• "Relire Marcuse pour ne pas vivre comme des porcs"

    Une vivifiante et salutaire analyse de l’oeuvre de Marcuse par le philosophe et mathématicien #Gilles_Châtelet publié dans le Monde diplomatique en août 1998.
    Pour appuyer l’exposé de Gilles Châtelet, une passionnante interview (1976) de #Marcuse ou il évoque entre autres le rôle de la philosophie politique dans les sociétés modernes.

    http://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/CHATELET/10825

    Pour Marcuse, vivre les années 30, c’était être confronté directement à trois dispositifs redoutables qui articulaient la puissance technique et la domination politique : nazisme, socialisme totalitaire et capitalisme démocratique, par lesquels « la société et la nature, l’esprit et le corps sont gardés dans un état de mobilisation permanent ».

    Nous savons désormais que l’histoire a tranché et éliminé les deux dispositifs de mobilisation les plus brutaux ; que c’est la technologie de persuasion la plus subtile - et certainement la moins odieuse - qui l’a emporté. Mise au point par les ingénieurs sociaux américains des années 20, la « #manufacture du #consentement (8) », cette technologie répertoriée par Noam #Chomsky (lire « Machines à endoctriner ») comme machine à endoctriner, réussit à sévir ici et maintenant, partout et nulle part, des sphères les plus intimes de l’égo jusqu’à celles qui impliquent la mobilisation de masses humaines de très grandes dimensions.

    Partie 1/5
    (Il faut activer les sous-titres)
    https://www.youtube.com/watch?v=DMV-BR5AE00


    (...)

    Refuser d’affronter le problème de la mobilité, c’est céder à ce que Hegel appelle le valet de soi-même, à son prosaïsme, à son inertie, à son horizon borné, rester crispé à la finitude, tôt ou tard capituler devant les technologies de mobilisation (11) ou de mise au pas brutales ou subtiles. Penser la mobilité, c’est, selon Marcuse, capter toute la patience et le mordant de la pensée négative dont on pouvait croire qu’ « elle est en voie de disparition ». C’est refuser d’abdiquer devant les impostures qui prétendent aller de soi et se donnent comme « philosophie positive », légitimant une « sage résignation (12) » devant des lois sociales aussi naturelles que les lois de Newton. Avec cette philosophie, « combien il est doux d’obéir, lorsque nous pouvons réaliser le bonheur, d’être convenablement déchargés, par de sages et dignes guides, de la pesante responsabilité d’une direction générale de notre conduite (13) ».

    Partie2/5
    https://www.youtube.com/watch?v=vpr8ggnv9LI


    (...)

    Les analyses de L’Homme unidimensionnel amplifient l’offensive contre la « philosophie positive » et son jumelage de plus en plus tyrannique entre opérations mentales et pratiques sociales. Avec beaucoup de lucidité et de talent polémique, elles dénoncent le « jargon tracassier » et le « concret académique » d’une certaine philosophie qui aimerait réduire toute proposition à des énoncés aussi bouleversants que « Mon balai est dans le placard », « John mange le chapeau de Paul » ou le classique « Betty a cassé son sèche-cheveux au coin de la rue ».

    Marcuse anticipe le dressage cognitif et ethico-neuronal contemporain ! On se tromperait pourtant en y reconnaissant une méfiance conventionnelle de la technique. Ce ne sont pas les robots qui sont à craindre mais notre soumission de plus en plus étriquée à la commande socio-opérationnelle et Marcuse remarque : « La machine est une esclave qui sert à faire d’autres esclaves... Régner sur un peuple de machines asservissant le monde entier, c’est encore régner et tout règne suppose l’acceptation des schémas d’asservissement (15) .

    Partie 3/5
    https://www.youtube.com/watch?v=dEJV0Mt4t1w


    (...)

    Pour la Triple Alliance, tout ce qui prétend ne pas s’incliner devant les états de fait ou ne pas se reconnaître dans une pensée algorithmique, est soupçonnée de « romantisme malsain » d’« élitisme » ou, au mieux, de folklore recyclable dans les spéculations inoffensives des « cultural studies ». La science est d’ailleurs, elle aussi, mise à contribution : on ne compte plus les « Réflexions » ou les « Dialogues », différents par leur contenu scientifique mais identifiables par leur rationalisme endimanché et le ton désabusé qui sied à la philosophie en chaise longue. Nous sommes ici, bien sûr, aux antipodes des « philosophies dangereuses » réclamées par Gilles Deleuze et Michel Foucault : ce « rationalisme » ne menace que par son inertie et sa lourdeur - comme une barge à la dérive.

    Partie4/5
    https://www.youtube.com/watch?v=3yI8MeBBLdI


    (...)

    Le mariage - de cœur et de raison - de la Triple Alliance et de la Contre-Réforme libérale est désormais officiel, avec sa définition du travail comme denrée rare, ne posant aucun problème scientifique, transparent, reproductible et formalisable ; travail « outputé » par des opérateurs (17), ou mieux, des UET (unité élémentaire de travail).
    C’est la même pensée qui veut mater toute subversion de la langue et nier le réel du travail. Il s’agit, coûte que coûte, d’affubler la guerre de tous contre tous d’une rationalité cybernétique, quitte à nourrir - comme M. Bill Gates - l’ambition secrète de fabriquer des tranches d’âges, des comportements et des psychologies comme des jeans ; et remplacer la spéculation sur la viande sur pied des ingénieurs financiers d’autrefois par la spéculation sur un immense cheptel de neurones sur pied.
    Mais, performance oblige - et ceci n’aurait pas surpris Marcuse -, la Triple Alliance sait se montrer festive avec tout le cortège New Age, du nomade, du chaos, et pourquoi pas, du fractal. Pourtant, déjà Carnaval fait la grimace ; la langue semble se venger comme les incendies vengent la nature lorsque la broussaille fait place à la forêt : épidémies de lynchages médiatiques, proliférations de psychologies-zombies et, surtout, superstitions cultivées et engrangées par les sectes multinationales.

    Parie 5/5
    https://www.youtube.com/watch?v=-7V4gGfrJDU

    Extrait de « l’homme unidimensionnel » (P/74/75)

    La #société industrielle récente n’a pas réduit, elle à plutôt multiplié les fonctions parasitaires et aliénées(destinées à la société en tant que tout, si ce n’est à l’individu).
    La #publicité, les relations publiques, l’#endoctrinement, le gaspillage organisé ne sont plus désormais des dépenses improductives, ils font partie des couts productifs de base. Pour #produire efficacement cette sorte de gaspillage socialement nécessaire,il faut recourir à une #rationalité constante, il faut utiliser systématiquement les techniques et les sciences avancées. par conséquent, la société industrielle politiquement manipulée à presque toujours comme sous-produit un niveau de vie croissant, une fois qu’elle a surmonté un certain retard.
    la #productivité croissante du travail crée une super #production grandissante (qui est accaparée et distribuée soit par une instance privée soit par une instance publique) laquelle permet à son tour une #consommation grandissante et cela bien que la productivité croissante du travail tende à se diversifier. Cette configuration, aussi longtemps qu’elle durera, fera baisser la valeur d’usage de la liberté ;
    à quoi bon insister sur l’autodétermination tant que la vie régentée est la vie confortable et même la « bonne » vie. C’est sur cette base, rationnelle et matérielle que s’unifient les opposés, que devient possible un comportement politique #unidimensionnel. sur cette base, les forces politiques transcendantes qui sont à l’intérieur de la société sont bloquées et le changement qualitatif ne semble possible que s’il vient du dehors.
    Refuser l’#Etat de bien-être en invoquant des idée abstraites de #liberté est une attitude peu convaincante. La perte des libertés économiques et politiques qui constituaient l’aboutissement des deux siècles précédents, peut sembler un dommage négligeable dans un Etat capable de rendre la vie administrée, sûr et confortable. Si les individus sont satisfait, s’ils sont heureux grâce aux marchandises et aux services que l’administration met à leur disposition, pourquoi chercheraient-ils à obtenir des institutions différentes, une production différente de marchandises et de services ? E si les #individus qui sont au préalable #conditionnés dans ce sens s’attendent à trouver, parmi les marchandises satisfaisantes, des pensées, des sentiments et des aspirations, pourquoi désireraient-ils penser, sentir et imaginer par eux mêmes ? Bien entendu ces marchandises matérielles et culturelles qu’on leur offre peuvent être mauvaises, vides et sans intérêt mais le Geist et la connaissance ne fournissent aucun argument contre la satisfaction des besoins.
    La critique de l’état du bien-Etre en termes de #libéralisme (avec le préfixe néo ou sans sans) n’est pas valable parce qu’elle s’attache à des conditions que l’Etat de bien-Etre a dépassées : à un degré moindre de richesse #sociale et de technologie. Cette critique manifeste son aspect #réactionnaire en attaquant la législation sociale dans son ensemble et des dépenses gouvernementales justifiées et destinées à d’autres secteurs que ceux de la défense militaire.

    Traduit de l’anglais par #Monique_Wittig et l’auteur.
    Copyright : Editions de Minuit

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