• "Nos logements sont indignes, nos salaires dérisoires" : les bergers dépités par l’arrêt des négociations sur leurs #conditions_de_travail

    Dans les #Alpes, les #bergers dénoncent l’arrêt des négociations sur leurs conditions de travail. Depuis deux ans, ils luttent pour une meilleure #rémunération mais aussi des #habitats plus dignes. Alors que des pourparlers devaient se tenir, les représentants des éleveurs ont annulé les discussions.

    « Pas de gaz pour cuisiner, pas d’chauffage sans incendier, pas de place pour se relever, un matelas pour tout plancher » : il y a un peu moins d’un an, Pastor X & the Black PatouX dénonçait dans un clip de rap montagnard, les conditions dans lesquelles certains bergers travaillent en #estive, notamment en #Savoie, dans le parc national de la #Vanoise.

    Ils vivent dans des #cabanes de 4 mètres carrés, sans toilettes, ni gaz, ni eau potable. Des #abris_d'urgence dans l’attente de construction de chalets d’#alpage. Mais ces solutions, censées être temporaires, sont devenues insoutenables pour les premiers intéressés (voir notre reportage ci-dessous).

    90 heures de travail au lieu des 44 réglementaires

    « On estime qu’on a des conditions de logement qui sont indignes en alpage mais aussi ailleurs », déclare Tomas Bustarret, membre du syndicat de gardiens de troupeaux de l’Isère.

    #Promiscuité et #insalubrité viennent s’ajouter à des conditions de travail que les bergers jugent intolérables.

    « Les #salaires varient entre 1500 et 2500 euros, la moyenne est autour de 1900-2000 euros pour 44 heures de travail légales. Mais, dans les faits, on fait 70 à 90 heures de travail. Donc, rapporté au nombre d’heures travaillées, ces salaires sont dérisoires », poursuit-il.

    Des #frais_professionnels s’élevant à 1000 euros

    D’autant que les bergers fournissent leurs propres « équipements » en alpage : les vêtements pour résister aux conditions météo mais aussi les chiens de conduite des troupeaux (Border collie).

    « L’utilisation des #chiens n’est pas reconnue au niveau de nos frais », déplore Tomas Bustarret. « C’est nous qui payons la nourriture, les frais de vétérinaire des chiens et aussi nos vêtements qui nous servent pour le travail », dit-il, estimant que ces frais professionnels s’élèvent à un millier d’euros par saison.

    La pilule a d’autant plus de mal à passer que l’#élevage ovin est subventionné dans le cadre du #plan_loup, pour faire face au prédateur.

    Un secteur très subventionné par l’Etat

    « On pourrait être payés plus, ça ne ferait pas s’effondrer l’économie de nos employeurs », ajoute le jeune homme. « Les salaires sont subventionnés par le plan #loup pour les gardiens d’ovins à 80%, jusqu’à 2 500 euros. Du coup, nous, on tombe un peu des nues quand on nous refuse 200 euros ou 400 euros de plus par mois », dit-il.

    Les gardiens de troupeaux, grands oubliés de la colère agricole ?

    Cohabitation avec les usagers de la #montagne, retour du loup, mesures environnementales, le métier de berger évolue. Pour toutes ces raisons, les gardiens de troupeaux se sont regroupés en syndicat, affilié à la CGT, pour faire entendre leur voix.

    « L’idée, c’est d’améliorer par la réglementation les conditions de travail des bergers en empêchant les mauvaises pratiques de certains employeurs », avance Tomas Bustarret.

    En avril 2023, ils avaient mené une action devant la maison des agriculteurs de l’Isère.

    Les négociations au point mort

    « C’est une négociation. On ne peut pas leur donner satisfaction à 200 % mais on essayera d’aller dans leur sens le plus possible », assurait alors Guy Durand, éleveur et représentant pour l’Isère de la FDSEA, au micro de France 3 Alpes.

    Mais ces négociations n’ont abouti à rien de concret pour l’instant. Pire, celles qui devaient avoir lieu le 7 mars, ont été annulées par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Les rendez-vous à l’échelle départementale et nationale sur le statut des ouvriers agricoles sont également au point mort.

    La remise en cause des #conventions_collectives ?

    Une commission paritaire devrait avoir lieu le 14 mars avec la fédération départementale de l’Isère, « mais la dernière a été annulée deux jours avant donc on ne sait pas si elle va se tenir », dit encore le jeune homme.

    Dans chaque département, une convention collective territoriale est établie. « Dans l’Ain, la FNSEA tente de supprimer des accords territoriaux qui assurent des droits spécifiques aux salariés agricoles », indique Tomas Bustarret.

    Les bergers et les gardiens de troupeaux se disent prêts à multiplier les actions pour obliger les exploitants agricoles à revenir à la table des négociations.

    https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/temoignage-nos-logements-sont-indignes-nos-salaires-der
    #travail #montagne #logement

  • Face au manque de neige, les habitants font revivre les stations délaissées

    Alors que la neige manque et que les stations de ski ne sont plus rentables, des habitants du massif de la Chartreuse tentent de faire revivre, sous forme associative, celles de leur village.

    « C’est une saison noire… ou plutôt une saison verte ! » La situation n’est pas réjouissante, mais Pascual Lacroix garde son sens de l’humour. En pleines vacances de février, l’herbe est détrempée sur les pentes de la station de ski de Saint-Hilaire-du-Touvet, dans le massif de la Chartreuse (Isère), parsemée ça et là de petits monticules de neige. Les flocons tant espérés ne sont jamais vraiment tombés, et les températures, bien trop douces, ont vite entamé les quelques centimètres de poudreuse.

    Pourtant, tout était prêt. Depuis des mois, Pascual Lacroix et les autres bénévoles de l’association Ag’Hil, Agir pour la station de Saint-Hil’, ne comptaient pas leurs heures, en dehors de leurs horaires de travail pour certains, les soirs, les week-ends, pour tout installer : dameuses remises d’aplomb, téléskis en place, abords des pistes débroussaillés, planning des postes programmé. L’association s’est constituée au printemps 2023, bien déterminée à rouvrir la station de ski pour la saison 2023-2024.

    Fin 2021, la station de ski (11 pistes et 5 téléskis) était mise à l’arrêt après de gros éboulements ayant détruit en grande partie le funiculaire de Saint-Hilaire-du-Touvet. Première infrastructure touristique de la commune du Plateau-des-Petites-Roches, le funiculaire permettait de financer le fonctionnement de la station de ski, « structurellement déficitaire », explique la maire de la commune, Dominique Clouzeau, les deux infrastructures étant sous régie municipale. « Après les éboulements, on a dû se résoudre à licencier les trois salariés de la régie, et à tout mettre en pause. »

    « Il fallait être un peu fous »

    Quand la question de rouvrir ou non la station de ski s’est posée, avec un funiculaire toujours à l’arrêt, le constat de la commune fut sans appel : impossible de mobiliser les 150 000 euros que coûterait l’ouverture de la station sur la saison hivernale, alors que l’enneigement est de plus en plus incertain. Une habitante du village, Perrine Broust, a malgré tout écrit une lettre ouverte à la municipalité, qui a réuni « 200 signatures en vingt-quatre heures », se souvient la quarantenaire.

    Petit à petit, l’idée d’une structure associative pour reprendre la gestion des remontées mécaniques, « utopique au début », fait son chemin. Même si les défis, notamment administratifs et financiers, sont énormes : « Il fallait être un peu fous pour faire ça », rient Perrine et Pascual. « Mais nous, on a skié ici, on a appris à nos enfants à skier ici. La station, c’est un lieu de convivialité essentiel, on ne voulait pas perdre ça. »

    En quelques mois, l’association en devenir a réuni plus de 200 adhérents, habitants de Chartreuse et d’ailleurs. Chacun a apporté ses compétences, son savoir-faire ou tout simplement son énergie : l’ancien garagiste du village s’est porté volontaire pour réparer la dameuse, les anciens salariés de la station sont venus donner des conseils, de nombreux bénévoles se sont formés aux remontées mécaniques. « Cela a rassuré le SRMTG [le Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés, qui donne les autorisations d’exploiter le matériel] et les assurances de voir que l’on avait tout ce qu’il fallait pour que tout fonctionne bien », souligne Pascual.
    Un modèle associatif qui essaime

    Face à un enneigement toujours plus aléatoire — la plupart des stations de ski sont situées à un peu plus de 1 000 mètres, et la plus haute à 1 300 mètres d’altitude — et des équations financières impossibles à tenir pour les communes lorsque les gestionnaires privés ont déserté, le modèle associatif s’impose progressivement dans le massif de la Chartreuse. La flexibilité financière et organisationnelle que permet le modèle associatif a déjà séduit la moitié des huit stations de Chartreuse. « On ne s’appelle pas Ag’hil pour rien », souligne Perrine, malicieuse. « Si demain il neige, on envoie un mail aux bénévoles et on est prêt à ouvrir ! »

    La station voisine du Planolet, située à 1 100 mètres d’altitude au cœur du massif, a pu ouvrir quelques jours début janvier. Là aussi, Nouvelles traces en Chartreuse, la toute nouvelle association qui s’occupe depuis cette année des remontées mécaniques, a fédéré habitants et sympathisants de la station, après une saison 2022-2023 gérée de manière spontanée par un collectif d’habitants. Loueur à la retraite, restaurateur de la station, ancien pisteur… « Toutes des personnes qui ont envie de sauver la station », résume Yann Daniel, directeur de l’école de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse et membre de l’association.

    Tout au nord du massif de la Chartreuse, l’association Les skieurs du Granier, qui regroupe 115 bénévoles, gère depuis 2019 le domaine de ski du même nom, après avoir bénéficié d’une délégation de service public de la Communauté de communes Cœur de Chartreuse. « La station n’était pas viable économiquement, c’est pour ça qu’on a créé une association », raconte Violaine Rey, bénévole depuis les débuts. « On s’est aussi rendu compte que c’était un argument auprès des gens qui viennent dans la station, ils apprécient la convivialité qui découle du modèle associatif : tout le monde se connnait et la station est à taille humaine. »
    Penser « l’après-ski »

    Cette année, l’enneigement catastrophique contrarie quelque peu ces élans tout neufs. « C’est la première année “blanche” depuis qu’on a repris la station avec l’association », se désole Violaine Rey. « On savait que ça n’allait pas durer cinquante ans, mais ça fait bizarre de voir que ça y est, c’est sûrement la fin d’une ère », regrette la jeune femme qui a appris à skier dans la station et y a même été saisonnière. La suite ? « Elle est assez floue, on réfléchira à tête froide », concède Violaine Rey. « Il y aura évidemment des questions à se poser à l’issue de cette non-saison. »

    « C’est un peu la gueule de bois », reconnaissent de leur côté Perrine et Pascual. « On a tellement travaillé, tellement de choses ont été mises en place… On retente l’aventure l’année prochaine ! » Au-delà du ski, les bénévoles sont lucides : comme beaucoup de stations de ski de moyenne montagne, il faudra penser « l’après-ski »... et diversifier le modèle économique. « On réfléchit aux “quatre saisons”, avec la randonnée, les raquettes, le VTT », abonde la maire du #Plateau-des-Petites-Roches Dominique Clouzeau, pour qui l’horizon est clair : « On ne veut pas devenir un village-dortoir. »

    https://reporterre.net/Face-au-manque-de-neige-les-habitants-font-revivre-les-stations-delaisse

    #Saint-Hilaire-du-Touvet #neige #Chartreuse #ski #enneigement #stations_de_ski #montagne #association #Ag’Hil #Planolet #remontées_mécaniques #Les_skieurs_du_Granier #bénévolat #convivialité #moyenne_montagne

  • Quand le #comité_d’éthique du #CNRS se penche sur l’#engagement_public des chercheurs et chercheuses

    #Neutralité ? #Intégrité ? #Transparence ?

    Le Comité d’éthique du CNRS rappelle qu’il n’y a pas d’#incompatibilité de principe, plaide pour un « guide pratique de l’engagement » et place la direction de l’institution scientifique devant les mêmes obligations que les chercheurs.

    Avec la crise climatique, la pandémie de covid-19, l’accroissement des inégalités, le développement de l’intelligence artificielle ou les technologies de surveillance, la question de l’#engagement public des chercheurs est d’autant plus visible que les réseaux sociaux leur permettent une communication directe.

    Cette question dans les débats de société n’est pas nouvelle. De l’appel d’#Albert_Einstein, en novembre 1945, à la création d’un « #gouvernement_du_monde » pour réagir aux dangers de la #bombe_atomique à l’alerte lancée par #Irène_Frachon concernant le #Médiator, en passant par celle lancée sur les dangers des grands modèles de langage par #Timnit_Gebru et ses collègues, les chercheurs et chercheuses s’engagent régulièrement et créent même des sujets de #débats_publics.

    Une question renouvelée dans un monde incertain

    Le #comité_d'éthique_du_CNRS (#COMETS) ne fait pas semblant de le découvrir. Mais, selon lui, « face aux nombreux défis auxquels notre société est confrontée, la question de l’engagement public des chercheurs s’est renouvelée ». Il s’est donc auto-saisi pour « fournir aux chercheurs des clés de compréhension et des repères éthiques concernant l’engagement public » et vient de publier son #rapport sur le sujet [PDF].

    Il faut dire que les deux premières années du Covid-19 ont laissé des traces dans la communauté scientifique sur ces questions de prises de paroles des chercheurs. Le COMETS avait d’ailleurs publié en mai 2021 un avis accusant Didier Raoult alors que la direction du Centre avait rappelé tardivement à l’ordre, en août de la même année, et sans le nommer, le sociologue et directeur de recherche au CNRS Laurent Mucchielli, qui appelait notamment à suspendre la campagne de vaccination.

    Le COMETS relève que les chercheurs s’engagent selon des modalités variées, « de la signature de tribunes à la contribution aux travaux d’ONG ou de think tanks en passant par le soutien à des actions en justice ou l’écriture de billets de blog ». Il souligne aussi que les #réseaux_sociaux ont « sensiblement renforcé l’exposition publique des chercheurs engagés ».

    La présidente du comité d’éthique, Christine Noiville, égrène sur le site du CNRS, les « interrogations profondes » que ces engagements soulèvent :

    « S’engager publiquement, n’est-ce pas contraire à l’exigence d’#objectivité de la recherche ? N’est-ce pas risquer de la « politiser » ou de l’« idéologiser » ? S’engager ne risque-t-il pas de fragiliser la #crédibilité du chercheur, de mettre à mal sa réputation, sa carrière ? Est-on en droit de s’engager ? Pourrait-il même s’agir d’un devoir, comme certains collègues ou journalistes pourraient le laisser entendre ? »

    Pas d’incompatibilité de principe

    Le comité d’éthique aborde les inquiétudes que suscite cet engagement public des chercheurs et pose franchement la question de savoir s’il serait « une atteinte à la #neutralité_scientifique ? ». Faudrait-il laisser de côté ses opinions et valeurs pour « faire de la « bonne » science et produire des connaissances objectives » ?

    Le COMETS explique, en s’appuyant sur les travaux de l’anthropologue #Sarah_Carvallo, que ce concept de neutralité est « devenu central au XXe siècle, pour les sciences de la nature mais également pour les sciences sociales », notamment avec les philosophes des sciences #Hans_Reichenbach et #Karl_Popper, ainsi que le sociologue #Max_Weber dont le concept de « #neutralité_axiologique » – c’est-à-dire une neutralité comme valeur fondamentale – voudrait que le « savant » « tienne ses #convictions_politiques à distance de son enseignement et ne les impose pas subrepticement ».

    Mais le comité explique aussi, que depuis Reichenbach, Popper et Weber, la recherche a avancé. Citant le livre d’#Hilary_Putnam, « The Collapse of the Fact/Value Dichotomy and Other Essays », le COMETS explique que les chercheurs ont montré que « toute #science s’inscrit dans un #contexte_social et se nourrit donc de #valeurs multiples ».

    Le comité explique que le monde de la recherche est actuellement traversé de valeurs (citant le respect de la dignité humaine, le devoir envers les animaux, la préservation de l’environnement, la science ouverte) et que le chercheur « porte lui aussi nécessairement des valeurs sociales et culturelles dont il lui est impossible de se débarrasser totalement dans son travail de recherche ».

    Le COMETS préfère donc insister sur les « notions de #fiabilité, de #quête_d’objectivité, d’#intégrité et de #rigueur de la #démarche_scientifique, et de transparence sur les valeurs » que sur celle de la neutralité. « Dans le respect de ces conditions, il n’y a aucune incompatibilité avec l’engagement public du chercheur », assure-t-il.

    Liberté de s’engager... ou non

    Il rappelle aussi que les chercheurs ont une large #liberté_d'expression assurée par le code de l’éducation tout en n’étant pas exemptés des limites de droit commun (diffamation, racisme, sexisme, injure ...). Mais cette liberté doit s’appliquer à double sens : le chercheur est libre de s’engager ou non. Elle est aussi à prendre à titre individuel, insiste le COMETS : la démarche collective via les laboratoires, sociétés savantes et autres n’est pas la seule possible, même si donner une assise collective « présente de nombreux avantages (réflexion partagée, portée du message délivré, moindre exposition du chercheur, etc.) ».

    Le comité insiste par contre sur le fait que, lorsque le chercheur s’engage, il doit « prendre conscience qu’il met en jeu sa #responsabilité, non seulement juridique mais aussi morale, en raison du crédit que lui confère son statut et le savoir approfondi qu’il implique ».

    Il appuie aussi sur le fait que sa position privilégiée « crédite sa parole d’un poids particulier. Il doit mettre ce crédit au service de la collectivité et ne pas en abuser ».

    Des #devoirs lors de la #prise_de_parole

    Outre le respect de la loi, le COMETS considère, dans ce cadre, que les chercheurs et chercheuses ont des devoirs vis-à-vis du public. Notamment, ils doivent s’efforcer de mettre en contexte le cadre dans lequel ils parlent. S’agit-il d’une prise de parole en nom propre ? Le thème est-il dans le domaine de compétence du chercheur ? Est-il spécialiste ? A-t-il des liens d’intérêts ? Quelles valeurs sous-tendent son propos ? Le #degré_de_certitude doit aussi être abordé. Le Comité exprime néanmoins sa compréhension de la difficulté pratique que cela implique, vu les limites de temps de paroles dans les médias.

    Une autre obligation qui devrait s’appliquer à tout engagement de chercheurs selon le COMETS, et pas des moindres, est de l’asseoir sur des savoirs « robustes » et le faire « reposer sur une démarche scientifique rigoureuse ».

    Proposition de co-construction d’un guide

    Le COMETS recommande, dans ce cadre, au CNRS d’ « élaborer avec les personnels de la recherche un guide de l’engagement public » ainsi que des formations. Il propose aussi d’envisager que ce guide soit élaboré avec d’autres organismes de recherche.

    La direction du CNRS à sa place

    Le Comité d’éthique considère en revanche que « le CNRS ne devrait ni inciter, ni condamner a priori l’engagement des chercheurs, ni opérer une quelconque police des engagements », que ce soit dans l’évaluation des travaux de recherche ou dans d’éventuelles controverses provoquées par un engagement public.

    « La direction du CNRS n’a pas vocation à s’immiscer dans ces questions qui relèvent au premier chef du débat scientifique entre pairs », affirme-t-il. La place du CNRS est d’intervenir en cas de problème d’#intégrité_scientifique ou de #déontologie, mais aussi de #soutien aux chercheurs engagés « qui font l’objet d’#attaques personnelles ou de #procès_bâillons », selon lui.

    Le comité aborde aussi le cas dans lequel un chercheur mènerait des actions de #désobéissance_civile, sujet pour le moins d’actualité. Il considère que le CNRS ne doit ni « se substituer aux institutions de police et de justice », ni condamner par avance ce mode d’engagement, « ni le sanctionner en lieu et place de l’institution judiciaire ». Une #sanction_disciplinaire peut, par contre, être envisagée « éventuellement », « en cas de décision pénale définitive à l’encontre d’un chercheur ».

    Enfin, le Comité place la direction du CNRS devant les mêmes droits et obligations que les chercheurs dans son engagement vis-à-vis du public. Si le CNRS « prenait publiquement des positions normatives sur des sujets de société, le COMETS considère qu’il devrait respecter les règles qui s’appliquent aux chercheurs – faire connaître clairement sa position, expliciter les objectifs et valeurs qui la sous-tendent, etc. Cette prise de position de l’institution devrait pouvoir être discutée sur la base d’un débat contradictoire au sein de l’institution ».

    https://next.ink/985/quand-comite-dethique-cnrs-se-penche-sur-engagement-public-chercheurs-et-cherc

    • Avis du COMETS « Entre liberté et responsabilité : l’engagement public des chercheurs et chercheuses »

      Que des personnels de recherche s’engagent publiquement en prenant position dans la sphère publique sur divers enjeux moraux, politiques ou sociaux ne constitue pas une réalité nouvelle. Aujourd’hui toutefois, face aux nombreux défis auxquels notre société est confrontée, la question de l’engagement public des chercheurs s’est renouvelée. Nombre d’entre eux s’investissent pour soutenir des causes ou prendre position sur des enjeux de société – lutte contre les pandémies, dégradation de l’environnement, essor des technologies de surveillance, etc. – selon des modalités variées, de la signature de tribunes à la contribution aux travaux d’ONG ou de think tanks en passant par le soutien à des actions en justice ou l’écriture de billets de blog. Par ailleurs, le développement des médias et des réseaux sociaux a sensiblement renforcé l’exposition publique des chercheurs engagés.

      Dans le même temps, de forts questionnements s’expriment dans le monde de la recherche. Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les modalités de l’engagement public, son opportunité et son principe même. Ils se demandent si et comment s’engager publiquement sans mettre en risque leur réputation et les valeurs partagées par leurs communautés de recherche, sans déroger à la neutralité traditionnellement attendue des chercheurs, sans perdre en impartialité et en crédibilité. Ce débat, qui anime de longue date les sciences sociales, irrigue désormais l’ensemble de la communauté scientifique.

      C’est dans ce contexte que s’inscrit le présent avis. Fruit d’une auto-saisine du COMETS, il entend fournir aux chercheurs des clés de compréhension et des repères éthiques concernant l’engagement public.

      Le COMETS rappelle d’abord qu’il n’y a pas d’incompatibilité de principe entre, d’un côté, l’engagement public du chercheur et, de l’autre, les normes attribuées ou effectivement applicables à l’activité de recherche. C’est notamment le cas de la notion de « neutralité » de la science, souvent considérée comme une condition indispensable de production de connaissances objectives et fiables. Si on ne peut qu’adhérer au souci de distinguer les faits scientifiques des opinions, il est illusoire de penser que le chercheur puisse se débarrasser totalement de ses valeurs : toute science est une entreprise humaine, inscrite dans un contexte social et, ce faisant, nourrie de valeurs. L’enjeu premier n’est donc pas d’attendre du chercheur qu’il en soit dépourvu mais qu’il les explicite et qu’il respecte les exigences d’intégrité et de rigueur qui doivent caractériser la démarche scientifique.

      Si diverses normes applicables à la recherche publique affirment une obligation de neutralité à la charge du chercheur, cette obligation ne fait en réalité pas obstacle, sur le principe, à la liberté et à l’esprit critique indissociables du travail de recherche, ni à l’implication du chercheur dans des débats de société auxquels, en tant que détenteur d’un savoir spécialisé, il a potentiellement une contribution utile à apporter.

      Le COMETS estime que l’engagement public doit être compris comme une liberté individuelle et ce, dans un double sens :

      -- d’une part, chaque chercheur doit rester libre de s’engager ou non ; qu’il choisisse de ne pas prendre position dans la sphère publique ne constitue en rien un manquement à une obligation professionnelle ou morale qui lui incomberait ;

      -- d’autre part, le chercheur qui s’engage n’a pas nécessairement à solliciter le soutien de communautés plus larges (laboratoire, société savante, etc.), même si le COMETS considère que donner une assise collective à une démarche d’engagement présente de nombreux avantages (réflexion partagée, portée du message délivré, moindre exposition du chercheur, etc.).

      S’il constitue une liberté, l’engagement nécessite également pour le chercheur de prendre conscience qu’il met en jeu sa responsabilité, non seulement juridique mais aussi morale, en raison du crédit que lui confère son statut et le savoir approfondi qu’il implique. En effet, en s’engageant publiquement, le chercheur met potentiellement en jeu non seulement sa réputation académique et sa carrière, mais aussi l’image de son institution, celle de la recherche et, plus généralement, la qualité du débat public auquel il contribue ou qu’il entend susciter. Le chercheur dispose d’une position privilégiée qui crédite sa parole d’un poids particulier. Il doit mettre ce crédit au service de la collectivité et ne pas en abuser. Le COMETS rappelle dès lors que tout engagement public doit se faire dans le respect de devoirs.

      Ces devoirs concernent en premier lieu la manière dont le chercheur s’exprime publiquement. Dans le sillage de son avis 42 rendu à l’occasion de la crise du COVID-19, le COMETS rappelle que le chercheur doit s’exprimer non seulement en respectant les règles de droit (lois mémorielles, lois condamnant la diffamation, l’injure, etc.) mais aussi en offrant à son auditoire la possibilité de mettre son discours en contexte, au minimum pour ne pas être induit en erreur. A cet effet, le chercheur doit prendre soin de :

      situer son propos : parle-t-il en son nom propre, au nom de sa communauté de recherche, de son organisme de rattachement ? Quel est son domaine de compétence ? Est-il spécialiste de la question sur laquelle il prend position ? Quels sont ses éventuels liens d’intérêts (avec telle entreprise, association, etc.) ? Quelles valeurs sous-tendent son propos ? ;
      mettre son propos en perspective : quel est le statut des résultats scientifiques sur lesquels il s’appuie ? Des incertitudes demeurent-elles ? Existe-t-il des controverses ?

      Le COMETS a conscience de la difficulté pratique à mettre en œuvre certaines de ces normes (temps de parole limité dans les médias, espace réduit des tribunes écrites, etc.). Leur respect constitue toutefois un objectif vers lequel le chercheur doit systématiquement tendre. Ce dernier doit également réfléchir, avant de s’exprimer publiquement, à ce qui fonde sa légitimité à le faire.

      En second lieu, les savoirs sur lesquels le chercheur assoit son engagement doivent être robustes et reposer sur une démarche scientifique rigoureuse. Engagé ou non, il doit obéir aux exigences classiques d’intégrité et de rigueur applicables à la production de connaissances fiables – description du protocole de recherche, référencement des sources, mise à disposition des résultats bruts, révision par les pairs, etc. Le COMETS rappelle que ces devoirs sont le corollaire nécessaire de la liberté de la recherche, qui est une liberté professionnelle, et que rien, pas même la défense d’une cause, aussi noble soit-elle, ne justifie de transiger avec ces règles et de s’accommoder de savoirs fragiles. Loin d’empêcher le chercheur d’affirmer une thèse avec force dans l’espace public, ces devoirs constituent au contraire un soutien indispensable à l’engagement public auquel, sinon, il peut lui être facilement reproché d’être militant.

      Afin de munir ceux qui souhaitent s’engager de repères et d’outils concrets, le COMETS invite le CNRS à élaborer avec les personnels de la recherche un guide de l’engagement public. Si de nombreux textes existent d’ores et déjà qui énoncent les droits et devoirs des chercheurs – statut du chercheur, chartes de déontologie, avis du COMETS, etc. –, ils sont éparpillés, parfois difficiles à interpréter (sur l’obligation de neutralité notamment) ou complexes à mettre en œuvre (déclaration des liens d’intérêt dans les médias, etc.). Un guide de l’engagement public devrait permettre de donner un contenu lisible, concret et réaliste à ces normes apparemment simples mais en réalité difficiles à comprendre ou à appliquer.

      Le COMETS recommande au CNRS d’envisager l’élaboration d’un tel guide avec d’autres organismes de recherche qui réfléchissent actuellement à la question. Le guide devrait par ailleurs être accompagné d’actions sensibilisant les chercheurs aux enjeux et techniques de l’engagement public (dont des formations à la prise de parole dans les médias).

      Le COMETS s’est enfin interrogé sur le positionnement plus général du CNRS à l’égard de l’engagement public.

      Le COMETS considère que de manière générale, le CNRS ne devrait ni inciter, ni condamner a priori l’engagement des chercheurs, ni opérer une quelconque police des engagements. En pratique :

      – dans l’évaluation de leurs travaux de recherche, les chercheurs ne devraient pas pâtir de leur engagement public. L’évaluation de l’activité de recherche d’un chercheur ne devrait porter que sur ses travaux de recherche et pas sur ses engagements publics éventuels ;

      – lorsque l’engagement public conduit à des controverses, la direction du CNRS n’a pas vocation à s’immiscer dans ces questions qui relèvent au premier chef du débat scientifique entre pairs ;

      – le CNRS doit en revanche intervenir au cas où un chercheur contreviendrait à l’intégrité ou à la déontologie (au minimum, les référents concernés devraient alors être saisis) ou en cas de violation des limites légales à la liberté d’expression (lois mémorielles, lois réprimant la diffamation, etc.) ; de même, l’institution devrait intervenir pour soutenir les chercheurs engagés qui font l’objet d’attaques personnelles ou de procès bâillons.

      – au cas où un chercheur mènerait des actions de désobéissance civile, le CNRS ne devrait pas se substituer aux institutions de police et de justice. Il ne devrait pas condamner ex ante ce mode d’engagement, ni le sanctionner en lieu et place de l’institution judiciaire. A posteriori, en cas de décision pénale définitive à l’encontre d’un chercheur, le CNRS peut éventuellement considérer que son intervention est requise et prendre une sanction.

      Plus généralement, le COMETS encourage le CNRS à protéger et à favoriser la liberté d’expression de son personnel. Il est en effet de la responsabilité des institutions et des communautés de recherche de soutenir la confrontation constructive des idées, fondée sur la liberté d’expression.

      Si le CNRS venait à décider de s’engager en tant qu’institution, c’est-à-dire s’il prenait publiquement des positions normatives sur des sujets de société, le COMETS considère qu’il devrait respecter les règles qui s’appliquent aux chercheurs – faire connaître clairement sa position, expliciter les objectifs et valeurs qui la sous-tendent, etc. Cette prise de position de l’institution devrait pouvoir être discutée sur la base d’un débat contradictoire au sein de l’institution.

      Pour télécharger l’avis :
      https://comite-ethique.cnrs.fr/wp-content/uploads/2023/09/AVIS-2023-44.pdf

      https://comite-ethique.cnrs.fr/avis-du-comets-entre-liberte-et-responsabilite-engagement-public

      #avis

  • Emmanuel Macron doit être destitué

    Ici éléments sur :

    La décision de la CIJ et la Convention sur la prévention du Génocide.

    Le caractère génocidaire de la suspension des financements à l’UNRWA

    https://blogs.mediapart.fr/stephane-m/blog/030224/emmanuel-macron-doit-etre-destitue

    #Israel #France #EmmanuelMacron #Droit #Droit-International #Convention-pour-la-prévention-du-génocide #Cour-Internationale-de-Justice #CIJ #crimes #crimes-contre-l'humanité #génocide

  • #Productivisme et destruction de l’#environnement : #FNSEA et #gouvernement marchent sur la tête

    Répondre à la #détresse des #agriculteurs et agricultrices est compatible avec le respect de l’environnement et de la #santé_publique, expliquent, dans cette tribune à « l’Obs », les Scientifiques en rébellion, à condition de rejeter les mesures productivistes et rétrogrades du duo FNSEA-gouvernement.

    La #crise de l’agriculture brasse croyances, savoirs, opinions, émotions. Elle ne peut laisser quiconque insensible tant elle renvoie à l’un de nos #besoins_fondamentaux – se nourrir – et témoigne du #désarroi profond d’une partie de nos concitoyen·nes qui travaillent pour satisfaire ce besoin. Reconnaître la #souffrance et le désarroi du #monde_agricole n’empêche pas d’examiner les faits et de tenter de démêler les #responsabilités dans la situation actuelle. Une partie de son #traitement_médiatique tend à faire croire que les agriculteurs et agricultrices parleraient d’une seule voix, celle du président agro-businessman de la FNSEA #Arnaud_Rousseau. Ce directeur de multinationale, administrateur de holding, partage-t-il vraiment la vie de celles et ceux qui ne parviennent plus à gagner la leur par le travail de la terre ? Est-ce que les agriculteur·ices formeraient un corps uniforme, qui valoriserait le productivisme au mépris des #enjeux_environnementaux qu’ils et elles ne comprendraient soi-disant pas ? Tout cela est difficile à croire.

    Ce que la science documente et analyse invariablement, en complément des savoirs et des observations de nombre d’agriculteur·ices, c’est que le #modèle_agricole industriel et productiviste conduit à une #catastrophe sociale et environnementale. Que ce modèle concurrence dangereusement les #alternatives écologiquement et socialement viables. Que cette agriculture ne s’adaptera pas indéfiniment à un environnement profondément dégradé. Qu’elle ne s’adaptera pas à un #réchauffement_climatique de +4 °C pour la France et une ressource en #eau fortement diminuée, pas plus qu’à une disparition des #insectes_pollinisateurs.

    Actuellement, comme le rappelle le Haut Conseil pour le Climat (HCC), l’agriculture représente le deuxième secteur d’émissions de #gaz_à_effet_de_serre, avec 18 % du total français, derrière les transports. La moitié de ces émissions agricoles (en équivalent CO2) provient de l’#élevage_bovin à cause du #méthane produit par leur digestion, 14 % des #engrais_minéraux qui libèrent du #protoxyde_d’azote et 13 % de l’ensemble des #moteurs, #engins et #chaudières_agricoles. Le HCC rappelle aussi que la France s’est engagée lors de la COP26 à baisser de 30 % ses émissions de méthane d’ici à 2030, pour limiter le réchauffement climatique. L’agriculture, bien que répondant à un besoin fondamental, doit aussi revoir son modèle dominant pour répondre aux enjeux climatiques. De ce point de vue, ce qu’indique la science, c’est que, si l’on souhaite faire notre part dans le respect de l’accord de Paris, la consommation de #viande et de #produits_laitiers doit diminuer en France. Mais la solidarité avec nos agriculteur.ices ainsi que l’objectif légitime de souveraineté et #résilience_alimentaire nous indiquent que ce sont les importations et les élevages intensifs de ruminants qui devraient diminuer en premier.

    Côté #biodiversité, la littérature scientifique montre que l’usage des #pesticides est la deuxième cause de l’effondrement des populations d’#insectes, qui atteint 80 % dans certaines régions françaises. Les #oiseaux sont en déclin global de 25 % en quarante ans, mais ce chiffre bondit à 60 % en milieux agricoles intensifs : le printemps est devenu particulièrement silencieux dans certains champs…

    D’autres voies sont possibles

    Le paradoxe est que ces bouleversements environnementaux menacent particulièrement les agriculteur·ices, pour au moins trois raisons bien identifiées. Tout d’abord environnementale, à cause du manque d’eau, de la dégradation des sols, des événements météorologiques extrêmes (incendies ou grêles), ou du déclin des insectes pollinisateurs, qui se traduisent par une baisse de production. Sanitaires, ensuite : par leur exposition aux #produits_phytosanitaires, ils et elles ont plus de risque de développer des #cancers (myélome multiple, lymphome) et des #maladies_dégénératives. Financière enfin, avec l’interminable fuite en avant du #surendettement, provoqué par la nécessité d’actualiser un équipement toujours plus performant et d’acheter des #intrants pour pallier les baisses de production engendrées par la dégradation environnementale.

    Depuis des décennies, les #traités_de_libre-échange et la compétition intra-européenne ont privé la grande majorité des agriculteur·ices de leur #autonomie, dans un cercle vicieux aux répercussions sociales tragiques pouvant mener au #suicide. Si la FNSEA, les #JA, ou la #Coordination_rurale réclament une forme de #protectionnisme_agricole, d’autres de leurs revendications portent en revanche sur une baisse des #contraintes_environnementales et sanitaires qui font porter le risque de la poursuite d’un modèle délétère sur le long terme. Ce sont justement ces revendications que le gouvernement a satisfaites avec, en particulier, la « suspension » du #plan_Ecophyto, accueilli par un satisfecit de ces trois organisations syndicales rappelant immédiatement « leurs » agriculteurs à la ferme. Seule la #Confédération_paysanne refuse ce compromis construit au détriment de l’#écologie.

    Pourtant, des pratiques et des modèles alternatifs existent, réduisant significativement les émissions de gaz à effet de serre et préservant la biodiversité ; ils sont déjà mis en œuvre par des agriculteur·ices qui prouvent chaque jour que d’autres voies sont possibles. Mais ces alternatives ont besoin d’une réorientation des #politiques_publiques (qui contribuent aujourd’hui pour 80 % au #revenu_agricole). Des propositions cohérentes de politiques publiques répondant à des enjeux clés (#rémunération digne des agriculteur·ices non soumis aux trusts’de la grande distribution, souveraineté alimentaire, considérations climatiques et protection de la biodiversité) existent, comme les propositions relevant de l’#agroécologie, qu’elles émanent du Haut Conseil pour le Climat, de la fédération associative Pour une autre PAC, de l’IDDRI, ou encore de la prospective INRAE de 2023 : baisse de l’#élevage_industriel et du cheptel notamment bovin avec soutien à l’#élevage_extensif à l’herbe, généralisation des pratiques agro-écologiques et biologiques basées sur la valorisation de la biodiversité (cultures associées, #agro-foresterie, restauration des #haies favorisant la maîtrise des bio-agresseurs) et arrêt des #pesticides_chimiques_de_synthèse. Ces changements de pratiques doivent être accompagnés de mesures économiques et politiques permettant d’assurer le #revenu des agriculteur·ices, leur #accès_à_la_terre et leur #formation, en cohérence avec ce que proposent des syndicats, des associations ou des réseaux (Confédération paysanne, Atelier paysan, Terre de liens, Fédérations nationale et régionales d’Agriculture biologique, Réseau salariat, …).

    Nous savons donc que les politiques qui maintiennent le #modèle_agro-industriel sous perfusion ne font qu’empirer les choses et qu’une réorientation complète est nécessaire et possible pour la #survie, la #dignité, la #santé et l’#emploi des agriculteur·ices. Nombre d’enquêtes sociologiques indiquent qu’une bonne partie d’entre elles et eux le savent très bien, et que leur détresse témoigne aussi de ce #conflit_interne entre le modèle productiviste qui les emprisonne et la nécessité de préserver l’environnement.

    Une #convention_citoyenne

    Si le gouvernement convient que « les premières victimes du dérèglement climatique sont les agriculteurs », les mesures prises démontrent que la priorité gouvernementale est de sanctuariser le modèle agro-industriel. La remise en cause du plan Ecophyto, et la reprise en main de l’#Anses notamment, sont en totale contradiction avec l’urgence de s’attaquer à la dégradation environnementale couplée à celle des #conditions_de_vie et de travail des agriculteur·ices. Nous appelons les citoyen·nes et les agriculteur·rices à soutenir les changements de politique qui iraient réellement dans l’intérêt général, du climat, de la biodiversité. Nous rappelons que le sujet de l’agriculture et de l’#alimentation est d’une redoutable complexité, et qu’identifier les mesures les plus pertinentes devrait être réalisé collectivement et démocratiquement. Ces mesures devraient privilégier l’intérêt général et à long-terme, par exemple dans le cadre de conventions citoyennes dont les conclusions seraient réellement traduites dans la législation, a contrario a contrario de la précédente convention citoyenne pour le climat.

    https://www.nouvelobs.com/opinions/20240203.OBS84041/tribune-productivisme-et-destruction-de-l-environnement-fnsea-et-gouverne
    #tribune #scientifiques_en_rébellion #agriculture #souveraineté_alimentaire #industrie_agro-alimentaire

  • Une vraie #souveraineté_alimentaire pour la #France

    Le mercredi 6 décembre 2023, la FNSEA sortait du bureau d’Elisabeth Borne en déclarant fièrement que l’État abandonnait son projet de taxer l’usage des pesticides et des retenues d’eau. Cela vient conclure une séquence historique. Le 16 novembre déjà, l’Europe reconduisait l’autorisation du glyphosate pour 10 ans. Et, six jours plus tard, abandonnait aussi l’objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides à l’horizon 2030.

    Comment en est-on arrivé là ? La question a été récemment posée dans un rapport de l’Assemblée nationale. En plus du #lobbying habituel de la #FNSEA et de l’état de crise permanent dans laquelle vivent les agriculteurs et qui rend toute #réforme explosive, la question de la souveraineté alimentaire – qui correspond au droit d’un pays à développer ses capacités productives pour assurer la sécurité alimentaire des populations – a joué un rôle clé dans cette dynamique.

    La souveraineté alimentaire est ainsi devenue, depuis la crise du Covid et la guerre en Ukraine, l’argument d’autorité permettant de poursuivre des pratiques qui génèrent des catastrophes écologiques et humaines majeures. Il existe pourtant d’autres voies.

    Le mythe de la dépendance aux #importations

    De quelle souveraineté alimentaire parle-t-on ? Les derniers chiffres de FranceAgrimer montrent que notre « #dépendance aux importations » – comme aiment à le répéter les défenseurs d’un modèle intensif – est de 75 % pour le blé dur, 26 % pour les pommes de terre, 37 % pour les fruits tempérés ou 26 % pour les porcs.

    Mais ce que l’on passe sous silence, c’est que le taux d’#autoapprovisionnement – soit le rapport entre la production et la consommation françaises – est de 148 % pour le blé dur, 113 % pour les pommes de terre, 82 % pour les fruits tempérés et 103 % pour le porc. Le problème de souveraineté alimentaire n’en est pas un. Le vrai problème, c’est qu’on exporte ce que l’on produit, y compris ce dont on a besoin. Cherchez l’erreur.

    D’autres arguments viennent encore se greffer à celui de la souveraineté, dans un monde d’#interdépendances : la #France serait le « grenier à blé de l’Europe », il faudrait « nourrir les pays du Sud », la France serait « une puissance exportatrice », etc.

    Au-delà de l’hypocrisie de certaines de ces affirmations – en effet, les #exportations des surplus européens subventionnés ont détruit tout un tissu productif, en Afrique de l’Ouest notamment – il ne s’agit pas là d’enjeux liés à la souveraineté alimentaire, mais d’enjeux stratégiques et politiques liés à la #compétitivité de certains produits agricoles français sur les marchés internationaux.

    Comprendre : la France est la 6e puissance exportatrice de #produits_agricoles et agroalimentaires au monde et elle entend bien le rester.

    Voir la #productivité de façon multifonctionnelle

    S’il ne faut évidemment pas renoncer aux objectifs de #productivité_alimentaire nationaux, ces derniers gagneraient à être redéfinis. Car comment évoquer la souveraineté alimentaire sans parler des besoins en #eau pour produire les aliments, de la dépendance aux #énergies_fossiles générée par les #intrants de synthèse, de l’épuisement de la #fertilité des #sols lié à la #monoculture_intensive ou encore des effets du #réchauffement_climatique ?

    Comment évoquer la souveraineté alimentaire sans parler des enjeux fonciers, de l’évolution du #travail_agricole (25 % des #agriculteurs sont en passe de partir à la retraite), du #gaspillage_alimentaire – qui avoisine les 30 % tout de même – des #besoins_nutritionnels et des #habitudes_alimentaires de la population ?

    La #productivité_alimentaire doit dorénavant se conjuguer avec d’autres formes de productivité tout aussi essentielles à notre pays :

    – la capacité de #rétention_d’eau dans les sols,

    – le renouvellement des #pollinisateurs,

    – le maintien des capacités épuratoires des milieux pour conserver une #eau_potable,

    – le renouvellement de la #fertilité_des_sols,

    – la régulation des espèces nuisibles aux cultures,

    – ou encore la séquestration du carbone dans les sols.

    Or, il est scientifiquement reconnu que les indicateurs de productivité relatifs à ces services baissent depuis plusieurs décennies. Pourtant, ce sont bien ces services qui permettront de garantir une véritable souveraineté alimentaire future.

    La #diversification pour maintenir des rendements élevés

    Une revue de littérature scientifique parue en 2020, compilant plus de 5000 études menées partout dans le monde, montrait que seules des stratégies de diversification des #pratiques_agricoles permettent de répondre à ces objectifs de #performance_plurielle pour l’agriculture, tout en maintenant des #rendements élevés.

    Les ingrédients de cette diversification sont connus :

    – augmentation de la #rotation_des_cultures et des #amendements_organiques,

    – renoncement aux #pesticides_de_synthèse et promotion de l’#agriculture_biologique à grande échelle,

    - réduction du #labour,

    - diversification des #semences et recours aux #variétés_rustiques,

    - ou encore restauration des #haies et des #talus pour limiter le ruissellement de l’#eau_de_pluie.

    Dans 63 % des cas étudiés par ces chercheurs, ces stratégies de diversification ont permis non seulement d’augmenter les #services_écosystémiques qui garantissent la souveraineté alimentaire à long terme, mais aussi les #rendements_agricoles qui permettent de garantir la souveraineté alimentaire à court terme.

    Les sérieux atouts de l’agriculture biologique

    Parmi les pratiques de diversification qui ont fait leurs preuves à grande échelle en France, on retrouve l’agriculture biologique. Se convertir au bio, ce n’est pas simplement abandonner les intrants de synthèse.

    C’est aussi recourir à des rotations de cultures impliquant des #légumineuses fixatrices d’azote dans le sol, utiliser des semences rustiques plus résilientes face aux #parasites, des amendements organiques qui nécessitent des couplages culture-élevage, et enfin parier sur la restauration d’un #paysage qui devient un allié dans la lutte contre les #aléas_naturels. La diversification fait ainsi partie de l’ADN des agriculteurs #bio.

    C’est une question de #réalisme_économique. Les exploitations bio consomment en France deux fois moins de #fertilisant et de #carburant par hectare que les exploitants conventionnels, ce qui les rend moins vulnérables à l’évolution du #prix du #pétrole. En clair, l’agriculture biologique pourrait être la garante de la future souveraineté alimentaire française, alors qu’elle est justement souvent présentée comme une menace pour cette dernière du fait de rendements plus faibles à court terme.

    Au regard des éléments mentionnés plus haut, il s’agit évidemment d’un #faux_procès. Nous sommes autosuffisants et nous avons les réserves foncières qui permettraient de déployer le bio à grande échelle en France, puisque nous sommes passé de 72 % du territoire dédié aux activités agricoles en 1950 à 50 % en 2020. Une petite partie de ces surfaces a été artificialisée tandis que la majorité a tout simplement évolué en friche, à hauteur de 1000 km2 par an en moyenne.

    Par ailleurs, le différentiel de rendement entre le bio et le #conventionnel se réduit après quelques années seulement : de 25 % en moyenne (toutes cultures confondues) au moment de la conversion, il descend à 15 % ensuite. La raison en est l’apprentissage et l’innovation dont font preuve ces agriculteurs qui doivent en permanence s’adapter aux variabilités naturelles. Et des progrès sont encore à attendre, si l’on songe que l’agriculture bio n’a pas bénéficié des 50 dernières années de recherche en #agronomie dédiées aux pratiques conventionnelles.

    Relever le niveau de vie des agriculteurs sans éroder le #pouvoir_d’achat des consommateurs

    Mais a-t-on les moyens d’opérer une telle transition sans réduire le pouvoir d’achat des Français ? Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord évoquer le #revenu des #agriculteurs. Il est notoirement faible. Les agriculteurs travaillent beaucoup et vivent mal de leur métier.

    Or, on oublie souvent de le mentionner, mais le surcoût des produits bio est aussi lié au fait que les consommateurs souhaitent mieux rémunérer les agriculteurs : hors subventions, les revenus des agriculteurs bio sont entre 22 % et 35 % plus élevés que pour les agriculteurs conventionnels.

    Ainsi, le consommateur bio consent à payer plus parce que le bio est meilleur pour l’environnement dans son ensemble (eau, air, sol, biodiversité), mais aussi pour que les paysans puissent mieux vivre de leur métier en France sans mettre en danger leur santé.

    Par ailleurs, si le consommateur paie plus cher les produits bio c’est aussi parce qu’il valorise le #travail_agricole en France. Ainsi la production d’aliments bio nécessite plus de #main-d’oeuvre (16 % du total du travail agricole pour 10 % des surfaces) et est très majoritairement localisée en France (71 % de ce qui est consommé en bio est produit en France).

    Cette question du #travail est centrale. Moins de chimie, c’est plus de travail des communautés humaines, animales et végétales. C’est aussi plus d’incertitudes, ce qui n’est évidemment pas simple à appréhender pour un exploitant.

    Mais il faut rappeler que le discours sur le pouvoir d’achat des français, soi-disant garanti par le modèle hyper-productiviste de l’agriculture française, vise surtout à conforter les rentes de situations des acteurs dominants du secteur agricole. Car les coûts sanitaires et environnementaux de ce modèle sont payés par le contribuable.

    Rien que le #traitement_de_l’eau, lié aux pollutions agricoles, pour la rendre potable, coûte entre 500 millions d’euros et 1 milliard d’euros par an à l’État. Or, ce que le consommateur ne paie pas au supermarché, le citoyen le paie avec ses #impôts. Le rapport parlementaire évoqué plus haut ne dit pas autre chose : la socialisation des coûts et la privatisation des bénéfices liés aux #pesticides ne sont plus tolérables.

    Le bio, impensé de la politique agricole française

    Une évidence s’impose alors : il semblerait logique que l’État appuie massivement cette filière en vue de réduire les coûts pour les exploitants bio et ainsi le prix pour les consommateurs de produits bio. En effet, cette filière offre des garanties en matière de souveraineté alimentaire à court et long terme, permet de protéger l’eau et la #santé des Français, est créatrice d’emplois en France. Il n’en est pourtant rien, bien au contraire.

    L’État a promu le label #Haute_valeur_environnementale (#HVE), dont l’intérêt est très limité, comme révélé par l’Office français de la biodiversité (OFB). L’enjeu semble surtout être de permettre aux agriculteurs conventionnels de toucher les aides associés au plan de relance et à la nouvelle #PAC, au risque de créer une #concurrence_déloyale vis-à-vis des agriculteurs bio, d’autant plus que les #aides_publiques au maintien de l’agriculture biologique ont été supprimées en 2023.

    La décision récente de l’État de retirer son projet de #taxe sur l’usage des pesticides créé aussi, de facto, un avantage comparatif pour le conventionnel vis-à-vis du bio. Enfin, rappelons que la Commission européenne a pointé à plusieurs reprises que la France était le seul pays européen à donner moins de subventions par unité de travail agricole aux céréaliers bio qu’aux conventionnels.

    Ainsi, un céréalier bio français reçoit un tiers de subventions en moins par unité de travail agricole qu’un céréalier conventionnel, alors qu’en Allemagne ou en Autriche, il recevrait 50 % de #subventions supplémentaires. En France, l’État renonce aux taxes sur les pesticides tout en maintenant des #charges_sociales élevées sur le travail agricole, alors que c’est évidemment l’inverse dont aurait besoin la #transition_agroécologique.

    Que peuvent faire les citoyens au regard de ce constat déprimant ? Consommer des produits bio malgré tout, et trouver des moyens de les payer moins cher, grâce par exemple à la #vente_directe et à des dispositifs tels que les #AMAP qui permettent de réduire le coût du transport, de la transformation et de la distribution tout autant que le gâchis alimentaire, les variabilités de la production étant amorties par la variabilité du contenu du panier.

    Les agriculteurs engagés pour la #transition_écologique, de leur côté, peuvent réduire les risques associés aux variabilités naturelles et économiques en créant de nouvelles formes d’exploitations coopératives combinant plusieurs activités complémentaires : élevage, culture, transformation, conditionnement et distribution peuvent être organisés collectivement pour mutualiser les coûts et les bénéfices, mais aussi se réapproprier une part significative de la #chaîne_de_valeur laissée aujourd’hui au monde de l’agro-industrie et de la grande distribution.

    Il ne s’agit pas d’une #utopie. De nombreux acteurs essaient de faire émerger, malgré les résistances institutionnelles, ces nouvelles pratiques permettant de garantir la souveraineté alimentaire de la France à long terme.

    https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560
    #foncier #industrie_agro-alimentaire #alimentation #collectivisation
    #à_lire #ressources_pédagogiques

  • « Le Conseil constitutionnel n’a jamais défendu les droits des étrangers », Danièle Lochak [Gisti]

    Que peut-on attendre de la saisine actuelle du Conseil constitutionnel à propos de la loi immigration ?

    Danièle Lochak : Il y a trois éléments à prendre en compte. D’abord un élément de contexte général : on ne peut pas attendre grand-chose du Conseil constitutionnel lorsqu’il s’agit des droits des étrangers. Historiquement, à quelques nuances et réserves d’interprétation près, il a toujours validé l’ensemble des mesures votées par le législateur et accompagné sans ciller toutes les évolutions restrictives en la matière.

    Ainsi en matière d’enfermement – ce qu’on appelle aujourd’hui la rétention – le Conseil constitutionnel a d’abord dit en 1980 que sa durée devait être brève et placée sous le contrôle du juge judiciaire, garant de la liberté individuelle. Mais la durée maximale de rétention a été progressivement étendue : de sept jours, elle est passée à dix en 1993, puis douze en 1998, puis 32 en 2003, puis 45 jours en 2011, et enfin, 90 jours en 2018 , sans que le Conseil constitutionnel y trouve à redire.

    Il a affirmé que la lutte contre l’immigration irrégulière participait de la sauvegarde de l’ordre public, dont il a fait un objectif à valeur constitutionnelle. On voit mal, dans ces conditions, comment des mesures qui ont pour objectif proclamé de lutter contre l’immigration irrégulière pourraient être arrêtées par le contrôle de constitutionnalité…

    Autre exemple : en 1993, lors de l’examen de la loi Pasqua, le Conseil constitutionnel a affirmé que les étrangers en situation régulière bénéficient du droit de mener une vie familiale normale. Mais une fois ce principe posé, il n’a censuré aucune mesure restreignant le droit au regroupement familial. Ainsi, même lorsqu’il a rappelé des principes et reconnu que les étrangers devaient bénéficier des garanties constitutionnelles, il a toujours trouvé des aménagements qui ont permis de valider les dispositions législatives restrictives.

    Le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius a tancé le gouvernement, et rappelé que l’institution n’était pas « une chambre d’appel des choix du Parlement ». Le Conseil ne va-t-il pas se montrer plus sévère qu’à l’accoutumée ?

    D. L. : En effet, le deuxième élément qui change la donne est le contexte politique, avec un gouvernement qui annonce d’emblée que certaines dispositions sont contraires à la #Constitution et charge le Conseil constitutionnel de « nettoyer » la loi. C’est bien entendu grotesque : en élaborant la loi, les responsables politiques sont censés respecter la Constitution.

    Surtout, le Rassemblement national (#RN) s’est targué d’une « victoire idéologique ». C’est très habile de sa part. En réalité, voilà quarante ans que l’ombre portée du Front national (RN maintenant) pèse sur la politique d’immigration française. Depuis 1983 et l’élection partielle de Dreux où le #FN, allié à la droite, l’a emporté sur la liste de gauche menée par Françoise Gaspard, la droite court après l’extrême droite, et la gauche, de crainte de paraître laxiste, court après la droite sur les questions d’immigration.

    Hormis quelques lois, dont la loi de 1981 adoptée après l’arrivée de la gauche au pouvoir et celle de 1984 sur la carte de résident, ou encore la loi Joxe de 1989, la politique de la gauche n’a été qu’une suite de renoncements, maintenant l’objectif de « maîtrise des flux migratoires » et de lutte contre l’immigration irrégulière. Il n’y a que sur la nationalité qu’elle n’a jamais cédé.

    Cela étant, la revendication de victoire de la part du RN va probablement inciter le Conseil constitutionnel à invalider un plus grand nombre de dispositions de la loi que d’habitude, même si on ignore lesquelles.

    Dans la saisine du Conseil constitutionnel sont invoqués beaucoup de « cavaliers législatifs », des dispositions qui n’ont pas de rapport avec l’objet du texte. Le garant de la constitutionnalité de la loi va-t-il trouver là des arguments faciles pour censurer certaines dispositions ?

    D. L. : Oui, et c’est le troisième élément à prendre en considération dans les pronostics que l’on peut faire. La présence de nombreux cavaliers législatifs va faciliter la tâche du Conseil constitutionnel, car invalider une disposition pour des raisons procédurales est évidemment plus confortable que de se prononcer sur le fond. Le projet initial portait sur l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Or le texte final, « enrichi » d’une multitude d’amendements, est loin de se limiter à ces questions.

    Le Conseil constitutionnel peut très bien estimer que les dispositions sur la #nationalité, pour ne prendre que cet exemple, qui relèvent du Code civil, sont sans rapport avec l’objet du texte, et les invalider. Alors même qu’en 1993, il avait validé le retour à la manifestation de volonté pour acquérir la nationalité française à partir de 16 ans pour les enfants d’étrangers nés en France, mesure phare de la loi Pasqua1.

    Il peut aussi invoquer « l’incompétence négative », qui désigne le fait pour le Parlement de n’avoir pas précisé suffisamment les termes de certaines dispositions et laissé trop de latitude au gouvernement pour les mettre en œuvre, sans compter les dispositions qui sont manifestement inapplicables tellement elles sont mal conçues.

    Mais si les dispositions sont invalidées sur ce fondement, rien n’empêchera leur retour dans un prochain texte puisque le Conseil constitutionnel aura fait une critique sur la forme et ne se sera pas prononcé sur le fond. Et puis il faut être conscient que, même s’il invalide un plus grand nombre de dispositions que d’habitude, il restera encore suffisamment de mesures iniques qui rendront la vie impossible aux étrangers résidant en France, fût-ce en situation régulière et depuis de très longues années.

    Le Conseil constitutionnel a tout de même consacré le principe de fraternité en 2018, et mis fin – au moins partiellement – au #délit_de_solidarité_ qui punit le fait d’aider les exilés dans un but humanitaire.

    D. L. : Oui, c’est un exemple qu’on met souvent en avant. Le « délit de solidarité » – ce sont les militants qui l’ont nommé ainsi, bien sûr – punit l’aide à l’entrée, au séjour et à la circulation des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français. A l’époque, les avocats du militant Cédric Herrou avaient posé une question prioritaire de constitutionnalité (#QPC) au Conseil constitutionnel en invoquant le principe de fraternité, qui figure dans la devise républicaine.

    Le Conseil constitutionnel a en effet consacré la valeur constitutionnelle du principe de fraternité, et son corollaire, la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour. Mais il a restreint la portée de cette liberté en n’y incluant pas l’aide à l’entrée sur le territoire, alors qu’à la frontière franco-italienne, par exemple, l’aide humanitaire est indispensable.

    Vous dressez un constat pessimiste. Cela vaut-il la peine que les associations continuent à contester les politiques migratoires devant les juges ?

    D. L. : Il faut distinguer les modes d’action. La saisine du Conseil constitutionnel après le vote de la loi est le fait de parlementaires et/ou du gouvernement, ou du président de la République.

    Les membres de la « société civile » (associations, avocats, professeurs de droit…) peuvent déposer des contributions extérieures, qu’on appelle aussi « portes étroites » . Celles-ci n’ont aucune valeur officielle, et le Conseil constitutionnel, même s’il les publie désormais sur son site, n’est obligé ni de les lire, ni de répondre aux arguments qui y sont développés.

    Les saisines officielles ont été accompagnées, cette fois, de très nombreuses portes étroites. Le #Gisti, une association de défense des droits des étrangers créée en 1972 et dont j’ai été la présidente entre 1985 et 2000, a décidé de ne pas s’y associer cette fois-ci, alors qu’il lui était arrivé par le passé d’en rédiger.

    Outre que le Gisti ne fait guère confiance au Conseil constitutionnel pour protéger les droits des étrangers, pour les raisons que j’ai rappelées, l’association a estimé que la seule position politiquement défendable était le rejet de la loi dans sa globalité sans se limiter aux dispositions potentiellement inconstitutionnelles. Elle ne souhaitait pas non plus prêter main-forte à la manœuvre du gouvernement visant à instrumentaliser le contrôle de constitutionnalité à des fins de tactique politicienne.

    Cela ne nous empêchera pas, ultérieurement, d’engager des contentieux contre les #décrets_d’application ou de soutenir les étrangers victimes des mesures prises sur le fondement de cette loi.

    Les associations obtiennent-elles plus de résultats devant le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation ?

    D. L. : Les recours devant le Conseil d’Etat ont été historiquement la marque du Gisti. Il a obtenu quelques beaux succès qui lui ont valu de laisser son nom à des « grands arrêts de la jurisprudence administrative ». Mais ces succès ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt car, dans l’ensemble, ni le #juge_administratif – le plus sollicité – ni le #juge_judiciaire n’ont empêché la dérive constante du droit des étrangers depuis une quarantaine d’années.

    Ils n’ont du reste pas vraiment cherché à le faire. Les juges sont très sensibles aux idées dominantes et, depuis cinquante ans, la nécessité de maîtriser les flux migratoires en fait partie. Dans l’ensemble, le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation (mais le rôle de celle-ci est moindre dans des affaires qui mettent essentiellement en jeu l’administration) ont quand même laissé passer moins de dispositions attentatoires aux droits des étrangers que le Conseil constitutionnel et ont parfois refréné les ardeurs du pouvoir.

    Il est vrai qu’il est plus facile pour le juge administratif d’annuler une décision du gouvernement (un décret d’application, une #circulaire), ou une mesure administrative individuelle que pour le juge constitutionnel d’invalider une loi votée par le parlement.

    Les considérations politiques jouent assurément dans le contentieux administratif – on l’a vu avec l’attitude subtilement équilibrée du Conseil d’Etat face aux dissolutions d’associations ou aux interdictions de manifestations : il a validé la #dissolution du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) et de la (Coordination contre le racisme et l’islamophobie), mais il a annulé celle des Soulèvements de la Terre.

    Ces considérations jouent de façon plus frontale dans le contentieux constitutionnel, devant une instance qui au demeurant, par sa composition, n’a de juridiction que la fonction et craint d’être accusée de chercher à imposer « un gouvernement des juges » qui fait fi de la souveraineté du peuple incarnée par le Parlement.

    En s’en remettant au Conseil constitutionnel et en lui laissant le soin de corriger les dispositions qu’il n’aurait jamais dû laisser adopter, le gouvernement a fait assurément le jeu de la droite et de l’extrême droite qui vont évidemment crier au gouvernement des juges.

    Quelles seront les solutions pour continuer à mener la bataille une fois la loi adoptée ?

    D. L. : Les mêmes que d’habitude ! Le Conseil constitutionnel n’examine pas la conformité des lois au regard des conventions internationales, estimant que ce contrôle appartient à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat. On pourra alors déférer à ce dernier les décrets d’application de la loi.

    Même si ces textes sont conformes aux dispositions législatives qu’ils mettent en œuvre, on pourra tenter de démontrer qu’ils sont en contradiction avec la législation de l’Union européenne, avec des dispositions de la Convention européenne telles qu’elles sont interprétées par la Cour de Strasbourg ou encore de la convention sur les droits de l’enfant.

    Ultérieurement, on pourrait envisager de demander à la Cour européenne des droits de l’homme la condamnation de la France. Mais on ne peut le faire qu’à l’occasion d’une affaire individuelle, après « épuisement » de tous les recours internes. Donc dans très longtemps.

    https://www.alternatives-economiques.fr/daniele-lochak-conseil-constitutionnel-na-jamais-defendu-droi/00109322

    (sauf pour les questions et la mention D.L., le graissage m’est dû)

    #loi_Immigration #xénophobie_d'État #étrangers #droit_du_séjour #lutte_contre_l’immigration_irrégulière #regroupement_familial #carte_de_résident #droit_du_sol #acquisition_de_la_nationalité #rétention #droit_des_étrangers #contentieux_administratif #Conseil_constitutionnel #Conseil_d'État #jurisprudence #jurisprudence_administrative #Cour_de_cassation #CEDH #conventions_internationales #Convention_européenne #convention_sur_les_droits_de_l’enfant

  • Blinne Ní Ghrálaigh: Lawyer’s closing statement in ICJ case against Israel praised

    This was the powerful closing statement in South Africa’s genocide case against Israel.

    Senior advocate #Blinne_Ní_Ghrálaigh addressed the International Court of Justice on day one of the hearing.

    ICJ: Blinne Ní Ghrálaigh’s powerful closing statement in South Africa case against Israel
    https://www.youtube.com/watch?v=ttrJd2aWF-Y&embeds_referring_euri=https%3A%2F%2Fwww.thenational.sco

    https://www.thenational.scot/news/24042943.blinne-ni-ghralaigh-lawyers-closing-statement-icj-case-israel

    #Cour_internationale_de_justice (#CIJ) #Israël #Palestine #Afrique_du_Sud #justice #génocide

    • Israël commet-il un génocide à #Gaza ? Le compte rendu d’une #audience historique

      Alors que les massacres israéliens à Gaza se poursuivent, l’Afrique du Sud a tenté de démontrer, jeudi 11 et vendredi 12 janvier devant la justice onusienne, qu’un génocide est en train d’être commis par Israël à Gaza.

      « Une #calomnie », selon l’État hébreu.

      Devant le palais de la Paix de #La_Haye (Pays-Bas), la bataille des #mots a commencé avant même l’audience. Jeudi 11 janvier au matin, devant la #Cour_de_justice_internationale_des_Nations_unies, des manifestants propalestiniens ont exigé un « cessez-le-feu immédiat » et dénoncé « l’#apartheid » en cours au Proche-Orient. Face à eux, des familles d’otages israélien·nes ont montré les photos de leurs proches kidnappés le 7 octobre par le Hamas.

      Pendant deux jours, devant 17 juges internationaux, alors que les massacres israéliens à Gaza continuent de tuer, de déplacer et de mutiler des civils palestiniens (à 70 % des femmes et des enfants, selon les agences onusiennes), le principal organe judiciaire des Nations unies a examiné la requête, précise et argumentée, de l’Afrique du Sud, destinée à imposer au gouvernement israélien des « #mesures
      _conservatoires » pour prévenir un génocide de la population palestinienne de Gaza.

      La première et plus urgente de ces demandes est l’arrêt immédiat des #opérations_militaires israéliennes à Gaza. Les autres exigent des mesures urgentes pour cesser les tueries, les déplacements de population, faciliter l’accès à l’eau et à la nourriture, et prévenir tout génocide.

      La cour a aussi entendu les arguments d’Israël, qui nie toute #intention_génocidaire et a martelé son « #droit_à_se_défendre, reconnu par le droit international ».

      L’affaire ne sera pas jugée sur le fond avant longtemps. La décision sur les « mesures conservatoires », elle, sera rendue « dès que possible », a indiqué la présidente de la cour, l’États-Unienne #Joan_Donoghue.

      Rien ne dit que les 17 juges (dont un Sud-Africain et un Israélien, Aharon Barak, ancien juge de la Cour suprême israélienne, de réputation progressiste mais qui n’a jamais critiqué la colonisation israélienne) donneront raison aux arguments de l’Afrique du Sud, soutenue dans sa requête par de nombreux États du Sud global. Et tout indique qu’une décision sanctionnant Israël serait rejetée par un ou plusieurs #vétos au sein du #Conseil_de_sécurité des Nations unies.

      Cette #audience solennelle, retransmise sur le site de l’ONU (revoir les débats du jeudi 11 et ceux du vendredi 12), et relayée par de nombreux médias internationaux, a pourtant revêtu un caractère extrêmement symbolique, où se sont affrontées deux lectures radicalement opposées de la tragédie en cours à Gaza.

      « Israël a franchi une limite »

      Premier à prendre la parole, l’ambassadeur sud-africain aux Pays-Bas, #Vusi_Madonsela, a d’emblée replacé « les actes et omissions génocidaires commis par l’État d’Israël » dans une « suite continue d’#actes_illicites perpétrés contre le peuple palestinien depuis 1948 ».

      Face aux juges internationaux, il a rappelé « la Nakba du peuple palestinien, conséquence de la #colonisation_israélienne qui a [...] entraîné la #dépossession, le #déplacement et la #fragmentation systématique et forcée du peuple palestinien ». Mais aussi une « #occupation qui perdure depuis cinquante-six ans, et le siège de seize ans imposé [par Israël] à la bande de Gaza ».

      Il a décrit un « régime institutionnalisé de lois, de politiques et de pratiques discriminatoires, mises en place [par Israël – ndlr] pour établir sa #domination et soumettre le peuple palestinien à un apartheid », dénonçant des « décennies de violations généralisées et systématiques des #droits_humains ».

      « En tendant la main aux Palestiniens, nous faisons partie d’une seule humanité », a renchéri le ministre de la justice sud-africain, #Ronald_Ozzy_Lamola, citant l’ancien président Nelson Mandela, figure de la lutte contre l’apartheid dans son pays.

      D’emblée, il a tenté de déminer le principal argument du gouvernement israélien, selon lequel la procédure devant la Cour internationale de justice est nulle et non avenue, car Israël mènerait une #guerre_défensive contre le #Hamas, au nom du #droit_à_la_légitime_défense garanti par l’article 51 de la charte des Nations unies – un droit qui, selon la Cour internationale de justice, ne s’applique pas aux #Territoires_occupés. « Gaza est occupée. Israël a gardé le contrôle de Gaza. [...] Ses actions renforcent son occupation : la légitime défense ne s’applique pas », insistera un peu plus tard l’avocat Vaughan Lowe.

      « L’Afrique du Sud, affirme le ministre sud-africain, condamne de manière catégorique la prise pour cibles de civils par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens le 7 octobre 2023. Cela étant dit, aucune attaque armée contre le territoire d’un État, aussi grave soit-elle, même marquée par la commission des #crimes atroces, ne saurait constituer la moindre justification ni le moindre prétexte, pour se rendre coupable d’une violation, ni sur le plan juridique ni sur le plan moral », de la #convention_des_Nations_unies_pour_la_prévention_et_la_répression_du_crime_de_génocide, dont est accusé l’État hébreu.

      « La réponse d’Israël à l’attaque du 7 octobre, a-t-il insisté, a franchi cette limite. »

      Un « génocide » au caractère « systématique »

      #Adila_Hassim, principale avocate de l’Afrique du Sud, s’est évertuée à démontrer méthodiquement comment Israël a « commis des actes relevant de la définition d’#actes_de_génocide », dont elle a martelé le caractère « systématique ».

      « Les Palestiniens sont tués, risquent la #famine, la #déshydratation, la #maladie, et ainsi la #mort, du fait du siège qu’Israël a organisé, de la #destruction des villes, d’une aide insuffisante autorisée à atteindre la population, et de l’impossibilité à distribuer cette maigre aide sous les #bombardements incessants, a-t-elle énuméré. Tout ceci rend impossible d’avoir accès aux éléments essentiels de la vie. »

      Adila Hassim s’est attelée à démontrer en quoi la #guerre israélienne cochait les cases du génocide, tel qu’il est défini à l’article 2 de la convention onusienne : « Des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. »

      Le « meurtre des membres du groupe », premier élément du génocide ? Adila Hassim évoque le « meurtre de masse des Palestiniens », les « 23 000 victimes dont 70 % sont des femmes ou des enfants », et « les 7 000 disparus, présumés ensevelis sous les décombres ». « Il n’y a pas de lieu sûr à Gaza », dit-elle, une phrase empruntée aux responsables de l’ONU, répétée de nombreuses fois par la partie sud-africaine.

      Hasssim dénonce « une des campagnes de bombardement les plus lourdes dans l’histoire de la guerre moderne » : « 6 000 bombes par semaine dans les trois premières semaines », avec des « #bombes de 900 kilos, les plus lourdes et les plus destructrices », campagne qui vise habitations, abris, écoles, mosquées et églises, dans le nord et le sud de la bande de Gaza, camps de réfugié·es inclus.

      « Les Palestiniens sont tués quand ils cherchent à évacuer, quand ils n’ont pas évacué, quand ils ont pris la #fuite, même quand ils prennent les itinéraires présentés par Israël comme sécurisés. (...) Des centaines de familles plurigénérationelles ont été décimées, personne n’ayant survécu (...) Personne n’est épargné, pas même les nouveau-nés (...) Ces massacres ne sont rien de moins que la #destruction_de_la_vie_palestinienne, infligée de manière délibérée. » Selon l’avocate, il existe bien une #intention_de_tuer. « Israël, dit-elle, sait fort bien combien de civils perdent leur vie avec chacune de ces bombes. »

      L’« atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe », et la « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle », autres éléments constitutifs du génocide ? Adila Hassim évoque « la mort et la #mutilation de 60 000 Palestiniens », les « civils palestiniens arrêtés et emmenés dans une destination inconnue », et détaille le « #déplacement_forcé de 85 % des Palestiniens de Gaza » depuis le 13 octobre, sans retour possible pour la plupart, et qui « répète une longue #histoire de #déplacements_forcés de masse ».

      Elle accuse Israël de « vise[r] délibérément à provoquer la faim, la déshydratation et l’inanition à grande échelle » (93 % de la population souffrent d’un niveau critique de faim, selon l’Organisation mondiale de la santé), l’aide empêchée par les bombardements et qui « ne suffit tout simplement pas », l’absence « d’eau propre », le « taux d’épidémies et de maladies infectieuses qui s’envole », mais aussi « les attaques de l’armée israélienne prenant pour cible le système de santé », « déjà paralysé par des années de blocus, impuissant face au nombre de blessures ».

      Elle évoque de nombreuses « naissances entravées », un autre élément constitutif du génocide.

      « Les génocides ne sont jamais annoncés à l’avance, conclut-elle. Mais cette cour a devant elle 13 semaines de #preuves accumulées qui démontrent de manière irréfutable l’existence d’une #ligne_de_conduite, et d’#intentions qui s’y rapportent, justifiant une allégation plausible d’actes génocidaires. »

      Une « #déshumanisation_systématique » par les dirigeants israéliens

      Un autre avocat s’avance à la barre. Après avoir rappelé que « 1 % de la population palestinienne de Gaza a été systématiquement décimée, et qu’un Gazaoui sur 40 a été blessé depuis le 7 octobre », #Tembeka_Ngcukaitobi décortique les propos des autorités israéliennes.

      « Les dirigeants politiques, les commandants militaires et les représentants de l’État d’Israël ont systématiquement et explicitement exprimé cette intention génocidaire, accuse-t-il. Ces déclarations sont ensuite reprises par des soldats, sur place à Gaza, au moment où ils anéantissent la population palestinienne et l’infrastructure de Gaza. »

      « L’intention génocidaire spécifique d’Israël, résume-t-il, repose sur la conviction que l’ennemi n’est pas simplement le Hamas, mais qu’il est à rechercher au cœur même de la société palestinienne de Gaza. »

      L’avocat multiplie les exemples, encore plus détaillés dans les 84 pages de la requête sud-africaine, d’une « intention de détruire Gaza aux plus hauts rangs de l’État » : celle du premier ministre, #Benyamin_Nétanyahou, qui, à deux reprises, a fait une référence à #Amalek, ce peuple que, dans la Bible (I Samuel XV, 3), Dieu ordonne d’exterminer ; celle du ministre de la défense, qui a comparé les Palestiniens à des « #animaux_humains » ; le président israélien #Isaac_Herzog, qui a jugé « l’entièreté de la nation » palestinienne responsable ; celle du vice-président de la Knesset, qui a appelé à « l’anéantissement de la bande de Gaza » (des propos condamnés par #Nétanyahou) ; ou encore les propos de nombreux élus et députés de la Knesset appelant à la destruction de Gaza.

      Une « déshumanisation systématique », dans laquelle les « civils sont condamnés au même titre que le Hamas », selon Tembeka Ngcukaitobi.

      « L’intention génocidaire qui anime ces déclarations n’est nullement ambiguë pour les soldats israéliens sur le terrain : elle guide leurs actes et leurs objectifs », poursuit l’avocat, qui diffuse devant les juges des vidéos où des soldats font eux aussi référence à Amalek, « se filment en train de commettre des atrocités contre les civils à Gaza à la manière des snuff movies », ou écoutent un réserviste de 95 ans les exhorter à « tirer une balle » sur leur « voisin arabe » et les encourager à une « destruction totale ».

      L’avocat dénonce le « manquement délibéré de la part du gouvernement à son obligation de condamner, de prévenir et de réprimer une telle incitation au génocide ».

      Après une plaidoirie technique sur la capacité à agir de l’Afrique du Sud, #John_Dugard insiste : « Gaza est devenu un #camp_de_concentration où un génocide est en cours. »

      L’avocat sud-africain #Max_du_Plessis exhorte la cour à agir face à Israël, qui « depuis des années (...) s’estime au-delà et au-dessus de la loi », une négligence du droit rendue possible par l’#indifférence de la communauté internationale, qui a su, dans d’autres conflits (Gambie, Bosnie, Ukraine) décider qu’il était urgent d’agir.

      « Gaza est devenu inhabitable », poursuit l’avocate irlandaise #Blinne_Ni_Ghralaigh. Elle énumère d’autres chiffres : « Au rythme actuel », égrène-t-elle, « 247 Palestiniens tués en moyenne chaque jour », dont « 48 mères » et « plus de 117 enfants », et « 629 blessés ». Elle évoque ces enfants dont toute la famille a été décimée, les secouristes, les enseignants, les universitaires et les journalistes tués dans des proportions historiques.

      « Il s’agit, dit-elle, du premier génocide de l’Histoire dont les victimes diffusent leur propre destruction en temps réel, dans l’espoir vain que le monde fasse quelque chose. » L’avocate dévoile à l’écran les derniers mots du docteur #Mahmoud_Abu_Najela (Médecins sans frontières), tué le 23 novembre à l’hôpital Al-Awda, écrits au feutre sur un tableau blanc : « À ceux qui survivront. Nous avons fait ce que nous pouvons. Souvenez-vous de nous. »

      « Le monde, conclut Blinne Ni Ghralaigh, devrait avoir #honte. »

      La réponse d’Israël : une « calomnie »

      Vendredi 12 janvier, les représentants d’Israël se sont avancés à la barre. Leur argumentation a reposé sur deux éléments principaux : un, la Cour internationale de justice n’a pas à exiger de « mesures conservatoires » car son armée ne commet aucun génocide ; deux, si génocide il y a, il a été commis par le Hamas le 7 octobre 2023.

      Premier à prendre la parole, #Tal_Becker, conseiller juridique du ministère des affaires étrangères israélien, invoque l’Histoire, et le génocide infligé aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, « le meurtre systématique de 6 millions de juifs dans le cadre d’une destruction totale ».

      « Israël, dit-il, a été un des premiers États à ratifier la convention contre le génocide. » « Pour Israël, insiste-t-il, “#jamais_plus” n’est pas un slogan, c’est une #obligation_morale suprême. »

      Dans « une époque où on fait bon marché des mots, à l’heure des politiques identitaires et des réseaux sociaux », il dénonce une « #instrumentalisation » de la notion de génocide contre Israël.

      Il attaque une présentation sud-africaine « totalement dénaturée des faits et du droit », « délibérément manipulée et décontextualisée du conflit actuel », qualifiée de « calomnie ».

      Alors que les avocats sud-africains avaient expliqué ne pas intégrer les massacres du Hamas dans leur requête devant la justice onusienne, car « le Hamas n’est pas un État », Tal Becker estime que l’Afrique du Sud « a pris le parti d’effacer l’histoire juive et tout acte ou responsabilité palestiniens », et que les arguments avancés « ne se distinguent guère de ceux opposés par le Hamas dans son rejet d’Israël ». « L’Afrique du Sud entretient des rapports étroits avec le Hamas » et le « soutient », accuse-t-il.

      « C’est une guerre qu’Israël n’a pas commencée », dit-il en revenant longuement, images et enregistrements à l’appui, sur les atrocités commises par le Hamas et d’autres groupes palestiniens le 7 octobre, « le plus important massacre de juifs en un jour depuis la #Shoah ».

      « S’il y a eu des actes que l’on pourrait qualifier de génocidaires, [ils ont été commis] contre Israël », dit-il, évoquant le « #programme_d’annihilation » des juifs par le Hamas. « Israël ne veut pas détruire un peuple, poursuit-il. Mais protéger un peuple : le sien. »

      Becker salue les familles d’otages israéliens présentes dans la salle d’audience, et montre certains visages des 130 personnes kidnappées dont le pays est toujours sans nouvelle. « Y a-t-il une raison de penser que les personnes que vous voyez à l’écran ne méritent pas d’être protégées ? », interroge-t-il.

      Pour ce représentant de l’État israélien, la demande sud-africaine de mesures conservatoires revient à priver le pays de son droit à se défendre.

      « Israël, poursuit-il, se défend contre le Hamas, le Djihad palestinien et d’autres organisations terroristes dont la brutalité est sans limite. Les souffrances sont tragiques, sont déchirantes. Les conséquences sont parfaitement atroces pour les civils du fait du comportement du Hamas, qui cherche à maximiser les pertes de civils alors qu’Israël cherche à les minorer. »

      Becker s’attarde sur la « #stratégie_méprisable » du Hamas, une « méthode de guerre intégrée, planifiée, de grande ampleur et odieuse ». Le Hamas, accuse-t-il, « a, de manière systématique, fondu ses opérations militaires au sein de zones civiles densément peuplées », citant écoles, mosquées et hôpitaux, des « milliers de bâtiments piégés » et « utilisés à des fins militaires ».

      Le Hamas « a fait entrer une quantité innombrable d’armes, a détourné l’aide humanitaire ». Remettant en cause le chiffre « non vérifié » de 23 000 victimes (pourtant confirmé par les Nations unies), Tal Becker estime que de nombreuses victimes palestiniennes sont des « militants » qui ont pu prendre « une part directe aux hostilités ». « Israël respecte le droit », martèle-t-il. « Si le Hamas abandonne cette stratégie, libère les otages, hostilités et violences prendront fin. »

      Ponte britannique du droit, spécialiste des questions juridiques liées aux génocides, #Malcom_Shaw embraie, toujours en défense d’Israël. Son discours, technique, est parfois interrompu. Il se perd une première fois dans ses notes, puis soupçonne un membre de son équipe d’avoir « pris [sa] #plaidoirie pour un jeu de cartes ».

      Shaw insiste : « Un conflit armé coûte des vies. » Mais Israël, dit-il, « a le droit de se défendre dans le respect du #droit_humanitaire », citant à l’audience les propos de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le 19 octobre 2023. Il poursuit : « L’#usage_de_la_force ne peut constituer en soi un acte génocidaire. » « Israël, jure-t-il, ne cible que les cibles militaires, et ceci de manière proportionnée dans chacun des cas. »

      « Peu d’éléments démontrent qu’Israël a eu, ou a, l’intention de détruire tout ou partie du peuple palestinien », plaide-t-il. Shaw estime que nombre de propos tenus par des politiciens israéliens ne doivent pas être pris en compte, car ils sont « pris au hasard et sont sortis de leur contexte », parce qu’ils témoignent d’une « #détresse » face aux massacres du 7 octobre, et que ceux qui les ont prononcés n’appartiennent pas aux « autorités pertinentes » qui prennent les décisions militaires, à savoir le « comité ministériel chargé de la sécurité nationale » et le « cabinet de guerre ».

      Pour étayer son argumentation, Shaw cite des directives (non publiques) de Benyamin Nétanyahou destinées, selon lui, à « éviter un désastre humanitaire », à proposer des « solutions pour l’approvisionnement en eau », « promouvoir la construction d’hôpitaux de campagne au sud de la bande de Gaza » ; les déclarations publiques de Benyamin Nétanyahou à la veille de l’audience (« Israël n’a pas l’intention d’occuper de façon permanente la bande de Gaza ou de déplacer sa population civile ») ; d’autres citations du ministre de la défense qui assure ne pas s’attaquer au peuple palestinien dans son ensemble.

      « La requête de l’Afrique du Sud brosse un tableau affreux, mais incomplet et profondément biaisé », renchérit #Galit_Rajuan, conseillère au ministère de la justice israélien, qui revient longuement sur les #responsabilités du Hamas, sa stratégie militaire au cœur de la population palestinienne. « Dans chacun des hôpitaux que les forces armées israéliennes ont fouillés à Gaza, elles ont trouvé des preuves d’utilisation militaire par le Hamas », avance-t-elle, des allégations contestées.

      « Certes, des dommages et dégâts ont été causés par les hostilités dans les hôpitaux, parfois par les forces armées israéliennes, parfois par le Hamas, reconnaît-elle, mais il s’agit des conséquences de l’utilisation odieuse de ces hôpitaux par le Hamas. »

      Rajuan martèle enfin qu’Israël cherche à « atténuer les dommages causés aux civils » et à « faciliter l’aide humanitaire ». Des arguments connus, que de très nombreuses ONG, agences des Nations unies et journalistes gazaouis présents sur place réfutent régulièrement, et que les journalistes étrangers ne peuvent pas vérifier, faute d’accès à la bande de Gaza.

      https://www.mediapart.fr/journal/international/120124/israel-commet-il-un-genocide-gaza-le-compte-rendu-d-une-audience-historiqu

    • Gaza, l’accusa di genocidio a Israele e la credibilità del diritto internazionale

      Il Sudafrica ha chiesto l’intervento della Corte internazionale di giustizia dell’Aja per presunte violazioni di Israele della Convenzione sul genocidio del 1948. Triestino Mariniello, docente di Diritto penale internazionale alla John Moores University di Liverpool, presente alla storica udienza, aiuta a comprendere il merito e le prospettive

      “Quello che sta succedendo all’Aja ha un significato che va oltre gli eventi in corso nella Striscia di Gaza. Viviamo un momento storico in cui la Corte internazionale di giustizia (Icj) ha anche la responsabilità di confermare se il diritto internazionale esiste ancora e se vale alla stessa maniera per tutti i Paesi, del Nord e del Sud del mondo”. A parlare è Triestino Mariniello, docente di Diritto penale internazionale alla John Moores University di Liverpool, già nel team legale delle vittime di Gaza di fronte alla Corte penale internazionale (Icc), che ha sede sempre all’Aja.

      Non vanno confuse: l’aula di tribunale ripresa dalle tv di tutto il mondo l’11 e il 12 gennaio scorsi, infatti, con il team legale sudafricano schierato contro quello israeliano, è quella della Corte internazionale di giustizia, il massimo organo giudiziario delle Nazioni Unite, che si esprime sulle controversie tra Stati. L’Icc, invece, è indipendente e legifera sulle responsabilità penali individuali.

      Il 29 dicembre scorso il Sudafrica ha chiesto l’intervento della prima per presunte violazioni da parte di Israele della Convenzione sul genocidio del 1948, nei confronti dei palestinesi della Striscia di Gaza. Un’udienza storica a cui Mariniello era presente.

      Professore, qual era innanzi tutto l’atmosfera?
      TM A mia memoria mai uno strumento del diritto internazionale ha avuto tanto sostegno e popolarità. C’erano centinaia, probabilmente migliaia di persone all’esterno della Corte, emittenti di tutto il mondo e apparati di sicurezza, inclusi droni ed elicotteri. Sentire anche le tv più conservatrici, come quelle statunitensi, parlare di Palestina e genocidio faceva comprendere ancora di più l’importanza storica dell’evento.

      In estrema sintesi, quali sono gli elementi più importanti della tesi sudafricana?
      TM Il Sudafrica sostiene che Israele abbia commesso atti di genocidio contro la popolazione di Gaza, ciò significa una serie di azioni previste dall’articolo 2 della Convenzione sul genocidio, effettuate con l’intento di distruggere del tutto o in parte un gruppo protetto, in questo caso i palestinesi di Gaza. Questi atti, per il Sudafrica, sono omicidi di massa, gravi lesioni fisiche o mentali e l’imposizione di condizioni di vita volte a distruggere i palestinesi, come l’evacuazione forzata di circa due milioni di loro, la distruzione di quasi tutto il sistema sanitario della Striscia, l’assedio totale all’inizio della guerra e la privazione di beni essenziali per la sopravvivenza. Ciò che caratterizza un genocidio rispetto ad altri crimini internazionali è il cosiddetto “intento speciale”, la volontà cioè di voler distruggere del tutto o in parte un gruppo protetto. È l’elemento più difficile da provare, ma credo che il Sudafrica in questo sia riuscito in maniera solida e convincente. Sia in aula sia all’interno della memoria di 84 pagine presentata, vi sono, infatti, una serie di dichiarazioni dei leader politici e militari israeliani, che proverebbero tale intento. Come quella del premier Benjamin Netanyahu che, a inizio guerra, ha invocato la citazione biblica di Amalek, che sostanzialmente significa: “Uccidete tutti gli uomini, le donne, i bambini e gli animali”. O una dichiarazione del ministro della Difesa, Yoav Gallant, che ha detto che a Gaza sono tutti “animali umani”. Queste sono classiche dichiarazioni deumanizzanti e la deumanizzazione è un passaggio caratterizzante tutti i genocidi che abbiamo visto nella storia dell’umanità.

      Qual è stata invece la linea difensiva israeliana?
      TM Diciamo che l’impianto difensivo di Israele è basato su tre pilastri: il fatto che quello di cui lo si accusa è stato eseguito da Hamas il 7 ottobre; il concetto di autodifesa, cioè che quanto fatto a Gaza è avvenuto in risposta a tale attacco e, infine, che sono state adottate una serie di precauzioni per limitare l’impatto delle ostilità sulla popolazione civile. Israele, inoltre, ha sollevato il tema della giurisdizione della Corte, mettendola in discussione, in quanto non vi sarebbe una disputa in corso col Sudafrica. Su questo la Corte si dovrà pronunciare, ma a tal proposito è stato ricordato come Israele sia stato contattato dal Sudafrica in merito all’accusa di genocidio e non abbia risposto. Questo, per l’accusa, varrebbe come disputa in corso.

      Che cosa chiede il Sudafrica?
      TM In questo momento l’accusa non deve dimostrare che sia stato commesso un genocidio, ma che sia plausibile. Questa non è un’udienza nel merito, siamo in una fase d’urgenza, ma di richiesta di misure cautelari. Innanzitutto chiede il cessate fuoco, poi la rescissione di tutti gli ordini che possono costituire atti di genocidio. Si domanda alla Corte di imporre un ordine a Israele per preservare tutte le prove che potrebbero essere utili per indagini future e di porre fine a tutti gli atti di cui il Sudafrica lo ritiene responsabile.

      Come valuta le due memorie?
      TM La deposizione del Sudafrica è molto solida e convincente, sia in merito agli atti genocidi sia all’intento genocidiario. E credo che anche alla luce dei precedenti della Corte lasci veramente poco spazio di manovra. Uno dei punti di forza è che fornisce anche una serie di prove in merito a quello che è successo e che sta accadendo a Gaza: le dichiarazioni dei politici israeliani, cioè, hanno ricevuto un’implementazione sul campo. Sono stati mostrati dei video di militari, ad esempio, che invocavano Amalek, la citazione di Netanyahu.

      In realtà il Sudafrica non si limita allo scontro in atto, ma parla di una sorta Nakba (l’esodo forzato dei palestinesi) ininterrotto.
      TM Ogni giurista dovrebbe sempre analizzare qualsiasi ostilità all’interno di un contesto e per questo il Sudafrica fa riferimento a 75 anni di Nakba, a 56 di occupazione militare israeliana e a 16 anni di assedio della Striscia.

      Come valuta la difesa israeliana?
      TM Come detto, tutto viene ricondotto all’attacco di Hamas del 7 ottobre e a una risposta di autodifesa rispetto a tale attacco. Ma esiste sempre un contesto per il diritto penale internazionale e l’autodifesa -che per uno Stato occupante non può essere invocata- non può comunque giustificare un genocidio. L’altro elemento sottolineato dal team israeliano, delle misure messe in atto per ridurre l’impatto sui civili, è sembrato più retorico che altro: quanto avvenuto negli ultimi tre mesi smentisce tali dichiarazioni. Basti pensare alla privazione di beni essenziali e a tutte le informazioni raccolte dalle organizzazioni internazionali e dagli organismi delle Nazioni Unite. A Gaza non esistono zone sicure, ci sono stati casi in cui la popolazione evacuata, rifugiatasi nelle zone indicate da Israele, è stata comunque bombardata.

      Ora che cosa pensa succederà?
      TM La mia previsione è che la Corte si pronuncerà sulle misure cautelari entro la fine di gennaio e l’inizio di febbraio, quando alcuni giudici decadranno e saranno sostituiti. In alcuni casi ha impiegato anche solo otto giorni per pronunciarsi. Ora ci sono delle questioni procedurali, altri Stati stanno decidendo di costituirsi a sostegno di Israele o del Sudafrica.

      Che cosa implica tale sostegno?
      TM La possibilità di presentare delle memorie. La Germania sosterrà Israele, il Brasile, i Paesi della Lega Araba, molti Stati sudamericani, ma non solo, si stanno schierando con il Sudafrica.

      Il ministro degli Esteri italiano, Antonio Tajani, ha dichiarato che non si tratta di genocidio.
      TM L’Italia non appoggerà formalmente Israele dinnanzi all’Icj. La Francia sarà neutrale. I Paesi del Global South stanno costringendo quelli del Nord a verificare la credibilità del diritto internazionale: vale per tutti o è un diritto à la carte?

      Se la Corte decidesse per il cessate il fuoco, quali sarebbero le conseguenze, visto che non ha potere politico?
      TM Il parere della Corte è giuridicamente vincolante. Il problema è effettivamente di esecuzione: nel caso di un cessate il fuoco, se non fosse Israele ad attuarlo, dovrebbe intervenire il Consiglio di sicurezza.

      Con il rischio del veto statunitense.
      TM Siamo sul terreno delle speculazioni, ma se la Corte dovesse giungere alla conclusione che Israele è responsabile di un genocidio a Gaza, onestamente riterrei molto difficile un altro veto degli Stati Uniti. È difficile al momento prevedere gli effetti dirompenti di un’eventuale decisione positiva della Corte. Certo è che, quando si parla di Israele, la comunità internazionale, nel senso dei Paesi occidentali, ha creato uno stato di eccezione, che ha sempre posto Israele al di sopra del diritto internazionale, senza rendersi conto che le situazioni violente che viviamo in quel contesto sono il frutto di questo eccezionalismo anche a livello giuridico. Fino a quando si andrà avanti con questo contesto di impunità non finiranno le spirali di violenza.

      https://altreconomia.it/gaza-laccusa-di-genocidio-a-israele-e-la-credibilita-del-diritto-intern

    • La Cour internationale de justice ordonne à Israël d’empêcher un génocide à Gaza

      Selon la plus haute instance judiciaire internationale, « il existe un #risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé » aux Palestiniens de Gaza. La Cour demande à Israël de « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission […] de tout acte » de génocide. Mais n’appelle pas au cessez-le-feu.

      Même si elle n’a aucune chance d’être appliquée sur le terrain, la #décision prise vendredi 26 janvier par la plus haute instance judiciaire des Nations unies marque incontestablement un tournant dans la guerre au Proche-Orient. Elle intervient après quatre mois de conflit déclenché par l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, qui a fait plus de 1 200 morts et des milliers de blessés, conduit à la prise en otage de 240 personnes, et entraîné l’offensive israélienne dans la bande de Gaza, dont le dernier bilan s’élève à plus de 25 000 morts.

      La Cour internationale de justice (CIJ), basée à La Haye (Pays-Bas), a expliqué, par la voix de sa présidente, la juge Joan Donoghue, « être pleinement consciente de l’ampleur de la #tragédie_humaine qui se joue dans la région et nourri[r] de fortes #inquiétudes quant aux victimes et aux #souffrances_humaines que l’on continue d’y déplorer ». Elle a ordonné à Israël de « prendre toutes les #mesures en son pouvoir pour prévenir la commission à l’encontre des Palestiniens de Gaza de tout acte » de génocide.

      « Israël doit veiller avec effet immédiat à ce que son armée ne commette aucun des actes » de génocide, affirme l’#ordonnance. Elle « considère également qu’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ».

      La cour de La Haye, saisie à la suite d’une plainte de l’Afrique du Sud, demande « en outre » à l’État hébreu de « prendre sans délai des #mesures_effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’#aide_humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».

      Enfin, l’ordonnance de la CIJ ordonne aux autorités israéliennes de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des #éléments_de_preuve relatifs aux allégations d’actes » de génocide.

      La juge #Joan_Donoghue, qui a donné lecture de la décision, a insisté sur son caractère provisoire, qui ne préjuge en rien de son futur jugement sur le fond des accusations d’actes de génocide. Celles-ci ne seront tranchées que dans plusieurs années, après instruction.

      La cour « ne peut, à ce stade, conclure de façon définitive sur les faits » et sa décision sur les #mesures_conservatoires « laisse intact le droit de chacune des parties de faire valoir à cet égard ses moyens » en vue des audiences sur le fond, a-t-elle poursuivi.

      Elle considère cependant que « les faits et circonstances » rapportés par les observateurs « suffisent pour conclure qu’au moins certains des droits » des Palestiniens sont mis en danger et qu’il existe « un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé ».

      Environ 70 % de #victimes_civiles

      La CIJ avait été saisie le 29 décembre 2023 par l’Afrique du Sud qui, dans sa requête, accuse notamment Israël d’avoir violé l’article 2 de la Convention de 1948 sur le génocide, laquelle interdit, outre le meurtre, « l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe » visé par le génocide, l’imposition de « conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle » ou encore les « mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ».

      Le recours décrit longuement une opération militaire israélienne qualifiée d’« exceptionnellement brutale », « tuant des Palestiniens à Gaza, incluant une large proportion de femmes et d’enfants – pour un décompte estimé à environ 70 % des plus de 21 110 morts [au moment de la rédaction du recours par l’Afrique du Sud – ndlr] –, certains d’entre eux apparaissant avoir été exécutés sommairement ».

      Il soulignait également les conséquences humanitaires du déplacement massif des populations et de la destruction massive de logements et d’équipements publics, dont des écoles et des hôpitaux.

      Lors des deux demi-journées d’audience, jeudi 11 et vendredi 12 janvier, le conseiller juridique du ministère des affaires étrangères israélien, Tal Becker, avait dénoncé une « instrumentalisation » de la notion de génocide et qualifié l’accusation sud-africaine de « calomnie ».

      « C’est une guerre qu’Israël n’a pas commencée », avait poursuivi le représentant israélien, affirmant que « s’il y a eu des actes que l’on pourrait qualifier de génocidaires, [ils ont été commis] contre Israël ». « Israël ne veut pas détruire un peuple mais protéger un peuple : le sien. »
      Gaza, « lieu de mort et de désespoir »

      La CIJ, de son côté, a fondé sa décision sur les différents rapports et constatations fournis par des organisations internationales. Elle cite notamment la lettre du 5 janvier 2024 du secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l’ONU, Martin Griffiths, décrivant la bande de Gaza comme un « lieu de mort et de désespoir ».

      L’ordonnance rappelle qu’un communiqué de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) du 21 décembre 2023 s’alarmait du fait que « 93 % de la population de Gaza, chiffre sans précédent, est confrontée à une situation de crise alimentaire ».

      Le 12 janvier 2024, c’est l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) qui lançait un cri d’alerte. « Cela fait maintenant 100 jours que cette guerre dévastatrice a commencé, que la population de Gaza est décimée et déplacée, suite aux horribles attaques perpétrées par le Hamas et d’autres groupes contre la population en Israël », s’alarmait-il.

      L’ordonnance souligne, en miroir, les multiples déclarations de responsables israéliens assumant une répression sans pitié dans la bande de Gaza, si nécessaire au prix de vies civiles. Elle souligne que des rapporteurs spéciaux des Nations unies ont même pu s’indigner de « la rhétorique manifestement génocidaire et déshumanisante de hauts responsables du gouvernement israélien ».

      La CIJ pointe par exemple les propos du ministre de la défense Yoav Gallant du 9 octobre 2023 annonçant « un siège complet de la ville de Gaza », avant d’affirmer : « Nous combattons des animaux humains. »

      Le 12 octobre, c’est le président israélien Isaac Herzog qui affirmait : « Tous ces beaux discours sur les civils qui ne savaient rien et qui n’étaient pas impliqués, ça n’existe pas. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu lutter contre ce régime maléfique qui a pris le contrôle de Gaza. »

      Et, à la vue des intentions affichées par les autorités israéliennes, les opérations militaires dans la bande de Gaza ne sont pas près de s’arrêter. « La Cour considère que la situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza risque fort de se détériorer encore avant qu’elle rende son arrêt définitif », affirme l’ordonnance.

      « À la lumière de ce qui précède, poursuivent les juges, la Cour considère qu’il y a urgence en ce sens qu’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits qu’elle a jugés plausibles avant qu’elle ne rende sa décision définitive. »

      Si la décision de la CIJ est juridiquement contraignante, la Cour n’a pas la capacité de la faire appliquer. Cependant, elle est incontestablement une défaite diplomatique pour Israël.

      Présente à La Haye, la ministre des relations internationales et de la coopération d’Afrique du Sud, Naledi Pandor, a pris la parole à la sortie de l’audience. Si elle a regretté que les juges n’aient pas appelé à un cessez-le-feu, elle s’est dite « satisfaite que les mesures provisoires » réclamées par son pays aient « fait l’objet d’une prise en compte » par la Cour, et qu’Israël doive fournir un rapport d’ici un mois. Pour l’Afrique du Sud, lancer cette plainte, a-t-elle expliqué, « était une façon de s’assurer que les organismes internationaux exercent leur responsabilité de nous protéger tous, en tant que citoyens du monde global ».

      Comme l’on pouvait s’y attendre, les autorités israéliennes ont vivement critiqué les ordonnances d’urgence réclamées par les juges de La Haye. Si le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’est réjoui de ce que ces derniers n’aient pas réclamé, comme le demandait l’Afrique du Sud, de cessez-le-feu – « Comme tout pays, Israël a le droit fondamental de se défendre. La CIJ de La Haye a rejeté à juste titre la demande scandaleuse visant à nous priver de ce droit », a-t-il dit –, il a eu des mots très durs envers l’instance : « La simple affirmation selon laquelle Israël commet un génocide contre les Palestiniens n’est pas seulement fausse, elle est scandaleuse, et la volonté de la Cour d’en discuter est une honte qui ne sera pas effacée pendant des générations. »

      Il a affirmé vouloir continuer « à défendre [ses] citoyens dans le respect du droit international ». « Nous poursuivrons cette guerre jusqu’à la victoire absolue, jusqu’à ce que tous les otages soient rendus et que Gaza ne soit plus une menace pour Israël », a ajouté Nétanyahou.

      Jeudi, à la veille de la décision de la CIJ, le New York Times avait révélé que les autorités israéliennes avaient fourni aux juges de La Haye une trentaine de documents déclassifiés, censés démonter l’accusation de génocide, parmi lesquels « des résumés de discussions ministérielles datant de la fin du mois d’octobre, au cours desquelles le premier ministre Benyamin Nétanyahou a ordonné l’envoi d’aide, de carburant et d’eau à Gaza ».

      Cependant, souligne le quotidien états-unien, les documents « ne comprennent pas les ordres des dix premiers jours de la guerre, lorsqu’Israël a bloqué l’aide à Gaza et coupé l’accès à l’électricité et à l’eau qu’il fournit normalement au territoire ».

      Nul doute que cette décision de la plus haute instance judiciaire des Nations unies va renforcer les appels en faveur d’un cessez-le-feu. Après plus de quatre mois de combats et un bilan lourd parmi la population civile gazaouie, Nétanyahou n’a pas atteint son objectif d’éradiquer le mouvement islamiste. Selon les Israéliens eux-mêmes, près de 70 % des forces militaires du Hamas sont intactes. De plus, les familles d’otages toujours aux mains du Hamas ou d’autres groupes islamistes de l’enclave maintiennent leurs pressions.

      Le ministre palestinien des affaires étrangères Riyad al-Maliki s’est réjoui d’une décision de la CIJ « en faveur de l’humanité et du droit international », ajoutant que la communauté international avait désormais « l’obligation juridique claire de mettre fin à la guerre génocidaire d’Israël contre le peuple palestinien de Gaza et de s’assurer qu’elle n’en est pas complice ». Le ministre de la justice sud-africain Ronald Lamola, cité par l’agence Reuters, a salué, lui, « une victoire pour le droit international ». « Israël ne peut être exempté du respect de ses obligations internationales », a-t-il ajouté.

      De son côté, la Commission européenne a appelé Israël et le Hamas à se conformer à la décision de la CIJ. L’Union européenne « attend leur mise en œuvre intégrale, immédiate et effective », a-t-elle souligné dans un communiqué.

      La France avait fait entendre pourtant il y a quelques jours une voix discordante. Le ministre des affaires étrangères Stéphane Séjourné avait déclaré, à l’Assemblée nationale, qu’« accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral ». Dans un communiqué publié après la décision de la CIJ, le ministère a annoncé son intention de déposer des observations sur l’interprétation de la Convention de 1948, comme le lui permet la procédure. « [La France] indiquera notamment l’importance qu’elle attache à ce que la Cour tienne compte de la gravité exceptionnelle du crime de génocide, qui nécessite l’établissement d’une intention. Comme le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a eu l’occasion de le noter, les mots doivent conserver leur sens », indique le texte.

      Les États-Unis ont estimé que la décision était conforme à la position états-unienne, exprimée à plusieurs reprises par Joe Biden à son allié israélien, de réduire les souffrances des civils de Gaza et d’accroître l’aide humanitaire. Cependant, a expliqué un porte-parole du département d’État, les États-Unis continuent « de penser que les allégations de génocide sont infondées » et notent « que la Cour n’a pas fait de constat de génocide, ni appelé à un cessez-le-feu dans sa décision, et qu’elle a appelé à la libération inconditionnelle et immédiate de tous les otages détenus par le Hamas ».

      C’est dans ce contexte que se déroulent des discussions pour obtenir une trêve prolongée, la deuxième après celle de novembre, qui avait duré une semaine et permis la libération de plusieurs dizaines d’otages.

      Selon les médias états-uniens, Israël a proposé une trêve de 60 jours et la libération progressive des otages encore retenu·es. Selon ce projet, a affirmé CNN, les dirigeants du Hamas pourraient quitter l’enclave. Selon la chaîne d’informations américaine, « des responsables américains et internationaux au fait des négociations ont déclaré que l’engagement récent d’Israël et du Hamas dans des pourparlers était encourageant, mais qu’un accord n’était pas imminent ».

      Le Washington Post a révélé jeudi que le président américain Joe Biden allait envoyer dans les prochains jours en Europe le directeur de la CIA, William Burns, pour tenter d’obtenir un accord. Il devrait rencontrer les chefs des services de renseignement israélien et égyptien, David Barnea et Abbas Kamel, et le premier ministre qatari Mohammed ben Abdulrahman al-Thani. Vendredi soir, l’Agence France-Presse (AFP) a affirmé qu’ils se retrouveraient « dans les tout prochains jours à Paris », citant « une source sécuritaire d’un État impliqué dans les négociations ».

      https://www.mediapart.fr/journal/international/260124/la-cour-internationale-de-justice-ordonne-israel-d-empecher-un-genocide-ga

  • US pressuring Switzerland to ignore Israeli war crimes | Al Mayadeen English
    https://english.almayadeen.net/news/politics/us-pressuring-switzerland-to-ignore-israeli-war-crimes
    https://alpha-en-media.almayadeen.net/archive/image/2023/12/21/30586f44-46e5-4735-a60c-f38154dedd73.jpg?width=1000

    #Israël et #conventions_de_Genève

    While “Israel” continues to massacre civilians unpunished, US State Department officials are discreetly attempting to impede efforts to increase global pressure on the occupation.

    State Department documents obtained by HuffPost indicate how US diplomats are finalizing a démarche to Switzerland that Washington hopes will cancel the preparations for an event to discuss Israeli violations of the Geneva Conventions in Palestine.

    Formal rulings that “Israel” breached the treaties in its US-backed war in Gaza would be a severe worldwide condemnation of both parties and would support the accusations of human rights groups that have amassed evidence that stands as proof of such violations.

    Switzerland, which has always been neutral, decides when meetings of the parties concerned to discuss compliance take place.

  • Crise diplomatique entre Israël et l’Espagne | Le Grand Continent
    https://legrandcontinent.eu/fr/2023/11/24/crise-diplomatique-entre-israel-et-lespagne

    Le déplacement de Sánchez s’est terminé ce vendredi 24 novembre en Egypte. C’est depuis Rafah qu’il s’est exprimé et que ses propos ont entraîné une réaction israélienne immédiate.

    En prenant la parole pour faire un bilan de sa tournée diplomatique dans la région, le Premier ministre espagnol a notamment déclaré : « Je réaffirme le droit d’Israël à se défendre, mais dans le cadre des paramètres et des limites imposés par le droit humanitaire international. Ce n’est pas le cas. La tuerie sans distinction de civils innocents, dont des milliers d’enfants, est tout à fait inacceptable . La violence ne fera qu’engendrer plus de violence. Nous devons remplacer la violence par l’espoir et la paix ».
    Ces propos — finalement assez semblables à ceux tenus durant la réunion de la veille entre Sánchez et Netanyahou — ont entraîné une réaction des autorités israéliennes qui considèrent que l’Espagne « soutient le terrorisme ».

    Le ministère des Affaires étrangères israélien a par la suite publié un communiqué annonçant la convocation de l’ambassadrice espagnole en Israël pour consultations afin de tenir une « ferme #conversation de réprimande ».

    Le ministre des Affaires étrangères espagnol, José Manuel Albares, a rétorqué en fin de journée que les accusations faites par Israël étaient « fausses et inacceptables ».

    Pedro Sánchez avait annoncé dans son discours d’investiture que la reconnaissance de l’État palestinien faisait partie de son programme.

    C’était en réalité l’un des points de négociations que défendait — et qu’a donc obtenu — #Sumar pour accepter de former un gouvernement de coalition avec le PSOE.

    La deuxième vice-présidente du gouvernement espagnol et cheffe de Sumar, Yolanda Díaz, a salué la prise de position et les propos de Sánchez.

    Dans le même temps, la maire de Barcelone a annoncé aujourd’hui une « interruption » des relations institutionnelles de la ville avec le gouvernement d’Israël jusqu’à ce qu’un « cessez-le-feu définitif » soit décrété.

    #respect

  • Henry Laurens : « On est sur la voie d’un processus de destruction de masse » à Gaza, entretien avec Rachida El Azzouzi (19 novembre 2023).

    Pour l’historien, spécialiste de la Palestine, professeur au collège de France, « l’effondrement des conditions sanitaires et l’absence de ravitaillement à destination des populations concernées peuvent indiquer que l’on est sur la voie d’un processus de destruction de masse » dans la bande de Gaza.

    L’historien et universitaire Henry Laurens est l’un des plus grands spécialistes du #Moyen-Orient. Professeur au Collège de France où il est titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du #monde_arabe, il a mis la question palestinienne au cœur de son travail. Il est l’auteur de très nombreux livres dont cinq tomes sans équivalent publiés entre 1999 et 2015, consacrés à La question de Palestine (Fayard).
    Dans un entretien à Mediapart, il éclaire de sa connaissance l’exceptionnalité du conflit israélo-palestinien et le « corps à corps que même l’émotion n’arrive pas à séparer » dans lesquels les deux peuples sont pris depuis des décennies. Il dit son pessimisme quant à la résolution du conflit qui peut durer « des siècles » : « Vous ne pouvez espérer de sortie possible que par une décolonisation, mais à horizon immédiat, cette décolonisation n’est pas faisable. Dans les années 1990, elle l’était. Il y avait 30 000 colons. Aujourd’hui, ils sont 500 000 dont quelques dizaines de milliers qui sont des colons ultrareligieux et armés. »

    Plus d’une vingtaine de rapporteurs de l’organisation des Nations unies (ONU) s’inquiètent d’« un génocide en cours » à Gaza. Est-ce que vous employez ce terme ?

    Il y a deux sens au terme de « génocide ». Il y a le #génocide tel que défini par l’avocat polonais Raphael Lemkin en 1948, la seule définition juridique existante, aujourd’hui intégrée au protocole de Rome créant la #CPI [Cour pénale internationale – ndlr]. Lemkin a été obligé, pour que ce soit voté par les Soviétiques et par le bloc de l’Est, d’éliminer les causes politiques du génocide – massacrer des gens dans le but de détruire une classe sociale –, parce qu’il aurait fallu reconnaître le massacre des koulaks par les Soviétiques.

    La définition de Lemkin implique que ceux qui commettent un génocide appartiennent à un autre peuple que celui des victimes. D’où le problème aussi qu’on a eu avec le #Cambodge, qu’on ne pouvait pas appeler un génocide parce que c’étaient des Cambodgiens qui avaient tué des Cambodgiens. Là, on est dans une définition étroite. C’était le prix à payer pour obtenir un accord entre les deux Blocs dans le contexte du début de la #guerre_froide.

    Vous avez ensuite une définition plus large du terme, celui d’une destruction massive et intentionnelle de populations quelles qu’en soient les motivations.

    Il existe donc deux choses distinctes : la première, ce sont les actes, et la seconde, c’est l’intention qui est derrière ces actes. Ainsi le tribunal international pour l’ex-Yougoslavie a posé la différence entre les nettoyages ethniques dont la motivation n’est pas génocidaire parce que l’#extermination n’était pas recherchée, même si le nombre de victimes était important, et les actes de génocide comme celui de Srebrenica, où l’intention était claire.

    On voit ainsi que le nombre de victimes est secondaire. Pour Srebrenica, il est de l’ordre de 8 000 personnes.

    L’inconvénient de cette #logique_judiciaire est de conduire à une casuistique de l’intentionnalité, ce qui ne change rien pour les victimes. 

    Au moment où nous parlons, le nombre de victimes dans la bande de #Gaza est supérieur à celui de Srebrenica. On a, semble-t-il, dépassé la proportion de 0,5 % de la population totale. Si on compare avec la France, cela donnerait 350 000 morts.

    Le discours israélien évoque des victimes collatérales et des boucliers humains. Mais de nombreux responsables israéliens tiennent des discours qui peuvent être qualifiés de génocidaires. L’effondrement des conditions sanitaires et l’absence même de ravitaillement à destination des populations concernées peuvent indiquer que l’on est sur la voie d’un processus de destruction de masse avec des controverses à n’en plus finir sur les intentionnalités. 

    La solution à deux États n’est plus possible.

    La crainte d’une seconde « #Nakba » (catastrophe), en référence à l’exil massif et forcé à l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948, hante les #Palestiniens. Peut-on faire le parallèle avec cette période ?

    La Nakba peut être considérée comme un #nettoyage_ethnique, en particulier dans les régions autour de l’actuelle bande de Gaza où l’#intentionnalité d’expulsion est certaine. Des responsables israéliens appellent aujourd’hui à une #expulsion de masse. C’est d’ailleurs pour cela que l’Égypte et la Jordanie ont fermé leurs frontières.

    Dans l’affaire actuelle, les démons du passé hantent les acteurs. Les juifs voient dans le 7 octobre une réitération de la Shoah et les Palestiniens dans les événements suivants celle de la Nakba.

    Faut-il craindre une annexion de la bande de Gaza par Israël avec des militaires mais aussi des colons ?

    En fait, personne ne connaît la suite des événements. On ne voit personne de volontaire pour prendre la gestion de la bande de Gaza. Certains responsables israéliens parlent de « dénazification » et il y a une dimension de vengeance dans les actes israéliens actuels. Mais les vengeances n’engendrent que des cycles permanents de violence.

    Quelle est votre analyse des atrocités commises le 7 octobre 2023 par le Hamas ?

    Elles constituent un changement considérable, parce que la position de l’État d’Israël est profondément modifiée au moins sur deux plans : premièrement, le pays a subi une invasion pour quelques heures de son territoire, ce qui n’est pas arrivé depuis sa création ; deuxièmement, le 7 octobre marque l’échec du projet sioniste tel qu’il a été institué après la Seconde Guerre mondiale, un endroit dans le monde où les juifs seraient en position de sécurité. Aujourd’hui, non seulement l’État d’Israël est en danger, mais il met en danger les diasporas qui, dans le monde occidental, se trouvent menacées ou, en tout cas, éprouvent un sentiment de peur.

    Le dernier tome de votre série consacrée à « La question de Palestine » (Fayard) était intitulé « La paix impossible » et courait sur la période 1982-2001. Vous étiez déjà très pessimiste quant à la résolution de ce conflit, mais aussi concernant l’avenir de la région, comme si elle était condamnée à demeurer cette poudrière. Est-ce que vous êtes encore plus pessimiste aujourd’hui ? Ou est-ce que le #conflit_israélo-palestinien vous apparaît soluble, et si oui, quelle issue apercevez-vous ?

    La réelle solution théorique serait d’arriver à un système de gestion commune et équitable de l’ensemble du territoire. Mais un État unitaire est difficile à concevoir puisque les deux peuples ont maintenant plus d’un siècle d’affrontements.

    Qu’en est-il de la solution à deux États, dont le principe a été adopté en 1947 par l’ONU, après la fin du mandat britannique ? Est-elle possible ?

    La solution à deux États n’est plus possible dès lors que vous avez 500 000 colons, dont quelques dizaines de milliers qui sont des #colons ultrareligieux et armés. Vous avez une violence quotidienne en #Cisjordanie. La sécurité des colons ne peut se fonder que sur l’insécurité des Palestiniens. Et l’insécurité des Palestiniens provoque la violence qui engendre l’insécurité des colons.

    C’est un cercle vicieux et vous ne pouvez espérer de sortie possible que par une décolonisation, mais à horizon immédiat, cette #décolonisation n’est pas faisable. Dans les années 1990, elle l’était. Il y avait 30 000 colons. On pouvait, sans trop de dégâts, faire une décolonisation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. 

    Aujourd’hui, nous sommes dans une position de domination, et cette solution peut prendre des siècles parce qu’il y a l’exceptionnalité juive qui crée une exceptionnalité israélienne qui elle-même crée une exceptionnalité palestinienne. C’est-à-dire que sans être péjoratif, les Palestiniens deviennent des juifs bis.

    Qu’entendez-vous par là ?

    Nous sommes depuis le 7 octobre devant un grand nombre de victimes. Mais ces dernières années, nous en avons eu bien plus en Irak, en Syrie, au Soudan et en Éthiopie. Cela n’a pas provoqué l’émoi mondial que nous connaissons aujourd’hui. L’émotion a été suscitée parce que les victimes étaient juives, puis elle s’est déplacée sur les victimes palestiniennes. Les deux peuples sont dans un corps à corps que même l’émotion n’arrive pas à séparer.

    Les années 1990 ont été marquées par les accords d’Oslo en 1993. Relèvent-ils du mirage aujourd’hui ?
     
    Non, on pouvait gérer une décolonisation. Mais déjà à la fin des accords d’Oslo, il n’y a pas eu décolonisation mais doublement de la #colonisation sous le gouvernement socialiste et ensuite sous le premier gouvernement Nétanyahou. Ce sont l’occupation, la colonisation, qui ont amené l’échec des processus. Il n’existe pas d’occupation, de colonisation pacifique et démocratique.

    Aujourd’hui, c’est infiniment plus difficile à l’aune de la violence, des passions, des derniers événements, des chocs identitaires, de la #haine tout simplement. Qui plus est, depuis une trentaine d’années, vous avez une évolution commune vers une vision religieuse et extrémiste, aussi bien chez les juifs que chez les Palestiniens.

    La Palestine fonctionne en jeu à somme nulle, le progrès de l’un se fait au détriment de l’autre.

    Vous voulez dire que le conflit territorial est devenu un conflit religieux ?

    Il a toujours été religieux. Dès l’origine, le mouvement sioniste ne pouvait fonctionner qu’en utilisant des références religieuses, même si ses patrons étaient laïcs. La blague de l’époque disait que les sionistes ne croyaient pas en Dieu mais croyaient que Dieu leur avait promis la Terre promise.

    Le projet sioniste, même s’il se présentait comme un mouvement de sauvetage du peuple juif, ne pouvait fonctionner qu’en manipulant les affects. Il était de nature religieuse puisqu’il renvoyait à la Terre sainte. Vous avez une myriade d’endroits qui sont des #symboles_religieux, mais qui sont aussi des #symboles_nationaux, aussi bien pour les #juifs que pour les #musulmans : l’esplanade des Mosquées, le tombeau des Patriarches, le mur des Lamentations. Et puis il y a les gens qui se sentent mandatés par Dieu.

    De même, les musulmans ont cherché des alliés en jouant sur la solidarité islamique. Dès les années 1930, la défense de la mosquée Al-Aqsa est devenue un thème fédérateur.

    Pourquoi est-il devenu difficile d’invoquer une lecture coloniale du conflit depuis les massacres du Hamas du 7 octobre ?

    Le sionisme est à l’origine un corps étranger dans la région. Pour arriver à ses fins, il a eu besoin d’un soutien européen avant 1914, puis britannique et finalement américain. Israël s’est posé comme citadelle de l’#Occident dans la région et conserve le #discours_colonial de la supériorité civilisatrice et démocratique. Cet anachronisme est douloureusement ressenti par les autres parties prenantes.

    Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les responsables sionistes n’hésitaient pas à se comparer à la colonisation britannique en Afrique noire avec la nécessité de mater les protestations indigènes. 

    La Palestine fonctionne en jeu à somme nulle, le progrès de l’un se fait au détriment de l’autre. La constitution de l’État juif impliquait un « transfert » de la population arabe à l’extérieur, terme poli pour « expulsion ». La #confiscation des #terres détenues par les Arabes en est le corollaire. Les régions où ont eu lieu les atrocités du 7 octobre étaient peuplées d’Arabes qui ont été expulsés en 1948-1950.

    Dire cela, c’est se faire accuser de trouver des excuses au terrorisme. Dès que vous essayez de donner des éléments de compréhension, vous vous confrontez à l’accusation : « Comprendre, c’est excuser. » Il faut bien admettre que le #Hamas dans la bande de Gaza recrute majoritairement chez les descendants des expulsés. Cela ne veut pas dire approuver ce qui s’est passé.

    Le slogan « From the river to the sea, Palestine will be free » (« De la rivière à la mer, la Palestine sera libre ») utilisé par les soutiens de la Palestine fait polémique. Est-ce vouloir rayer de la carte Israël ou une revendication légitime d’un État palestinien ?

    Il a été utilisé par les deux parties et dans le même sens. Les mouvements sionistes, en particulier la droite sioniste, ont toujours dit que cette terre devait être juive et israélienne au moins jusqu’au fleuve. Le parti de l’ancêtre du Likoud voulait même annexer l’ensemble de la Jordanie.

    Chez certains Palestiniens, on a une vision soft qui consiste à dire que « si nous réclamons un État palestinien réunissant la bande de Gaza et la Cisjordanie, nous considérons l’ensemble de la terre comme la Palestine historique, comme partie de notre histoire, mais nous ne la revendiquons pas dans sa totalité ».

    Israël depuis sa fondation n’a pas de #frontières définies internationalement. Il a toujours revendiqué la totalité de la Palestine mandataire, voire plus. Il a ainsi rejeté l’avis de la Cour internationale de justice qui faisait des lignes d’armistice de 1949 ses frontières permanentes.

    Cette indétermination se retrouve de l’autre côté. La libération de la Palestine renvoie à la totalité du territoire. D’autres exigeaient la carte du plan de partage de 1947. Pour l’Organisation de libération de la Palestine (#OLP), faire l’#État_palestinien sur les territoires occupés en 1968 était la concession ultime.

    Les Arabes en général ont reçu sans grand problème les réfugiés arméniens durant la Grande Guerre et les années suivantes. Ces Arméniens ont pu conserver l’essentiel de leur culture. Mais il n’y avait pas de question politique. Il n’était pas question de créer un État arménien au Levant.

    Dès le départ, les Arabes de Palestine ont vu dans le projet sioniste une menace de dépossession et d’expulsion. On ne peut pas dire qu’ils ont eu tort…

    Le mouvement islamiste palestinien, le Hamas, classé #terroriste par l’Union européenne et les États-Unis, est aujourd’hui le principal acteur de la guerre avec Israël…

    Définir l’ennemi comme terroriste, c’est le placer hors la loi. Bien des épisodes de décolonisation ont vu des « terroristes » devenir du jour au lendemain des interlocuteurs valables. 

    Bien sûr, il existe des actes terroristes et les atrocités du 7 octobre le sont. Mais c’est plus une méthodologie qu’une idéologie. C’est une forme de guerre qui s’en prend aux civils selon les définitions les plus courantes. Jamais un terroriste ne s’est défini comme tel. Il se voit comme un combattant légitime et généralement son but est d’être considéré comme tel. Avec l’État islamique et le 7 octobre, on se trouve clairement devant un usage volontaire de la cruauté.

    La rhétorique habituelle est de dire que l’on fait la guerre à un régime politique et non à un peuple. Mais si on n’offre pas une perspective politique à ce peuple, il a le sentiment que c’est lui que l’on a mis hors la loi. Il le voit bien quand on dit « les Israéliens ont le droit de se défendre », mais apparemment pas quand il s’agit de Palestiniens.

    D’aucuns expliquent qu’Israël a favorisé l’ascension du Hamas pour qu’un vrai État palestinien indépendant ne voie jamais le jour au détriment de l’#autorité_palestinienne qui n’administre aujourd’hui plus que la Cisjordanie. Est-ce que le Hamas est le meilleur ennemi des Palestiniens ? 

    Incontestablement, les Israéliens ont favorisé les #Frères_musulmans de la bande de Gaza dans les années 1970 et 1980 pour contrer les activités du #Fatah. De même, après 2007, ils voulaient faire du Hamas un #sous-traitant chargé de la bande de Gaza, comme l’Autorité palestinienne l’est pour la Cisjordanie. 

    Le meilleur moyen de contrer le Hamas est d’offrir aux Palestiniens une vraie perspective politique et non de bonnes paroles et quelques aides économiques qui sont des emplâtres sur des jambes de bois. 

    Quel peut être l’avenir de l’Autorité palestinienne, aujourd’hui déconsidérée ? Et du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas, pressé par la base de renouer avec la lutte armée et le Hamas ?

    Le seul acquis de l’Autorité palestinienne, ou plus précisément de l’OLP, c’est sa légitimité diplomatique. Sur le terrain, elle est perçue comme un sous-traitant de l’occupation israélienne incapable de contrer un régime d’occupation de plus en plus dur. Elle est dans l’incapacité de protéger ses administrés. Le risque majeur pour elle est tout simplement de s’effondrer.

    Le Hamas appelle les Palestiniens de Cisjordanie à se soulever. Un soulèvement généralisé des Palestiniens peut-il advenir ?

    En Cisjordanie, on a surtout de petits groupes de jeunes armés totalement désorganisés. Mais la violence et la répression sont devenues quotidiennes et les violences permanentes. À l’extérieur, l’Occident apparaît complice de l’occupation et de la répression israéliennes. L’Iran, la Chine et la Russie en profitent.

    Le premier tome de votre monumentale « Question de Palestine » s’ouvre sur 1799, lorsque l’armée de Napoléon Bonaparte entre en Palestine, il court jusqu’en 1922. Avec cette accroche : l’invention de la Terre sainte. En quoi cette année est-elle fondatrice ?

    En 1799, l’armée de Bonaparte parcourt le littoral palestinien jusqu’à Tyr. En Europe, certains y voient la possibilité de créer un État juif en Palestine. Mais l’ouverture de la Terre sainte aux Occidentaux est aussi l’occasion d’une lutte d’influences entre puissances chrétiennes. 

    Dans le tome 4, « Le rameau d’olivier et le fusil du combattant » (1967-1982), vous revenez sur ce qui a été un conflit israélo-arabe, puis un conflit israélo-palestinien. Est-ce que cela peut le redevenir ?

    Jusqu’en 1948, c’est un conflit israélo-palestinien avant tout. En 1948, cela devient un #conflit_israélo-arabe avec une dimension palestinienne. À partir de la fin des années 1970, la dimension palestinienne redevient essentielle.

    Ben Gourion disait que la victoire du sionisme était d’avoir transformé la question juive en problème arabe. Les derniers événements semblent montrer que le #problème_arabe est en train de redevenir une #question_juive.

    Le rôle des États-Unis a toujours été déterminant dans ce conflit. Que nous dit leur position aujourd’hui ? 

    La question de Palestine est en même temps une question intérieure pour les pays occidentaux du fait de l’histoire de la Shoah et de la colonisation. Il s’y ajoute aux États-Unis une dimension religieuse du fait du biblisme protestant et du « pionniérisme ». Les Palestiniens leur semblent être quelque part entre les Indiens et les Mexicains…

    La « République impériale » vient encore de montrer son impressionnante capacité de projection militaire dans la région, mais aussi son incapacité à obtenir un règlement politique satisfaisant.

    Pourquoi ce conflit déclenche-t-il autant de passions et clive-t-il autant dans le monde entier, où comme en France, le président appelle à « ne pas importer le conflit » ?

    C’est un conflit gorgé d’histoire. La Terre sainte est celle des trois religions monothéistes. Le conflit lui-même porte avec lui la mémoire de la Shoah et de la colonisation, d’où l’extraordinaire position d’exceptionnalité des acteurs.

    Vous avez écrit cinq tomes sur la question de Palestine. Après l’ultime « La Paix impossible », quel pourrait être le sixième ?
     
    Peut-être le retour de la question juive, mais c’est loin d’être une perspective encourageante.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/191123/henry-laurens-est-sur-la-voie-d-un-processus-de-destruction-de-masse-gaza

    #discours_génocidaire #religion (s) #sionisme

  • #Gaza, les hantises du #génocide

    S’il faut être prudent sur la #qualification définitive de génocide, et qu’il faut être conscients que ce terme, malgré les détournements, est avant tout juridique et non pas politique, une question doit se poser aujourd’hui : « assistons-nous à un nouveau génocide ? »

    Le 16 novembre 2023, 33 experts onusiens ont signé une déclaration appelant à une réaction internationale urgente et évoquant que « les graves violations commises par Israël contre les Palestiniens au lendemain du 7 octobre, notamment à Gaza, laissent présager un génocide en devenir ». Cette position de l’#ONU sur la question d’un génocide n’est pas inédite.

    Le 2 novembre, le rapporteur spécial sur les territoires palestiniens occupés alertait déjà sur le risque de génocide. Si le mot n’est plus tabou pour qualifier ce que subit la population de Gaza, sa #définition_juridique internationale (fixée par la #Convention_sur_le_génocide et par le #Statut_de_Rome sur la CPI) commande une certaine prudence. Malgré cela, la question d’un génocide à Gaza se pose avec gravité et acuité eu égard aux circonstances de l’offensive militaire israélienne à Gaza.

    La notion de génocide est une #catégorie_juridique complexe qui a évolué au fil du temps pour devenir l’un des #crimes les plus graves de nos ordres juridiques. Il est imprescriptible et plusieurs États se reconnaissent une compétence universelle pour instruire et juger de tels agissements.

    Ce concept a, évidemment, des origines historiques importantes. En combinant les mots grec « genos » (peuple) et latin « cide » (tuer), le juriste polonais #Raphael_Lemkin en 1944 a voulu décrire et caractériser les atrocités commises pendant la Seconde guerre mondiale, en particulier l’Holocauste, qui a vu l’extermination systématique de millions de Juifs par le régime nazi. #Lemkin a plaidé pour la reconnaissance légale de ces crimes et a joué un rôle clé dans l’élaboration de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par les Nations Unies en 1948.

    Cette Convention, communément appelée la « Convention sur le génocide », est l’instrument juridique principal qui définit le génocide dans le #droit ^_international en définissant en son article 2 le génocide comme : « Tout acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel. ».

    De cette définition ressortent plusieurs éléments clefs : la question des actes commis, du groupe spécifiquement visé et celui de l’#intention_génocidaire. Au regard des destructions, des bombardements nourris et aveugles notamment sur des camps de réfugiés, sur des écoles gérées par l’ONU servant d’abris aux civils, sur les routes censées être sûres pour permettre aux populations civiles de fuir, mais aussi de ce ratio calculé par des observateurs selon lesquels pour un membre du Hamas tué il y aurait 10 civils massacrés, il apparaît que les premiers critères de la définition sont potentiellement remplis.

    Reste la question décisive de l’intention génocidaire. Celle-ci suppose l’identification de textes, d’ordres, d’actes et de pratiques… En l’état, une série de déclarations d’officiels israéliens interpellent tant elles traduisent une déshumanisation des Palestiniens. Le 19 novembre, point d’orgue d’une fuite en avant en termes de déclarations, l’ancien général et dirigeant du Conseil de Sécurité National israélien, #Giora_Eiland, a publié une tribune dans laquelle il appelle à massacrer davantage les civils à Gaza pour faciliter la victoire d’Israël.

    Avant cela et suite à l’attaque du 7 octobre, le ministre israélien de la Défense, #Yoav_Galant, avait déclaré : « Nous imposons un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas d’eau, pas de gaz, tout est fermé […] Nous combattons des #animaux_humains et nous agissons en conséquence ».

    Dans une logique similaire, le Premier ministre #Benjamin_Netanyahu a opposé « le peuple des lumières » à celui « des ténèbres », une dichotomie bien connue dans la rhétorique génocidaire. Récemment, le ministre israélien du patrimoine a déclaré : « Le nord de Gaza est plus beau que jamais. Nous bombardons et aplatissons tout (....) au lendemain de la guerre, nous devrions donner des terres de Gaza aux soldats et aux expulsés de Gush Katif ».

    Enfin, en direct à la radio, le même #Amichay_Eliyahu a déclaré qu’il n’était pas entièrement satisfait de l’ampleur des représailles israéliennes et que le largage d’une bombe nucléaire « sur toute la #bande_de_Gaza, la raser et tuer tout le monde » était « une option ». Depuis, il a été suspendu, mais sans être démis de ses fonctions …

    Au-delà de ces déclarations politiques, il faut apprécier la nature des actes commis. Si un « plan » génocidaire en tant que tel n’est pas exigé pour qualifier de génocidaire, une certaine #organisation et ‎une #préparation demeurent nécessaires. Une politique de #colonisation par exemple, le harcèlement criminel quotidien, la #détention_arbitraire de Palestiniens, y compris mineurs, peuvent laisser entendre la mise en place de ce mécanisme.

    La Cour pénale internationale a d’ailleurs déjà ouvert des enquêtes sur ces faits-là avec des investigations qui ne progressent cependant pas notamment car Israël conteste à la Cour – dont il n’est pas membre – toute compétence. Actuellement, les pénuries impactant notamment des hôpitaux, le refus ou la limitation de l’accès de l’aide humanitaire et évidemment les #bombardements_indiscriminés, sont autant d’éléments susceptibles de matérialiser une intention génocidaire.

    Un positionnement politique pour une caractérisation juridique

    Le silence de nombreux pays est assourdissant face à la situation à Gaza. Il suffit de lire le communiqué du Quai d’Orsay sur le bombardement du camp de réfugiés Jabaliya : « La France est profondément inquiète du très lourd bilan pour les populations civiles palestiniennes des frappes israéliennes contre le camp de Jabaliya et exprime sa compassion à l’égard des victimes ».

    Aucune condamnation et, évidemment, aucune mention de la notion de génocide ni même de #crimes_de_guerre ou de #crime_contre_l’Humanité. Cela s’explique en partie par le fait que la reconnaissance du génocide a d’importantes implications juridiques. Les États signataires de la Convention sur le génocide sont tenus de prévenir et de réprimer le génocide sur leur territoire, ainsi que de coopérer entre Etats ainsi qu’avec la Cour pénale internationale pour poursuivre et punir les auteurs présumés de génocide.

    Ainsi, si un État reconnaît la volonté génocidaire d’Israël, il serait de son devoir d’intervenir pour empêcher le massacre. À défaut d’appel à un #cessez-le-feu, le rappel au respect du droit international et l’exigence de « pauses humanitaires » voire un cessez-le-feu par les Etats-Unis ou la France peuvent aussi s’interpréter comme une prévention contre une éventuelle accusation de complicité…

    S’il faut être prudent sur la qualification définitive de génocide, et qu’il faut être conscients que ce terme, malgré les détournements, est avant tout juridique et non pas politique, une question doit se poser aujourd’hui, « assistons-nous à un nouveau génocide ? » et si la réponse est « peut-être », alors il est du devoir des États signataires de la Convention de prévention des génocides de tout faire pour empêcher que le pire advienne.

    https://blogs.mediapart.fr/collectif-chronik/blog/221123/gaza-les-hantises-du-genocide
    #mots #vocabulaire #terminologie #Israël #7_octobre_2023

  • Urgente reconversion
    https://www.obsarm.info/spip.php?article597

    Sommaire Édito : Urgente reconversion Le chiffre du trimestre : 76 Les #Mines_antipersonnel doivent être interdites Initiative : Conversion (École de la paix, Grenoble) À lire : Union européenne et exportations d’armes, les dossiers du Grip, sous la direction de Bernard Adam Brèves #La_Lettre_de_l'Observatoire_des_transferts_d'armements

    / Transferts / exportations, #Rwanda, #Bosnie-Herzégovine, Mines antipersonnel, Conversion / reconversion

    #Transferts_/_exportations #Conversion_/_reconversion
    https://www.obsarm.info/IMG/pdf/lettre_transferts_7_compressed.pdf

  • « Après le dieselgate, nous nous dirigeons tout droit vers un “#electric_gate” »

    Pour l’ingénieur et essayiste #Laurent_Castaignède, le développement actuel de la #voiture_électrique est un désastre annoncé. Il provoquera des #pollutions supplémentaires sans réduire la consommation d’énergies fossiles.

    Avec la fin de la vente des #voitures_thermiques neuves prévue pour #2035, l’Union européenne a fait du développement de la voiture électrique un pilier de sa stratégie de #transition vers la #neutralité_carbone. Le reste du monde suit la même voie : la flotte de #véhicules_électriques pourrait être multipliée par 8 d’ici 2030, et compter 250 millions d’unités, selon l’Agence internationale de l’énergie.

    Mais la #conversion du #parc_automobile à l’électricité pourrait nous conduire droit dans une #impasse désastreuse. Toujours plus grosse, surconsommatrice de ressources et moins décarbonée qu’il n’y parait, « la voiture électrique a manifestement mis la charrue avant les bœufs », écrit Laurent Castaignède dans son nouvel ouvrage, La ruée vers la voiture électrique. Entre miracle et désastre (éditions Écosociété, 2023).

    Nous avons échangé avec l’auteur, ingénieur de formation et fondateur du bureau d’étude BCO2 Ingénierie, spécialisé dans l’empreinte carbone de projets industriels. Démystifiant les promesses d’horizons radieux des constructeurs de #SUV et des décideurs technosolutionnistes, il pronostique un crash dans la route vers l’#électrification, un « #electrigate », bien avant 2035.

    Reporterre — Vous écrivez dans votre livre que, si l’on suit les hypothèses tendancielles émises par l’Agence internationale de l’énergie, la production de batteries devrait être multipliée par 40 entre 2020 et 2040, et que la voiture électrique accaparerait à cet horizon la moitié des métaux extraits pour le secteur « énergies propres ». Ces besoins en métaux constituent-ils la première barrière au déploiement de la voiture électrique ?

    Laurent Castaignède — La disponibilité de certains #métaux constitue une limite physique importante. Les voitures électriques ont surtout besoin de métaux dits « critiques », relativement abondants mais peu concentrés dans le sous-sol. L’excavation demandera d’ailleurs beaucoup de dépenses énergétiques.

    Pour le #lithium, le #cobalt, le #nickel, le #manganèse et le #cuivre notamment, ainsi que le #graphite, la voiture électrique deviendra d’ici une quinzaine d’années la première demandeuse de flux, avec des besoins en investissements, en capacités d’#extraction, de #raffinage, de main d’œuvre, qui devront suivre cette hausse exponentielle, ce qui n’a rien d’évident.

    L’autre problème, c’est la mauvaise répartition géographique de ces #ressources. On est en train de vouloir remplacer le pétrole par une série de ressources encore plus mal réparties… Cela crée de forts risques de constitution d’#oligopoles. Un « Opep du cuivre » ou du lithium serait catastrophique d’un point de vue géostratégique.

    Une autre limite concerne notre capacité à produire suffisamment d’électricité décarbonée. Vous soulignez que se répandent dans ce domaine un certain nombre « d’amalgames complaisants » qui tendent à embellir la réalité…

    Même lorsqu’on produit beaucoup d’électricité « bas carbone » sur un territoire, cela ne signifie pas que l’on pourra y recharger automatiquement les voitures avec. Le meilleur exemple pour comprendre cela est celui du Québec, où 100 % de l’électricité produite est renouvelable — hydroélectrique et éolienne. Mais une partie de cette électricité est exportée. Si le Québec développe des voitures électriques sans construire de nouvelles capacités d’énergies renouvelables dédiées, leur recharge entraînera une baisse de l’exportation d’électricité vers des régions qui compenseront ce déficit par une suractivation de centrales au charbon. Ces voitures électriques « vertes » entraîneraient alors indirectement une hausse d’émissions de #gaz_à_effet_de_serre

    De même, en France, on se vante souvent d’avoir une électricité décarbonée grâce au #nucléaire. Mais RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, précise que la disponibilité actuelle de l’électricité décarbonée n’est effective que 30 % du temps, et que cette proportion va diminuer. On risque donc fort de recharger nos voitures, surtout l’hiver, avec de l’électricité au gaz naturel ou au charbon allemand, à moins de déployer davantage de moyens de production d’énergies renouvelables en quantité équivalente et en parallèle du développement des voitures électriques, ce qui est rarement ce que l’on fait.

    En d’autres termes, ce n’est pas parce que le « #kWh_moyen » produit en France est relativement décarboné que le « kWh marginal », celui qui vient s’y ajouter, le sera aussi. Dans mon métier de conseil en #impact_environnemental, j’ai vu le discours glisser insidieusement ces dernières années : on parlait encore des enjeux de la décarbonation du #kWh_marginal il y a dix ans, mais les messages se veulent aujourd’hui exagérément rassurants en se cachant derrière un kWh moyen « déjà vert » qui assurerait n’importe quelle voiture électrique de rouler proprement…

    Vous alertez aussi sur un autre problème : même si ce kWh marginal produit pour alimenter les voitures électriques devient renouvelable, cela ne garantit aucunement que le bilan global des émissions de carbone des transports ne soit à la baisse.

    Il y a un problème fondamental dans l’équation. On n’arrive déjà pas à respecter nos objectifs antérieurs de développement des énergies renouvelables, il parait compliqué d’imaginer en produire suffisamment pour recharger massivement les nouveaux véhicules électriques, en plus des autres usages. Et beaucoup d’usages devront être électrifiés pour la transition énergétique. De nombreux secteurs, des bâtiments à l’industrie, augmentent déjà leurs besoins électriques pour se décarboner.

    De plus, rien ne garantit que le déploiement de voitures électriques ne réduise réellement les émissions globales de gaz à effet de serre. En ne consommant plus d’essence, les voitures électriques baissent la pression sur la quantité de pétrole disponible. La conséquence vicieuse pourrait alors être que les voitures thermiques restantes deviennent moins économes en se partageant le même flux pétrolier.

    Imaginons par exemple que l’on ait 2 milliards de voitures dans le monde en 2040 ou 2050 comme l’indiquent les projections courantes. Soyons optimistes en imaginant qu’un milliard de voitures seront électriques et que l’on consommera à cet horizon 50 millions de barils de pétrole par jour. Le milliard de voitures thermiques restant pourrait très bien se partager ces mêmes 50 millions de barils de pétrole, en étant juste deux fois moins économe par véhicule. Résultat, ce milliard de voitures électriques ne permettrait d’éviter aucune émission de CO₂ : rouler en électrique de manière favorable nécessite de laisser volontairement encore plus de pétrole sous terre…

    L’électrification, seule, n’est donc pas une réponse suffisante. Cela signifie qu’une planification contraignant à la sobriété est nécessaire ?

    La #sobriété est indispensable mais il faut être vigilant sur la manière de la mettre en place. Il serait inaudible, et immoral, de demander à des gens de faire des efforts de sobriété si c’est pour permettre à leur voisin de rouler à foison en gros SUV électrique.

    La sobriété, ce serait d’abord mettre un terme à « l’#autobésité ». L’électrification accentue la prise de #poids des véhicules, ce qui constitue un #gaspillage de ressources. Au lieu de faire des voitures plus sobres et légères, les progrès techniques et les gains de #productivité n’ont servi qu’à proposer aux consommateurs des véhicules toujours plus gros pour le même prix. On n’en sortira pas en appelant les constructeurs à changer de direction par eux-mêmes, ce qu’on fait dans le vide depuis 30 ans. Il faut réguler les caractéristiques clivantes des véhicules, en bridant les voitures de plus d’1,5 tonne à vide à 90 km/h par exemple, comme on le fait pour les poids lourds, et à 130 km/h toutes les autres.

    Un autre effet pervers pour la gestion des ressources est l’#obsolescence des véhicules. Pourquoi écrivez-vous que l’électrification risque de l’accélérer ?

    La voiture électrique porte dans ses gènes une #obsolescence_technique liée à la jeunesse des dernières générations de #batteries. Les caractéristiques évoluent très vite, notamment l’#autonomie des véhicules, ce qui rend leur renouvellement plus attractif et le marché de l’occasion moins intéressant.

    Paradoxalement, alors que les moteurs électriques sont beaucoup plus simples que les moteurs thermiques, l’électronification des voitures les rend plus difficiles à réparer. Cela demande plus d’appareillage et coûte plus cher. Il devient souvent plus intéressant de racheter une voiture électrique neuve que de réparer une batterie endommagée.

    Les constructeurs poussent en outre les gouvernements à favoriser les #primes_à_la casse plutôt que le #rétrofit [transformer une voiture thermique usagée en électrique]. Ce dernier reste artisanal et donc trop cher pour se développer significativement.

    Vous écrivez qu’une véritable transition écologique passera par des voitures certes électriques mais surtout plus légères, moins nombreuses, par une #démobilité, une réduction organisée des distances du quotidien… Nous n’en prenons pas vraiment le chemin, non ?

    Il faudra peut-être attendre de se prendre un mur pour changer de trajectoire. Après le dieselgate, nous nous dirigeons tout droit vers un « electric gate ». Je pronostique qu’avant 2035 nous nous rendrons compte de l’#échec désastreux de l’électrification en réalisant que l’empreinte carbone des transports ne baisse pas, que leur pollution baisse peu, et que le gaspillage des ressources métalliques est intenable.

    La première pollution de la voiture électrique, c’est de créer un écran de fumée qui occulte une inévitable démobilité motorisée. Le #technosolutionnisme joue à plein, via des batteries révolutionnaires qui entretiennent le #messianisme_technologique, comme pour esquiver la question politique du changement nécessaire des modes de vie.

    On continue avec le même logiciel à artificialiser les terres pour construire des routes, à l’instar de l’A69, sous prétexte que les voitures seront bientôt « propres ». Il faut sortir du monopole radical, tel que décrit par Ivan Illich, constitué par la #voiture_individuelle multi-usages. La première liberté automobile retrouvée sera celle de pouvoir s’en passer avant de devoir monter dedans.

    https://reporterre.net/Apres-le-dieselgate-nous-nous-dirigeons-tout-droit-vers-un-electric-gate
    #réparation #terres_rares #réparabilité #extractivisme

    • La ruée vers la voiture électrique. Entre miracle et désastre

      Et si les promesses du miracle électrique n’étaient en fait que le prélude à un désastre annoncé ?

      La voiture électrique a le vent en poupe. Dans un contexte d’urgence écologique, elle semble être la solution pour résoudre les principaux problèmes sanitaires et climatiques causés par la voiture à essence. Pour l’expert en transports #Laurent_Castaignède, il est urgent de prendre la mesure de la révolution en cours. En Occident comme en Chine, un remplacement aussi rapide et massif du parc automobile est-il possible ? Les promesses écologiques de la voiture électrique seront-elles au rendez-vous ou risquent-elles de s’évanouir dans un nouveau scandale environnemental ?

      Pour Laurent Castaignède, nous sommes sur le point d’accepter une nouvelle dépendance énergétique, verdie, sur fond de croissance économique jusqu’au-boutiste. Remontant aux origines de la mobilité routière électrique, l’ancien ingénieur automobile fait le point sur la situation actuelle, dont le dynamisme de déploiement est inédit. Si la voiture électrique n’émet pas de gaz polluants à l’utilisation, elle pose de nombreux problèmes. Elle mobilise des ressources critiques pour sa fabrication et ses recharges, pour des gabarits de véhicules toujours plus démesurés. Elle maintient aussi le modèle de l’auto-solo, sans rien changer aux problèmes d’embouteillage et au poids financier des infrastructures routières sur les collectivités.

      La ruée vers la voiture électrique propose une autre électrification de la mobilité automobile, crédible et véritablement respectueuse de notre santé et de celle de la planète. Tâchons d’éviter que les promesses technologiques du virage électrique ne débouchent sur un désastre annoncé.

      https://ecosociete.org/livres/la-ruee-vers-la-voiture-electrique
      #livre

  • #Start-up_nation : quand l’État programme son #obsolescence
    (publié en 2021)

    Depuis de nombreuses années, les start-ups françaises peuvent se targuer d’avoir à leur disposition de nombreuses subventions publiques et un environnement médiatique favorable. Partant du postulat que la puissance privée est seule capable d’imagination et d’innovation, l’État français finance à tour de bras ces « jeunes pousses » dans l’espoir schumpéterien de révolutionner son #économie. Cette #stratégie_économique condamne pourtant la puissance publique à l’#impuissance et à l’#attentisme.

    En 2017, #Emmanuel_Macron avait largement axé sa campagne présidentielle sur un discours général favorable à l’entreprenariat. La stratégie économique française valorise ainsi la création de nouvelles entreprises, dites jeunes pousses ou start-ups. En avril 2017, le futur président français assène qu’une « start-up nation est une Nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une start-up. Je veux que la France en soit une ». Ces entités ont pour vocation de proposer des technologies de ruptures disruptives, selon l’expression de l’économiste américain Clayton Christensen, c’est-à-dire une redéfinition des règles du jeu économique venant remplacer les anciens schémas de pensée.

    Cette configuration institutionnelle favorable aux start-ups n’est cependant pas apparue subitement lors de la dernière présidentielle. Le label #French_Tech est en effet lancé dès 2013 par #Fleur_Pellerin, alors Ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, de l’Innovation et de l’Économie numérique. Ce programme a pour ambition de développer les jeunes pousses hexagonales. Les successeurs de Fleur Pellerin vous tous accompagner et poursuivre ce mouvement d’effervescence : en 2015 sont lancés le French Tech Ticket ainsi que le French Tech Visa en 2017.

    Ce discours s’accompagne d’un appel à créer le plus de licornes possibles : des start-ups valorisées sur les marchés à plus d’un milliard d’euros. Alors que la France compte 3 licornes en 2017, ce chiffre est passé à 15 en 2020. Le gouvernement espère qu’il en sera crée 10 de plus d’ici 2025. Ce constant appel à l’#innovation s’inspire de l’exemple israélien, parangon de la start-up nation, qui compte une jeune pousse pour 1400 habitants. Poussé par l’afflux de liquidités fourni par son ministère de la défense, l’État hébreux s’est lancé très tôt dans cette stratégie économique. Les nombreuses start-ups qui y sont créées permettent à #Israël de mieux peser sur la scène internationale : son secteur de l’innovation représente 10% de son PIB et près de la moitié de ses exportations.

    De l’État providence à l’État subventionneur

    Toutes ces entreprises ne se sont pas créées d’elles-mêmes. Pour leur écrasante majorité, elles ont largement été financées par la puissance publique. Dès 2012, tout un écosystème institutionnel favorable à l’entreprenariat individuel est mis en place. En pleine campagne présidentielle, #François_Hollande promet une réindustrialisation rapide et efficace de la France. Afin d’atteindre cet objectif ambitieux, ce dernier entend créer « une banque publique d’investissement qui […] accompagnera le développement des entreprises stratégiques ». Quatre mois plus tard naît la #Banque_Publique_d’Investissement (#BPI), détenue par la #Caisse_des_Dépôts_et_des_Consignations (#CDC) ainsi que par l’État. La BPI a pour mission de « financer des projets de long terme » et d’œuvrer à la « #conversion_numérique » de l’Hexagone. Très vite, l’institution devient un outil permettant à l’État de financer massivement les start-ups. La BPI subventionne ainsi le label French Tech à hauteur de 200 millions d’euros et est actionnaire de nombreuses start-ups françaises.

    Comme le pointe un rapport publié par Rolland Berger, une grande majorité des entreprises du #French_Tech_Next 40/120 — un programme regroupant les start-ups françaises les plus prometteuses — a reçu des prêts et des #subventions de la puissance publique. On estime ainsi que 89% de ces entreprises ont reçu une aide indirecte de la BPI ! En pleine crise sanitaire, l’institution obtient plus de 2 milliards d’euros pour soutenir ces entreprises innovantes tandis que 3,7 milliards du plan de relance décidé en 2020 par le gouvernement a été fléché vers la création et l’aide aux start-ups. Cedric O, Secrétaire d’État chargé de la Transition numérique, confirme ainsi qu’il « va y avoir des opportunités suite à la crise [sanitaire], tout comme celle de 2008 ».

    Pour autant, l’État français ne soutient pas ses start-ups uniquement sur le plan financier. La loi Pacte de 2019, en continuité avec la loi Allègre de 1999, facilite les passerelles public-privé et encourage les chercheurs à créer des entreprises. Ces dispositions législatives permettent à des recherches menées et financées grâce à de l’argent public d’être « valorisées », c’est-à-dire en réalité privatisées, par le secteur lucratif. Des #Sociétés_d’Accélération_du_Transfert_de_Technologies (#SATT) ont été créées pour accélérer ce processus dans de nombreuses universités. Plus de 250 start-ups ont été développées par le prisme de ce réseau depuis 2012. L’Union européenne n’est pas en reste dans cette stratégie de soutien massif aux « jeunes pousses ». Sa stratégie Horizon 2020, un programme de 79 milliards d’euros étalé entre 2014 et 2020, dédiait 20% de son budget à la création de start-ups. Pléthore de pays européens se tournent eux aussi vers des stratégies de numérisation de l’économie, souvent via un soutien sans faille aux start-ups. En 2012, le ministre italien de l’économie, sous le gouvernement du technocrate Mario Monti, a promulgué une loi qui a permis à l’État italien de dépenser 200 millions d’euros pour aider les jeunes entreprises du pays, dans le but de « promouvoir la mobilité sociale ». Depuis 2019, le fonds national pour l’innovation italien a dépensé 245 millions d’euros pour subventionner 480 start-ups.
    Le mythe des start-ups souveraines et créatrices d’emplois

    Si les nations européennes axent autant leurs stratégies économiques sur le développement des start-ups, c’est avant tout car cette politique permet aux États de prétendre agir dans des domaines clefs où leur incurie a mainte fois été pointée du doigt : la lutte contre le chômage de masse et la mise en place d’une souveraineté technologique.

    Nombre de médias se sont ainsi fait le relais de la start-up mania, louant la capacité de la French Tech à « créer 224.000 nouveaux emplois d’ici à 2025 » et à être le « fer de lance de l’économie ». Ces jeunes pousses permettraient de créer jusqu’à « 5,2 emplois indirects qui dépendent de [leur] activité » et d’œuvrer à la réindustrialisation de la France. Ce constat mérite pourtant d’être nuancé. Comme cela a déjà été évoqué, la start-up mania s’accompagne d’une aide inconditionnelle de l’État français par le prisme de la BPI. Pourtant, comme l’ont analysé nos confrères du Média, le bilan de l’institution est tâché de nombreux scandales. La banque, dès sa création, n’a pas été pensée comme un organisme capable de contenir et d’endiguer la désindustrialisation de l’Hexagone. M. Moscovici, alors ministre des finances, déclarait ainsi en 2012, que « la BPI n’est pas un outil défensif, c’est un outil offensif, n’en faisons pas un pompier ». L’institution est en effet souvent demeurée indifférente aux plans de licenciements et en a même favorisé certains comme le confirment les exemples des entreprises Veralia et Arjowiggins. Une loi du 23 mars 2020 a quant à elle permis d’ouvrir le conseil d’administration de l’institution à des acteurs privés, laissant une fois de plus planer le doute sur la capacité et la volonté de la banque publique d’agir pour le bien commun.

    Il est également permis de rester sceptique face à une stratégie de réduction de chômage structurelle se basant principalement sur le soutien à des start-ups qui participent à la « plateformisation » de notre économie. En proposant de mettre en contact clients et professionnels, des entreprises telles que Uber ou Deliveroo s’évertuent à détruire code du travail et régulations étatiques. Alors qu’elles sont vendues comme des instruments permettant de lutter contre le chômage, ces start-ups ne peuvent exister et espérer devenir rentables que par une grande flexibilité et en excluant leurs travailleurs du salariat. Le gouvernement socialiste espagnol vient ainsi récemment de légiférer afin de contrôler ces géants de l’économie de plateforme, permettant de conférer un statut de salarié aux livreurs qui étaient considérés comme des travailleurs indépendants. À peine la nouvelle annoncée, Deliveroo a annoncé qu’elle comptait mettre fin à ses activités dans le pays, tandis que ses concurrents Stuart, Glovo et UberEats critiquaient cette décision qui va mettre « en danger un secteur qui apporte 700 millions d’euros au PIB national ».

    En somme, la France semble avoir abandonné toute stratégie ambitieuse de réduction du chômage de masse. Plutôt que de défendre le droit de tout citoyen à obtenir un emploi, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, l’État dépense des sommes faramineuses afin d’encourager la création d’entreprises à l’avenir très incertain. Dans cette politique qui s’apparente à un véritable choix du chômage, les citoyens sont appelés à innover alors même que les multiples causes du chômage structurelle sont éludées. Pour autant, cette incurie étatique ne date ni du quinquennat Hollande ni du mandat du président Macron : Raymond Barre déclarait en 1980 que « les chômeurs pourraient essayer de créer leur entreprise au lieu de se borner à toucher les allocations de chômage ! ».

    NDLR : Pour en savoir plus sur les choix politiques et économiques ayant conduit à un chômage de masse persistant, lire sur LVSL l’interview de Benoît Collombat par le même auteur : « Le choix du chômage est la conséquence de décisions néolibérales ».

    Outre l’argument des créations d’emplois, le soutien aux start-ups est également justifié par une nécessaire préservation de la souveraineté nationale. Dès qu’éclate en 2013 l’affaire Snowden, la préservation de la vie privée et la souveraineté technologique deviennent des préoccupations politiques majeures. Des entrepreneurs ont profité de ce phénomène pour proposer des technologies souveraines capables de réduire l’impuissance des nations européennes face à l’espionnage de masse. Les États comme la France vont alors largement baser leur politique de défense de la souveraineté nationale par un soutien massif à des start-ups.

    L’exemple de l’entreprise Qwant est sur ce point éloquent tant il permet de montrer les insuffisances et les impasses d’une telle approche. Fondée en 2011 par Jean-Manuel Rozan, Eric Léandri et Patrick Constant, l’entreprise se rêve en « Google français » en proposant un moteur de recherche souverain. Alors que la société n’est pas loin de la faillite, l’affaire Snowden lui permet de faire un large lobbying au sein des institutions françaises. Ces efforts seront rapidement récompensés puisque la Caisse des Dépôts et des Consignations investit en 2017 plus de 20 millions d’euros dans le projet tout en détenant 20% de son capital. En janvier 2020, l’État annonce même que Qwant est désormais installé sur les postes informatiques de l’administration publique. Pourtant, force est de constater que cette aide massive n’a pas permis de bâtir un moteur de recherche réellement souverain : en 2019, soit sept ans après sa création, Qwant utilise la technologie de Bing (Microsoft) dans 75% des recherches effectuées. Une note de la Direction interministérielle du numérique (DINUM) pointe également les nombreuses failles de l’entreprise, tels que les salaires mirobolants de ses dirigeants et les nombreux problèmes techniques du logiciel utilisé par Qwant, qui laissent perplexe quant au soutien massif que lui prodigue l’État. Plus largement, rien n’indique qu’une entreprise créée sur le sol français ne tombera pas aux mains de fonds d’investissements étrangers : parmi les licornes « françaises », la start-up Aircall (téléphonie via IP) est détenue à majorité par des acteurs non-français, tandis que Voodoo (jeux vidéo) a fait rentrer le géant chinois Tencent à son capital.
    Quand les start-ups remplacent l’État

    Le recours aux start-ups s’explique également par une prétendue incapacité de l’État à innover, à comprendre le marché et à « prendre des risques ». Ce mythe, pourtant déconstruit méthodiquement par l’économiste Mariana Mazzucato dans The Entrepreneurial State (paru en français en 2020), laisse penser que seul le secteur privé est capable de faire évoluer nos activités économiques et donc de créer des emplois. Comme l’analyse l’auteure, « le « retard » de l’Europe par rapport aux États-Unis est souvent attribué à la faiblesse de son secteur du capital-risque. Les exemples des secteurs de haute technologie aux États-Unis sont souvent utilisés pour expliquer pourquoi nous avons besoin de moins d’État et de plus de marché ». Nombre de start-ups se servent de ce mythe auto-réalisateur pour légitimer leur activité.

    Il est intéressant de noter que cette mentalité a également imprégné les dirigeants d’institutions publiques. Un rapport de la CDC ayant fuité en 2020 et prétendant redéfinir et révolutionner la politique de santé française chantait les louanges du secteur privé, des partenariats public-privé et de 700 start-ups de la healthtech. La puissance publique finance volontiers des jeunes pousses du domaine de la santé, à l’image d’Owkin, qui utilise l’intelligence artificielle pour traiter des données médicales, ou encore Lucine qui, grâce à des sons et des images, revendique la capacité de libérer des endorphines, de la morphine ou de l’adrénaline. La CDC détient également 38,8% d’Icade santé, un des acteurs majeurs du secteur privé et lucratif de la santé en France. De fait, les start-ups médicales s’immiscent de plus en plus au sein des institutions privées, à l’image d’Happytal, financé à hauteur de 3 millions d’euros par la BPI, qui propose à prix d’or aux hôpitaux des services de pré-admission en ligne ou de conciergerie de patients hospitalisés. Pour encourager les jeunes pousses à envahir les hôpitaux publics, la puissance publique va jusqu’à prodiguer, via un guide produit par BPI France, des conseils pour entrepreneurs peu scrupuleux expliquant comment passer outre des agents publics dubitatifs et méfiants qui ont « tendance à freiner les discussions » !

    Ainsi, comme l’analyse Mariana Mazzucato, « c’est donc une prophétie auto-réalisatrice que de considérer l’État comme encombrant et uniquement capable de corriger les défaillances du marché ». Pourtant, les start-ups ne pullulent pas uniquement grâce à ce zeitgeist favorable à l’entreprenariat, mais profitent directement de l’incapacité de l’État à fournir des services à ses citoyens, renforçant d’autant plus le mythe évoqué par Mariana Mazzucato. L’exemple de l’attribution à Doctolib du vaste marché de la prise de rendez-vous en ligne des Hôpitaux de Paris (AP-HP) en 2016 est révélateur de ce phénomène : devenu incapable de fournir un service public de prise de rendez-vous, l’État a dû confier les données de santé de millions de français à cette start-up française. La même expérience s’est répétée lors de la prise des rendez-vous de la vaccination contre le COVID-19, qui ont permis à l’entreprise d’engranger des millions de nouveaux clients sans aucune dépense de publicité.
    Vers une bulle spéculative ?

    Outre les questions que soulève le soutien massif de l’État français aux jeunes pousses du numérique, il convient également de se poser la question de la crédibilité économique de ces entreprises. En effet, il apparaît que nombre de ces sociétés participent à la financiarisation de nos activités économiques et deviennent des actifs spéculatifs et instables. Plus que de « changer le monde », un créateur de start-up recherche principalement à réaliser un « exit », c’est-à-dire à réaliser une belle plus-value via le rachat ou l’entrée en bourse de son entreprise. Dans un climat hostile et instable — on estime que seulement 20 % des jeunes pousses réussissent cet « exit » — les entrepreneurs sont poussés à dilapider le plus rapidement l’argent qu’ils ont à leur disposition. Cette stratégie, dénommée burn rate, est souvent perçue comme une perspective de croissance future par les investisseurs.

    De plus, les entrepreneurs sont souvent poussés à embellir leurs entreprises en exagérant le potentiel des services qu’elles proposent, voire en mentant sur leurs résultats, comme le montrent les exemples de Theranos (tests sanguins soi-disant révolutionnaires), Rifft (objets connectés) ou The Camp (technopôle provençal en perdition adoubé par M. Macron). Cela conduit les start-ups technologiques à avoir un ratio de valorisation sur chiffre d’affaires très élevé. Alors qu’il n’est que de 2,6 fois pour Amazon, c’est-à-dire que la valorisation boursière de l’entreprise n’excède « que » de 2,6 fois son chiffre d’affaires, ce nombre atteint plus de 50 pour certaines licornes. Pour AirBnb, la troisième licorne mondiale valorisée à 25,5 milliards de dollars, le chiffre est par exemple de 28,6. Alors que dans une entreprise traditionnelle la valeur des actions est estimée par les investisseurs en fonction de l’estimation des bénéfices futurs d’une entreprise, ce chiffre est très largement secondaire dans les levées de fonds de start-ups. Ainsi, de nombreuses licornes ne prévoient pas à court ou moyen terme de réaliser des bénéfices. L’entreprise Lyft a par exemple enregistré l’an dernier une perte de 911 millions de dollar, tandis qu’Uber a perdu 800 millions de dollars en un trimestre. On estime que sur les 147 licornes qui existent autour du globe, seulement 33 sont rentables. En somme, les investisseurs s’intéressent principalement à la capacité d’une start-up à produire une masse d’utilisateurs la plus large possible. Ce phénomène justifie des dépenses gargantuesques par ces mastodontes de l’économie de plateforme : Lyft a dépensé 1,3 milliard de dollars en marketing et en incitations pour les chauffeurs et les coursiers en 2018. Cet écosystème très instable a toutes les chances de participer à la création d’une bulle spéculative sous la forme d’une pyramide de Ponzi. En effet, si nombre de ces entreprises sont incapables à moyen terme de produire un quelconque bénéfice, que leurs actifs sont surévalués et que les règles du jeu économique poussent les entrepreneurs à dépenser sans compter tout en accentuant excessivement les mérites de leurs produits, les marchés financiers risquent de connaître une nouvelle crise technologique comparable à celle de 2001.

    La stratégie économique de soutien massif aux start-ups adoptée par l’État français s’apparente ainsi fortement à une politique néolibérale. En effet, comme ont pu l’analyser Michel Foucault et Barbara Stiegler, le néolibéralisme, loin d’être favorable à un État minimal, comme le libéralisme classique, prône l’émergence d’un État fort capable de réguler l’économie et d’adapter les masses au sens de l’évolution capitaliste ; c’est-à-dire aux besoins du marché. Ce constat conduit l’auteure d’Il faut s’adapter (Gallimard, 2019) à affirmer que « la plupart du temps les responsables de gauche caricaturent ainsi le néolibéralisme en le prenant pour un ultralibéralisme lointain […] si bien que dès qu’un gouvernement fait appel à plus l’État, ces responsables croient que ça signifie que la menace ultralibérale a été repoussée ». De fait, plutôt que de considérer de facto une politique de soutien aux start-ups comme souhaitable et efficace, il conviendrait de rester prudent vis-à-vis de ce genre d’initiative. Une telle attitude serait d’autant plus vertueuse qu’elle permettrait de comprendre que « l’économie disruptive », loin de dynamiter les codes du secteur économique, imite sans scrupule les recettes du « monde d’avant ». Les concepts flous de « start-up » ou de « technologies de ruptures » y sont les nouveaux arguments d’autorité justifiant la destruction de nos écosystèmes, la disparition des petites entreprises et des services publics et la précarisation de pans entiers de la populations.

    NDLR : Pour en savoir plus sur la différence entre libéralisme et néolibéralisme, lire sur LVSL l’article réalisé par Vincent Ortiz et Pablo Patarin : L’impératif néolibéral de « l’adaptation » : retour sur l’ouvrage de Barbara Stiegler.

    https://lvsl.fr/start-up-nation-quand-letat-programme-son-obsolescence

    #start-up #macronisme #Macron #France

    • Ces dispositions législatives permettent à des recherches menées et financées grâce à de l’argent public d’être « valorisées », c’est-à-dire en réalité privatisées, par le secteur lucratif.

      On ne saurait mieux dire...

  • François Gemenne, membre du GIEC : « Aucune zone du monde ne sera épargnée par les migrations climatiques »
    https://www.lemonde.fr/climat/article/2023/11/04/francois-gemenne-membre-du-giec-aucune-zone-du-monde-ne-sera-epargnee-par-le

    François Gemenne, membre du GIEC : « Aucune zone du monde ne sera épargnée par les migrations climatiques »
    Le réchauffement de la planète provoquera immanquablement des mouvements de populations, prévient François Gemenne, spécialiste des migrations environnementales dans un entretien au « Monde ». Un phénomène qui pourrait même entraîner une reconfiguration sociale et politique des régions françaises.
    Propos recueillis par Matthieu Goar
    Est-il possible de définir les régions du monde les plus vulnérables aux effets du changement climatique ?
    Il faut bien différencier la cartographie des risques et celle de la vulnérabilité. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) établit les risques liés à des phénomènes physiques, mais la vulnérabilité dépend aussi en partie des politiques. Elle est donc très variable en fonction du niveau de préparation et de la capacité d’adaptation d’un pays. Daniel, le récent « medicane » [cyclone de type méditerranéen] qui a ravagé la Libye le 12 septembre 2023, n’aurait pas provoqué tant de morts dans un Etat mieux équipé ou administré différemment. Des organismes privés font des classements, mais le GIEC ne se permet pas de jugements là-dessus. La seule chose dont on peut être sûr, c’est qu’aucune zone du monde ne sera épargnée.
    Les pays en développement seront-ils plus impactés que les pays riches ?
    En règle générale, les Etats les plus développés ont des bâtiments, des structures sociales et économiques plus solides. Mais il serait trop simpliste d’analyser les choses de cette façon. L’impératif est d’élargir la focale tout en se penchant plus finement sur la situation locale, le niveau de préparation, l’administration, la capacité de résilience… Un événement extrême peut traverser une zone sans encombre, alors qu’un petit événement climatique peut entraîner une cascade de conséquences en touchant des points névralgiques comme les systèmes énergétiques. C’est la notion de « seuil de rupture sociale » que le GIEC a introduite dans son dernier rapport d’évaluation. Et cette question ne dépend pas forcément du niveau de développement. En novembre 2007, le cyclone Sidr de catégorie 5 a traversé le Bangladesh en faisant plusieurs milliers de morts. En mai 2008, un autre cyclone de même puissance, Nargis, a balayé la Birmanie, provoquant plus de 80 000 décès. La Birmanie est pourtant plus riche.
    Comment expliquer cette différence ?
    En subissant des catastrophes, le Bangladesh a pris très tôt conscience de sa vulnérabilité. L’adaptation est pour ce pays une question de vie ou de mort. Les autorités ont ainsi mis en place des systèmes d’alerte et d’évacuation. Depuis plus de vingt ans, il s’est doté d’un ministère des catastrophes naturelles. Ces dispositifs réduisent l’impact des phénomènes. Et le Bangladesh est aussi moteur sur cette question au niveau international. Il a été très actif lors de la création du fonds « pertes et dommages » à la conférence mondiale sur le climat (COP27), en 2022, en Egypte.
    Peut-on prévoir les flux de migrations que pourrait entraîner le réchauffement climatique ?
    Non. Il est impossible de prévoir le nombre de millions de personnes qui seront contraintes de se déplacer en 2030, en 2050 ou en 2100. Encore une fois, cela va dépendre des dégâts et de la résilience… Mais le réchauffement va provoquer des mouvements. Collectivement, nous oublions trop souvent que le climat et l’environnement ont toujours eu une immense influence sur l’histoire. Lors du Dust Bowl (« bassin de poussière ») aux Etats-Unis, dans les années 1930, des milliers d’Américains ont migré vers la Californie, épisode qui est raconté dans Les Raisins de la colère, de John Steinbeck. Les Irlandais sont partis vers les Etats-Unis pour des raisons environnementales. Avant la Révolution française, les périodes de froid ont créé des tensions sur les prix.
    Sauf qu’il y a aussi des données subjectives imprévisibles : l’aversion aux risques, la capacité de résistance des populations… Devant une même information, certains voudront partir, d’autres non. Enfin, les migrations climatiques sont progressives. Tout le monde ne part pas en même temps, sauf après une catastrophe extrême.
    Ces déplacements auront-ils d’abord lieu au sein des Etats ou dans des zones proches ?
    La majorité de ces migrations est interne à un Etat ou à une zone. L’Ouganda a ainsi mis en place des structures d’accueil pour les réfugiés venus des pays limitrophes. Et il y aura aussi des mouvements de confort des villes vers les campagnes pour échapper aux canicules urbaines, du sud vers le nord.
    Les retraités britanniques vont-ils arrêter de venir en Aquitaine pour se tourner vers l’Ecosse ? Nice va-t-elle devenir une ville plus jeune, alors que les seniors français se dirigeront vers la Normandie ? A terme, cela pourrait entraîner des reconfigurations sociales et politiques des régions dans plusieurs décennies. Si l’on regarde les pays d’origine des demandeurs d’asile en France, le Bangladesh et le Pakistan sont dans le top 5. Ce n’était pas le cas auparavant.
    Pourquoi le changement climatique n’est-il jamais pris en compte dans les lois migratoires des pays ?
    La politique migratoire n’est jamais proactive, elle est décidée dans l’urgence, en réaction à des crises. Encore une fois, cet automne, la Commission européenne dévoile un nouveau pacte à cause de la crise de Lampedusa. Quelques pays ont des politiques migratoires qui prennent en compte la question climatique, la plupart du temps pour des raisons économiques. Il existe par exemple des accords entre l’Espagne et la Colombie ou entre la Nouvelle-Zélande et des îles du Pacifique Sud, avec des visas saisonniers pour accueillir des travailleurs. Mais tout cela est encore embryonnaire. Le pacte mondial sur les migrations, signé en 2018, recommande de se pencher sur ce genre de dispositifs, notamment des accords au niveau régional.
    Faudrait-il réfléchir à un statut de réfugié climatique ?
    Ce statut n’existe pas dans la convention de Genève ni dans aucun autre texte. Il existe quelques initiatives, comme la convention nationale de Kampala (lire ci-dessous), adoptée par l’Union africaine en 2009, qui stipule que les catastrophes naturelles doivent être reconnues dans les motifs de demandes d’asile. Le Danemark et la Finlande avaient adapté leur législation après le tsunami de 2004. De facto, ce dispositif est très peu appliqué et reste assez discrétionnaire.
    Certains pays intègrent-ils ces mouvements de populations dans leur stratégie d’adaptation ?
    La relocalisation de populations est déjà en cours sur de nombreux continents. En Indonésie, les travaux ont commencé pour déplacer la capitale, Djakarta, menacée par la montée des océans et par l’affaissement de son sol, dans une nouvelle ville, Nusantara, située sur l’île de Bornéo. En matière d’infrastructures, ce que font les Pays-Bas est impressionnant. Ils ont investi des milliards pour un renforcement de leur plan Delta de 1954 (lire ci-dessous). Les Maldives ont mis en place la « Safer Island Strategy » avec la création d’îles artificielles pour accueillir des populations venant des îles les plus exposées à la montée de la mer et la surpopulation de la capitale Malé. Avec son programme « Living with Floods », le Vietnam déplace les villageois du delta du Mékong vers les hauteurs. En Mongolie-Intérieure, la Chine accuse des bergers de contribuer à la désertification et les installe dans des villages où vivent déjà des peuples déplacés.
    Ces décisions peuvent-elles cacher des volontés plus arbitraires ?
    En Chine, il y a une visée politique pour casser toute velléité sécessionniste et ne pas avoir un nouveau Tibet. La frontière entre adaptation au changement climatique et abus d’un pouvoir dictatorial peut être très mince. Au nom du réchauffement, on peut en arriver à confisquer la terre en affirmant vouloir la protéger des impacts. De nombreuses ONG s’inquiètent d’ailleurs de ces mesures. C’est justement le rôle des études scientifiques de déterminer les conséquences nécessitant une adaptation. Les scientifiques peuvent ainsi aider la société civile à repérer ce qui est impératif et ce qui relève de l’arbitraire.
    Le fonds « pertes et dommages »
    Ce nouveau fonds a été pensé pour organiser puis répartir les sommes destinées à « réparer » les pertes irréversibles et les dégâts causés par les catastrophes climatiques. Imaginé à la conférence mondiale sur le climat de Charm El-Cheikh (Egypte) en 2022 (COP27), il ne pourra sans doute pas être lancé en 2024, comme espéré initialement. Son comité de transition, chargé de préciser les contours du fonds, où siègent vingt-quatre parties, devait se réunir une quatrième fois entre le 17 et le 21 octobre, avant de rendre ses conclusions à la COP28, qui se tiendra à Dubaï, aux Emirats arabes unis, du 30 novembre au 12 décembre 2023. Si les pays paraissent plutôt d’accord sur un semblant d’architecture, de nombreux dossiers restent à trancher. Qui seront les contributeurs ? Qui pourra bénéficier des sommes allouées ? Autant de questions très sensibles dans les négociations Nord-Sud.
    La convention de Kampala
    Adopté en 2009, ce traité de l’Union africaine est un texte juridiquement contraignant qui vise à protéger les personnes déplacées à cause de conflits armés ou de catastrophes naturelles. Depuis, 31 des 55 Etats membres ont ratifié la convention de Kampala. Par ce texte, loin d’être toujours respecté, les signataires s’engagent aussi à mettre en place des systèmes d’alerte précoce et de prévention des risques pour mieux avertir les populations des événements extrêmes, dont l’intensité et la fréquence vont se multiplier avec le réchauffement climatique.
    Le plan Delta
    Mis en œuvre en 1953 après des inondations qui avaient causé la mort de près de deux mille personnes et provoqué l’évacuation de dizaines de milliers d’autres, ce dispositif d’élévation des dunes et de construction de multiples digues est destiné à mettre à l’abri de nombreuses provinces néerlandaises. Décennie après décennie, il n’a cessé d’être prolongé et renforcé.

    #Covid-19#migrant#migration#monde#afrique#environnement#changementclimatique#migrationclimatique#COP27#COP28#conventionkampala#risque#vulnerabilite

  • Ivan Illich (1926-2002) : la ville conviviale (2013)
    https://theses.hal.science/tel-00849958/document

    Une thèse de doctorat consacrée à l’application des concepts d’Illich aux prolématiques de la ville et de l’urbanisme. De plus d’après l’intro de l’autrice sous l’égide de La ligne d’horizon, les amis de François Partant, donc ça m’inspirait confiance. Pas encore lu, je référence pour feuilleter…

    Je vois dans le sommaire déjà une critique de la résilience et de la transition, en 2013

    Ivan Illich (1926-2002) propose dans ses ouvrages une critique radicale des
    « institutions » (Église, école, hôpital, transports, machines, etc.) qui toutes, à un moment de leur déploiement, se révèlent contre-productives. Peut-on transposer au domaine de l’urbain ses analyses ? Si oui, en quoi contribuent-elles à rendre intelligible ce qui « travaille » les villes à l’ère de l’urbanisation planétaire ? Cette recherche propose une lecture illichienne de « l’entreprise-ville » et suggère des pistes pour sortir de l’impasse productiviste dans laquelle elle est engagée. Elle s’articule autour de deux axes :

    Premièrement, dans le contexte du paradigme économiciste de la rareté et du paradigme cybernétique des systèmes, la Ville a été substituée par une entreprise urbaine contreproductive : une anti-ville. L’urbanisme devient iatrogène. C’est « le grand enfermement ».

    Deuxièmement, les idées d’Ivan Illich projetées sur l’espace habité nourrissent –et très généreusement– un nouveau paradigme pour sortir de l’industrialisme et reconstruire le territoire à travers des processus de réduction / reconduction. C’est la ville conviviale.

    #Ivan_Illich #urbanisme #urban_matters #ville #architecture #convivialité #critique_techno

    @cdb_77 @odilon @tranbert que ça peut intéresser :)

  • Les chaînes sans fin, histoire illustrée du tapis roulant - Yves Pagès Lundi Matin - lundi.am

    Parmi les machines qui hantent nos vies quotidiennes, le tapis roulant est celle qui traverse le plus insidieusement tous les secteurs d’activité : des tapis mobiles sur chaîne d’assemblage aux tapis de caisse de la moindre supérette en passant par ceux dévolus à l’exercice corporel du fitness. Travail posté, rituel consumériste et souci hygiénique de soi : trois postures qui, chacune à sa manière, nous condamnent à l’éternel recommencement d’une marche forcée. Pour cette rentrée et ce lundisoir, nous avons invité Yves Pagès à venir parler de son dernier livre : Les chaînes sans fin, histoire illustrée du tapis roulant.

    https://www.youtube.com/watch?v=kQRmvv2dvcs

    Depuis Petites natures mortes au travail, qui documentait en brefs récits les « bullshit jobs » et le plus récent Il était une fois sur cent, illustrant les dégâts de la folie statistiques, Yves Pagès nous a habitués à saisir dans leur singularité concrète les formes contemporaines de l’aliénation. Avec Les Chaînes sans fin, à travers la naissance et l’évolution d’un dispositif technique il propose une contribution importante à la généalogie du travail moderne. Qu’est-ce qui relie les treadmills des prisons britanniques du début du XIXe siècle et les tapis de course de cette salle de sport dont la vision, au-dessus d’une magasin de pompes funèbres, fut le déclencheur de ce livre ? Peut-être bien le convoyeur « couplant la punition rédemptrice et l’efficacité physiologique dans les hangars industrieux de la modernité fordienne ». Comment ne pas voir, un résumé parfait de la rationalité techno-capitaliste cette devise publicitaire, exhumée entre tant d’autres documents passionnants : « Aller nulle part, très vite » ?

    #escalator #tapis_roulants #luttes #henry_ford #convoyeur #stakanovisme #travail #exploitation #treadmills #prisons anglaises #capitalisme

    Source : https://lundi.am/Une-histoire-illustree-du-tapis-roulant

  • #Canada : Le malaise de la « machine à pourboire » Denis Wong - Radio Canada

    De plus en plus, on vous demande un pourboire à l’aide d’un terminal de paiement même si, dans certains cas, il n’y a eu aucun service en échange. Comment en sommes-nous arrivés là ?

    Depuis la pandémie, vous avez vu apparaître cet écran et ces propositions de pourboire dans plusieurs commerces où on ne les trouvait pas auparavant.
    Avec la démocratisation des terminaux de paiement, il est plus facile que jamais de vous demander un pourboire. Et dans plusieurs situations, les mots pourquoi et combien vous viennent spontanément en tête.

    Sans crier gare, la norme sociale qu’est le pourboire a dépassé le cadre classique du service aux tables, de la course de taxi ou de la coupe de cheveux. Sur Internet, les anecdotes sont nombreuses : on rapporte s’être fait demander un pourboire au service à l’auto, au garage, après la visite du plombier, ou même après avoir payé un achat en ligne.

    Aux États-Unis, il existe des caisses libre-service dans des aéroports ou des cafés qui vous proposent d’ajouter quelques dollars de plus à votre achat, même si vous n’avez pas eu d’interaction avec un être humain.

    Le sujet suscite des discussions passionnées sur les réseaux sociaux. L’apparition de ces demandes de pourboire à des endroits inusités a été baptisée tip creep par les internautes. Le pourcentage de plus en plus élevé de ces suggestions est devenu la tipflation, ou l’inflation du pourboire. Et à force d’être sollicitée, la clientèle commence aussi à éprouver du ressentiment à l’égard de cette convention, une tendance surnommée tip fatigue.

    Dans un contexte où le coût de la vie monte en flèche, ces modifications à la convention génèrent une combinaison de confusion, de frustration et de malaise.

    Publié en février dernier, un sondage de la firme Angus Reid révèle que près des deux tiers des Canadiens et Canadiennes estiment se faire demander un pourboire plus souvent et en plus grande quantité. Selon ce même sondage, quatre personnes sur cinq estiment que toutes ces sollicitations sont devenues un irritant.

    En ces temps nouveaux, le public est bousculé dans ses habitudes et sa perception de l’étiquette, selon le sociologue Jules Pector-Lallemand. L’environnement du service à la clientèle est en évolution.

    « En restauration, la norme sociale est très claire et on la connaît, remarque-t-il. Mais ce repère n’est pas nécessairement présent ailleurs. On est sollicité par le paiement par carte, comme au garage ou à la boulangerie, et on ne sait pas comment faire. »

    « Dans la mesure où le pourboire est volontaire et que le client est libre d’en donner ou pas, c’est légal pour un commerçant de le demander, précise Alexandre Plourde, avocat et analyste chez Option Consommateurs. La seule difficulté que ça poserait en matière de la protection du consommateur, c’est si un commerçant l’exigeait parce que ça pourrait être considéré comme des frais cachés qui n’ont pas été divulgués. »

    Si demander un pourboire sans l’exiger a toujours été légal, cette pratique sociale est pourtant longtemps demeurée circonscrite à certains types d’emplois. Alors pourquoi en sommes-nous arrivés à ce point aujourd’hui ?

    La « tempête parfaite »
    Ensemble, la générosité de la population pendant la pandémie, l’utilisation répandue des terminaux de paiement et la pénurie de main-d’œuvre constituent la « tempête parfaite pour [expliquer] le phénomène auquel on est confronté », souligne Alexandre Plourde.

    Ce changement de paradigme a tout d’abord pris racine lorsque les commerces et les restaurants ont dû fermer leurs portes pendant la pandémie.

    « On était privés de ce plaisir, rappelle Jean-Luc Geha, directeur associé à l’Institut de vente HEC Montréal. À leur réouverture, on était tellement heureux que même si ça prenait une heure avant de s’asseoir ou se faire servir, on se disait que c’était formidable. À partir de là, on a comme atteint une nouvelle marche du point de vue de la reconnaissance du service. »

    Contraints par les normes sanitaires, plusieurs restaurants se sont tournés vers les commandes à emporter afin de préserver leurs chiffres d’affaires. Solidaire, leur clientèle a pris l’habitude d’offrir un pourboire même si le service aux tables était inexistant.

    « Il y avait toutes ces précautions pandémiques : il y avait les gants, les masques, les Plexiglas, ajoute la spécialiste en étiquette Julie Blais Comeau. Ça faisait qu’un service prenait beaucoup plus de temps. Le budget de restauration était moins dépensé et les gens le reconnaissaient et étaient empathiques. Ils payaient un pourboire pour ces précautions pandémiques. »

    En parallèle, les terminaux de paiement électronique sont de plus en plus utilisés par les commerces. Cette transition technologique était déjà amorcée avant la pandémie. Selon Paiements Canada, l’organisation qui maintient et exploite l’infrastructure de paiement au Canada et dont le mandat est prescrit par la Loi canadienne sur les paiements, l’utilisation de l’argent comptant est en chute libre au profit des transactions électroniques.
    Même le pot de petite monnaie sur le comptoir ne peut résister à ce phénomène : à plusieurs endroits, il est remplacé par un écran et demander un pourboire est devenu un jeu d’enfant. La pratique se répand comme une traînée de poudre pendant et après la pandémie.

    « En ce moment, le terminal est une barrière entre le consommateur et la personne qui offre le service, illustre Julie Blais Comeau. Donc cette dernière s’essaye, comme on dit, par l’intermédiaire du terminal. »

    Des propositions de pourboire plus élevées
    À la succursale du magasin d’accessoires pour fumeurs Prohibition, rue Ste-Catherine, à Montréal, on offre à la clientèle la possibilité de donner un pourboire avec le terminal de paiement. Cette décision plaît à Yoan Mailhot, mais elle n’est pas l’unique facteur qui lui fait apprécier son environnement de travail.

    « Quand tu rentres comme employé, c’est le fun d’avoir du pourboire que tu peux utiliser à la fin de la journée, dit-il. Mais ce n’est pas ça qui va nous inciter à donner un meilleur service autant que notre passion pour ce qu’on vend. C’est un incitatif, mais pas ce qui nous drive tous les jours. »

    Si certaines personnes peuvent se montrer surprises lorsqu’elles passent à la caisse, elles ne sont jamais sous pression, précise-t-il. Le pourboire n’est qu’une marque d’appréciation pour un service attentionné.

    À cet effet, on pourrait se questionner à savoir si l’argent perçu par les terminaux de vente revient réellement au personnel à pourboire. Au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick, il est illégal pour un établissement de s’approprier une partie de ces sommes. Dans d’autres provinces, la règle est moins claire et peut tomber dans une zone grise. Dans le doute, la clientèle peut simplement s’informer auprès du commerce.

    « Souvent, ce sont des clients qui cherchent un item en particulier et tu leur donnes beaucoup d’informations, des trucs pour l’entretenir, etc., ajoute Yoan Mailhot. Là, les clients sont plus enclins à donner. On a des réactions, certains clients nous disent qu’ils ne savaient pas qu’ils pouvaient donner du pourboire, ce qui est correct. Mais les clients qui nous offrent du pourboire sont souvent des gens qui nous connaissent, qui sont des réguliers ou qui ont été bien informés. »

    Les entreprises qui commercialisent les terminaux de paiement que l’on retrouve entre nos mains, telles que Moneris, Global Payments ou Square, permettent toutes d’activer ou de désactiver aisément la fonction du pourboire, en plus de décider des pourcentages présentés.

    Avec ce paramétrage, la clientèle constate que les suggestions de pourboire sont revues à la hausse par plusieurs commerces ou restaurants. Il n’est pas rare de voir les pourcentages proposés atteindre 25 % ou même 30 % de la facture après les taxes, particulièrement en restauration. En principe, ce montant devrait être calculé avant les taxes, même si cette règle est rarement appliquée.

    Cet environnement induit un comportement chez la clientèle et influence ses décisions, même si elle est libre de donner un pourboire ou non. Des commerces ajoutent aussi une épithète aux pourcentages présentés pour guider la personne qui paye : 15 % correspond à un « bon service », 18 % un « très bon service », et 25 % un « excellent service ».

    En psychologie, cette stratégie correspond à l’effet d’ancrage, où la première information présentée conditionne une prise de décision subséquente. Une partie du public ne sait pas qu’elle peut ajuster ce pourcentage, ou encore, elle trouve l’opération trop compliquée et se rabat sur l’option facile : celle qui est proposée.

    « Ce qu’on voit souvent comme changement, c’est que le montant minimum qu’on peut donner est de 15 %, alors que normalement, ce 15 % est la moyenne, précise Alexandre Plourde. Si c’est le plus bas qui est proposé, je ne veux pas avoir l’air pingre ni pénaliser l’employé, donc je vais donner 18 % qui est le montant moyen proposé par le commerçant. Il y a une surtaxe, simplement avec la façon dont les montants sont présentés. »

    Ajouté à ces facteurs, il y a le manque criant de personnel qui force les entreprises à compétitionner pour la main-d’œuvre disponible. L’une des façons les plus simples de l’attirer est de lui offrir la possibilité d’amasser du pourboire, selon Jean-Luc Geha. Parallèlement, certains commerces ou restaurants misent de plus en plus sur l’automatisation et la technologie pour pallier ce manque de personnel.

    « De plus en plus de restaurants ne donnent plus de menu, mentionne le professeur de marketing à HEC Montréal. Il y a un code QR sur la table que vous prenez avec votre téléphone. À certains endroits, vous commandez avec votre appareil. J’ai regardé le menu sans avoir de recommandations, j’ai choisi à travers mon cellulaire et quelqu’un vient me porter mon assiette. À la fin, la machine me propose 15, 20, 25 % de pourboire. »

    Qui devrait payer cette hausse de salaire ?
    Les conséquences s’en ressentent sur le portefeuille de la population canadienne et celle-ci souhaiterait une approche plus transparente en matière de pourboire.

    Selon le sondage Angus Reid, près de 60 % des répondants et répondantes se disent en faveur d’un prix affiché qui inclurait le service, éliminant ainsi le pourboire en faveur d’un salaire plus élevé. Les trois quarts des personnes interrogées estiment aussi que le pourboire est une manière de baisser le fardeau salarial des entreprises.

    « D’une certaine façon, on fait porter aux consommateurs le coût de la pénurie de main-d’œuvre, dit Alexandre Plourde. Plutôt que de hausser les salaires, les employeurs comptent sur la générosité et la bonne volonté des consommateurs pour combler les manques à gagner. »

    Cependant, l’inflation qui caractérise l’économie actuelle pèse aussi sur les entreprises. Si celles-ci accordent des augmentations de salaire, leurs services seront vendus plus cher, à moins qu’elles ne décident d’absorber ces coûts à même leurs revenus.

    « Il n’y a pas de solution simple, admet Alexandre Plourde. L’inflation frappe tout le monde. Mais la hausse des pourboires est problématique pour les consommateurs à plusieurs niveaux. Ils font déjà face à une hausse des prix importante, l’inflation est partout. En haussant les taux de pourboires suggérés et en multipliant les occasions où on demande du pourboire, ça pèse largement sur le portefeuille des consommateurs. »

    Cette discussion à propos du pourboire concerne les conditions de travail de ceux et celles qui sont souvent précarisés, rappelle Jules Pector-Lallemand. Auteur de l’essai Pourboire : une sociologie de la restauration, il souligne que le sens de cette pratique était déjà en mutation, avant même que le débat ne revienne sur la place publique récemment.

    « Beaucoup de gens sont attachés à cette idée qu’on paye un plat au restaurant et que le pourboire va payer le service, dit-il. Dans la dernière décennie, ça bouge en restauration parce qu’il y avait des mauvaises conditions de travail en cuisine. Tranquillement, le pourboire est partagé avec la cuisine. Ce n’est plus juste le service, c’est pour tout le monde. Pendant la pandémie, on ajoutait du pourboire dans un élan de solidarité. Le sens est toujours en train de bouger. Une partie du malaise vient du fait qu’on ne s’entend pas sur la question. »

    Au Fleuriste chez Daniel, situé au marché Jean-Talon, certaines personnes offrent un pourboire même s’il n’est pas proposé sur le terminal de paiement. Cette habitude existait déjà et il revient à chaque individu de déterminer la valeur du service reçu.

    « Les trois quarts du temps, ils vont offrir un pourboire en argent comptant [au lieu de demander de l’ajouter sur le terminal], souligne la propriétaire Marie-Ève Cantin. Mais on n’est pas dans un endroit où il y a des habitudes de pourboire. Ça arrive, oui, mais pas nécessairement pour un service extraordinaire. Des fois, j’ai des gens pour qui j’emballe un petit bouquet qu’ils ont choisi en avant et ils me laissent la monnaie. D’autres fois, tu fais plusieurs arrangements et tu ne reçois rien. Alors ce n’est pas dosé en fonction du travail qu’on fait. Ça dépend du client. »

    Le Québec est la seule province canadienne à privilégier un système où les employés et employées à pourboire ont un salaire de base en dessous du salaire minimum. Règle générale, il s’agit du personnel de restaurants ou de bars. Depuis le 1er mai 2023, ce taux se chiffre à 12,20 $ l’heure, alors que le salaire minimum s’établit à 15,25 $ l’heure.

    Pour éviter de jongler avec cette question, certains restaurants ont décidé d’abolir le pourboire dans leur établissement et de hausser le salaire de leur personnel. D’autres commerces en Ontario se sont regroupés et ont adopté le concept du salaire viable, s’assurant ainsi que leur rémunération soit suffisante pour refléter le coût de la vie.

    « Assurément, derrière ces débats autour du pourboire, il y a la question du partage des profits [des entreprises] et du salaire décent pour vivre, dit Jules Pector-Lallemand. Ne tapons pas sur la tête des gens qui livrent des plats ou qui servent notre pain au salaire minimum. »


    La question qui n’en finit jamais de faire jaser
    Il ne faut pas se surprendre si le pourboire fait autant jaser, puisque cette discussion revient de manière cyclique. Tout au long de son histoire, on ne s’est jamais entièrement entendus sur sa définition et sur ce qu’il représente.

    Selon le livre Tipping : An American History of Social Gratuities, écrit par l’auteur Kerry Segrave, cette pratique sociale remonterait aux environs du 15e siècle en Angleterre. L’aristocratie prend alors l’habitude d’offrir une petite somme aux domestiques lorsqu’elle est en visite chez d’autres membres de la bourgeoisie. Appelé vails, ce pourboire sert à rémunérer le travail supplémentaire que ces personnes doivent accomplir en plus de leurs tâches régulières.

    « Au fil des décennies, ce montant ne cessait d’augmenter et l’aristocratie en a eu marre, raconte Jules Pector-Lallemand. La famille royale a donc décidé d’abolir le pourboire. En 1764, il y a eu une semaine d’émeutes à Londres parce que les domestiques disaient que ce pourboire était leur salaire ! »

    Après la guerre de Sécession, l’élite américaine fortunée voyage outre-mer et rapporte la pratique du pourboire sur notre continent afin de se montrer distinguée. Cette habitude se répand et finit par s’implanter aux États-Unis, mais au départ, elle irrite la population. Dans les journaux, on dénonce le pourboire parce qu’il serait contraire aux idéaux démocratiques du pays.

    « Au début du 20e siècle, on peut retrouver aux États-Unis des ligues anti-pourboire, ajoute Jules Pector-Lallemand. Dans plusieurs États, il y a même eu des lois qui l’interdisent. On était mal à l’aise. On se demandait si c’était un pot-de-vin ! C’était comme un moyen d’acquérir un privilège et c’est anti-américain. »

    Cette convention sociale traverse la frontière et le Québec n’est pas en reste à l’égard de ces discussions. En 1982, une commission parlementaire étudie la question du pourboire à l’Assemblée nationale et on se demande… si le service ne devrait pas être ajouté automatiquement à la facture.

    Plus récemment, en 2018, plusieurs têtes d’affiche québécoises de la restauration signent une lettre ouverte pour réclamer une redistribution plus équitable du pourboire entre la cuisine et le personnel de service. Aujourd’hui, la Loi sur les normes du travail du Québec permet aux travailleurs et travailleuses d’un établissement de créer une convention de partage des pourboires.

    « La convention du pourboire est continentale, explique Jean-Luc Geha. Sa notion en Amérique du Nord, au Canada et aux États-Unis est similaire. Sa notion en Europe fait que le pourboire est généralement inclus. Traditionnellement, on ne s’attend pas à recevoir un pourboire. Mais ça change, parce que les touristes commencent à ajouter un petit extra et ça commence à devenir une habitude. »

    En fait, l’Amérique du Nord est l’endroit où le taux de pourboire est le plus élevé au monde ; ce pourcentage avoisine les 20 % pour le service aux tables aux États-Unis. De par sa nature, cette pratique est influencée par les normes culturelles des régions où elle existe. Dans certains pays, notamment en Asie, il peut être insultant de donner un pourboire à une personne qui fait son travail.

    Ce sera au public de décider, avec ses actions au quotidien, s’il développe de nouvelles habitudes collectives et modifie la norme sociale. Dans cette perspective, il est opportun de se souvenir qu’on donne un pourboire pour montrer sa gratitude.

    « Il ne faudrait pas que le pourboire devienne une pression sociale, estime Alexandre Plourde. Il faudrait retourner à l’essence du pourboire : rémunérer le service qui a été donné au consommateur, souligner un meilleur service avec un meilleur pourboire. »

    Même si la norme actuelle ne prescrit pas de donner un pourboire dans les scénarios qui vous ont été proposés, Julie Blais Comeau souligne qu’un service qui dépasse les attentes et qui nous offre une expérience de qualité peut être récompensé. C’est ainsi qu’une convention sociale se transforme au fil du temps.

    « Soyez confiants [comme consommateurs], parce que les pratiques de l’étiquette sont encore les mêmes, conclut-elle. Et [en même temps], soyez conscients que les pratiques sont en évolution. Reconnaissez un bon service en répandant la bonne nouvelle pour garder ces commerces dans vos quartiers. Osez parler, gracieusement et discrètement, quand vous êtes insatisfaits, tout en donnant le pourboire approprié. »

    #pourboire afin de baisser les #salaires #paiement #service #Histoire #service #convention_sociale

    Source : https://ici.radio-canada.ca/info/2023/pourboire-terminal-paiement-commerces-tipflation-tipcreep

    • « La convention du pourboire est continentale [Amérique du Nord, Canada et États-Unis], explique Jean-Luc Geha. Sa notion en Europe fait que le pourboire est généralement inclus [dans le prix : service compris].

      Traditionnellement, [en Europe], on ne s’attend pas à recevoir un pourboire. Mais ça change, parce que les touristes commencent à ajouter un petit extra et ça commence à devenir une habitude. »

      [...] Dans certains pays, notamment en Asie, il peut être insultant de donner un pourboire à une personne qui fait son travail.

      encore un cas de mondialisation des pratiques nord-americaines ! sus aux habitus des touristes nordistes !

    • Aux États-Unis, il existe des caisses libre-service dans des aéroports ou des cafés qui vous proposent d’ajouter quelques dollars de plus à votre achat pour pourboire, même si vous n’avez pas eu d’interaction avec un être humain.

  • Le joyeux convoi des opposants aux mégabassines
    Par Vincent Lucchese | 21 août 2023 à 14h58 Mis à jour le 21 août 2023 à 17h40 | Migné-Auxances et Coussay-les-Bois (Vienne), reportage
    https://reporterre.net/Sur-les-routes-les-anti-bassines-font-une-demonstration-de-force-festive

    Dans la joie et applaudis par les passants, les vélos et tracteurs du Convoi de l’eau progressent dans la Vienne. Ces militants opposés aux mégabassines veulent raconter une autre histoire que celle de Sainte-Soline.

    « J’ai eu envie de pleurer hier soir, en lisant tous les témoignages de militants collectés sur le camp. Je ne pensais pas que l’émotion serait si forte ! » Les langues, sur les vélos, se délient vite. Celle de Froufrou est volubile. Étudiant ingénieur agronome à Angers (Maine-et-Loire), le jeune militant est de toutes les luttes. « Ma marraine d’école était Christiane Lambert [l’ancienne présidente de la FNSEA, principal syndicat agricole]. Il fallait voir sa tête quand je lui ai ramené un caillou de Sainte-Soline ! »

    Nous sommes au cœur d’un peloton bariolé qui progresse sur de petites routes départementales au nord de Poitiers, ce matin du dimanche 20 août, dans le cortège « Loutre ». L’un des quatre qui forment le Convoi de l’eau : quelque 700 vélos encadrés d’une vingtaine de tracteurs et camionnettes partis deux jours plus tôt de Lezay, près de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), et qui vise une arrivée à l’Agence de l’eau le 25 août, à Orléans, pour réclamer un moratoire sur tous les projets en cours ou à venir de mégabassines. (...)

    #Convoi_de_l’eau. #Bassines_non_merci #Confédération_paysanne #Les_soulèvements_de_la_Terre

  • Manif(s) à République : Adama non grata et alors ? | Libé | 08.07.23

    https://www.liberation.fr/societe/au-rassemblement-interdit-pour-adama-traore-on-voudrait-nous-empecher-de-

    Reportage. Note : malins les #Révolution_Permanente, c’est du #manifjacking - ou de la #convergence_des_luttes bien menée.

    Au rassemblement interdit pour Adama Traoré : « On voudrait nous empêcher de marcher ? C’est non ». Malgré la décision de la préfecture de Paris, la marche contre les violences policières a bien eu lieu place de la République. Les manifestants, venus de banlieue comme de la capitale, dénoncent une « censure injustifiée ».


    « Ils ne veulent pas entendre nos morts. Mais on va avoir le dernier mot », clame Assa Traoré, place de la République, aux alentours de 15 heures ce samedi. Une marche en l’honneur d’Adama, son frère, décédé à la gendarmerie de Persan après une interpellation en 2016, était initialement prévue dans le Val-d’Oise, avant d’être interdite par la préfecture du département, une interdiction confirmée par la justice administrative vendredi, dans le sillage des émeutes liées à la mort de Nahel M., tué par un policier à Nanterre le 27 juin. En guise de contre-attaque, la militante a publié, vendredi soir, des vidéos sur les réseaux sociaux appelant à un rassemblement sur la place parisienne, elle aussi interdite par les autorités ce samedi matin. Mais cela n’a pas empêché l’événement de se dérouler, et la foule - 2 000 personnes selon l’AFP - de dénoncer les violences policières (les « Acab ! Acab ! » et « Tout le monde déteste la police ! » fusant allégrement). Des « marches citoyennes » contre les violences policières se tenaient en même temps dans plusieurs autres villes de France.

    « Ils verbalisent ceux qui portent des t-shirts Adama. S’attaquer au symbole de notre lutte est une honte », dénonce Assa Traoré. Depuis le début de l’après-midi, gendarmes et policiers traquent les profils susceptibles de participer au rassemblement illégal. C’est le cas d’Issa, vêtu d’un haut « Justice pour Adama ». A peine arrivé, il se voit infliger une amende de 135 euros. Mais cet habitué des marches en mémoire d’Adama ne se laisse pas démonter, il traîne encore un peu. Puis, nouveau contrôle : « Soit vous restez sur place et vous êtes à nouveau verbalisés, soit vous quittez les lieux. » « Mes nerfs sont tendus, peste l’intéressé, retranché dans les sous-sols du métro. Je reviendrai quand il y aura plus de monde. » Philomène, Lisa et Noah, venus au nom de Révolution permanente, ont quant à eux rodé leur stratagème. On leur intime de partir ? « Nous sommes aussi là pour soutenir la Palestine et l’Ukraine », rétorquent-ils, en référence aux deux autres rassemblements prévus, et autorisés, place de la République. Elles ont l’autorisation de rester.

    Pour « la liberté de la démocratie »

    Lorsque les contestataires affluent en masse, les forces de l’ordre réduisent les contrôles. Assa Traoré, postée sur la fontaine, déplore une « liberté de la démocratie » absente et s’oppose à « la police raciste ». A ses côtés, des élus insoumis, parmi lesquels les députés Eric Coquerel, Mathilde Panot ou Louis Boyard. A 15 h 20, la militante du Comité Adama embarque tout le monde le long du boulevard Magenta.

    Certains chantent, d’autres tapent des mains. Sadia, animateur socioculturel venu de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), est ici pour ses enfants : « J’ai vécu des violences policières, mon aîné de 22 ans aussi, mes gosses de 5 et 7 ans vont en vivre… Et on voudrait nous empêcher de marcher ? C’est non. Je serais venu dans le Val-d’Oise si j’avais pu, et je suis là aujourd’hui. » Un peu plus loin, Juliette et Denis, deux voisins du quartier de Belleville, n’avaient pas envisagé de se rendre à Persan. « Là, on était obligés de venir. C’était important pour nous, deux « mines pâles », de montrer qu’on dénonce toute cette censure injustifiée », sourit Juliette.

    En haut du boulevard Magenta, le cortège s’arrête, bloqué par une lignée de CRS. Assa Traoré grimpe sur un abribus et, armée d’un haut-parleur, annonce la fin de la marche : « Vous avez eu le dernier mot, on a marché pour la liberté. » Applaudissements dans tous les sens. Escortée par une dizaine de personnes, elle file ensuite en vitesse. Des CRS la suivent. « Des élus autour d’elle, vite », demande Eric Coquerel, son écharpe tricolore en évidence. Elle est alors récupérée par un scooter. Ouf de soulagement dans son staff. Une procédure judiciaire a été engagée à son encontre pour organisation d’« une manifestation non déclarée ». Son frère, Youssouf Traoré, a quant à lui été interpellé pour « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique ».