• Islamophobie ? Qu’en dit Gg:NGram ?

    Tout d’abord, un peu de recul et une comparaison avec des mots « voisins » : #racisme #antisémitisme #xénophobie #islamophobie.

    Historiquement, dans le corpus des livres en français de Gg:Books, c’est antisémitisme qui ouvre la marche à partir de 1880, pour connaître un premier pic avec l’affaire Dreyfus (1894 et suivantes).

    Suivent quelques apparitions très ponctuelles de l’islamophobie, vers 1911-12, avant de connaître son vrai démarrage, à partir de 2003. Tout en restant très secondaire par rapport aux trois autres mots.

    xénophobie apparait vers 1910 également, talonne un peu antisémitisme avant de se faire supplanter par racisme, le dernier arrivé, vers 1932-33, j’imagine dans le contexte de ce qui se passait en Allemagne (à vérifier). À partir de 1960 (guerre d’Algérie ?), racisme prend la tête et la garde.

    islamophobie, lui ne démarre vraiment qu’à partir de 2003, avec probablement un solide coup de pouce de l’article du même nom de Mesdames Fourest et Venner, "Islamophobie ?", Pro-Choix, n° 26-27, automne-hiver 2003.

    Le mot “islamophobie”, il a été pour la première fois utilisé en 1979 par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour des “mauvaises musulmanes” en les accusant d’être “islamophobes”. Il a a été réactivé au lendemain de l’affaire Rushdie [...]

    http://books.openedition.org/editionscnrs/2871?lang=fr#ftn26
    cité dans L’islamophobie en France au regard du débat européen , in LEVEAU, Rémy (dir.) ; MOHSEN-FINAN, Khadija (dir.). Musulmans de France et d’Europe., CNRS, 2005, entièrement accessible en ligne http://books.openedition.org/editionscnrs/2849

    À la suite de quoi, V. Geisser, auteur de l’article ajoute

    Depuis, cette thèse de « l’invention islamiste » a fait florès et a été reprise par de nombreux intellectuels français (Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, Henri Pena-Ruiz, Cynthia Fleury...) mais aussi par des organisations anti-racistes (SOS-Racisme, LICRA et Ni putes ni soumises) qui y voient une menace directe pour leur fonds de commerce associatif et médiatique.
    Prenant le contre-pied de cette thèse de la « manipulation intégriste », nous avons montré avec Xavier Ternisien et Alain Gresh29 que le terme existait déjà dans la langue française au début du siècle dernier, notamment chez un auteur orientaliste comme Étienne Dinet, qui l’a employé à deux reprises dans son ouvrage L’Orient vu de l’Occident (1921), […]

    J’ajouterais un petit zoom sur le début de la période

    Et deux références de 1910 et 1911, trouvées à l’aide du filtre par année sur cette même page de Gg:NGram,a lors que les années correspondantes ne sont pas pointées dans le graphique.

    Les deux ouvrages, consultables en ligne, sont clairement dans un contexte colonial.

    L’état actuel de l’Islam dans l’Afrique occidentale française, in Revue du monde musulman, tome onzième, 1910
    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103806r/f56.image.r=revue%20AND%20du%20AND%20monde%20AND%20musulman.langFR

    Nul doute que les indigènes musulmans préfèreraient le plus souvent leur indépendance au joug pourtant bénin de l’autorité française, mais les non-Musulmans pensent de même ; et des faits récents ont prouvé qu’il est plus difficile d’obtenir la soumission des païens de la foret que celle des Musulmans du Soudan septentrional ; les résistances les plus acharnées se sont produites chez des païens, et les seules tribus qui luttent actuellement sont des tribus que l’islamisme n’a jamais entamées.
    Quoi qu’en disent ceux pour qui l’islamophobie est un principe d’administration indigène, la France n’a rien de plus à craindre des Musulmans en Afrique occidentale que des non-Musulmans. Les uns et les autres nous considèrent comme des maîtres parfois gênants, parfois utiles, généralement bienveillants, et nous subissent avec plus ou moins de facilité selon la diversité de leurs caractères ou de leurs intérêts. Ceux d’entre eux qui désireraient le plus ardemment nous voir partir du pays — et il s’en trouve certainement — le désirent, non pas parce que nous ne sommes pas de leur foi, mais simplement parce que nous ne sommes ni de leur race, ni de leur mentalité, ni de leur sol, parce que nous sommes l’étranger.

    (pp. 52-53)

    Deuxième article, L’âme d’un peuple africain : les Bambara, recension d’un ouvrage de l’abbé J. Henry, paru en 1910, Maurice Delafosse, in Revue d’ethnographie et de sociologie, v. 2, 1911, p. 10
    http://library.si.edu/digital-library/book/revuedethnogr21121911inst

    … comme beaucoup de missionnaires, l’abbé H. a une tendance insurmontable à rapporter à ses propres conceptions les phénomènes qu’il a observés autour de lui ; il nous dit que le Bambara juge tout «  d’après ce qu’il est ou ce qu’il se sent et se croit être  » : lui juge tout d’après ce qu’il croit être la seule vérité et, sans en avoir conscience, il prête au Bambara ses propres idées en matière de religion. Cette tendance, qui pouvait s’excuser lorsqu’il remplissait son état de missionnaire, devient fâcheuse maintenant qu’il fait de l’ethnographie.
    Quatre idées fixes semblent dominer son esprit : tout d’abord il manifeste, avec une louable franchise d’ailleurs, une islamophobie féroce ; ensuite il est persuadé que tout ce qui ne cadre pas avec les traditions judéo-chrétiennes est l’œuvre du démon, et une telle persuasion l’a conduit à cette hypothèse bien fragile que la civilisation des Banmana, autrefois d’un degré assez élevé, aurait suivi dans le cours des temps une progression à rebours ; en troisième lieu, il ne peut arriver à pardonner aux Noirs d’ignorer la pudeur et la chasteté ; […]