• Loi « immigration » : quand le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, tance Emmanuel Macron sur l’Etat de droit
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    Loi « immigration » : quand le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, tance Emmanuel Macron sur l’Etat de droit
    Par Abel Mestre
    Dans l’exercice policé des vœux, il est parfois utile d’avoir de l’expérience en langage diplomatique. C’est le cas de Laurent Fabius. Le président du Conseil constitutionnel, ancien premier ministre (1984-1986) et ancien ministre des affaires étrangères (2012-2016), n’a pas son pareil pour faire passer certains messages. Et il ne s’en est pas privé lundi 8 janvier lors de ses vœux (à huis clos) au président de la République.
    Au cœur des reproches : la manière dont l’exécutif s’est comporté avec le Conseil constitutionnel, fin décembre 2023, lors de l’adoption de la loi « immigration ». Gérald Darmanin, d’abord, Elisabeth Borne, ensuite et Emmanuel Macron, enfin, ont tous reconnu que le texte comportait des dispositions contraires à la Constitution. Des sorties qui avaient fait s’étrangler de nombreux juristes. Ainsi, Patrice Spinosi, avocat aux conseils et spécialistes des droits humains, estimait-il fin décembre « qu’il y a une volonté d’aller questionner les limites de la jurisprudence constitutionnelle et de créer une tension entre la volonté politique et les gardiens de l’Etat de droit ».
    Apparemment, M. Fabius partage cet avis. « Monsieur le président, je soulignais au début de mon propos que le Conseil constitutionnel n’était ni une chambre d’écho des tendances de l’opinion, ni une chambre d’appel des choix du Parlement, mais le juge de la constitutionnalité des lois, et j’ajoutais que cette définition simple n’était probablement pas ou pas encore intégrée par tous, a ainsi lancé l’ancien chef du gouvernement. Deux mille vingt-trois nous a en effet frappés, mes collègues et moi, par une certaine confusion chez certains entre le droit et la politique. On peut avoir des opinions diverses sur la pertinence d’une loi déférée, on peut l’estimer plus ou moins opportune, plus ou moins justifiée, mais tel n’est pas le rôle du Conseil constitutionnel. La tâche du Conseil est, quel que soit le texte dont il est saisi, de se prononcer en droit. » Et de citer son « prédécesseur et ami Robert Badinter », autre socialiste qui présida le Conseil constitutionnel (1986-1995) : « Une loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise, mais une loi mauvaise n’est pas nécessairement inconstitutionnelle. »
    Une fois ce rappel fait, M. Fabius ne s’est pas arrêté là. « Sauf à prendre le risque d’exposer notre démocratie à de grands périls, ayons à l’esprit que, dans un régime démocratique avancé comme le nôtre, on peut toujours modifier l’Etat du droit mais que, pour ce faire, il faut toujours veiller à respecter l’Etat de droit, qui se définit par un ensemble de principes cardinaux comme la séparation des pouvoirs, le principe de légalité et l’indépendance des juges, a encore insisté M. Fabius. Il y a bientôt cinquante ans que la jurisprudence du Conseil constitutionnel l’affirme en ces termes : c’est dans le respect de la Constitution que la loi exprime la volonté générale. » En clair, le président du Conseil constitutionnel rappelle les bases d’un « Etat de droit » au chef de l’Etat, notamment cette règle : on ne peut pas voter une loi dont on sait que certaines dispositions sont contraires à la loi fondamentale.
    Plus largement, M. Fabius a longuement développé la notion d’Etat de droit aussi bien au niveau national qu’au niveau européen, alors que la liste menée par Jordan Bardella (Rassemblement national) est donnée favorite aux élections européennes de juin. Et il lance un avertissement, cette fois à une partie de la droite et à l’extrême droite, qui dénoncent de concert « le gouvernement des juges », plaident pour le recours systématique au référendum, et pour sortir également de ce qu’ils appellent le « carcan européen ». « Un sophisme se fait entendre selon lequel il faudrait se libérer de l’Etat de droit, soit au plan national, soit au plan européen, soit les deux, pour accomplir la volonté générale », note ainsi M. Fabius, qui évoque même un « pacte faustien ». Et de dénoncer « la “martingale des refus” – refus de la légitimité des juges, refus de plusieurs de nos engagements européens, refus de l’Etat de droit » qui, selon lui, « nous ferait rompre avec l’Europe et mettrait en cause notre démocratie elle-même ». Pour conclure son allocution, Laurent Fabius a répété la détermination des neuf juges constitutionnels « à veiller à ce que ne connaisse aucune éclipse le respect de la Constitution et de l’Etat de droit ». Une promesse qui sonne comme un rappel à l’ordre. Le Conseil constitutionnel se prononcera le 25 janvier sur la loi immigration adoptée mi-décembre.

    #Covid-19#migrant#migration#france#loiimmigration#conseilconstitutionnel#etatdedroit#droit

  • Anatomie de la droite conservatrice
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    La droite conservatrice américaine est en plein renouveau. Son idéologie très éclectique mêle anti-modernité et démocratie, religion et capitalisme – ce qui fait en partie son succès. À propos de : Matthew McManus, The Political Right and Equality : Turning Back the Tide of Egalitarian Modernity, Routledge

    #Politique #États-Unis #conservatisme
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20240108_charrayre.pdf
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20240108_charrayre.docx

  • Loi « immigration » : les associations déterminées avant l’examen devant le Conseil constitutionnel
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    Loi « immigration » : les associations déterminées avant l’examen devant le Conseil constitutionnel
    Par Abel Mestre
    Maintenir coûte que coûte la pression, c’est l’état d’esprit des opposants à la loi « immigration ». Voté le 19 décembre 2023, le texte comporte, selon l’exécutif lui-même, plusieurs mesures susceptibles d’être censurées par le Conseil constitutionnel. Saisis par le président de la République, Emmanuel Macron, mais aussi par l’opposition de gauche, les neuf juges constitutionnels doivent se prononcer d’ici à la fin du mois de janvier sur la conformité du texte. D’ici là, les partis de gauche, les associations, les syndicats et de nombreux juristes essaient d’organiser la riposte.
    Cette dernière se mène sur plusieurs fronts. Juridique, d’abord. Plusieurs « contributions extérieures » (également appelées « portes étroites ») seront adressées au Conseil par des personnes physiques ou morales concernées par la loi « immigration ». Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes et spécialiste du droit des étrangers, a été la cheville ouvrière de cette initiative. L’universitaire a été marqué par le nombre de ses collègues qui ont participé à ce travail, beaucoup plus nombreux qu’à l’ordinaire. « Cela dépasse le noyau dur habituel », estime-t-il. Selon lui, la loi « immigration » « est très mal rédigée, très mal ficelée et va être un nid à contentieux et poser beaucoup de problèmes d’interprétation ».
    Ces contributions extérieures sont organisées par thèmes (nationalité, étudiants internationaux, protection sociale et hébergement d’urgence, étrangers gravement malades, asile, mineurs non accompagnés, contentieux judiciaire et rétention…) et ont été élaborées par des universitaires et des responsables associatifs. Elles donnent donc tous les arguments juridiques pour appuyer une censure des dispositions visées, voire une censure globale du texte.
    Autre secteur qui se mobilise : celui des associations et des syndicats. Quarante-cinq organisations parmi les plus importantes – entre autres : Attac, la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs, la Ligue des droits de l’homme, France Terre d’asile, la Cimade, Oxfam, la CFDT, la CGT – dénoncent « un point de bascule pour [les] principes républicains ». Les signataires donnent rendez-vous avant fin janvier « pour poursuivre cette dynamique de rassemblement, demander au président de la République de surseoir à la promulgation de la loi, intensifier et élargir la mobilisation contre ce texte et son idéologie ». Problème : on ne sait pas quelle forme prendra cette mobilisation. « La loi fait l’unanimité contre elle, d’où le nombre de signataires. Mais sur les modes d’action, on est un peu dans l’expectative, confesse Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre. Les cultures sont différentes et nous sommes dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel. »
    D’autres ne sont pas aussi patients : plusieurs organisations, parmi lesquelles le Groupe d’information et de soutien des immigrés, La France insoumise (LFI) ou Europe Ecologie-Les Verts, ainsi que plusieurs collectifs de sans-papiers, ont d’ores et déjà appelé à « manifester massivement sur tout le territoire le dimanche 14 janvier pour empêcher que cette loi soit promulguée ». Car c’est là tout le paradoxe des larges fronts d’opposition : il est parfois difficile de mettre tout le monde d’accord sur la marche à suivre. Ainsi, certains poussent pour organiser un grand meeting unitaire où chacun pourrait s’exprimer. L’avantage de cette solution est que le risque est minimal : il suffit de réserver une salle un peu petite pour donner l’illusion du nombre. En revanche, rien de pire qu’une manifestation qui ne fait pas le plein pour casser un mouvement naissant… Les partisans des manifs, eux, rappellent qu’en 1997 les cortèges contre les lois Debré sur l’immigration avaient fait le plein (jusqu’à 100 000 personnes à Paris)…
    Ce dilemme, les partis politiques en ont conscience. La France insoumise pousse pour que la démarche soit unitaire. « Il y a plusieurs cadres de discussion. On souhaite qu’il y ait tout le monde la même date, notamment les premiers concernés, comme la Marche des solidarités et les collectifs de sans-papiers, de même que les syndicats, associations, forces politiques opposés a la loi Darmanin », note Aurélie Trouvé, députée LFI de Seine-Saint-Denis. Surtout, une difficulté majeure s’ajoute : l’articulation avec les mobilisations pour la Palestine. Il est vrai que ces rassemblements concernent, en très grande partie, les mêmes organisations, le même milieu militant. Comment faire pour ne pas se marcher sur les pieds et ne pas abandonner un combat au profit de l’autre ? Une solution pourrait être une grande mobilisation mêlant les deux questions, sur le mode de la « convergence des luttes », mais le risque est de brouiller les messages. Une chose est sûre : la décision du Conseil constitutionnel ne réglera pas tout. Le scénario le plus probable est la censure (sur le fond ou comme « cavaliers législatifs », c’est-à-dire sans lien avec la loi) des dispositions les plus « aberrantes », selon l’expression de Serge Slama. Pourraient ainsi être concernées plusieurs mesures issues des amendements présentés par la droite, comme, par exemple, les mesures touchant aux prestations sociales ou celles sur le regroupement familial. Ces censures seraient une sorte de victoire à la Pyrrhus pour les opposants. En effet, le cœur du texte du gouvernement serait validé. Et il serait encore plus difficile de mobiliser contre une loi qui aura perdu ses aspects les plus clivants.

    #Covid-19#migration#migrant#france#loiimmigration#droit#conseilconstitutionnel#syndicat#association#securitesociale#regroupementfamilial

  • Mais Pourquoi le préfet des Alpes-Maritimes a sabordé son arrêté drones du 23 décembre 2023 ?

    Le 18 décembre 2023, la préfecture des Alpes-Maritimes publiait un arrêté autorisant le survol pendant presque un mois de pas moins de dix communes des Alpes-Maritimes totalisant près de 10% de la population du département.

    Cet #arrêté présentait toutes les caractéristiques d’un arrêté « de confort » pris « pour le cas où » s’inscrivant parfaitement dans la logique de banalisation de l’utilisation des drones de #vidéosurveillance dans laquelle le ministère de l’Intérieur souhaite nous entrainer, #banalisation contraire à l’esprit et à la lettre de la réglementation en vigueur.

    Les avocat.e.s de la LDH et de l’association ADELICO ont immédiatement saisi en référé le tribunal administratif de Nice, lequel a rejeté la demande de suspension de l’arrêté préfectoral ; les deux associations ont aussitôt saisi en appel le Conseil d’Etat le 29 décembre 2023.

    Le 1er janvier 2024 le préfet des Alpes-Maritimes abrogeait lui-même son arrêté qui n’était ni nécessaire ni proportionné par rapport aux objectifs qu’il se fixait.

    La LDH et ADELICO avaient fait valoir que :

    « L’arrêté ne permet pas de considérer que l’administration a justifié, sur la base d’une appréciation précise et concrète de la nécessité et de la #proportionnalité de la mesure, que la préfecture des Alpes-Maritimes ne pouvait employer pour l’exercice de la prévention d’une éventuelle atteinte à la sécurité des personnes et des biens, d’autres moyens moins intrusifs que celui de l’emploi 24h/24 pendant un mois de deux #caméras_aéroportées.

    Il ne ressort pas de l’Arrêté litigieux que le Groupement départemental de gendarmerie des Alpes-Maritimes ne dispose pas des effectifs suffisants pour assurer la protection, de jour comme de nuit, des dix communes visées dans cet arrêté. Aucune « donnée chiffrée ou statistique, aucun travail de documentation, ne permettent au juge d’apprécier la réalité » (TA Nantes, 2 août 2023,) d’un risque de trouble grave à l’ordre public.

    Les indications vagues, stéréotypées et tautologiques évoqués dans les visas de l’arrêté litigieux ne sont pas suffisamment circonstanciés pour justifier, sur la base d’une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure. Aucun élément ne permet de comprendre pourquoi le service ne peut employer, pour l’exercice de cette mission dans cette zone de dix communes et sur toute l’étendue de son périmètre géographique et temporel, d’autres moyens moins intrusifs au regard du respect de la vie privée que les moyens habituellement mis en œuvre pour lutter contre le terrorisme et les graves troubles à l’ordre public […] »

    Le 4 janvier 2024 le Conseil d’Etat constatait qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la requête des associations du fait de l’#abrogation de l’#arrêté_préfectoral et condamne l’Etat à verser 4000 € de frais irrépétibles à chaque association.

    https://site.ldh-france.org/nice/2024/01/04/mais-pourquoi-le-prefet-des-alpes-maritimes-a-saborde-son-arrete-dr
    #drones #Alpes_Maritimes #France #justice #conseil_d'Etat

  • #Loi_immigration : l’accueil des étrangers n’est pas un fardeau mais une nécessité économique

    Contrairement aux discours répétés ad nauseam, le #coût des aides accordées aux immigrés, dont la jeunesse permet de compenser le vieillissement des Français, est extrêmement faible. Le #poids_financier de l’#immigration n’est qu’un #faux_problème brandi pour flatter les plus bas instincts.

    Quand les paroles ne sont plus audibles, écrasées par trop de contre-vérités et de mauvaise foi, il est bon parfois de se référer aux #chiffres. Alors que le débat sur la loi immigration va rebondir dans les semaines à venir, l’idée d’entendre à nouveau les sempiternels discours sur l’étranger qui coûte cher et prend nos emplois nous monte déjà au cerveau. Si l’on regarde concrètement ce qu’il en est, le coût de l’immigration en France, que certains présentent comme bien trop élevé, serait en réalité extrêmement faible selon les économistes. Pour l’OCDE, il est contenu entre -0,5% et +0,5% du PIB selon les pays d’Europe, soit un montant parfaitement supportable. Certes, les immigrés reçoivent davantage d’#aides que les autres (et encore, beaucoup d’entre elles ne sont pas réclamées) car ils sont pour la plupart dans une situation précaire, mais leur #jeunesse permet de compenser le vieillissement de la population française, et donc de booster l’économie.

    Eh oui, il est bien loin ce temps de l’après-guerre où les naissances explosaient : les bébés de cette période ont tous pris leur retraite ou sont en passe de le faire et, bientôt, il n’y aura plus assez de jeunes pour abonder les caisses de #retraite et d’#assurance_sociale. Sans compter que, vu l’allongement de la durée de vie, la question de la dépendance va requérir énormément de main-d’œuvre et, pour le coup, devenir un véritable poids financier. L’immigration, loin d’être un fardeau, est bien une #nécessité si l’on ne veut pas voir imploser notre modèle de société. Les Allemands, eux, l’assument haut et fort : ils ont besoin d’immigrés pour faire tourner le pays, comme l’a clamé le chancelier Olaf Scholz au dernier sommet économique de Davos. Le poids financier de l’immigration est donc un faux problème brandi par des politiques qui ne pensent qu’à flatter les plus bas instincts d’une population qui craint que l’avenir soit pire encore que le présent. On peut la comprendre, mais elle se trompe d’ennemi.

    https://www.liberation.fr/idees-et-debats/editorial/loi-immigration-laccueil-des-etrangers-nest-pas-un-fardeau-mais-une-neces
    #économie #démographie #France #migrations

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    voir aussi cette métaliste sur le lien entre #économie (et surtout l’#Etat_providence) et la #migration... des arguments pour détruire l’#idée_reçue : « Les migrants profitent (voire : viennent POUR profiter) du système social des pays européens »...
    https://seenthis.net/messages/971875

    ping @karine4

    • Sur les #prestations_sociales aux étrangers, la #contradiction d’#Emmanuel_Macron

      Le pouvoir exécutif vante une loi « immigration » qui concourt à une meilleure intégration des « travailleurs » et soutient « ceux qui travaillent ». Mais la restriction des droits sociaux pour les non-Européens fragilise le système de #protection_sociale.

      Depuis son adoption au Parlement, la loi relative à l’immigration est présentée par Emmanuel Macron et par le gouvernement comme fidèle à la doctrine du « #en_même_temps ». D’un côté, le texte prétend lutter « contre les #passeurs » et l’entrée illicite d’étrangers dans l’Hexagone. De l’autre, il viserait à « mieux intégrer ceux qui ont vocation à demeurer sur notre sol » : les « réfugiés, étudiants, chercheurs, travailleurs ». En s’exprimant ainsi dans ses vœux à la nation, le 31 décembre 2023, le président de la République a cherché à montrer que la #réforme, fruit d’un compromis avec les élus Les Républicains, et inspirée par endroits du logiciel du Rassemblement national, conciliait #fermeté et #humanisme.

      Mais cette volonté d’#équilibre est contredite par les mesures concernant les prestations sociales. En réalité, le texte pose de nouvelles règles qui durcissent les conditions d’accès à plusieurs droits pour les étrangers non ressortissants de l’Union européenne, en situation régulière, ce qui risque de plonger ces personnes dans le dénuement.

      Un premier régime est créé, qui prévoit que l’étranger devra soit avoir résidé en France depuis au moins cinq ans, soit « justifier d’une durée d’affiliation d’au moins trente mois au titre d’une activité professionnelle » – sachant que cela peut aussi inclure des périodes non travaillées (chômage, arrêt-maladie). Ce « #délai_de_carence » est une nouveauté pour les aides visées : #allocations_familiales, prestation d’accueil du jeune enfant, allocation de rentrée scolaire, complément familial, allocation personnalisée d’autonomie, etc.

      « #Régression considérable »

      Un deuxième régime est mis en place pour les #aides_personnelles_au_logement (#APL) : pour les toucher, l’étranger devra soit être titulaire d’un visa étudiant, soit être établi sur le territoire depuis au moins cinq ans, soit justifier d’une « durée d’affiliation d’au moins trois mois au titre d’une activité professionnelle ». Là aussi, il s’agit d’une innovation. Ces critères plus stricts, précise la loi, ne jouent cependant pas pour ceux qui ont obtenu le statut de réfugié ou détiennent la carte de résident.

      Le 19 décembre 2023, Olivier Dussopt, le ministre du travail, a réfuté la logique d’une #discrimination entre nationaux et étrangers, et fait valoir que le texte établissait une « #différence » entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, « qu’on soit français ou qu’on soit étranger ». « Nous voulons que celles et ceux qui travaillent soient mieux accompagnés », a-t-il ajouté, en faisant allusion au délai de carence moins long pour les étrangers en emploi que pour les autres. Une présentation qui omet que le nouveau régime ne s’applique qu’aux résidents non européens, et laisse penser que certains étrangers mériteraient plus que d’autres d’être couverts par notre #Etat-providence.

      Alors que la loi est censée faciliter – sous certaines conditions – l’#intégration de ressortissants d’autres pays, des spécialistes de la protection sociale considèrent que les mesures sur les prestations tournent le dos à cet objectif. « Les délais de carence vont totalement à l’encontre de l’intégration que l’on prétend viser », estime Michel Borgetto, professeur émérite de l’université Paris Panthéon-Assas. Ils risquent, d’une part, de « précipiter dans la #précarité des personnes confrontées déjà à des #conditions_de_vie difficiles, ce qui aura pour effet d’accroître le nombre de #travailleurs_pauvres et de #mal-logés, voire de #sans-abri, relève-t-il. Ils sont, d’autre part, susceptibles de se révéler largement contre-productifs et terriblement néfastes, poursuit le spécialiste du droit de la #sécurité_sociale, dans la mesure où les étrangers en situation régulière se voient privés des aides et accompagnements nécessaires à leur insertion durable dans la société, dans les premiers mois ou années de leur vie en France. C’est-à-dire, en fait, au moment même où ils en ont précisément le plus besoin… »

      Maîtresse de conférences en droit social à l’université Lyon-II, Laure Camaji tient à rappeler que les prestations visées constituent des « #droits_universels, attribués depuis des décennies en raison de la résidence sur le territoire ». « Cela fait bien longtemps – depuis une loi de 1975 – que le droit aux #prestations_familiales n’est plus lié à l’exercice d’une #activité_professionnelle, souligne-t-elle. C’est un principe fondamental de notre système de sécurité sociale, un #acquis majeur qui forme le socle de notre #pacte_social, tout comme l’est l’#universalité de la #couverture_maladie, de la prise en charge du #handicap et de la #dépendance, du droit au logement et à l’#hébergement_d’urgence. »

      A ses yeux, le texte entraîne une « régression considérable » en instaurant une « #dualité de régimes entre les Français et les Européens d’un côté, les personnes non ressortissantes de l’Union de l’autre ». L’intégralité du système de protection sociale est fragilisée, « pour tous, quelle que soit la nationalité, l’origine, la situation familiale, puisque l’universalité n’est plus le principe », analyse-t-elle.

      Motivation « idéologique »

      Francis Kessler, maître de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, ne comprend pas « la logique à l’œuvre dans cette loi, sauf à considérer qu’il est illégitime de verser certaines prestations à une catégorie de la population, au motif qu’elle n’a pas la nationalité française, ou que les étrangers viennent en France pour toucher des aides – ce qu’aucune étude n’a démontré ». En réalité, complète-t-il, la seule motivation de cette loi est « idéologique » : « Elle repose très clairement sur une idée de “#préférence_nationale” et place notre pays sur une pente extrêmement dangereuse. »

      Toute la question, maintenant, est de savoir si les dispositions en cause seront validées par le #Conseil_constitutionnel. L’institution de la rue de Montpensier a été saisie par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, ainsi que par des députés et sénateurs de gauche, notamment sur les restrictions des #aides_financières aux étrangers. Les parlementaires d’opposition ont mis en avant le fait que les délais de carence violaient – entre autres – le #principe_d’égalité. Plusieurs membres du gouvernement, dont la première ministre, Elisabeth Borne, ont reconnu que des articles du texte, comme celui sur les APL, pouvaient être jugés contraires à la Loi fondamentale. Le Conseil constitutionnel rendra sa décision avant la fin du mois de janvier.

      https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/05/sur-les-prestations-sociales-aux-etrangers-la-contradiction-d-emmanuel-macro
      #Macron #loi_immigration #accès_aux_droits

  • « On a désappris aux gens à faire durer les choses »

    Prendre soin des choses relève d’une activité souvent peu visible : la maintenance. Au nom de la croissance, cette pratique a été refoulée, racontent les sociologues Denis Pontille et Jérôme Denis.

    Réparer, recoudre, huiler, nettoyer, mettre à jour, aiguiser, inspecter… Toutes ces actions consistent à tenter de faire durer les objets avec lesquels nous vivons, de notre pull préféré aux aiguillages d’une ligne TGV. Toutes font partie d’un « art de la maintenance », remis sur le devant de la scène par les sociologues Jérôme Denis et David Pontille, rattachés au Centre de sociologie de l’innovation, dans leur ouvrage Le soin des choses, politique de la maintenance (éd. La Découverte). Ils nous invitent à repenser la relation au monde matériel qui nous entoure.

    Reporterre — Vous écrivez que « faire durer les choses est une opération presque subversive ». Pourquoi ?

    Jérôme Denis — Dans les configurations particulières que sont les pays riches et les zones riches de ces pays, une certaine forme de capitalisme s’est constituée autour d’une durée de vie restreinte des choses et d’une hyperconsommation. Face à cela, la maintenance, faire durer des choses, est une opération qui n’est pas révolutionnaire, mais qui met un grain de sable dans la machine.

    C’est différent de la réparation. Pourquoi ?

    David Pontille — La réparation est incluse dans la maintenance. Mais la réparation met en scène des héros et des héroïnes, des gens qui viennent « sauver » la situation, ou le monde, de la rupture, de la casse,de la panne, du désastre. Ils remettent la situation en ordre. Au contraire, la maintenance, ce sont des gestes pratiqués en continu, et c’est potentiellement tout le monde. Il n’y a pas de figures spécifiques qui viennent créer l’événement.

    À quel moment la maintenance a-t-elle été reléguée en arrière-plan ?

    Jérôme Denis — A un moment, dans les pays riches, s’est construit une lutte très explicite contre certaines pratiques de maintenance et de réparation ordinaire, quotidienne. Elles étaient populaires, domestiques ou à l’usine, en grande partie faites par les femmes. De l’économie, au sens « être économe ». Au tournant du XXᵉ siècle, un modèle économique s’est constitué contre ces pratiques. Il ne fallait pas que les gens fassent durer ce qu’ils consommaient. Il fallait qu’ils désapprennent, presque, à faire durer les choses. C’est allé jusqu’à des formes de stigmatisation publique. Des campagnes de communication aux États-Unis prétendaient qu’il était antinationaliste de faire des économies de bouts de chandelle, qu’il fallait absolument acheter parce que c’est un acte héroïque et patriotique.

    « Les personnes qui pratiquent la maintenance doivent produire leur invisibilité, comme les femmes de ménage dans les bureaux »

    Cela va avec l’invention du jetable. On n’est plus responsables, on n’a plus le fardeau de s’occuper de ce que l’on achète, d’y prêter attention. Après, il faut être très précis et ne pas oublier qu’aujourd’hui, dans n’importe quel quartier populaire, campagne, et dans pas mal de maisonnées, on trouve des traces de gens qui savent faire et font quand même, notamment parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Et on ne parle pas évidemment des pays du Sud.

    Pourquoi la maintenance a-t-elle été — au moins dans certains domaines — invisibilisée ?

    David Pontille — Au cœur de l’acte de maintenance, il y a l’idée de faire durer. Cela va à l’inverse des grands récits sur l’innovation, où il faut faire de la disruption, du nouveau, du créatif. Il y a aujourd’hui une survalorisation de l’acte créateur par rapport à l’acte reproducteur, de faire durer, de simplement poursuivre ce qui est déjà là. Cela va jusque dans la comptabilité, où c’est l’investissement qui est valorisé, qui crée la valeur, alors que les frais de fonctionnement sont considérés comme moins importants.

    Quelles conséquences sociales cela a-t-il sur ceux dont la maintenance est le métier ?

    Jérôme Denis — Une grande partie des activités de maintenance sont mal reconnues. Les personnes qui la pratiquent doivent produire leur invisibilité, comme les femmes de ménage dans les bureaux. Il y a des conséquences sur la reconnaissance de leur expertise, ce qui pose tout simplement des questions de rémunération. Comme on ne sait pas ce que rapporte la maintenance — c’est ce que disait Denis sur la comptabilité — on a du mal à la payer correctement.

    « Il faut prendre en compte le fait que si cette machine fonctionne bien, c’est grâce à des personnes qui l’entretiennent »

    La deuxième conséquence est que, comme à peu près n’importe quel travail productif, physique, la maintenance use. Il y a des troubles musculo-squelettiques, des expositions à des produits dangereux. Il faut prendre en compte le fait que si cette machine fonctionne bien dans cette usine, si cette infrastructure tient, c’est grâce à des personnes qui l’entretiennent. Et se demander quel est le coût financier et humain des travailleurs et travailleuses impliqués dans la maintenance.

    Quels sont les enjeux communs aux travailleuses du soin aux personnes et aux travailleurs de la maintenance ?

    Jérôme Denis — C’est le rapprochement que fait Mierle Laderman Ukeles [artiste américaine née en 1939, connue pour ses œuvres mettant en scène les tâches de maintenance et de nettoyage], qui est en couverture du livre. Cette artiste conceptuelle fait une connexion entre ce qu’elle fait à la maison et le travail des éboueurs de New York. Dans son Manifeste pour l’art de la maintenance, le care [soin] est un mot très important.

    « Le soin des choses et des personnes remet en cause le mythe de l’autonomie »

    Que ce soit pour le soin des personnes ou des choses, la fragilité est le point de départ, la condition commune. Les gens qui prennent soin des personnes sont des gens qui considèrent qu’il n’y a pas un état sain, puis des écarts à cet état sain. Tout le monde a des formes de vulnérabilité. Cela retourne l’idée du normal, de l’ordre : les mainteneurs et les mainteneuses prennent également la fragilité comme point de départ.

    L’autre point commun est la part d’invisibilité de ces personnes. Les deux activités — soin des choses et des personnes — remettent aussi en cause le mythe de l’autonomie, cette figure très libérale de l’individu qui fait ses choix en toute responsabilité, seul. Les théories féministes du soin redéfinissent l’autonomie et assument l’interdépendance, le fait qu’on a toujours besoin, à un moment donné dans notre vie, d’être pris en charge par d’autres.

    Et le dernier point commun, c’est l’ambivalence de ces activités et les jeux de pouvoir qui s’y jouent. Prendre soin, c’est potentiellement imposer des manières de faire. Qui prend soin de qui ? Jusqu’où ? Qui peut se permettre de ne jamais prendre soin et d’être insouciant ?

    Prendre soin des choses et des personnes peut-il nous apprendre à prendre soin de la nature ?

    Jérôme Denis — Oui, parce que les humains habitent le monde avec des choses. Dans le livre, on utilise les termes de « tact » et de « diplomatie matérielle », car quand on prend soin des choses, il y a cette idée de négociation. Jusqu’où peut-on se permettre d’aller pour faire durer, préserver, conserver, restaurer, entretenir ? C’est une question éminemment politique, mais aussi très philosophique. Et centrale dans la préservation environnementale.

    « Il faut se débarrasser du mythe de l’équilibre, de l’idée que les choses vont revenir à un état stable »

    Pour y répondre, on peut s’inspirer des formes de maintenance que l’on appelle modestes, qui assument qu’il faut faire, qu’il ne faut pas disparaître, mais qu’il ne faut pas être trop brutal. La conservation patrimoniale des monuments historiques est un excellent exemple. Alors que le modèle de Viollet-le-Duc était très immodeste, qu’il assumait des grandes transformations pour revenir à l’état « original » d’un monument, la profession s’est organisée depuis quelques années à l’échelle internationale autour du principe « d’intervention minimale » qui assume qu’il y a bien des interventions nécessaires pour la conservation, mais qui insiste aussi sur la nécessité de rester parcimonieux. Cela produit un rapport à l’environnement qui ressemble plus à ce que propose Aldo Leopold [1887-1948, considéré comme l’un des pères de la protection de l’environnement aux États-Unis], c’est-à-dire à une sorte de partenariat. Les humains sont à l’intérieur des écosystèmes, en essayant d’être le moins nuisibles possible, au nom d’une communauté de vie sur Terre.

    Et puis, on peut avoir tendance à imaginer que la maintenance ou le soin sont un statu quo. Certaines formes de maintenance essayent de fabriquer une immobilité. Ce que l’on montre, c’est que pour y arriver, il faut accepter les transformations. C’est typique de la signalétique du métro, que nous avons étudiée. C’est un dispositif destiné à être toujours présent, toujours en bon état. Pour assurer cela, il faut accepter d’en remplacer régulièrement des composants. Il y a là aussi une connexion avec la question de conservation environnementale. Il faut se débarrasser du mythe de l’équilibre, de l’idée que les choses vont revenir à un état stable, une fixité.

    https://reporterre.net/On-a-desappris-aux-gens-a-faire-durer-les-choses
    #objets #réparation #maintenance #capitalisme #consumérisme #hyperconsommation #économie #jetable #innovation #faire_durer #création #production #reproduction #investissement #fragilité #tact #diplomatie_matérielle #négociation

    • Le soin des choses. Politiques de la maintenance

      Qu’ont en commun une chaudière, une voiture, un panneau de signalétique, un smartphone, une cathédrale, une œuvre d’art, un satellite, un lave-linge, un pont, une horloge, un serveur informatique, le corps d’un illustre homme d’État, un tracteur ? Presque rien, si ce n’est qu’aucune de ces choses, petite ou grande, précieuse ou banale, ne perdure sans une forme d’entretien. Tout objet s’use, se dégrade, finit par se casser, voire par disparaître. Pour autant, mesure-t-on bien l’importance de la maintenance ? Contrepoint de l’obsession contemporaine pour l’innovation, moins spectaculaire que l’acte singulier de la réparation, cet art délicat de faire durer les choses n’est que très rarement porté à notre attention.
      Ce livre est une invitation à décentrer le regard en mettant au premier plan la maintenance et celles et ceux qui l’accomplissent. En suivant le fil de différentes histoires, ses auteurs décrivent les subtilités du « soin des choses » pour en souligner les enjeux éthiques et la portée politique. Parce que s’y cultive une attention sensible à la fragilité et que s’y invente au jour le jour une diplomatie matérielle qui résiste au rythme effréné de l’obsolescence programmée et de la surconsommation, la maintenance dessine les contours d’un monde à l’écart des prétentions de la toute-puissance des humains et de l’autonomie technologique. Un monde où se déploient des formes d’attachement aux choses bien moins triviales que l’on pourrait l’imaginer.

      https://www.editionsladecouverte.fr/le_soin_des_choses-9782348064838
      #livre

  • L’Etat de droit, nouvelle frontière de la bataille de l’extrême droite contre l’immigration
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/28/l-etat-de-droit-nouvelle-frontiere-de-la-bataille-de-l-extreme-droite-contre

    L’Etat de droit, nouvelle frontière de la bataille de l’extrême droite contre l’immigration
    Le Rassemblement national se tient prêt à exploiter une censure partielle de la « loi immigration » par le Conseil constitutionnel, dont l’extrême droite cherche à réduire les prérogatives.
    Par Clément Guillou
    Il ne déplairait pas à la première ministre, Elisabeth Borne, et à son ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, que le Conseil constitutionnel censure une partie des dispositions contenues dans la loi sur l’immigration, adoptée par le Parlement, le 19 décembre. Un autre camp n’y verrait pas d’inconvénient : l’extrême droite.
    « Cela nous intéresse que ce débat-là soit sur la place publique, avance Philippe Olivier, conseiller spécial de la cheffe de file du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen. Si la loi n’est pas validée, voilà ce que se dira l’électeur : “Comment cela ? Les sondages indiquent que les gens sont contents de la loi et [le président du Conseil constitutionnel] Laurent Fabius, dans son bureau, la remet en question ?” Ça va être très mal pris. Bien sûr qu’on le dénoncera. » Et l’ancien mégrétiste de reprendre la vulgate lepéniste en voyant dans une éventuelle censure, non pas le respect du texte suprême par neuf juges, mais « le bricolage du système ».
    Le second volet du discours lepéniste est résumé ainsi par le député RN de la Somme Jean-Philippe Tanguy, un autre proche de Marine Le Pen, le 21 décembre sur Franceinfo : « Si, malheureusement, le Conseil constitutionnel prend des dispositions de censure, cela prouvera que nous avions raison et qu’il faut une réforme de la Constitution [soumise à référendum] pour assurer que les dispositions passent. »
    Depuis des décennies, l’extrême droite mène deux guerres idéologiques sur le terrain de l’immigration : l’une concerne la préférence nationale, dont le principe a été inscrit par le parti Les Républicains (LR) dans cette loi avec l’aval de la majorité ; l’autre concerne la lutte contre l’Etat de droit, qu’elle juge incompatible avec ses idées sur la question. Une censure partielle permettrait au Rassemblement national d’avancer ses pions sur deux thèmes : la nécessité de rogner les pouvoirs du juge constitutionnel et de modifier la Constitution en inversant la hiérarchie des normes. Le programme de Marine Le Pen prévoit de faire primer la Constitution sur l’ensemble des traités internationaux signés par la France, dont les traités européens. Un choix fait en 2021 par les nationalistes polonais, qui a mis Varsovie au ban de l’Union européenne jusqu’à la victoire électorale de Donald Tusk, en 2023. Une censure partielle du Conseil, d’autant plus s’il la justifiait par le respect du droit communautaire, viendrait nourrir le discours eurosceptique du RN à cinq mois des élections européennes de 2024.
    S’enclenche ainsi, à quelques semaines de l’avis de la juridiction suprême, le processus annoncé au lendemain du vote, dans Le Monde, par le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, proche du Parti socialiste : « La censure permettrait au Rassemblement national de dire : “Vous voyez bien que notre Constitution ne nous permet pas d’assurer la sécurité de nos concitoyens”. » Le RN n’est plus seul à tenir ce discours. Chez LR, des voix s’expriment aussi pour mettre en garde contre une décision défavorable des neuf juges constitutionnels, laissant entendre qu’il s’agirait alors d’une décision politique, sous la pression d’Emmanuel Macron. Depuis la candidature présidentielle de François Fillon en 2017, LR s’est rallié à l’hypothèse d’une révision constitutionnelle sur l’immigration – même l’ancien négociateur du Brexit Michel Barnier, pourtant l’un des plus europhiles de son camp, avait proposé de mettre un terme à la primauté du droit européen en matière migratoire.
    Le 7 décembre, le président du parti, Eric Ciotti, avait défendu lors de sa niche parlementaire un tel « bouclier constitutionnel », appuyé par le RN. Si Gérald Darmanin avait étrillé la proposition sur la forme, la comparant à un « Frexit » déguisé, il se montrait moins hostile sur le fond, la jugeant « complémentaire » de sa loi « immigration ». « Combien de fois ai-je entendu les parlementaires dénoncer le fait que la menace de la censure constitutionnelle (…) rétrécisse les horizons des possibles ? Nous en sommes d’accord », avait-il déclaré. Durant les débats, il avait souligné l’intérêt d’un travail diplomatique pour réviser les traités européens et renégocier la Convention européenne des droits de l’homme, à laquelle se conforme la Constitution. Ces dernières semaines, le ministre de l’intérieur a multiplié les déclarations et décisions montrant la nécessité, selon lui, de modifier les traités internationaux ou d’aller contre l’Etat de droit. Il s’est félicité de déroger à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), puis du Conseil d’Etat, dans un dossier d’expulsion d’un ressortissant ouzbek. Soupçonné de liens avec la mouvance islamiste, selon la Place Beauvau, l’homme, renvoyé en Ouzbekistan, y est menacé de torture selon ses défenseurs et la CEDH. Le penseur identitaire Jean-Yves Le Gallou, qui a mené les combats culturels de l’extrême droite depuis quarante ans, se rengorge d’avancées majeures dans sa bataille contre l’Etat de droit : « Il y a quinze ans, c’est avec beaucoup de prudence que je remettais en cause le diktat judiciaire sur la législation sur l’immigration. Or, c’est dit aujourd’hui avec beaucoup de force par la droite républicaine. »Ces dernières semaines, cette dénonciation d’un « gouvernement des juges » français et européens a été largement relayée par les têtes d’affiche des médias du groupe Bolloré, notamment les animateurs Cyril Hanouna et Pascal Praud, ou le chroniqueur Mathieu Bock-Côté. Dans Le Figaro, le 23 décembre, ce dernier se délecte de l’inquiétude de « la gauche » à l’idée que les Français découvrent « que l’Etat de droit contraint la souveraineté populaire » et en concluent « qu’il faudra ajuster les institutions politiques en conséquence ».

    #Covid-19#migrant#migration#france#loiimmigration#CEDH#droit#conseilconstitutionnel#UE#politiquemigratoire#etatdedroit

  • How it all Began, Moses Dobruška • Ill Will
    https://illwill.com/how-it-all-began

    19. In the 1950s, in the cafeteria of the Rand Corporation where they worked, the founders of game theory used to play a board game of their own invention, entitled “Fuck your buddy!” “Fuck your buddy” forms the implicit moral code of all current social relationships, whether emotional or professional, casual or commercial, virtual or everyday. There’s nothing less playful than universal gamification. Once even the number of one’s “friends” becomes a field of competition, sympathy becomes merely a moment within the generalized hostility.

    20. Social fictions are by nature effective. In the old fiction, man was presented as the owner of his labor power, who then sold it to the owner of the means of production. The classical subject remains sovereign even at the moment he alienates his time and forces by selling them to another. His dignity and integrity were established for all eternity, even if they were violated on a daily basis. This was the subject of classical humanism, about whom jurists and trade-unionists never speak without a tinge of nostalgia, even if they remain unwilling to acknowledge its complete obsolescence as a social fiction. The prevailing fiction today is that of human capital. The subject of human capital is defined as the aggregate of his or her social capital, his health capital, relational capital, cultural capital, hair capital and so on. In no case is he the owner of the capital that he is. He is his social capital, his health capital, his relational capital, his cultural capital, his reputational capital, his hair capital, and so on. These aren’t things he can rent out, alienate, or make available to others without losing them thereby, without losing himself. As such, he is all the more jealous of them. Nor are they things that exist in themselves, outside of the social interactions that bring them into being, and which must for that matter be multiplied as much as possible. 

    Just as there are expiring currencies, these are expiring capitals: they must be activated, maintained, accumulated, cherished, maximized, in short: produced at every moment and through every interaction — protected against their own tendential devaluation. The subject of human capital, servant of the capital that he is far more than master of himself, entrepreneur of himself far more than serene owner of his person, therefore knows only strategic interactions whose outcome must be optimized. Game theory — for which no feint, lie, or betrayal is too extreme in the service of its ends — is the theory of this “subject” marked by absolute precarity, programmed obsolescence, and such extreme inconsistency that it can be canceled at the slightest misstep according to the unpredictable movements of opinion and the codes of the day. To have transformed the human animal into this frantic, anguished, and empty information processor: this is the anthropological mutation crowned by social networks.

    21. A particularly jealous mistress, this society welcomes as a heartfelt token of loyalty every occasion where one of its members agrees to betray a friend, a loved one, or a relative, for its own sake and that of its misguided “values.” What is emerging, behind the media ritual of public confession, is a society of betrayal — a society in which mutual betrayal, and its possibility at each and every moment, serves as a new social pact. The parrhesia spilling out into the public is the same one that never appeared in the very relationships it calls into question, whose definitive spectrality is only further confirmed through this groveling.

    22. The imperative ideological alignment required of citizens during Operation Covid — followed by Operation Ukraine, Operation Climate and Operation Palestine — was the occasion for the sort of revolt of the mediocre that always accompanies the fascization of societies.

    23. Fascism already won when everyone renounced the task of thinking through the “Covid episode.” We all saw just what “culture” was worth, and how all these “critical intellectuals” were in fact more attached to their social status than to their own thought. By its complicit silence, this zombified Left already displayed its contempt for culture and intelligence, long before the fascists came to trample it underfoot.

    24. Those who pretend that there exists somewhere a constituted force, a given movement on which to base the possibility of a revolution, or even simply to counter the actions of the government, are not only misleading and deceiving themselves. By occupying the terrain in this way, they block the emergence of something new, something capable of grasping ahold of the epoch and wringing its neck.

    #capital_humain #écologie #gauche #covid #fascisme #conspirationnisme

    • Je n’ai pas la version française, si elle existe, il est possible qu’elle ne soit pas en ligne.

      La dernière fois, à ma connaissance, que ce pseudo a été utilisé, c’était en introduction à « Fragmenter le monde » de Josep Rafanell i Orra, dont voici les 1eres pages
      https://lundi.am/IMG/pdf/fragment_de_fragmenter.pdf

      Un bref extrait de la préface

      Nous vivons un temps d’anarchie, d’anarchie des phénomènes. Plus aucun principe hégémonique ne parvient à ordonner du dehors ce qui advient. Les singularités affirment opiniâtrement leur propre ordre immanent. Chaque phénomène parle sa propre langue. Et c’est bien là leur dernier trait commun à tous. Ceux qui cherchent encore un principe d’unification ne perçoivent plus rien, ou bien cherchent à opérer en sous-main à leur avantage. Le seul principe hégémonique, c’est qu’il n’y en a plus. Maintenir l’unité du monde ne se fait plus qu’au prix de l’enserrer dans une gigantesque broyeuse technologique et spirituelle. — Moses Dobruška.

      Le texte tel que "traduit" par Ill will.

      The text that follows is being published simultaneously in English and in German, where it will appear in the inaugural issue of Neue illustrierte Berliner Zeitung, a newspaper that, in addition to being sold in Berlin newsstands, will also be pasted to the city’s walls like a Dazibao.

      The animus of the text can be distilled from a consideration of its title. On the one hand, it calls up the mysterious 1961 “Hamburg Theses” composed by Guy Debord, Raoul Vaneigem, and Attila Kotányi over three days during a drunken “drift” across the northern port city following the acrimonious “5th Conference of the Situationist International.” Although never written down, the “Theses” are considered by many (including Debord himself) as a turning point in the group’s history, the moment in which the SI affirmed its commitment to “realize philosophy,” that is, to relaunch the revolutionary movement. If a new beginning was needed, this is because, as Debord later recalled, one could “no longer attribute the least importance to any of the ideas of the revolutionary groups that still survived as heirs of the old social emancipation movement destroyed in the first half of our century.” What was urgently needed was to initiate a new wave of contestation “as soon as possible,” while “revitalizing all the basic starting points.”

      A clear reference can also be heard to Bommi Baumann’s memoir, Wie alles anfing [How it all Began], assembled from interviews taken while Baumann was living as a fugitive of the West German state. Three years prior, in July 1971, Baumann and his friend Georg von Rauch founded the 2nd of June Movement, an anarchist urban guerilla group responsible for a wave of armed robberies, bombings, sabotage, and rioting, as well as the high-profile kidnapping of Peter Lorenz, a right-wing mayoral candidate for Berlin, who was successfully exchanged for the release of various imprisoned comrades.

      By 1974, however, there was “stagnation in the whole movement everywhere…Everyone [was] touched by it.” The time had come, “for those who have been at it for a long time, to reflect once more...” For Baumann, the central question was how an excessively militaristic armed struggle might give way to a constructive phase of antagonism that could “continue to fight, on a different level, in a different arena,” through forms not circumscribed by the question of “extermination.” In short, a new beginning was needed to ensure that the autonomous revolutionary movement does not “get buried in the rubble of the collapsing system.”

      For Dubruska, who speaks from a position of “active conspiracism,” the need for a new beginning has other contours. In our society of rubble, a society ruled by competing fictions concerning the causes of its own collapse, there is a risk that our efforts to escape the catastrophe become the unwitting midwives of an ecological rescue of the capitalist system itself. How, in our efforts to construct and defend places of life, can we avoid unwittingly securing the platform for a newly revamped project of “mobilizing, exploiting, ravaging, massacring, and producing”?

      If we’ve been defeated, there is nothing else to do but to start again from the beginning. Fortunately, the brief interval of rest allowed to us between the close of the first and the beginning of the second act of the movement, gives us time for a truly necessary part of our task: to seek out the causes that both necessitated this most recent uprising, and, at the same time, led to its defeat. —Engels, Revolution and Counter-Revolution in Germany (1851)

      1. In its inward collapse, this society has found no better trick to play on its opponents than to snatch from them its new Ersatz morality. In the final stretches of nihilism, oppression will thus be expressed in the language of ecology, feminism and anti-racism. Fascists, in turn, have an easier time portraying themselves as the true advocates of freedom, democracy, counter-hegemonic alternatives and, ultimately, revolution.

      2. These are the days of Barbie feminism and the Pfizer left, pro-censorship anarchists and pro-NATO autonomists, authoritarian horizontalism, green nuclear power and vaccine Stalinism, bombing for LGBTQIA+ rights and the anti-pope — the pope who, when it comes to migrants, ecology, criticism of capitalism, war or hierarchy, returns leftism to its inanity by returning it to its origin.

      3. Nothing is more serious, and more seriously contemporary, than theology. The ignorance of theology is what enables theology to perpetuate its reign, under the guise of politics, economics, science, philosophy, literature and even everyday life. To overcome theology, we must overcome our ignorance of it. Atheists, one more effort if you wish to be revolutionaries!

      4. “We’re witnessing a veritable mania for the consecration of feminism, with society going so far as to adopt an attitude of promotion... The modes are multiple and devious, and while we don’t want to, we run the risk of falling into them and becoming trapped. Women’s particular need for recognition is stimulated by a climate of interest and practical opportunities. Society has come to accept the premises of feminism without grasping the evolution that clarifies these very premises. It sees feminism as an ideology, in other words, as power, and as such respects it because it confirms — rather than places into crisis — what we on the other hand want to subvert” (Carla Lonzi, Ecrits, voix d’Italie, 1977).

      5. “The great danger would be to replace the myth of the working classes as the bearers of future values with that of environmental protection and safeguarding the biosphere, which could just as easily take on an entirely totalizing, totalitarian character. […] Industry would love nothing more than to harness the ecology movement in the same way it harnessed the trade union movement to structure its own society. […] Therefore, in my opinion, the ecological movement should first worry about its own social and mental ecology” (Félix Guattari, Chimères n° 28, 1991-1992).

      6. The labor movement was defeated by criticizing bourgeois society in its own language — that of economics. Today, we have cranks who claim to challenge cybernetic society in its own language — that of ecology. If society casts such a benevolent eye over these activists, it’s only because they intend to lead us to an equivalent defeat.

      7. Environmentalist science-fiction writer Kim Stanley Robinson recently declared: “I meet a lot of technocrats, and there are some who would like to see a lot more activism. (...) Between technocrats, activists and mass citizen actions, synergy and alliances are possible.” No one allies himself with someone stronger than him without becoming, whether consciously or not, his vassal. To act, while governed by one’s unconscious, has never served as an excuse.

      8. Ecological activists deplete the last remaining subjective resources by mobilizing them uselessly against those who “deplete natural resources.” Like their “enemies,” they give little thought to how such precious resources — resources of courage, enthusiasm, confidence, know-how — are formed and replenished. It is as extractivists in their own way that they aspire to be recognized as equal interlocutors by the other extr/activist mafias.

      9. Ecology is the name of a problem, by no means that of a solution. When what is collapsing is an entire civilization, when it is the very way that we pose our problems that has itself become problematic, there’s no “solution” to be found. “Ecologists teach us why and how man’s future is at stake. But it is up to man, not the ecologist, to decide his future” (Georges Canguilhem, “The Question of Ecology,” 1973).

      10. The discourse of progress enabled Capital to overcome any inner resistance to the devastation wrought by modernization. Its function had less to do with legitimization than disinhibition. It was employed less for external than for internal conviction. Today it yields nothing, where it is not purely counterproductive. Judging by its results, no one can believe in progress any longer. Paradoxically, it is ecological discourse that has stepped in to take over. With its bioeconomy and its green new deal, Capital now turns to ecology to find the strength to continue doing what it has always done — mobilizing, exploiting, ravaging, massacring, and producing. Ecological rhetoric is not that in spite of which everything proceeds as before, but that which authorizes the continuation of business as usual and the deepening of the disaster. Therefore, it is in the name of ecology that we will see biotechnologies, nuclear power and geo-engineering in the future.

      11. The latest way this society has found to silence women is to allow them to speak only as “we women.” Anti-feminism is achieved as feminism in precisely the same way that anti-ecologism is achieved as ecologism.

      12. The current state of society is a hallucinatory one. Psychopathological categories have become the most fitting categories for political analysis; to locate them, we must simply look beyond the DSM. The ubiquitous reign of truly Orwellian lies is not an evil, but a disease.

      12bis. Contemporary nihilism is the existential expression of an ordinary material condition, namely, that of an omnilateral dependency on the infrastructures of Capital. It is an unsound thing to allow your life to rest, day after day, in the hands of your executioner.

      13. The symptom is the outcome of a state of suffering with no way out. When you cannot find, in the History you’re offered, any thread leading back to the world you’re born into, you can’t find the thread of your own life. "The fathers have eaten sour grapes; but it is the children’s teeth that have become blunt.”

      14. There are those who make history, and those who tell it. Those who make history know that those who tell it lie, but this lie is also the condition, for them, of being able to continue making it, unhindered.

      15. “It was military servicemen in Soviet Russia who taught the Germans the tactics of tank warfare by which they submerged France during the Second World War; likewise, it was Soviet cadres that trained the first German assault pilots, who proved to be such a surprise at the start of the same conflict” (Franz Jung, The Way Down). In August 1936, that is, after the outbreak of the Spanish Civil War, the entire Central Committee of the Italian Communist Party signed an appeal “for the salvation of Italy and the reconciliation of the Italian people.” It reads: “The Communists adopt the Fascist program of 1919, which is a program of peace, freedom, and defense of the interests of the workers, and say to you: let us fight together for the realization of this program.” Good luck making sense of that!

      16. Never have so few spoken in their own name as in our society of generalized narcissism. It’s through the ego that social magic grasps hold of you. To operate beyond the ego is not a moral injunction, but a precondition of strategy.

      17. At bottom, all activism is essentially therapeutic. Leaving aside the temporary media uproar it can occasionally solicit, its true purpose is to enable activists to “feel better about themselves,” to give them the distinctive feeling of not being “like everyone else” — that passive mass of anesthetized morons and bastards. For the activist, pretending to act “for others,” "for the planet," or “for the common good” is merely a cunning modality of narcissism and universal self-promotion. Through this trade in indulgences, one strives, under the cover of generic and generous motives, for one’s own individual moral advancement.

      18. It was through game theory that the peculiar mixture of cooperation and competition, information and dissimulation, pacification and war, bounded rationality and sheer insanity, rugged individualism and social injunctions that weave the present imperial society was engineered. It’s not without reason that the site in California where this theory was developed is the same spot where all the individualized cybernetic devices for which it constitutes the base code were subsequently developed. To the question, “What do applications apply?”, the response is simple: game theory.

      19. In the 1950s, in the cafeteria of the Rand Corporation where they worked, the founders of game theory used to play a board game of their own invention, entitled “Fuck your buddy!” “Fuck your buddy” forms the implicit moral code of all current social relationships, whether emotional or professional, casual or commercial, virtual or everyday. There’s nothing less playful than universal gamification. Once even the number of one’s “friends” becomes a field of competition, sympathy becomes merely a moment within the generalized hostility.

      20. Social fictions are by nature effective. In the old fiction, man was presented as the owner of his labor power, who then sold it to the owner of the means of production. The classical subject remains sovereign even at the moment he alienates his time and forces by selling them to another. His dignity and integrity were established for all eternity, even if they were violated on a daily basis. This was the subject of classical humanism, about whom jurists and trade-unionists never speak without a tinge of nostalgia, even if they remain unwilling to acknowledge its complete obsolescence as a social fiction. The prevailing fiction today is that of human capital. The subject of human capital is defined as the aggregate of his or her social capital, his health capital, relational capital, cultural capital, hair capital and so on. In no case is he the owner of the capital that he is. He is his social capital, his health capital, his relational capital, his cultural capital, his reputational capital, his hair capital, and so on. These aren’t things he can rent out, alienate, or make available to others without losing them thereby, without losing himself. As such, he is all the more jealous of them. Nor are they things that exist in themselves, outside of the social interactions that bring them into being, and which must for that matter be multiplied as much as possible.

      Just as there are expiring currencies, these are expiring capitals: they must be activated, maintained, accumulated, cherished, maximized, in short: produced at every moment and through every interaction — protected against their own tendential devaluation. The subject of human capital, servant of the capital that he is far more than master of himself, entrepreneur of himself far more than serene owner of his person, therefore knows only strategic interactions whose outcome must be optimized. Game theory — for which no feint, lie, or betrayal is too extreme in the service of its ends — is the theory of this “subject” marked by absolute precarity, programmed obsolescence, and such extreme inconsistency that it can be canceled at the slightest misstep according to the unpredictable movements of opinion and the codes of the day. To have transformed the human animal into this frantic, anguished, and empty information processor: this is the anthropological mutation crowned by social networks.

      21. A particularly jealous mistress, this society welcomes as a heartfelt token of loyalty every occasion where one of its members agrees to betray a friend, a loved one, or a relative, for its own sake and that of its misguided “values.” What is emerging, behind the media ritual of public confession, is a society of betrayal — a society in which mutual betrayal, and its possibility at each and every moment, serves as a new social pact. The parrhesia spilling out into the public is the same one that never appeared in the very relationships it calls into question, whose definitive spectrality is only further confirmed through this groveling.

      22. The imperative ideological alignment required of citizens during Operation Covid — followed by Operation Ukraine, Operation Climate and Operation Palestine — was the occasion for the sort of revolt of the mediocre that always accompanies the fascization of societies.

      23. Fascism already won when everyone renounced the task of thinking through the “Covid episode.” We all saw just what “culture” was worth, and how all these “critical intellectuals” were in fact more attached to their social status than to their own thought. By its complicit silence, this zombified Left already displayed its contempt for culture and intelligence, long before the fascists came to trample it underfoot.

      24. Those who pretend that there exists somewhere a constituted force, a given movement on which to base the possibility of a revolution, or even simply to counter the actions of the government, are not only misleading and deceiving themselves. By occupying the terrain in this way, they block the emergence of something new, something capable of grasping ahold of the epoch and wringing its neck.

      25. The need to hallucinate the existence of a movement stems from the fact that, for a certain number of ambitious losers, this fiction provides some sort of social consistency: they would be “part of it.” When you don’t know what you want, it’s common to want to exist — and then, inevitably, to fail, since existence can never be the result of a will. Clearly, some people believe that we can apply the “fake it until you make it” principle, so successful in the start-up economy, to the revolution.

      26. Just as social networks have captured the essence of social existence and the value attached to it, so radical activists have gradually been reduced to a marginal sub-sector of these networks, which has all but subsumed them. The impossibility — and ultimate superfluity — of having an effective strategy follows logically from this. Henceforth, social movements are primarily there as a support for the individual existence of activists on social networks. If these movements lead nowhere, if it matters so little whether they result in victory or defeat, it’s because they already amply fulfill this sufficient function.

      27. For the activist, the raison d’être of action is only relative to the images that can be produced of it, and even more so to the political exploitation of these images. As such, there’s no need to be scandalized by the strategic aberration or tactical who-fucking-cares attitude of these actions. The true efficacy of the act lies outside itself, in the media spin-offs it is designed to facilitate. From this point of view, a serious casualty is not necessarily a loss, and a crushing defeat can just as easily become a resounding success, provided we are not too sensitive to the suffering of the martyrs.

      28. Misplaced triumphalism, followed by silence about defeat once it is assured, counts among the most perverse forms of the left’s love of defeat, for activists and trade unionists alike. The celebration of non-existent victories conveniently masks the final retreat or, more often than not, the complete absence of strategy altogether. It’s no real paradox to consider that the real defeatists are those who, always positive, never stop applauding and congratulating themselves. Whereas it is those who unapologetically criticize “the movement” who most clearly demonstrate their refusal to be foolishly defeated, and thus their determination to win.

      29. There are those who want to win, and there are those who wish to be recognized — that is, those who consider it a victory to be recognized. True victory is not about the enemy, but about the possibility, in the wake of tactical success, of deploying one’s own plans. For this, you have to have plans.

      30. The way in which, during the coup du monde occasioned by the Covid syndemic, there was suddenly no one left to confront the government supports this hypothesis: that everyone is somewhere else.

      31. Political conscience affords no privilege. No one has proved more deluded in recent years than those who believe themselves to be “politicized.” No one has acted more stupidly than the “cultured.” It’s everywhere else than among the “politicized” that we must seek out those with whom we’ll make the revolution — they have too much social capital to lose not to be stupid and cowardly.

      32. You won’t hear from us again, or only by accident. We’re deserting your public space. We’re moving to the side of the real construction of forces, and of forms. We’re moving to the side of conspiracy, to the side of active conspiracism. We are “exiting the vampire’s castle.” See you on the outside!

      33. Believe enough in what you think not to say it. Believe enough in what we do not to publicize it. Leave it to the Christians and the leftists to enjoy the martyr’s taste for publicity.

      34. There will only be what we build. It’s precisely because there’s no one to save that a revolution is so necessary. The central political question of the 21st century is how to construct collective realities not based on sacrifice.

      35. “It is from here that we want to contribute to creating, as a collective front arriving in waves, the conditions for an ethical cultural change that allows us to escape the trap of the current cultural cohabitation, centered as it is on relations of mistrust and control, domination and competition specific to the patriarchal-matriarchal culture that we maintain practically all over the planet” (Humberto Maturana & Ximena Davila, Habitar Humano).

      36. Those who have won the war speak only of “peace.” Those who have appropriated everything speak only of inclusiveness. Those who are driven by the latest cynicism never forget to call for “benevolence.” They have even managed the miracle of converting just about every leftist in the world to these “values.” This is how they have managed to suppress even the possibility of revolution. And indeed, the victors are well placed to know that there is no such thing as an inclusive revolution, since it consists minimally in their violent exclusion. Nor is there such a thing as a benevolent or ecological revolution — unless you consider that burning palaces, confronting armed forces, or sabotaging major infrastructures would be such. “Where violence reigns, only violence helps,” Brecht said. For the victors, peace is but the eternity of their victory.

      37. Assholes deploy every possible humanitarian ideology in order to outlaw any clear-cut divide within humanity, which would obviously be to their disadvantage. We’re partisans of a world without assholes. This seems to us a minimal, coherent, and satisfying program.

      38. Learning to recognize assholes, even admitting their existence for a start, lies at the origins of our strength: illiteracy and indifference in ethical matters obviously only benefits assholes.

      39. The Party is strengthened by purging itself of its opportunist, nihilist, skeptical, Covidist, malignant, narcissistic, and postmodernist (etc.) elements.

      40. True collective power can only be built with those who have ceased to fear being alone.

      #fragmentation

    • sous deepl

      Le texte qui suit est publié simultanément en anglais et en allemand, où il paraîtra dans le numéro inaugural du Neue illustrierte Berliner Zeitung, un journal qui, en plus d’être vendu dans les kiosques à journaux de Berlin, sera également collé sur les murs de la ville comme un Dazibao.

      L’animosité du texte peut être distillée à partir de son titre. D’une part, il évoque les mystérieuses « thèses de Hambourg » de 1961, composées par Guy Debord, Raoul Vaneigem et Attila Kotányi en trois jours, lors d’une « dérive » alcoolisée à travers la ville portuaire du nord, à la suite de l’acrimonieuse « 5e conférence de l’Internationale situationniste ». Bien qu’elles n’aient jamais été écrites, les « Thèses » sont considérées par beaucoup (y compris par Debord lui-même) comme un tournant dans l’histoire du groupe, le moment où l’IS a affirmé son engagement à « réaliser la philosophie », c’est-à-dire à relancer le mouvement révolutionnaire. Si un nouveau départ était nécessaire, c’est parce que, comme le rappellera plus tard Debord, on ne pouvait « plus accorder la moindre importance à aucune des idées des groupes révolutionnaires qui survivaient encore comme héritiers du vieux mouvement d’émancipation sociale détruit dans la première moitié de notre siècle ». Il était urgent d’initier une nouvelle vague de contestation « le plus tôt possible », tout en « revitalisant tous les points de départ fondamentaux ».

      On peut également entendre une référence claire aux mémoires de Bommi Baumann, Wie alles anfing [Comment tout a commencé], rassemblées à partir d’interviews réalisées alors que Baumann vivait en tant que fugitif de l’État ouest-allemand. Trois ans auparavant, en juillet 1971, Baumann et son ami Georg von Rauch avaient fondé le Mouvement du 2 juin, un groupe de guérilla urbaine anarchiste responsable d’une vague de vols à main armée, d’attentats à la bombe, de sabotages et d’émeutes, ainsi que de l’enlèvement très médiatisé de Peter Lorenz, candidat de la droite à la mairie de Berlin, qui fut échangé avec succès contre la libération de plusieurs camarades emprisonnés.

      En 1974, cependant, on constate « une stagnation de l’ensemble du mouvement partout... Tout le monde est touché par cette stagnation ». Le temps est venu, « pour ceux qui sont là depuis longtemps, de réfléchir une fois de plus... » Pour Baumann, la question centrale est de savoir comment une lutte armée trop militariste peut faire place à une phase constructive de l’antagonisme qui peut « continuer à se battre, à un autre niveau, dans une autre arène », à travers des formes qui ne sont pas circonscrites par la question de « l’extermination ». Bref, un nouveau départ est nécessaire pour que le mouvement révolutionnaire autonome ne soit pas « enseveli sous les décombres du système qui s’effondre ».

      Pour Dubruska, qui parle depuis une position de « conspirationnisme actif », la nécessité d’un nouveau départ a d’autres contours. Dans notre société de décombres, une société régie par des fictions concurrentes sur les causes de son propre effondrement, il y a un risque que nos efforts pour échapper à la catastrophe deviennent les accoucheurs involontaires d’un sauvetage écologique du système capitaliste lui-même. Comment, dans nos efforts pour construire et défendre des lieux de vie, pouvons-nous éviter de sécuriser involontairement la plate-forme d’un projet nouvellement réorganisé de « mobilisation, exploitation, ravage, massacre et production » ?

      *

      Si nous avons été vaincus, il n’y a rien d’autre à faire que de recommencer depuis le début. Heureusement, le bref intervalle de repos qui nous est accordé entre la fin du premier et le début du second acte du mouvement, nous donne le temps d’accomplir une partie vraiment nécessaire de notre tâche : rechercher les causes qui ont à la fois rendu nécessaire ce dernier soulèvement et, en même temps, conduit à sa défaite.

      –Engels, Révolution et contre-révolution en Allemagne (1851)

      1. Dans son effondrement intérieur, cette société n’a pas trouvé de meilleur tour à jouer à ses adversaires que de leur arracher son nouvel Ersatz de morale. Dans les derniers retranchements du nihilisme, l’oppression s’exprimera ainsi dans le langage de l’écologie, du féminisme et de l’antiracisme. Les fascistes, quant à eux, auront plus de facilité à se présenter comme les véritables défenseurs de la liberté, de la démocratie, des alternatives contre-hégémoniques et, en fin de compte, de la révolution.

      2. C’est l’époque du féminisme Barbie et de la gauche Pfizer, des anarchistes pro-censure et des autonomistes pro-OTAN, de l’horizontalisme autoritaire, du nucléaire vert et du stalinisme vaccinal, des bombardements pour les droits des LGBTQIA+ et de l’anti-pape - le pape qui, en matière de migrants, d’écologie, de critique du capitalisme, de la guerre ou de la hiérarchie, renvoie le gauchisme à son inanité en le renvoyant à son origine.

      3. Rien n’est plus grave, et plus gravement contemporain, que la théologie. C’est l’ignorance de la théologie qui permet à celle-ci de perpétuer son règne, sous couvert de politique, d’économie, de science, de philosophie, de littérature et même de vie quotidienne. Pour vaincre la théologie, il faut vaincre l’ignorance que nous en avons. Athées, encore un effort si vous voulez être révolutionnaires !

      4. « Nous assistons à une véritable manie de la consécration du féminisme, la société allant jusqu’à adopter une attitude de promotion... Les modes sont multiples et sournois et, sans le vouloir, nous risquons d’y tomber et d’être piégés. Le besoin particulier de reconnaissance des femmes est stimulé par un climat d’intérêt et d’opportunités pratiques. La société en est venue à accepter les prémisses du féminisme sans saisir l’évolution qui clarifie ces mêmes prémisses. Elle considère le féminisme comme une idéologie, c’est-à-dire comme un pouvoir, et à ce titre elle le respecte parce qu’il confirme - au lieu de mettre en crise - ce que nous voulons au contraire subvertir » (Carla Lonzi, Ecrits, voix d’Italie, 1977).

      5. « Le grand danger serait de remplacer le mythe de la classe ouvrière porteuse des valeurs d’avenir par celui de la protection de l’environnement et de la biosphère, ce qui pourrait tout aussi bien prendre un caractère totalement totalisant et totalitaire. [...] L’industrie ne demanderait pas mieux que d’instrumentaliser le mouvement écologiste comme elle a instrumentalisé le mouvement syndical pour structurer sa propre société. [C’est pourquoi, à mon avis, le mouvement écologiste devrait d’abord se préoccuper de sa propre écologie sociale et mentale » (Félix Guattari, Chimères n° 28, 1991-1992).

      6. Le mouvement ouvrier a été vaincu en critiquant la société bourgeoise dans son propre langage, celui de l’économie. Aujourd’hui, des hurluberlus prétendent contester la société cybernétique dans son propre langage, celui de l’écologie. Si la société porte un regard si bienveillant sur ces activistes, c’est qu’ils ont l’intention de nous conduire à une défaite équivalente.

      7. L’écrivain de science-fiction écologiste Kim Stanley Robinson a récemment déclaré : « Je rencontre beaucoup de technocrates, et il y en a qui aimeraient voir beaucoup plus d’activisme. (...) Entre les technocrates, les activistes et les actions citoyennes de masse, des synergies et des alliances sont possibles ». Personne ne s’allie à un plus fort que lui sans devenir, consciemment ou non, son vassal. Agir en étant gouverné par son inconscient n’a jamais servi d’excuse.

      8. Les militants écologistes épuisent les dernières ressources subjectives en les mobilisant inutilement contre ceux qui « épuisent les ressources naturelles ». Comme leurs « ennemis », ils ne se préoccupent guère de savoir comment se forment et se reconstituent ces ressources si précieuses que sont le courage, l’enthousiasme, la confiance, le savoir-faire. C’est en tant qu’extractivistes à leur manière qu’ils aspirent à être reconnus comme des interlocuteurs égaux par les autres mafias extras/activistes.

      9. L’écologie est le nom d’un problème, en aucun cas celui d’une solution. Quand c’est toute une civilisation qui s’effondre, quand c’est la façon même dont nous posons nos problèmes qui est devenue elle-même problématique, il n’y a pas de « solution » à trouver. « Les écologistes nous apprennent pourquoi et comment l’avenir de l’homme est en jeu. Mais c’est à l’homme, et non à l’écologiste, de décider de son avenir » (Georges Canguilhem, « La question de l’écologie », 1973).

      10. Le discours du progrès a permis au Capital de surmonter toute résistance intérieure aux ravages de la modernisation. Sa fonction est moins de légitimation que de désinhibition. Il servait moins à convaincre à l’extérieur qu’à l’intérieur. Aujourd’hui, elle ne donne rien, quand elle n’est pas purement contre-productive. A en juger par ses résultats, plus personne ne peut croire au progrès. Paradoxalement, c’est le discours écologique qui a pris le relais. Avec sa bioéconomie et son green new deal, le Capital se tourne désormais vers l’écologie pour trouver la force de continuer à faire ce qu’il a toujours fait : mobiliser, exploiter, ravager, massacrer, produire. La rhétorique écologique n’est pas celle malgré laquelle tout continue comme avant, mais celle qui autorise la poursuite du business as usual et l’aggravation du désastre. C’est donc au nom de l’écologie que nous verrons à l’avenir les biotechnologies, le nucléaire et la géo-ingénierie.

      11. La dernière façon que cette société a trouvée pour faire taire les femmes est de leur permettre de parler uniquement en tant que « nous, les femmes ». L’antiféminisme est réalisé en tant que féminisme de la même manière que l’anti-écologisme est réalisé en tant qu’écologisme.

      12. L’état actuel de la société est hallucinatoire. Les catégories psychopathologiques sont devenues les catégories les plus adaptées à l’analyse politique ; pour les repérer, il suffit de regarder au-delà du DSM. Le règne omniprésent du mensonge orwellien n’est pas un mal, mais une maladie.

      12bis. Le nihilisme contemporain est l’expression existentielle d’une condition matérielle ordinaire, celle d’une dépendance omnilatérale à l’égard des infrastructures du Capital. Il n’est pas sain de laisser sa vie reposer, jour après jour, entre les mains de son bourreau.

      13. Le symptôme est l’aboutissement d’un état de souffrance sans issue. Quand on ne trouve pas, dans l’Histoire qu’on nous propose, un fil qui nous ramène au monde dans lequel on est né, on ne trouve pas le fil de sa propre vie. "Les pères ont mangé des raisins aigres, mais ce sont les dents des enfants qui se sont émoussées.

      14. Il y a ceux qui font l’histoire et ceux qui la racontent. Ceux qui font l’histoire savent que ceux qui la racontent mentent, mais ce mensonge est aussi la condition, pour eux, de pouvoir continuer à la faire, sans entrave.

      15. « Ce sont les militaires de la Russie soviétique qui ont enseigné aux Allemands la tactique de la guerre des chars par laquelle ils ont submergé la France pendant la Seconde Guerre mondiale ; de même, ce sont les cadres soviétiques qui ont formé les premiers pilotes d’assaut allemands, qui se sont révélés si surprenants au début de ce même conflit » (Franz Jung, The Way Down). En août 1936, c’est-à-dire après le déclenchement de la guerre civile espagnole, l’ensemble du comité central du parti communiste italien a signé un appel « pour le salut de l’Italie et la réconciliation du peuple italien ». Elle se lit comme suit : « Les communistes adoptent le programme fasciste de 1919, qui est un programme de paix, de liberté et de défense des intérêts des travailleurs, et vous disent : luttons ensemble pour la réalisation de ce programme. » Bonne chance pour donner un sens à tout cela !

      16. Jamais aussi peu de gens n’ont parlé en leur nom propre que dans notre société de narcissisme généralisé. C’est par le biais de l’ego que la magie sociale s’empare de vous. Opérer au-delà de l’ego n’est pas une injonction morale, mais une condition préalable de la stratégie.

      17. Au fond, tout activisme est essentiellement thérapeutique. Abstraction faite de l’agitation médiatique temporaire qu’il peut occasionnellement susciter, son véritable objectif est de permettre aux militants de « se sentir mieux dans leur peau », de leur donner le sentiment distinctif de ne pas être « comme tout le monde » - cette masse passive de crétins et de salauds anesthésiés. Pour le militant, prétendre agir « pour les autres », « pour la planète » ou « pour le bien commun » n’est qu’une modalité astucieuse du narcissisme et de l’autopromotion universelle. Par ce commerce d’indulgences, on s’efforce, sous couvert de motifs génériques et généreux, d’assurer sa propre promotion morale.

      18. C’est grâce à la théorie des jeux que le mélange particulier de coopération et de concurrence, d’information et de dissimulation, de pacification et de guerre, de rationalité limitée et de folie pure, d’individualisme exacerbé et d’injonctions sociales qui tisse la société impériale actuelle a été conçu. Ce n’est pas sans raison que le site californien où cette théorie a été élaborée est le même que celui où tous les dispositifs cybernétiques individualisés dont elle constitue le code de base ont été développés par la suite. À la question « Quelles sont les applications ? », la réponse est simple : la théorie des jeux.

      19. Dans les années 50, à la cafétéria de la Rand Corporation où ils travaillaient, les fondateurs de la théorie des jeux avaient l’habitude de jouer à un jeu de société de leur invention, intitulé « Fuck your buddy ! ». « Fuck your buddy » constitue le code moral implicite de toutes les relations sociales actuelles, qu’elles soient affectives ou professionnelles, occasionnelles ou commerciales, virtuelles ou quotidiennes. Rien de moins ludique que la gamification universelle. Dès lors que le nombre même de ses « amis » devient un champ de compétition, la sympathie n’est plus qu’un moment de l’hostilité généralisée.

      20. Les fictions sociales sont par nature efficaces. Dans l’ancienne fiction, l’homme était présenté comme le propriétaire de sa force de travail, qui la vendait ensuite au propriétaire des moyens de production. Le sujet classique reste souverain même au moment où il aliène son temps et ses forces en les vendant à un autre. Sa dignité et son intégrité sont établies pour l’éternité, même si elles sont violées quotidiennement. Tel était le sujet de l’humanisme classique, dont les juristes et les syndicalistes ne parlent jamais sans une pointe de nostalgie, même s’ils se refusent à reconnaître sa totale obsolescence en tant que fiction sociale. La fiction qui prévaut aujourd’hui est celle du capital humain. Le sujet du capital humain est défini comme l’agrégat de son capital social, de son capital santé, de son capital relationnel, de son capital culturel, de son capital capillaire, etc. Il n’est en aucun cas le propriétaire du capital qu’il est. Il est son capital social, son capital santé, son capital relationnel, son capital culturel, son capital réputationnel, son capital capillaire, etc. Ce ne sont pas des choses qu’il peut louer, aliéner, mettre à disposition des autres sans les perdre par là même, sans se perdre lui-même. Il en est d’autant plus jaloux. Ce ne sont pas non plus des choses qui existent en soi, en dehors des interactions sociales qui les font naître, et qu’il faut d’ailleurs multiplier le plus possible.

      Tout comme il y a des monnaies qui expirent, il y a des capitaux qui expirent : ils doivent être activés, entretenus, accumulés, chéris, maximisés, bref : produits à chaque instant et à travers chaque interaction - protégés contre leur propre dévaluation tendancielle. Le sujet du capital humain, serviteur du capital qu’il est bien plus que maître de lui-même, entrepreneur de lui-même bien plus que propriétaire serein de sa personne, ne connaît donc que des interactions stratégiques dont l’issue doit être optimisée. La théorie des jeux - pour laquelle aucune feinte, aucun mensonge, aucune trahison n’est trop extrême au service de ses fins - est la théorie de ce « sujet » marqué par la précarité absolue, l’obsolescence programmée, et une inconsistance si extrême qu’il peut être annulé au moindre faux pas selon les mouvements imprévisibles de l’opinion et les codes du jour. Avoir transformé l’animal humain en ce processeur d’information frénétique, angoissé et vide : telle est la mutation anthropologique couronnée par les réseaux sociaux.

      21. Maîtresse particulièrement jalouse, cette société accueille comme un chaleureux témoignage de loyauté chaque fois qu’un de ses membres accepte de trahir un ami, un proche, un parent, pour son propre bien et celui de ses « valeurs » dévoyées. Ce qui émerge, derrière le rituel médiatique de la confession publique, c’est une société de la trahison - une société dans laquelle la trahison mutuelle, et sa possibilité à chaque instant, sert de nouveau pacte social. La parrhésie qui s’étale sur la place publique est celle-là même qui n’est jamais apparue dans les relations qu’elle met en cause, et 2, un mouvement donné sur lequel fonder la possibilité d’une révolution, ou même simplement pour contrer les actions du gouvernement, ne font pas que se tromper et se trompent eux-mêmes. En occupant ainsi le terrain, ils bloquent l’émergence de quelque chose de nouveau, capable de saisir l’époque et de lui tordre le cou.

      25. Le besoin d’halluciner l’existence d’un mouvement vient du fait que, pour un certain nombre de perdants ambitieux, cette fiction fournit une sorte de cohérence sociale : ils en feraient « partie ». Quand on ne sait pas ce que l’on veut, il est courant de vouloir exister - et puis, inévitablement, d’échouer, puisque l’existence ne peut jamais être le résultat d’une volonté. Manifestement, certains pensent que l’on peut appliquer à la révolution le principe du « fake it until you make it », qui a si bien réussi dans l’économie des start-up.

      26. De même que les réseaux sociaux ont capturé l’essence de l’existence sociale et la valeur qui lui est attachée, les activistes radicaux ont été progressivement réduits à un sous-secteur marginal de ces réseaux, qui les a pratiquement subsumés. L’impossibilité - et la superfluité ultime - d’avoir une stratégie efficace en découle logiquement. Désormais, les mouvements sociaux sont avant tout là pour servir de support à l’existence individuelle des militants sur les réseaux sociaux. Si ces mouvements ne mènent nulle part, s’il importe si peu qu’ils aboutissent à une victoire ou à une défaite, c’est qu’ils remplissent déjà amplement cette fonction suffisante.

      27. Pour le militant, la raison d’être de l’action n’est que relative aux images que l’on peut en produire, et plus encore à l’exploitation politique de ces images. Il n’y a donc pas lieu de se scandaliser de l’aberration stratégique ou du je-m’en-foutisme tactique de ces actions. La véritable efficacité de l’acte se situe à l’extérieur de lui-même, dans les retombées médiatiques qu’il est censé faciliter. De ce point de vue, une perte grave n’est pas nécessairement une perte, et une défaite cuisante peut tout aussi bien devenir un succès retentissant, à condition de ne pas être trop sensible à la souffrance des martyrs.

      28. Le triomphalisme déplacé, suivi du silence sur la défaite une fois qu’elle est assurée, compte parmi les formes les plus perverses de l’amour de la gauche pour la défaite, tant pour les militants que pour les syndicalistes. La célébration de victoires inexistantes masque opportunément le recul final ou, le plus souvent, l’absence totale de stratégie. Il n’est pas vraiment paradoxal de considérer que les vrais défaitistes sont ceux qui, toujours positifs, ne cessent d’applaudir et de se féliciter. Alors que ce sont ceux qui critiquent sans complexe « le mouvement » qui manifestent le plus clairement leur refus d’être bêtement vaincus, et donc leur détermination à gagner.

      29. Il y a ceux qui veulent gagner et ceux qui veulent être reconnus, c’est-à-dire ceux qui considèrent que c’est une victoire d’être reconnu. La vraie victoire ne concerne pas l’ennemi, mais la possibilité, à la suite d’un succès tactique, de déployer ses propres plans. Pour cela, il faut avoir des plans.

      30. La façon dont, lors du coup du monde provoqué par la syndromie Covid, il n’y avait soudain plus personne pour affronter le gouvernement confirme cette hypothèse : tout le monde est ailleurs.

      31. La conscience politique n’est pas un privilège. Personne ne s’est autant trompé ces dernières années que ceux qui se croient « politisés ». Personne n’a agi plus bêtement que les « cultivés ». C’est partout ailleurs que chez les « politisés » qu’il faut chercher ceux avec qui nous ferons la révolution - ils ont trop de capital social à perdre pour ne pas être stupides et lâches.

      32. Vous n’entendrez plus parler de nous, ou seulement par accident. Nous désertons votre espace public. Nous passons du côté de la construction réelle des forces et des formes. Nous passons du côté de la conspiration, du côté du conspirationnisme actif. Nous « sortons du château du vampire ». Rendez-vous à l’extérieur !

      33. Croyez suffisamment en ce que vous pensez pour ne pas le dire. Croyez suffisamment en ce que nous faisons pour ne pas le rendre public. Laissons aux chrétiens et aux gauchistes le goût du martyr pour la publicité.

      34. Il n’y aura que ce que nous construirons. C’est précisément parce qu’il n’y a personne à sauver qu’une révolution est si nécessaire. La question politique centrale du XXIe siècle est de savoir comment construire des réalités collectives qui ne soient pas fondées sur le sacrifice.

      35. « C’est à partir de là que nous voulons contribuer à créer, en tant que front collectif arrivant par vagues, les conditions d’un changement culturel éthique qui nous permette d’échapper au piège de la cohabitation culturelle actuelle, centrée comme elle l’est sur les relations de méfiance et de contrôle, de domination et de compétition propres à la culture patriarcale-matriarcale que nous maintenons pratiquement sur toute la planète » (Humberto Maturana & Ximena Davila, Habitar Humano).

      36. Ceux qui ont gagné la guerre ne parlent que de « paix ». Ceux qui se sont tout approprié ne parlent que d’inclusion. Ceux qui sont animés par le dernier cynisme n’oublient jamais d’appeler à la « bienveillance ». Ils ont même réussi le miracle de convertir à ces « valeurs » à peu près tous les gauchistes du monde. C’est ainsi qu’ils ont réussi à supprimer toute possibilité de révolution. En effet, les vainqueurs sont bien placés pour savoir qu’il n’existe pas de révolution inclusive, puisqu’elle consiste minimalement en leur exclusion violente. Il n’y a pas non plus de révolution bienveillante ou écologique - à moins de considérer que brûler des palais, affronter des forces armées ou saboter des infrastructures majeures en soit une. « Là où règne la violence, seule la violence aide », disait Brecht. Pour les vainqueurs, la paix n’est que l’éternité de leur victoire.

      37. Les connards déploient toutes les idéologies humanitaires possibles pour proscrire tout clivage net au sein de l’humanité, ce qui serait évidemment à leur désavantage. Nous sommes partisans d’un monde sans trous du cul. Cela nous semble un programme minimal, cohérent et satisfaisant.

      38. Apprendre à reconnaître les cons, voire admettre leur existence pour commencer, est à l’origine de notre force : l’analphabétisme et l’indifférence en matière d’éthique ne profitent évidemment qu’aux cons.

      39. Le Parti se renforce en se purgeant de ses éléments opportunistes, nihilistes, sceptiques, covidistes, malins, narcissiques, postmodernistes (etc.).

      40. Le véritable pouvoir collectif ne peut se construire qu’avec ceux qui ont cessé de craindre d’être seuls.

      Novembre 2023

  • #Recherche : les tours de #passe-passe d’#Emmanuel_Macron

    Le chef de l’Etat s’est targué d’un #bilan flatteur en matière d’investissement pour le monde de la recherche, en omettant des #indicateurs inquiétants et des promesses non tenues, tout en vantant une #concurrence délétère.

    Devant un parterre de plusieurs centaines de scientifiques, le 7 décembre, à l’Elysée, le président de la République, Emmanuel Macron, était à l’aise, volontaire, et « en compagnonnage » avec la communauté académique, comme il l’a confessé. Mais c’est moins en passionné de science qu’en magicien qu’il s’est en fait comporté, escamotant ce qui ne rentrait pas dans son cadre, multipliant les tours de passe-passe, sortant quelques lapins du chapeau, pour aboutir à transformer les flatteries adressées à son auditoire en cinglantes critiques. Au point de faire « oublier » un autre discours célèbre, celui de Nicolas Sarkozy en janvier 2009, qui avait lâché : « Un chercheur français publie de 30 % à 50 % en moins qu’un chercheur britannique. (…) Evidemment, si l’on ne veut pas voir cela, je vous remercie d’être venu, il y a de la lumière, c’est chauffé… »

    Premier tour de magie classique, celui de l’embellissement du bilan. Comme une baguette magique, son arrivée en 2017 aurait mis fin à des années de « #désinvestissement_massif ». Sauf que cela ne se voit pas dans le critère habituel de la part du PIB consacrée en recherche et développement (R&D), qui est restée stable depuis le début du premier quinquennat, à 2,2 %. Les estimations indiquent même une baisse à 2,18 % pour 2022.

    Cela ne se voit pas non plus dans la part des #publications nationales dans le total mondial, dont il a rappelé qu’elle a baissé, sans dire qu’elle continue de le faire malgré ses efforts. Même les annexes au projet de loi de finances pour 2024 prévoient que cela va continuer. Pire, côté bilan, compte tenu de l’inflation, la « magique » #loi_de_programmation_de_la_recherche de 2020 donne en fait des #moyens en baisse aux #laboratoires l’an prochain.

    Avec plus de « réussite », le président de la République a littéralement fait disparaître du paysage 7 milliards d’euros. Il s’agit de l’enveloppe, dont se prive volontairement l’Etat chaque année, pour soutenir la recherche et développement des entreprises – le #crédit_d’impôt_recherche – sans résultat macroéconomique. La part des dépenses de #R&D des #entreprises ne suit pas la progression du crédit d’impôt recherche. Mais il n’est toujours pas question d’interroger l’#efficacité du dispositif, absent de l’allocution, comme celle des mesures sur l’#innovation, le 11 décembre à Toulouse.

    Autre rituel classique des discours, faire oublier les précédents. Le chef de l’Etat l’a tenté à deux reprises sur des thèmes centraux de son argumentaire : l’#évaluation et la #simplification. Dans son allocution de 2023, il regrette qu’en France « on ne tire toujours pas assez conséquence des évaluations », quand en novembre 2019, pour les 80 ans du CNRS, il critiquait « un système mou sans conséquence ». Entre ces deux temps forts, il a nommé à la tête de l’agence chargée des évaluations son propre conseiller recherche, #Thierry_Coulhon, qui n’a donc pas réussi à « durcir » l’évaluation, mais a été nommé à la tête du comité exécutif de l’Institut polytechnique de Paris.

    Il y a quatre ans, Emmanuel Macron promettait également la « simplification », et obtenu… le contraire. Les choses ont empiré, au point qu’un rapport publié en novembre du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur enjoint au CNRS de lancer une « opération commando » pour régler des #problèmes_administratifs, qu’un médaillé d’argent, ulcéré, renvoie sa médaille, et que le conseil scientifique du #CNRS dénonce les « #entraves_administratives ».

    #Violence_symbolique

    L’#échec de la #promesse de simplifier pointe aussi lorsqu’on fait les comptes des « #annonces » concernant le « #pilotage » du système. Emmanuel Macron a prévu pas moins de cinq pilotes dans l’avion : lui-même, assisté d’un « #conseil_présidentiel_de_la_science » ; le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ; le « ministère bis » qu’est le secrétariat général à l’investissement, qui distribue des milliards jusqu’en 2030 sur des thématiques pour la plupart décidées à l’Elysée ; auxquels s’ajoutent les organismes de recherche qui doivent se transformer en « #agences_de_programmes » et définir aussi des stratégies.

    Au passage, simplification oblige sans doute, le thème « climat, biodiversité et société durable » est confié au CNRS « en lien naturellement avec l’#Ifremer [Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer] pour les océans, avec l’#IRD [Institut de recherche pour le développement] pour le développement durable » ; enfin, dernier pilote, les #universités, qui localement géreront les personnels employés souvent par d’autres acteurs.

    Finalement, le principal escamotage du magicien élyséen consiste à avoir parlé pendant une heure de recherche, mais pas de celles et ceux qui la font. Ah si, il a beaucoup été question des « meilleurs », des « gens très bons », « des équipes d’excellence » . Les autres apprécieront. Le Président promet même de « laisser toute la #liberté_académique aux meilleurs », sous-entendant que ceux qui ne sont pas meilleurs n’auront pas cette liberté.

    Cette #invisibilisation et cette #privation_de_droits d’une bonne partie des personnels fonctionnaires sont d’une rare violence symbolique pour des gens qui, comme dans d’autres services publics, aspirent à bien faire leur métier et avoir les moyens de l’exercer. Ces derniers savent aussi, parfois dans leur chair, quels effets délétères peuvent avoir ces obsessions pour la #compétition permanente aux postes et aux moyens. Et accessoirement combien elle est source de la #complexité que le chef de l’Etat voudrait simplifier.

    La « #révolution », terme employé dans ce discours, serait évidemment moins d’accélérer dans cette direction que d’interroger ce système dont on attend encore les preuves de l’#efficacité, autrement que par les témoignages de ceux qui en bénéficient.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/21/recherche-les-tours-de-passe-passe-du-president-macron_6207095_3232.html
    #ESR #Macron #France #université #facs

  • « Un bidouillage ahurissant » : à quoi joue Emmanuel #Macron en saisissant le #Conseil_constitutionnel ?

    « Emmanuel Macron va saisir le Conseil constitutionnel sur la loi #immigration. L’opposition de gauche également. De nombreuses mesures pourraient être retoquées. (...) » #politique #France #président #irresponsable #double_jeu #double_langage #en_même_temps #tartuffe

    https://actu.fr/politique/un-bidouillage-ahurissant-a-quoi-joue-emmanuel-macron-en-saisissant-le-conseil-

  • #François_Héran : « A vouloir comprimer la poussée migratoire à tout prix, on provoquera l’inverse »

    Le professeur au Collège de France estime, dans une tribune au « Monde », que la #régularisation « au compte-gouttes » des étrangers prévue dans la loi adoptée le 19 décembre finira en réalité par accroître l’immigration irrégulière, tant l’offre et la demande de travail sont fortes.

    La #loi_sur_l’immigration votée mardi 19 décembre n’est ni de droite ni de gauche. Quoi qu’en dise le président de la République, elle a sa source à l’#extrême_droite. Lors des débats du mois de mars, les sénateurs Les Républicains (LR) avaient repris en chœur les formules outrancières du Rassemblement national (RN) :« #submersion_migratoire », « #chaos_migratoire », « #immigration_hors_de_contrôle », « #explosion » des demandes d’asile, etc. Or les #données disponibles, rassemblées par Eurostat et l’ONU, ne disent rien de tel. C’est entendu, en France, comme dans le reste de l’Occident libéral, la migration progresse depuis l’an 2000, de même que la demande de refuge, mais de façon linéaire et non pas exponentielle quand on fait la part de la pandémie de Covid-19 en 2020-2021.

    Comment peut-on soutenir que la #migration_familiale vers notre pays serait une « #pompe_aspirante » qu’il faudrait réduire à tout prix, alors qu’elle est en recul depuis dix ans à force d’être prise pour cible par les lois antérieures ? Au sein de ce courant, une faible part relève du « #regroupement_familial » stricto sensu, soit 14 000 personnes par an environ, conjoints ou enfants mineurs, réunis en vertu d’un droit qui n’a rien d’automatique, contrairement à une légende tenace. Mais l’#erreur la plus flagrante, celle qui alimente largement la nouvelle loi, consiste à vouloir priver les étrangers, selon les mots prononcés par Eric Ciotti, le patron des Républicains, à l’issue du vote, des avantages « du modèle social le plus généreux d’Europe, qui fait de la France la #destination_privilégiée pour les migrants ». Il s’agit là d’une #croyance jamais démontrée.

    Marchands d’#illusion

    Il ne suffit pas, en effet, de constater que tel dispositif d’#aide_sociale existant en France au bénéfice des migrants est sans équivalent à l’étranger ou affiche un montant supérieur, pour qu’on puisse en conclure que la France serait plus « attractive ». Ceci vaut pour tous les dispositifs visés par la loi : allocation pour demandeur d’asile, aide médicale d’Etat, aide au logement, droit du sol, accès à la naturalisation…

    La seule démonstration qui vaille consiste à examiner les « #préférences_révélées », comme disent les économistes, c’est-à-dire à vérifier si les demandeurs de séjour ou d’asile ont effectivement privilégié la France comme destination depuis cinq ou dix ans, dans une proportion nettement supérieure à celle de son poids démographique ou économique au sein de l’Union européenne. Or, il n’en est rien, au vu des données d’Eurostat rapportées à la population et à la richesse de chaque pays. La France réunit 13 % de la population de l’Union européenne et 18 % de son PIB, mais n’a enregistré que 5 % des demandes d’asile déposées en Europe depuis 2013 par les réfugiés du Moyen-Orient, et 18 %, pas plus, des demandes d’origine africaine. Comment croire qu’elle pourra durablement se défausser sur les pays voisins après la mise en œuvre du Pacte européen ? Les politiciens qui font cette promesse à l’opinion sont des marchands d’illusions.

    Trop de loi tue la loi. A vouloir comprimer la poussée migratoire à tout prix au lieu de la réguler de façon raisonnable, on provoquera l’inverse du résultat recherché. Loin de tarir l’afflux des immigrés en situation irrégulière, la régularisation au compte-gouttes finira par l’accroître, tant sont fortes l’offre et la demande de travail. On a beau multiplier les effectifs policiers aux frontières, les entrées irrégulières ne cessent de progresser, quitte à se frayer de nouvelles voies.

    S’il est heureux que la régularisation des travailleurs sans papiers ne dépende plus du bon vouloir de l’employeur, le renforcement des pouvoirs du préfet dans la décision finale va dans le mauvais sens. A l’heure actuelle, déjà, comme l’a rappelé un avis sur la loi de finances 2023, un tiers au moins des préfets n’utilisent pas la #circulaire_Valls sur les #admissions_exceptionnelles_au_séjour, par idéologie ou par manque de moyens. La nouvelle loi fera d’eux plus que jamais des potentats locaux, en creusant l’#inégalité_de_traitement entre les territoires. Dans son rapport de 2013 sur le « #droit_souple », le Conseil d’État avait salué la circulaire Valls, censée rapprocher les critères de régularisation d’une #préfecture à l’autre au profit de l’« #équité_de_traitement ». C’est le contraire qui s’est produit, et l’ajout de critères civiques n’atténuera pas le caractère local et subjectif des décisions.

    Le contraire du #courage

    On nous oppose l’#opinion_publique, la fameuse « attente des Français » véhiculée par les sondages. Faut-il rappeler que la #démocratie ne se réduit pas à la #vox_populi et à la « #sondocratie » ? Elle implique aussi le respect des minorités et le respect des #droits_fondamentaux. Les enquêtes menées avec rigueur sur des échantillons suffisamment solides révèlent que les opinions recueillies sur le nombre des immigrés, leur utilité ou leur comportement dépendent fortement des affiliations politiques : les répondants ne livrent pas des #constats mais des #jugements.

    Dès que les questions précisent les contextes et les situations, comme c’est le cas de l’enquête annuelle de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les opinions se font plus nuancées, le niveau de tolérance augmente. Mais les recherches qui font état de ces résultats ne peuvent s’exposer dans les limites d’une tribune, et rares sont les quotidiens qui font l’effort de les exposer.

    Osera-t-on enfin porter un regard critique sur les formules magiques ressassées ces derniers mois ? La « #fermeté », d’abord, affichée comme une qualité positive a priori, alors que la fermeté n’a aucune #valeur indépendamment du but visé : de grands démocrates ont été fermes, mais de grands autocrates aussi. Il en va de même du « #courage », tant vanté par les LR (le projet de loi initial « manquait de courage », le nouveau texte est « ferme et courageux », etc.), comme s’il y avait le moindre courage à caresser l’opinion publique dans le sens de ses #peurs.

    La #démagogie est le contraire du courage ; la parole « décomplexée » n’est qu’un discours sans scrupule. Le vrai courage aurait été de rééquilibrer les discours destinés à l’opinion publique en exposant les faits, si contrastés soient-ils. Le président de la République avait souhaité « un compromis intelligent au service de l’intérêt général » : il a entériné une #compromission irréfléchie qui lèse nos #valeurs_fondamentales.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/21/francois-heran-a-vouloir-comprimer-la-poussee-migratoire-a-tout-prix-on-prov

    #loi_immigration #France #19_décembre_2023 #chiffres #statistiques #fact-checking #afflux #idées_reçues #propagande #discours

    voir aussi cet extrait :
    https://mastodon.social/@paul_denton/111617949500160420

    ping @isskein @karine4

  • Loi « immigration » : les mesures susceptibles d’être censurées par le Conseil constitutionnel
    https://archive.ph/NMzBO#selection-2047.0-2057.103

    C ’est un drôle d’aveu que Gérald Darmanin a fait, mardi 19 décembre, à la tribune du Sénat, à propos de la loi « immigration ». « Des mesures sont manifestement et clairement contraires à la Constitution. Le travail du Conseil constitutionnel fera son office, mais la politique ce n’est pas être juriste avant les juristes, a avancé le ministre de l’intérieur. La politique est d’élaborer des normes et de constater si elles sont ou pas, d’après nous, conformes. »

    Suite de https://seenthis.net/messages/1032496
    et en particulier le post de @monolecte

    D’un point de vue constitutionnel, ça devrait dégager : c’est une rupture d’égalité.

    et celui de @biggrizzly

    Les sages sauront réécrire ce que signifie l’égalité vraie.

    Encore une nouvelle "victoir◙_id◙ologiqu◙"

  • Les castors.
    Le premier mouvement organisé d’autoconstruction est né en 1921 en France, sous l’impulsion initiale de l’ingénieur Georgia Knapp et favorisé par la loi Loucheur de 1928 sous le nom de “cottages sociaux”. Il s’agissait de groupes qui construisaient de 20 à 78 maisons avec une technique, un financement et une organisation spécifiques. L’organisation du chantier et la quasi totalité des travaux étaient effectuées par les membres de ces groupes pendant leurs loisirshttps://les-castors.fr
    #association#construction_logements_participatif

  • Alexis Potschke : « J’ai lu le message du ministre et j’ai peur »
    https://www.cafepedagogique.net/2023/12/12/alexis-potschke-jai-lu-le-message-du-ministre-et-jai-peur

    J’ai lu le message du ministre tout à l’heure, et j’ai peur maintenant, très peur de ce qui vient : ça faisait longtemps que je n’avais pas eu peur comme ça.

    Il y a un passage qui m’a plongé dans une angoisse terrible. Tenez, c’est ce morceau-là :

    « À compter de la rentrée prochaine, les élèves de 6ème et de 5ème seront donc désormais répartis en 3 groupes de niveaux pour leurs enseignements de français et de mathématiques. »

    Ça n’a l’air de rien, comme ça, et quiconque ne sait pas vraiment ce qu’est une classe pourrait même hausser des épaules, trouver cela normal, se dire que j’en rajoute, passer outre. Ah ! ces profs, ils se plaignent tout le temps !

    C’est malgré tout la mise à mort d’une certaine vision de l’enfance. C’est la fin de l’idée des classes hétérogènes ou chacun peut apprendre à chacun et de chacun, où les élèves en réussite peuvent venir en aide aux élèves en difficulté, et où les élèves en difficulté peuvent prendre confiance en eux, s’appuyer sur leurs pairs ; se sentir un peu, de temps en temps, membre d’un groupe qui n’est ni bon ni mauvais, juste un groupe ; savourer leurs prises de parole réussies, travailler ensemble : apprendre des autres et leur apprendre des choses.

    C’est la fin d’un même postulat d’éducabilité. Tous les élèves sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ! À dix ans, le rouage se met en marche : les uns à droite, les autres à gauche, le bénéfice du doute pour le ventre mou, tout ça, ça se rangera plus tard. Hop ! On classe, on trie ! Mais ce qu’il faut bien avoir à l’esprit, c’est que c’est pour le pire. Que ça ne marche pas.

    Imaginez-vous, dix ans fraîchement révolus, faire votre entrée au collège. Le couperet est tombé quelques semaines plus tôt, vous ne le saviez peut-être même pas, mais : vous êtes un élève en difficulté. Alors voilà : vos camarades seront des élèves en difficulté. Votre enseignant vous fera des cours pour élèves en difficulté. Vous aurez un emploi du temps d’élève en difficulté. Vous avez dix ans, votre avenir a déjà un nom.

    Autour de vous, aussi : essentiellement des garçons. À cet âge, les groupes de niveaux sont aussi, malheureusement, des groupes de genre.

    Vous ne pourrez pas profiter des remarques brillantes de vos camarades, travailler avec eux, apprendre d’eux : non, ce n’est pas la place qui vous a été assignée. Vous êtes en difficulté. Vous aurez toujours l’impression que vos enseignants vous parlent plus lentement qu’aux autres, et de la suspicion en lisant les appréciations sur votre bulletin.

    Le groupe classe, c’est fini. Bienvenue dans le sépulcre des ambitions. Mais que voulez-vous ? C’est ainsi que fonctionne la fabrique des élites. On vous laissera prendre la forme qu’on attend de vous. Vous n’apprendrez que ce qu’on a décidé de vous apprendre – à vous, parce que vous êtes : en d-i-f-f-i-c-u-l-t-é. Tant pis pour le reste !

    #école #élèves #éducation #groupes_de_niveau #ségrégation

    • On arrive au tri classiste et à la ségrégation mise en place déjà au lycée il y a 10 ans. Ça n’était pas clairement écrit, mais j’ai vu celleux qui avaient une bourse relégués dans des classes différenciées, avec des profs et un programme différent et surtout un discours de la direction à leur égard de type « Ah mais non, tu ne peux pas aller dans cette classe, iels ont beaucoup plus d’assurance que toi. » Et j’aurai aimé vous montrer une photo des classes, de ceux avec l’assurance de leur avenir et celleux qui n’en avaient pas, la différence de leurs fringues, leur façon altière de se tenir, de se sentir bien dans leur peau, de s’échanger leur réseau. Les soldats et leurs maitres.

    • Le groupe le plus performant sera affublé du doux nom de « castor » et avec le second groupe, appelés « les chasseurs », ils formeront l’Arc RIP aux Blicains. Quant aux élèves du troisième (et dernier) groupe dénommé « les sauvageons », ils se verront imposer un SNU à vie avec lever du drapeau en pyjama rayé tous les matins jusqu’au bout de leur vie. Par contre, les ceusses qui appartiennent à l’élite castorienne seront eux exemptés de service national universel et, promus aux mérites de leurs géniteurs, ils pourront aller directement pantoufler dans des cabinets de conseil après avoir obtenu leur bac avec mention.

      #école-caserne #saloperies #privilèges_de_classe #classes_ghettos #Gabriel_Attal #consanguinité #endogamie

    • Plus sérieusement, ceci est la conséquence fatale (dans le sens où ça devait arriver un jour) d’un délitement de l’institution #éducation_nationale initié par Sarkozy et finalisé par Blanquer : effectifs pléthoriques dans les classes. Des missions toujours plus nombreuses assignées aux personnels soumis à un feu roulant d’injonctions contradictoires. Résultats : les enseignants se barrent. Le recrutement se tarit. Les relations entre familles et l’institution deviennent de plus en plus conflictuelles. La hiérarchie (du sommet de la pyramide au plus médiocre sous-fifre) va essayer de dissimuler la poussière sous le tapis avec l’idéologie patriotico-laïcarde mais l’illusion fait rapidement long feu.
      Ce processus fait partie d’un dispositif idéologique qui a fait ses preuves dans les pays anglo-saxons, le fameux « starving the beast ».
      A mon avis, les familles « castoriennes » n’hésiteront pas un seul instant et scolariseront leurs progénitures dans le privé, cette attitude étant déjà une tendance lourde. Quant aux deux autres groupes de niveau, ils s’affronteront sur les bancs de l’école publique, les uns zélateurs impénitents de l’idéologie libertarienne, les autres au mieux regarderont par la fenêtre pour faire passer le temps, au pire mettront le feu aux établissements. On fera croire aux familles « chasseurs » que leurs enfants sont l’avenir de la nation et on les enjoindra de faire régner l’ordre raie-pue-blicain au sein de leurs établissements (en dénonçant par exemple les comportements idéologiquement déviants des familles sauvageo-wokistes.
      L’école a toujours été une interface d’une grande porosité entre la société et le pouvoir. Ça ne fait que se confirmer.
      Mon messages aux (ex) collègues qui y croiraient encore : courage, fuyez ou résistez !

    • Un copain de 40 ans, y-a 10 ans : « mais les budgets n’ont jamais été aussi élevés, faut arrêter de vouloir faire grève ou de dire qu’on n’a pas les moyens ». Les budgets à l’époque augmentaient pour prendre en compte l’augmentation du nombre d’élèves si mes souvenirs sont bons. Mais les profs n’étaient pas remplacés, et le pli était donné. 10 ans plus tard, plus personne ne veut devenir prof.

    • Les élèves du groupe « chasseurs » issus en majorité des familles de la classe moyenne déclassée auront bientôt un joli uniforme et s’ils se tiennent sages, ils pourront effectuer leur SNU aux Antilles (ou tout autre DOM-TOM).
      NB : ces familles « chasseurs » auront plébiscité le RN aux présidentielles de 2027.

    • Les jeunes parents, très écolos et socio-conscientisés qui approchent de la 40aine ont vite mis leurs discours sous le boisseau quand il s’est agit de scolariser leur précieuse progéniture là où les prolos autrement glorifiés n’ont pas d’autres choix que de laisser la leur et les « pédagogies alternatives » ont été là bonne excuse toute trouvée et toute offerte, en vrai, pour justifier leur cavalcade vers le privé, bien moins couteuse, socialement que les stratégies anciennes de contournement de la carte scolaire.

    • Ayant bossé (sur un poste adapté) à Angers avec la crème des pédagos dans « l’ingénierie éducative », les collègues ne se cachaient même pas de scolariser leurs rejetons dans le privé catho, parce que bon, hein, le collège (public) de secteur avait « clairement pas le niveau » ... Bel euphémisme en tout cas.

    • « Les groupes de niveau viennent percuter la motivation et l’estime de soi, et donc la réussite scolaire »
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/17/les-groupes-de-niveau-viennent-percuter-la-motivation-et-l-estime-de-soi-et-

      Les économistes Yann Algan [HEC] et Elise Huillery [Dauphine] estiment, dans un entretien au « Monde », que, pour faire face à l’hétérogénéité des niveaux, il faudrait investir davantage dans la formation des enseignants et dans les compétences sociales et comportementales des élèves.

      .... à partir des évaluations de 6e de 2021, 50 % des élèves de classes sociales défavorisées se retrouveraient dans le groupe des élèves faibles contre seulement 13 % des élèves de classes sociales très favorisées. Les inégalités de genre seraient également marquées : le groupe des élèves forts en français compterait 57 % de filles et celui des forts en maths 56 % de garçons.

      https://archive.is/DwC84

      #PISA #économie #pédagogie_verticale #hétérogénéité #coopération

      "un choc d’ignorance"
      https://seenthis.net/messages/1032763

  • Manon Garcia, philosophe : « Croire qu’il suffit de définir le viol par le non-consentement pour y mettre fin est illusoire »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/12/manon-garcia-philosophe-croire-qu-il-suffit-de-definir-le-viol-par-le-non-co

    Si on définissait le viol par le non-consentement, on considérerait que c’est le comportement de la victime qui fait le viol et non celui de l’agresseur, estime l’autrice de « La Conversation des sexes » dans une tribune au « Monde », alors que le droit pénal français actuel met en avant la responsabilité première de celui qui commet le crime.

    C’est une erreur – et une erreur sexiste ! – que de définir le viol par le non-consentement. Certains pays l’ont fait parce que leur définition du viol reposait jusque-là uniquement sur la violence et c’est un indéniable progrès, mais la législation française n’a pas ce problème. C’est en raison de l’importance que j’accorde à la lutte contre les violences sexuelles, et sur la base des années de recherche que j’ai consacrées au viol et au consentement sexuel, que je pense que la définition française du viol ne devrait pas être modifiée et que la solution pour une meilleure lutte contre les violations sexuelles est ailleurs.

    Il ne fait aucun doute que la notion de consentement est cruciale pour penser le bon sexe et qu’il faudrait que nos vies sexuelles ne soient faites que de rapports consentis. Pourtant, nombre de travaux féministes ont montré que cette notion est traversée par des représentations hétérosexistes : on pense que le consentement est l’affaire des femmes, qui doivent choisir d’accepter ou de refuser les assauts sexuels des hommes.

    On pense, en somme, que les hommes veulent sans cesse du sexe, qu’ils ne peuvent pas s’en empêcher, et qu’il revient aux femmes – que l’on présume vouloir de l’amour plutôt que du sexe – de les arrêter ou de les laisser faire. L’homme propose, la femme dispose. Dans ce modèle, les hommes ne peuvent pas être violés, les femmes ne peuvent pas être à l’origine de rapport sexuel, et seul le comportement des femmes – leur refus ou leur accord – distingue le sexe du viol. Au mieux, pour eux, elles cèdent. Au pire, elles empêchent.

    Loin d’empêcher les hommes de violer, ces représentations les exonèrent : on considère que pour eux le sexe et le viol ne sont pas tellement différents, que c’est quelque chose qu’ils font à leur partenaire et que l’avis de celle-ci ou de celui-ci ne compte que comme obstacle possible. On accrédite une représentation fausse et nuisible de la sexualité masculine.

    Conséquences pratiques claires

    Contrairement à l’hypothèse que certains mis en cause défendent dans les prétoires, il n’y a pas de malentendu entre les hommes et leurs victimes, ce n’est pas qu’ils ne comprennent pas que l’autre ne voulait pas. Des études en laboratoire montrent qu’hommes et femmes mis devant les mêmes scénarios de consentement et de non-consentement interprètent les situations de la même façon, sans que les hommes échouent à comprendre les refus.
    Les violences sexuelles ne résultent pas de malentendus ni de problèmes de communication du consentement, mais du fait que des hommes considèrent qu’ils ont ou devraient avoir le droit d’imposer des rapports sexuels. Croire qu’il suffit de définir le viol par le non-consentement pour y mettre fin est illusoire. Le viol n’est pas du sexe sans consentement, c’est une violation infligée par un criminel sur une victime qui n’a que peu à voir avec un « rapport » sexuel : activité jointe et partagée par des partenaires.
    Les conséquences pratiques sont claires : si l’on définit légalement le viol par le non-consentement, on considère que c’est le comportement de la victime qui fait le viol et non celui du violeur. On expose donc la victime à être scrutée – comment pourrait-elle prétendre n’avoir pas été consentante avec une jupe aussi courte ? – et donc malmenée par le processus judiciaire au lieu de se concentrer sur le comportement du mis en cause.

    L’article 222-23 du #code_pénal, en définissant le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol », met en avant la responsabilité sur le violeur et ne qualifie pas le désir de la victime.

    Bien sûr, on peut voir en filigrane dans cette liste de comportements du violeur le non-consentement de la victime – il y a non-consentement lorsque la victime fait l’objet de violence, de contrainte, de menace ou de surprise –, mais la responsabilité n’est pas la sienne. Il y a viol en raison de l’intention du violeur.

    Mécanismes de culpabilisation

    Pour autant, il y a un sérieux problème : un nombre important de procédures de viol achoppent sur cette question de l’intention. Il ne suffit pas de prétendre avoir cru que la personne consentait pour être innocenté, les tribunaux établissent l’intention de manière objective, en fonction des indices présents et de la façon raisonnable de les interpréter.
    Mais les tribunaux considèrent qu’il peut être raisonnable de déduire le consentement à partir d’une situation dans laquelle la victime n’a donné aucun signe positif de son consentement. Dans les faits, il arrive trop souvent que des agresseurs soient relaxés alors même qu’ils avaient obtenu un rapport sexuel d’une victime qui jamais n’avait manifesté la moindre envie et le moindre enthousiasme.
    Les tribunaux échouent à prendre en compte la façon dont les normes de genre empêchent les femmes d’exprimer leurs désirs et autorisent les hommes à ne pas s’en préoccuper, voire à sciemment les ignorer. Mais ce n’est pas là un problème légal, c’est un problème judiciaire. Ce qui est en jeu n’est pas le texte de la #loi, mais les représentations sexistes des juges et des jurés, et leur conception extrêmement restreinte de la menace et de la contrainte.

    Les hommes obtiennent du sexe par nombre de mécanismes de culpabilisation, de contraintes psychologiques qui devraient être considérées comme de la menace ou de la contrainte et ne le sont pas. Mais changer la #loi n’aura pas d’effet direct sur les représentations.
    Il faudrait surtout un changement de #jurisprudence de la Cour de cassation, qui inviterait à une compréhension plus large de la contrainte. On pourrait même imaginer inscrire dans le droit que tout rapport sexuel dans lequel on pourrait raisonnablement avoir un doute sur le consentement de son partenaire est interdit. Faire du #viol la conséquence de la menace, de la contrainte, de la violence ou de la surprise exercées par le violeur est probablement le meilleur moyen de défendre le droit à l’autodétermination sexuelle sans exonérer les agresseurs.

    • Violences sexuelles : « Il est urgent de redéfinir pénalement le viol, dont la définition, en France, présuppose un consentement implicite »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/12/violences-sexuelles-il-est-urgent-de-redefinir-penalement-le-viol-dont-la-de

      Personne ne devrait être jugé a priori consentante ou consentant à des relations sexuelles, dénonce dans une tribune au « Monde », un collectif d’avocates, d’autrices et de magistrats, qui réclame une modification du cadre pénal du viol.

      Pour nombre de professionnelles et professionnels confrontés chaque jour aux situations des victimes de violences sexuelles, comme pour la plupart de nos concitoyennes et concitoyens, il est plus qu’urgent de redéfinir pénalement le viol en France.
      Comment pourrait-il en être autrement face au caractère massif des classements sans suite (74 % des plaintes), des ordonnances de non-lieu, des correctionnalisations et des relaxes prononcées, non pas « dans des dossiers vides », mais dans des dossiers où il existe des éléments qui devraient entraîner poursuites et condamnations pénales ?
      Les statistiques sont connues. Seule une victime de viol sur dix porte plainte. Mais pourquoi iraient-elles déposer plainte et s’exposer aux représailles, y compris judiciaires, de l’agresseur ? Subir un traitement judiciaire qui de facto permet trop souvent l’impunité des mis en cause ?

      Contrairement à ce que certains affirment, ces défaillances ne sont pas seulement dues à une « mauvaise application » du droit pénal, mais bien au droit lui-même. Jugez-en : le fait d’être non consentante ou non consentant à une activité sexuelle ne suffit pas à caractériser le viol, et une juge d’instruction peut écrire par exemple que : « Le défaut de consentement de la partie civile ne suffit pas à caractériser le viol. »

      Prendre en compte la sidération de la victime

      On nous dit qu’il ne faudrait pas changer la définition actuelle du viol, car prendre en compte différemment le consentement dans notre code pénal pénaliserait les victimes, sur lesquelles reposerait alors « une charge de la preuve » (c’est-à-dire démontrer qu’elles n’ont pas consenti). C’est ignorer que la définition actuelle présuppose un consentement implicite à tout acte sexuel, et qu’elle véhicule des stéréotypes tenaces. Le texte nous dit en effet que seuls les actes commis par « violence, contrainte, menace, ou surprise » sont des viols.
      Cet argument ignore aussi que pour établir ces éléments matériels, la justice examine essentiellement le comportement des victimes : « Comment étiez-vous habillée ? » « Pourquoi lui avez-vous parlé ? » « Pourquoi êtes-vous restée ? » Ainsi que leurs réactions : « Pourquoi n’avez-vous pas crié, résisté, porté plainte immédiatement… ? »

      Or, dans la majorité des situations, l’agresseur est connu de la victime : c’est un copain, un ex, un cousin, un collègue, un voisin, un élu, un médecin, un professeur, un ministre… Pour agresser, il s’appuiera plus souvent sur la sidération de la victime, sur sa vulnérabilité, sur sa précarité, sur des rapports de domination ou sur une contrainte morale… Mais notre droit n’oblige pas les magistrats à tirer les conséquences juridiques de ces éléments qui attestent de l’impossibilité d’une volonté libre de la victime.

      Le texte actuel aboutit également à infantiliser les auteurs : on postule qu’ils « n’ont pas compris » un silence, une fausse excuse, un refus poli. Si le comportement de la victime s’écarte du stéréotype attendu (résister vigoureusement, ne pas prendre de risque, etc.), l’agresseur échappera à une poursuite pour défaut d’intentionnalité, et « céder » sera alors interprété comme « consentir ». On postulera que « Monsieur a pu légitimement se méprendre », qu’il a pu croire que ce n’était pas un « vrai non ».

      Eduquer les agresseurs

      Nous devons modifier notre texte pénal. Ce ne sont pas les victimes que notre société doit éduquer, mais les agresseurs, et personne ne devrait être jugé a priori consentant ou consentante. Nous ne pouvons plus permettre que des centaines de milliers de vies soient faites de peurs, de silence et d’efforts surhumains pour se reconstruire.

      Nous pouvons pour cela nous appuyer sur la convention du Conseil de l’Europe dite « d’Istanbul », qui impose aux Etats parties (art. 36.2) que le consentement soit « donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ».

      L’Union européenne s’apprête par ailleurs à adopter un projet de directive enjoignant aux Etats membres de trouver un socle commun de définition et de traitement des violences sexuelles. La France s’oppose à ce que le viol soit visé dans cette directive. Il n’y a aucune raison juridique, morale, historique à cela et nous demandons que cette obstruction cesse.
      Nous savons que la rédaction du nouveau texte sera une œuvre difficile. Mais cela ne doit pas justifier le statu quo. Consultons la société civile, écoutons les différents experts et expertes, prenons le temps d’une réflexion approfondie, obtenons les moyens de le faire et agissons.
      Nous n’avons plus le choix.

      Rédactrices : Anaïs Defosse, avocate ; Milena Dostanic, avocate ; Carine Durrieu Diebolt, avocate ; Mylène Hadji, avocate ; Yasmina Le Ber, avocate ; Catherine Le Magueresse, doctoresse en droit ; Frédérique Pollet-Rouyer, avocate ; Elodie Tuaillon-Hibon, avocate ; Claude Vincent, avocate.
      Signataires : Françoise Brié, Fédération nationale solidarité femmes ; Maria Cornaz Bassoli, avocate ; l’association Choisir la cause des femmes ; Audrey Darsonville, professeure en droit privé et en droit criminel à Paris Nanterre ; Giulia Foïs, journaliste et autrice ; GiedRé, autrice, compositrice et interprète ; Dora Bel Hadj, administratrice de l’AVFT Libres et égales ; Fadela Houari, avocate ; Laure Ignace, juriste, association Prendre le droit ; Magali Lafourcade, juriste et spécialiste des droits humains ; François Lavallière, magistrat et enseignant ; Violaine Lucas, présidente de Choisir la cause des femmes ; Marie Rabatel, Association francophone de femmes autistes ; Zoë Royaux, avocate ; Sophie Soubiran, avocate ; Victoire Tuaillon, journaliste et autrice ; Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre des droits des femmes (2012-2014) ; Marjolaine Vignola, avocate.

      #consentement

  • Improving the humanitarian situation of refugees, migrants and asylum seekers in #Calais and #Dunkirk areas

    The report presented by #Stephanie_Krisper (Austria, ALDE) to the Migration Committee, meeting in Paris, highlighted that the basic needs of a high number of refugees, migrants and asylum seekers in the areas of Calais and Dunkirk (France), were not met. It mentions in particular insufficient places of accommodation situated in remote places that are difficult to access, problematic access to food and water with insufficient and overcrowded distribution points, deficient access to non-food items such as blankets or tents, and limited access to healthcare.

    This report follows a fact-finding visit carried out on 25 and 26 October 2023 by a parliamentary delegation chaired by Ms Krisper, whose objective was to examine the situation of asylum seekers and migrants as well as their defenders in the city of Calais and its surroundings.

    It underlines that these people are stuck in Calais and Dunkirk areas mainly because they have nowhere to go and generally cannot return to their country of origin, a situation exacerbated by the inadequacy of the formal reception system, the lack of information about asylum seekers’ rights as well as cumbersome and long procedures.

    Faced with “this appalling situation, especially since winter is here”, the parliamentarians recommend urgently increasing humanitarian and health assistance through additional volunteers and resources for the associations acting on spot, especially the non-mandated structures. The dignity and fundamental rights of these people must be preserved, and violations and harassments committed by police forces must end, they added.

    The report also warns of the danger these people face by risking their lives when crossing the Channel to the United Kingdom, at the mercy of criminal smuggling networks.

    Finally, the parliamentarians call for a shared responsibility between all European countries, “in order not to leave the burden to countries on the external border of the EU, where congestions points are observed”.

    In addition to its President, Ms Krisper, the delegation was composed of Jeremy Corbyn (United Kingdom, SOC), Emmanuel Fernandes (France, GUE), Pierre-Alain Fridez (Switzerland, SOC) and Sandra Zampa (Italy, SOC).

    Pour télécharger le rapport:
    https://rm.coe.int/report-of-the-ad-hoc-sub-committee-to-carry-out-a-fact-finding-visit-t/1680adaf30

    https://pace.coe.int/en/news/9317/improving-the-humanitarian-situation-of-refugees-migrants-and-asylum-seeke
    #France #Manche #La_Manche #asile #migrations #réfugiés #rapport #visite_parlementaire #Dunkerque #frontières #hébergement #accès_à_l'eau #besoins_fondamentaux #nourriture #accès_à_la_nourriture #accès_aux_soins #santé #droits_fondamentaux #dignité #violences_policières #harcèlement_policier #harcèlement #traversée #passeurs #trafiquants_d'êtres_humains #conseil_de_l'Europe

  • Catherine Le Magueresse : « Violences sexuelles il faut réformer le droit !

    A la veille de nouvelles discussions sur la définition du viol au Parlement européen, Nous publions à nouveau cette tribune écrite en 2011 par Catherine Le Magueresse, juriste. Un texte toujours d’actualité… car les résistances sont puissantes !

    https://www.lesnouvellesnews.fr/catherine-le-magueresse-violences-sexuelles-il-faut-reformer-le-dro
    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/02/05/viol-et-justice-des-victimes-presumees-consentantes/#comment-59687

    #féminisme #consentement

  • Mes vacances, ma liberté - Centre tricontinental
    https://www.cetri.be/Mes-vacances-ma-liberte

    Version complète d’une tribune de Bernard Duterme (CETRI) parue dans La Libre Belgique.

    Mes vacances, ma liberté. C’est un droit, c’est un besoin. Légitime. Celui d’aller se reposer, se divertir, au soleil, loin du travail, de la pluie, de la Belgique… Peu en doutent. Le dogme, l’évidence, la tendance a même explosé ces dernières décennies. La propension à s’expatrier plusieurs fois par an pour « souffler », « se ressourcer », « changer d’air »… poursuit une hausse galopante. Les scores euphoriques affichés par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) – qui le promeut plus qu’elle ne l’organise, c’est entendu [1] – l’attestent : 1 milliard 464 millions de séjours de plaisance à l’étranger en 2019 pour 675 millions en 2000. La déferlante du tourisme international a plus que doublé de volume en moins de vingt ans. Et 2023 devrait pratiquement avoir récupéré du coup de massue historique asséné par la pandémie de covid (moins 60% d’« arrivées » sur la période 2020-2022), pour qu’en 2024, le taux de croissance annuel moyen du secteur (entre 4 et 5%), à l’œuvre depuis la moitié du 20e siècle, puisse reprendre ses droits. [2]

    #tourisme #voyages #OMT #consumérisme

  • ★ Ⓐ Les anarchistes n’ont pas vocation à convertir tous les cons de la planète - Le Libertaire GLJD

    Ils me font bien rire ceux qui prétendent que tous les humains sont nos frères, que tout individu a sa raison d’être, qu’il faut de tout pour faire un monde, que tous les goûts sont dans la nature…et toutes les conneries qu’on peut entendre un peu partout.

    Il est des gens que non seulement je ne pourrais jamais considérer comme des frères, mais dont je ne voudrais pour rien au monde en être le parent, même éloigné. Qui a vraiment envie d’être pote avec Pascal Praud ? Pourtant, il se prétend anar. Mais il rajoute heureusement qu’il est de gauche avec les gens de droite et de droite avec les gens de gauche. Bref, le parfait politicien opportuniste (pléonasme). Donc bien loin de l’anarchisme. Qui a envie d’être pote avec Cyril Hanouna après avoir vu l’émission « Complément d’enquête » ? Qui a envie d’être parent avec Marion Maréchal qui ferraille aujourd’hui pour conserver les traditions chrétiennes de Noël alors que tout le monde sait que les catholiques ont christianisé les rites païens, notamment autour des solstices d’hiver et d’été ? Tout comme Alceste dans le Misanthrope, « Sur quelque préférence une estime se fonde/ Et c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde. » (...)

    💥 #cons #humains...
    #Anarchisme #émancipation

    https://le-libertaire.net/les-anarchistes-nont-pas-vocation-a-convertir-tous-les-cons-de-la-pla

    ★ CAMARADE DE LUTTE, OUI, MAIS PAS AVEC N’IMPORTE QUI
    https://www.socialisme-libertaire.fr/2020/04/camarade-de-lutte-oui-mais-pas-avec-n-importe-qui.html

    ★ SOMMES-NOUS VRAIMENT 99% CONTRE 1% ?
    https://www.socialisme-libertaire.fr/2020/12/sommes-nous-vraiment-99-contre-1.html

  • Miguel Amorós, Généalogie de la pensée molle, 2015

    La première grande difficulté de la #critique_radicale est de trouver un sujet capable de rétablir ladite distance, c’est-à-dire capable de penser, car les communautés de combat nées des conflits ne sont presque jamais assez fortes et stables. Elles ne sont guère enclines au débat avec une volonté de conclure. La présence des #classes_moyennes les transforme en « communautés de carnaval » ou en « communautés garde-robes », selon l’expression de Zygmunt Bauman, c’est-à-dire en masses réunies dans des spectacles sans intérêts communs mais partageant une illusion de courte durée, une identité momentanée, politique ou sociale, qui sert à canaliser la tension accumulée lors des journées routinières. Dans ce type de pseudo-communauté, dès la fin des protestations festivalières, tout reste en l’état. L’effet le plus néfaste des spectacles contestataires des derniers temps est qu’en dispersant l’énergie des conflits sociaux véritables dans des salves cérémonielles, ils avortent les véritables communautés combattantes. L’invasion par l’affectivité insatisfaite annule toute tentative de communication rationnelle, et c’est pourquoi les assemblées évitent les débats décisifs et lâchent leurs émotions, attirant une pléthore de personnages névrotiques et caractériels. Il est évident que si les crises ne sont pas suffisamment profondes pour générer des antagonismes irréconciliables et menacer sérieusement la survie d’une des parties, la peste émotionnelle désactivera toujours les conflits réels et les fragments postmodernes contamineront toute réflexion bien intentionnée. La tâche immédiate de la critique consistera alors à dénoncer les mécanismes psycho-politiques de contention et la mentalité bourgeoise conformiste où ils sont ancrés.

    Il est nécessaire d’expliquer les symptômes de la crise sociale historique sans jamais abdiquer la Raison qui est, comme le dit Horkheimer, « la catégorie fondamentale de la pensée philosophique, la seule capable de l’unir au destin de l’humanité ». À ce stade, il s’agit d’être #conservateur car il est nécessaire de préserver une pensée qui doit servir à transformer radicalement le monde . En définitive, il faut continuer l’utopie qui n’est rien d’autre qu’une raison sui generis, une raison imaginative.

    https://sniadecki.wordpress.com/2023/11/03/amoros-molle-fr

    #Miguel_Amoros #postmodernisme (plus pertinent que woke ?) #utopie

  • Sénégal : 27 organisations de la société civile fustigent la procédure de demande de visa
    https://www.dakaractu.com/Senegal-27-organisations-de-la-societe-civile-fustigent-la-procedure-de-d

    Sénégal : 27 organisations de la société civile fustigent la procédure de demande de visa
    Au Sénégal, vingt-sept organisations de la société civile réclament la réforme de la procédure de demande de visas français, mais aussi anglais, canadiens, sud-africains ou espagnols. Dans sa parution de ce mardi 30 novembre, le quotidien Libération nous apprend que ces organisations de la société civile dénoncent une injustice dans le traitement des demandes entre les pays du Nord et ceux du Sud. Mais surtout l’externalisation de ces demandes par les États et la mise en place de véritables trafics de rendez-vous.
    Dans cette lettre adressée à cinq ambassades européennes, mais aussi à celles d’Afrique du Sud ou des États-Unis, les signataires dénoncent un véritable parcours du combattant totalement opaque pour obtenir un visa. Principale cible des attaques : la gestion des demandes de visas par des prestataires privés. Ce qui devait servir à désengorger les consulats et éviter les passe-droits et les longues files d’attente.
    Selon Marina Kabu, membre du collectif des organisations de la société civile pour la protection des droits des migrants à l’initiative de cette pétition, « un véritable trafic s’est installé, non - pas pour obtenir un visa, mais déjà pour avoir un rendez-vous au consulat pour déposer un dossier : cela peut se monnayer jusqu’à 600 euros. Combien d’universitaires, d’hommes d’affaires, de patients, d’étudiants, de parents n’ont pas pu se déplacer pour se soigner ou pour participer à des forums, parce que tout simplement nous ne pouvons pas trouver de rendez-vous », s’indigne-t-elle à la page 2 de Libé.
    Les 27 organisations signataires exigent donc la fin des prestataires privés au profit d’une procédure en ligne plus transparente et égalitaire, où le refus de visa serait motivé. Ces organisations demandent aussi la réciprocité : à savoir le même traitement pour les Européens qui souhaiteraient se rendre au Sénégal. Mouhamadou Moustapha GAYE

    #Covid-19#migration#migrant#senegal#droit#visas#consulat#espagne#france#afriquedusud#canada#etatsunis

  • Des Etats-Unis à la France, comment la société s’imprègne de l’imaginaire complotiste de QAnon
    https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/12/01/des-etats-unis-a-la-france-comment-la-societe-s-impregne-de-l-imaginaire-com

    S’il est difficile de quantifier le mouvement [en France], certains indices laissent penser qu’il est moins implanté qu’outre-Atlantique. Le film sur le trafic d’enfants Sound of Freedom, qui avait généré plus de 170 millions de dollars (156 millions d’euros) au box-office américain avec le soutien de la complosphère trumpiste, n’a réuni que 63 000 spectateurs en première semaine en salles françaises, du 15 au 22 novembre. Mais combien l’avaient déjà vu, en ligne, par le biais de copies pirates traduites de façon artisanale ?

    Une enquête de l’IFOP confirme la pénétration moindre du #complotisme dans l’Hexagone : 35 % des Français sondés déclarent croire aux théories du complot, contre 55 % des Américains. Elle témoigne d’une influence directe des Etats-Unis : 20 % des Français sondés pensent que Joe Biden a volé l’élection de 2020. Autre signe de contamination : en 2022, l’élection présidentielle française avait été touchée par des rumeurs similaires. Elles étaient à ce point calquées sur les Etats-Unis qu’elles incriminaient les machines à voter Dominion, alors qu’elles ne sont pas utilisées en France.
    Comment les thèses de QAnon, remplies de personnages et de symboles américains, ont-elles réussi à s’implanter hors d’Amérique ? L’une des raisons tient à leur dimension fédératrice, à l’image du mot d’ordre de la mouvance, « where we go one, we go all » (« là où l’un de nous va, nous allons tous »), et de sa dénonciation d’une élite malfaisante « mondialiste », qui par nature menace les peuples de tous les pays.
    Héritière des stéréotypes antisémites sur la finance internationale qui avaient essaimé dans l’Europe des années 1920, elle a pu s’arrimer, en France, au fait que le président Emmanuel Macron a travaillé à la banque Rothschild de 2008 à 2012, le nom de Rothschild étant la cible historique d’attaques #conspirationnistes.

    Des théories du complot traduites et localisées

    L’imaginaire QAnon a aussi pu compter sur le relais d’influenceurs francophones, du complotiste québécois Alexis Cossette-Trudel, qui a été le premier des passeurs, à la chaîne conspirationniste française des DéQodeurs, devenue ADNM, ou au compte spécialisé Quantum Leap Traduction.
    Encore aujourd’hui, une importante partie de leur production consiste à traduire, expliquer et défendre des théories du complot américaines venues de la mythologie QAnon. Ces derniers sont à l’origine de la récente rumeur infondée sur Vinted.
    Arrivées en France, elles se colorent de personnalités locales, à l’image de Jacques Attali, déjà cible d’attaques antisémites depuis des décennies, réinterprété en avatar français de l’« élite mondialiste » honnie de #QAnon ; de Brigitte Macron, objet de rumeurs transphobes, à l’instar de Michelle Obama avant elle ; tandis que l’animateur Karl Zero, très investi dans la dénonciation des trafics d’enfants, est devenu le héraut de la lutte contre une supposée élite pédosataniste.
    Plusieurs infox typiques continuent ainsi de franchir l’Atlantique, telles quelles ou adaptées. Ainsi de l’affabulation des enfants vendus sous forme d’annonces codées sur les sites d’e-commerce grand public, transvasée de Wayfair à Vinted en novembre. Ainsi encore de l’adrénochrome, fantasme d’une drogue obtenue par concoction de sang d’enfant, évoquée sur le plateau de « Touche pas à mon Poste ! » en mars. Autant de signes d’une imprégnation sur le long terme de l’imaginaire complotiste français.

  • Collectif Romain Rolland @RRolland94200
    https://twitter.com/RRolland94200/status/1728481471285830137

    ‼️Parce qu’il a dit Allah Akbar, un élève passe en conseil de discipline pour « apologie du terrorisme ». Il organise sa défense, avec de nombreux soutiens.
    Nous appelons les membres du conseil à réfuter cette accusation hors de propos, et demeurons vigilants jusqu’au délibéré.👇

    #criminalisation #islamohobie #Lycée #élève #conseil_de_discipline #apologie_de_terrorisme

  • Fraude dans les transports : les contrôleurs pourront consulter les fichiers du fisc
    https://www.leparisien.fr/economie/fraude-dans-les-transports-les-controleurs-pourront-consulter-les-fichier

    C’est un petit amendement du projet de loi de finances (PLF) 2024 mais un grand pas pour la lutte contre la fraude dans les transports en commun. Adopté par 49.3, il y a quinze jours, par l’Assemblée nationale, le texte autorise l’administration fiscale à communiquer en temps réel des informations sur les fraudeurs aux contrôleurs des transports en commun.

    #un_grand_pas

    • Questions bêtes (j’ignore si c’est dans l’article, dont la fin est sous paywall) :
      – la CNIL a-t-elle été consultée ?
      – est-ce que ça va passer devant le Conseil constitutionnel ?

      Il me semble qu’au minimum, l’accès à un tel fichier demanderait une vague notion de proportionnalité. Là, j’ai l’impression qu’on passe un peu rapidement de « j’ai pas payé les 2€ du ticket de métro » à « vite invoquons les mannes de l’anti-terrorisme ».

    • c’est pas le terrorisme, c’est la délinquance, intolérable phénomène anti-social

      une photo d’un gang qui contrôle les voyageurs dans les sous-sols de la gare du Nord illustre l’article

      C’est un petit amendement du projet de loi de finances (PLF) 2024 mais un grand pas pour la lutte contre la #fraude dans les #transports_en_commun. Adopté par 49.3, il y a quinze jours, par l’Assemblée nationale, le texte autorise l’administration fiscale à communiquer en temps réel des informations sur les #fraudeurs aux #contrôleurs des transports en commun.
      En clair, les agents de la #SNCF, de la #RATP et de l’ensemble des transports urbains pourront interroger la Direction générale des finances publiques (#DGFiP) pour s’assurer que la personne qui est contrôlée sans titre de transport communique bien sa bonne adresse pour recevoir son amende. « Il faut savoir que la DGFiP est une des administrations de l’État qui a une vision la plus actualisée sur l’identité et l’adresse des Français, justifie-t-on au cabinet de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie. Cet amendement permet donc à l’instance de mettre à disposition des transporteurs les données d’adressage des personnes qui sont contrôlées ». Autrement dit le nom, le prénom, la date de naissance et l’adresse de la personne contrôlée. « Rien de plus, assure Bercy. Il n’y aura aucune donnée fiscale de transmise ». [ah zut ! je croyais ki s’agissait d’annuler les amendes des non imposables et de moduler les tarifs selon le revenu et le patrimoine ndc]

      Une perte de 600 à 700 millions d’euros par an

      Une évolution attendue depuis très longtemps… Sept ans exactement et l’adoption le 22 mars 2016 de la loi Savary, relative à « la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs ». En son article 18, le texte du nom de l’ancien député socialiste de Gironde Gilles Savary, prévoyait d’améliorer le #recouvrement des #amendes.
      Il faut dire que la fraude dans les #transports_publics coûte cher à la collectivité. Selon les chiffres de l’Union des transports publics (UTP) qui rassemble les entreprises du secteur, les passagers qui ne payent pas leur ticket représentent une perte de 600 à 700 millions d’euros par an. La moitié pour la seule SNCF et le reste à parts égales entre la RATP et le réseau de transports urbains de province. Et parmi ceux qui se font verbaliser, l’UTP estime qu’ils sont – dans une fourchette large – de 15 à 50 %, à ne jamais payer l’amende parce que l’adresse où elle est envoyée n’est pas la bonne.

      La proposition de loi ouvrait la possibilité de créer une plate-forme où les transporteurs accéderaient à certains #fichiers de l’administration pour vérifier les adresses des fraudeurs. Parmi les bases de données évoquées à l’époque, le fichier des comptes bancaires et assimilés qui est placé sous la responsabilité de la DGFiP ou encore le répertoire national commun de la protection sociale, qui centralise les données des #allocataires des différents organismes de protection sociale, sous la houlette de la Direction de la sécurité sociale.
      Une plate-forme qui n’a finalement jamais vu le jour. Car si l’idée a obtenu l’aval de la #Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), moyennant quelques aménagements, le #Conseil_d’État a complexifié sa mise en place. Alors que l’UTP était prête à lancer ce dispositif – nom de code VACS pour vérifications des adresses des contrevenants – sur lequel elle a déboursé plus d’un million d’euros, la plus haute juridiction administrative a estimé que la loi n’autorisait pas de sous-traiter sa mise en place. « En clair, nous devions le créer et le gérer nous-mêmes, précise l’UTP. Ce qui est impossible ».

      Pas avant deux ans

      L’idée a été alors de confier cette mission à l’Agence nationale des traitements automatisés des infractions sous tutelle du ministère de l’Intérieur. « Sauf que Beauvau n’a jamais fait avancer le dossier, s’agace une source bien informée. Heureusement que Bercy a repris le sujet. ». Pour quelle raison ? « Comme Bruno Le Maire ne veut pas entendre parler d’augmentation du versement mobilité (versé par toutes les entreprises de plus de onze salariés pour financer les transports), il propose d’autres rentrées d’argent pour les transporteurs », veut croire la même source.
      En tout cas, le ministre de l’Économie avait placé ce sujet comme prioritaire le 24 août lors de son discours de rentrée en Haute-Savoie : « Tous les #délinquants doivent être poursuivis et frappés au portefeuille quand ils ne payent pas leurs amendes, avait-il exhorté. Nous allons donc réorganiser la chaîne de traitement des amendes, favoriser le traitement des amendes le plus tôt possible, fiabiliser les informations qui remontent à la Direction générale des finances publiques pour que la DGFiP puisse sanctionner sans délais les défauts de paiement des amendes de tous les citoyens français, dans tous les points du territoire, à tous moments ». Cet amendement constitue donc la première brique. « Mais d’autres suivront », assure Bercy. À l’époque, grâce à la VACS, l’UTP ambitionnait un taux de recouvrement de 50 %.
      Mais avant de voir des contrôleurs vérifier votre adresse à partir des données du fisc, « il faudra encore attendre deux ans, évalue le cabinet du ministre de l’Économie. Créer un canal informatique entre la DGFiP et les transporteurs est un chantier qui prend du temps ». Beaucoup moins, espère toutefois l’UTP. « Nous avons déjà beaucoup travaillé le sujet, confie Béatrice Simard, qui pilote VACS. Nous sommes en train de réaliser un audit sur ce qu’il faut faire évoluer. Depuis 2019, le langage informatique a changé et les enjeux de cybersécurité sont plus importants ».

      la CNIl « aménagera ». et si ce n’est pas fait en #sous_traitance (une exception désormais dans la sphère publique), le Conseil d’État avalisera.
      comme on sait, ne pas se déclarer au trésor public interdit l’accès à divers droits. souvent vu des cas où il fallait déclarer les 3 ans écoulés, par exemple pour avoir droit à un revenu minimal.

      #guerre_aux_pauvres #contrôle_social #surveillance

    • #croisement_des_fichiers #fichage_généralisé #pétain_en_revait

      ce ne se fera donc pas sous tutelle du ministère des transports mais de l’intérieur (qui s’occupe aussi depuis longtemps de gérer la non-libre circulation sur le territoire)

      Comme Bruno Le Maire ne veut pas entendre parler d’augmentation du versement mobilité (versé par toutes les entreprises de plus de onze salariés pour financer les transports), il propose d’autres rentrées d’argent pour les transporteurs

    • ça passerait pas par le ministère de l’intérieur mais par une liaison des société de transports avec les fichiers du ministère des finances (trésor public). l’adage "follow the money" vient de la lutte anti mafia (Al Capone, tout ça). le voilà appliqué à des millions d’usagers des transports collectifs, dont on peut par ailleurs présumer qu’ils ne sont pas doués en fraude fiscale.

      #délinquance