company:lecteurs du monde

  • Le Monde : la fracture éditoriale
    Comment le journalisme militant met en péril le contrat de confiance avec les lecteurs

    https://www.france-medias.fr/images/pdf/LeMonde-LaFactureEditoriale.pdf

    Une (violente) attaque de la dérive «  radicale  » du Monde sur une ligne éditoriale anti-macroniste. Étude menée par France-Médias, https://www.france-medias.fr/informations site publié par La station Web https://www.societe.com/societe/la-station-web-454011107.html

    Le travail d’investigation mené pour cette étude a duré environ 10 semaines et cible les périodes du 1er juillet 2018 au 20 février 2019, a consisté à étudier près de 190 Unes du site lemonde.fr, notamment via le site waybackmachine.org, à observer les choix éditoriaux et rédactionnels mis en oeuvre, à (re)lire 220 articles par le moteur de recherche multimédia du site lemonde.fr, à analyser près de 400 photos, à identifier les outils et moyens de communication utilisés pour diffuser l’information, à répertorier et analyser 3.500 commentaires d’abonné(e)s et de lecteurs du Monde.

    Organisée en 6 parties, l’étude consacre les 3 premières à des événements marquants de l’actualité puis les 3 suivantes à une réflexion plus large sur la ligne éditoriale du Monde, aux malaises observés dans le lectorat puis, finalement, aux solutions envisageables pour restaurer une confiance durable. Notons que les pistes de réflexion et solutions proposées, même si elles se destinent au Monde en premier lieu, peuvent être éventuellement valables auprès d’autres médias de presse écrite.

    En outre, nous mentionnerons que malgré nos demandes, ni le directeur du Monde (Monsieur Fenoglio) ni le directeur de la publication (Mr Bronner) n’ont souhaité répondre aux questions, interrogations et constats soulevés par cette étude.

    Notons enfin que celle-ci a été réalisée de manière entièrement bénévole, sans subvention ni publicité et n’est liée à aucune institution, entreprise, parti politique ou groupe de pression. Elle se veut citoyenne dans son orientation et dans ses finalité(s).

    le sommaire

    I. L’affaire Benalla
    II. La crise des gilets jaunes
    III. La Une du magazine « M »
    IV. La ligne éditoriale en question(s) V. Un lectorat déboussolé
    VI. Les solutions envisageables

    • Le traitement [de l’affaire Benalla] du monde.fr en chiffres
      L’analyse des Unes et des surfaces de visibilité (au dessus de la ligne de regard dite « ligne de flottaison »), du site lemonde.fr, a de quoi impressionner. Du 18 juillet 2018 au 30 août 2018, l’affaire occupe 85% des Unes et 88% de l’espace majeur de visibilité.

      A titre de comparaison, cela représente environ 2,5 fois la couverture dédiée aux attentats terroristes de Paris en novembre 2015 (perpétrées notamment au Bataclan) ou encore 2 fois plus que l’affaire DSK, à périmètres équivalents (durée du traitement et intensité de la visibilité). Cette intensité médiatique est également supérieure au total de tous les candidats à la présidentielle de 2017 réunis, sur une période comparable (de 6 semaines).

      Jamais aucun événement géopolitique, politique ou économique n’aura disposé d’une telle surface de visibilité médiatique depuis le lancement du site lemonde.fr en 1996.
      « L’affaire Bennalla a disposé de 2,5 fois plus de visibilité que la couverture dédiée aux attentats de Paris en novembre 2015 »

      Sur les éléments à notre disposition, on peut également affirmer qu’aucun des grands sites d’information en ligne européen (El Pais en Espagne, le Frankfurter allgemeine en Allemagne ou Le Times en Angleterre) n’a jamais consacré une place aussi importante au traitement d’une seule information au cours des 10 dernières années.

      La couverture du Brexit, à titre d’exemple, par le site Internet du Times (thetimes.co.uk), a représenté une visibilité inférieure de 40% à celle de l’affaire Benalla par lemonde.fr (à temps et périmètre équivalents).

    • à propos du traitement des GJ

      Le poids des photos : mouvement d’ampleur et violences policières
      Les photos mises en ligne sur lemonde.fr relèvent bien évidemment de la ligne éditoriale et traduisent, le plus souvent, la volonté du journaliste et ou de la rédaction de mettre l’accent sur un phénomène.

      Sur environ 400 photos étudiées (photos principales d’article et photos insérées à l’intérieur des contenus), 2 orientations dominent : l’impression d’un mouvement d’ampleur d’une part et des violences policières omniprésentes d’autre part.
      […]
      La police (beaucoup) plus blâmée que les manifestants violents
      D’une façon générale, les articles du monde.fr ont relaté à la fois les violences des manifestants mais aussi celles de certains policiers. A plusieurs reprises néanmoins, le choix de la rédaction du Monde a été de plutôt de mettre en avant les dérapages policiers et plus rarement les violences des manifestants.

    • 2 histoires, 2 identités et un mélange explosif
      Pour de nombreux lecteurs, l’objectif d’une partie des articles du Monde n’est pas de les informer de façon neutre et objective mais plutôt de leur présenter une vision orientée et idéologique ; une finalité spécieuse éloignée des règles déontologiques dont se prévaut la direction du journal.

      On doit déjà se rappeler que l’identité des 2 éditions du Monde est fondamentalement différente. Pendant plus de 10 ans, les 2 rédactions (« papier » et numérique) ont cohabité sans se côtoyer, chacune à un étage différent, avec des organisations très différentes.

      La première était constituée des journalistes les plus aguerris, des « signatures » du Monde et des moyens les plus importants (correspondants dans le monde entier, relecteurs...). Elle véhiculait une approche rigoureuse et factuelle de l’information, une vision d’un journalisme ambitieux et fiable.

      La seconde rédaction (numérique) s’est formée à la fin des années 90, presque en opposition avec sa grande sœur. Essentiellement constituée de jeunes journalistes et disposant de moyens limités, il lui fallait exister et se singulariser en explorant des voies qui n’étaient pas celles du journal papier « traditionnel ».
      […]
      Sur les articles étudiés issus de publications sur lemonde.fr, on peut considérer que moins de la moitié des contenus est suffisamment « équilibrée » et neutre. Cela signifie qu’une légère majorité des publications du Monde peut être considérée comme partisane, parti-pris ou orientée sur le plan idéologique.

      Cette réalité pourrait être acceptable dans un journal d’opinion tel que Le Figaro ou Libération mais semble choquante pour un média qui se veut une « référence » en matière de qualité et de neutralité de l’information.

      Le tournant de l’été 2018
      En 2003, dans le livre « La face cachée du Monde : du contre-pouvoir aux abus de pouvoir », la radicalité voire l’autoritarisme d’Edwy Plenel, alors directeur de la rédaction, est décrite et dénoncée par les 2 auteurs, Pierre Péan et Philippe Cohen.

      On retrouve curieusement, ces derniers mois, dans les colonnes du Monde, quelque chose de cette radicalité et des attaques implacables contre les gouvernants dont l’actuel directeur de Médiapart s’est fait l’expert incontesté. Une sorte de fièvre parait s’être emparée d’une partie de la rédaction qui, visiblement dépassée (ou aveuglée) par les enjeux, en a oublié ses règles éthiques et déontologiques les plus rudimentaires.
      […]
      Il semblerait néanmoins qu’elle se heurte à une réalité journalistique nettement moins nuancée. Sur 60 articles publiés dans le Monde qui illustrent des opinions (tribunes, interviews, points de vus...) entre le 15 juillet 2018 et le 16 janvier 2019, 48 peuvent être considérées comme des critiques négatives des actions de l’Etat et ou du gouvernement.

      Cela signifie que 80% des articles d’opinions, publiés par Le Monde sur cette période, renvoient une image négative voire très négative des actions de l’Etat. On peut qualifier les 20% restant de « plutôt neutres » ou « équilibrés ».
      […]
      Rapprochement idéologique avec Mediapart ?
      « L’affaire Benalla » semble avoir révélé, au fil des investigations des 2 médias, une forme nouvelle de rapprochement autour de valeurs communes.

      Il n’est probablement pas anodin que, lors de plusieurs épisodes de l‘affaire, notamment après le licenciement d’Alexandre Benalla par l’Elysée, différentes questions ou polémiques (passeports et déplacements en Afrique, contrat avec un oligarque russe, seconde audition auprès de la commission du Sénat, perquisition refusée au siège de Mediapart), les 2 éditions en ligne (mediapart.fr et lemonde.fr) ont semblé e*n parfaite synchronisation* pour relayer les découvertes de l’un tandis que l’autre valorisait les révélations de l’autre.

      En outre, on retrouve, dans l’orientation et l’écriture journalistique des 2 journaux en ligne, un certain nombre de traits communs : un même goût pour les révélations tonitruantes qui touchent l’Etat et la présidence, un sens certain de la mise en scène de l’information pour mieux en accentuer la portée (titres et photos en très grands formats, alertes en gras et rouges sur les fils d’information..), l’utilisation d’effets de dramatisation (dans le choix des titres en particulier et dans la mise en page) ainsi qu’une propension aux révélations « feuilletonnées » dans le but de tenir le lecteur en haleine...

    • J’ai pensé à toi @reka :)
      Et à y réfléchir, aucune étude ne pourra absoudre par le chiffre une ligne éditoriale qui est le plus souvent dans le déni et la censure. Certes cette étude donne la preuve d’un dysfonctionnement, le titre de sa présentation fait peur, vraiment, accuser le journalisme militant infiltré au monde de mettre en péril la crédibilité de la presse écrite est assez osé.
      Pour appuyer ma réflexion, une étude pourrait aussi accuser le logiciel libre de mettre en péril Apple ou Microsoft parce qu’ils intègrent l’un et l’autre du code libre.

    • Je ne connais pas le parcours politique et les motivations de Denis Morineau* qui signe cet article, non plus que la ligne de france-medias.
      Mais quand je lis les solutions proposées, comité d’éthique et de surveillance de la presse écrite, intervention du ministère de la culture, proposition de contribution de psychanalystes ou le simple fait d’évoquer la sauvegarde de l’identité et l’âme d’un journal (c’est quoi ?), cela m’inquiète pour la #liberté_de_la_presse, pas vous ?

      Il en va de la restauration d’un climat de confiance entre la rédaction et les lecteurs, largement mis à mal depuis une année. Il en va également de la nécessité pour Le Monde de continuer à être considéré, en France comme à l’étranger, comme un média suffisamment indépendant et qualitatif pour témoigner des mouvements de la société sans y perdre son identité et son âme. Nous avons compilé les principales mesures, dont certaines sont dores et déjà à l’étude au Ministère de la Culture, qui peuvent contribuer à cette évolution positive...

      Il convient, pour contribuer à rétablir cette confiance perdue, de mettre en place un comité d’éthique et de surveillance de la presse écrite. Cette instance doit pouvoir regrouper les directeurs de journaux, des directeurs de rédaction mais également des journalistes et bien évidemment, et en nombre significatif, des lecteurs et lectrices. En outre, des intellectuels, des sociologues, des sémiologiques voire des psychanalystes doivent également pouvoir apporter leurs contributions et leurs regards croisés et complémentaires (au delà des convictions politiques et ou idéologiques).

      * https://www.france-medias.fr/informations/#tab-1
      Dans la présentation de l’équipe (un seul et ex journaliste qui vient de la presse régionale groupe « Le Messager ») on trouve Denis Morineau

      Denis Morineau | Directeur de la publication et auteur
      Parcours & profil

      Diplômé de Neoma Business school de Rouen et d’HEC Montréal, Denis travaille très tôt dans l’univers du web (dès 1999) autour de projets européens basés à Paris. Il se lance ensuite dans l’édition web en créant des projets et concepts numériques. A l’origine de « Sortir en ville » (réseau social de sorties) ou encore de « Psychologie.fr ». Il déploie aussi son expression créative dans l’univers de l’architecture et du design en réalisant des espaces contemporains.
      Ses univers de prédilection

      Société et politique, géo-politique, médias, Histoire, sciences humaines (sociologie et psychanalyse), économie et Culture (théâtre et cinéma en particulier).
      Pourquoi France médias ?

      "Je souhaite que France médias permette au plus grand nombre de mieux comprendre et utiliser les médias. J’aimerais également que le site devienne une référence qualitative en termes de critique, d’évaluation et de décodage des médias."

  • Arnaud, Jessica, Faustine, et les lecteurs du Monde | Daniel Schneidermann
    https://www.arretsurimages.net/chroniques/le-matinaute/arnaud-jessica-faustine-et-les-lecteurs-du-monde

    Armée de ces édifiantes leçons de vie, Faustine Vincent est allée faire réagir une sociologue et un spécialiste des inégalités. “Ceux qui sont choqués sont issus des classes supérieures [surreprésentées parmi les lecteurs du Monde]. Cela relève d’une haine sociale et d’un mépris de classe” estime Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Quant à Arnaud et Jessica, « ils appartiennent à une catégorie de plus en plus identifiée : les classes moyennes fragiles, explique Jeanne Lazarus. Ils cherchent à s’accrocher au mode de vie de la classe moyenne : être bien habillé, avoir une part de plaisirs, ne pas être uniquement dans la contrainte. » Or, ce que leur renvoient les commentaires, c’est qu’ils ne devraient pas s’autoriser ces “petits plaisirs”. “C’est très violent, socialement. C’est une façon (...)

    • Arnaud, Jessica, Faustine, et les lecteurs du Monde - Par Daniel Schneidermann | Arrêt sur images
      https://www.arretsurimages.net/chroniques/le-matinaute/arnaud-jessica-faustine-et-les-lecteurs-du-monde

      C’est l’histoire d’un couple de Gilets jaunes, Arnaud et Jessica, rencontrés par Le Monde à Sens, dans l’Yonne. Il est cariste dans l’aéronautique, elle est mère au foyer, où elle s’occupe de leurs quatre enfants. Ils sont à découvert dès le 15 du mois. A Faustine Vincent, journaliste au Monde, ils ont dévoilé leur budget. Son salaire net, à lui, de 1493 euros. Leurs 914 euros mensuels d’allocations familiales. Et les APL. Et la prestation d’accueil du jeune enfant. Et leurs conclusions : ils n’y arrivent pas. Le reportage est paru le 15 décembre.

      Aussitôt, dans les commentaires du journal, les lecteurs se sont déchainés contre le jeune couple, et accessoirement contre la journaliste qui en a fait une incarnation du mouvement. Dans le viseur des lecteurs du Monde, deux signes extérieurs de richesse : le chien, et les vêtements de marque que les jeunes parents persistent à offrir à leurs enfants ("les enfants sont tellement méchants entre eux s’ils ont des sous-marques" disait Jessica). Aux yeux des lecteurs, Arnaud et Jessica sont de faux pauvres, de mauvais pauvres, qui ne savent pas gérer leur budget. C’est le sens de la grande majorité des 1087 commentaires (à l’heure où j’écris).

      Outre la moisson de souvenirs personnels (c’est fou le nombre de lecteurs et lectrices qui ont porté les anoraks de leur grande soeur, ou les pulls moches tricotés par leur maman) , c’est une profusion de diagnostics psycho-sociologiques -"le problème de cette famille semble effectivement le manque d’intégration sociale, de capital relationnel, de modèle et d’ambition bien plus que le manque d’argent" de conseils de vie -"Si ils le voulaient, ils pourraient revenir a l’ecole en cours du soir et se former, ce qui leur donneraient de meilleures perspectives d’emplois avec de meilleur salaires" "Ce couple exige davantage de la solidarité nationale mais pourrait organiser une garde partagée avec d’autres pour permettre à la mère de travailler à temps partiel" "Quand on n’est pas capable de faire vivre plusieurs enfants, on ne les créent pas." ou de tutos-conso : "Indécent, c’est bien le mot à employer. Des forfaits de téléphone à meilleur prix existent. Les vêtements de marque ? Mais on rêve ! Il existe d’excellents vêtements hors des grandes marques et abordables". 

      Armée de ces édifiantes leçons de vie, Faustine Vincent est allée faire réagir une sociologue et un spécialiste des inégalités. "Ceux qui sont choqués sont issus des classes supérieures [surreprésentées parmi les lecteurs du Monde]. Cela relève d’une haine sociale et d’un mépris de classe" estime Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Quant à Arnaud et Jessica, « ils appartiennent à une catégorie de plus en plus identifiée : les classes moyennes fragiles, explique Jeanne Lazarus. Ils cherchent à s’accrocher au mode de vie de la classe moyenne : être bien habillé, avoir une part de plaisirs, ne pas être uniquement dans la contrainte. » Or, ce que leur renvoient les commentaires, c’est qu’ils ne devraient pas s’autoriser ces "petits plaisirs". " C’est très violent, socialement. C’est une façon de dire qu’ils doivent se satisfaire de leur place ", poursuit la sociologue.

      Ce second article, titré " Pourquoi le quotidien d’un couple de Gilets jaunes dérange les lecteurs du Monde ", a explosé le record des commentaires du premier : 1303 (toujours à l’heure où j’écris). En appel, le commentariat du Monde confirme son verdict contre Arnaud et Jessica. Quant à Faustine Vincent, elle voit sa peine aggravée, sur le mode " est-il logique qu’une journaliste du Monde se permette de donner des leçons à son lectorat qui paye pour son salaire ? " (je n’invente pas, c’est le deuxième commentaire par ordre antechronologique ce matin).

      Il arrive souvent, dans la presse en ligne, que les commentaires soient aussi intéressants que les articles commentés : c’est le cas ici. Ce torrent de réactions illustre parfaitement ce que nous décrivions dans notre deuxième émission sur les Gilets jaunes, avec Emmanuel Todd : le décrochage entre les "petites" classes moyennes, hantées par la chute dans la paupérisation (où elles ne sont pas encore) et ceux qui n’ont pas besoin de regarder les étiquettes de prix au supermarché. Simple décrochage ? Incompréhension, plutôt, hostilité, voire guerre froide. La télé n’a cessé, depuis un mois, de montrer la "violence" des Gilets jaunes. Arnaud et Jessica nous révèlent la violence silencieuse de tous les sans-gilet.

      Accessoirement, si je peux me permettre un mot personnel, cela me confirme dans la conviction qu’il faut savoir déplaire à ses lecteurs. C’est une marque de respect envers eux.

      Pourquoi le quotidien d’un couple de Gilets jaunes dérange les lecteurs du Monde
      https://seenthis.net/messages/745927

    • L’article du Monde sur le sujet :
      Pourquoi le quotidien d’un couple de « gilets jaunes » dérange des lecteurs

      Le portrait, dans « Le Monde », de jeunes parents mobilisés dans le mouvement a suscité un déluge de commentaires désobligeants à leur égard.

      Par Faustine Vincent Publié aujourd’hui à 14h28, mis à jour à 16h07

      Dès la parution de l’article du Monde, ce fut un déferlement. Le portrait d’Arnaud et Jessica, un couple de jeunes parents mobilisés dans le mouvement des « gilets jaunes » et témoignant de leurs fins de mois difficiles, a suscité plus de 1 000 commentaires sur le site du Monde, et des centaines d’autres sur Twitter et Facebook.

      Une écrasante majorité d’entre eux expriment une grande hostilité à l’égard du mode de vie de cette famille, installée dans l’Yonne. Tout leur est reproché : le fait qu’ils aient quatre enfants à 26 ans, qu’ils touchent 914 euros d’allocations familiales, que la mère ne travaille pas – même si c’est pour éviter des frais de garde trop élevés –, le montant de leurs forfaits téléphoniques, le fait qu’ils aillent au McDo, qu’ils achètent des vêtements de marque à leurs enfants, et même qu’ils aient un chien.
      Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Gilets jaunes » : Arnaud et Jessica, la vie à l’euro près

      La virulence des commentaires sur Internet n’est ni une nouveauté ni représentative de l’ensemble de la population. Pour autant, le déluge d’attaques dont le couple fait l’objet interroge. Pourquoi tant d’hostilité ? « Si l’article était paru dans la presse locale, cela n’aurait pas suscité de réaction, car c’est ce que les gens vivent. Il décrit simplement le quotidien d’une famille populaire, observe Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Ceux qui sont choqués sont issus des classes supérieures [surreprésentées parmi les lecteurs du Monde]. Cela relève d’une haine sociale et d’un mépris de classe », estime-t-il. Parmi les commentateurs figurent également des partisans d’Emmanuel Macron. L’un d’eux affirme ainsi que « rien ne démontre que la politique menée par [le président] et son gouvernement leur ait enlevé un centime de pouvoir d’achat ».
      « Ils ne savent pas gérer leur budget »

      Beaucoup ont sorti leur calculatrice pour se pencher sur les comptes du jeune couple, en additionnant le salaire d’Arnaud (1 493 euros) et les aides dont il bénéficie, moins les dépenses figurant dans l’article – lequel ne se voulait pas exhaustif et ne mentionnait donc pas certains frais comme la cantine des enfants, les transports en commun, la mutuelle, la redevance télé, l’abonnement à Internet, etc. Or, une fois le calcul fait, les lecteurs sont formels, « ils ne savent pas gérer leur budget ».

      « Désolé, mais je n’arrive pas à comprendre, écrit l’un d’eux. Revenu total : 2 700 euros. Loyer + électricité : moins de 600 euros. Ça fait donc plus de 2 100 euros pour faire vivre 2 adultes + 4 jeunes enfants. Moi aussi je regarde les prix et il n’est pas compréhensible d’être à découvert dès le 15 du mois. » La question les taraude : que font-ils du reste ?
      Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Les classes sociales n’ont jamais disparu. Avec les “gilets jaunes”, elles redeviennent visibles »

      « Se demander si les pauvres ne font pas n’importe quoi avec leur argent est une question très ancienne », rappelle Jeanne Lazarus, sociologue au CNRS. Elle a émergé au XIXe siècle lors de la révolution industrielle, lorsque les familles d’ouvriers ont quitté les campagnes, où l’argent liquide ne circulait quasiment pas, pour les villes. « Les patrons ont alors réfléchi à la façon de leur donner de l’argent, craignant qu’ils dépensent tout en boisson. » Gérer correctement son budget repose alors sur une logique érigée en modèle : savoir faire des restrictions et planifier le futur. Il s’agit d’être « raisonnable », d’agir « en bon père de famille » – une notion supprimée du droit français en 2014.

      Ces accents paternalistes se retrouvent chez certains lecteurs ayant ausculté les comptes du jeune couple. « Il y a dans ces commentaires un rapport de classe très fort, analyse Mme Lazarus. C’est une façon de dire : “Nous, nous savons bien ce qu’il faut faire avec l’argent, car nous en avons plus, et ne faisons pas n’importe quoi.” »
      « Faux pauvres » ou « mauvais pauvres »

      D’autres vont plus loin en les accusant d’être de « faux pauvres ». Avec ses 2 687 euros de revenus, aides incluses, la famille de Jessica et Arnaud se situe pourtant juste en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 2 770 euros pour ce type de famille, selon l’Insee. « A titre de comparaison, le revenu médian, pour un foyer de deux adultes et quatre jeunes enfants, est de 4 300 euros, rappelle Louis Maurin. On est donc très loin des revenus de ce couple. Mais les gens ne se rendent pas compte des niveaux de vie de la population française. » Et, comme il s’agit d’argent, tout le monde a un avis. « Les gens adorent en parler, surtout de l’argent des autres, car ils peuvent se projeter et ont l’impression de pouvoir classer les gens plus facilement », explique Jeanne Lazarus.
      Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Gilets jaunes » : la révolte des ronds-points

      Avec Jessica et Arnaud, la curiosité se double de la conviction d’avoir un droit de regard sur leurs finances puisqu’une partie importante de leurs revenus vient des allocations, versées grâce aux impôts de la collectivité. Les choix qu’ils font au quotidien irritent d’autant plus que l’argent venant des aides est considéré comme « peu légitime, non mérité, contrairement à celui qui vient du travail », selon la sociologue.

      « Ma compagne et moi payons (avec plaisir) environ 1 200 euros d’impôts par mois… Je ne suis pas sûr d’être content d’apprendre qu’ils servent à ce couple à se payer des forfaits trop chers et des vêtements de marque. Cette révolte [des “gilets jaunes”] est définitivement celle des assistés », écrit ainsi un lecteur. Les classes supérieures bénéficient pourtant, elles aussi, d’aides – tout le monde a notamment droit aux allocations familiales –, mais elles sont moins visibles dans l’immédiat, parce qu’elles passent beaucoup par la défiscalisation.

      Au final, si ces « gilets jaunes » agacent tant une partie des lecteurs, c’est parce qu’ils sont à leurs yeux de « mauvais pauvres » faisant de « mauvais choix ». C’est déjà ce qui était reproché, dans un autre contexte, à une habitante de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), que la reporter du Monde Aline Leclerc avait rencontrée en 2010. Les lecteurs s’étaient plus offusqués de voir qu’elle avait un écran plat chez elle malgré ses petits revenus que de savoir que des trafiquants avaient tiré des coups de feu en bas de son immeuble.

      « C’est très violent, socialement »

      Ce que revendiquent Jessica et Arnaud apparaît ainsi comme illégitime aux yeux des commentateurs. Car, au fond, ce que le couple demande, comme tant d’autres « gilets jaunes », c’est de pouvoir vivre sans se serrer la ceinture en permanence, comme nous l’avons beaucoup entendu autour des ronds-points.

      « Ils appartiennent à une catégorie de plus en plus identifiée : les classes moyennes fragiles, explique Jeanne Lazarus. Ils cherchent à s’accrocher au mode de vie de la classe moyenne : être bien habillé, avoir une part de plaisirs, ne pas être uniquement dans la contrainte. Et quand tout s’effrite, c’est par la consommation qu’on trouve une place dans la société. » Or, ce que leur renvoient les commentaires, c’est qu’ils ne devraient pas s’autoriser ces « petits plaisirs ». « C’est très violent, socialement. C’est une façon de dire qu’ils doivent se satisfaire de leur place », poursuit la sociologue.

      Recontacté après la parution de l’article, Arnaud assure que les commentaires virulents « lui passent complètement au-dessus ». A ceux qui les jugent, il répond simplement ceci : « Si les gens veulent échanger, je prends leur vie sans hésiter. »

      Faustine Vincent
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/20/pourquoi-le-quotidien-d-un-couple-de-gilets-jaunes-derange-une-partie-des-le

  • Pourquoi le quotidien d’un couple de « gilets jaunes » dérange des lecteurs, Faustine Vincent
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/20/pourquoi-le-quotidien-d-un-couple-de-gilets-jaunes-derange-une-partie-des-le

    Le portrait, dans « Le Monde », de jeunes parents mobilisés dans le mouvement a suscité un déluge de commentaires désobligeants à leur égard.

    Dès la parution de l’article du Monde, ce fut un déferlement. Le portrait d’Arnaud et Jessica, un couple de jeunes parents mobilisés dans le mouvement des « #gilets_jaunes » et témoignant de leurs fins de mois difficiles, a suscité plus de 1 000 commentaires sur le site du Monde, et des centaines d’autres sur Twitter et Facebook.
    Une écrasante majorité d’entre eux expriment une grande hostilité à l’égard du mode de vie de cette famille, installée dans l’Yonne. Tout leur est reproché : le fait qu’ils aient quatre enfants à 26 ans, qu’ils touchent 914 euros d’#allocations familiales, que la mère ne travaille pas – même si c’est pour éviter des frais de garde trop élevés –, le montant de leurs forfaits téléphoniques, le fait qu’ils aillent au McDo, qu’ils achètent des vêtements de marque à leurs enfants, et même qu’ils aient un chien.

    « Ceux qui sont choqués sont issus des classes supérieures. Cela relève d’une haine sociale et d’un mépris de classe », Louis Maurin
    La virulence des commentaires sur Internet n’est ni une nouveauté ni représentative de l’ensemble de la population. Pour autant, le déluge d’attaques dont le couple fait l’objet interroge. Pourquoi tant d’hostilité ? « Si l’article était paru dans la presse locale, cela n’aurait pas suscité de réaction, car c’est ce que les gens vivent. Il décrit simplement le quotidien d’une famille #populaire, observe Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Ceux qui sont choqués sont issus des classes supérieures [surreprésentées parmi les lecteurs du Monde]. Cela relève d’une haine sociale et d’un mépris de classe », estime-t-il. Parmi les commentateurs figurent également des partisans d’Emmanuel Macron. L’un d’eux affirme ainsi que « rien ne démontre que la politique menée par [le président] et son gouvernement leur ait enlevé un centime de pouvoir d’achat ».

    « Ils ne savent pas gérer leur budget »

    Beaucoup ont sorti leur calculatrice pour se pencher sur les comptes du jeune couple, en additionnant le salaire d’Arnaud (1 493 euros) et les aides dont il bénéficie, moins les dépenses figurant dans l’article – lequel ne se voulait pas exhaustif et ne mentionnait donc pas certains frais comme la cantine des enfants, les transports en commun, la mutuelle, la redevance télé, l’abonnement à Internet, etc. Or, une fois le calcul fait, les lecteurs sont formels, « ils ne savent pas gérer leur budget ».

    #allocataires #revenu #travailleurs_pauvres