C’est parce qu’elle n’est pas bonne que la constitution n’est pas mauvaise | Businessnews.com.tn
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C’est parce qu’elle n’est pas bonne que la constitution n’est pas mauvaise
44 20/01/2014 16:03 Par Nizar Bahloul
La Constitution est enfin sur le point de s’achever. Après deux ans de tergiversations, de querelles, de colère et de clowneries à la pelle, elle est là ou presque.
Accouchée au forceps, cette constitution nous aura coûté des millions de dinars et, surtout, trois assassinats politiques et plusieurs assassinats de nos agents de l’armée et des forces de l’ordre.
Pour leurs prouesses télévisées, leurs proses, leurs poèmes, leurs larmes, leurs fatwas et leurs bagarres, les Sonia Toumia, Brahim Gassas, Aymen Zouaghi, Sadok Chourou et Habib Ellouze auront reçu, chacun, plus de 100.000 dinars. Et ils ne sont pas contents. Ça tombe bien, nous ne sommes pas contents non plus.
Au fait, très rares sont les personnes qui vous disent que cette constitution est bonne. A moins que ces personnes ne soient hypocrites ou vous regardent de haut. Dans la première catégorie des hypocrites, adeptes du proverbe tunisien « chèvres quand bien même elles voleraient », il y a Mustapha Ben Jaâfar qui estime que c’est la meilleure constitution de l’Histoire. Dans la seconde, il y a tous ces partenaires étrangers qui vous louent la révolution tunisienne et sa constitution. Allez demander à ces Français ou à ces Allemands d’appliquer chez eux cette constitution ! Au fait, pour eux, cette constitution est une avancée pour le peuple arabo-musulman qu’ils nous considèrent. Autrement dit, un peuple arabo-musulman vit, par définition, au Moyen-âge (du Vème au XVème siècle) et le peuple tunisien a le mérite de vivre au XVIIIème. Et ils ont raison de nous considérer comme tels, puisque notre cher et très « laïc et droit-de-l’hommiste » président de la République parle encore de potences et d’échafauds.
En dépit de tout ce qu’on peut penser de l’ANC, nos 217 députés ont eu le mérite de mettre à nu la société tunisienne et de faire connaître les Tunisiens aux Tunisiens. Je m’explique.
Certains députés sont choqués qu’il existe des Tunisiens ayant des baignoires chez eux et des poubelles garnies de restes de mets succulents pouvant rassasier un village.
D’autres députés sont choqués qu’il existe des Tunisiens pouvant être agnostiques ou mécréants et n’ont aucun problème à blasphémer ou caricaturer le prophète.
Certains, enfin, parmi nos élus, ne peuvent pas comprendre comment des Tunisiens puissent proposer de couper des mains, vouloir de la chariâa et insister à vivre au Moyen-âge.
Avant la révolution, ces Tunisiens s’ignoraient les uns les autres ou, du moins, refusaient de se voir.
Gafsa a beau être distante de 350 kilomètres seulement de Tunis, les Gafsois ne connaissent pas les Tunisois.
Pire, la Marsa est distante d’une trentaine de kilomètres seulement de Cité Ettadhamen et pourtant ces deux cités abritent deux modes de vie totalement différents.
Après la révolution, et de la manière la plus soudaine, ces Tunisiens se découvrent et apprennent qu’ils doivent cohabiter, tous ensemble. Ils ont pour mission de rédiger une constitution permettant cette cohabitation. La chose n’est déjà pas facile en soi, et elle a été rendue épineuse par l’intervention d’hommes politiques qui ont tout fait pour accentuer la division. A la tête de ces semeurs de zizanie, les extrémistes des deux bords et les caciques du CPR et les partis qu’il a enfantés (Wafa, Tayar). Chacun regardait son miroir et son entourage et pensait, naïvement, que c’est ça la Tunisie. Chacun a commencé à parler au nom du peuple en criant sur tous les toits que « le peuple veut éjecter l’ancien régime », que « le peuple est musulman » que « le peuple veut la polygamie et la chariâa », que « le peuple veut libérer la Palestine », que « le peuple ne veut pas de normalisation avec Israël », que « le peuple est arabe », que « le peuple n’est pas arabe », que « le peuple est laïc », que « le peuple ne veut ni de la polygamie, ni de la chariâa », etc.
Il a fallu qu’il y ait des personnes sensées dans la troïka et dans l’opposition pour rapprocher les uns des autres et leur dire que le vrai peuple tunisien c’est tout ça à la fois. Que les Tunisiens sont islamistes, salafistes, sionistes, mécréants, laïcs, juifs et musulmans. La Tunisie est vraiment plurielle, en dépit du faible nombre de ses habitants, et ça les Tunisiens ne le savaient pas vraiment. Il a fallu aussi qu’il y ait les électrochocs des assassinats politiques, le grand électrochoc égyptien et l’intervention du quartet pour imposer aux ennemis de s’asseoir autour d’une table et de regarder en face leur destin et le destin de toute la Tunisie.
Cette Tunisie doit abriter tout le monde et tout le monde doit trouver son compte. Que l’on soit salafiste, que l’on soit mécréant, on est d’abord et avant tout Tunisien. On n’a pas toujours été arabes et on n’a pas toujours été musulmans, mais on a toujours été Tunisiens. On ne se sent pas tous arabes et tous les Tunisiens ne croient pas en l’islam, mais nul d’entre nous n’est plus Tunisien que l’autre. Ni moins Tunisien d’ailleurs.