #patrimoine #communalisation #spoliation #pâturage #loi_2013 #loi #commissions_syndicales #accaparement_de_terres #privatisation #corvées #éoliennes #2013 #préfecture #avant-garde #anachronisme #ignorance #chasse #legs #responsabilité #devoirs #bourgeoisie #droit_collectif #mécénat #communs_fonciers #valeurs

  • #José_Vieira : « La #mémoire des résistances face à l’accaparement des terres a été peu transmise »

    Dans « #Territórios_ocupados », José Vieira revient sur l’#expropriation en #1941 des paysans portugais de leurs #terres_communales pour y planter des #forêts. Cet épisode explique les #mégafeux qui ravagent le pays et résonne avec les #luttes pour la défense des #biens_communs.

    Né au Portugal en 1957 et arrivé enfant en France à l’âge de 7 ans, José Vieira réalise depuis plus de trente ans des documentaires qui racontent une histoire populaire de l’immigration portugaise.

    Bien loin du mythe des Portugais·es qui se seraient « intégré·es » sans le moindre problème en France a contrario d’autres populations, José Vieira s’est attaché à démontrer comment l’#immigration_portugaise a été un #exode violent – voir notamment La Photo déchirée (2001) ou Souvenirs d’un futur radieux (2014) –, synonyme d’un impossible retour.

    Dans son nouveau documentaire, Territórios ocupados, diffusé sur Mediapart, José Vieira a posé sa caméra dans les #montagnes du #Caramulo, au centre du #Portugal, afin de déterrer une histoire oubliée de la #mémoire_collective rurale du pays. Celle de l’expropriation en 1941, par l’État salazariste, de milliers de paysans et de paysannes de leurs terres communales – #baldios en portugais.

    Cette #violence étatique a été opérée au nom d’un vaste #projet_industriel : planter des forêts pour développer économiquement ces #territoires_ruraux et, par le même geste, « civiliser » les villageois et villageoises des #montagnes, encore rétifs au #salariat et à l’ordre social réactionnaire de #Salazar. Un épisode qui résonne aujourd’hui avec les politiques libérales des États qui aident les intérêts privés à accaparer les biens communs.

    Mediapart : Comment avez-vous découvert cette histoire oubliée de l’expropriation des terres communales ou « baldios » au Portugal ?

    José Vieira : Complètement par hasard. J’étais en train de filmer Le pain que le diable a pétri (2012, Zeugma Films) sur les habitants des montagnes au Portugal qui sont partis après-guerre travailler dans les usines à Lisbonne.

    Je demandais à un vieux qui est resté au village, António, quelle était la définition d’un baldio – on voit cet extrait dans le documentaire, où il parle d’un lieu où tout le monde peut aller pour récolter du bois, faire pâturer ses bêtes, etc. Puis il me sort soudain : « Sauf que l’État a occupé tous les baldios, c’était juste avant que je parte au service militaire. »

    J’étais estomaqué, je voulais en savoir plus mais impossible, car dans la foulée, il m’a envoyé baladé en râlant : « De toute façon, je ne te supporte pas aujourd’hui. »

    Qu’avez-vous fait alors ?

    J’ai commencé à fouiller sur Internet et j’ai eu la chance de tomber sur une étude parue dans la revue de sociologie portugaise Análise Social, qui raconte comment dans les années 1940 l’État salazariste avait pour projet initial de boiser 500 000 hectares de biens communaux en expropriant les usagers de ces terres.

    Je devais ensuite trouver des éléments d’histoire locale, dans la Serra do Caramulo, dont je suis originaire. J’ai passé un temps fou le nez dans les archives du journal local, qui était bien sûr à l’époque entièrement dévoué au régime.

    Après la publication de l’avis à la population que les baldios seront expropriés au profit de la plantation de forêts, plus aucune mention des communaux n’apparaît dans la presse. Mais rapidement, des correspondants locaux et des éditorialistes vont s’apercevoir qu’il existe dans ce territoire un malaise, qu’Untel abandonne sa ferme faute de pâturage ou que d’autres partent en ville. En somme, que sans les baldios, les gens ne s’en sortent plus.

    Comment sont perçus les communaux par les tenants du salazarisme ?

    Les ingénieurs forestiers décrivent les paysans de ces territoires comme des « primitifs » qu’il faut « civiliser ». Ils se voient comme des missionnaires du progrès et dénoncent l’oisiveté de ces montagnards peu enclins au salariat.

    À Lisbonne, j’ai trouvé aussi une archive qui parle des baldios comme étant une source de perversion, de mœurs légères qui conduisent à des enfants illégitimes dans des coins où « les familles vivent presque sans travailler ». Un crime dans un régime où le travail est élevé au rang de valeur suprême.

    On retrouve tous ces différents motifs dans le fameux Portrait du colonisé d’Albert Memmi (1957). Car il y a de la part du régime un vrai discours de colonisateur vis-à-vis de ces régions montagneuses où l’État et la religion ont encore peu de prise sur les habitants.

    En somme, l’État salazariste veut faire entrer ces Portugais reculés dans la modernité.

    Il y a eu des résistances face à ces expropriations ?

    Les villageois vont être embauchés pour boiser les baldios. Sauf qu’après avoir semé les pins, il faut attendre vingt ans pour que la forêt pousse.

    Il y a eu alors quelques histoires d’arrachage clandestin d’arbres. Et je raconte dans le film comment une incartade avec un garde forestier a failli virer au drame à cause d’une balle perdue – je rappelle qu’on est alors sous la chape de plomb du salazarisme. D’autres habitants ont aussi tabassé deux gardes forestiers à la sortie d’un bar et leur ont piqué leurs flingues.

    Mais la mémoire de ces résistances a peu été transmise. Aujourd’hui, avec l’émigration, il ne reste plus rien de cette mémoire collective, la plupart des vieux et vieilles que j’ai filmés dans ce documentaire sont déjà morts.

    Comment justement avez-vous travaillé pour ce documentaire ?

    Quand António me raconte cette histoire d’expropriation des baldios par l’État, c’était en 2010 et je tournais un documentaire, Souvenirs d’un futur radieux. Puis lorsqu’en 2014 un premier incendie a calciné le paysage forestier, je me suis dit qu’il fallait que je m’y mette.

    J’ai travaillé doucement, pendant trois ans, sans savoir où j’allais réellement. J’ai filmé un village situé à 15 kilomètres de là où je suis né. J’ai fait le choix d’y suivre des gens qui subsistent encore en pratiquant une agriculture traditionnelle, avec des outils de travail séculaires, comme la roue celte. Ils ont les mêmes pratiques que dans les années 1940, et qui sont respectueuses de l’écosystème, de la ressource en eau, de la terre.

    Vous vous êtes aussi attaché à retracer tel un historien cet épisode de boisement à marche forcée...

    Cette utopie industrialiste date du XIXe siècle, des ingénieurs forestiers parlant déjà de vouloir récupérer ces « terres de personne ». Puis sous Salazar, dans les années 1930, il y a eu un débat intense au sein du régime entre agrairistes et industrialistes. Pour les premiers, boiser ne va pas être rentable et les baldios sont vitaux aux paysans. Pour les seconds, le pays a besoin de l’industrie du bois pour décoller économiquement, et il manque de bras dans les villes pour travailler dans les usines.

    Le pouvoir central a alors même créé un organisme étatique, la Junte de colonisation interne, qui va recenser les baldios et proposer d’installer des personnes en leur donnant à cultiver des terres communales – des colonies de repeuplement pour résumer.

    Finalement, l’industrie du bois et de la cellulose l’a emporté. La loi de boisement des baldios est votée en 1938 et c’est en novembre 1941 que ça va commencer à se mettre en place sur le terrain.

    Une enquête publique a été réalisée, où tout le monde localement s’est prononcé contre. Et comme pour les enquêtes aujourd’hui en France, ils se sont arrangés pour dire que les habitants étaient d’accord.

    Qu’en est-il aujourd’hui de ces forêts ? Subsiste-t-il encore des « baldios » ?

    Les pinèdes sont exploitées par des boîtes privées qui font travailler des prolos qui galèrent en bossant dur. Mais beaucoup de ces forêts ont brûlé ces dernière décennies, notamment lors de la grande vague d’incendies au Portugal de 2017, où des gens du village où je filmais ont failli périr.

    Les feux ont dévoilé les paysages de pierre qu’on voyait auparavant sur les photos d’archives du territoire, avant que des pins de 30 mètres de haut ne bouchent le paysage.

    Quant aux baldios restants, ils sont loués à des entreprises de cellulose qui y plantent de l’eucalyptus. D’autres servent à faire des parcs d’éoliennes. Toutes les lois promues par les différents gouvernements à travers l’histoire du Portugal vont dans le même sens : privatiser les baldios alors que ces gens ont géré pendant des siècles ces espaces de façon collective et très intelligente.

    J’ai fait ce film avec en tête les forêts au Brésil gérées par les peuples autochtones depuis des siècles, TotalEnergies en Ouganda qui déplace 100 000 personnes de leurs terres pour du pétrole ou encore Sainte-Soline, où l’État aide les intérêts privés à accaparer un autre bien commun : l’eau.

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/021223/jose-vieira-la-memoire-des-resistances-face-l-accaparement-des-terres-ete-

    #accaparement_de_terres #terre #terres #dictature #histoire #paysannerie #Serra_do_Caramulo #communaux #salazarisme #progrès #colonisation #colonialisme #rural #modernité #résistance #incendie #boisement #utopie_industrialiste #ingénieurs #ingénieurs_forestiers #propriété #industrie_du_bois #Junte_de_colonisation_interne #colonies_de_repeuplement #cellulose #pinèdes #feux #paysage #privatisation #eucalyptus #éoliennes #loi #foncier

  • [La #dkassette] La Dkassette - décembre 2023
    https://www.radiopanik.org/emissions/la-dkassette/la-dkassette-decembre-2023

    Cette Dkassette de décembre verra Carmelo et Mathieu faire pour nous le point sur l’atelier mensuel « Les #communs, comment ça se travaille » lancé maintenant il y a près d’un an et demi, tandis que Camille nous fera bien entendu part du #dkagenda des activités et événements à venir au #dk, 70b rue de Danemark à Saint-Gilles,

    Bonne écoute à tou.te.s !

    #atelier #aadtp #atelier,communs,dkassette,dk,aadtp,dkagenda
    https://www.radiopanik.org/media/sounds/la-dkassette/la-dkassette-decembre-2023_16923__1.mp3

  • En finir avec la #taxe #copie_privée
    https://framablog.org/2023/11/29/en-finir-avec-la-taxe-copie-privee

    Inspiré par le récent débat auquel il a participé dans la dernière édition d’Au café libre dans l’émission Libre à vous ! de l’April, Gee nous propose cette semaine un point sur la fameuse « taxe copie privée ». En finir avec la … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #Lecture #Hadopi #Partage #piratage #sacem

  • « Sortilèges & Syndicats », un #Framabook quitte le nid
    https://framablog.org/2023/11/23/sortileges-syndicats-un-framabook-quitte-le-nid

    En janvier 2018, le dessinateur #Gee, bien connu du Framablog, sortait de son domaine habituel pour nous proposer un roman… Une aventure fantastique transposée dans un monde moderne, où les elfes et orques s’affrontent désormais dans une lutte des classes … Lire la suite­­

    #Communs_culturels #Des_Livres_en_Communs #art_libre #des_livres_en_communs #édition #Livre #LivreLibre #PVH

  • Je suis toujours frappé de constater combien les services publics sont peu démocratiques. Les usagers n’y sont pas représentés. Ils ne décident rien des choses qui les concernent. Ils ne contrôlent pas non plus l’impact des actions engagées par l’administration.

    Pourquoi les services publics sont-ils si peu démocratiques ? Pourquoi devraient-ils le devenir ? Voilà les questions auxquelles tente de répondre le professeur de droit, Thomas Perroud dans son livre, "Services publics et communs : à la recherche du service public coopératif". Dans le pays "le plus animé par l’idée d’égalité, le rapport à la puissance publique est probablement le plus inégalitaire dans son vécu", explique-t-il, dans un livre qui vise à remobiliser les citoyens afin qu’ils arrêtent de se prêter aux consultations pour les convier à réclamer le pouvoir, seul à même de limiter l’arbitraire administratif et politique. Les défis qui sont devant nous, à savoir ceux du climat et de l’opacité du calcul, nécessitent plus que jamais de trouver des pratiques permettant de modifier la relation administrative. Il nous faut passer des services publics aux communs, et pour y parvenir, il faut faire une place inédite aux usagers.

    Le principe démocratique devrait toujours être un objectif de service public, rappelle le professeur de droit. « L’intérêt central du commun est non seulement d’apprendre la démocratie et l’égalité, mais aussi d’apprendre à l’individu à orienter son comportement par des motifs alignés sur l’intérêt général ». C’est par la démocratie qu’on apprend à prendre soin des autres, à tenir compte des autres. C’est par la démocratie qu’on apprend la démocratie.
    https://hubertguillaud.wordpress.com/2023/10/10/cest-encore-loin-les-communs

  • De Space X aux Chinois, la guéguerre des étoiles
    https://www.telerama.fr/debats-reportages/de-space-x-aux-chinois-la-gueguerre-des-etoiles-7008119.php

    epuis trente ans, le politologue Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), à Paris, décrypte les activités humaines dans l’espace selon une approche non seulement géopolitique mais aussi anthropologique. Ce qui fait de lui un interlocuteur rare.

    Rebutés par la dimension technico-scientifique du sujet, les chercheurs en sciences humaines et sociales n’ont en effet, jusqu’à présent, guère investi ce champ. Il est pourtant riche d’enseignements, et pas seulement pour la FRS, experte en relations internationales et centrée sur les questions de sécurité, voire de défense, mais pour toute notre société, assure Xavier Pasco.

    L’espace, dans lequel on peut désormais envoyer des « touristes », fonctionne comme un miroir de nos ressorts et fonctionnements humains – de nos représentations, aspirations, évolutions… Ne jamais le mettre en perspective ni l’interroger fait gravement défaut à la pensée, savante ou citoyenne.

    Xavier Pasco appelle ainsi à plus de partage sur le sujet. Réflexion collective, débats… : il est temps que les sociétés civiles s’en emparent, puisque, bien qu’elles l’ignorent encore, elles sont bel et bien concernées.

    Le champ des activités humaines dans l’espace n’a jamais connu autant de mutations qu’aujourd’hui, écriviez-vous déjà en 2017 dans Le Nouvel Âge spatial. Et le rythme de ces évolutions n’a cessé de s’accélérer depuis…
    Nous sommes en train de vivre le « New Space », comme on appelle communément ce nouvel âge spatial, dont les débuts remontent en réalité à une vingtaine d’années. Il a non seulement reconfiguré la réalité de l’espace, mais aussi notre relation à lui… même si nous ne commençons que maintenant à prendre la mesure de ces transformations. À ce titre, le New Space constitue un tournant radical, un nouveau chapitre de l’histoire de l’homme dans l’espace.

    Son premier épisode, ou sa genèse, avait été entièrement impulsé et structuré par la guerre froide qui opposa les deux blocs, occidental et communiste, entre les années 1950 et 1980. Aussi émaillée d’exploits qu’elle ait été (avec le premier engin spatial placé en orbite, le premier humain envoyé dans l’espace, les premiers pas de l’homme sur la Lune…), cette épopée mythique s’était soudain retrouvée en panne d’inspiration, une fois la guerre froide terminée.

    Quelle suite inventer, après toutes ces démonstrations de puissance symboliques ? C’est l’arrivée surprise sur la scène de l’espace (qui se révèle être un véritable théâtre où l’espèce humaine projette ses rouages et ses fantasmes) de personnages d’un nouveau genre, au début des années 2000, qui est venue renouveler ce grand récit à l’arrêt. Et en a clairement changé la tonalité.

    Qui sont ces personnages ?
    Des entrepreneurs milliardaires ne manquant ni de moyens financiers ni de visions : en premier lieu Jeff Bezos, le patron d’Amazon, créateur de la société Blue Origin en 2000, et Elon Musk, l’homme le plus riche de la planète, fondateur de Space X en 2002. En faisant développer par leurs sociétés respectives des technologies d’accès à l’espace moins coûteuses, ils ont volé la vedette aux politiques – qui, secondés par leurs agences spatiales gouvernementales, avaient jusque-là la main sur l’espace. Le retour de l’homme sur la Lune, programmé pour 2024 par la Nasa, c’est à ces nouveaux acteurs qu’on le doit !

    s Only Lovers Left Alive
    Dans ce milieu spatial fondamentalement régalien, ils ont importé leurs valeurs : celles du libéralisme, voire du libertarianisme, avec leur individualisme maladif. Soit un tout autre langage, qui s’est mixé avec l’ancien. Car l’intérêt étatique pour l’espace n’a évidemment pas disparu pour autant, s’appuyant même sur ce nouvel essor économique pour en faire un ressort narratif.

    Cette nouvelle donne fait-elle de l’espace un nouveau Far West, comme le disent certains ?
    On peut le dire, d’autant qu’en parallèle le nombre d’États voulant investir l’espace a fait un bond considérable. Au-delà des États-Unis et de la Russie (ainsi bien sûr que de l’Europe, dont l’agence spatiale, l’ESA, fut créée dès 1975), l’Inde, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Brésil, l’Argentine, le Vietnam… sont à leur tour entrés en scène. Aujourd’hui, on compte quelque quatre-vingts pays ayant au moins un satellite dans l’espace !

    Parmi eux, la Chine s’affirme un acteur de tout premier plan et travaille à la construction de sa propre station spatiale… Les éléments sont en place pour une transposition dans l’espace d’une nouvelle guerre froide, à l’image de celle, larvée, qui oppose sur Terre la Chine et les États-Unis.

    Mais avec une intrigue qui risque fort de se complexifier, car la Russie ne cache pas son désir de coopération stratégique avec l’empire du Milieu… Et ce au moment où la course est désormais ouverte à l’exploitation des ressources spatiales, en particulier les minerais, présentes sur la Lune, impulsée par les entrepreneurs libéraux du New Space.

    Jérémie Clayes pour Télérama
    L’espace serait-il condamné à n’être qu’un lieu de tensions ?
    Jamais la densité de la présence humaine autour de la Terre n’a été aussi forte. Comme si l’enveloppe terrestre avait gagné en épaisseur et que l’espace était devenu une annexe, une banlieue de la Terre. Songez qu’avec cette multiplication des acteurs spatiaux la planète est aujourd’hui cernée par plusieurs milliers de satellites !

    Forcément, cette promiscuité, et l’hyper-présence d’engins tournant en orbite à la vitesse de 28 000 km/h, est en soi explosive : au-delà des risques d’espionnage (certains de ces satellites ont un usage militaire), il suffit que l’un d’entre eux entre en collision avec un autre pour qu’aussitôt les débris générés menacent tous les engins placés sur l’orbite concernée ! On a aussi bien vu la panique qu’a suscitée, le 15 novembre dernier, la destruction par la Russie de l’un de ses satellites usagés 1.

    N’y a-t-il aucune règle du jeu ?
    C’est tout le problème : il n’existe pas de lois dans l’espace. Il y a bien quelques traités internationaux, dont le principal, établi en 1967 (le Traité sur les usages de l’espace extra-atmosphérique), posait les grands principes d’une non-appropriation de l’espace et de son usage pacifique. Mais ces textes ont été rédigés de façon suffisamment floue pour être sujets à interprétation.

    Or, dans un espace à la fois saturé et livré à l’entreprenariat privé, il va bien falloir se décider à entrer dans le détail et légiférer. Ce que s’efforcent de faire les diplomates de l’ONU, depuis des années, mais sans parvenir à se mettre d’accord, car l’espace n’appartient à personne – même si la règle qui y règne désormais est : premier arrivé, premier servi.

    Pour autant, les États n’y font pas non plus n’importe quoi. Leurs moindres décisions les engagent profondément, et ils le savent. D’où ce haut lieu diplomatique qu’est devenu l’espace : on s’observe, on se toise, on s’intimide… mais chacun sait qu’il est condamné à composer avec les autres, dans un milieu fondamentalement hostile à l’homme.

    Quel rôle joue l’Europe dans cette tragi-comédie du New Space ? N’incarne-t-elle pas, a contrario, l’idée de coopération ?
    L’Europe en effet fait entendre une tout autre tonalité : celle de la coopération et de l’intérêt scientifique. À ce titre, elle fait un peu figure de « gardienne de l’espace ». De la Terre, aussi, puisqu’elle a été la première à lancer des programmes d’observation et de suivi de l’environnement terrestre. L’Agence spatiale européenne, l’ESA, est parvenue à tenir cette ligne de conduite progressiste jusqu’à aujourd’hui.

    Elle ne s’en voit pas moins brutalement « challengée » elle aussi par le New Space et ses projets exploratoires pharaoniques. Comment, lorsque l’on dispose d’un budget de fonctionnement de 6,5 milliards d’euros par an, rester compétitif face à une Nasa qui, depuis des décennies, bénéficie d’une somme trois fois plus élevée – et que l’arrivée des acteurs du New Space est venue encore renforcer ? L’Europe n’a cependant pas dit son dernier mot. Elle veut elle aussi participer à l’aventure du retour sur la Lune.

    Le New Space a-t-il définitivement réduit l’espace en un lieu de consommation et de profit ?
    Avec le « tourisme spatial », c’est bien notre société de consommation et notre besoin de divertissement que nous étendons jusque dans l’espace. Jusqu’à la caricature. Ce faisant, ce sont aussi nos modèles sociétaux inégalitaires et notre égoïsme que nous projetons dans l’atmosphère : seuls les ultra-fortunés peuvent aujourd’hui s’offrir une petite virée en apesanteur, ultra carbonée, dans les capsules de Blue Origin. Des dizaines de milliardaires sont déjà sur liste d’attente.

    Face aux inondations, France 2 promeut l’étalement urbain et le tourisme spatial
    Pour autant, cette dernière trouvaille devrait demeurer marginale. Ce qui pourrait en revanche se développer, c’est la création de stations de séjour habitées, en orbite autour de la Terre. Tout comme des stations de ravitaillement en carburant trouveront à coup sûr leur place à la périphérie de la Lune quand une activité industrielle s’y sera développée, des « hôtels » spatiaux vont probablement mailler les pourtours de la Terre dans un futur pas si éloigné. La science-fiction, qui jusqu’à présent a finalement le mieux « pensé » l’espace, sera rejointe par la réalité.

    Peut-être les sciences humaines et sociales s’empareront-elles alors du sujet ?
    Et l’ensemble de nos sociétés. Le New Space rend soudain l’espace accessible, presque « palpable », et les sociétés civiles commencent à s’y projeter – sous l’effet aussi de la conscientisation des bouleversements climatiques sur Terre, que les satellites permettent d’observer.

    On comprend peu à peu que l’espace a une réelle utilité pour notre vie de tous les jours, et c’est bien pour cette raison que des États tels que l’Inde ou le Brésil ont voulu y jouer leur propre partie : leurs satellites leur permettent d’améliorer l’aménagement de leur territoire ou leurs prévisions météorologiques, donc les conditions de vie de leur population.

    Les citoyens eux-mêmes doivent à présent s’emparer de ces questions, dont certaines mériteraient débat. Aux États-Unis, des associations traduisent en justice Elon Musk pour son projet Starlink d’installation de dizaines de milliers de nano-satellites de communication, afin de connecter intégralement la Terre à Internet. Leur motif : l’espace est un bien commun, il relève du patrimoine de l’humanité.

    1 La Russie a détruit, sans prévenir, son vieux satellite Cosmos-1408 par un tir de missile délibéré… ce qui a provoqué la dispersion de centaines de débris, dont certains auraient pu percuter la Station spatiale internationale. Face au risque
    de collision, l’équipage de l’ISS a dû se tenir prêt à quitter la station en catastrophe, jusqu’à ce que le danger soit écarté.

    Xavier Pasco en quatre dates
    1964 Naissance à Nantes
    1994 Thèse sur la décision publique et les programmes spatiaux aux États-Unis (sciences politiques, Paris 1).
    1994 Chercheur associé à l’Université George Washington (Space Policy Institute), États-Unis.
    2016 Directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.

    À lire
    Le Nouvel Âge spatial. De la guerre froide au New Space, CNRS éd., 2017, 192 p., 20 €.

    #Espace #Communs

  • #Propriété_collective des #terres : « Des espaces de résistance face à l’agriculture industrielle et capitaliste »

    basta ! : Dans le secteur agricole, on compte seulement une installation pour deux à trois cessations d’activité, alors qu’un agriculteur sur quatre doit partir à la retraite d’ici 2030. L’accès à la terre est-il le frein principal à l’activité agricole en France ?

    Tanguy Martin : L’accès à la terre est clairement un frein, économique d’abord. La terre, selon les régions, peut coûter assez cher. S’y ajoutent les coûts des bâtiments, du cheptel, des machines, dans un contexte où les fermes n’ont cessé de grandir en taille depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

    Il y a aussi un principe de défiance : c’est plus facile de vendre ses terres, ou de les louer à son voisin qu’on connaît depuis très longtemps, qu’à quelqu’un qu’on ne connaît pas, qui peut vouloir faire différemment, non issu du territoire... Or, 60 % des gens qui veulent s’installer aujourd’hui ne sont pas issus du milieu agricole. Les freins administratifs se combinent à ce parcours du combattant.

    Aujourd’hui l’accès à la terre se fait par le marché : les terres sont allouées aux gens capables de rentabiliser une ressource, et pas forcément aux gens capables de nourrir un territoire ou de préserver un environnement.

    À partir de quel moment la terre agricole est-elle devenue une marchandise ?

    Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la terre est restée un bien de prestige et de pouvoir à travers lequel on maîtrise la subsistance de la population. Mais après 1945, l’agriculture est entrée dans le capitalisme : on commence à faire plus de profit avec la terre et la production de nourriture, voire à spéculer sur le prix de la terre.

    La terre est même depuis devenue un actif financier. Aujourd’hui, les sociétés dites à capitaux ouverts (financiarisées), dont le contrôle peut être pris par des non-agriculteurs, ont fait main basse sur 14 % de la surface agricole utile française. C’est plus d’une ferme sur dix en France [1]. Le phénomène a doublé en 20 ans !

    Peut-on vraiment parler de spéculation sur les terres en France alors même que le prix stagne en moyenne à 6000 euros par hectare depuis plusieurs années ? Il est quand même de 90 000 euros par hectare aux Pays-Bas !

    Depuis quelques années, le prix de la terre stagne et on pourrait en conclure qu’il n’y a pas de spéculation. En réalité, le prix de la terre a globalement augmenté en France sur les 20 dernières années.

    Actuellement, ce prix augmente dans certaines régions et baisse dans d’autres. Les endroits où l’on peut spéculer sur la terre sont globalement ceux où l’agriculture s’est industrialisée : les zones céréalières dans le centre de la France, de betteraves en Picardie, de maïs dans le Sud-Ouest... Là, le prix de la terre continue à augmenter.

    En revanche, il y a des endroits en déprise, notamment les zones d’élevage comme le Limousin, où le prix de la terre peut baisser. Les prix augmentent aussi à proximité des villes et des zones touristiques, où la terre risque de devenir constructible.

    En France, ce sont les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) qui sont en charge de réguler le marché des ventes des terres agricoles. Elles sont très critiquées. Que faut-il faire de ces organisations ?

    Les Safer ont participé à limiter les inégalités d’accès à la terre et un prix de la terre relativement bas en France. C’est vrai, même s’il y a d’autres explications aussi, comme la plus faible valeur ajoutée produite par hectare en France.

    Pour autant, les Safer doivent encore évoluer pour pouvoir répondre aux enjeux alimentaires et agricoles du 21e siècle, il faut arriver à démocratiser leur gouvernance. Celles-ci restent aujourd’hui très liées aux décisions du syndicalisme majoritaire (de la FNSEA, ndlr). Les Safer doivent aussi devenir plus transparentes. Actuellement, les réunions de décision se tiennent à huis clos : c’est censé protéger les gens qui prennent les décisions pour qu’ils soient éloignés de certaines pressions, mais cela crée une opacité très délétère pour l’institution.

    Un autre élément à revoir, c’est la façon dont on fixe les objectifs politiques des Safer. Ces dernières, quand elles achètent une terre, doivent la revendre à la personne qui répond aux objectifs politiques qui sont notamment fixés dans des documents nommés « schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles ».

    Ces documents, écrits par l’État et validés par arrêté préfectoral, décrivent quel type d’agriculture vont viser les Safer et d’autres instances de régulation foncière. Or, ces documents, du fait que le syndicat majoritaire est largement consulté, défendent plutôt la prolongation de l’agriculture vers son industrialisation. Il y a donc un enjeu à ce que ces documents soient écrits pour défendre une agriculture du 21e siècle qui défend l’agroécologie, et des paysannes et paysans nombreux sur les territoires. À ces conditions-là, il n’y a pas de raison de vouloir se passer des Safer.

    Le fait que nous ayons un système qui alloue la terre, non pas en fonction de l’offre et de la demande, mais en vertu d’un projet politique censé répondre à l’intérêt général, est un trésor inestimable en France qu’il faut absolument garder.

    En creux de votre ouvrage se pose la question du rapport à la propriété. Est-il possible de dépasser le modèle du paysan propriétaire ?

    Sur le principe, rien ne justifie le fait qu’à un moment, une personne ait pu dire « cette terre m’appartient ». La terre étant à la fois un lieu d’accueil du vivant et le lieu où l’on produit la nourriture, on peut estimer que la propriété de la terre doit être abolie. Sauf que, dans une société très attachée à la propriété privée, cela paraît utopique.

    Prenons donc le problème d’une autre façon, et voyons ce qu’on peut déjà faire à court terme. Il faut avoir en tête que les agriculteurs ne sont pas majoritairement propriétaires des terres qu’ils travaillent : 60 % de cette surface est louée dans le cadre du fermage. Il y a même des paysan·nes qui décident parfois de ne pas acheter la terre et préfèrent la louer pour éviter de s’endetter.

    D’autre part, on dispose d’une régulation foncière selon laquelle la terre n’est pas une marchandise comme les autres et ne doit pas être uniquement dirigée par le marché. Ces mécanismes juridiques permettent à l’État, aux collectivités locales et aux syndicats agricoles, de définir ensemble qui va accéder à la terre indépendamment du fait que ces personnes soient riches ou pas.

    On a là un embryon qui pourrait faire imaginer un droit de l’accès à la terre en France institué en commun. Il faut renforcer et orienter ces mécanismes – qui ont plein d’écueils ! – vers des enjeux d’alimentation, d’emploi, d’environnement... Chercher à démocratiser la question de l’accès à la terre et « le gouvernement des terres », c’est à la fois une capacité à se prémunir des effets mortifères du capitalisme, et cela permet de penser comment on pourrait gérer les terres autrement.

    Le capitalisme n’est pas une fatalité : il y a d’autres manières d’être au monde, de produire de l’alimentation, de vivre, de sortir d’un monde où le but n’est que la recherche du profit. C’est comme quand on milite pour la sécurité sociale de l’alimentation : la Sécurité sociale en 1946 n’a pas renversé le capitalisme, mais elle a créé des espaces de répits face au capitalisme, extrêmement importants pour que les gens vivent bien et envisagent de transformer la société.

    Le livre dresse un panorama des organisations qui travaillent au rachat des terres pour les mettre à disposition de paysan·nes répondant à des critères socio-environnementaux, avec des règles transparentes d’attribution de l’accès au foncier. Les surfaces acquises restent toutefois modestes. Peut-on uniquement compter sur ce type d’initiatives ?

    Les gens qui s’intéressent à la terre aujourd’hui ont bien compris qu’on n’allait pas abolir la propriété privée demain. Ils ont aussi compris que s’ils voulaient expérimenter d’autres manières de faire de l’agriculture et de l’alimentation, il fallait accéder à la propriété des terres.

    L’idée de la propriété collective, ce n’est pas l’abolition de la propriété privée, mais que des gens se mettent ensemble pour acheter de la terre. C’est ce que fait Terre de Liens en louant ensuite la terre à des paysan·nes qui mettent en œuvre des projets répondant aux enjeux de société, d’emploi, d’environnement, d’entretien du territoire... Mais c’est aussi ce que font d’autres structures de propriété foncière – la Société civile des terres du Larzac, la Terre en commun sur la Zad de Notre-Dame des Landes, Lurzaindia dans le Pays basque, la foncière Antidote, et bien d’autres.

    Tout un tas de gens essaient d’acheter des terres pour en faire des espaces de résistance face à l’agriculture industrielle et capitaliste. Cela permet d’imaginer d’autres rapports à la propriété. Ce sont des lieux d’expérimentation très importants pour susciter de nouveaux imaginaires, apprendre à faire autrement, créer de nouvelles manières d’être au monde.

    Le problème de ces lieux-là, c’est qu’ils ne peuvent pas permettre un changement d’échelle. Cela ne peut pas être la solution de sortie des terres du capitalisme. Comme elles n’abolissent pas la propriété, s’il fallait racheter toutes les terres, cela coûterait des centaines de milliards d’euros.

    Par ailleurs, ces terres ne sont pas à vendre à court terme – une terre se vend en moyenne tous les 75 ans. D’où la nécessité de faire à la fois des expérimentations de propriété collective, tout en ravivant la question de la régulation foncière pour sortir l’agriculture du capitalisme.

    En quoi la lutte de Notre-Dame des Landes, victorieuse en 2018, a reconfiguré les luttes, notamment anticapitalistes, autour des terres ?

    La question agricole et foncière, en France et même en Europe, était très peu investie par les milieux anticapitalistes. L’activisme des gens qui vont s’installer dans la Zad, les coopérations menées avec des syndicats agricoles comme la Confédération paysanne, ont – non sans débats houleux et conflits internes – mené à une lutte assez exemplaire sur un territoire.

    La répression peut être énorme, mais la capacité de résistance aussi. Cette lutte a produit des façons de faire sur le territoire – en termes d’habitat, d’agriculture collective, de vivre ensemble – inspirantes pour toute une génération militant contre le néolibéralisme et le capitalisme. Beaucoup de milieux politiques aujourd’hui parlent de subsistance, d’alimentation, de terres.

    Notre-Dame des Landes marque aussi le fait qu’avec de moins en moins d’agriculteurs dans la société (2,5 % des gens sont des travailleurs de la terre dont 1,9 % sont des agriculteurs au sens légal), les enjeux agricoles ne peuvent être uniquement du ressort des luttes paysannes. La centralité de ces luttes doit être partagée avec d’autres types d’acteurs politiques, notamment des gens qui habitent le territoire sans être forcément paysans.

    La dynamique des Soulèvements de la Terre est-elle un prolongement de Notre-Dame des Landes ?

    En effet, il me semble que Notre-Dame-des-Landes est une inspiration forte de la pensée qui s’agrège autour des Soulèvements, mouvement riche de sa pluralité. Les Soulèvements montrent que les espoirs nés de l’expérimentation à Notre-Dame-des-Landes sont possibles partout et qu’il va falloir faire différemment dans tous les territoires – chaque endroit ayant ses spécificités.

    Les questions de rapport à la terre ont aussi émergé dans l’espace politique des années 1990, avec les luttes au Chiapas, au Mexique, qui continuent d’inspirer les milieux politiques en Europe et en France. Cette circulation des imaginaires de luttes permet de penser des mondes différemment. Les Soulèvements arrivent à fédérer de manière assez importante et repolitisent très clairement ces questions de la terre. Ils portent ces questions sur tous les territoires qui ont envie de s’en emparer en disant : « C’est possible aussi chez vous ».

    Peut-on sortir l’agriculture du capitalisme ? Pour Tanguy Martin, auteur de Cultiver les communs, il faut combiner les expérimentations de propriété collective tout en s’attachant à la régulation foncière.

    https://basta.media/Propriete-collective-des-terres-des-espaces-de-resistance-face-a-l-agricult
    #agriculture #résistance #capitalisme #accès_à_la_terre #terre #financiarisation #spéculation #Sociétés_d’aménagement_foncier_et-d’établissement_rural (#Safer)