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  • Les « commentaires racistes et xénophobes » d’Albert Einstein | Slate.fr
    http://www.slate.fr/story/163142/albert-einstein-racisme

    Quand on évoque Albert Einstein, on pense « théorie de la relativité », « E=mc2 » ou à la célèbre photo où il tire la langue. La publication en mai dernier des carnets de voyage du physicien théoricien par la Princeton University Press nous en apprend un peu plus sur la « personnalité du siècle » : Einstein était raciste.

    Les journaux d’Einstein documentent ses cinq mois et demi de voyage en Chine, à Singapour, Hong Kong, au Japon et en Espagne entre 1922 et 1923. C’est la première fois que ces écrits sont mis à disposition du grand public. Le scientifique parle de science, de philosophie, d’art et de ses rencontres : « Les Chinois sont des personnes industrieuses, sales et obtuses. Ils ne s’assoient pas sur les bancs pour manger, ils s’accroupissent comme les Européens qui se soulagent dans les bois. Tout ça se passe dans le silence et la pudeur. Même les enfants sont sans âmes et obtus », lit-on dans un des extraits de ses carnets de voyage.

    À LIRE AUSSI Le vol du cerveau d’Einstein
    Une personnalité en inadéquation avec son image publique

    Albert Einstein était connu pour ses actions humanitaires : prix Nobel de physique en 1921, il s’est notamment investi en faveur de la paix et de la coopération internationale. En 1946, lors d’un discours à l’université de Lincoln, ce défenseur des droits civiques avait aussi décrit le racisme comme la « maladie de l’homme blanc ». Pourtant, lui aussi, semble souffrir de cette maladie.

    « Les commentaires racistes et xénophobes dans ses récits sont à l’opposé de son image d’icône humaniste. C’est un choc de lire ses pensées et de les comparer à ses déclarations publiques. Il ne s’attendait pas à ce qu’on les publie », explique Ze’ev Rosenkranz, éditeur et traducteur des carnets de voyage et rédacteur en chef du Einstein Papers Project (système d’archivage qui vise à rassembler tous les écrits du scientifique).

    Ewan Palmer de Newsweek renchérit : « Ces publications nous permettent d’en savoir un peu plus sur la personnalité des célébrités. Pour Einstein, c’est vraiment intéressant de voir une telle différence entre l’image publique et la réalité historique ».

    autres sources cités dans l’article :

    http://www.newsweek.com/albert-einsteins-racist-views-chinese-revealed-previously-unseen-travel-97

    https://www.theguardian.com/books/2018/jun/12/einsteins-travel-diaries-reveal-shocking-xenophobia

    #grand_homme #racisme #imposteur
    Pour le pacifisme d’Einstein voici la lettre qu’il ecrivit à Roosvelt avant l’utilisation des bombes sur Hiroshima et Nagazaki.

    Monsieur,

    Un travail récent d’E. Fermi et L. Szilard, dont on m’a communiqué le manuscrit, me conduit à penser que l’uranium va pouvoir être converti en une nouvelle et importante source d’énergie dans un futur proche. Certains aspects de cette situation nouvelle demandent une grande vigilance et, si nécessaire, une action rapide du gouvernement. Je considère qu’il est donc de mon devoir d’attirer votre attention sur les faits et recommandations suivantes :

    Au cours des quatre derniers mois, grâce aux travaux de Joliot en France et ceux de Fermi et Szilard en Amérique, il est devenu possible d’envisager une réaction nucléaire en chaîne dans une grande quantité d’uranium, laquelle permettrait de générer beaucoup d’énergie et de très nombreux nouveaux éléments de type radium. Aujourd’hui, il est pratiquement certain que cela peut être obtenu dans un futur proche.

    Ce fait nouveau pourrait aussi conduire à la réalisation de bombes, et l’on peut concevoir – même si ici il y a moins de certitudes – que des bombes d’un genre nouveau et d’une extrême puissance pourraient être construites. Une seule bombe de ce type, transportée par un navire et explosant dans un port pourrait en détruire toutes les installations ainsi qu’une partie du territoire environnant. On estime néanmoins que des bombes de cette nature seraient trop pesantes pour être transportées par avion.

    Les Etats-Unis n’ont que de faibles ressources en uranium. Le Canada est assez bien pourvu, ainsi que l’ancienne Tchécoslovaquie, mais les principaux gisements sont au Congo belge.
    Devant cette situation, vous souhaiterez peut-être disposer d’un contact permanent entre le gouvernement et le groupe des physiciens qui travaillent en Amérique sur la réaction en chaîne. Une des possibilités serait de donner cette tâche à une personne qui a votre confiance et pourrait le faire à titre officieux. Cette personne devrait être chargée des missions suivantes.

    a) Prendre l’attache des différents ministères, les tenir informés des développements à venir, faire des propositions d’action au gouvernement, en accordant une attention particulière à la question de l’approvisionnement américain en uranium.

    b) Accélérer les travaux expérimentaux qui sont actuellement menés sur des budgets universitaires limités, en leur apportant un financement complémentaire, si besoin est, grâce à des contacts avec des personnes privées désireuses d’aider cette cause et en obtenant peut-être la
    collaboration de laboratoires industriels disposant des équipements requis.

    J’ai appris que l’Allemagne vient d’arrêter toute vente d’uranium extrait des mines de Tchécoslovaquie dont elle s’est emparée. Le fils du vice-ministre des Affaires étrangères allemand, von Weizsäcker, travaille à l’Institut Kaiser Wilhelm de Berlin, où l’on a entrepris de répéter des expériences américaines sur l’uranium. Voilà ce qui explique peut-être la rapidité de cette décision.

    Sincèrement vôtre.

    https://www.deslettres.fr/lettre-dalbert-einstein-au-president-franklin-d-roosevelt-des-bombes-dun-

    Pour sa misogynie il y a quelques infos en cherchant Mileva Marić

    Ici une lettre qu’il a adressé à Mileva :

    le 18 juillet 1914

    A. Assure-toi

    1) que mes vêtements et mon linge soient tenus en bon ordre et en bon état.

    2) que je reçoive régulièrement mes trois repas dans ma chambre.

    3) que ma chambre et mon bureau soient toujours tenus propres, en particulier, que le bureau ne soit accessible qu’à moi seul.

    B. Tu renonces à toutes relations personnelles avec moi tant qu’elles ne sont pas absolument indispensables à des fins sociales. Plus précisément, fais sans

    1) ma présence à tes côtés à la maison.

    2) mes sorties ou voyages avec toi.

    C. Dans tes relations avec moi, engage-toi explicitement à adhérer aux points suivants :

    1) tu ne dois ni espérer de l’intimité de ma part ni me reprocher quoi que ce soit.

    2) tu dois cesser immédiatement de t’adresser à moi si je le demande.

    3) tu dois quitter ma chambre ou mon bureau immédiatement sans protester si je te le demande.

    D. Tu t’engages à ne pas me dénigrer, en mot ou en acte, devant mes enfants.

    https://www.deslettres.fr/lettre-deinstein-sa-femme-tu-renonces-toutes-relations-personnelles-avec-

    Sur les soupçons d’appropriation du travail scientifique de Mileva par Albert :

    By the end of their classes in 1900, Mileva and Albert had similar grades (4.7 and 4.6, respectively) except in applied physics where she got the top mark of 5 but he, only 1. She excelled at experimental work while he did not. But at the oral exam, Professor Minkowski gave 11 out of 12 to the four male students but only 5 to Mileva. Only Albert got his degree.

    Meanwhile, Albert’s family strongly opposed their relationship. His mother was adamant. “By the time you’re 30, she’ll already be an old hag!” as Albert reported to Mileva in a letter dated 27 July 1900, as well as « She cannot enter a respectable family ”. Mileva was neither Jewish, nor German. She had a limp and was too intellectual in his mother’s opinion, not to mention prejudices against foreign people. Moreover, Albert’s father insisted his son found work before getting married.

    In September 1900, Albert wrote to Mileva: “I look forward to resume our new common work. You must now continue with your research – how proud I will be to have a doctor for my spouse when I’ll only be an ordinary man.“ They both came back to Zurich in October 1900 to start their thesis work. The other three students all received assistant positions at the Institute, but Albert did not. He suspected that professor Weber was blocking him. Without a job, he refused to marry her. They made ends meet by giving private lessons and “continue[d] to live and work as before.“ as Mileva wrote to her friend Helene Savić.

    On 13 December 1900, they submitted a first article on capillarity signed only under Albert’s name. Nevertheless, both referred to this article in letters as their common article. Mileva wrote to Helene Savić on 20 December 1900. “We will send a private copy to Boltzmann to see what he thinks and I hope he will answer us.” Likewise, Albert wrote to Mileva on 4 April 1901, saying that his friend Michele Besso “visited his uncle on my behalf, Prof. Jung, one of the most influential physicists in Italy and gave him a copy of our article.”

    The decision to publish only under his name seems to have been taken jointly. Why? Radmila Milentijević, a former history professor at City College in New York, published in 2015 Mileva’s most comprehensive biography(1). She suggests that Mileva probably wanted to help Albert make a name for himself, such that he could find a job and marry her. Dord Krstić, a former physics professor at Ljubljana University, spent 50 years researching Mileva’s life. In his well-documented book(2), he suggests that given the prevalent bias against women at the time, a publication co-signed with a woman might have carried less weight.

    We will never know. But nobody made it clearer than Albert Einstein himself that they collaborated on special relativity when he wrote to Mileva on 27 March 1901: “How happy and proud I will be when the two of us together will have brought our work on relative motion to a victorious conclusion.”

    Then Mileva’s destiny changed abruptly. She became pregnant after a lovers’ escapade in Lake Como. Unemployed, Albert would still not marry her. With this uncertain future, Mileva took her second and last attempt at the oral exam in July 1901. This time, Prof. Weber, whom Albert suspected of blocking his career, failed her. Forced to abandon her studies, she went back to Serbia, but came back briefly to Zurich to try to persuade Albert to marry her. She gave birth to a girl named Liserl in January 1902. No one knows what happened to her. She was probably given to adoption. No birth or death certificates were ever found.

    https://blogs.scientificamerican.com/guest-blog/the-forgotten-life-of-einsteins-first-wife

  • Libéralisme : l’heure de payer l’addition Alternatives Economiques - Christian Chavagneux - 15 Mars 2018
    https://www.alternatives-economiques.fr/christian-chavagneux/liberalisme-lheure-de-payer-laddition/00083626

    Un sondage ne fait pas un pays mais celui d’OpinionWay pour le Printemps de l’économie 2018 surprend par la violence qu’il exprime du rejet de la mondialisation par les Français. Avec pour conséquence une forte demande de protectionnisme et un pessimisme qui n’augurent rien de bon. En prônant l’ouverture à tout crin et en refusant d’en traiter les effets anti-redistributifs, le libéralisme économique finit par produire sa propre remise en cause.

    Un rejet généralisé
    Premier résultat : 60 % des Français ont une mauvaise opinion de la mondialisation. En termes d’âge, on trouve les plus récalcitrants chez les 50 ans et plus. Mais la moitié des moins de 35 ans déclarent également leur méfiance : terrible constat d’une jeunesse pour moitié repliée sur elle-même ! Et le discours sur la différence entre des élites bien formées mondialisées et des ouvriers peu formés nationalistes ne fonctionne pas : 58 % des CSP+ ont une mauvaise opinion de la mondialisation.

    Sur quoi se fonde ce rejet ? Plusieurs points saillants émergent : ce sont les multinationales qui font majoritairement la loi, l’Asie et les Etats-Unis sont les gagnants et l’Europe est parmi les perdants. La mondialisation est perçue comme poussant à l’innovation technologique mais dégrade l’environnement, ne réduit pas la pauvreté et va à l’encontre de l’égalité entre hommes et femmes. De plus, quasiment la moitié des Français pensent qu’elle a des effets négatifs sur la croissance, 58 % qu’elle réduit leur pouvoir d’achat, 64 % qu’elle a des effets négatifs sur l’emploi et 65 % sur les salaires.

    Un sentiment pessimiste
    A partir de ce constat, nulle surprise sur les solutions : le protectionnisme commercial est plébiscité. 66 % des Français souhaitent l’imposition de normes plus strictes sur les produits entrants et sortants.
    L’avenir n’est pas rose : les trois-quarts des sondés pensent que la mondialisation économique va continuer à s’étendre, 60 % que c’est incompatible avec la lutte contre le changement climatique et 54 % cela se traduira par encore plus d’uniformisation culturelle.
    Les débats entre économistes sur le ralentissement de la mondialisation et le fait qu’elle ait atteint un plateau n’ont donc pas d’effets sur l’opinion française, pas plus que le travail des anthropologues du politique soulignant combien face à un capitalisme mondialisé chaque territoire se l’approprie de manière différente, loin de toute uniformisation.
    Du fait de la mondialisation, 71 % des Français sont inquiets pour leurs enfants, 67 % pour l’avenir de la France, 65 % pour l’avenir du monde et 63 % pour leur propre avenir. Un tableau noir.

    Le prix d’un trop fort libéralisme
    Ce sondage ne fait que confirmer ce que le Brexit, l’élection de Donald Trump et la montée des partis nationalistes nous clament plus fortement : faute d’avoir reconnu les #coûts_sociaux qu’il engendre et accepté de les traiter, le #libéralisme_économique fait désormais l’objet d’un rejet croissant.
    Les libéraux vantent les effets positifs de la mondialisation commerciale sur le pouvoir d’achat puisque l’on achète des produits moins chers ailleurs. Mais un pays peut également y perdre des emplois ou connaître une pression à la baisse sur les salaires. Quel effet l’emporte ? La seule étude récente sur le sujet a été proposée à l’été 2017 par la Banque d’Angleterre sur le secteur textile britannique. Résultat : d’un côté, un gain de pouvoir d’achat cumulé grâce à l’ouverture de 3 %, de l’autre, une perte de 1,25 %.
    Au niveau macroéconomique, les gains s’avèrent donc supérieurs aux pertes. Généralement, les libéraux s’arrêtent là. Sauf que les gains bénéficient à tous les consommateurs tandis que les pertes sont concentrées sur quelques territoires. L’étude regarde alors de près les marchés du travail : les régions qui concentraient une plus grande part d’industrie textile au début des années 1980 ont connu une plus faible croissance de l’emploi que les autres et un retrait plus marqué des personnes du marché du travail. Un effet qui se fait toujours sentir…

    Les coûts locaux de la mondialisation

    Une étude récente de la Banque de France s’interroge, elle, sur le coût local des importations chinoises en France. Résultat : sur la période 2001-2007, une perte d’environ 90 000 emplois dans le secteur manufacturier, soit 13 % du déclin sur la période... mais aussi 190 000 en dehors de ce secteur. L’explication ? La baisse de l’emploi manufacturier induit une baisse de la demande locale, qui fait largement sentir ses effets sur les secteurs a priori protégés de la concurrence internationale.
    Enfin, une récente recherche du Fonds monétaire international aboutit à trois résultats importants. Tout d’abord, participer à la mondialisation accroît la richesse d’un pays. Ensuite, plus le niveau d’intégration internationale d’un pays est élevé, plus les gains qu’il tire d’une poursuite de l’intégration diminue. Enfin, les gains de la mondialisation profitent aux plus riches et accroissent les #inégalités. La France se situe clairement dans la catégorie des pays mondialisés qui ne profitent plus d’une ouverture supplémentaire, la mondialisation étant l’un des facteurs expliquant la montée des inégalités.

    Bref, la #mondialisation fait des gagnants mais aussi des #perdants. Les #politiques suivies ces dernières décennies n’ont pas suffisamment cherché à aider ceux qui sont tombés du mauvais côté. Aujourd’hui, ils répondent. Si cela conduit finalement à une mondialisation raisonnable et à un capitalisme moins libéral et moins inégalitaire, on s’en sortira bien. Mais la probabilité d’une montée des #guerres_commerciales n’est pas exclue. Ni même qu’au-delà du seul libéralisme économique débridé, la démocratie soit aussi emportée par le flux.

    • L’intérêt de cet article est dans le chiffrage du rejet de la mondialisation par les français.
      En tant qu’ économiste et éditorialiste , Christian Chavagneux essaye de justifier à tous prix la #mondialisation_heureuse.
      Il ne doit pas souvent aller dans la rue ce monsieur, il est vrai qu’il écrit avant tout pour ses lecteurs.

      Article tiré de la revue de presse du site Les Crises, ( Olivier Berruyer ) mis à l’index par le décodex du nomde.
      https://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-17032018

    • Article tiré de la revue de presse du site Les Crises, ( Olivier Berruyer ) mis à l’index par le décodex du nomde.

      Du « nomde » ? mais de quoi l’Immonde est-il le nom ?

      Sinon, c’est bien de mettre l’intégralité des articles munis d’un « paywall » à retardement.

    • Un sondage d’OpinionWay vient d’être réalisé sur la « mondialisation » et ses résultats sont sans appels[1]. Les français rejettent dans leur grande majorité cette « mondialisation » et se prononcent même, à près de 66%, pour une forme de retour au protectionnisme. Certains vont se lamenter sur le « manque de culture économique » des français. D’autres feront remarquer, et cela est vrai, que ce sondage n’est qu’un sondage. Mais, ce sondage a été réalisé pour le « Printemps de l’Economie », une manifestation soutenue par la Caisse des Dépôts et Consignations[2].
      Ce sondage survient après l’interruption du processus du TAFTA mais après, aussi, l’approbation du CETA par l’Union européenne[3]. Il a donc valeur de témoignage. Il a été réalisé par des personnes et pour des personnes qui sont en réalités favorables à la mondialisation. Le fait qu’il donne des résultats aussi contraires à leurs attentes est, de ce point de vue, hautement symbolique.

      Un rejet général
      La première chose qu’il convient de retenir de ce sondage, c’est qu’il exprime un rejet quasi-général de la « mondialisation ». Pas moins de 60% des personnes interrogées ont une opinion négative de la mondialisation. En fait, seul 3% des personnes interrogées ont une « très bonne » opinion de la mondialisation alors que 14% en ont une « très mauvaise ». Le clivage est net.


      Source : sondage OpinionWay, réalisé au mois de mars 2018 pour le Printemps des économistes
      Par ailleurs, quand on regarde la répartition de ces opinions, on constate que le taux le plus élevé de « mauvaise opinion » est situé dans la tranche d’âge qui va de 50-64 ans, autrement dit les personnes les plus vulnérables au risque prolongé de chômage. Il est ici important de noter que l’appartenance aux catégories socio-professionnelles les plus élevées (CSP+) n’a pratiquement pas d’impact sur les mauvaises opinions quant à la mondialisation. Les CSP+ ont une mauvaise opinion à 58% et les CSP- à 60%.

      Cela signifie qu’une majorité absolue de nos concitoyens n’adhère plus à la doxa libérale qui veut que le libre-échange et la mondialisation soient de bonnes choses pour tous. C’est, ici, un changement important de l’opinion. Il n’est pas étonnant car cette même doxa ne s’appuyait pas sur des faits mais sur une forme de présentation de l’histoire économique et sociale hautement tendancieuse.

      On a pu avoir en effet l’impression, et peut-être l’illusion, que c’était par l’abolition des barrières aux échanges que l’on avait obtenu la croissance très forte. Des travaux, parmi lesquels on doit inclure ceux de Dollar, en 1992[4], de Ben-David, en 1993[5], de Sachs et Warner, en 1995[6], et de Edwards en 1998[7], ont cherché à établir ce fait.

      Mais, de manière générale, les tests statistiques et économétriques pratiqués donnent des résultats qui sont pour le moins très ambigus. On peut en déduire que, pour certains pays, l’ouverture a eu des résultats positifs, mais non pour d’autres. Cependant, on peut aussi en déduire que si une politique qui associe l’ouverture à de bonnes mesures macroéconomiques est meilleure qu’une politique associant le protectionnisme à des mauvaises mesures macroéconomiques, ceci tient bien plus à la qualité des dites mesures macroéconomiques qu’à celle de l’ouverture[8]. De fait, les pays qui ont associé des politiques protectionnistes à des bonnes politiques macroéconomiques connaissent des taux de croissance qui sont largement supérieurs à ceux des pays plus ouverts, ce qui invalide le résultat précédent sur l’ouverture[9]. Ceci nous ramène à la problématique du développement, qui s’avère être autrement plus complexe que ce que les partisans d’un libre-échange généralisé veulent bien dire. Les travaux d’Alice Amsden[10], Robert Wade[11] ou ceux regroupés par Helleiner[12] montrent que dans le cas des pays en voie de développement le choix du protectionnisme, s’il est associé à de réelles politiques nationales de développement et d’industrialisation[13], fournit des taux de croissance qui sont très au-dessus de ceux des pays qui ne font pas le même choix. Le fait que les pays d’Asie qui connaissent la plus forte croissance ont systématiquement violé les règles de la globalisation établies et codifiées par la Banque mondiale et le FMI est souligné par Dani Rodrik[14].

      En fait, le protectionnisme s’avère bien souvent une voie plus sure et plus rapide vers la croissance que le libre-échange et, ce point est d’ailleurs régulièrement oublié par les thuriféraires du libre-échange, c’est la croissance dans chaque pays qui porte le développement des échanges internationaux et non l’inverse.

      L’opinion des personnes interrogées dans le cadre du sondage OpinionWay réalisé pour Le Printemps des Economistes met d’ailleurs bien en lumière que pour plus de 56% des personnes interrogées, les règles du commerce international sont conçues pour et par les multinationales.

      Les raisons de ce rejet
      Il est alors important de regarder quelles sont les raisons pour lesquelles les personnes interrogées rejettent la « mondialisation ». La raison majeure est l’opinion très négative des conséquences de la mondialisation sur l’environnement. Pour 70% des personnes interrogées, la mondialisation a des effets négatifs ou n’améliore pas vraiment la situation. Puis, viennent les questions liées à la santé, à la pauvreté et aux inégalités. C’est dire à quel point la « mondialisation » est mal perçue par les français.

      Si l’on pose aux personnes interrogées des questions concernant la situation en France, on voit alors surgir la question des salaires et de l’emploi (plus de 64% des personnes pensent que la mondialisation est mauvaise sur ces points), mais aussi les questions de l’environnement, du pouvoir d’achat et de la croissance. C’est donc un bilan très négatifs que tirent les français de la « mondialisation ».

      De fait, le passage progressif à la globalisation marchande a permis de faire passer, dans le discours tenus par les principaux pays européens, les mesures destinées à faire baisser la part des salaires et surtout les salaires d’ouvriers pour une évidence, une sorte de « loi de la nature ». Il n’y avait pourtant rien de « naturel » à cela. Les transformations du cadre d’insertion international sont bien le produit de politiques. Mais, par l’illusion d’une « contrainte extérieure » s’appliquant hors de toute politique, ce discours a produit un mécanisme progressif d’acceptation des mesures qui étaient ainsi préconisées. On constate alors, pour presque tous les pays[15], un accroissement du coefficient, et donc des inégalités qui se creusent entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 1990, au moment où l’on procède aux grandes déréglementations dans le domaine du commerce international.

      Le phénomène de pression à la baisse sur les salaires engendré par le libre-échange et la « mondialisation » est évident pour les pays les plus développés. On le constate aux Etats-Unis par exemple[16]. Pour mesurer l’impact de la déflation salariale importée, il faut commencer par établir l’écart entre les gains de productivité et ceux de l’ensemble des salaires nets à l’image de ce qui s’est passé dans d’autres pays[17]. On rappelle que l’on avait fait ce calcul dans l’ouvrage de 2011 « La Démondialisation »[18], ouvrage que l’on peut considérer comme largement validé par ce sondage de 2018. L’évolution des rémunérations salariales a ainsi été très désavantageuse pour les salariés à bas revenus à partir de 1983. Ce phénomène s’est amplifié au tournant des années 1999-2002. On peut donc bien parler d’une contre-révolution conservatrice qui s’est jouée en deux temps. La déflation salariale est donc indiscutable et c’est elle qui explique le phénomène de ralentissement de l’inflation générale à la fois directement, par la modération des salaires et donc par des coûts à profit égal et même croissants, et indirectement, par le biais de la pression qu’exercent les chômeurs. Cette déflation salariale a été le résultat de la mise en concurrence des travailleurs français avec les travailleurs d’autres pays dont le niveau de salaires était incomparablement plus bas.

      La phase dans laquelle nous sommes toujours plongés, a vu les salaires évoluer sous la contrainte des importations de produits issus des pays à faibles coûts salariaux. C’est le résultat de la politique d’ouverture qui a été menée dans la période précédente. Ici, on peut mesurer directement les effets de la globalisation marchande sur l’économie française. Celle-ci se traduit non seulement par un accroissement plus faible que celui de la productivité pour la moyenne des salaires (ce phénomène étant particulièrement sensible dans l’industrie manufacturière), mais aussi par une augmentation des inégalités au sein du salariat et, en particulier, la stagnation du salaire médian par comparaison à la faible – mais constante – hausse du salaire moyen. Dans cette phase, la loi sur les 35 heures a bien joué un rôle correctif, contrairement à ce qui avait été affirmé avant et après qu’elle soit votée. Mais le rôle de cette dernière a été des plus limités. Dès les années 2000-2002, les effets du passage aux 35 heures semblent s’épuiser.

      La globalisation peut donc être tenue responsable d’une très large part de ce processus qui a abouti à un retard salarial important dans notre pays. Ce retard a aussi engendré un déficit de croissance, qui est venu lui-même renforcer les effets de la globalisation marchande par la montée du chômage et la pression que ce dernier exerce sur les rémunérations des personnes les plus exposées.

      Un retour vers le protectionnisme ?
      Ce sondage OpinionWay valide aussi l’idée d’un retour vers des formes de protectionnisme. Il montre que 66% des personnes interrogées sont en faveur de normes plus strictes sur les produits entrants ou sortants.

      Il faut ici revenir sur l’impact de la globalisation sur l’économie française, tout en précisant que des conclusions analogues pourraient être tirées pour la plupart des grands pays développés. Les conséquences sur l’économie française ont été importantes. Elles tendent à se diviser en un effet de délocalisation[19] (direct et indirect) et un effet sur la formation et répartition des revenus[20].

      Il ne fait donc aucun doute que la pression concurrentielle issue des pays à faibles coûts salariaux, mais où la productivité tend, dans certaines branches, à se rapprocher des pays développés, est aujourd’hui extrêmement forte. Le problème semble particulièrement grave à l’intérieur de l’Union européenne puisque l’on constate un très fort avantage compétitif des « nouveaux entrants », qui couvre désormais une très grande gamme de produits. L’idée de compenser l’écart abusif des coûts salariaux unitaires entre les différents pays par des taxes touchant les produits pour lesquels ces coûts sont les plus dissemblables, a donc fait son chemin. Par rapport aux protections qui ont été mises en place antérieurement, il faut ici signaler que ces taxes devraient être calculées à la fois par pays et par branche d’activité. En effet, l’une des caractéristiques de la situation actuelle est que le niveau de productivité des pays susceptibles d’être visés par un tel système varie de manière tout à fait considérable d’une branche à l’autre. Il est ici clair qu’un seul niveau de taxe serait inopérant.

      L’heure est venue de revenir à des politiques nationales coordonnées, qui sont seules capables d’assurer à la fois le développement et la justice sociale. Ces politiques sont déjà à l’œuvre dans un certain nombre de pays. À cet égard, le retard qui a été pris sur le continent européen est particulièrement tragique. Sous prétexte de construction d’une « Europe » dont l’évanescence politique se combine à l’incapacité de mettre en œuvre de réelles politiques industrielles et sociale, nous avons abandonné l’horizon de ces politiques. Mais, comme le rappelle Dani Rodrik, le problème n’est plus le pourquoi de telles politiques mais il doit désormais en être le comment[21]. De telles politiques se doivent d’être globales et d’inclure la question du taux de change et celle de l’éducation et du développement des infrastructures. Il faut aujourd’hui constater que sur la plupart de ces points l’Union européenne, telle qu’elle fonctionne, s’avère être un redoutable obstacle. C’est en effet à l’Union Européenne que l’on doit les politiques d’ouverture qui ont accéléré la crise structurelle de nos industries depuis les années 1990. C’est toujours à l’Union européenne que l’on doit la détérioration croissante du système d’infrastructures dans le domaine de l’énergie et du transport qui fit pendant longtemps la force de notre pays. Il est possible de changer ces politiques. Mais, si les résistances devaient apparaître comme trop fortes, il faudrait se résoudre à renationaliser notre politique économique. Une action concertée avec d’autres pays européens est certainement celle qui nous offrirait le plus de possibilités, mais on ne doit nullement exclure une action au niveau national si un accord se révélait temporairement impossible avec nos partenaires.

      Pour la démondialisation
      Tels sont les enseignements de ce sondage. La mondialisation a été porteuse de bien des passions contradictoires. Elle a été adulée par les uns, vilipendée par les autres. Elle a eu ses thuriféraires comme ses opposants acharnés. Aujourd’hui qu’elle recule, certains y verront une régression alors que d’autres applaudiront un progrès.

      Pourtant, il ne devrait pas y avoir de problèmes à penser ce phénomène de la démondialisation. Le monde a connu en effet bien des épisodes de flux et de reflux. Mais il est vrai que cette démondialisation survient dans le sillage d’une crise majeure. Alors se réveillent de vieilles peurs. Et si cette démondialisation annonçait le retour au temps des guerres ? Mais ces peurs ne sont que l’autre face d’un mensonge qui fut propagé par ignorance, pour les uns, et par intérêts, pour les autres. Non, la globalisation ou la mondialisation ne fut pas, ne fut jamais « heureuse ». Le mythe du « doux commerce » venant se substituer aux conflits guerriers a été trop propagé pour ne pas laisser quelques traces… Mais, à la vérité, ce n’est qu’un mythe. Toujours, le navire de guerre a précédé le navire marchand. Que l’on se souvienne ainsi des « Guerres de l’Opium » qui vit la Grande-Bretagne alors triomphante imposer à la Chine l’ouverture de ses frontières au poison de la drogue. Les puissances dominantes ont en permanence usé de leur force pour s’ouvrir des marchés et modifier comme il leur convenait les termes de l’échange.

      La mondialisation que nous avons connue depuis près de quarante ans a résulté de la combinaison de la globalisation financière, qui s’est mise en place avec le détricotage du système hérité des accords de Bretton Woods en 1973, et de la globalisation marchande, qui s’est incarnée dans le libre-échange. À chacune de leurs étapes, ces dernières ont imposé leurs lots de violences et de guerres. Nous en voyons aujourd’hui le résultat : une marche généralisée à la régression, tant économique que sociale, qui frappe d’abord les pays dits « riches » mais aussi ceux que l’on désigne comme des pays « émergents ». Elle a conduit à une surexploitation des ressources naturelles plongeant plus d’un milliard et demi d’êtres humains dans des crises écologiques qui vont chaque jour empirant. Elle a provoqué la destruction du lien social dans un grand nombre de pays et confronté là aussi des masses innombrables au spectre de la guerre de tous contre tous, au choc d’un individualisme forcené qui laisse présager d’autres régressions, bien pires encore[22].

      De cette mondialisation, on a fait un mythe. Elle est apparue sous la plume de ses thuriféraires comme un être doté de conscience et d’omniscience, capable de réaliser le bonheur de tous. On nous a fait oublier que, produit de l’action humaine, elle était condamnée à connaître le sort des autres produits de l’action humaine, et donc à disparaître. On a voulu la comparer à une force transcendante pour mieux masquer les intérêts qu’elle a servis. En ceci, il faut voir une capitulation de la pensée. Dans ce fétichisme de la mondialisation, il y eut donc beaucoup de calculs, et donc beaucoup de mensonges. Ce livre a, entre autres, la volonté de rétablir quelques vérités sur la nature réelle du phénomène.

      Le tournant qui s’amorce sous nos yeux nous confronte à nos responsabilités. La démondialisation qui se met aujourd’hui en route à travers l’amorce d’une dé-globalisation, tant financière que marchande, ne se fera pas sans nous et sans notre action. Il est de notre pouvoir de construire l’avenir.

      [1] https://www.opinion-way.com/fr/component/edocman/opinionway-pour-le-printemps-de-l-economie-les-francais-et-la-mondialisation-mars-2018/viewdocument.html?Itemid=0
      [2] http://www.printempsdeleco.fr
      [3] http://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/ceta-aecg/text-texte/toc-tdm.aspx?lang=fra
      [4] D. Dollar, « Outward-Oriented Developeng Economies Really Do Grow More Rapidly : Evidence From 95 LDC, 1976-1985 », Economic Developemnt and Cultural Change, 1992, p. 523-554.
      [5] D. Ben-David, « Equalizing Exchange : Trade Liberalization and Income Convergenge », Quarterly Journal of Economics, vol. 108, n° 3, 1993.
      [6] J. Sachs, A. Warner, « Economic Reform and The Process of Global Integration », Brookings Paper on Economic Activity, n° 1, 1995, p. 1-118.
      [7] S. Edwards, « Opennes, Productivity and Growth : What We Do Really Know ? », Economic Journal, vol. 108, mars 1998, p. 383-398.
      [8] Voir D. Ben-David, « Equalizing Exchange : Trade Liberalization and Income Convergenge », op. cit.
      [9] Voir H.-J. Chang, « The Economic Theory of the Developmental State » in M. Woo-Cumings (dir.), The Developmental State, Ithaca, Cornell University Press, 1999 ; Kicking away the Ladder : Policies and Institutions for Development in Historical Perspective, Londres, Anthem Press, 2002.
      [10] A. Amsden, Asia’s Next Giant, New York, Oxford University Press, 1989.
      [11] R. Wade, Governing the Market, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1990.
      [12] G. K. Helleiner (dir.), Trade Policy and Industrialization in Turbulent Times, Londres, Routledge, 1994.
      [13] Voir C.-C. Lai, « Development Strategies and Growth with Equality. Re-evaluation of Taiwan’s Experience », Rivista Internazionale de Scienze Economiche e Commerciali, vol. 36, n° 2, 1989, p. 177-191.
      [14] D. Rodrik, « What Produces Economic Success ? » in R. Ffrench-Davis (dir.), Economic Growth with Equity : Challenges for Latin America, Londres, Palgrave Macmillan, 2007. Voir aussi, du même auteur, « After Neoliberalism, What ? », Project Syndicate, 2002 (www.project-syndicate.org/commentary/rodrik7).
      [15] L’exception étant la Grèce dont le coeeficient passe de 0,330 à 0,321. Pour la Suède, l’accroissement est important dans les années 1990 mais est compensé par une baisse dans les années 2000.
      [16] Voir A. Aaron-Dine, I. Shapiro, « Share of National Income Going to Wages and Salaries at Record Low in 2006 », Center of Budget and Policies Priorities, Washington (D. C.), 29 mars 2007 ; U. S. Department of Commerce, « Historical Income Tables – Income Inequality, Table IE-1 », Washington (D. C.), 13 mai 2005.
      [17] Voir J. Bernstein, E. McNichol, A. Nicholas, Pulling Apart. A State-by-State Analysis of Income Trends, Washington (D. C.), Center of Budget and Policy Priorities et Economic Policy Institute, avril 2008 ; J. Bivens, « Globalization, American Wages and Inequality », Economic Policy Institute Working Paper, Washington (D. C.), 6 septembre 2007.
      [18] Sapir J., La Démondialisation, Paris, Le Seuil, 2011.
      [19] Voir P. Artus « Pourquoi l’ouverture aux échanges semble être défavorables dans certains cas ? », Flash-IXIS, n° 2004-53, 17 février 2004.
      [20] Voir P. Artus, « Quels risques pèsent sur les salariés européens ? », Flash-IXIS, n° 2006-153, 11 avril 2006.
      [21] D. Rodrik, « Industrial Policy : Don’t Ask Why, Ask How », Middle East Development Journal, 2008, p. 1-29.
      [22] Voir J. Généreux, La Grande Régression, Seuil, 2010.

      Source : [RussEurope-en-Exil] France : le rejet massif de la mondialisation, par Jacques Sapir
      https://www.les-crises.fr/russeurope-en-exil-france-le-rejet-massif-de-la-mondialisation-par-jacque

  • Erik Prince, un « chien de guerre » dans les arcanes de la Maison Blanche

    http://www.lemonde.fr/international/article/2018/02/09/erik-prince-un-chien-de-guerre-dans-les-arcanes-de-la-maison-blanche_5254319

    Cet ancien militaire et fondateur de la société privée de sécurité Blackwater, jugée responsable d’exactions en Irak, a désormais ses entrées à Washington et envisage de se lancer en politique.

    Certains épisodes d’une vie ont l’apparence d’une incroyable répétition. Le 30 novembre 2017, la fine fleur du renseignement américain a les yeux rivés sur le Congrès, à Washington. Erik Prince, costume sombre et cravate rouge, cheveux ras, est convoqué par une commission d’enquête de la Chambre des représentants. Le fondateur de société militaire privée Blackwater et frère de la ministre de l’éducation Betsy DeVos est soupçonné d’avoir rencontré un financier russe aux Seychelles, neuf jours avant l’investiture du président Donald Trump, dans le but de créer un canal de communication discret entre le nouveau président des Etats-Unis et Vladimir Poutine. Cette rencontre, révélée en avril 2017 par le Washington Post, a encore un peu plus épaissi la ténébreuse affaire dite du Russiagate, l’enquête sur les interférences russes durant la présidentielle américaine.

    Devant une vingtaine d’élus, Erik Prince apparaît droit dans ses bottes, raide dans ses commentaires, sûr de lui. Lui, le baroudeur, l’ex-commando du corps d’élite des Navy Seals, l’ancien patron de l’armée privée la plus puissante au monde, le généreux donateur du Parti républicain et conseiller officieux du président. Il arbore un léger sourire en coin, presque hautain, impatient. Devant les élus, il ne dira pas grand-chose. Erik Prince accusera l’administration Obama de l’avoir surveillé illégalement, sans donner ses sources, ni convaincre les congressistes.

    Le rendez-vous aux Seychelles n’aurait, lui, duré qu’une demi-heure, peut-être même moins. Le temps d’une bière au bar d’un hôtel de luxe, « quatre étoiles ou plus », mais dont le nom lui échappe. Une discussion banale en somme, entre deux hommes d’affaires : « Je me souviens lui avoir dit que si Franklin Roosevelt a pu travailler avec Joseph Staline pour battre les nazis, alors Trump pourrait certainement travailler avec Poutine pour vaincre le fascisme islamique. Il semblait d’accord. » Rien d’autre. Pas de deal, aucun autre rendez-vous. Il ne se souvient même pas avoir échangé une carte de visite.

    « Rencontre d’affaires informelle »

    Le fait que son interlocuteur, Kirill Dmitriev, soit le patron du Fonds russe d’investissements directs, un consortium sous le coup de sanctions américaines depuis 2015, n’a pas l’air de l’émouvoir. Tout comme le fait que ce même Dmitriev, issu des premiers cercles de Poutine, croisera à Davos, une semaine après leur rencontre, Anthony Scaramucci, alors conseiller du président Trump avant de devenir brièvement son porte-parole.

    Le feu roulant de questions n’a pas d’effet. Erik Prince reste flou sur l’initiateur de la rencontre, « un des frères », se souvient-il vaguement, du prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed Ben Zayed. Un prince héritier présent lui aussi sur l’île des Seychelles le jour de la rencontre et avec lequel Prince dit s’être entretenu un peu plus tôt dans la soirée pour « parler affaires de manière informelle » et « partager quelques points de vue » sur le théâtre du monde, « ou ce genre de choses comme le terrorisme en Somalie, en Libye, au Nigeria ».

    Erik Prince restera tout aussi évasif sur une éventuelle intermédiation d’un de ses proches, Steve Bannon. L’éminence grise et directeur de campagne de Donald Trump avait rencontré discrètement l’homme fort d’Abou Dhabi en décembre 2016, à New York, dans la Trump Tower, en compagnie du gendre du président, Jared Kushner, et de Michael Flynn, alors futur conseiller à la sécurité nationale, aujourd’hui poursuivi dans l’enquête du Russiagate.

    Zones d’ombre

    Etrange prestation. L’audition aura duré plus de trois heures sans qu’Erik Prince ne dévoile quoi que ce soit. Trois heures pour protéger ses réseaux et défendre ses proches. Tout comme il l’avait fait il y a dix ans, ici même, au Capitole, devant une autre commission de la Chambre, le 2 octobre 2007. Ce jour-là, pour la première fois, le nom de M. Prince renvoyait à un visage. Et il affichait déjà un aplomb déconcertant. Jeremy Scahill, auteur à l’époque d’une somme sur le personnage (Blackwater : l’émergence de l’armée de mercenaires la plus puissante au monde, Actes Sud, 2008), dira même qu’il était « provocant ». Lui était là pour répondre sur les agissements de sa société Blackwater devenue le symbole d’une entreprise de cow-boys hors de contrôle et profiteurs de la guerre en Irak. Deux semaines plus tôt, le 16 septembre, une de ses équipes avait tué 17 civils irakiens place Nisour, en plein centre de Bagdad.

    Dix ans séparent les deux auditions. Dix années truffées de zones d’ombre. Comme si la vie d’Erik Prince n’était qu’une longue nage en eaux troubles, jalonnée de hauts et de bas, mais jamais terminée. Assis au bar du Mayflower, hôtel iconique de Washington, surchauffé en cette froide journée de janvier, l’homme sourit en attendant son rendez-vous avec Le Monde. Pendant tout l’entretien, il ne prononcera pas un mot de plus sur son escapade dans l’océan Indien. « Tenez-vous en au transcript de l’audition », conseille-t-il. Et puis ceci :

    « On me prête beaucoup, surtout les médias de gauche qui sont le plus grand fléau de notre démocratie. Ils cherchent à faire leurs choux gras sur mon nom depuis tant d’années. Oui, je représente tout ce que les démocrates aiment détester. »
    Pour comprendre ce qui anime Erik Prince, il faut explorer son histoire personnelle, démêler aussi les liens qu’il a tissés au fil de son ascension avec la frange la plus religieuse et conservatrice du Parti républicain, aujourd’hui au pouvoir. Né en 1969 à Holland, dans un quartier calme et tranquille, le jeune Prince appartient à une très riche et puissante famille de l’Etat du Michigan. Son père, Edgar, qui s’engagea deux ans dans l’US Air Force, fait fortune en créant une entreprise de pièces détachées pour automobiles, la Prince Manufacturing. Il sera l’inventeur du pare-soleil au miroir éclairé par un spot lumineux, un accessoire qui allait équiper pratiquement chaque voiture dans le monde et envoyer la famille Prince dans la sphère des milliardaires.

    Figure paternelle forte

    Les journées de seize à dix-huit heures ont raison de la santé du père, frappé au début des années 1970 par une crise cardiaque, à laquelle il survit. Déjà très croyant, Edgar Prince se rapproche encore un peu plus de Dieu. « C’est à ce moment-là, allongé dans son lit d’hôpital à méditer sur tout ce que son labeur lui avait apporté qu’il a renouvelé sa foi en Jésus-Christ », dira l’ami de la famille, Gary Bauer, un des leaders de la droite religieuse et fondateur du lobby chrétien de droite, le Family Research Council.

    Fidèle soutien du Parti républicain, adepte d’une économie de libre marché et désormais grand propagandiste des valeurs chrétiennes, l’industriel marie sa fille Betsy, sœur aînée d’Erik, à Dick DeVos. Le père du jeune homme, Richard DeVos, est le fondateur d’Amway, le géant de la vente directe en réseaux. Une entreprise qui deviendra dans les années 1990 une des sociétés les plus actives dans le processus électoral américain, en utilisant son infrastructure comme un réseau d’organisation politique. Unis, les clans DeVos et Prince deviennent également les principaux financiers du Forum familial du Michigan (MFF), la branche locale de Focus on the Family de James Dobson, une puissante organisation de la droite religieuse et des extrémistes chrétiens.

    Erik Prince est très proche de son père. Dès son enfance, il règle son pas sur le sien. « Je passais des heures à parler avec lui », se souvient-il. Jeune sportif, il joue au foot et au basket dans les écoles chrétiennes de Holland, soutenues financièrement par sa famille. Dans l’entreprise paternelle, il se familiarise avec les principes de la firme reproduits dans ses brochures : « Ce sont les gens qui font la différence » ou encore « l’excellence est le résultat de l’engagement et du dur labeur de personnes dévouées ». « Je crois que j’ai toujours sa voix au-dessus de ma tête, affirme Erik Prince. Cette idée d’être toujours le bon gars dans ce qu’on fait, faire le plus avec ce que l’on a. »

    « Vision du Bien et du Mal »

    Pour ses 7 ans, il s’envole avec ses parents en Europe. Au programme, les plages de Normandie, Munich et le camp de Dachau, Berlin et son Mur : « Cela a marqué le gamin que j’étais. Cette haute muraille, les champs de mines, les pièges à chars, les barbelés et tous ces fusils m’ont renvoyé l’image d’une nation devenue une gigantesque prison. La vision du Bien et du Mal s’est ancrée en moi, même si celle-ci s’est nourrie d’un peu de cynisme avec le temps. »

    Dans la maison des Prince, Erik croise régulièrement un nouvel ami de la famille, Chuck Colson, l’ancien conseiller spécial de Richard Nixon, perçu par beaucoup comme le « génie du mal » de l’ancien président. Colson fut la première personne à être condamnée dans l’affaire du Watergate après avoir plaidé coupable d’obstruction à la justice. Une fois sorti de prison, il écrivit Born Again, un livre évoquant sa conversion, et deviendra une des voix les plus influentes des mouvements évangéliques.

    Après le lycée, il rentre à l’Académie navale du Maryland. L’atmosphère ne lui plaît pas, trop dilettante et en même temps trop politiquement correcte à ses yeux. Il démissionne pour s’inscrire au Hillsdale College du Michigan, l’établissement le plus conservateur du pays d’après un classement de la Princeton Review. « Erik Prince était brillant et parlait bien, déclarera un de ses professeurs d’économie. Ce qui est bien chez lui, c’est qu’il comprend la relation entre le marché et le système politique. »

    Engagement politique

    Avec l’âge, Erik s’engage de plus en plus en politique. Il décroche un stage de six mois à la Maison Blanche sous George Bush père. Il a 19 ans et fait son premier don, d’un montant de 15 000 dollars, au Comité national républicain du Congrès. Un soir, sur une piste de bowling, il croise l’élu républicain californien Dana Rohrabacher. Prince lui fait part de ses critiques à l’égard d’une administration qu’il trouve trop peu conservatrice. Alors assistant spécial et rédacteur des discours de Ronald Reagan, il l’invite à travailler un temps dans son bureau. Les deux hommes ne se perdront plus de vue.

    Au cours de la première audition d’Erik Prince au Congrès, Dana Rohrabacher le soutiendra à sa manière, affirmant que son ami « était sur la voie pour devenir un héros américain tout comme l’était Oliver North », l’ancien colonel de l’armée américaine impliqué dans le scandale de l’Irangate au milieu des années 1980. L’élu ultraconservateur se rendra célèbre par la suite pour ses prises de position pro-russes. Plus récemment, il essaiera d’obtenir la grâce de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, auprès du président Trump. Depuis décembre 2017, Rohrabacher fait partie de la liste de personnalités interrogées dans le cadre de l’enquête russe.

    En 1992, Erik Prince s’emballe pour le candidat Pat Buchanan qui se présente avec un programme d’extrême droite, contre l’immigration, contre l’avortement et contre les homosexuels. La même année, il intègre les commandos Seals. Il servira en Haïti, en Bosnie et au Moyen-Orient, la plupart des points chauds du premier mandat Clinton. C’est durant ces quatre années, entre 1992 et 1996, qu’il rencontrera la plupart des personnes avec lesquelles il lancera Blackwater.

    Rester lié à l’armée

    Avec la mort de son père et un cancer en phase terminale diagnostiqué chez sa première femme, Erik Prince quitte les Seals en 1996 pour revenir auprès de sa famille. Celle-ci décide de vendre la société au groupe Johnson Controls pour 1,35 milliard de dollars, cash. « Je voulais rester lié à l’armée, expliquera Erik Prince quelques années plus tard. J’ai donc construit un complexe pour offrir un site de première classe aux militaires américains et aux alliés étrangers, ainsi qu’aux organismes de maintien de l’ordre, privés et gouvernementaux, qu’ils puissent se préparer à affronter le Mal. » En clair, un centre d’entraînement, qu’il inaugure en décembre 1996, à Moyock (Caroline du Nord), dans une immense tourbière située près de la base navale de Norfolk. L’année suivante, il acquiert plus de 2 000 hectares dans les comtés de Currituck et Camden voisins.

    L’époque est porteuse. Blackwater naît au moment d’une privatisation massive et sans précédent de l’armée, un mouvement lancé entre 1989 et 1993 par Dick Cheney du temps où il était le secrétaire à la défense de Bush père. Le budget de la défense est réduit de 10 milliards de dollars. Le nombre de soldats passe de 2,2 à 1,6 million. « L’idée était de réserver les troupes régulières pour le combat, tandis que les soldats privés s’occuperaient de la logistique à l’arrière-plan », écrit Dan Briody dans son livre The Halliburton Agenda (John Wiley and Sons Ltd, 2005, non traduit) sur l’entreprise Halliburton, premier fournisseur de matériel pour l’armée, que Cheney, futur vice-président de Bush fils, dirigea entre 1995 et 2000...

    Grâce à ses relations nouées dans l’armée, et aussi à celles tissées par son père et la famille DeVos au sein du Parti républicain, Erik Prince obtient rapidement des contrats avec le département de la défense, le renseignement et la police. En octobre 2000, l’attaque-suicide lancée par Al Qaida contre le destroyer USS Cole dans le port d’Aden (Yémen) jette une lumière crue sur les besoins en matière de protection de la marine américaine. Blackwater y gagne un contrat de 35,7 millions de dollars. Le 11-Septembre provoquera, lui, une nouvelle accélération cette privatisation de la chose militaire, reprise à son compte par le nouveau secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld.

    Proche d’une « société secrète »

    Prince est dans son élément. L’administration Bush fait appel à la droite la plus conservatrice et aux chantres du moins d’Etat. Le jeune homme d’affaires a maintenu des relations très proches avec certains acteurs du Conseil de la politique nationale (CNP), une organisation quasi secrète considérée comme l’un des piliers de la nouvelle droite, décrite par le New York Times comme « un club peu connu de quelques centaines des plus puissants conservateurs du pays qui se retrouvent derrières les portes fermées dans des lieux non divulgués pour une conférence confidentielle ».

    Le père Prince y avait exercé la fonction de vice-président. George W. Bush s’adressa au groupe en 1999, à la recherche de soutiens pour sa candidature. Dick Cheney, Donald Rumsfeld, John Bolton, ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU, et John Ashcroft, procureur général, participent à ses réunions, tout comme un certain Dan Senor, qui deviendra le premier assistant de Paul Bremer, le « pro-consul » américain en Irak de 2003 à 2005.

    Erik Prince est également un proche d’Alvin « Buzzy » Krongard, le directeur exécutif de la CIA. A l’époque, l’agence a besoin de protection en Afghanistan. Elle manque de personnel, tout comme l’armée, qui manque d’agents de sécurité statiques. Krongard signera plusieurs contrats avec Blackwater pour la protection de sites secrets ou stratégiques de la CIA aux quatre coins du globe, en pleine « guerre contre la terreur ».

    « Mr. Fix-it »

    Dès 2001, Blackwater devient un des principaux supplétifs de l’armée en Afghanistan, puis en Irak deux ans plus tard. Erik Prince passera également de multiples contrats avec le département d’Etat pour assurer la sécurité de ses agents et diplomates. Dans l’administration, on le surnomme « Mr Fix-it » (M. Le Réparateur). Il trouve les failles, pointe les erreurs des déploiements militaires, formule des propositions clés en main.

    « Le Pentagone a construit une puissance militaire considérable ces soixante-dix dernières années pour vaincre l’URSS, explique-t-il. Mais utiliser ces tactiques, ces équipements, ce potentiel pour combattre des gars en pick-up chaussés en tongs, cela ne marche pas. Comment expliquer que, pour un soldat américain déployé en première ligne, il faut douze hommes derrière ? Qu’un ravitaillement opéré par des hélicoptères sur des navires nécessite 35 hommes de la Navy alors que nous le faisons avec huit ? Blackwater était là pour fournir des approches viables et à moindres coûts. Notre business avait l’avantage d’être un mélange de mentalité de commando et des meilleures pratiques commerciales existantes. »

    Jusqu’au point de rupture. En 2007, 177 « sociétés militaires privées » (SMP) exercent en Irak. Près de 48 000 contractuels y sont répertoriés, soit quasiment un privé pour un soldat. Blackwater fait alors partie des trois plus importants fournisseurs avec 1 200 hommes en permanence sur place, 155 véhicules et 26 aéronefs. Cette année-là, la société d’Erik Prince atteint le chiffre record d’un milliard de dollars de contrats signés avec le gouvernement, cinq fois plus qu’en 2000.

    La bavure de la place Nisour

    Le carnage du 16 septembre 2007 à Bagdad marquera le début de la fin. Blackwater est mis en cause dans une dizaine d’incidents meurtriers depuis son arrivée en Irak. Mais cette fusillade est le scandale de trop. L’audition au Congrès d’Erik Prince n’y changera rien. Tout comme sa tentative de rebaptiser la firme Xe en 2009. Outre l’impunité, le grand public a pris en aversion Blackwater pour s’être enrichi sur le dos du contribuable et avoir profité des guerres en Irak et en Afghanistan. « Une armée à ce point fidèle aux causes de l’extrême droite qu’elle en est devenue une garde du Parti républicain », écrit la journaliste et essayiste Naomi Klein. Pour l’ancien ambassadeur américain en Irak Joseph Wilson, « l’histoire de cette entreprise de mercenaires démontre clairement les graves dangers qu’entraîne la sous-traitance de l’usage de la force qui est un monopole de l’Etat. »

    En 2010, Erik Prince vend la société et ses filiales pour au moins 200 millions de dollars, selon différentes sources. Deux ans plus tard, il trouve un arrangement avec le gouvernement fédéral à hauteur de 50 millions de dollars pour une longue liste de violations commises entre 2005 et 2008 au regard du droit américain. S’ensuit une longue procédure durant laquelle quatre membres de son équipe responsable de la fusillade à Bagdad seront lourdement condamnés par un tribunal de Washington. Leurs peines sont en cours de révision.

    Lui n’en démord pas. « Il n’y avait aucune raison de s’en prendre ainsi à Blackwater », soutient-il, avant d’accuser les politiques. « Il fallait cibler Erik Prince. Dès que l’administration Obama a été mise en place, j’ai subi d’énormes pressions fiscales, des audits. La justice ici n’est pas aveugle, elle est politique, qu’elle aille au diable ! »

    Diversification

    Erik Prince prend le large. Il s’installera trois ans à Abou Dhabi. Le temps d’élargir ses réseaux et trouver de nouveaux ancrages. En 2011, le New York Times révèle qu’il a signé un contrat de 529 millions de dollars pour mettre sur pied une armée secrète de 800 mercenaires pour le compte des Emirats arabes unis. D’après le quotidien, ce bataillon est chargé de mener des opérations spéciales à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, de défendre les oléoducs et les gratte-ciel contre d’éventuels actes terroristes et de réprimer les révoltes intérieures. Les officiels émiratis confirmeront dans un communiqué l’existence d’un contrat, signé avec Prince, de « formation, d’entraînement et de soutien opérationnel » à leur armée.

    Lui investit, s’essaie à la finance, crée des holdings, plusieurs sociétés écrans aussi. D’Asie en Afrique, en passant par l’Europe de l’Est et le Moyen-Orient, il se diversifie et brouille les pistes. En 2013, il crée Frontier Services Group (FSG), une société installée à Hongkong et spécialisée dans la logistique, les services de sécurité et d’aviation. Les premiers responsables sont, comme Prince, d’anciens soldats américains. Quelque 15 % du capital sont détenus par Citic, un important fonds d’investissement public chinois, très présent en Afrique. Dans la foulée, Prince achète des compagnies d’aviation au Kenya, des sociétés de transports au Congo.

    « Nous voulons être la première entreprise de logistique à couvrir l’ensemble du continent africain, même où cela semble dangereux », dit-il.
    En Autriche, il acquiert 25 % de la société d’aviation privée Airborne Technologies, spécialisée dans la transformation d’avions d’épandage agricole en vue d’une utilisation militaire ou de surveillance. Il acquiert encore 25 % encore des parts d’une entreprise chinoise ISDC, basée à Pékin, et présentée comme l’une des principales écoles de formation dans le domaine de la sécurité dans le monde.

    De nouveau, Prince est sur le devant de la scène. Le magazine Vanity Fair écrit qu’il travaille pour la CIA, Buzzfeed qu’il convoite les métaux rares en Afghanistan. Le quotidien espagnol ABC évoque un projet, financé par les Emirats arabes unis, d’invasion du Qatar, par l’armée privée de Prince. The Intercept, qui le suit à la trace, affirme que plusieurs enquêtes judiciaires américaines auraient été lancées contre lui pour avoir essayé de vendre des prestations militaires à des gouvernements étrangers. « Tout cela n’est que foutaises ! », écarte-t-il d’un revers de main. Il ne dira rien de plus.

    Le retour d’Erik Prince aux Etats-Unis correspond peu ou prou à la victoire de Donald Trump. Et visiblement, il fourmille d’idées. Au quotidien italien Corriere della Sera, il parle d’un projet destiné à résoudre la crise migratoire en Europe en créant une force de police de 650 hommes, formés par ses soins et postés à la frontière sud de la Libye. Dans un texte publié dans le Wall Street Journal, il expose un plan pour l’Afghanistan. « C’est la plus longue guerre de notre histoire, celle qui a coûté la vie à plus de 2 000 soldats américains et englouti près de 45 milliards de dollars de notre budget annuel pour un résultat désastreux », souligne-t-il. La solution passerait, selon lui, par le déploiement de moins 5 000 soldats contractuels, moins de 100 avions, pour un coût total d’à peine 10 milliards de dollars. Le pouvoir serait, lui, entre les mains un « vice-roi » américain nommé par l’administration Trump, à l’image des anciennes colonies britanniques.

    Candidat potentiel

    Le plan a été soumis à la Maison Blanche par l’entremise de Jared Kushner et Steve Bannon, qui y est très favorable. Les spécialistes l’ont vivement critiqué, le Pentagone l’a catégoriquement rejeté. « Les généraux sont très conventionnels », ironise l’homme d’affaires. De son côté, Donald Trump aurait dit à deux de ses conseillers d’examiner attentivement le projet. D’une source proche de la Maison Blanche, le secrétaire à la défense, le général issu des Marines James Mattis, aurait même apprécié l’état des lieux formulé par Prince, tout en écartant la solution proposée. « Ça viendra, glisse-t-il. La guerre a duré dix-sept ans, il faudra bien un jour ou l’autre explorer d’autres approches pour y mettre fin. »

    D’ici-là, Erik Prince dit ne pas écarter l’idée de se présenter à la primaire républicaine du Wyoming contre le sénateur sortant, le très populaire John Barrasso. Une candidature ardemment encouragée par l’ex-conseiller ultranationaliste Steven Bannon, inlassable pourfendeur de l’establishment républicain. « Le Wyoming est un des Etats les plus conservateurs du pays », explique l’ancien PDG de Blackwater, avant d’ajouter en forme d’autoportrait : « Il est composé d’hommes robustes. Les hivers y sont rudes. C’est un Etat qui a besoin d’un battant. » Les hostilités reprennent.

  • Joseph, G.G.: The Crest of the Peacock: Non-European Roots of Mathematics (Paperback and eBook) | Princeton University Press
    https://press.princeton.edu/titles/9308.html

    From the Ishango Bone of central Africa and the Inca quipu of South America to the dawn of modern mathematics, The Crest of the Peacock makes it clear that human beings everywhere have been capable of advanced and innovative mathematical thinking. George Gheverghese Joseph takes us on a breathtaking multicultural tour of the roots and shoots of non-European mathematics. He shows us the deep influence that the Egyptians and Babylonians had on the Greeks, the Arabs’ major creative contributions, and the astounding range of successes of the great civilizations of India and China.

    #décolonisation des #mathématiques ?

  • La rigueur scientifique à l’épreuve de la reproductibilité

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/10/02/la-rigueur-scientifique-a-l-epreuve-de-la-reproductibilite_5195088_1650684.h

    Les résultats d’une expérience doivent être reproduits pour être validés scientifiquement. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas.

    Il y a péril en la demeure. Le « système immunitaire de la science » connaît des ratés, comme le constate le psychologue Chris Chambers dans son livre, The Seven Deadly Sins of Psychology (« Les sept péchés mortels de la psychologie », Princeton University Press, non traduit). Le nom savant de cette défense est « reproductibilité », c’est-à-dire la possibilité de refaire et confirmer une ­expérience. « La reproductibilité et la réplication sont les pierres angulaires de la science. Sans elles, nous n’avons aucun moyen de savoir quelles découvertes sont vraies et lesquelles sont causées par le jeu du hasard, de l’erreur ou de la fraude, précise Chris Chambers, de l’université de Cardiff. On ne vole pas dans un avion qui n’a pas été rigoureusement testé, encore et encore. Il en va de même pour toutes les branches de la science. »

    En 2014, devant l’impossibilité de plusieurs laboratoires à répéter un protocole prétendant obtenir des cellules souches pluripotentes, l’équipe japonaise qui avait clamé la découverte dans Nature est contrainte d’avouer qu’elle a fraudé. La biologiste fautive, Haruko Obokata, a démissionné, et l’un de ses coauteurs, Yoshiki Sasai, pourtant innocenté, se suicidera.

    Idem pour une technique d’édition du génome, qui promettait de faire mieux que la très en ­vogue technique Crispr-Cas9. L’article, publié par Nature Biotechnology en 2016, a été retiré en août, après l’échec de plusieurs équipes à reproduire le résultat.

    Pourtant, en 2005, John Ioannidis, de l’université Stanford, ébranlait la communauté par un article dans PloS Medicine suggérant que « la plupart des résultats scientifiques sont faux », car impossibles à reproduire. De nombreuses expériences de réplication ont depuis été conduites, montrant l’ampleur de la défaillance du système. En 2012, une équipe de la société de biotechnologie Amgen expliquait n’avoir retrouvé les résultats publiés que dans six cas sur 53 en oncologie.

    En 2015, la première initiative du Centre pour la science ouverte aux Etats-Unis tente de reproduire 100 expériences de psychologie et n’y parvient que dans 39 cas. Deux ans plus tard, un programme identique de réplication en cancérologie publie ses premiers résultats. Sur sept études, quatre ont été reproduites, une autre n’a pu l’être et deux restent impossibles à interpréter. Reste encore 29 études à vérifier dans ce projet. Souvent, c’est la mauvaise interprétation de tests statistiques qui les rend fragiles à répliquer.

    Preuve supplémentaire du ­malaise, en mai 2016, Nature ­publiait un sondage dévastateur : 70 % des 1 576 répondants déclarent avoir échoué à reproduire un résultat et même 50 % à refaire leur propre expérience…

    L’heure est si grave qu’en janvier 2017, dix auteurs signent un « Manifeste pour la science reproductible », dans Nature Human Behaviour, appelant à plus de ­rigueur dans les méthodes, les comptes rendus et l’évaluation de la recherche.

    La « crise », comme elle a été baptisée, ne touche pas seulement la psychologie ou l’oncologie. En imagerie cérébrale par IRM fonctionnelle, plusieurs études ont montré que des activations de pixels jugées significatives sont en réalité des faux positifs. L’une de ces études montre qu’en fonction des méthodes utilisées, les images produites peuvent être fort différentes. « Dans mon équipe, nous testons nos méthodes sur plusieurs jeux de données afin d’éviter ces pièges », explique Bertrand Thirion, de l’Institut ­national de recherche en informatique et en automatique.

    En chimie, Raphaël Lévy de l’université de Liverpool cite, dans la revue Médecine/Sciences du 18 septembre, le cas de trois équipes dont les résultats publiés ne sont toujours pas corrigés malgré ses contestations et celles d’autres chercheurs auprès de la revue. « Le système n’encourage pas à la critique ni à la réplication des résultats. Il faut être un peu fou pour s’engager dans ces processus, même si ça ne nuit pas à ma carrière »,témoigne le chercheur. Les revues scientifiques ne sont en effet pas toujours promptes à corriger les erreurs publiées, qui entament leur réputation.

    « Le public a le droit de fonder sa confiance en la science sur la réalité et non sur la fiction. La science est sans aucun doute le meilleur moyen de découvrir la vérité sur le monde et de prendre des décisions rationnelles. Mais cela ne veut pas dire qu’elle ne peut pas ou ne ­devrait pas être améliorée. Nous devons trouver des solutions pratiques face à ses défauts », estime Chris Chambers.

    La liste qu’il propose dans son ­livre ou qui est reprise par le manifeste qu’il a cosigné fourmille d’idées. Comme relever les exigences en matière de rigueur statistique. Ou favoriser la transparence dans les procédures, en donnant accès aux données brutes, images, chiffres, méthodes utilisées… « Il y a encore des freins face à cette ouverture. Pour certains, les données c’est le pouvoir. Pour d’autres, c’est la peur qu’on trouve des défauts dans leur travail, ­regrette Bertrand Thirion. Mais justement, c’est bien de trouver des erreurs, pour pouvoir les corriger ! » Chris Chambers et d’autres ont d’ailleurs lancé en 2016 une charte pour les relecteurs d’articles qui s’engagent à n’évaluer des manuscrits que si les auteurs transmettent leurs données.

    Une autre solution consiste dans les préenregistrements d’expérience, comme pratiqué depuis plusieurs années pour les essais cliniques. Les chercheurs doivent détailler leur protocole et les ­méthodes qu’ils utiliseront pour leur expérience, afin d’éviter la tentation d’adapter la méthode ou les tests aux observations. Des sites comme l’Open Science Framework, lancé par le Centre pour la science ouverte, permettent ­désormais de remplir facilement ce genre de recommandations. Autre idée, défendue par provocation par John Ioannidis en 2014 : sortir des « incitations » à publier à outrance afin de promouvoir les études de réplication, le partage des données…

    « Nous avons la lourde responsabilité publique de veiller à ce que la prochaine génération de scientifiques ne souffre pas des problèmes de ma génération. Ce n’est que ­lorsque la science est aussi ouverte et solide que possible qu’elle peut apporter le maximum d’avantages à l’humanité », ­conclut Chris Chambers.

    Anticiper les problèmes

    En écologie, ce n’est pas encore la crise de la reproductibilité mais on s’y prépare. Un article, disponible depuis août sur BioRxiv, relate la collaboration de 14 laboratoires en Europe pour tester la robustesse de leur domaine face à cette difficulté à valider certains résultats publiés.

    L’idée était de tester si la même expérience, à savoir l’effet d’une légumineuse sur la croissance d’une graminée plantée conjointement, pouvait être strictement reproduite dans différents laboratoires dans les mêmes conditions. « On avait quelques indices que la reproductibilité est inférieure à celle attendue, explique Alexandru Milcu de l’Ecotron à Montpellier et du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CNRS), à l’origine de cette collaboration. Il y a des conditions de laboratoire spécifiques qui nous échappent, comme la nature du micro-environnement, le rôle des expérimentateurs… »

    Finalement, cette variabilité a bien été constatée. Mais l’équipe a aussi trouvé une parade consistant à multiplier les expériences avec des plantes aux génotypes différents. C’est contre-intuitif, mais cette variabilité ajoutée et contrôlée « noie » en quelque sorte les spécificités du lieu et augmente ainsi la reproductibilité des expériences. « Il faudra répéter ce genre d’étude. Ce qui au départ était une question de curiosité est devenu fascinant ! », note le chercheur.

  • Dans les labos, des petits arrangements avec la science

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/10/02/dans-les-labos-des-petits-arrangements-avec-la-science_5195085_1650684.html

    L’impératif de productivité scientifique augmente le risque de mauvaises pratiques. Ce sont le plus souvent les images et les statistiques qui sont manipulées par les chercheurs.

    Copier-coller d’images, bidouillage statistique, exagération des résultats, méconnaissance des méthodes utilisées, lenteur, voire refus, à corriger des erreurs… les arrière-cours des laboratoires ne sont pas toujours reluisantes.

    En juin 2016, dans le journal mBio, un criblage de plus de 20 000 articles tirés de 40 journaux scientifiques a repéré près de 4 % de problèmes avec des images présentes à l’appui des démonstrations. Le taux dépassant 12 % pour un journal de l’échantillon. Les « erreurs » vont de la simple duplication de parties d’images à la retouche frauduleuse en passant par le repositionnement ou l’inversion de certaines parties. Des pratiques pas forcément pendables mais qui demandent à être justifiées.

    La base de données de Retraction Watch, un site lancé en 2010 pour suivre l’actualité des retraits ou corrections d’articles, recense plus de cas problématiques pour « manipulation » d’images que pour « plagiat de texte » (le plagiat d’images existant également !) : 294 plagiats d’articles pour 422 duplications, 305 manipulations et 134 falsifications d’images. Un autre site, PubPeer, lancé en 2012 pour accueillir des discussions anonymes sur des articles déjà publiés, s’est vite transformé en forum de la traque des images manipulées. Ce qui a conduit à bien des corrections et retraits d’articles.

    L’un des drames est « que les reviewers ne regardent pas les images », constate Elisabeth Bik, microbiologiste de la société de génomique microbienne uBiome en Californie et coauteure de l’étude de mBio. Elle pointe aussi un autre problème : l’absence de réactions des auteurs ou des journaux qui publient les articles litigieux. Elle estime avoir signalé plus de 800 cas qui ont conduit à une trentaine de retraits, « mais, dans la grande majorité des cas, je n’ai pas eu de réponses ».

    La spécialiste, pour expliquer ces pratiques, plus ou moins discutables, évoque « l’erreur, le manque de temps pour faire les expériences de contrôle, la précipitation à publier ou l’envie de cacher des choses ». Elle est aussi tombée sur des récidivistes ayant plus d’une vingtaine d’images retouchées, preuve de dysfonctionnements plus graves. Dans un nouvel article à paraître, elle a mis en avant des corrélations. La pression à publier augmente le risque de mauvaises pratiques, tandis qu’un contrôle « social » plus important, c’est-à-dire l’existence de règles ou de sanctions, le limite. Pour résorber ces problèmes, la chercheuse est engagée dans la mise au point de logiciels de détection automatique de retouche d’images, dont commencent à se doter les éditeurs.

    Les chercheurs savent aussi s’arranger avec les statistiques, l’outil qui leur sert à analyser leurs résultats leur permet surtout de clamer une découverte (l’absence de découverte faisant rarement l’objet de publication). Le 1er septembre, plus de 70 chercheurs ont appelé dans Nature Human Behaviour à « redéfinir la significativité statistique ». Pour eux, « les standards statistiques pour revendiquer une découverte sont tout simplement trop bas dans beaucoup de domaines de la science ». Et ils appellent à relever ces standards. A commencer par le plus connu d’entre eux, la valeur-p. Le « standard » veut qu’un test statistique mesurant la différence entre deux hypothèses et donnant une valeur-p inférieure à 5 %, soit significatif et donc digne d’être publié.

    Premier problème, depuis des années, des chercheurs ont alerté sur le fait que certains ignorent la définition même de cette valeur-p. Beaucoup croient ainsi que ce paramètre désigne la probabilité qu’un résultat expérimental soit un faux positif. Mais ce n’est pas vraiment le cas.

    David Colquhoun de l’University College à Londres l’a expliqué en 2014 dans un article de la Royal Society, avec l’exemple d’un test de détection d’une maladie. Une valeur-p de 5 % signifie que, si quelqu’un n’est pas malade, alors le test trouvera qu’il a 5 % de chance de l’être (faux positif). Mais cela ne dit pas qu’elle est la probabilité d’être malade. En prenant un taux de prévalence de 90 % par exemple pour cette maladie le chercheur calcule que le taux réel de faux positif atteint 36 % ! La valeur-p seule peut donc induire de fausses interprétations. Néanmoins, plus on fixe un seuil bas, plus ce taux de faux positif baissera. Idem si on augmente la taille de l’échantillon.

    Mais alors que la génétique ou la physique ont fixé des seuils autrement plus drastiques pour p (dix à cent millionièmes), des disciplines comme la recherche biomédicale, la psychologie, l’économie… restent accrochées à ce 0,05. En mars 2016, une étude de John Ioannidis dans JAMA notait la présence de valeur-p dans un tiers des résumés d’articles parus en 2014 dans 151 revues médicales les plus importantes et dans près de 40 % des essais cliniques. Petite bizarrerie, déjà constatée par d’autres : les valeurs-p rapportées ont une forte tendance à se concentrer autour de 0,05, le fameux seuil.

    C’est sans doute que les chercheurs sont passés maître dans l’art du « p-hacking », c’est-à-dire l’art de trouver la bonne méthode afin de tomber sous le seuil fatidique. « Certains surexploitent les données et essaient jusqu’à ce que ça marche », explique Bertrand Thirion, spécialiste en neurosciences à l’Inria. « Ce n’est pas de la triche délibérée mais, comme les chercheurs ont fourni beaucoup d’efforts pour faire les expériences, ils veulent trouver quelque chose et font “vibrer” les méthodes. » Chris Chambers, dans son livre The Seven Deadly Sins of Psychology « Les sept péchés mortels de la psychologie » (Princeton University Press, non traduit), détaille avec regret ces mauvaises pratiques. « Les effets du p-hacking sont clairs, remplissant la littérature scientifique avec des hypothèses faites après l’expérience, des fausses découvertes, et des impasses de recherche », écrit-il.

    Pour améliorer la fiabilité, les auteurs de l’appel de Nature Human Behaviour recommandent dans un premier temps de baisser le seuil à 0,005 et évoquent aussi l’existence d’autres critères ou méthodes statistiques. Ce problème de la valeur-p est fortement lié à une plaie de la recherche, « la crise de la reproductibilité ».

    L’art de tordre la réalité

    Le « spin » est le nom donné par les Anglo-Saxons à la pratique qui permet de présenter les conclusions sous un jour plus beau que la réalité. Il peut se faire lors du passage de l’article au communiqué de presse, mais aussi de l’article scientifique à son résumé par les auteurs, comme l’ont mis en évidence de nombreux travaux.

    Ainsi le 11 septembre, dans PLOS Biology, une équipe de l’université de Sydney a analysé 35 études sur le spin et a confirmé que la pratique est répandue. Dans les articles rapportant des essais cliniques, plus de la moitié, 57 %, présente des gauchissements de la réalité. En 2014, une autre étude constatait que 40 % des communiqués de presse contiennent des exagérations et que, dans ces cas-là, 58 % des articles de journaux mentionnant ces travaux exagèrent aussi…

    Les tours de passe-passe consistent à surinterpréter les conclusions, ou à exagérer la portée d’un test statistique. Ou bien à mettre en avant un résultat secondaire pour suggérer un bénéfice d’un traitement. Ou encore à attribuer, sans preuve, une cause à un effet.

  • What Do Settler Women and Female Suicide Attackers Have in Common? - Books - Haaretz -
    Israeli and Palestinian women will ‘transgress’ by suspending religious beliefs if it serves a political cause, discovers political scientist Lihi Ben Shitrit.

    Dahlia Scheindlin Feb 02,

    http://www.haaretz.com/jewish/books/1.700711

    “Righteous Transgressions: Women’s Activism on the Israeli and Palestinian Religious Right,” by Lihi Ben Shitrit, Princeton University Press, 304 pp., $22.95
    In late January, Israeli settlers tussled with Israel Defense Forces soldiers charged with evicting them from two homes in Hebron. In a familiar sight on the Israeli news, settler women balanced small children on their hips as they berated and harangued the soldiers. The very next day, a 13-year-old Palestinian girl attempted to stab a security guard in the West Bank and was shot dead – joining numerous Palestinian women and youngsters who have participated in such attacks since October.
    Israelis tend to seek personal explanations for female Palestinian violence, as if political extremism is understood when it comes to men, but contradicts typically “feminine” qualities. Activism among women in conservative Jewish religious movements may seem counterintuitive as well, since traditional “feminine” behavior is not thought to include political activism or leadership.
    In “Righteous Transgressions: Women’s Activism on the Israeli and Palestinian Religious Right,” Lihi Ben Shitrit, an assistant professor at the School of Public and International Affairs at the University of Georgia in Athens, probes women’s activism in four conservative religious or religious-nationalist movements in Israel and its environs – Jewish settlers, the ultra-Orthodox Israeli political party Shas, the Islamic Movement in Israel and Hamas – in a search for shared ways of thinking. It’s unlikely that her research subjects would appreciate being categorized together, but social scientists who question gender, religious extremism, nationalism or social movements will.
    While Ben Shitrit’s academic discourse of contestation, intentionality, performatives, diagnostic and prognostic frames will at times alienate the average reader, it would be unfortunate to forgo the book by this Israeli-born author for that reason. Interested observers could learn much from the rare, up-close look at hugely influential political movements, beyond the subject of women’s roles within them.
    The political scientist and women’s studies expert conducted a formidable amount of research and displayed substantial tenacity in reaching her subjects. She spent several years winning the personal trust of leaders and members of the first three groups, who represent tight-knit and often highly suspicious social communities. She built relationships, attended events, transcribed extensive conversations and pored over media sources – especially in the case of Hamas where, as an Israeli, she could not forge personal ties. She read both Hebrew and Arabic texts, and when researching Shas, her Moroccan background prompted openness among some of the party’s figures.
    Ben Shitrit observes that gender and feminist researchers typically presume that women naturally seek greater empowerment and liberation. That leads such academics to puzzle over why some women work to advance conservative political movements that constrain them within gender roles. She believes these questions reflect a Western liberal feminist bias and mislead the inquiry.
    Instead, Ben Shitrit accepts as a given that women take part prominently and often enthusiastically in religiously conservative or religious-nationalist movements. In all four movements she examines, women have become active as participants, organizers or sometimes leaders. The question for the author is: How do these women justify activism and participation sometimes in front-line struggles that contradict traditional gender norms of Orthodox Judaism or conservative Islam? And could these justifications ultimately, or unwittingly, aid in shifting traditional roles?
    Thus, Jewish women settlers sometimes physically struggle with male IDF soldiers, although Orthodox Jewish law strictly proscribes touching a male stranger. On the Palestinian side, a woman suicide bomber abandons her role as mother (or future mother) and becomes a supporter of male fighters to advance a political-religious goal.

  • Les dangers de la #sécurité - Métropolitiques
    http://www.metropolitiques.eu/Les-dangers-de-la-securite.html
    A propos du livre Harvey Molotch, Against Security : How We Go Wrong at Airports, Subways, and Other Sites of Ambiguous Danger, Princeton, Princeton University Press, 2012.

    En réalité, la sécurité des passagers est inventée au quotidien par les travailleurs du métro eux-mêmes. Ainsi en va-t-il de ces chefs de stations qui déconnectent les tourniquets à la sortie des classes, pour que les enfants ne s’y trouvent pas coincés. C’est aussi le cas de ce conducteur qui désobéit aux instructions du centre de contrôle et laisse monter les passagers réfugiés sur le quai de la station du World Trade Center le jour des attentats du 11‑Septembre. En effet, les capacités d’invention que les acteurs mettent en jeu dans leur quotidien de travail ne disparaissent pas dans les situations de danger exceptionnel ; elles guident, au contraire, des réflexes souvent salvateurs. Toute politique publique de sécurité devrait donc viser à les préserver, ce qui est l’une des principales recommandations à laquelle aboutit Molotch en conclusion de ce chapitre stimulant.
    L’inquiétante transformation des aéroports

    Le quatrième chapitre prolonge cette réflexion sur la tension entre capacité de résilience des acteurs et les dispositifs bureaucratiques de sécurité en analysant les aéroports. Autrefois symboles de liberté captivant l’imagination populaire, ces lieux ont été transformés en machines de sécurité qui ressemblent à s’y méprendre aux institutions totales décrites par Erving Goffman (1968). Passer les contrôles de sécurité s’apparente aujourd’hui, mutatis mutandis, à entrer dans une prison. Ces mesures incitent les passagers à se conformer aux gestes précis qui sont exigés d’eux, plutôt que d’exercer leurs facultés d’observation sur ce qui se passe autour d’eux. Cette attitude serait pourtant bienvenue d’après l’auteur, dans la mesure où les files d’attentes aux contrôles représentent des cibles molles (soft targets), aisément accessibles pour d’éventuels attentats.

    Au demeurant, ces dispositifs sont à tout le moins injustes et inefficaces. Injustes car ceux qui ont suffisamment d’argent parviennent à se soustraire sans coup férir aux contrôles. Qu’ils soient enregistrés sur un programme de « voyageurs de confiance » (trusted travelers) ou bien qu’ils aient loué les services d’un jet privé, les riches n’ont pas à se soumettre aux fouilles. Injuste également car certains voyageurs sont plus contrôlés que d’autres. Les ressortissants de pays du Proche-Orient, bien sûr, mais aussi ceux qui ont acheté un billet simple, à la dernière minute et en espèces. Inefficaces, ensuite, car ces contrôles de sécurité n’ont joué aucun rôle dans la neutralisation d’attentats ciblant des avions. D’ailleurs, les opérateurs qui scrutent les écrans, par ennui ou lassitude, laissent passer de nombreux objets interdits : liquides, composants de bombes, voire armes à feu oubliées par leurs propriétaires. Et les techniques de profilage sur les comportements « anormaux » sont aisées à déjouer : il suffit de paraître « normal ».

    Ces mesures sont également néfastes. Une étude de l’université de Cornell a montré que ces contrôles de sécurité aux aéroports ont détourné un nombre massif de voyageurs du transport aérien aux États-Unis, surtout dans le corridor nord-est, où la voiture est une alternative plausible à l’avion. Cette étude estime à 2 300 le nombre de tués sur la route qui en a directement résulté pour la seule période 2001‑2002, soit presque l’équivalent du nombre de victimes du 11‑Septembre.

    • Asylums
      https://en.wikipedia.org/wiki/Asylums_%28book%29

      Asylums: Essays on the Social Situation of Mental Patients and Other Inmates is a 1961 book by sociologist Erving Goffman.[1][2] Asylums was a key text in the development of deinstitutionalization.[3] The book is one of the first sociological examinations of the social situation of mental patients, the hospital. Based on his participant observation field work, the book details Goffman’s theory of the “total institution” (principally in the example he gives, as the title of the book indicates, mental institutions) and the process by which it takes efforts to maintain predictable and regular behavior on the part of both “guard” and “captor,” suggesting that many of the features of such institutions serve the ritual function of ensuring that both classes of people know their function and social role, in other words of “institutionalizing” them.

      Ici on trouve quelques extraits du livre :
      http://studymore.org.uk/xgof.htm#Asylums

      #anti-psychiatrie

  • Israel divestment efforts increasing on U.S. campuses
    By Debra Nussbaum Cohen | Apr. 20, 2015 | Haaretz

    http://www.haaretz.com/jewish-world/jewish-world-news/.premium-1.652673

    NEW YORK – The debate went on for close to nine hours, before the student government at the University of California, Santa Barbara, narrowly voted down an Israel divestment resolution last week.

    In the end, it lost by a single vote. It was the third year in a row that this particular campus in the UC system – which has more than 18,000 undergraduate students, including about 2,500 Jews – narrowly defeated divestment.

    Princeton University undergrads will vote on a similar motion this week, in a referendum capping months of activity from both sides on what is usually a nonpolitical campus.

    While there has been no precipitous jump in the number of divestment resolutions, such efforts are gradually rolling out from coast to coast.

    They are presently being considered at the University of New Mexico; Bowdoin College in Maine; Wisconsin’s Marquette University; Ohio State University; and the University of Texas at Austin.

    They have already passed at colleges including Loyola, Wesleyan, Oberlin, DePaul University, Evergreen, University of Toledo, Stanford, and the University of California campuses at Berkeley, Davis, Irvine, Los Angeles, Riverside and San Diego. The February vote at UC Davis was overturned by another campus body, which said it was not within the purview of the student government to approve such a measure.

    New York University professors and students recently published an open letter and are gathering signatures for a similar effort.

    At some campuses, the divestment question has crept into other areas. Molly Horwitz, a Jewish candidate running for election to Stanford University’s student government, was questioned about having dual loyalties. Horwitz reportedly scrubbed her Facebook page of evidence indicating support for Israel before she began collecting signatures for her campaign.

    At UCLA, a candidate for the student council judicial board was initially disqualified from running, and accused by the student council of having a conflict of interest because of her affiliation with Hillel and a Jewish sorority.

    At Princeton, the undergraduate student referendum – part of a student government election ballot open to the university’s 5,200 undergraduates this week – seeks to impact the policy of the Princeton University Investment Company (Princo), which manages a $19 billion endowment. That is the third-largest endowment of any university in the United States.

    The referendum calls on Princo to withdraw money from multinational corporations “that maintain the infrastructure of the Israeli occupation of the West Bank,” are involved with Israeli and Egyptian “collective punishment of Palestinian civilians in the West Bank and Gaza Strip, and facilitate state repression against Palestinians by Israeli, Egyptian and Palestinian Authority security forces.”

    There is a high bar to meet, said the chair of the committee that functions as the endowment managers’ gatekeeper. That group, called Princeton’s Resources Committee, earlier this year rejected resolutions calling for Israel divestment. “The committee was correct to do so,” Princeton President Christopher L. Eisgruber told Haaretz.

    Tensions about the referendum have grown in recent days on the bucolic New Jersey campus.

    Kyle Dhillon, a junior from Atlanta who is involved with both the Princeton Committee on Palestine and Princeton Divests Coalition, said their posters around campus were repeatedly torn down last week. Table tents left in the residential dining halls also mysteriously disappeared. “Typically, we don’t have to worry about people limiting free speech here,” said Dhillon. The divestment coalition held a “teach-in” on April 8, at which Cornel West, a Princeton professor emeritus, spoke, as well as Max Blumenthal, who last year called the European Union “an accomplice to the preexisting ethnically cleansing Jewish state.”