• #Productivisme et destruction de l’#environnement : #FNSEA et #gouvernement marchent sur la tête

    Répondre à la #détresse des #agriculteurs et agricultrices est compatible avec le respect de l’environnement et de la #santé_publique, expliquent, dans cette tribune à « l’Obs », les Scientifiques en rébellion, à condition de rejeter les mesures productivistes et rétrogrades du duo FNSEA-gouvernement.

    La #crise de l’agriculture brasse croyances, savoirs, opinions, émotions. Elle ne peut laisser quiconque insensible tant elle renvoie à l’un de nos #besoins_fondamentaux – se nourrir – et témoigne du #désarroi profond d’une partie de nos concitoyen·nes qui travaillent pour satisfaire ce besoin. Reconnaître la #souffrance et le désarroi du #monde_agricole n’empêche pas d’examiner les faits et de tenter de démêler les #responsabilités dans la situation actuelle. Une partie de son #traitement_médiatique tend à faire croire que les agriculteurs et agricultrices parleraient d’une seule voix, celle du président agro-businessman de la FNSEA #Arnaud_Rousseau. Ce directeur de multinationale, administrateur de holding, partage-t-il vraiment la vie de celles et ceux qui ne parviennent plus à gagner la leur par le travail de la terre ? Est-ce que les agriculteur·ices formeraient un corps uniforme, qui valoriserait le productivisme au mépris des #enjeux_environnementaux qu’ils et elles ne comprendraient soi-disant pas ? Tout cela est difficile à croire.

    Ce que la science documente et analyse invariablement, en complément des savoirs et des observations de nombre d’agriculteur·ices, c’est que le #modèle_agricole industriel et productiviste conduit à une #catastrophe sociale et environnementale. Que ce modèle concurrence dangereusement les #alternatives écologiquement et socialement viables. Que cette agriculture ne s’adaptera pas indéfiniment à un environnement profondément dégradé. Qu’elle ne s’adaptera pas à un #réchauffement_climatique de +4 °C pour la France et une ressource en #eau fortement diminuée, pas plus qu’à une disparition des #insectes_pollinisateurs.

    Actuellement, comme le rappelle le Haut Conseil pour le Climat (HCC), l’agriculture représente le deuxième secteur d’émissions de #gaz_à_effet_de_serre, avec 18 % du total français, derrière les transports. La moitié de ces émissions agricoles (en équivalent CO2) provient de l’#élevage_bovin à cause du #méthane produit par leur digestion, 14 % des #engrais_minéraux qui libèrent du #protoxyde_d’azote et 13 % de l’ensemble des #moteurs, #engins et #chaudières_agricoles. Le HCC rappelle aussi que la France s’est engagée lors de la COP26 à baisser de 30 % ses émissions de méthane d’ici à 2030, pour limiter le réchauffement climatique. L’agriculture, bien que répondant à un besoin fondamental, doit aussi revoir son modèle dominant pour répondre aux enjeux climatiques. De ce point de vue, ce qu’indique la science, c’est que, si l’on souhaite faire notre part dans le respect de l’accord de Paris, la consommation de #viande et de #produits_laitiers doit diminuer en France. Mais la solidarité avec nos agriculteur.ices ainsi que l’objectif légitime de souveraineté et #résilience_alimentaire nous indiquent que ce sont les importations et les élevages intensifs de ruminants qui devraient diminuer en premier.

    Côté #biodiversité, la littérature scientifique montre que l’usage des #pesticides est la deuxième cause de l’effondrement des populations d’#insectes, qui atteint 80 % dans certaines régions françaises. Les #oiseaux sont en déclin global de 25 % en quarante ans, mais ce chiffre bondit à 60 % en milieux agricoles intensifs : le printemps est devenu particulièrement silencieux dans certains champs…

    D’autres voies sont possibles

    Le paradoxe est que ces bouleversements environnementaux menacent particulièrement les agriculteur·ices, pour au moins trois raisons bien identifiées. Tout d’abord environnementale, à cause du manque d’eau, de la dégradation des sols, des événements météorologiques extrêmes (incendies ou grêles), ou du déclin des insectes pollinisateurs, qui se traduisent par une baisse de production. Sanitaires, ensuite : par leur exposition aux #produits_phytosanitaires, ils et elles ont plus de risque de développer des #cancers (myélome multiple, lymphome) et des #maladies_dégénératives. Financière enfin, avec l’interminable fuite en avant du #surendettement, provoqué par la nécessité d’actualiser un équipement toujours plus performant et d’acheter des #intrants pour pallier les baisses de production engendrées par la dégradation environnementale.

    Depuis des décennies, les #traités_de_libre-échange et la compétition intra-européenne ont privé la grande majorité des agriculteur·ices de leur #autonomie, dans un cercle vicieux aux répercussions sociales tragiques pouvant mener au #suicide. Si la FNSEA, les #JA, ou la #Coordination_rurale réclament une forme de #protectionnisme_agricole, d’autres de leurs revendications portent en revanche sur une baisse des #contraintes_environnementales et sanitaires qui font porter le risque de la poursuite d’un modèle délétère sur le long terme. Ce sont justement ces revendications que le gouvernement a satisfaites avec, en particulier, la « suspension » du #plan_Ecophyto, accueilli par un satisfecit de ces trois organisations syndicales rappelant immédiatement « leurs » agriculteurs à la ferme. Seule la #Confédération_paysanne refuse ce compromis construit au détriment de l’#écologie.

    Pourtant, des pratiques et des modèles alternatifs existent, réduisant significativement les émissions de gaz à effet de serre et préservant la biodiversité ; ils sont déjà mis en œuvre par des agriculteur·ices qui prouvent chaque jour que d’autres voies sont possibles. Mais ces alternatives ont besoin d’une réorientation des #politiques_publiques (qui contribuent aujourd’hui pour 80 % au #revenu_agricole). Des propositions cohérentes de politiques publiques répondant à des enjeux clés (#rémunération digne des agriculteur·ices non soumis aux trusts’de la grande distribution, souveraineté alimentaire, considérations climatiques et protection de la biodiversité) existent, comme les propositions relevant de l’#agroécologie, qu’elles émanent du Haut Conseil pour le Climat, de la fédération associative Pour une autre PAC, de l’IDDRI, ou encore de la prospective INRAE de 2023 : baisse de l’#élevage_industriel et du cheptel notamment bovin avec soutien à l’#élevage_extensif à l’herbe, généralisation des pratiques agro-écologiques et biologiques basées sur la valorisation de la biodiversité (cultures associées, #agro-foresterie, restauration des #haies favorisant la maîtrise des bio-agresseurs) et arrêt des #pesticides_chimiques_de_synthèse. Ces changements de pratiques doivent être accompagnés de mesures économiques et politiques permettant d’assurer le #revenu des agriculteur·ices, leur #accès_à_la_terre et leur #formation, en cohérence avec ce que proposent des syndicats, des associations ou des réseaux (Confédération paysanne, Atelier paysan, Terre de liens, Fédérations nationale et régionales d’Agriculture biologique, Réseau salariat, …).

    Nous savons donc que les politiques qui maintiennent le #modèle_agro-industriel sous perfusion ne font qu’empirer les choses et qu’une réorientation complète est nécessaire et possible pour la #survie, la #dignité, la #santé et l’#emploi des agriculteur·ices. Nombre d’enquêtes sociologiques indiquent qu’une bonne partie d’entre elles et eux le savent très bien, et que leur détresse témoigne aussi de ce #conflit_interne entre le modèle productiviste qui les emprisonne et la nécessité de préserver l’environnement.

    Une #convention_citoyenne

    Si le gouvernement convient que « les premières victimes du dérèglement climatique sont les agriculteurs », les mesures prises démontrent que la priorité gouvernementale est de sanctuariser le modèle agro-industriel. La remise en cause du plan Ecophyto, et la reprise en main de l’#Anses notamment, sont en totale contradiction avec l’urgence de s’attaquer à la dégradation environnementale couplée à celle des #conditions_de_vie et de travail des agriculteur·ices. Nous appelons les citoyen·nes et les agriculteur·rices à soutenir les changements de politique qui iraient réellement dans l’intérêt général, du climat, de la biodiversité. Nous rappelons que le sujet de l’agriculture et de l’#alimentation est d’une redoutable complexité, et qu’identifier les mesures les plus pertinentes devrait être réalisé collectivement et démocratiquement. Ces mesures devraient privilégier l’intérêt général et à long-terme, par exemple dans le cadre de conventions citoyennes dont les conclusions seraient réellement traduites dans la législation, a contrario a contrario de la précédente convention citoyenne pour le climat.

    https://www.nouvelobs.com/opinions/20240203.OBS84041/tribune-productivisme-et-destruction-de-l-environnement-fnsea-et-gouverne
    #tribune #scientifiques_en_rébellion #agriculture #souveraineté_alimentaire #industrie_agro-alimentaire

  • « Le Conseil constitutionnel n’a jamais défendu les droits des étrangers », Danièle Lochak [Gisti]

    Que peut-on attendre de la saisine actuelle du Conseil constitutionnel à propos de la loi immigration ?

    Danièle Lochak : Il y a trois éléments à prendre en compte. D’abord un élément de contexte général : on ne peut pas attendre grand-chose du Conseil constitutionnel lorsqu’il s’agit des droits des étrangers. Historiquement, à quelques nuances et réserves d’interprétation près, il a toujours validé l’ensemble des mesures votées par le législateur et accompagné sans ciller toutes les évolutions restrictives en la matière.

    Ainsi en matière d’enfermement – ce qu’on appelle aujourd’hui la rétention – le Conseil constitutionnel a d’abord dit en 1980 que sa durée devait être brève et placée sous le contrôle du juge judiciaire, garant de la liberté individuelle. Mais la durée maximale de rétention a été progressivement étendue : de sept jours, elle est passée à dix en 1993, puis douze en 1998, puis 32 en 2003, puis 45 jours en 2011, et enfin, 90 jours en 2018 , sans que le Conseil constitutionnel y trouve à redire.

    Il a affirmé que la lutte contre l’immigration irrégulière participait de la sauvegarde de l’ordre public, dont il a fait un objectif à valeur constitutionnelle. On voit mal, dans ces conditions, comment des mesures qui ont pour objectif proclamé de lutter contre l’immigration irrégulière pourraient être arrêtées par le contrôle de constitutionnalité…

    Autre exemple : en 1993, lors de l’examen de la loi Pasqua, le Conseil constitutionnel a affirmé que les étrangers en situation régulière bénéficient du droit de mener une vie familiale normale. Mais une fois ce principe posé, il n’a censuré aucune mesure restreignant le droit au regroupement familial. Ainsi, même lorsqu’il a rappelé des principes et reconnu que les étrangers devaient bénéficier des garanties constitutionnelles, il a toujours trouvé des aménagements qui ont permis de valider les dispositions législatives restrictives.

    Le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius a tancé le gouvernement, et rappelé que l’institution n’était pas « une chambre d’appel des choix du Parlement ». Le Conseil ne va-t-il pas se montrer plus sévère qu’à l’accoutumée ?

    D. L. : En effet, le deuxième élément qui change la donne est le contexte politique, avec un gouvernement qui annonce d’emblée que certaines dispositions sont contraires à la #Constitution et charge le Conseil constitutionnel de « nettoyer » la loi. C’est bien entendu grotesque : en élaborant la loi, les responsables politiques sont censés respecter la Constitution.

    Surtout, le Rassemblement national (#RN) s’est targué d’une « victoire idéologique ». C’est très habile de sa part. En réalité, voilà quarante ans que l’ombre portée du Front national (RN maintenant) pèse sur la politique d’immigration française. Depuis 1983 et l’élection partielle de Dreux où le #FN, allié à la droite, l’a emporté sur la liste de gauche menée par Françoise Gaspard, la droite court après l’extrême droite, et la gauche, de crainte de paraître laxiste, court après la droite sur les questions d’immigration.

    Hormis quelques lois, dont la loi de 1981 adoptée après l’arrivée de la gauche au pouvoir et celle de 1984 sur la carte de résident, ou encore la loi Joxe de 1989, la politique de la gauche n’a été qu’une suite de renoncements, maintenant l’objectif de « maîtrise des flux migratoires » et de lutte contre l’immigration irrégulière. Il n’y a que sur la nationalité qu’elle n’a jamais cédé.

    Cela étant, la revendication de victoire de la part du RN va probablement inciter le Conseil constitutionnel à invalider un plus grand nombre de dispositions de la loi que d’habitude, même si on ignore lesquelles.

    Dans la saisine du Conseil constitutionnel sont invoqués beaucoup de « cavaliers législatifs », des dispositions qui n’ont pas de rapport avec l’objet du texte. Le garant de la constitutionnalité de la loi va-t-il trouver là des arguments faciles pour censurer certaines dispositions ?

    D. L. : Oui, et c’est le troisième élément à prendre en considération dans les pronostics que l’on peut faire. La présence de nombreux cavaliers législatifs va faciliter la tâche du Conseil constitutionnel, car invalider une disposition pour des raisons procédurales est évidemment plus confortable que de se prononcer sur le fond. Le projet initial portait sur l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Or le texte final, « enrichi » d’une multitude d’amendements, est loin de se limiter à ces questions.

    Le Conseil constitutionnel peut très bien estimer que les dispositions sur la #nationalité, pour ne prendre que cet exemple, qui relèvent du Code civil, sont sans rapport avec l’objet du texte, et les invalider. Alors même qu’en 1993, il avait validé le retour à la manifestation de volonté pour acquérir la nationalité française à partir de 16 ans pour les enfants d’étrangers nés en France, mesure phare de la loi Pasqua1.

    Il peut aussi invoquer « l’incompétence négative », qui désigne le fait pour le Parlement de n’avoir pas précisé suffisamment les termes de certaines dispositions et laissé trop de latitude au gouvernement pour les mettre en œuvre, sans compter les dispositions qui sont manifestement inapplicables tellement elles sont mal conçues.

    Mais si les dispositions sont invalidées sur ce fondement, rien n’empêchera leur retour dans un prochain texte puisque le Conseil constitutionnel aura fait une critique sur la forme et ne se sera pas prononcé sur le fond. Et puis il faut être conscient que, même s’il invalide un plus grand nombre de dispositions que d’habitude, il restera encore suffisamment de mesures iniques qui rendront la vie impossible aux étrangers résidant en France, fût-ce en situation régulière et depuis de très longues années.

    Le Conseil constitutionnel a tout de même consacré le principe de fraternité en 2018, et mis fin – au moins partiellement – au #délit_de_solidarité_ qui punit le fait d’aider les exilés dans un but humanitaire.

    D. L. : Oui, c’est un exemple qu’on met souvent en avant. Le « délit de solidarité » – ce sont les militants qui l’ont nommé ainsi, bien sûr – punit l’aide à l’entrée, au séjour et à la circulation des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français. A l’époque, les avocats du militant Cédric Herrou avaient posé une question prioritaire de constitutionnalité (#QPC) au Conseil constitutionnel en invoquant le principe de fraternité, qui figure dans la devise républicaine.

    Le Conseil constitutionnel a en effet consacré la valeur constitutionnelle du principe de fraternité, et son corollaire, la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour. Mais il a restreint la portée de cette liberté en n’y incluant pas l’aide à l’entrée sur le territoire, alors qu’à la frontière franco-italienne, par exemple, l’aide humanitaire est indispensable.

    Vous dressez un constat pessimiste. Cela vaut-il la peine que les associations continuent à contester les politiques migratoires devant les juges ?

    D. L. : Il faut distinguer les modes d’action. La saisine du Conseil constitutionnel après le vote de la loi est le fait de parlementaires et/ou du gouvernement, ou du président de la République.

    Les membres de la « société civile » (associations, avocats, professeurs de droit…) peuvent déposer des contributions extérieures, qu’on appelle aussi « portes étroites » . Celles-ci n’ont aucune valeur officielle, et le Conseil constitutionnel, même s’il les publie désormais sur son site, n’est obligé ni de les lire, ni de répondre aux arguments qui y sont développés.

    Les saisines officielles ont été accompagnées, cette fois, de très nombreuses portes étroites. Le #Gisti, une association de défense des droits des étrangers créée en 1972 et dont j’ai été la présidente entre 1985 et 2000, a décidé de ne pas s’y associer cette fois-ci, alors qu’il lui était arrivé par le passé d’en rédiger.

    Outre que le Gisti ne fait guère confiance au Conseil constitutionnel pour protéger les droits des étrangers, pour les raisons que j’ai rappelées, l’association a estimé que la seule position politiquement défendable était le rejet de la loi dans sa globalité sans se limiter aux dispositions potentiellement inconstitutionnelles. Elle ne souhaitait pas non plus prêter main-forte à la manœuvre du gouvernement visant à instrumentaliser le contrôle de constitutionnalité à des fins de tactique politicienne.

    Cela ne nous empêchera pas, ultérieurement, d’engager des contentieux contre les #décrets_d’application ou de soutenir les étrangers victimes des mesures prises sur le fondement de cette loi.

    Les associations obtiennent-elles plus de résultats devant le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation ?

    D. L. : Les recours devant le Conseil d’Etat ont été historiquement la marque du Gisti. Il a obtenu quelques beaux succès qui lui ont valu de laisser son nom à des « grands arrêts de la jurisprudence administrative ». Mais ces succès ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt car, dans l’ensemble, ni le #juge_administratif – le plus sollicité – ni le #juge_judiciaire n’ont empêché la dérive constante du droit des étrangers depuis une quarantaine d’années.

    Ils n’ont du reste pas vraiment cherché à le faire. Les juges sont très sensibles aux idées dominantes et, depuis cinquante ans, la nécessité de maîtriser les flux migratoires en fait partie. Dans l’ensemble, le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation (mais le rôle de celle-ci est moindre dans des affaires qui mettent essentiellement en jeu l’administration) ont quand même laissé passer moins de dispositions attentatoires aux droits des étrangers que le Conseil constitutionnel et ont parfois refréné les ardeurs du pouvoir.

    Il est vrai qu’il est plus facile pour le juge administratif d’annuler une décision du gouvernement (un décret d’application, une #circulaire), ou une mesure administrative individuelle que pour le juge constitutionnel d’invalider une loi votée par le parlement.

    Les considérations politiques jouent assurément dans le contentieux administratif – on l’a vu avec l’attitude subtilement équilibrée du Conseil d’Etat face aux dissolutions d’associations ou aux interdictions de manifestations : il a validé la #dissolution du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) et de la (Coordination contre le racisme et l’islamophobie), mais il a annulé celle des Soulèvements de la Terre.

    Ces considérations jouent de façon plus frontale dans le contentieux constitutionnel, devant une instance qui au demeurant, par sa composition, n’a de juridiction que la fonction et craint d’être accusée de chercher à imposer « un gouvernement des juges » qui fait fi de la souveraineté du peuple incarnée par le Parlement.

    En s’en remettant au Conseil constitutionnel et en lui laissant le soin de corriger les dispositions qu’il n’aurait jamais dû laisser adopter, le gouvernement a fait assurément le jeu de la droite et de l’extrême droite qui vont évidemment crier au gouvernement des juges.

    Quelles seront les solutions pour continuer à mener la bataille une fois la loi adoptée ?

    D. L. : Les mêmes que d’habitude ! Le Conseil constitutionnel n’examine pas la conformité des lois au regard des conventions internationales, estimant que ce contrôle appartient à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat. On pourra alors déférer à ce dernier les décrets d’application de la loi.

    Même si ces textes sont conformes aux dispositions législatives qu’ils mettent en œuvre, on pourra tenter de démontrer qu’ils sont en contradiction avec la législation de l’Union européenne, avec des dispositions de la Convention européenne telles qu’elles sont interprétées par la Cour de Strasbourg ou encore de la convention sur les droits de l’enfant.

    Ultérieurement, on pourrait envisager de demander à la Cour européenne des droits de l’homme la condamnation de la France. Mais on ne peut le faire qu’à l’occasion d’une affaire individuelle, après « épuisement » de tous les recours internes. Donc dans très longtemps.

    https://www.alternatives-economiques.fr/daniele-lochak-conseil-constitutionnel-na-jamais-defendu-droi/00109322

    (sauf pour les questions et la mention D.L., le graissage m’est dû)

    #loi_Immigration #xénophobie_d'État #étrangers #droit_du_séjour #lutte_contre_l’immigration_irrégulière #regroupement_familial #carte_de_résident #droit_du_sol #acquisition_de_la_nationalité #rétention #droit_des_étrangers #contentieux_administratif #Conseil_constitutionnel #Conseil_d'État #jurisprudence #jurisprudence_administrative #Cour_de_cassation #CEDH #conventions_internationales #Convention_européenne #convention_sur_les_droits_de_l’enfant

  • Blinne Ní Ghrálaigh: Lawyer’s closing statement in ICJ case against Israel praised

    This was the powerful closing statement in South Africa’s genocide case against Israel.

    Senior advocate #Blinne_Ní_Ghrálaigh addressed the International Court of Justice on day one of the hearing.

    ICJ: Blinne Ní Ghrálaigh’s powerful closing statement in South Africa case against Israel
    https://www.youtube.com/watch?v=ttrJd2aWF-Y&embeds_referring_euri=https%3A%2F%2Fwww.thenational.sco

    https://www.thenational.scot/news/24042943.blinne-ni-ghralaigh-lawyers-closing-statement-icj-case-israel

    #Cour_internationale_de_justice (#CIJ) #Israël #Palestine #Afrique_du_Sud #justice #génocide

    • Israël commet-il un génocide à #Gaza ? Le compte rendu d’une #audience historique

      Alors que les massacres israéliens à Gaza se poursuivent, l’Afrique du Sud a tenté de démontrer, jeudi 11 et vendredi 12 janvier devant la justice onusienne, qu’un génocide est en train d’être commis par Israël à Gaza.

      « Une #calomnie », selon l’État hébreu.

      Devant le palais de la Paix de #La_Haye (Pays-Bas), la bataille des #mots a commencé avant même l’audience. Jeudi 11 janvier au matin, devant la #Cour_de_justice_internationale_des_Nations_unies, des manifestants propalestiniens ont exigé un « cessez-le-feu immédiat » et dénoncé « l’#apartheid » en cours au Proche-Orient. Face à eux, des familles d’otages israélien·nes ont montré les photos de leurs proches kidnappés le 7 octobre par le Hamas.

      Pendant deux jours, devant 17 juges internationaux, alors que les massacres israéliens à Gaza continuent de tuer, de déplacer et de mutiler des civils palestiniens (à 70 % des femmes et des enfants, selon les agences onusiennes), le principal organe judiciaire des Nations unies a examiné la requête, précise et argumentée, de l’Afrique du Sud, destinée à imposer au gouvernement israélien des « #mesures
      _conservatoires » pour prévenir un génocide de la population palestinienne de Gaza.

      La première et plus urgente de ces demandes est l’arrêt immédiat des #opérations_militaires israéliennes à Gaza. Les autres exigent des mesures urgentes pour cesser les tueries, les déplacements de population, faciliter l’accès à l’eau et à la nourriture, et prévenir tout génocide.

      La cour a aussi entendu les arguments d’Israël, qui nie toute #intention_génocidaire et a martelé son « #droit_à_se_défendre, reconnu par le droit international ».

      L’affaire ne sera pas jugée sur le fond avant longtemps. La décision sur les « mesures conservatoires », elle, sera rendue « dès que possible », a indiqué la présidente de la cour, l’États-Unienne #Joan_Donoghue.

      Rien ne dit que les 17 juges (dont un Sud-Africain et un Israélien, Aharon Barak, ancien juge de la Cour suprême israélienne, de réputation progressiste mais qui n’a jamais critiqué la colonisation israélienne) donneront raison aux arguments de l’Afrique du Sud, soutenue dans sa requête par de nombreux États du Sud global. Et tout indique qu’une décision sanctionnant Israël serait rejetée par un ou plusieurs #vétos au sein du #Conseil_de_sécurité des Nations unies.

      Cette #audience solennelle, retransmise sur le site de l’ONU (revoir les débats du jeudi 11 et ceux du vendredi 12), et relayée par de nombreux médias internationaux, a pourtant revêtu un caractère extrêmement symbolique, où se sont affrontées deux lectures radicalement opposées de la tragédie en cours à Gaza.

      « Israël a franchi une limite »

      Premier à prendre la parole, l’ambassadeur sud-africain aux Pays-Bas, #Vusi_Madonsela, a d’emblée replacé « les actes et omissions génocidaires commis par l’État d’Israël » dans une « suite continue d’#actes_illicites perpétrés contre le peuple palestinien depuis 1948 ».

      Face aux juges internationaux, il a rappelé « la Nakba du peuple palestinien, conséquence de la #colonisation_israélienne qui a [...] entraîné la #dépossession, le #déplacement et la #fragmentation systématique et forcée du peuple palestinien ». Mais aussi une « #occupation qui perdure depuis cinquante-six ans, et le siège de seize ans imposé [par Israël] à la bande de Gaza ».

      Il a décrit un « régime institutionnalisé de lois, de politiques et de pratiques discriminatoires, mises en place [par Israël – ndlr] pour établir sa #domination et soumettre le peuple palestinien à un apartheid », dénonçant des « décennies de violations généralisées et systématiques des #droits_humains ».

      « En tendant la main aux Palestiniens, nous faisons partie d’une seule humanité », a renchéri le ministre de la justice sud-africain, #Ronald_Ozzy_Lamola, citant l’ancien président Nelson Mandela, figure de la lutte contre l’apartheid dans son pays.

      D’emblée, il a tenté de déminer le principal argument du gouvernement israélien, selon lequel la procédure devant la Cour internationale de justice est nulle et non avenue, car Israël mènerait une #guerre_défensive contre le #Hamas, au nom du #droit_à_la_légitime_défense garanti par l’article 51 de la charte des Nations unies – un droit qui, selon la Cour internationale de justice, ne s’applique pas aux #Territoires_occupés. « Gaza est occupée. Israël a gardé le contrôle de Gaza. [...] Ses actions renforcent son occupation : la légitime défense ne s’applique pas », insistera un peu plus tard l’avocat Vaughan Lowe.

      « L’Afrique du Sud, affirme le ministre sud-africain, condamne de manière catégorique la prise pour cibles de civils par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens le 7 octobre 2023. Cela étant dit, aucune attaque armée contre le territoire d’un État, aussi grave soit-elle, même marquée par la commission des #crimes atroces, ne saurait constituer la moindre justification ni le moindre prétexte, pour se rendre coupable d’une violation, ni sur le plan juridique ni sur le plan moral », de la #convention_des_Nations_unies_pour_la_prévention_et_la_répression_du_crime_de_génocide, dont est accusé l’État hébreu.

      « La réponse d’Israël à l’attaque du 7 octobre, a-t-il insisté, a franchi cette limite. »

      Un « génocide » au caractère « systématique »

      #Adila_Hassim, principale avocate de l’Afrique du Sud, s’est évertuée à démontrer méthodiquement comment Israël a « commis des actes relevant de la définition d’#actes_de_génocide », dont elle a martelé le caractère « systématique ».

      « Les Palestiniens sont tués, risquent la #famine, la #déshydratation, la #maladie, et ainsi la #mort, du fait du siège qu’Israël a organisé, de la #destruction des villes, d’une aide insuffisante autorisée à atteindre la population, et de l’impossibilité à distribuer cette maigre aide sous les #bombardements incessants, a-t-elle énuméré. Tout ceci rend impossible d’avoir accès aux éléments essentiels de la vie. »

      Adila Hassim s’est attelée à démontrer en quoi la #guerre israélienne cochait les cases du génocide, tel qu’il est défini à l’article 2 de la convention onusienne : « Des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. »

      Le « meurtre des membres du groupe », premier élément du génocide ? Adila Hassim évoque le « meurtre de masse des Palestiniens », les « 23 000 victimes dont 70 % sont des femmes ou des enfants », et « les 7 000 disparus, présumés ensevelis sous les décombres ». « Il n’y a pas de lieu sûr à Gaza », dit-elle, une phrase empruntée aux responsables de l’ONU, répétée de nombreuses fois par la partie sud-africaine.

      Hasssim dénonce « une des campagnes de bombardement les plus lourdes dans l’histoire de la guerre moderne » : « 6 000 bombes par semaine dans les trois premières semaines », avec des « #bombes de 900 kilos, les plus lourdes et les plus destructrices », campagne qui vise habitations, abris, écoles, mosquées et églises, dans le nord et le sud de la bande de Gaza, camps de réfugié·es inclus.

      « Les Palestiniens sont tués quand ils cherchent à évacuer, quand ils n’ont pas évacué, quand ils ont pris la #fuite, même quand ils prennent les itinéraires présentés par Israël comme sécurisés. (...) Des centaines de familles plurigénérationelles ont été décimées, personne n’ayant survécu (...) Personne n’est épargné, pas même les nouveau-nés (...) Ces massacres ne sont rien de moins que la #destruction_de_la_vie_palestinienne, infligée de manière délibérée. » Selon l’avocate, il existe bien une #intention_de_tuer. « Israël, dit-elle, sait fort bien combien de civils perdent leur vie avec chacune de ces bombes. »

      L’« atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe », et la « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle », autres éléments constitutifs du génocide ? Adila Hassim évoque « la mort et la #mutilation de 60 000 Palestiniens », les « civils palestiniens arrêtés et emmenés dans une destination inconnue », et détaille le « #déplacement_forcé de 85 % des Palestiniens de Gaza » depuis le 13 octobre, sans retour possible pour la plupart, et qui « répète une longue #histoire de #déplacements_forcés de masse ».

      Elle accuse Israël de « vise[r] délibérément à provoquer la faim, la déshydratation et l’inanition à grande échelle » (93 % de la population souffrent d’un niveau critique de faim, selon l’Organisation mondiale de la santé), l’aide empêchée par les bombardements et qui « ne suffit tout simplement pas », l’absence « d’eau propre », le « taux d’épidémies et de maladies infectieuses qui s’envole », mais aussi « les attaques de l’armée israélienne prenant pour cible le système de santé », « déjà paralysé par des années de blocus, impuissant face au nombre de blessures ».

      Elle évoque de nombreuses « naissances entravées », un autre élément constitutif du génocide.

      « Les génocides ne sont jamais annoncés à l’avance, conclut-elle. Mais cette cour a devant elle 13 semaines de #preuves accumulées qui démontrent de manière irréfutable l’existence d’une #ligne_de_conduite, et d’#intentions qui s’y rapportent, justifiant une allégation plausible d’actes génocidaires. »

      Une « #déshumanisation_systématique » par les dirigeants israéliens

      Un autre avocat s’avance à la barre. Après avoir rappelé que « 1 % de la population palestinienne de Gaza a été systématiquement décimée, et qu’un Gazaoui sur 40 a été blessé depuis le 7 octobre », #Tembeka_Ngcukaitobi décortique les propos des autorités israéliennes.

      « Les dirigeants politiques, les commandants militaires et les représentants de l’État d’Israël ont systématiquement et explicitement exprimé cette intention génocidaire, accuse-t-il. Ces déclarations sont ensuite reprises par des soldats, sur place à Gaza, au moment où ils anéantissent la population palestinienne et l’infrastructure de Gaza. »

      « L’intention génocidaire spécifique d’Israël, résume-t-il, repose sur la conviction que l’ennemi n’est pas simplement le Hamas, mais qu’il est à rechercher au cœur même de la société palestinienne de Gaza. »

      L’avocat multiplie les exemples, encore plus détaillés dans les 84 pages de la requête sud-africaine, d’une « intention de détruire Gaza aux plus hauts rangs de l’État » : celle du premier ministre, #Benyamin_Nétanyahou, qui, à deux reprises, a fait une référence à #Amalek, ce peuple que, dans la Bible (I Samuel XV, 3), Dieu ordonne d’exterminer ; celle du ministre de la défense, qui a comparé les Palestiniens à des « #animaux_humains » ; le président israélien #Isaac_Herzog, qui a jugé « l’entièreté de la nation » palestinienne responsable ; celle du vice-président de la Knesset, qui a appelé à « l’anéantissement de la bande de Gaza » (des propos condamnés par #Nétanyahou) ; ou encore les propos de nombreux élus et députés de la Knesset appelant à la destruction de Gaza.

      Une « déshumanisation systématique », dans laquelle les « civils sont condamnés au même titre que le Hamas », selon Tembeka Ngcukaitobi.

      « L’intention génocidaire qui anime ces déclarations n’est nullement ambiguë pour les soldats israéliens sur le terrain : elle guide leurs actes et leurs objectifs », poursuit l’avocat, qui diffuse devant les juges des vidéos où des soldats font eux aussi référence à Amalek, « se filment en train de commettre des atrocités contre les civils à Gaza à la manière des snuff movies », ou écoutent un réserviste de 95 ans les exhorter à « tirer une balle » sur leur « voisin arabe » et les encourager à une « destruction totale ».

      L’avocat dénonce le « manquement délibéré de la part du gouvernement à son obligation de condamner, de prévenir et de réprimer une telle incitation au génocide ».

      Après une plaidoirie technique sur la capacité à agir de l’Afrique du Sud, #John_Dugard insiste : « Gaza est devenu un #camp_de_concentration où un génocide est en cours. »

      L’avocat sud-africain #Max_du_Plessis exhorte la cour à agir face à Israël, qui « depuis des années (...) s’estime au-delà et au-dessus de la loi », une négligence du droit rendue possible par l’#indifférence de la communauté internationale, qui a su, dans d’autres conflits (Gambie, Bosnie, Ukraine) décider qu’il était urgent d’agir.

      « Gaza est devenu inhabitable », poursuit l’avocate irlandaise #Blinne_Ni_Ghralaigh. Elle énumère d’autres chiffres : « Au rythme actuel », égrène-t-elle, « 247 Palestiniens tués en moyenne chaque jour », dont « 48 mères » et « plus de 117 enfants », et « 629 blessés ». Elle évoque ces enfants dont toute la famille a été décimée, les secouristes, les enseignants, les universitaires et les journalistes tués dans des proportions historiques.

      « Il s’agit, dit-elle, du premier génocide de l’Histoire dont les victimes diffusent leur propre destruction en temps réel, dans l’espoir vain que le monde fasse quelque chose. » L’avocate dévoile à l’écran les derniers mots du docteur #Mahmoud_Abu_Najela (Médecins sans frontières), tué le 23 novembre à l’hôpital Al-Awda, écrits au feutre sur un tableau blanc : « À ceux qui survivront. Nous avons fait ce que nous pouvons. Souvenez-vous de nous. »

      « Le monde, conclut Blinne Ni Ghralaigh, devrait avoir #honte. »

      La réponse d’Israël : une « calomnie »

      Vendredi 12 janvier, les représentants d’Israël se sont avancés à la barre. Leur argumentation a reposé sur deux éléments principaux : un, la Cour internationale de justice n’a pas à exiger de « mesures conservatoires » car son armée ne commet aucun génocide ; deux, si génocide il y a, il a été commis par le Hamas le 7 octobre 2023.

      Premier à prendre la parole, #Tal_Becker, conseiller juridique du ministère des affaires étrangères israélien, invoque l’Histoire, et le génocide infligé aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, « le meurtre systématique de 6 millions de juifs dans le cadre d’une destruction totale ».

      « Israël, dit-il, a été un des premiers États à ratifier la convention contre le génocide. » « Pour Israël, insiste-t-il, “#jamais_plus” n’est pas un slogan, c’est une #obligation_morale suprême. »

      Dans « une époque où on fait bon marché des mots, à l’heure des politiques identitaires et des réseaux sociaux », il dénonce une « #instrumentalisation » de la notion de génocide contre Israël.

      Il attaque une présentation sud-africaine « totalement dénaturée des faits et du droit », « délibérément manipulée et décontextualisée du conflit actuel », qualifiée de « calomnie ».

      Alors que les avocats sud-africains avaient expliqué ne pas intégrer les massacres du Hamas dans leur requête devant la justice onusienne, car « le Hamas n’est pas un État », Tal Becker estime que l’Afrique du Sud « a pris le parti d’effacer l’histoire juive et tout acte ou responsabilité palestiniens », et que les arguments avancés « ne se distinguent guère de ceux opposés par le Hamas dans son rejet d’Israël ». « L’Afrique du Sud entretient des rapports étroits avec le Hamas » et le « soutient », accuse-t-il.

      « C’est une guerre qu’Israël n’a pas commencée », dit-il en revenant longuement, images et enregistrements à l’appui, sur les atrocités commises par le Hamas et d’autres groupes palestiniens le 7 octobre, « le plus important massacre de juifs en un jour depuis la #Shoah ».

      « S’il y a eu des actes que l’on pourrait qualifier de génocidaires, [ils ont été commis] contre Israël », dit-il, évoquant le « #programme_d’annihilation » des juifs par le Hamas. « Israël ne veut pas détruire un peuple, poursuit-il. Mais protéger un peuple : le sien. »

      Becker salue les familles d’otages israéliens présentes dans la salle d’audience, et montre certains visages des 130 personnes kidnappées dont le pays est toujours sans nouvelle. « Y a-t-il une raison de penser que les personnes que vous voyez à l’écran ne méritent pas d’être protégées ? », interroge-t-il.

      Pour ce représentant de l’État israélien, la demande sud-africaine de mesures conservatoires revient à priver le pays de son droit à se défendre.

      « Israël, poursuit-il, se défend contre le Hamas, le Djihad palestinien et d’autres organisations terroristes dont la brutalité est sans limite. Les souffrances sont tragiques, sont déchirantes. Les conséquences sont parfaitement atroces pour les civils du fait du comportement du Hamas, qui cherche à maximiser les pertes de civils alors qu’Israël cherche à les minorer. »

      Becker s’attarde sur la « #stratégie_méprisable » du Hamas, une « méthode de guerre intégrée, planifiée, de grande ampleur et odieuse ». Le Hamas, accuse-t-il, « a, de manière systématique, fondu ses opérations militaires au sein de zones civiles densément peuplées », citant écoles, mosquées et hôpitaux, des « milliers de bâtiments piégés » et « utilisés à des fins militaires ».

      Le Hamas « a fait entrer une quantité innombrable d’armes, a détourné l’aide humanitaire ». Remettant en cause le chiffre « non vérifié » de 23 000 victimes (pourtant confirmé par les Nations unies), Tal Becker estime que de nombreuses victimes palestiniennes sont des « militants » qui ont pu prendre « une part directe aux hostilités ». « Israël respecte le droit », martèle-t-il. « Si le Hamas abandonne cette stratégie, libère les otages, hostilités et violences prendront fin. »

      Ponte britannique du droit, spécialiste des questions juridiques liées aux génocides, #Malcom_Shaw embraie, toujours en défense d’Israël. Son discours, technique, est parfois interrompu. Il se perd une première fois dans ses notes, puis soupçonne un membre de son équipe d’avoir « pris [sa] #plaidoirie pour un jeu de cartes ».

      Shaw insiste : « Un conflit armé coûte des vies. » Mais Israël, dit-il, « a le droit de se défendre dans le respect du #droit_humanitaire », citant à l’audience les propos de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le 19 octobre 2023. Il poursuit : « L’#usage_de_la_force ne peut constituer en soi un acte génocidaire. » « Israël, jure-t-il, ne cible que les cibles militaires, et ceci de manière proportionnée dans chacun des cas. »

      « Peu d’éléments démontrent qu’Israël a eu, ou a, l’intention de détruire tout ou partie du peuple palestinien », plaide-t-il. Shaw estime que nombre de propos tenus par des politiciens israéliens ne doivent pas être pris en compte, car ils sont « pris au hasard et sont sortis de leur contexte », parce qu’ils témoignent d’une « #détresse » face aux massacres du 7 octobre, et que ceux qui les ont prononcés n’appartiennent pas aux « autorités pertinentes » qui prennent les décisions militaires, à savoir le « comité ministériel chargé de la sécurité nationale » et le « cabinet de guerre ».

      Pour étayer son argumentation, Shaw cite des directives (non publiques) de Benyamin Nétanyahou destinées, selon lui, à « éviter un désastre humanitaire », à proposer des « solutions pour l’approvisionnement en eau », « promouvoir la construction d’hôpitaux de campagne au sud de la bande de Gaza » ; les déclarations publiques de Benyamin Nétanyahou à la veille de l’audience (« Israël n’a pas l’intention d’occuper de façon permanente la bande de Gaza ou de déplacer sa population civile ») ; d’autres citations du ministre de la défense qui assure ne pas s’attaquer au peuple palestinien dans son ensemble.

      « La requête de l’Afrique du Sud brosse un tableau affreux, mais incomplet et profondément biaisé », renchérit #Galit_Rajuan, conseillère au ministère de la justice israélien, qui revient longuement sur les #responsabilités du Hamas, sa stratégie militaire au cœur de la population palestinienne. « Dans chacun des hôpitaux que les forces armées israéliennes ont fouillés à Gaza, elles ont trouvé des preuves d’utilisation militaire par le Hamas », avance-t-elle, des allégations contestées.

      « Certes, des dommages et dégâts ont été causés par les hostilités dans les hôpitaux, parfois par les forces armées israéliennes, parfois par le Hamas, reconnaît-elle, mais il s’agit des conséquences de l’utilisation odieuse de ces hôpitaux par le Hamas. »

      Rajuan martèle enfin qu’Israël cherche à « atténuer les dommages causés aux civils » et à « faciliter l’aide humanitaire ». Des arguments connus, que de très nombreuses ONG, agences des Nations unies et journalistes gazaouis présents sur place réfutent régulièrement, et que les journalistes étrangers ne peuvent pas vérifier, faute d’accès à la bande de Gaza.

      https://www.mediapart.fr/journal/international/120124/israel-commet-il-un-genocide-gaza-le-compte-rendu-d-une-audience-historiqu

    • Gaza, l’accusa di genocidio a Israele e la credibilità del diritto internazionale

      Il Sudafrica ha chiesto l’intervento della Corte internazionale di giustizia dell’Aja per presunte violazioni di Israele della Convenzione sul genocidio del 1948. Triestino Mariniello, docente di Diritto penale internazionale alla John Moores University di Liverpool, presente alla storica udienza, aiuta a comprendere il merito e le prospettive

      “Quello che sta succedendo all’Aja ha un significato che va oltre gli eventi in corso nella Striscia di Gaza. Viviamo un momento storico in cui la Corte internazionale di giustizia (Icj) ha anche la responsabilità di confermare se il diritto internazionale esiste ancora e se vale alla stessa maniera per tutti i Paesi, del Nord e del Sud del mondo”. A parlare è Triestino Mariniello, docente di Diritto penale internazionale alla John Moores University di Liverpool, già nel team legale delle vittime di Gaza di fronte alla Corte penale internazionale (Icc), che ha sede sempre all’Aja.

      Non vanno confuse: l’aula di tribunale ripresa dalle tv di tutto il mondo l’11 e il 12 gennaio scorsi, infatti, con il team legale sudafricano schierato contro quello israeliano, è quella della Corte internazionale di giustizia, il massimo organo giudiziario delle Nazioni Unite, che si esprime sulle controversie tra Stati. L’Icc, invece, è indipendente e legifera sulle responsabilità penali individuali.

      Il 29 dicembre scorso il Sudafrica ha chiesto l’intervento della prima per presunte violazioni da parte di Israele della Convenzione sul genocidio del 1948, nei confronti dei palestinesi della Striscia di Gaza. Un’udienza storica a cui Mariniello era presente.

      Professore, qual era innanzi tutto l’atmosfera?
      TM A mia memoria mai uno strumento del diritto internazionale ha avuto tanto sostegno e popolarità. C’erano centinaia, probabilmente migliaia di persone all’esterno della Corte, emittenti di tutto il mondo e apparati di sicurezza, inclusi droni ed elicotteri. Sentire anche le tv più conservatrici, come quelle statunitensi, parlare di Palestina e genocidio faceva comprendere ancora di più l’importanza storica dell’evento.

      In estrema sintesi, quali sono gli elementi più importanti della tesi sudafricana?
      TM Il Sudafrica sostiene che Israele abbia commesso atti di genocidio contro la popolazione di Gaza, ciò significa una serie di azioni previste dall’articolo 2 della Convenzione sul genocidio, effettuate con l’intento di distruggere del tutto o in parte un gruppo protetto, in questo caso i palestinesi di Gaza. Questi atti, per il Sudafrica, sono omicidi di massa, gravi lesioni fisiche o mentali e l’imposizione di condizioni di vita volte a distruggere i palestinesi, come l’evacuazione forzata di circa due milioni di loro, la distruzione di quasi tutto il sistema sanitario della Striscia, l’assedio totale all’inizio della guerra e la privazione di beni essenziali per la sopravvivenza. Ciò che caratterizza un genocidio rispetto ad altri crimini internazionali è il cosiddetto “intento speciale”, la volontà cioè di voler distruggere del tutto o in parte un gruppo protetto. È l’elemento più difficile da provare, ma credo che il Sudafrica in questo sia riuscito in maniera solida e convincente. Sia in aula sia all’interno della memoria di 84 pagine presentata, vi sono, infatti, una serie di dichiarazioni dei leader politici e militari israeliani, che proverebbero tale intento. Come quella del premier Benjamin Netanyahu che, a inizio guerra, ha invocato la citazione biblica di Amalek, che sostanzialmente significa: “Uccidete tutti gli uomini, le donne, i bambini e gli animali”. O una dichiarazione del ministro della Difesa, Yoav Gallant, che ha detto che a Gaza sono tutti “animali umani”. Queste sono classiche dichiarazioni deumanizzanti e la deumanizzazione è un passaggio caratterizzante tutti i genocidi che abbiamo visto nella storia dell’umanità.

      Qual è stata invece la linea difensiva israeliana?
      TM Diciamo che l’impianto difensivo di Israele è basato su tre pilastri: il fatto che quello di cui lo si accusa è stato eseguito da Hamas il 7 ottobre; il concetto di autodifesa, cioè che quanto fatto a Gaza è avvenuto in risposta a tale attacco e, infine, che sono state adottate una serie di precauzioni per limitare l’impatto delle ostilità sulla popolazione civile. Israele, inoltre, ha sollevato il tema della giurisdizione della Corte, mettendola in discussione, in quanto non vi sarebbe una disputa in corso col Sudafrica. Su questo la Corte si dovrà pronunciare, ma a tal proposito è stato ricordato come Israele sia stato contattato dal Sudafrica in merito all’accusa di genocidio e non abbia risposto. Questo, per l’accusa, varrebbe come disputa in corso.

      Che cosa chiede il Sudafrica?
      TM In questo momento l’accusa non deve dimostrare che sia stato commesso un genocidio, ma che sia plausibile. Questa non è un’udienza nel merito, siamo in una fase d’urgenza, ma di richiesta di misure cautelari. Innanzitutto chiede il cessate fuoco, poi la rescissione di tutti gli ordini che possono costituire atti di genocidio. Si domanda alla Corte di imporre un ordine a Israele per preservare tutte le prove che potrebbero essere utili per indagini future e di porre fine a tutti gli atti di cui il Sudafrica lo ritiene responsabile.

      Come valuta le due memorie?
      TM La deposizione del Sudafrica è molto solida e convincente, sia in merito agli atti genocidi sia all’intento genocidiario. E credo che anche alla luce dei precedenti della Corte lasci veramente poco spazio di manovra. Uno dei punti di forza è che fornisce anche una serie di prove in merito a quello che è successo e che sta accadendo a Gaza: le dichiarazioni dei politici israeliani, cioè, hanno ricevuto un’implementazione sul campo. Sono stati mostrati dei video di militari, ad esempio, che invocavano Amalek, la citazione di Netanyahu.

      In realtà il Sudafrica non si limita allo scontro in atto, ma parla di una sorta Nakba (l’esodo forzato dei palestinesi) ininterrotto.
      TM Ogni giurista dovrebbe sempre analizzare qualsiasi ostilità all’interno di un contesto e per questo il Sudafrica fa riferimento a 75 anni di Nakba, a 56 di occupazione militare israeliana e a 16 anni di assedio della Striscia.

      Come valuta la difesa israeliana?
      TM Come detto, tutto viene ricondotto all’attacco di Hamas del 7 ottobre e a una risposta di autodifesa rispetto a tale attacco. Ma esiste sempre un contesto per il diritto penale internazionale e l’autodifesa -che per uno Stato occupante non può essere invocata- non può comunque giustificare un genocidio. L’altro elemento sottolineato dal team israeliano, delle misure messe in atto per ridurre l’impatto sui civili, è sembrato più retorico che altro: quanto avvenuto negli ultimi tre mesi smentisce tali dichiarazioni. Basti pensare alla privazione di beni essenziali e a tutte le informazioni raccolte dalle organizzazioni internazionali e dagli organismi delle Nazioni Unite. A Gaza non esistono zone sicure, ci sono stati casi in cui la popolazione evacuata, rifugiatasi nelle zone indicate da Israele, è stata comunque bombardata.

      Ora che cosa pensa succederà?
      TM La mia previsione è che la Corte si pronuncerà sulle misure cautelari entro la fine di gennaio e l’inizio di febbraio, quando alcuni giudici decadranno e saranno sostituiti. In alcuni casi ha impiegato anche solo otto giorni per pronunciarsi. Ora ci sono delle questioni procedurali, altri Stati stanno decidendo di costituirsi a sostegno di Israele o del Sudafrica.

      Che cosa implica tale sostegno?
      TM La possibilità di presentare delle memorie. La Germania sosterrà Israele, il Brasile, i Paesi della Lega Araba, molti Stati sudamericani, ma non solo, si stanno schierando con il Sudafrica.

      Il ministro degli Esteri italiano, Antonio Tajani, ha dichiarato che non si tratta di genocidio.
      TM L’Italia non appoggerà formalmente Israele dinnanzi all’Icj. La Francia sarà neutrale. I Paesi del Global South stanno costringendo quelli del Nord a verificare la credibilità del diritto internazionale: vale per tutti o è un diritto à la carte?

      Se la Corte decidesse per il cessate il fuoco, quali sarebbero le conseguenze, visto che non ha potere politico?
      TM Il parere della Corte è giuridicamente vincolante. Il problema è effettivamente di esecuzione: nel caso di un cessate il fuoco, se non fosse Israele ad attuarlo, dovrebbe intervenire il Consiglio di sicurezza.

      Con il rischio del veto statunitense.
      TM Siamo sul terreno delle speculazioni, ma se la Corte dovesse giungere alla conclusione che Israele è responsabile di un genocidio a Gaza, onestamente riterrei molto difficile un altro veto degli Stati Uniti. È difficile al momento prevedere gli effetti dirompenti di un’eventuale decisione positiva della Corte. Certo è che, quando si parla di Israele, la comunità internazionale, nel senso dei Paesi occidentali, ha creato uno stato di eccezione, che ha sempre posto Israele al di sopra del diritto internazionale, senza rendersi conto che le situazioni violente che viviamo in quel contesto sono il frutto di questo eccezionalismo anche a livello giuridico. Fino a quando si andrà avanti con questo contesto di impunità non finiranno le spirali di violenza.

      https://altreconomia.it/gaza-laccusa-di-genocidio-a-israele-e-la-credibilita-del-diritto-intern

    • La Cour internationale de justice ordonne à Israël d’empêcher un génocide à Gaza

      Selon la plus haute instance judiciaire internationale, « il existe un #risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé » aux Palestiniens de Gaza. La Cour demande à Israël de « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission […] de tout acte » de génocide. Mais n’appelle pas au cessez-le-feu.

      Même si elle n’a aucune chance d’être appliquée sur le terrain, la #décision prise vendredi 26 janvier par la plus haute instance judiciaire des Nations unies marque incontestablement un tournant dans la guerre au Proche-Orient. Elle intervient après quatre mois de conflit déclenché par l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, qui a fait plus de 1 200 morts et des milliers de blessés, conduit à la prise en otage de 240 personnes, et entraîné l’offensive israélienne dans la bande de Gaza, dont le dernier bilan s’élève à plus de 25 000 morts.

      La Cour internationale de justice (CIJ), basée à La Haye (Pays-Bas), a expliqué, par la voix de sa présidente, la juge Joan Donoghue, « être pleinement consciente de l’ampleur de la #tragédie_humaine qui se joue dans la région et nourri[r] de fortes #inquiétudes quant aux victimes et aux #souffrances_humaines que l’on continue d’y déplorer ». Elle a ordonné à Israël de « prendre toutes les #mesures en son pouvoir pour prévenir la commission à l’encontre des Palestiniens de Gaza de tout acte » de génocide.

      « Israël doit veiller avec effet immédiat à ce que son armée ne commette aucun des actes » de génocide, affirme l’#ordonnance. Elle « considère également qu’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ».

      La cour de La Haye, saisie à la suite d’une plainte de l’Afrique du Sud, demande « en outre » à l’État hébreu de « prendre sans délai des #mesures_effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’#aide_humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».

      Enfin, l’ordonnance de la CIJ ordonne aux autorités israéliennes de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des #éléments_de_preuve relatifs aux allégations d’actes » de génocide.

      La juge #Joan_Donoghue, qui a donné lecture de la décision, a insisté sur son caractère provisoire, qui ne préjuge en rien de son futur jugement sur le fond des accusations d’actes de génocide. Celles-ci ne seront tranchées que dans plusieurs années, après instruction.

      La cour « ne peut, à ce stade, conclure de façon définitive sur les faits » et sa décision sur les #mesures_conservatoires « laisse intact le droit de chacune des parties de faire valoir à cet égard ses moyens » en vue des audiences sur le fond, a-t-elle poursuivi.

      Elle considère cependant que « les faits et circonstances » rapportés par les observateurs « suffisent pour conclure qu’au moins certains des droits » des Palestiniens sont mis en danger et qu’il existe « un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé ».

      Environ 70 % de #victimes_civiles

      La CIJ avait été saisie le 29 décembre 2023 par l’Afrique du Sud qui, dans sa requête, accuse notamment Israël d’avoir violé l’article 2 de la Convention de 1948 sur le génocide, laquelle interdit, outre le meurtre, « l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe » visé par le génocide, l’imposition de « conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle » ou encore les « mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ».

      Le recours décrit longuement une opération militaire israélienne qualifiée d’« exceptionnellement brutale », « tuant des Palestiniens à Gaza, incluant une large proportion de femmes et d’enfants – pour un décompte estimé à environ 70 % des plus de 21 110 morts [au moment de la rédaction du recours par l’Afrique du Sud – ndlr] –, certains d’entre eux apparaissant avoir été exécutés sommairement ».

      Il soulignait également les conséquences humanitaires du déplacement massif des populations et de la destruction massive de logements et d’équipements publics, dont des écoles et des hôpitaux.

      Lors des deux demi-journées d’audience, jeudi 11 et vendredi 12 janvier, le conseiller juridique du ministère des affaires étrangères israélien, Tal Becker, avait dénoncé une « instrumentalisation » de la notion de génocide et qualifié l’accusation sud-africaine de « calomnie ».

      « C’est une guerre qu’Israël n’a pas commencée », avait poursuivi le représentant israélien, affirmant que « s’il y a eu des actes que l’on pourrait qualifier de génocidaires, [ils ont été commis] contre Israël ». « Israël ne veut pas détruire un peuple mais protéger un peuple : le sien. »
      Gaza, « lieu de mort et de désespoir »

      La CIJ, de son côté, a fondé sa décision sur les différents rapports et constatations fournis par des organisations internationales. Elle cite notamment la lettre du 5 janvier 2024 du secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l’ONU, Martin Griffiths, décrivant la bande de Gaza comme un « lieu de mort et de désespoir ».

      L’ordonnance rappelle qu’un communiqué de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) du 21 décembre 2023 s’alarmait du fait que « 93 % de la population de Gaza, chiffre sans précédent, est confrontée à une situation de crise alimentaire ».

      Le 12 janvier 2024, c’est l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) qui lançait un cri d’alerte. « Cela fait maintenant 100 jours que cette guerre dévastatrice a commencé, que la population de Gaza est décimée et déplacée, suite aux horribles attaques perpétrées par le Hamas et d’autres groupes contre la population en Israël », s’alarmait-il.

      L’ordonnance souligne, en miroir, les multiples déclarations de responsables israéliens assumant une répression sans pitié dans la bande de Gaza, si nécessaire au prix de vies civiles. Elle souligne que des rapporteurs spéciaux des Nations unies ont même pu s’indigner de « la rhétorique manifestement génocidaire et déshumanisante de hauts responsables du gouvernement israélien ».

      La CIJ pointe par exemple les propos du ministre de la défense Yoav Gallant du 9 octobre 2023 annonçant « un siège complet de la ville de Gaza », avant d’affirmer : « Nous combattons des animaux humains. »

      Le 12 octobre, c’est le président israélien Isaac Herzog qui affirmait : « Tous ces beaux discours sur les civils qui ne savaient rien et qui n’étaient pas impliqués, ça n’existe pas. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu lutter contre ce régime maléfique qui a pris le contrôle de Gaza. »

      Et, à la vue des intentions affichées par les autorités israéliennes, les opérations militaires dans la bande de Gaza ne sont pas près de s’arrêter. « La Cour considère que la situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza risque fort de se détériorer encore avant qu’elle rende son arrêt définitif », affirme l’ordonnance.

      « À la lumière de ce qui précède, poursuivent les juges, la Cour considère qu’il y a urgence en ce sens qu’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits qu’elle a jugés plausibles avant qu’elle ne rende sa décision définitive. »

      Si la décision de la CIJ est juridiquement contraignante, la Cour n’a pas la capacité de la faire appliquer. Cependant, elle est incontestablement une défaite diplomatique pour Israël.

      Présente à La Haye, la ministre des relations internationales et de la coopération d’Afrique du Sud, Naledi Pandor, a pris la parole à la sortie de l’audience. Si elle a regretté que les juges n’aient pas appelé à un cessez-le-feu, elle s’est dite « satisfaite que les mesures provisoires » réclamées par son pays aient « fait l’objet d’une prise en compte » par la Cour, et qu’Israël doive fournir un rapport d’ici un mois. Pour l’Afrique du Sud, lancer cette plainte, a-t-elle expliqué, « était une façon de s’assurer que les organismes internationaux exercent leur responsabilité de nous protéger tous, en tant que citoyens du monde global ».

      Comme l’on pouvait s’y attendre, les autorités israéliennes ont vivement critiqué les ordonnances d’urgence réclamées par les juges de La Haye. Si le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’est réjoui de ce que ces derniers n’aient pas réclamé, comme le demandait l’Afrique du Sud, de cessez-le-feu – « Comme tout pays, Israël a le droit fondamental de se défendre. La CIJ de La Haye a rejeté à juste titre la demande scandaleuse visant à nous priver de ce droit », a-t-il dit –, il a eu des mots très durs envers l’instance : « La simple affirmation selon laquelle Israël commet un génocide contre les Palestiniens n’est pas seulement fausse, elle est scandaleuse, et la volonté de la Cour d’en discuter est une honte qui ne sera pas effacée pendant des générations. »

      Il a affirmé vouloir continuer « à défendre [ses] citoyens dans le respect du droit international ». « Nous poursuivrons cette guerre jusqu’à la victoire absolue, jusqu’à ce que tous les otages soient rendus et que Gaza ne soit plus une menace pour Israël », a ajouté Nétanyahou.

      Jeudi, à la veille de la décision de la CIJ, le New York Times avait révélé que les autorités israéliennes avaient fourni aux juges de La Haye une trentaine de documents déclassifiés, censés démonter l’accusation de génocide, parmi lesquels « des résumés de discussions ministérielles datant de la fin du mois d’octobre, au cours desquelles le premier ministre Benyamin Nétanyahou a ordonné l’envoi d’aide, de carburant et d’eau à Gaza ».

      Cependant, souligne le quotidien états-unien, les documents « ne comprennent pas les ordres des dix premiers jours de la guerre, lorsqu’Israël a bloqué l’aide à Gaza et coupé l’accès à l’électricité et à l’eau qu’il fournit normalement au territoire ».

      Nul doute que cette décision de la plus haute instance judiciaire des Nations unies va renforcer les appels en faveur d’un cessez-le-feu. Après plus de quatre mois de combats et un bilan lourd parmi la population civile gazaouie, Nétanyahou n’a pas atteint son objectif d’éradiquer le mouvement islamiste. Selon les Israéliens eux-mêmes, près de 70 % des forces militaires du Hamas sont intactes. De plus, les familles d’otages toujours aux mains du Hamas ou d’autres groupes islamistes de l’enclave maintiennent leurs pressions.

      Le ministre palestinien des affaires étrangères Riyad al-Maliki s’est réjoui d’une décision de la CIJ « en faveur de l’humanité et du droit international », ajoutant que la communauté international avait désormais « l’obligation juridique claire de mettre fin à la guerre génocidaire d’Israël contre le peuple palestinien de Gaza et de s’assurer qu’elle n’en est pas complice ». Le ministre de la justice sud-africain Ronald Lamola, cité par l’agence Reuters, a salué, lui, « une victoire pour le droit international ». « Israël ne peut être exempté du respect de ses obligations internationales », a-t-il ajouté.

      De son côté, la Commission européenne a appelé Israël et le Hamas à se conformer à la décision de la CIJ. L’Union européenne « attend leur mise en œuvre intégrale, immédiate et effective », a-t-elle souligné dans un communiqué.

      La France avait fait entendre pourtant il y a quelques jours une voix discordante. Le ministre des affaires étrangères Stéphane Séjourné avait déclaré, à l’Assemblée nationale, qu’« accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral ». Dans un communiqué publié après la décision de la CIJ, le ministère a annoncé son intention de déposer des observations sur l’interprétation de la Convention de 1948, comme le lui permet la procédure. « [La France] indiquera notamment l’importance qu’elle attache à ce que la Cour tienne compte de la gravité exceptionnelle du crime de génocide, qui nécessite l’établissement d’une intention. Comme le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a eu l’occasion de le noter, les mots doivent conserver leur sens », indique le texte.

      Les États-Unis ont estimé que la décision était conforme à la position états-unienne, exprimée à plusieurs reprises par Joe Biden à son allié israélien, de réduire les souffrances des civils de Gaza et d’accroître l’aide humanitaire. Cependant, a expliqué un porte-parole du département d’État, les États-Unis continuent « de penser que les allégations de génocide sont infondées » et notent « que la Cour n’a pas fait de constat de génocide, ni appelé à un cessez-le-feu dans sa décision, et qu’elle a appelé à la libération inconditionnelle et immédiate de tous les otages détenus par le Hamas ».

      C’est dans ce contexte que se déroulent des discussions pour obtenir une trêve prolongée, la deuxième après celle de novembre, qui avait duré une semaine et permis la libération de plusieurs dizaines d’otages.

      Selon les médias états-uniens, Israël a proposé une trêve de 60 jours et la libération progressive des otages encore retenu·es. Selon ce projet, a affirmé CNN, les dirigeants du Hamas pourraient quitter l’enclave. Selon la chaîne d’informations américaine, « des responsables américains et internationaux au fait des négociations ont déclaré que l’engagement récent d’Israël et du Hamas dans des pourparlers était encourageant, mais qu’un accord n’était pas imminent ».

      Le Washington Post a révélé jeudi que le président américain Joe Biden allait envoyer dans les prochains jours en Europe le directeur de la CIA, William Burns, pour tenter d’obtenir un accord. Il devrait rencontrer les chefs des services de renseignement israélien et égyptien, David Barnea et Abbas Kamel, et le premier ministre qatari Mohammed ben Abdulrahman al-Thani. Vendredi soir, l’Agence France-Presse (AFP) a affirmé qu’ils se retrouveraient « dans les tout prochains jours à Paris », citant « une source sécuritaire d’un État impliqué dans les négociations ».

      https://www.mediapart.fr/journal/international/260124/la-cour-internationale-de-justice-ordonne-israel-d-empecher-un-genocide-ga

  • #Gaza, les hantises du #génocide

    S’il faut être prudent sur la #qualification définitive de génocide, et qu’il faut être conscients que ce terme, malgré les détournements, est avant tout juridique et non pas politique, une question doit se poser aujourd’hui : « assistons-nous à un nouveau génocide ? »

    Le 16 novembre 2023, 33 experts onusiens ont signé une déclaration appelant à une réaction internationale urgente et évoquant que « les graves violations commises par Israël contre les Palestiniens au lendemain du 7 octobre, notamment à Gaza, laissent présager un génocide en devenir ». Cette position de l’#ONU sur la question d’un génocide n’est pas inédite.

    Le 2 novembre, le rapporteur spécial sur les territoires palestiniens occupés alertait déjà sur le risque de génocide. Si le mot n’est plus tabou pour qualifier ce que subit la population de Gaza, sa #définition_juridique internationale (fixée par la #Convention_sur_le_génocide et par le #Statut_de_Rome sur la CPI) commande une certaine prudence. Malgré cela, la question d’un génocide à Gaza se pose avec gravité et acuité eu égard aux circonstances de l’offensive militaire israélienne à Gaza.

    La notion de génocide est une #catégorie_juridique complexe qui a évolué au fil du temps pour devenir l’un des #crimes les plus graves de nos ordres juridiques. Il est imprescriptible et plusieurs États se reconnaissent une compétence universelle pour instruire et juger de tels agissements.

    Ce concept a, évidemment, des origines historiques importantes. En combinant les mots grec « genos » (peuple) et latin « cide » (tuer), le juriste polonais #Raphael_Lemkin en 1944 a voulu décrire et caractériser les atrocités commises pendant la Seconde guerre mondiale, en particulier l’Holocauste, qui a vu l’extermination systématique de millions de Juifs par le régime nazi. #Lemkin a plaidé pour la reconnaissance légale de ces crimes et a joué un rôle clé dans l’élaboration de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par les Nations Unies en 1948.

    Cette Convention, communément appelée la « Convention sur le génocide », est l’instrument juridique principal qui définit le génocide dans le #droit ^_international en définissant en son article 2 le génocide comme : « Tout acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel. ».

    De cette définition ressortent plusieurs éléments clefs : la question des actes commis, du groupe spécifiquement visé et celui de l’#intention_génocidaire. Au regard des destructions, des bombardements nourris et aveugles notamment sur des camps de réfugiés, sur des écoles gérées par l’ONU servant d’abris aux civils, sur les routes censées être sûres pour permettre aux populations civiles de fuir, mais aussi de ce ratio calculé par des observateurs selon lesquels pour un membre du Hamas tué il y aurait 10 civils massacrés, il apparaît que les premiers critères de la définition sont potentiellement remplis.

    Reste la question décisive de l’intention génocidaire. Celle-ci suppose l’identification de textes, d’ordres, d’actes et de pratiques… En l’état, une série de déclarations d’officiels israéliens interpellent tant elles traduisent une déshumanisation des Palestiniens. Le 19 novembre, point d’orgue d’une fuite en avant en termes de déclarations, l’ancien général et dirigeant du Conseil de Sécurité National israélien, #Giora_Eiland, a publié une tribune dans laquelle il appelle à massacrer davantage les civils à Gaza pour faciliter la victoire d’Israël.

    Avant cela et suite à l’attaque du 7 octobre, le ministre israélien de la Défense, #Yoav_Galant, avait déclaré : « Nous imposons un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas d’eau, pas de gaz, tout est fermé […] Nous combattons des #animaux_humains et nous agissons en conséquence ».

    Dans une logique similaire, le Premier ministre #Benjamin_Netanyahu a opposé « le peuple des lumières » à celui « des ténèbres », une dichotomie bien connue dans la rhétorique génocidaire. Récemment, le ministre israélien du patrimoine a déclaré : « Le nord de Gaza est plus beau que jamais. Nous bombardons et aplatissons tout (....) au lendemain de la guerre, nous devrions donner des terres de Gaza aux soldats et aux expulsés de Gush Katif ».

    Enfin, en direct à la radio, le même #Amichay_Eliyahu a déclaré qu’il n’était pas entièrement satisfait de l’ampleur des représailles israéliennes et que le largage d’une bombe nucléaire « sur toute la #bande_de_Gaza, la raser et tuer tout le monde » était « une option ». Depuis, il a été suspendu, mais sans être démis de ses fonctions …

    Au-delà de ces déclarations politiques, il faut apprécier la nature des actes commis. Si un « plan » génocidaire en tant que tel n’est pas exigé pour qualifier de génocidaire, une certaine #organisation et ‎une #préparation demeurent nécessaires. Une politique de #colonisation par exemple, le harcèlement criminel quotidien, la #détention_arbitraire de Palestiniens, y compris mineurs, peuvent laisser entendre la mise en place de ce mécanisme.

    La Cour pénale internationale a d’ailleurs déjà ouvert des enquêtes sur ces faits-là avec des investigations qui ne progressent cependant pas notamment car Israël conteste à la Cour – dont il n’est pas membre – toute compétence. Actuellement, les pénuries impactant notamment des hôpitaux, le refus ou la limitation de l’accès de l’aide humanitaire et évidemment les #bombardements_indiscriminés, sont autant d’éléments susceptibles de matérialiser une intention génocidaire.

    Un positionnement politique pour une caractérisation juridique

    Le silence de nombreux pays est assourdissant face à la situation à Gaza. Il suffit de lire le communiqué du Quai d’Orsay sur le bombardement du camp de réfugiés Jabaliya : « La France est profondément inquiète du très lourd bilan pour les populations civiles palestiniennes des frappes israéliennes contre le camp de Jabaliya et exprime sa compassion à l’égard des victimes ».

    Aucune condamnation et, évidemment, aucune mention de la notion de génocide ni même de #crimes_de_guerre ou de #crime_contre_l’Humanité. Cela s’explique en partie par le fait que la reconnaissance du génocide a d’importantes implications juridiques. Les États signataires de la Convention sur le génocide sont tenus de prévenir et de réprimer le génocide sur leur territoire, ainsi que de coopérer entre Etats ainsi qu’avec la Cour pénale internationale pour poursuivre et punir les auteurs présumés de génocide.

    Ainsi, si un État reconnaît la volonté génocidaire d’Israël, il serait de son devoir d’intervenir pour empêcher le massacre. À défaut d’appel à un #cessez-le-feu, le rappel au respect du droit international et l’exigence de « pauses humanitaires » voire un cessez-le-feu par les Etats-Unis ou la France peuvent aussi s’interpréter comme une prévention contre une éventuelle accusation de complicité…

    S’il faut être prudent sur la qualification définitive de génocide, et qu’il faut être conscients que ce terme, malgré les détournements, est avant tout juridique et non pas politique, une question doit se poser aujourd’hui, « assistons-nous à un nouveau génocide ? » et si la réponse est « peut-être », alors il est du devoir des États signataires de la Convention de prévention des génocides de tout faire pour empêcher que le pire advienne.

    https://blogs.mediapart.fr/collectif-chronik/blog/221123/gaza-les-hantises-du-genocide
    #mots #vocabulaire #terminologie #Israël #7_octobre_2023

  • #Canada : Le malaise de la « machine à pourboire » Denis Wong - Radio Canada

    De plus en plus, on vous demande un pourboire à l’aide d’un terminal de paiement même si, dans certains cas, il n’y a eu aucun service en échange. Comment en sommes-nous arrivés là ?

    Depuis la pandémie, vous avez vu apparaître cet écran et ces propositions de pourboire dans plusieurs commerces où on ne les trouvait pas auparavant.
    Avec la démocratisation des terminaux de paiement, il est plus facile que jamais de vous demander un pourboire. Et dans plusieurs situations, les mots pourquoi et combien vous viennent spontanément en tête.

    Sans crier gare, la norme sociale qu’est le pourboire a dépassé le cadre classique du service aux tables, de la course de taxi ou de la coupe de cheveux. Sur Internet, les anecdotes sont nombreuses : on rapporte s’être fait demander un pourboire au service à l’auto, au garage, après la visite du plombier, ou même après avoir payé un achat en ligne.

    Aux États-Unis, il existe des caisses libre-service dans des aéroports ou des cafés qui vous proposent d’ajouter quelques dollars de plus à votre achat, même si vous n’avez pas eu d’interaction avec un être humain.

    Le sujet suscite des discussions passionnées sur les réseaux sociaux. L’apparition de ces demandes de pourboire à des endroits inusités a été baptisée tip creep par les internautes. Le pourcentage de plus en plus élevé de ces suggestions est devenu la tipflation, ou l’inflation du pourboire. Et à force d’être sollicitée, la clientèle commence aussi à éprouver du ressentiment à l’égard de cette convention, une tendance surnommée tip fatigue.

    Dans un contexte où le coût de la vie monte en flèche, ces modifications à la convention génèrent une combinaison de confusion, de frustration et de malaise.

    Publié en février dernier, un sondage de la firme Angus Reid révèle que près des deux tiers des Canadiens et Canadiennes estiment se faire demander un pourboire plus souvent et en plus grande quantité. Selon ce même sondage, quatre personnes sur cinq estiment que toutes ces sollicitations sont devenues un irritant.

    En ces temps nouveaux, le public est bousculé dans ses habitudes et sa perception de l’étiquette, selon le sociologue Jules Pector-Lallemand. L’environnement du service à la clientèle est en évolution.

    « En restauration, la norme sociale est très claire et on la connaît, remarque-t-il. Mais ce repère n’est pas nécessairement présent ailleurs. On est sollicité par le paiement par carte, comme au garage ou à la boulangerie, et on ne sait pas comment faire. »

    « Dans la mesure où le pourboire est volontaire et que le client est libre d’en donner ou pas, c’est légal pour un commerçant de le demander, précise Alexandre Plourde, avocat et analyste chez Option Consommateurs. La seule difficulté que ça poserait en matière de la protection du consommateur, c’est si un commerçant l’exigeait parce que ça pourrait être considéré comme des frais cachés qui n’ont pas été divulgués. »

    Si demander un pourboire sans l’exiger a toujours été légal, cette pratique sociale est pourtant longtemps demeurée circonscrite à certains types d’emplois. Alors pourquoi en sommes-nous arrivés à ce point aujourd’hui ?

    La « tempête parfaite »
    Ensemble, la générosité de la population pendant la pandémie, l’utilisation répandue des terminaux de paiement et la pénurie de main-d’œuvre constituent la « tempête parfaite pour [expliquer] le phénomène auquel on est confronté », souligne Alexandre Plourde.

    Ce changement de paradigme a tout d’abord pris racine lorsque les commerces et les restaurants ont dû fermer leurs portes pendant la pandémie.

    « On était privés de ce plaisir, rappelle Jean-Luc Geha, directeur associé à l’Institut de vente HEC Montréal. À leur réouverture, on était tellement heureux que même si ça prenait une heure avant de s’asseoir ou se faire servir, on se disait que c’était formidable. À partir de là, on a comme atteint une nouvelle marche du point de vue de la reconnaissance du service. »

    Contraints par les normes sanitaires, plusieurs restaurants se sont tournés vers les commandes à emporter afin de préserver leurs chiffres d’affaires. Solidaire, leur clientèle a pris l’habitude d’offrir un pourboire même si le service aux tables était inexistant.

    « Il y avait toutes ces précautions pandémiques : il y avait les gants, les masques, les Plexiglas, ajoute la spécialiste en étiquette Julie Blais Comeau. Ça faisait qu’un service prenait beaucoup plus de temps. Le budget de restauration était moins dépensé et les gens le reconnaissaient et étaient empathiques. Ils payaient un pourboire pour ces précautions pandémiques. »

    En parallèle, les terminaux de paiement électronique sont de plus en plus utilisés par les commerces. Cette transition technologique était déjà amorcée avant la pandémie. Selon Paiements Canada, l’organisation qui maintient et exploite l’infrastructure de paiement au Canada et dont le mandat est prescrit par la Loi canadienne sur les paiements, l’utilisation de l’argent comptant est en chute libre au profit des transactions électroniques.
    Même le pot de petite monnaie sur le comptoir ne peut résister à ce phénomène : à plusieurs endroits, il est remplacé par un écran et demander un pourboire est devenu un jeu d’enfant. La pratique se répand comme une traînée de poudre pendant et après la pandémie.

    « En ce moment, le terminal est une barrière entre le consommateur et la personne qui offre le service, illustre Julie Blais Comeau. Donc cette dernière s’essaye, comme on dit, par l’intermédiaire du terminal. »

    Des propositions de pourboire plus élevées
    À la succursale du magasin d’accessoires pour fumeurs Prohibition, rue Ste-Catherine, à Montréal, on offre à la clientèle la possibilité de donner un pourboire avec le terminal de paiement. Cette décision plaît à Yoan Mailhot, mais elle n’est pas l’unique facteur qui lui fait apprécier son environnement de travail.

    « Quand tu rentres comme employé, c’est le fun d’avoir du pourboire que tu peux utiliser à la fin de la journée, dit-il. Mais ce n’est pas ça qui va nous inciter à donner un meilleur service autant que notre passion pour ce qu’on vend. C’est un incitatif, mais pas ce qui nous drive tous les jours. »

    Si certaines personnes peuvent se montrer surprises lorsqu’elles passent à la caisse, elles ne sont jamais sous pression, précise-t-il. Le pourboire n’est qu’une marque d’appréciation pour un service attentionné.

    À cet effet, on pourrait se questionner à savoir si l’argent perçu par les terminaux de vente revient réellement au personnel à pourboire. Au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick, il est illégal pour un établissement de s’approprier une partie de ces sommes. Dans d’autres provinces, la règle est moins claire et peut tomber dans une zone grise. Dans le doute, la clientèle peut simplement s’informer auprès du commerce.

    « Souvent, ce sont des clients qui cherchent un item en particulier et tu leur donnes beaucoup d’informations, des trucs pour l’entretenir, etc., ajoute Yoan Mailhot. Là, les clients sont plus enclins à donner. On a des réactions, certains clients nous disent qu’ils ne savaient pas qu’ils pouvaient donner du pourboire, ce qui est correct. Mais les clients qui nous offrent du pourboire sont souvent des gens qui nous connaissent, qui sont des réguliers ou qui ont été bien informés. »

    Les entreprises qui commercialisent les terminaux de paiement que l’on retrouve entre nos mains, telles que Moneris, Global Payments ou Square, permettent toutes d’activer ou de désactiver aisément la fonction du pourboire, en plus de décider des pourcentages présentés.

    Avec ce paramétrage, la clientèle constate que les suggestions de pourboire sont revues à la hausse par plusieurs commerces ou restaurants. Il n’est pas rare de voir les pourcentages proposés atteindre 25 % ou même 30 % de la facture après les taxes, particulièrement en restauration. En principe, ce montant devrait être calculé avant les taxes, même si cette règle est rarement appliquée.

    Cet environnement induit un comportement chez la clientèle et influence ses décisions, même si elle est libre de donner un pourboire ou non. Des commerces ajoutent aussi une épithète aux pourcentages présentés pour guider la personne qui paye : 15 % correspond à un « bon service », 18 % un « très bon service », et 25 % un « excellent service ».

    En psychologie, cette stratégie correspond à l’effet d’ancrage, où la première information présentée conditionne une prise de décision subséquente. Une partie du public ne sait pas qu’elle peut ajuster ce pourcentage, ou encore, elle trouve l’opération trop compliquée et se rabat sur l’option facile : celle qui est proposée.

    « Ce qu’on voit souvent comme changement, c’est que le montant minimum qu’on peut donner est de 15 %, alors que normalement, ce 15 % est la moyenne, précise Alexandre Plourde. Si c’est le plus bas qui est proposé, je ne veux pas avoir l’air pingre ni pénaliser l’employé, donc je vais donner 18 % qui est le montant moyen proposé par le commerçant. Il y a une surtaxe, simplement avec la façon dont les montants sont présentés. »

    Ajouté à ces facteurs, il y a le manque criant de personnel qui force les entreprises à compétitionner pour la main-d’œuvre disponible. L’une des façons les plus simples de l’attirer est de lui offrir la possibilité d’amasser du pourboire, selon Jean-Luc Geha. Parallèlement, certains commerces ou restaurants misent de plus en plus sur l’automatisation et la technologie pour pallier ce manque de personnel.

    « De plus en plus de restaurants ne donnent plus de menu, mentionne le professeur de marketing à HEC Montréal. Il y a un code QR sur la table que vous prenez avec votre téléphone. À certains endroits, vous commandez avec votre appareil. J’ai regardé le menu sans avoir de recommandations, j’ai choisi à travers mon cellulaire et quelqu’un vient me porter mon assiette. À la fin, la machine me propose 15, 20, 25 % de pourboire. »

    Qui devrait payer cette hausse de salaire ?
    Les conséquences s’en ressentent sur le portefeuille de la population canadienne et celle-ci souhaiterait une approche plus transparente en matière de pourboire.

    Selon le sondage Angus Reid, près de 60 % des répondants et répondantes se disent en faveur d’un prix affiché qui inclurait le service, éliminant ainsi le pourboire en faveur d’un salaire plus élevé. Les trois quarts des personnes interrogées estiment aussi que le pourboire est une manière de baisser le fardeau salarial des entreprises.

    « D’une certaine façon, on fait porter aux consommateurs le coût de la pénurie de main-d’œuvre, dit Alexandre Plourde. Plutôt que de hausser les salaires, les employeurs comptent sur la générosité et la bonne volonté des consommateurs pour combler les manques à gagner. »

    Cependant, l’inflation qui caractérise l’économie actuelle pèse aussi sur les entreprises. Si celles-ci accordent des augmentations de salaire, leurs services seront vendus plus cher, à moins qu’elles ne décident d’absorber ces coûts à même leurs revenus.

    « Il n’y a pas de solution simple, admet Alexandre Plourde. L’inflation frappe tout le monde. Mais la hausse des pourboires est problématique pour les consommateurs à plusieurs niveaux. Ils font déjà face à une hausse des prix importante, l’inflation est partout. En haussant les taux de pourboires suggérés et en multipliant les occasions où on demande du pourboire, ça pèse largement sur le portefeuille des consommateurs. »

    Cette discussion à propos du pourboire concerne les conditions de travail de ceux et celles qui sont souvent précarisés, rappelle Jules Pector-Lallemand. Auteur de l’essai Pourboire : une sociologie de la restauration, il souligne que le sens de cette pratique était déjà en mutation, avant même que le débat ne revienne sur la place publique récemment.

    « Beaucoup de gens sont attachés à cette idée qu’on paye un plat au restaurant et que le pourboire va payer le service, dit-il. Dans la dernière décennie, ça bouge en restauration parce qu’il y avait des mauvaises conditions de travail en cuisine. Tranquillement, le pourboire est partagé avec la cuisine. Ce n’est plus juste le service, c’est pour tout le monde. Pendant la pandémie, on ajoutait du pourboire dans un élan de solidarité. Le sens est toujours en train de bouger. Une partie du malaise vient du fait qu’on ne s’entend pas sur la question. »

    Au Fleuriste chez Daniel, situé au marché Jean-Talon, certaines personnes offrent un pourboire même s’il n’est pas proposé sur le terminal de paiement. Cette habitude existait déjà et il revient à chaque individu de déterminer la valeur du service reçu.

    « Les trois quarts du temps, ils vont offrir un pourboire en argent comptant [au lieu de demander de l’ajouter sur le terminal], souligne la propriétaire Marie-Ève Cantin. Mais on n’est pas dans un endroit où il y a des habitudes de pourboire. Ça arrive, oui, mais pas nécessairement pour un service extraordinaire. Des fois, j’ai des gens pour qui j’emballe un petit bouquet qu’ils ont choisi en avant et ils me laissent la monnaie. D’autres fois, tu fais plusieurs arrangements et tu ne reçois rien. Alors ce n’est pas dosé en fonction du travail qu’on fait. Ça dépend du client. »

    Le Québec est la seule province canadienne à privilégier un système où les employés et employées à pourboire ont un salaire de base en dessous du salaire minimum. Règle générale, il s’agit du personnel de restaurants ou de bars. Depuis le 1er mai 2023, ce taux se chiffre à 12,20 $ l’heure, alors que le salaire minimum s’établit à 15,25 $ l’heure.

    Pour éviter de jongler avec cette question, certains restaurants ont décidé d’abolir le pourboire dans leur établissement et de hausser le salaire de leur personnel. D’autres commerces en Ontario se sont regroupés et ont adopté le concept du salaire viable, s’assurant ainsi que leur rémunération soit suffisante pour refléter le coût de la vie.

    « Assurément, derrière ces débats autour du pourboire, il y a la question du partage des profits [des entreprises] et du salaire décent pour vivre, dit Jules Pector-Lallemand. Ne tapons pas sur la tête des gens qui livrent des plats ou qui servent notre pain au salaire minimum. »


    La question qui n’en finit jamais de faire jaser
    Il ne faut pas se surprendre si le pourboire fait autant jaser, puisque cette discussion revient de manière cyclique. Tout au long de son histoire, on ne s’est jamais entièrement entendus sur sa définition et sur ce qu’il représente.

    Selon le livre Tipping : An American History of Social Gratuities, écrit par l’auteur Kerry Segrave, cette pratique sociale remonterait aux environs du 15e siècle en Angleterre. L’aristocratie prend alors l’habitude d’offrir une petite somme aux domestiques lorsqu’elle est en visite chez d’autres membres de la bourgeoisie. Appelé vails, ce pourboire sert à rémunérer le travail supplémentaire que ces personnes doivent accomplir en plus de leurs tâches régulières.

    « Au fil des décennies, ce montant ne cessait d’augmenter et l’aristocratie en a eu marre, raconte Jules Pector-Lallemand. La famille royale a donc décidé d’abolir le pourboire. En 1764, il y a eu une semaine d’émeutes à Londres parce que les domestiques disaient que ce pourboire était leur salaire ! »

    Après la guerre de Sécession, l’élite américaine fortunée voyage outre-mer et rapporte la pratique du pourboire sur notre continent afin de se montrer distinguée. Cette habitude se répand et finit par s’implanter aux États-Unis, mais au départ, elle irrite la population. Dans les journaux, on dénonce le pourboire parce qu’il serait contraire aux idéaux démocratiques du pays.

    « Au début du 20e siècle, on peut retrouver aux États-Unis des ligues anti-pourboire, ajoute Jules Pector-Lallemand. Dans plusieurs États, il y a même eu des lois qui l’interdisent. On était mal à l’aise. On se demandait si c’était un pot-de-vin ! C’était comme un moyen d’acquérir un privilège et c’est anti-américain. »

    Cette convention sociale traverse la frontière et le Québec n’est pas en reste à l’égard de ces discussions. En 1982, une commission parlementaire étudie la question du pourboire à l’Assemblée nationale et on se demande… si le service ne devrait pas être ajouté automatiquement à la facture.

    Plus récemment, en 2018, plusieurs têtes d’affiche québécoises de la restauration signent une lettre ouverte pour réclamer une redistribution plus équitable du pourboire entre la cuisine et le personnel de service. Aujourd’hui, la Loi sur les normes du travail du Québec permet aux travailleurs et travailleuses d’un établissement de créer une convention de partage des pourboires.

    « La convention du pourboire est continentale, explique Jean-Luc Geha. Sa notion en Amérique du Nord, au Canada et aux États-Unis est similaire. Sa notion en Europe fait que le pourboire est généralement inclus. Traditionnellement, on ne s’attend pas à recevoir un pourboire. Mais ça change, parce que les touristes commencent à ajouter un petit extra et ça commence à devenir une habitude. »

    En fait, l’Amérique du Nord est l’endroit où le taux de pourboire est le plus élevé au monde ; ce pourcentage avoisine les 20 % pour le service aux tables aux États-Unis. De par sa nature, cette pratique est influencée par les normes culturelles des régions où elle existe. Dans certains pays, notamment en Asie, il peut être insultant de donner un pourboire à une personne qui fait son travail.

    Ce sera au public de décider, avec ses actions au quotidien, s’il développe de nouvelles habitudes collectives et modifie la norme sociale. Dans cette perspective, il est opportun de se souvenir qu’on donne un pourboire pour montrer sa gratitude.

    « Il ne faudrait pas que le pourboire devienne une pression sociale, estime Alexandre Plourde. Il faudrait retourner à l’essence du pourboire : rémunérer le service qui a été donné au consommateur, souligner un meilleur service avec un meilleur pourboire. »

    Même si la norme actuelle ne prescrit pas de donner un pourboire dans les scénarios qui vous ont été proposés, Julie Blais Comeau souligne qu’un service qui dépasse les attentes et qui nous offre une expérience de qualité peut être récompensé. C’est ainsi qu’une convention sociale se transforme au fil du temps.

    « Soyez confiants [comme consommateurs], parce que les pratiques de l’étiquette sont encore les mêmes, conclut-elle. Et [en même temps], soyez conscients que les pratiques sont en évolution. Reconnaissez un bon service en répandant la bonne nouvelle pour garder ces commerces dans vos quartiers. Osez parler, gracieusement et discrètement, quand vous êtes insatisfaits, tout en donnant le pourboire approprié. »

    #pourboire afin de baisser les #salaires #paiement #service #Histoire #service #convention_sociale

    Source : https://ici.radio-canada.ca/info/2023/pourboire-terminal-paiement-commerces-tipflation-tipcreep

    • « La convention du pourboire est continentale [Amérique du Nord, Canada et États-Unis], explique Jean-Luc Geha. Sa notion en Europe fait que le pourboire est généralement inclus [dans le prix : service compris].

      Traditionnellement, [en Europe], on ne s’attend pas à recevoir un pourboire. Mais ça change, parce que les touristes commencent à ajouter un petit extra et ça commence à devenir une habitude. »

      [...] Dans certains pays, notamment en Asie, il peut être insultant de donner un pourboire à une personne qui fait son travail.

      encore un cas de mondialisation des pratiques nord-americaines ! sus aux habitus des touristes nordistes !

    • Aux États-Unis, il existe des caisses libre-service dans des aéroports ou des cafés qui vous proposent d’ajouter quelques dollars de plus à votre achat pour pourboire, même si vous n’avez pas eu d’interaction avec un être humain.

  • Tu m’appartiens ! - Racines d’un #féminicide

    À Hanovre, Vanessa a subi une attaque à l’#acide de son ex-petit ami ; à Berlin, Rebeccah a succombé aux #coups_de_couteau de son compagnon ; à Mérignac, près de Bordeaux, Chahinez a été #brûlée_vive par l’homme dont elle voulait se séparer... Partout en Europe, les #féminicides se succèdent et se ressemblent. En Espagne, le gouvernement a créé des tribunaux spécialisés dans les affaires de #violences_sexistes. À Barcelone, à l’été 2021, un garçon de 2 ans, Léo, est tué par son père, lequel a cherché à se venger de la mère de l’enfant dans un contexte de #divorce. Depuis cette affaire, le pays considère ce type d’#infanticide comme un #féminicide_par_procuration. En France, les violences faites aux femmes, déclarées « grande cause du quinquennat » par Emmanuel Macron, ne diminuent pas, et les défaillances de la #justice continuent d’indigner la population. Près d’une femme sur cinq morte sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint avait ainsi porté #plainte avant le drame. Outre-Rhin, le terme « féminicide » n’est pas encore véritablement entré dans le vocabulaire, et le fait qu’une femme ait voulu se séparer de son compagnon peut encore contribuer à atténuer la peine de l’homme devant un tribunal.

    https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/65344_0

    #film #documentaire #film_documentaire
    #séparation #violences_conjugales #impunité #justice #machisme #crime_machiste #patriarcat #possession #tolérance #convention_d'Istanbul #VioGén #algorithme #contrôle #menaces #responsabilité #protection

  • Zahra, morte pour quelques #fraises espagnoles

    Le 1er mai, un bus s’est renversé dans la région de #Huelva, au sud de l’Espagne. À son bord, des ouvrières agricoles marocaines qui se rendaient au travail, dont l’une a perdu la vie. Mediapart est allé à la rencontre des rescapées, qui dénoncent des conditions de travail infernales.
    Aïcha* s’installe péniblement à la table, en jetant un œil derrière le rideau. « Si le patron apprend qu’on a rencontré une journaliste, on sera expulsées et interdites de travailler en Espagne. On a peur qu’un mouchard nous ait suivies, on est sous surveillance permanente. »

    Aïcha sait le risque qu’elle encourt en témoignant, même à visage couvert, sous un prénom d’emprunt. Mais elle y tient, pour honorer Zahra. Foulard assorti à sa djellaba, elle est venue clandestinement au point de rendez-vous avec Farida* et Hanane*, elles aussi décidées à parler de Zahra. « Elle était comme notre sœur. » Deux images les hantent.

    Sur la première, la plus ancienne, Zahra sourit, visage net, rond, plein de vie, lèvres maquillées de rouge, regard foncé au khôl. Sur la seconde, elle gît devant la tôle pliée dans la campagne andalouse, corps flou, cœur à l’arrêt. « Elle avait maigri à force de travailler, on ne la reconnaissait plus. Allah y rahmo [« Que Dieu lui accorde sa miséricorde » – ndlr] », souffle Aïcha en essuyant ses larmes avec son voile.

    Zahra est morte juste avant le lever du soleil, en allant au travail, le 1er mai 2023, le jour de la Fête internationale des travailleuses et des travailleurs. Elle mangeait un yaourt en apprenant des mots d’espagnol, à côté de Malika* qui écoutait le Coran sur son smartphone, quand, à 6 h 25, le bus qui les transportait sans ceinture de sécurité s’est renversé.

    Elles étaient une trentaine d’ouvrières marocaines, en route pour la « finca », la ferme où elles cueillent sans relâche, à la main, les fraises du géant espagnol Surexport, l’un des premiers producteurs et exportateurs européens, détenu par le fonds d’investissement Alantra. Le chauffeur roulait vite, au-dessus de la limite autorisée, dans un épais brouillard. Il a été blessé légèrement.

    Zahra est morte sur le coup, dans son survêtement de saisonnière, avec son sac banane autour de la taille, au kilomètre 16 de l’autoroute A484, à une cinquantaine de kilomètres de Huelva, en Andalousie, à l’extrême sud de l’Espagne, près de la frontière portugaise. Au cœur d’une des parcelles les plus rentables du « potager de l’Europe » : celle qui produit 90 % de la récolte européenne de fraises, « l’or rouge » que l’on retrouve en hiver sur nos étals, même quand ce n’est pas la saison, au prix d’un désastre environnemental et social.

    Cet « or rouge », qui génère plusieurs centaines de millions d’euros par an, et emploie, d’après l’organisation patronale Freshuelva, 100 000 personnes, représente près de 8 % du PIB de l’Andalousie, l’une des régions les plus pauvres d’Espagne et d’Europe. Et il repose sur une variable d’ajustement : une main-d’œuvre étrangère saisonnière ultraflexible, prise dans un système où les abus et les violations de droits humains sont multiples.

    Corvéable à merci, cette main-d’œuvre « bon marché » n’a cessé de se féminiser au cours des deux dernières décennies, les travailleuses remplaçant les travailleurs sous les serres qui s’étendent à perte de vue, au milieu des bougainvilliers et des pins parasols. Un océan de plastique blanc arrosé de produits toxiques : des pesticides, des fongicides, des insecticides...

    À l’aube des années 2000, elles étaient polonaises, puis roumaines et bulgares. Elles sont aujourd’hui majoritairement marocaines, depuis le premier accord entre l’Espagne, l’ancien colonisateur, et le Maroc, l’ancien colonisé, lorsqu’en 2006 la ville espagnole de Cartaya a signé avec l’Anapec, l’agence pour l’emploi marocaine, une convention bilatérale de « gestion intégrale de l’immigration saisonnière » dans la province de Huelva.

    Une migration circulaire, dans les clous de la politique migratoire sécuritaire de Bruxelles, basée sur une obligation contractuelle, celle de retourner au pays, et sur le genre : l’import à moindre frais et temporairement (de trois à neuf mois) de femmes pour exporter des fraises.

    Le recrutement se fait directement au Maroc, par les organisations patronales espagnoles, avec l’aide des autorités marocaines, des gouverneurs locaux, dans des zones principalement rurales. Ce n’est pas sans rappeler Félix Mora, cet ancien militaire de l’armée française, surnommé « le négrier des Houillères », qui sillonnait dans les années 1960 et 1970 les villages du sud marocain en quête d’hommes réduits à leurs muscles pour trimer dans les mines de la France, l’autre ancienne puissance coloniale.

    Même état d’esprit soixante ans plus tard. L’Espagne recherche en Afrique du Nord une force de travail qui déploie des « mains délicates », des « doigts de fée », comme l’a montré dans ses travaux la géographe Chadia Arab, qui a visibilisé ces « Dames de fraises », clés de rentabilité d’une industrie agro-alimentaire climaticide, abreuvée de subventions européennes.

    Elle recherche des « doigts de fée » très précis. Ceux de femmes entre 25 et 45 ans, pauvres, précaires, analphabètes, mères d’au moins un enfant de moins de 18 ans, idéalement célibataires, divorcées, veuves. Des femmes parmi les plus vulnérables, en position de faiblesse face à d’éventuels abus et violences.

    Zahra avait le profil type. Elle est morte à 40 ans. Loin de ses cinq enfants, âgés de 6 à 21 ans, qu’elle appelait chaque jour. Loin de la maison de fortune, à Essaouira, sur la côte atlantique du Maroc, où après des mois d’absence, elle allait bientôt rentrer, la récolte et le « contratación en origen », le « contrat en origine », touchant à leur fin.

    C’est ce qui la maintenait debout lorsque ses mains saignaient, que le mal de dos la pliait de douleur, lorsque les cris des chefs la pressaient d’être encore plus productive, lorsque le malaise menaçait sous l’effet de la chaleur suffocante des serres.

    L’autocar jusqu’à Tarifa. Puis le ferry jusqu’à Tanger. Puis l’autocar jusqu’au bercail : Zahra allait revenir au pays la valise pleine de cadeaux et avec plusieurs centaines d’euros sur le compte bancaire, de quoi sauver le foyer d’une misère aggravée par l’inflation, nourrir les proches, le premier cercle et au-delà.

    Pour rempiler la saison suivante, être rappelée, ne pas être placée sur « la liste noire », la hantise de toutes, elle a été docile. Elle ne s’est jamais plainte des conditions de travail, des entorses au contrat, à la convention collective.

    Elle l’avait voulu, ce boulot, forte de son expérience dans les oliveraies et les plantations d’arganiers de sa région, même si le vertige et la peur de l’inconnu l’avaient saisie la toute première fois. Il avait fallu convaincre les hommes de la famille de la laisser voyager de l’autre côté de la Méditerranée, elle, une femme seule, mère de cinq enfants, ne sachant ni lire ni écrire, ne parlant pas un mot d’espagnol. Une nécessité économique mais aussi, sans en avoir conscience au départ, une émancipation, par le travail et le salaire, du joug patriarcal, de son mari, dont elle se disait séparée.

    Et un certain statut social : « On nous regarde différemment quand on revient. Moi, je ne suis plus la divorcée au ban de la société, associée à la prostituée. Je suis capable de ramener de l’argent comme les hommes, même beaucoup plus qu’eux », assure fièrement Aïcha.

    Elle est « répétitrice » depuis cinq ans, c’est-à-dire rappelée à chaque campagne agricole. Elle gagne de 1 000 à 3 000 euros selon la durée du contrat, une somme inespérée pour survivre, améliorer le quotidien, acheter une machine à laver, payer une opération médicale, économiser pour un jour, peut-être, accéder à l’impossible : la propriété.

    Cette saison ne sera pas la plus rémunératrice. « Il y a moins de fraises à ramasser », à cause de la sécheresse historique qui frappe l’Espagne, tout particulièrement cette région qui paie les conséquences de décennies d’extraction d’eau pour alimenter la culture intensive de la fraise et d’essor anarchique d’exploitations illégales ou irriguées au moyen de puits illégaux.

    Au point de plonger dans un état critique la réserve naturelle de Doñana, cernée par les serres, l’une des zones humides les plus importantes d’Europe, classée à l’Unesco. Le sujet, explosif, est devenu une polémique européenne et l’un des enjeux des élections locales qui se tiennent dimanche 28 mai en Espagne.

    « S’il n’y a plus d’eau, il n’y aura plus de fraises et on n’aura plus de travail », s’alarme Aïcha. Elle ne se relève pas de la perte de son amie Zahra, seule passagère du bus à avoir rencontré la mort, ce 1er mai si symbolique, jour férié et chômé en Espagne, où l’on a manifesté en appelant à « augmenter les salaires, baisser les prix, partager les bénéfices ». Les autres ouvrières ont été blessées à des degrés divers.

    Trois semaines plus tard, elles accusent le coup, isolées du monde, dans la promiscuité de leur logement à San Juan del Puerto, une ancienne auberge où elles sont hébergées, moyennant une retenue sur leur salaire, par l’entreprise Surexport, qui n’a pas répondu à nos sollicitations. Privées d’intimité, elles se partagent les chambres à plusieurs. La majorité des femmes accidentées est de retour, à l’exception des cas les plus graves, toujours hospitalisés.

    « Ils nous ont donné des béquilles et du paracétamol. Et maintenant, ils nous demandent de revenir travailler alors qu’on en est incapables, qu’on est encore sous le choc. Le médecin mandaté par l’entreprise a dit qu’on allait très bien, alors que certaines ont des fractures et qu’on met des couches à l’une d’entre nous qui n’arrive pas à se lever ! On a eu droit à un seul entretien avec une psychologue », raconte Aïcha en montrant la vidéo d’une camarade qui passe la serpillère appuyée sur une béquille.

    « On a perdu le sommeil », renchérit Hanane. Chaque nuit, elles revivent l’accident. Farida fait défiler « le chaos » sur son téléphone, les couvertures de survie, les cris, les douas (invocations à Allah), le sang. Elle somnolait quand le bus s’est couché. Quand elle a rouvert les yeux, elle était écrasée par plusieurs passagères. Elle s’est vue mourir, étouffée.

    Le trio montre ses blessures, des contusions, des entorses, un bassin luxé, un traumatisme cervical. Elles n’ont rien dit à la famille au Maroc, pour ne pas affoler leurs proches. Elles ne viennent pas du même coin. « Tu rencontres ici tout le pays. » Des filles des montagnes, des campagnes, des villes, de la capitale… Elles ont la trentaine, plusieurs enfants en bas âge restés avec la grand-mère ou les tantes, sont divorcées. Analphabètes, elles ne sont jamais allées à l’école.

    « Ici ou au bled, se désole Hanane en haussant les épaules, on est exploitées, mais il vaut mieux être esclave en Espagne. Au Maroc, je gagnais à l’usine moins de cinq euros par jour, ici, 40 euros par jour. » Elles affirment travailler, certaines journées, au-delà du cadre fixé par la convention collective de Huelva, qui prévoit environ 40 euros brut par jour pour 6 h 30 de travail, avec une journée de repos hebdomadaire. Sans être payées plus.

    Elles affirment aussi avoir droit à moins de trente minutes de pause quotidienne, « mal vivre, mal se nourrir, mal se soigner », du fait d’un système qui les contrôle dans tous les aspects de leur vie et les maintient « comme des prisonnières » à l’écart des centres urbains, distants de plusieurs kilomètres.

    Il faut traverser la région de Huelva en voiture pour mesurer l’ampleur de leur isolement. Le long des routes, des dizaines d’ouvrières marocaines, casquette sur leur voile coloré, seules ou à plusieurs, marchent des heures durant, en sandales ou en bottes de caoutchouc, faute de moyen de transport, pour atteindre une ville, un commerce. Certaines osent l’autostop. D’autres se retournent pour cacher leur visage à chaque passage de véhicule.

    Les hommes sont nombreux aussi. À pied mais surtout à vélo, plus rarement à trottinette. Originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, une grande partie d’entre eux est soumise à l’emploi illégal, qui cohabite avec « le contrat en origine », au rythme des récoltes de fruits et légumes. Dans les champs de fraises, ils sont affectés à l’épandage des pesticides, au démontage des serres, à l’arrachage des plastiques…

    « La liste des abus est interminable, surtout pendant les pics de production, quand il faut récolter, conditionner, encore plus vite », soupire Fatima Ezzohairy Eddriouch, présidente d’Amia, l’association des femmes migrantes en action. Elle vient de débarquer dans le local sombre, escortée de Jaira del Rosario Castillo, l’avocate qui représente la famille « très affectée » de Zahra au Maroc, une spécialiste du droit du travail.

    Aïcha, Hanane et Farida lui tombent dans les bras, heureuses de rencontrer en vrai « Fatima de TikTok », une épaule pour de nombreuses saisonnières qui se refilent son numéro de portable, tant elle ne vit que pour l’amélioration de leur sort, malgré « un climat d’omerta, de terreur ».

    Travail forcé ou non payé, y compris les jours fériés, les dimanches, heures supplémentaires non rémunérées, passeports confisqués par certains patrons, absence de repos, contrôles du rendement avec renvoi vers le Maroc si celui-ci est jugé insuffisant, absence de mesures de sécurité et de protection sur le lieu de travail, tromperie à l’embauche, harcèlement moral, violences sexuelles, racisme, xénophobie, logement indigne, accès aux soins de santé entravé… Fatima Ezzohairy Eddriouch est confrontée au « pire de l’humanité tous les jours ». Avant de nous rejoindre, elle aidait Rahma, qui s’est brisé le cou en cueillant les fraises : « Son employeur veut la licencier et refuse de prendre en charge les soins médicaux. »

    Elle-même a été saisonnière pendant plus de dix ans. Elle en avait 19 quand elle a quitté Moulay Bousselham, au Maroc, et rejoint Huelva. Elle doit sa « survie » à Manuel, un journalier andalou rencontré dans les champs devenu son époux. « Vingt-trois ans d’amour, ça aide à tenir », sourit-elle. Seule ombre au tableau : alors que sa famille a accueilli avec joie leur union, celle de son mari continue de la rejeter. « Le racisme est malheureusement très fort en Espagne. »

    Le 1er mai, Fatima Ezzohairy Eddriouch a été l’une des premières informées de la tragédie. Des travailleuses blessées l’ont sollicitée. Mais elle s’est heurtée aux murs de l’administration, de l’employeur : « Un accident mortel de bus qui transporte des ouvrières agricoles étrangères, le jour de la Fête des travailleurs, c’est une bombe à l’échelle locale et nationale. Heureusement pour le gouvernement et le patronat agricole, elles sont des immigrées légales, pas sans papiers. »

    Devant le logement de San Juan del Puerto, elle a découvert le portail cadenassé, une entrave à la liberté de circuler des ouvrières. Elle l’a dénoncée sur les réseaux sociaux. Et dans la presse, auprès du journaliste indépendant Perico Echevarria notamment, poil à gratter avec sa revue Mar de Onuba, seul média local à déranger un système agroalimentaire et migratoire qui broie des milliers de vies. Surexport a fini par faire sauter le verrou.

    « Elles ont été enfermées, interdites de parler à des associations, à la presse. Ce n’est pas tolérable », s’indigne encore la militante. Son regard s’arrête sur une des photos de Zahra. Celle où elle a basculé de vie à trépas. Elle n’était pas prête. Elle s’effondre. Cette fois, ce sont Aïcha, Hanane et Farida qui l’enlacent en claudiquant. Le corps de Zahra a été rapatrié, enterré dans un cimetière d’Essaouira.

    La presse, d’une rive à l’autre, spécule sur le montant des pensions et des indemnités que pourraient percevoir les proches de la défunte, selon le droit espagnol. « C’est indispensable de rendre justice à cette famille meurtrie à jamais, à défaut de pouvoir rendre la vie à Zahra », dit l’avocate. Aïcha, Hanane et Farida, elles, veulent qu’on retienne son visage souriant à travers l’Europe, en France, au Pays-Bas, en Belgique..., et qu’on l’associe à chaque barquette de fraises marquée « origine : Huelva (Espagne) ».

    https://www.mediapart.fr/journal/international/270523/zahra-morte-pour-quelques-fraises-espagnoles
    #décès #Espagne #agriculture #exploitation #esclavage_moderne #migrations #travail #Maroc #agricultrices #femmes #conditions_de_travail #ouvrières_agricoles #Surexport #industrie_agro-alimentaire #Alantra #saisonniers #saisonnières #Andalousie #or_rouge #abus #féminisation #féminisation_du_travail #convention_bilatérale #Anapec #migration_circulaire #genre #violence #contrat_en_origine #contratación_en_origen #émancipation #sécheresse #eau #isolement #travail_forcé

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    ajouté au fil de discussion sur la cueillette de fraises en Espagne :
    https://seenthis.net/messages/693859

  • La #convention_citoyenne pour le #climat, théâtre d’affrontements entre groupes d’intérêt
    https://metropolitiques.eu/La-Convention-citoyenne-pour-le-climat-theatre-d-affrontements-entre

    Si la Convention citoyenne pour le climat est loin d’avoir permis une réponse à la hauteur de l’urgence climatique, Simon Baeckelandt montre que la publicisation des négociations entre groupes d’intérêts est une voie pour démocratiser l’écologie. Si la réalité du changement climatique n’est plus aujourd’hui contestée dans l’espace public, les politiques à adopter en matière environnementale sont loin d’être consensuelles. Entre innovation technologique et sobriété organisée, contrainte sur l’appareil #Terrains

    / #participation, climat, #environnement, convention citoyenne, #alimentation, #écologie

    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met-baeckelandt.pdf

  • Femmes dans la procédure d’asile suisse. « Livrées à leur sort plutôt qu’accueillies »

    Avec sa campagne « Livrées à leur sort plutôt qu’accueillies ! » et ses revendications politiques, TERRE DES FEMMES Suisse demande justice et protection pour les réfugiées en Suisse. Dans son rapport de campagne, l’organisation répond à une publication de la Confédération et des cantons au sujet d’une analyse de la situation des femmes réfugiées dans le système d’asile, qui met l’accent sur les femmes réfugiées. La Confédération et les cantons reconnaissent pour la première fois qu’une perspective de genre et des mesures appropriées sont nécessaires dans le système d’asile pour prévenir la violence contre les femmes et pour soutenir les personnes concernées. Toutefois, l’organisation regrette que les mesures prévues par la Confédération et les cantons soient toujours incomplètes et non systématiques, en dépit des obligations qui leur incombent en vertu de la Convention d’Istanbul. Une position également soutenue par d’autres organisations.

    Le rapport Terre des femmes Suisse a été publié en octobre 2019. Il est disponible sur le site de l’organisation ou téléchargeable ici : « Livrées à leur sort plutôt qu’accueillies. Les femmes réfugiées ne sont pas en sécurité dans le système de l’asile », octobre 2019 (https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjkse2ausP5). Nous reproduisons ci-dessous leurs principales revendications.

    L’association Terre des femmes suisse se bat depuis des années pour qu’une analyse de la situation des femmes réfugiées soit faite et que l’accent soit mis sur la situation de ces femmes dans le système de l’asile en Suisse. En 2016, la conseillère nationale socialiste Yvonne Feri a déposé une motion « Analyse de la situation des réfugiées » qui demandait à la Confédération deux choses. D’une part une analyse de l’encadrement, du traitement et du soutien qu’offre la Suisse aux femmes et aux filles qui relèvent du domaine de l’asile et qui ont été victimes de violence ou d’exploitation sexuelle. D’autre part, elle questionne la nécessité d’agir dans le domaine de l’hébergement et de l’encadrement généraux de requérantes d’asile majeures ou mineures. Depuis, en 2017, la Suisse a ratifié la Convention d’Istanbul visant à prévenir et à lutter contre la violence à l’égard de toutes les femmes et la violence domestique, quel que soit le statut ou le pays de provenance. Le 25 septembre 2019, le Conseil fédéral et le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) publient deux rapports sur la base de l’étude mandatée suite au dépôt de la motion Feri et publiée en mars 2019 par le Centre de compétence pour les Droits Humains (CSDH).

    L’association Terre des femmes suisse salue la publication récente des rapports portant sur les structures d’asile existantes au niveau tant fédéral que cantonal. L’organisation regrette toutefois que les mesures prévues par la Confédération et les cantons soient toujours incomplètes et non systématiques, en dépit des obligations qui leur incombent en vertu de la Convention d’Istanbul. Parmi une liste de revendications politiques listées dans le rapport, Terre des femmes regrette que les mesures envisagées dans les rapports du SEM et du Conseil fédéral manquent de prendre en considération la diversité des femmes et des formes de violences qui s’exercent sur elles. Elle estime essentiel que le soutien et la protection de ces femmes se fasse sans considération du stade de la procédure d’asile ou de leur statut de séjour. Elle rappelle la nécessité de collaborer avec des services spécialisés et d’intégrer les dimensions du genre dans toute le système de l’asile. Elle souligne l’importance de former le personnel qui interagit au quotidien avec ces femmes. De même, elle demande, tel que l’avait fait la motion Feri, qu’une reconnaissance des violences puisse être effectuée même si ces actes ont été perpétré à l’étranger, avant leur arrivée en Suisse. Le rapport précité donne davantage d’explications sur ces points et en relève d’autres tout aussi relevant.

    De son côté, le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) salue également l’adoption de ces rapports. L’adoption de ces trois rapports successifs au Postulat Feri apporte, pour le HCR, une contribution importante à la reconnaissance et à la prise en compte des besoins spécifiques aux femmes réfugiées et aux victimes de violence sexuelle dans le système d’asile suisse. Il souligne toutefois le besoin de mettre en place des mesures additionnelles adaptées aux femmes ainsi que d’assurer une mise en œuvre des rapports impliquant tous les acteurs concernés et portant sur l’ensemble des domaines d’activités analysés.

    L’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) critique entre autres le fait que le SEM a évalué lui-même la situation des femmes dans les CFA, au lieu de confier cette analyse à un acteur externe.

    Les différentes prises de position démontrent que les autorités gagneraient à se faire accompagner dans leur volonté d’amélioration par les différents acteurs mobilisés depuis de nombreuses années auprès des femmes exilées. De par le lien de confiance tissé, ces associations de terrain permettraient notamment de faire entendre la voix de celles concernées. Ensemble, alors peut-être, elles pourront prendre soin de cette question bien trop longtemps invisibilisée.

    https://asile.ch/2019/10/18/terre-des-femmes-livrees-a-leur-sort-plutot-quaccueillies

    #rapport #femmes #asile #migrations #réfugiés #réfugiées #genre #violence #procédure_d'asile #Suisse #Convention_d'Istanbul #Terre_des_femmes

  • Le #patrimoine, l’autre victime collatérale des #guerres

    Les populations civiles ne sont pas les seules à être menacées par les #conflits_armés ; les #biens_culturels également. Quoique protégé par une législation spécifique, le patrimoine peut même être intentionnellement pris pour cible.

    Sur la place d’armes de Chamblon, dans le canton de Vaud, des jeunes gens portant des gilets blancs ou rouges et des membres de la protection civile s’affairent. Ils déplacent, observent, photographient, répertorient des objets visiblement calcinés.

    Heureusement, il ne s’agit que d’un exercice de sauvetage d’une collection patrimoniale organisé par la Haute École ARC Conservation-restaurationLien externe (HE-ARC CR). Les treize étudiantes et étudiants qui y participent apprennent à agir comme si le sinistre avait eu lieu dans un musée, une bibliothèque ou un service d’archives. Il s’agit par exemple de procéder à un tri entre les objets irrémédiablement perdus et ceux qui pourraient être conservés en vue d’une restauration.

    L’Ukraine protège ses trésors

    Ce type d’exercice n’a rien d’exceptionnel ; il est normalement organisé tous les deux ans. Mais en cette journée de mars 2022, il se déroule dans un contexte particulier : tout le monde a en tête la guerre en Ukraine, où le danger pour le patrimoine est bien réel.

    En Ukraine, les autorités ont fait leur possible pour protéger les trésors patrimoniaux. Les collections ont été mises en lieu sûr. Quant aux bâtiments et aux objets impossibles à déplacer, ils ont été protégés avec les moyens du bord : sacs de sable, bâches, mousse, tissus anti-feu…

    Malgré ces efforts, après un mois et demi de guerre, les opérations militaires ont déjà provoqué des pertes culturelles importantes. Selon le dernier recencement effectué par l’UNESCO, au moins 53 sites culturels ont déjà été endommagés par les bombardements et les combats. Par exemple, 25 tableaux de l’artiste #Maria_Primachenko, partis en fumée dans l’incendie du musée d’histoire et d’art local d’#Ivankiv à la suite d’un #bombardement.

    Une protection spécifique

    On ne le sait pas forcément, mais tout comme les populations civiles, le patrimoine fait l’objet d’une #protection spécifique dans le cadre de conflits armés. « Compte tenu des #dommages_collatéraux de plus en plus importants dus à la #guerre_moderne, des pays ont commencé à comprendre dès la fin du 19e siècle qu’il était nécessaire de prendre soin du patrimoine et de s’organiser au niveau international », indique Nathalie Ducatel, chargée de cours à la HE-ARC CR.

    Mais ce sont les destructions massives infligées au patrimoine lors de la Seconde Guerre mondiale qui débouchent sur une véritable protection, avec la #Convention_de_La_Haye pour la #protection_des_biens_culturels en cas de conflits armés, adoptée en 1954. Il s’agit du premier instrument international à vocation universelle exclusivement axé sur la protection du patrimoine culturel.

    La Convention de La Haye interdit l’utilisation de biens culturels à des fins qui pourraient les exposer à une #destruction ou à une #détérioration. Elle exige aussi que les belligérants s’abstiennent de tout acte d’hostilité à l’égard de ces biens. En outre, il est demandé d’inculquer aux personnels des forces armées un esprit de respect envers les biens culturels de tous les peuples.

    Deux Protocoles additionnels renforcent encore la Convention. Le premier empêche l’exportation de biens culturels d’un territoire occupé. Le second demande en particulier de criminaliser la destruction délibérée de tout bien culturel et établit un fonds spécial pour aider les États à protéger leurs biens culturels.

    Choc en Yougoslavie

    Mais faut-il encore que la Convention de La Haye soit respectée. Or des conflits récents ont montré que ce n’est pas forcément toujours le cas. « À la fin du conflit en Yougoslavie, les belligérants ont délibérément pilonné des sites signalés comme étant des éléments patrimoniaux. On pensait ce genre de pratique terminé depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce qui s’est passé en Yougoslavie a donc constitué un choc », dit Nathalie Ducatel.

    Depuis, bien d’autres crimes contre le patrimoine ont été perpétrés dans le monde. On pense notamment au dynamitage des bouddhas géants de Bamiyan, en Afghanistan, à la destruction du site de Palmyre, en Syrie, ou encore au pillage d’objets archéologiques dans les musées irakiens.

    « En s’en prenant au patrimoine, l’idée est toujours de s’en prendre à ce qui est particulièrement précieux pour un peuple : sa mémoire et son identité », déplore Nathalie Ducatel.

    Pas inutile

    Les faits montrent qu’une convention internationale ne permet souvent pas de protéger un patrimoine, pas plus que des populations civiles d’ailleurs. Quant à l’idée de déférer les responsables des destructions devant la justice et d’obtenir des réparations, là aussi cela semble être un vœu pieux.

    Pour autant, un cadre légal international n’est pas inutile. « Il est bien clair que nous n’empêcherons jamais toutes les destructions et les trafics, admet Nathalie Ducatel. Mais le fait que cette réglementation existe réduit par exemple la mise sur le marché d’objets obtenus illégalement dans des pays comme la Suisse. »

    https://www.swissinfo.ch/fre/le-patrimoine--l-autre-victime-collat%C3%A9rale-des-guerres/47480766
    #guerre #Ukraine

  • Nansen, un passeport pour les apatrides

    Trente ans avant la Convention de Genève, le diplomate norvégien Fridtjof Nansen crée le 5 juillet 1922 un passeport auquel il donnera son nom qui, entre 1922 et 1945, protégera environ 500 000 hommes et femmes destitués de leur nationalité et devenus apatrides du fait des grands bouleversements occasionnés par la première guerre mondiale, le génocide arménien, la révolution russe.

    http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/48212_1

    #film #film_documentaire #documentaire #déchéance_de_nationalité #histoire #apatridie #Nansen #Arméniens #réfugiés #Société_des_Nations #Russie #Croix-Rouge #Constantinople #statut_juridique #frontières #réfugiés_russes #passeport_Nansen #certificat_d'identité_Nansen #travail #Albert_Thomas #BIT #Paris #ILO #Renault #Citroën #comités_de_réfugiés_arméniens #resocialisation #génocide_arménien #Union_soviétique #Convention_de_Genève #déchéance_massive_et_collective_de_nationalité #Fridtjof_Nansen #asile

  • Convention on the Value of Cultural Heritage for Society (Faro Convention, 2005)

    The Faro Convention emphasizes the important aspects of heritage as they relate to human rights and democracy. It promotes a wider understanding of heritage and its relationship to communities and society. The Convention encourages us to recognize that objects and places are not, in themselves, what is important about cultural heritage. They are important because of the meanings and uses that people attach to them and the values they represent.

    The Faro Convention is a “framework convention” which defines issues at stake, general objectives and possible fields of intervention for member States to progress. Each State Party can decide on the most convenient means to implement the Convention according to its legal or institutional frameworks, practices and specific experience. Compared to other conventions, the “framework convention” does not create specific obligations for action. It suggests rather than imposes.

    The Convention was adopted by the Committee of Ministers of the Council of Europe on 13 October 2005, and opened for signature to member States in Faro (Portugal) on 27 October of the same year. It entered into force on 1 June 2011. To date, 20 member States of the Council of Europe have ratified the Convention and 7 have signed it.

    https://www.coe.int/en/web/culture-and-heritage/faro-convention

    –—

    Faro Convention Action Plan
    https://www.youtube.com/watch?v=74eMTcLFydM&feature=emb_logo


    https://www.youtube.com/watch?v=BB0U1MMSTv4

    https://www.coe.int/en/web/culture-and-heritage/faro-action-plan
    #Convention_de_Faro #héritage #patrimoine #droits_humains #démocratie #héritage_culturel

  • Sur le droit d’asile, les migrations et les frontières... sur le droit et les violations du droit...

    Maître #François_Sureau, avocat, sur France culture, pour que ça soit dit et redit et re-redit...

    à partir de la minute 18’45 :

    "L’origine de l’#imposture, on la voit fonctionner dans le discours préfectoral qui dit « Il y a un droit : si ils franchissent la #frontière en #fraude, ils sont en situation irrégulière, on les reconduit dehors ». Cela n’est pas le droit. Le droit c’est que toute personne qui demande l’#asile a droit de voir sa demande examinée sur le territoire de la République, a fortiori lorsqu’il est mineur.
    Tous les gens qui demandent l’asile sont en situation, par hypothèse, irrégulière, puisque la France n’autorise pas les #visas_asilaires, ne permet à personne de rentrer pour demande l’asile de manière régulière et que, surplus, quand vous avez été persécuté dans le pays d’origine, la première chose que vous faites au moment de vous en aller, ne consiste pas à vous précipiter à la police pour demander un passeport en bonne et due forme.
    Tout le monde sait, depuis la création de la Convention de Genève, depuis l’époque du passeport Nansen, depuis les républicains espagnols, depuis les Arméniens, depuis les juifs, depuis l’entre-deux-guerres, tout le monde sait que quelqu’un qui arrive pour demander l’asile est nécessairement en situation irrégulière. Si on excipe de cette situation irrégulière, pour lui interdire de demander l’asile en le reconduisant à la frontière, on viole à la fois la #Constitution et la #Convention_de_Genève. C’est une chose que rappelle la quasi-totalité des juridictions française depuis près d’une dizaine d’années. Il a fallu que la Grande Chambre de la #Cour_européenne_des_droits_de_l'homme intervienne pour interdire à la France de renvoyer des gens jusqu’en Grèce, parce que la Grèce ne traitait pas sérieusement les demandes d’asile.
    La France ne traite pas davantage sérieusement les demandes d’asile lorsqu’elle reconduit des gens, y compris des #mineurs en pleine nuit dans la #montagne, en leur disant ’Marche devant toi, là-bas c’est l’Italie’".

    https://www.franceinter.fr/emissions/l-humeur-vagabonde/l-humeur-vagabonde-27-fevrier-2021

    #frontières #droit_d'asile #asile #migrations #réfugiés

    ping @isskein @karine4

  • Pour défendre son #action_climatique, le #gouvernement s’offre les services d’un #cabinet_de_conseil international
    https://reporterre.net/Pour-defendre-son-action-climatique-le-gouvernement-s-offre-les-services

    À grand renfort de tableaux Excel et de budget carbone, la bataille des chiffres fait rage autour de la future loi Climat. Présenté hier en Conseil des ministres, le texte, qui reprend, au rabais, les propositions de la Convention citoyenne, n’est pas à la hauteur de son ambition. L’objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 n’est pas atteignable avec les mesures annoncées.

    […] Le député Matthieu Orphelin a voulu le démontrer. L’ingénieur, qui a fait la majeure partie de sa carrière à l’Ademe, l’Agence de la transition écologique, a estimé que la loi, dans sa version actuelle, ne permettrait d’éviter que 13 millions de tonnes de CO2 par an (MtCO2), contre les 112 MtCO2/an visées. « En écartant sciemment les mesures les plus impactantes de la Convention citoyenne, le texte n’a qu’une portée symbolique », a-t-il regretté

    Plusieurs avis sont venus appuyer son propos. Le 26 janvier dernier, le #Conseil_national_de_la_transition_écologique s’est inquiété « de la baisse insuffisante des émissions de gaz à effet de serre induite par cette loi ». Quant au Conseil économique social et environnemental [#CESE], pas spécialement réputé pour le tranchant de ses prises de position, il a rendu un rapport incisif le 27 janvier dernier où il a souligné « les abus de langage » du gouvernement.

    […] le ministère de la #Transition_écologique a commandé un rapport au cabinet de conseil #Boston_Consulting_Group (#BCG). BCG est une multinationale réputée dans le monde des affaires. 60 % de ses clients sont des entreprises du CAC 40.ses clients habituels sont les mêmes que ceux qui se sont évertués pendant des mois à démonter une à une les propositions de la Convention citoyenne. BCG travaille main dans la main avec les lobbies industriels qui ont mené une guerre de l’ombre contre les citoyens tirés au sort. Le Medef a démoli le délit d’écocide proposé par la Convention. La firme BASF a critiqué son « populisme » et les filières automobile et aérienne se sont mobilisées contre toute forme de régulation contraignante.

    […] Une incompréhension générale demeure. Pourquoi le #Haut_Conseil_pour_le_climat n’a-t-il pas été mandaté ? C’est pourtant son rôle. Créée en 2018, cette instance consultative réunit nombre de climatologues et de scientifiques. Un consensus se dégage autour de son haut degré d’expertise et de sa neutralité.

    Contacté par Reporterre, son directeur exécutif, Olivier Fontan, dit « n’avoir reçu aucun appel du gouvernement ». Ses rapports critiques envers les politiques d’Emmanuel Macron aurait-il dissuadé le gouvernement de le solliciter ? L’été dernier, le Haut Conseil pour le climat jugeait « marginale » et « insuffisante » l’action climatique du gouvernement. Cet automne, il alertait des conséquences environnementales de la 5 G.

    Face au silence de l’exécutif, le Haut Conseil pour le #climat a tout de même décidé de se saisir du projet de loi Climat. « Nous rendrons un avis d’ici les prochaines semaines », assure Olivier Fontan. Contrairement à celui du BCG, il n’est pas certain que cet avis soit conciliant.

  • Les lobbies ont saboté la Convention citoyenne pour le climat
    https://reporterre.net/Les-lobbies-ont-sabote-la-Convention-citoyenne-pour-le-climat

    Automobile, aérien, agrochimie... « Les industriels ont mobilisé tous les leviers d’influence à leur disposition » pour torpiller le travail de la Convention citoyenne pour le climat, démontre l’Observatoire des multinationales. Grâce à d’éminents professionnels de la communication, ils ont converti moult politiques et bénéficié de relais médiatiques.

    « Les #lobbies_industriels ont mené une guerre de l’ombre contre la #Convention_climat. » C’est ce que démontre l’Observatoire des multinationales dans un rapport rendu public lundi 8 février. Au fil des pages, les auteurs retracent « l’offensive acharnée » des secteurs les plus concernés par les propositions des citoyens et des citoyennes comme l’automobile, l’aérien, l’agrochimie ou la publicité.

    « Les industriels ont mobilisé tous les leviers d’influence à leur disposition », notent les journalistes à l’origine du rapport. Rassemblés dans « une large coalition de conservatismes et d’intérêts établis », ils ont réussi leur travail de sape. L’influence qu’ils ont eue sur l’exécutif et la bataille qu’ils ont menée cet automne expliquent en grande partie le détricotage des 149 mesures proposées par les citoyennes et citoyens tirés au sort.

    La surprise est totale !

  • La prolongation des #détentions_provisoires interdite pendant l’#état_d’urgence | Public Senat
    https://www.publicsenat.fr/article/politique/la-prolongation-des-detentions-provisoires-interdite-pendant-l-etat-d-ur

    Presque un an après son entrée en vigueur, les Sages de la rue Montpensier viennent censurer définitivement l’article 15 d’une ordonnance du 25 mars 2020, prise sur le fondement de la loi d’habilitation de l’état d’urgence du 23 mars 2020. Ce texte autorisait la prolongation de toutes les mesures de détention provisoire ou d’#assignation_à_résidence sous surveillance électronique, sans passer par le contrôle d’un #juge.

    […] L’ordonnance du 25 mars prolongeait « de plein droit » de 2 à 6 mois, selon la gravité de l’infraction, l’ensemble des détentions provisoires. En application de l’article 15 de cette même ordonnance les prolongations de détention provisoire décidées pendant la période de l’état d’urgence sanitaire continuaient à s’appliquer malgré la fin de celui-ci.

    Saisi en référé le 3 avril, le #Conseil_d’État, qui n’avait pas pris la peine de tenir audience, avait jugé que l’ordonnance garantissait les droits et libertés des personnes en détention provisoire ».

    […] Avant même la décision du #Conseil_Constitutionnel, les sénateurs pointaient la constitutionnalité « incertaine » de l’ordonnance. « La prolongation de plein droit sans intervention explicite du juge des libertés et de la détention était une atteinte disproportionnée aux libertés, dont les conséquences pratiques semblent heureusement circonscrites » écrivaient-ils. De même, le rapport du Sénat rappelait la position de la chambre criminelle de la #Cour_de_Cassation qui s’appuyait sur l’article 5.3 de la #Convention_européenne_des_droits_de_l’homme, selon lequel toute personne « arrêtée ou détenue [notamment celles placées en détention provisoire] doit être aussitôt traduite devant un juge […] et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libéré pendant la procédure ». « Une interprétation apparemment inverse de celle du Conseil d’État » relevaient sobrement les élus.

  • Sur la frontière gréco-turque, à l’épicentre des tensions

    L’Union européenne entend sanctionner la politique de plus en plus expansionniste de la Turquie, qui ravive en Grèce les souvenirs des conflits du passé. Ligne de rupture, mais aussi d’échanges entre Orient et Occident, la frontière gréco-turque ne respire plus depuis la crise sanitaire. De #Kastellorizo à la #Thrace en passant par #Lesbos, les deux pays ont pourtant tant de choses en commun, autour de cette démarcation qui fut mouvante et rarement étanche.

    Petite île aux confins orientaux de la Grèce, Kastellorizo touche presque la #Turquie. Le temps s’écoule lentement dans l’unique village, logé dans une baie profonde. En cette fin septembre, de vieux pêcheurs jouent aux cartes près des enfants qui appâtent des tortues dans les eaux cristallines. Devant son café froid, M. Konstantinos Papoutsis observe, placide, l’immense côte turque, à guère plus de deux kilomètres, et la ville de Kaş, son seul horizon. « Nous sommes une île touristique tranquille, assure cet homme affable qui gère une agence de voyages. Je l’ai répété aux touristes tout l’été. » Attablée autour de lui, la poignée d’élus de cette commune de cinq cents âmes reprend ses propos d’un air débonnaire : « Il n’y a aucun danger à Kastellorizo ! »

    Un imposant ferry, qui paraît gigantesque dans ce petit port méditerranéen, vient animer le paysage. Parti d’Athènes vingt-quatre heures plus tôt, il manœuvre difficilement pour débarquer ses passagers, parmi lesquels une cinquantaine d’hommes en treillis et chapeaux de brousse. Les soldats traversent la baie d’un pas vif avant de rejoindre les falaises inhabitées qui la dominent. « C’est une simple relève, comme il y en a tous les mois », commente M. Papoutsis, habitué à cette présence.

    Selon le #traité_de_Paris de février 1947 (article 14), et du fait de la cession par l’Italie à la Grèce du Dodécanèse, les îles dont fait partie Kastellorizo sont censées être démilitarisées. Dans les faits, les troupes helléniques y guettent le rivage turc depuis l’occupation par Ankara de la partie nord de Chypre, en 1974, précisent plusieurs historiens (1). Cette défense a été renforcée après la crise gréco-turque autour des îlots disputés d’Imia, en 1996. La municipalité de Kastellorizo refuse de révéler le nombre d’hommes postés sur ses hauteurs. Et si les villageois affichent un air de décontraction pour ne pas effrayer les visiteurs — rares en cette période de Covid-19 —, ils n’ignorent pas l’ombre qui plane sur leur petit paradis.

    Un poste avancé d’Athènes en Méditerranée

    Kastellorizo se trouve en première ligne face aux menaces du président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui veut redessiner les cartes et imposer son propre #partage_des_eaux. Depuis les années 1970, les #îles du #Dodécanèse font l’objet d’un #conflit larvé entre ces deux pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). La Turquie conteste la souveraineté grecque sur plusieurs îles, îlots et rochers le long de sa côte. Surtout, elle est l’un des rares pays, avec notamment les États-Unis, à ne pas avoir signé la convention des Nations unies sur le droit de la mer (dite #convention_de_Montego_Bay, et entrée en vigueur en 1994), et ne reconnaît pas la revendication par la Grèce d’un plateau continental autour de ses îles. Athènes justifie dès lors leur #militarisation au nom de la #légitime_défense (2), en particulier depuis l’occupation turque de Chypre et en raison d’une importante présence militaire à proximité : la marine et l’armée de l’air turques de l’Égée sont basées à İzmir, sur la côte occidentale de l’Asie Mineure.

    Si proche de la Turquie, Kastellorizo se trouve à 120 kilomètres de la première autre île grecque — Rhodes — et à plus de 520 kilomètres du continent grec. Alors que l’essentiel de la #mer_Egée pourrait être revendiqué par Athènes comme #zone_économique_exclusive (#ZEE) (3) au titre de la convention de Montego Bay (voir la carte ci-contre), ce lointain îlot de neuf kilomètres carrés lui permet de facto de jouir d’une large extension de plusieurs centaines de kilomètres carrés en Méditerranée orientale. Or, faute d’accord bilatéral, cette ZEE n’est pas formellement établie pour Ankara, qui revendique d’y avoir librement accès, surtout depuis la découverte en Méditerranée orientale de gisements d’#hydrocarbures potentiellement exploitables. À plusieurs reprises ces derniers mois, la Turquie a envoyé dans le secteur un bateau de recherche sismique baptisé #Oruç_Reis, du nom d’un corsaire ottoman du XVIe siècle — surnommé « #Barberousse » — né à Lesbos et devenu sultan d’Alger.

    Ces manœuvres navales font écho à l’idéologie de la « #patrie_bleue » (#Mavi_Vatan). Soutenue par les nationalistes et les islamistes, cette doctrine, conçue par l’ancien amiral #Cem_Gürdeniz, encourage la Turquie à imposer sa #souveraineté sur des #zones_disputées en #mer_Noire, en mer Égée et en #Méditerranée. Ces derniers mois, M. Erdoğan a multiplié les discours martiaux. Le 26 août, à l’occasion de l’anniversaire de la bataille de Manzikert, en 1071, dans l’est de la Turquie, où les Turcs Seldjoukides mirent en déroute l’armée byzantine, il avertissait la Grèce que toute « erreur » mènerait à sa « ruine ». Quelques semaines plus tard, le 21 octobre, lors d’une rencontre avec les présidents chypriote et égyptien à Nicosie, M. Kyriakos Mitsotakis, le premier ministre grec conservateur, accusait la Turquie de « fantasmes impérialistes assortis d’actions agressives ».

    Sous pression en août dernier, Athènes a pu compter sur le soutien de la République de Chypre, de l’Italie et de la France, avec lesquelles elle a organisé des manœuvres communes. Ou encore de l’Égypte, avec laquelle elle vient de signer un accord de partage des #zones_maritimes. Déjà en conflit ouvert avec son homologue turc sur la Syrie, la Libye et le Caucase, le président français Emmanuel Macron s’est résolument rangé aux côtés d’Athènes. « C’est un allié précieux que l’on voudrait inviter à venir sur notre île », déclare l’adjoint à la municipalité de Kastellorizo, M. Stratos Amygdalos, partisan de Nouvelle Démocratie, le parti au pouvoir. À la mi-septembre 2020, la Grèce annonçait l’acquisition de dix-huit Rafale, l’avion de combat de Dassault Aviation.

    « Erdoğan se prend pour Soliman le Magnifique. Mais il perd du crédit dans son pays, la livre turque s’effondre. Alors il essaie de redorer son image avec des idées de conquêtes, de rêve national… », maugrée de son côté M. Konstantinos Raftis, guide touristique à Kastellorizo. La comparaison entre le sultan de la Sublime Porte et l’actuel président turc revient fréquemment dans ce pays qui fit partie de l’Empire ottoman durant quatre siècles (de 1430, date de la chute de Salonique, à l’indépendance de 1830). La résistance hellénique a forgé l’identité de l’État grec moderne, où l’on conserve une profonde suspicion à l’égard d’un voisin encombrant, quatre fois plus riche, six fois plus grand et huit fois plus peuplé. Cette méfiance transcende les clivages politiques, tant le #nationalisme irrigue tous les partis grecs. Athènes voit aujourd’hui dans la doctrine de la « patrie bleue » une politique expansionniste néo-ottomane, qui fait écho à l’impérialisme passé.

    À l’embouchure du port de Kastellorizo, la silhouette d’une mosquée transformée en musée — rare vestige de la présence ottomane — fait de l’ombre à un bar à cocktails. L’édifice trône seul face aux vingt-six églises orthodoxes. La Constitution précise que l’orthodoxie est la « religion dominante » dans le pays, et, jusqu’en 2000, la confession était inscrite sur les cartes d’identité nationales. La suppression de cette mention, à la demande du gouvernement socialiste, a provoqué l’ire de la puissante Église orthodoxe, plus de 95 % des Grecs se revendiquant alors de cette religion. « Pendant toute la période du joug ottoman, nous restions des Grecs. Nos ancêtres ont défendu Kastellorizo pour qu’elle garde son identité. Nous nous battrons aussi pour qu’elle la conserve », s’emballe soudainement M. Raftis.

    Son île a dû résister plus longtemps que le reste du pays, insiste le sexagénaire. Après le départ des Ottomans, Kastellorizo, convoitée par les nations étrangères pour sa position géographique aux portes de l’Orient, a été occupée ou annexée par les Français (1915-1921), les Italiens (1921-1944), les Britanniques (1944-1945)… L’îlot n’est devenu complètement grec qu’en 1948, comme l’ensemble des îles du Dodécanèse. Depuis, il arbore fièrement ses couleurs. Dans la baie, plusieurs étendards bleu et blanc flottent sur les balcons en encorbellement orientés vers la ville turque de Kaş (huit mille habitants). Le nombre de ces drapeaux augmente quand la tension s’accroît.

    Trois autres grands étendards nationaux ont été peints sur les falaises par des militaires. En serrant les poings, M. Raftis raconte un épisode qui a « mis les nerfs de tout le monde à vif ». À la fin septembre 2020, un drone d’origine inconnue a diffusé des chants militaires turcs avant d’asperger ces bannières d’une peinture rouge vif, évoquant la couleur du drapeau turc. « C’est une attaque impardonnable, qui sera punie », peste l’enfant de l’île, tout en scrutant les quelques visages inconnus sur la promenade. Il redoute que des espions viennent de Turquie.

    « Les #tensions durent depuis quarante ans ; tout a toujours fini par se régler. Il faut laisser la Turquie et la Grèce dialoguer entre elles », relativise pour sa part M. Tsikos Magiafis, patron avenant d’une taverne bâtie sur un rocher inhabité, avec une vue imprenable sur Kaş. « Les querelles sont affaire de diplomates. Les habitants de cette ville sont nos frères, nous avons grandi ensemble », jure ce trentenaire marié à une Turque originaire de cette cité balnéaire. Adolescent, déjà, il délaissait les troquets de Kastellorizo pour profiter du bazar de Kaş, du dentiste ou des médecins spécialisés qui manquent au village. Les Turcs, eux, ont compté parmi les premiers touristes de l’île, avant que la frontière ne ferme totalement en mars 2020, en raison du Covid-19.

    À Lesbos, les réfugiés comme « #arme_diplomatique »

    À 450 kilomètres plus au nord-ouest, au large de l’île de Lesbos, ce ne sont pas les navires de recherche d’hydrocarbures envoyés par Ankara que guettent les Grecs, mais les fragiles bateaux pneumatiques en provenance de la côte turque, à une dizaine de kilomètres seulement. Cette île montagneuse de la taille de la Guadeloupe, qui compte 85’000 habitants, constitue un autre point de friction, dont les migrants sont l’instrument.

    Depuis une décennie, Lesbos est l’une des principales portes d’entrée dans l’Union européenne pour des centaines de milliers d’exilés. Afghans, Syriens, Irakiens ou encore Congolais transitent par la Turquie, qui accueille de son côté environ quatre millions de réfugiés. En face, le rivage turc se compose de plages peu touristiques et désertes, prisées des passeurs car permettant des départs discrets. Les migrants restent toutefois bloqués à Lesbos, le temps du traitement de leur demande d’asile en Grèce et dans l’espoir de rejoindre d’autres pays de l’espace Schengen par des voies légales. Le principal camp de réfugiés, Moria, a brûlé dans des conditions obscures le 8 septembre, sans faire de victime grave parmi ses treize mille occupants.

    Pour M. Konstantinos Moutzouris, le gouverneur des îles égéennes du Nord, ces arrivées résultent d’un calcul stratégique d’Ankara. « Erdoğan utilise les réfugiés comme arme diplomatique, il les envoie lorsqu’il veut négocier. Il a une attitude très agressive, comme aucun autre dirigeant turc avant lui », accuse cette figure conservatrice locale, connue pour ses positions tranchées sur les migrants, qu’il souhaite « dissuader de venir ».

    Il en veut pour preuve l’épisode de tension de mars 2020. Mécontent des critiques de l’Union européenne lors de son offensive contre les Kurdes dans le nord de la Syrie, le président turc a annoncé l’ouverture de ses frontières aux migrants voulant rejoindre l’Europe, malgré l’accord sur le contrôle de l’immigration qu’il a passé avec Bruxelles en mars 2016. Plusieurs milliers de personnes se sont alors massées aux portes de la Grèce, à la frontière terrestre du Nord-Est, suscitant un renforcement des troupes militaires grecques dans ce secteur. Dans le même temps, à Lesbos, une dizaine de bateaux chargés de réfugiés atteignaient les côtes en quelques jours, déclenchant la fureur d’extrémistes locaux. « Nous ne communiquons plus du tout avec les autorités turques depuis », affirme M. Moutzouris.

    Athènes assume désormais une ligne dure, quitte à fermer une partie de sa frontière commune avec la Turquie aux demandeurs d’asile, en dépit des conventions internationales que la Grèce a signées. Le gouvernement a ainsi annoncé mi-octobre la construction d’un nouveau #mur de 27 kilomètres sur la frontière terrestre. Au début de l’année 2020, il avait déjà déclaré vouloir ériger un #barrage_flottant de 2,7 kilomètres au large de Lesbos. Un ouvrage très critiqué et jugé illégal par les organisations non gouvernementales (ONG) de défense des droits humains. Un projet « absurde », juge M. Georgios Pallis, pharmacien de l’île et ancien député Syriza (gauche). Plusieurs sources locales évoquent une suspension de la construction de ce barrage. Le gouvernement, lui, ne communique pas à ce sujet.

    « Les réfugiés payent la rupture du dialogue gréco-turc », déplore M. Pallis entre deux mezze arrosés de l’ouzo local, près du port bruyant de Mytilène, dans le sud de l’île. « Des retours forcés de migrants sont organisés par les gardes-côtes grecs. » En septembre, le ministre de la marine se targuait, au cours d’une conférence de presse, d’avoir « empêché » quelque dix mille migrants d’entrer en 2020. Un mois plus tard, le ministre de l’immigration tentait, lui, de rectifier le tir en niant tout retour forcé. À Lesbos, ces images de réfugiés rejetés ravivent un douloureux souvenir, analyse M. Pallis : « Celui de l’exil des réfugiés d’Asie Mineure. » Appelé aussi en Grèce la « #grande_catastrophe », cet événement a fondé l’actuelle relation gréco-turque.

    Au terme du déclin de l’Empire ottoman, lors de la première guerre mondiale, puis de la guerre gréco-turque (1919-1922), les Grecs d’Asie Mineure firent l’objet de #persécutions et de #massacres qui, selon de nombreux historiens, relèvent d’un #génocide (4). En 1923, les deux pays signèrent le #traité_de_Lausanne, qui fixait les frontières quasi définitives de la Turquie moderne et mettait fin à l’administration par la Grèce de la région d’İzmir-Smyrne telle que l’avait décidée le #traité_de_Sèvres de 1920 (5). Cet accord a aussi imposé un brutal #échange_de_populations, fondé sur des critères religieux, au nom de l’« #homogénéité_nationale ». Plus de 500 000 musulmans de Grèce prirent ainsi le chemin de l’Asie Mineure — soit 6,5 % des résidents de Lesbos, selon un recensement de 1920 (6). En parallèle, le traité a déraciné plus de 1,2 million de chrétiens orthodoxes, envoyés en Grèce. Au total, plus de 30 000 sont arrivés dans l’île. Ils ont alors été péjorativement baptisés les « #graines_de_Turcs ».

    « Ils étaient chrétiens orthodoxes, ils parlaient le grec, mais ils étaient très mal perçus des insulaires. Les femmes exilées de la grande ville d’İzmir étaient surnommées “les prostituées”. Il a fallu attendre deux générations pour que les relations s’apaisent », raconte M. Pallis, lui-même descendant de réfugiés d’Asie Mineure. « Ma grand-mère est arrivée ici à l’âge de 8 ans. Pour s’intégrer, elle a dû apprendre à détester les Turcs. Il ne fallait pas être amie avec “l’autre côté”. Elle n’a pas remis les pieds en Turquie avant ses 80 ans. »

    Enfourchant sa Vespa sous une chaleur accablante, M. Pallis s’arrête devant quelques ruines qui se dressent dans les artères de #Mytilène : d’anciennes mosquées abandonnées. L’une n’est plus qu’un bâtiment éventré où errent des chatons faméliques ; une autre a été reconvertie en boutique de fleuriste. « Les autorités n’assument pas ce passé ottoman, regrette l’ancien député. L’État devrait financer la reconstruction de ces monuments et le développement du tourisme avec la Turquie. Ce genre d’investissements rendrait la région plus sûre que l’acquisition de Rafale. »

    En #Thrace_occidentale, une population musulmane ballottée

    Dans le nord-est du pays, près de la frontière avec la Turquie et la Bulgarie, ce passé ottoman reste tangible. En Thrace occidentale, les #mosquées en activité dominent les villages qui s’élèvent au milieu des champs de coton, de tournesols et de tabac. La #minorité_musulmane de Grèce vit non loin du massif montagneux des #Rhodopes, dont les sommets culminent en Bulgarie. Forte d’entre 100 000 et 150 000 personnes selon les autorités, elle se compose de #Roms, de #Pomaks — une population d’origine slave et de langue bulgare convertie à l’#islam sous la #domination_ottomane — et, majoritairement, d’habitants aux racines turques.

    « Nous sommes des citoyens grecs, mais nous sommes aussi turcs. Nous l’étions avant même que la Turquie moderne existe. Nous parlons le turc et nous avons la même #religion », explique M. Moustafa Moustafa, biologiste et ancien député Syriza. En quelques mots, il illustre toute la complexité d’une #identité façonnée, une fois de plus, par le passé impérial régional. Et qui se trouve elle aussi au cœur d’une bataille d’influence entre Athènes et Ankara.

    Rescapée de l’#Empire_ottoman, la minorité musulmane a vu les frontières de la Grèce moderne se dessiner autour d’elle au XXe siècle. Elle fut épargnée par l’échange forcé de populations du traité de Lausanne, en contrepartie du maintien d’un patriarcat œcuménique à Istanbul ainsi que d’une diaspora grecque orthodoxe en Turquie. Principalement turcophone, elle évolue dans un État-nation dont les fondamentaux sont la langue grecque et la religion orthodoxe.

    Elle a le droit de pratiquer sa religion et d’utiliser le turc dans l’enseignement primaire. La région compte une centaine d’écoles minoritaires bilingues. « Nous vivons ensemble, chrétiens et musulmans, sans heurts. Mais les mariages mixtes ne sont pas encore tolérés », ajoute M. Moustafa, dans son laboratoire de la ville de #Komotini — aussi appelée #Gümülcine en turc. Les quelque 55 000 habitants vivent ici dans des quartiers chrétiens et musulmans érigés autour d’une rivière méandreuse, aujourd’hui enfouie sous le béton. M. Moustafa n’a presque jamais quitté la Thrace occidentale. « Notre minorité n’est pas cosmopolite, nous sommes des villageois attachés à cette région. Nous voulons juste que nos descendants vivent ici en paix », explique-t-il. Comme de nombreux musulmans de la région, il a seulement fait ses études supérieures en Turquie, avant de revenir, comme aimanté par la terre de ses ancêtres.

    À cent kilomètres de Komotini, la Turquie demeure l’« État parrain » de ces musulmans, selon le traité de Lausanne. Mais l’influence de celle que certains nomment la « mère patrie » n’est pas toujours du goût de la Grèce. Les plus nationalistes craignent que la minorité musulmane ne se rapproche trop du voisin turc et ne manifeste des velléités d’indépendance. Son statut est au cœur de la discorde. La Turquie plaide pour la reconnaissance d’une « #minorité_turque ». La Grèce refuse, elle, toute référence ethnique reliée à une appartenance religieuse.

    La bataille se joue sur deux terrains : l’#éducation et la religion. À la fin des années 1990, Athènes a voulu intégrer la minorité dans le système d’éducation publique grec, appliquant notamment une politique de #discrimination_positive et offrant un accès facilité à l’université. Les musulmans proturcs plaident, eux, pour la création de davantage d’établissements minoritaires bilingues. Sur le plan religieux, chaque partie nomme des muftis, qui ne se reconnaissent pas mutuellement. Trois représentants officiels sont désignés par la Grèce pour la région. Deux autres, officieux, le sont par les musulmans de Thrace occidentale soutenus par Ankara, qui refuse qu’un État chrétien désigne des religieux.

    « Nous subissons toujours les conséquences des #crises_diplomatiques. Nous sommes les pions de leur jeu d’échecs », regrette d’une voix lasse M. Moustafa. Le sexagénaire évoque la période qui a suivi le #pogrom dirigé principalement contre les Grecs d’Istanbul, qui avait fait une quinzaine de morts en 1955. Puis les années qui ont suivi l’occupation du nord de #Chypre par la Turquie, en 1974. « Notre minorité a alors subi une violation de ses droits par l’État grec, dénonce-t-il. Nous ne pouvions plus passer le permis de conduire. On nous empêchait d’acheter des terres. » En parallèle, de l’autre côté de la frontière, la #peur a progressivement poussé la communauté grecque de Turquie à l’exil. Aujourd’hui, les Grecs ne sont plus que quelques milliers à Istanbul.

    Ces conflits pèsent encore sur l’évolution de la Thrace occidentale. « La situation s’est améliorée dans les années 1990. Mais, maltraités par le passé en Grèce, certains membres de la minorité musulmane se sont rapprochés de la Turquie, alimentant une méfiance dans l’imaginaire national grec. Beaucoup de chrétiens les considèrent comme des agents du pays voisin », constate M. Georgios Mavrommatis, spécialiste des minorités et professeur associé à l’université Démocrite de Thrace, à Komotini.
    « Ankara compte des milliers d’#espions dans la région »

    Une atmosphère de #suspicion plane sur cette ville, sous l’emprise de deux discours nationalistes concurrents. « Les gens de l’extrême droite grecque nous perçoivent comme des janissaires [soldats de l’Empire ottoman]. Erdoğan, lui, nous qualifie de soydas [« parents », en turc] », détaille d’une voix forte Mme Pervin Hayrullah, attablée dans un café animé. Directrice de la Fondation pour la culture et l’éducation en Thrace occidentale, elle se souvient aussi du passage du président turc dans la région, fin 2017. M. Erdoğan avait dénoncé les « discriminations » pratiquées par l’État grec à l’égard de cette communauté d’origine turque.

    Une chrétienne qui souhaite rester anonyme murmure, elle, que « les autorités grecques sont dépassées. La Turquie, qui est bien plus présente sur le terrain, a davantage de pouvoir. Ankara compte des milliers d’espions dans la région et donne des millions d’euros de budget chaque année au consulat turc de Komotini ». Pour Mme Hayrullah, qui est proche de cette institution, « le consulat ne fait que remplir une mission diplomatique, au même titre que le consulat grec d’Edirne [ville turque à quelque deux cents kilomètres, à la frontière] ». L’allure du consulat turc tranche avec les façades abîmées de Komotini. Surveillé par des caméras et par des gardes en noir, l’édifice est cerné de hautes barrières vertes.

    « La Grèce nous traite bien. Elle s’intéresse au développement de notre communauté et nous laisse exercer notre religion », vante de son côté M. Selim Isa, dans son bureau calme. Le président du comité de gestion des biens musulmans — désigné par l’État grec — est fier de montrer les beaux lustres et les salles lumineuses et rénovées d’une des vingt mosquées de Komotini. « Mais plus les relations avec la Turquie se détériorent et plus le consulat étend son influence, plus il revendique la reconnaissance d’une minorité turque », ajoute M. Isa, regard alerte, alors que l’appel du muezzin résonne dans la ville.

    À l’issue du sommet européen des 10 et 11 décembre, l’Union européenne a annoncé un premier volet de #sanctions contre la Turquie en raison de ses opérations d’exploration. Des mesures individuelles devraient cibler des responsables liés à ces activités. Athènes plaidait pour des mesures plus fortes, comme un embargo sur les armes, pour l’heure écarté. « C’était une proposition-clé. Nous craignons que la Turquie s’arme davantage. Sur le plan naval, elle est par exemple en train de se doter de six #sous-marins de type #214T fournis par l’#Allemagne, explique le diplomate grec Georgios Kaklikis, consul à Istanbul de 1986 à 1989. M. Erdoğan se réjouit de ces sanctions, qui sont en réalité minimes. » Le président turc a réagi par des #rodomontades, se félicitant que des pays « dotés de bon sens » aient adopté une « approche positive ». Bruxelles assure que d’autres mesures pourraient tomber en mars 2021 si Ankara ne cesse pas ces actions « illégales et agressives ».

    https://www.monde-diplomatique.fr/2021/01/PERRIGUEUR/62666
    #Grèce #Turquie #frontière #asile #migrations #réfugiés
    #Oruc_Reis #murs #Evros #barrières_frontalières #histoire

    ping @reka

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    #terminologie #mots #vocabulaire :
    – "Le traité (de Lausanne) a déraciné plus de 1,2 million de chrétiens orthodoxes, envoyés en Grèce. Au total, plus de 30 000 sont arrivés dans l’île. Ils ont alors été péjorativement baptisés les « #graines_de_Turcs »."
    – "Les femmes exilées de la grande ville d’İzmir étaient surnommées “les prostituées”."

    –-> ajoutés à la métaliste sur la terminologie de la migration :
    https://seenthis.net/messages/414225

    ping @sinehebdo

  • "Réfugiés", « migrants », « exilés » ou « demandeur d’asile » : à chaque mot sa fiction, et son ombre portée

    Alors que les violences policières contre un campement éphémère de personnes exilées font scandale, comment faut-il nommer ceux dont les tentes ont été déchiquetées ?

    Nombreuses et largement unanimes, les réactions qui ont suivi l’intervention de la police, lundi 23 novembre au soir, place de la République à Paris, condamnent la violence des forces de l’ordre. De fait, après cette intervention pour déloger le campement éphémère installé en plein Paris dans le but de donner de l’écho à l’évacuation récente d’un vaste camp de réfugiés sur les contreforts du périphérique, les images montrent les tentes qui valsent, les coups qui pleuvent, des matraques qui cognent en cadence, et de nombreux soutiens nassés en pleine nuit ainsi que la presse. Survenu en plein débat sur la loi de sécurité globale, et après de longs mois d’un travail tous azimuts pour poser la question des violences policières, l’épisode a quelque chose d’emblématique, qui remet au passage l’enjeu de l’accueil migratoire à la Une des médias.

    Une occasion utile pour regarder et penser la façon dont on nomme ceux qui, notamment, vivent ici dans ces tentes-là. Durant toute la soirée de lundi, la réponse policière à leur présence sur la place de la République a été amplement commentée, en direct sur les réseaux sociaux d’abord, puis sur les sites de nombreux médias. Si certains utilisaient le mot “migrants” désormais ordinaire chez les journalistes, il était frappant de voir que d’autres termes prenaient une place rare à la faveur de l’événement à chaud. Et en particulier, les mots “réfugiés” et “exilés”.

    En ligne, Utopia56, le collectif à l’origine de l’opération, parle de “personnes exilées”. Chez Caritas France (ex-Secours catholique), c’est aussi l’expression qu’utilise par exemple, sur la brève bio de son compte twitter, la salariée de l’humanitaire en charge des projets “solidarité et défense des droits des personnes exilées”. Ce lexique n’a rien de rare dans le monde associatif : la Cimade parle aussi de longue date de “personnes exilées”, la Fédération des acteurs de solidarités qui chapeaute 870 associations de même, et chez chez Act up par exemple, on ne dit pas non plus “migrants” mais “exilés”. Dans la classe politique, la nuit de violences policières a donné lieu à des déclarations de protestation où il n’était pas inintéressant d’observer l’usage des mots choisis dans le feu de l’action, et sous le projecteur des médias : plutôt “exilés” chez les écologistes, via le compte twitter “groupeecoloParis”, tandis qu’Anne Hidalgo, la maire de Paris, parlait quant à elle de “réfugiés”.

    Du côté des médias, le terme poussé par le monde associatif n’a sans doute jamais aussi bien pris qu’à chaud, dans l’épisode de lundi soir : sur son compte Twitter, CNews oscillait par exemple entre “migrants” et “personnes exilées”... au point de se faire tacler par ses abonnés - il faudrait plutôt dire “clandestins”. Edwy Plenel panachait pour sa part le lexique, le co-fondateur de Médiapart dénonçant au petit matin la violence dont avaient fait l’objet les “migrants exilés”.

    Peu suspect de gauchisme lexical, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, affirmait de son côté saisir l’IGPN pour une enquête sur cette évacuation d’un “campement de migrants”, tandis que le mot s’affichait aussi sur la plupart des pages d’accueil des sites de médias. Comme si le terme “migrants” était devenu un terme générique pour dire cette foule anonyme de l’immigration - sans que, le plus souvent, on interroge en vertu de quels critères ? Cet épisode de l’évacuation violente de la place de la République est en fait l’occasion idéale pour regarder la façon dont le mot “migrants” s’est disséminé, et remonter le film pour comprendre comment il a été forgé. Car ce que montre la sociologue Karen Akoka dans un livre qui vient justement de paraître mi-novembre (à La Découverte) c’est que cette catégorie est avant tout une construction dont la sociogenèse éclaire non seulement notre façon de dire et de penser, mais surtout des politiques publiques largement restées dans l’ombre.
    Les mots de l’asile, ces constructions politiques

    L’Asile et l’exil, ce livre formidable tiré de sa thèse, est à mettre entre toutes les mains car précisément il décortique en quoi ces mots de l’immigration sont d’abord le fruit d’un travail politique et d’une construction historique (tout aussi politique). Les acteurs de cette histoire appartiennent non seulement à la classe politique, mais aussi aux effectifs des officiers qui sont recrutés pour instruire les demandes. En centrant son travail de doctorat sur une sociohistoire de l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, créé en 1952, la chercheuse rappelle qu’il n’est pas équivalent de parler d’exil et d’asile, d’exilés, de demandeurs d’asile, de migrants ou de réfugiés. Mais l’ensemble de sa démonstration éclaire en outre toute la part d’artifice que peut receler ce raffinage lexical qui a permis à l’Etat de construire des catégories d’aspirants à l’exil comme on labelliserait des candidats plus ou moins désirables. Face aux "réfugiés", légitimes et acceptables depuis ce qu’on a construit comme une forme de consensus humaniste, les "migrants" seraient d’abord là par émigration économique - et moins éligibles. Tout son livre consiste au fond en une déconstruction méthodique de la figure du réfugié désirable.

    Les tout premiers mots de l’introduction de ce livre (qu’il faut lire en entier) remontent à 2015 : cette année-là, Al-Jazeera annonçait que désormais, celles et ceux qui traversent la Méditerranée seront pour de bon des “réfugiés”. Et pas des “migrants”, contrairement à l’usage qui était alors en train de s’installer dans le lexique journalistique à ce moment d’explosion des tentatives migratoires par la mer. Le média qatari précisait que “migrants” s’apparentait à ses yeux à un “outil de deshumanisation”. On comprenait en fait que “réfugié” était non seulement plus positif, mais aussi plus légitime que “migrant”.

    En droit, c’est la Convention de Genève qui fait les “réfugiés” selon une définition que vous pouvez consulter ici. Avant ce texte qui remonte à 1951, on accueillait aussi des réfugiés, quand se négociait, au cas par cas et sous les auspices de la Société des nations, la reconnaissance de groupes éligibles. Mais le flou demeure largement, notamment sur ce qui, en pratique, départirait le “réfugié” de “l’étranger”. A partir de 1952, ces réfugiés répondent à une définition, mais surtout à des procédures, qui sont principalement confiées à l’Ofpra, créé dans l’année qui suit la Convention de Genève. L’autrice rappelle qu’à cette époque où l’Ofpra passe d’abord pour une sorte de “consulat des régimes disparus”, il y a consensus pour considérer que l’institution doit elle-même employer des réfugiés chargés de décider du sort de nouveaux candidats à l’asile. A l’époque, ces procédures et ces arbitrages n’intéressent que très peu de hauts fonctionnaires. Ca change progressivement à mesure que l’asile se politise, et la décennie 1980 est une bonne période pour observer l’asile en train de se faire. C’est-à-dire, en train de se fabriquer.

    La construction du "réfugié militant"

    Sur fond d’anticommunisme et d’intérêt à relever la tête après la guerre coloniale perdue, la France décidait ainsi au début des années 80 d’accueillir 130 000 personnes parmi celles qui avaient fui l’un des trois pays de l’ex-Indochine (et en particulier, le Vietnam). On s’en souvient encore comme des “boat people”. Ils deviendront massivement des “réfugiés”, alors que le mot, du point de vue juridique, renvoie aux critères de la Convention de Genève, et à l’idée de persécutions avérées. Or Karen Akoka rappelle que, bien souvent, ces procédures ont en réalité fait l’objet d’un traitement de gros. C’est-à-dire, qu’on n’a pas toujours documenté, dans le détail, et à l’échelle individuelle, les expériences vécues et la position des uns et des autres. Au point de ne pas trop chercher à savoir par exemple si l’on avait plutôt affaire à des victimes ou à des bourreaux ? Alors que le génocide khmer rouge commençait à être largement connu, l’idée que ces boat people massivement arrivés par avion camperaient pour de bon la figure du “bon réfugié” avait cristallisé. La chercheuse montre aussi que ceux qui sont par exemple arrivés du Vietnam avaient fait l’objet d’un double tri : par les autorités françaises d’une part, mais par le régime vietnamien d’autre part… et qu’il avait été explicitement convenu qu’on exclurait les militants politiques.

    Or dans l’imaginaire collectif comme dans le discours politique, cette représentation du réfugié persécuté politiquement est toujours très active. Elle continue souvent de faire écran à une lecture plus attentive aux tris opérés sur le terrain. Et empêche par exemple de voir en quoi on a fini par se représenter certaines origines comme plus désirables, par exemple parce qu’il s’agirait d’une main-d’œuvre réputée plus docile. Aujourd’hui, cette image très puissante du "réfugié militant" reste arrimée à l’idée d’une histoire personnelle légitime, qui justifierait l’étiquetage de certains “réfugiés” plutôt que d’autres. C’est pour cela qu’on continue aujourd’hui de réclamer aux demandeurs d’asile de faire la preuve des persécutions dont ils auraient fait l’objet.

    Cette enquête approfondie s’attèle à détricoter ce mirage du "bon réfugié" en montrant par exemple que, loin de répondre à des critères objectifs, cette catégorie est éminemment ancrée dans la Guerre froide et dans le contexte post-colonial. Et qu’elle échappe largement à une approche empirique rigoureuse, et critique. Karen Akoka nous dépeint la Convention de Genève comme un cadre qui se révèle finalement assez flou, ou lâche, pour avoir permis des lectures et des usages oscillatoires au gré de l’agenda diplomatique ou politique. On le comprend par exemple en regardant le sort de dossiers qu’on peut apparenter à une migration économique. Sur le papier, c’est incompatible avec le label de “réfugié”. Or dans la pratique, la ligne de partage entre asile d’un côté, et immigration de l’autre, ne semble plus si étanche lorsqu’on regarde de près qui a pu obtenir le statut dans les années 1970. On le comprend mieux lorsqu’on accède aux logiques de traitement dans les années 70 et 80 : elles n’ont pas toujours été les mêmes, ni été armées du même zèle, selon l’origine géographique des candidats. Edifiant et très pédagogique, le sixième chapitre du livre d’Akoka s’intitule d’ailleurs “L’Asile à deux vitesses”.

    L’autrice accorde par exemple une attention particulière à la question des fraudes. Pas seulement à leur nombre, ou à leur nature, mais aussi au statut que les institutions ont pu donner à ces fraudes. Ainsi, Karen Akoka montre l’intérêt qu’a pu avoir l’Etat français, à révéler à grand bruit l’existence de “filières zaïroises” à une époque où la France cherchait à endiguer l’immigration d’origine africaine autant qu’à sceller une alliance avec le Zaïre de Mobutu. En miroir, les entretiens qu’elle a menés avec d’anciens fonctionnaires de l’Ofpra dévoilent qu’on a, au contraire, cherché à dissimuler des montages frauduleux impliquant d’ex-Indochinois.

    Les "vrais réfugiés"... et les faux

    Entre 1970 et 1990, les chances de se voir reconnaître “réfugié” par l’Ofpra ont fondu plus vite que la banquise : on est passé de 90% à la fin des années 70 à 15% en 1990. Aujourd’hui, ce taux est remonté (de l’ordre de 30% en 2018), mais on continue de lire que c’est le profil des demandeurs d’asile qui aurait muté au point d’expliquer que le taux d’échec explose. Ou que la démarche serait en quelque sorte détournée par de “faux demandeurs d’asile”, assez habiles pour instrumentaliser les rouages de l’Ofpra en espérant passer entre les gouttes… au détriment de “vrais réfugiés” qu’on continue de penser comme tels. Karen Akoka montre qu’en réalité, c’est plutôt la manière dont on instruit ces demandes en les plaçant sous l’égide de politiques migratoires plus restrictives, mais aussi l’histoire propre de ceux qui les instruisent, qui expliquent bien plus efficacement cette chute. Entre 1950 et 1980 par exemple, nombre d’officiers instructeurs étaient issus des mêmes pays que les requérants. C’était l’époque où l’Ofpra faisait davantage figure de “consulat des pays disparus”, et où, par leur trajectoire personnelle, les instructeurs se trouvaient être eux-mêmes des réfugiés, ou les enfants de réfugiés. Aujourd’hui ce sont massivement des agents français, fonctionnaires, qui traitent les dossiers à une époque où l’on ne subordonne plus les choix au Rideau de fer, mais plutôt sous la houlette d’une politique migratoire et de ce qui a sédimenté dans les politiques publiques comme “le problème islamiste”.

    Rassemblé ici au pas de course mais très dense, le travail de Karen Akoka est un exemple vibrant de la façon dont l’histoire, et donc une approche pluridisciplinaire qui fait la part belle aux archives et à une enquête d’histoire orale, enrichit dans toute son épaisseur un travail entamé comme sociologue. Du fait de la trajectoire de l’autrice, il est aussi un exemple lumineux de tout ce que peut apporter une démarche réflexive. Ca vaut pour la façon dont on choisit un mot plutôt qu’un autre. Mais ça vaut aussi pour la manière dont on peut déconstruire des façons de penser, ou des habitudes sur son lieu de travail, par exemple. En effet, avant de soutenir sa thèse en 2012, Karen Akoka a travaillé durant cinq ans pour le HCR, le Haut commissariat aux réfugiés des Nations-Unies. On comprend très bien, à la lire, combien elle a pu d’abord croire, et même nourrir, certaines fausses évidences. Jusqu’à être “mal à l’aise” avec ces images et ces chimères qu’elle entretenait, depuis son travail - qui, en fait, consistait à “fabriquer des réfugiés”. Pour en éliminer d’autres.

    https://www.franceculture.fr/societe/refugies-migrants-exiles-ou-demandeur-dasile-a-chaque-mot-sa-fiction-e

    #asile #migrations #réfugiés #catégorisation #catégories #mots #terminologie #vocabulaire #Ofpra #France #histoire #légitimité #migrants_économiques #réfugié_désirable #déshumanisation #Convention_de_Genève #politisation #réfugié_militant #Indochine #boat_people #bon_réfugié #Vietnam #militants #imaginaire #discours #persécution #persécution_politique #preuves #guerre_froide #immigration #fraudes #abus #Zaïre #filières_zaïroises #Mobutu #vrais_réfugiés #faux_réfugiés #procédure_d'asile #consulat_des_pays_disparus #politique_migratoire
    #Karen_Akoka
    ping @isskein @karine4 @sinehebdo @_kg_

    • ...même jour que l’envoi de ce post on a discuté en cours Licence Géo le séjour d’Ahmed publié en forme de carte par Karen Akoka dans l’atlas migreurop - hasard ! Et à la fin de son exposé un étudiant proposait par rapport aux catégories : Wie wäre es mit « Mensch » ? L’exemple du campement à Paris - des pistes ici pour approfondir !

    • Ce qui fait un réfugié

      Il y aurait d’un côté des réfugiés et de l’autre des migrants économiques. La réalité des migrations s’avère autrement complexe souligne la politiste #Karen_Akoka qui examine en détail comment ces catégories sont historiquement, socialement et politiquement construites.

      L’asile est une notion juridique précieuse. Depuis le milieu du XXe siècle, elle permet, à certaines conditions, de protéger des individus qui fuient leur pays d’origine en les qualifiant de réfugiés. Mais l’asile est aussi, à certains égards, une notion dangereuse, qui permet paradoxalement de justifier le fait de ne pas accueillir d’autres individus, les rejetant vers un autre statut, celui de migrant économique. L’asile devenant alors ce qui permet la mise en œuvre d’une politique migratoire de fermeture. Mais comment faire la différence entre un réfugié et un migrant économique ? La seule manière d’y prétendre consiste à s’intéresser non pas aux caractéristiques des personnes, qu’elles soient rangées dans la catégorie de réfugié ou de migrant, mais bien plutôt au travail qui consiste à les ranger dans l’une ou l’autre de ces deux catégories. C’est le grand mérite de « #L’Asile_et_l’exil », le livre important de Karen Akoka que de proposer ce renversement de perspective. Elle est cette semaine l’invitée de La Suite dans Les Idées.

      Et c’est la metteuse en scène Judith Depaule qui nous rejoint en seconde partie, pour évoquer « Je passe » un spectacle qui aborde le sujet des migrations mais aussi pour présenter l’Atelier des artistes en exil, qu’elle dirige.

      https://www.franceculture.fr/emissions/la-suite-dans-les-idees/ce-qui-fait-un-refugie

      #livre #catégorisation #catégories #distinction #hiérarchisation #histoire #ofpra #tri #subordination_politique #politique_étrangère #guerre_froide #politique_migratoire #diplomatie

    • La fabrique du demandeur d’asile

      « Il y a les réfugiés politiques, et c’est l’honneur de la France que de respecter le droit d’asile : toutes les communes de France en prennent leur part. Il y a enfin ceux qui sont entrés illégalement sur le territoire : ceux-là ne sont pas des réfugiés, mais des clandestins qui doivent retourner dans leur pays », disait déjà Gerald Darmanin en 2015. Mais pourquoi risquer de mourir de faim serait-il moins grave que risquer de mourir en prison ? Pourquoi serait-il moins « politique » d’être victime de programmes d’ajustement structurels que d’être victime de censure ?

      Dans son livre L’asile et l’exil, une histoire de la distinction réfugiés migrants (La découverte, 2020), Karen Akoka revient sur la construction très idéologique de cette hiérarchisation, qui est liée à la définition du réfugié telle qu’elle a été décidée lors de la Convention de Genève de 1951, à l’issue d’âpres négociations.

      Cette dichotomie réfugié politique/migrant économique paraît d’autant plus artificielle que, jusqu’aux années 1970, il suffisait d’être russe, hongrois, tchécoslovaque – et un peu plus tard de venir d’Asie du Sud-Est, du Cambodge, du Laos ou du Vietnam – pour décrocher le statut de réfugié, l’objectif premier de la France étant de discréditer les régimes communistes. Nul besoin, à l’époque, de montrer qu’on avait été individuellement persécuté ni de nier la dimension économique de l’exil.

      Aujourd’hui, la vaste majorité des demandes d’asile sont rejetées. Qu’est ce qui a changé dans les années 1980 ? D’où sort l’obsession actuelle des agents de l’OFPRA (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides) pour la fraude et les « faux » demandeurs d’asile ?

      Plutôt que de sonder en vain les identités et les trajectoires des « demandeurs d’asile » à la recherche d’une introuvable essence de migrant ou de réfugié, Karen Akoka déplace le regard vers « l’offre » d’asile. Avec la conviction que les étiquettes en disent moins sur les exilés que sur ceux qui les décernent.

      https://www.youtube.com/watch?v=bvcc0v7h2_w&feature=emb_logo

      https://www.hors-serie.net/Aux-Ressources/2020-12-19/La-fabrique-du-demandeur-d-asile-id426

    • « Il n’est pas possible d’avoir un système d’asile juste sans politique d’immigration ouverte »

      La chercheuse Karen Akoka a retracé l’histoire du droit d’asile en France. Elle montre que l’attribution de ce statut a toujours reposé sur des intérêts politiques et diplomatiques. Et que la distinction entre les « vrais » et les « faux » réfugiés est donc discutable.

      Qui étaient les personnes qui ont été violemment évacuées du camp de la place de la République, il y a quatre semaines ? Ceux qui les aident et les défendent utilisent le mot « exilés », pour décrire une condition qui transcende les statuts administratifs : que l’on soit demandeur d’asile, sans-papiers, ou sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, les difficultés restent sensiblement les mêmes. D’autres préfèrent le mot « illégaux », utilisé pour distinguer ces étrangers venus pour des raisons économiques du seul groupe que la France aurait la volonté et les moyens d’accueillir : les réfugiés protégés par le droit d’asile. Accordé par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) depuis 1952, ce statut permet aujourd’hui de travailler et de vivre en France à celles et ceux qui peuvent prouver une persécution ou une menace dans leur pays d’origine. Pour les autres, le retour s’impose. Mais qui décide de l’attribution du statut, et selon quels critères ?

      Pour le savoir, Karen Akoka a retracé l’histoire de l’Ofpra. Dressant une galerie de portraits des membres de l’institution, retraçant le regard porté sur les Espagnols, les Yougoslaves, les boat-people ou encore les Zaïrois, elle montre dans l’Asile et l’Exil (La Découverte) que l’asile a toujours été accordé en fonction de considérations politiques et diplomatiques. Elle remet ainsi en cause l’idée que les réfugiés seraient « objectivement » différents des autres exilés, et seuls légitimes à être dignement accueillis. De quoi prendre conscience (s’il en était encore besoin) qu’une autre politique d’accueil est possible.
      Comment interprétez-vous les images de l’évacuation du camp de la place de la République ?

      Quand on ne connaît pas la situation des personnes exilées en France, cela peut confirmer l’idée que nous serions en situation de saturation. Il y aurait trop de migrants, la preuve, ils sont dans la rue. Ce n’est pas vrai : si ces personnes sont dans cette situation, c’est à cause de choix politiques qui empêchent toute forme d’intégration au tissu social. Depuis les années 90, on ne peut plus légalement travailler quand on est demandeur d’asile. On est donc dépendant de l’aide publique. Avec le règlement européen de Dublin, on ne peut demander l’asile que dans le premier pays de l’Union européenne dans lequel on s’enregistre. Tout cela produit des illégaux, qui se trouvent par ailleurs enfermés dans des statuts divers et complexes. Place de la République, il y avait à la fois des demandeurs d’asile, des déboutés du droit d’asile, des « dublinés », etc.
      Y a-t-il encore des groupes ou des nationalités qui incarnent la figure du « bon réfugié » ?

      Aujourd’hui, il n’y a pas de figure archétypale du bon réfugié au même titre que le dissident soviétique des années 50-60 ou le boat-people des années 80. Il y a tout de même une hiérarchie des nationalités qui fait que les Syriens sont perçus le plus positivement. Mais avec une différence majeure : alors qu’on acheminait en France les boat-people, les Syriens (comme beaucoup d’autres) doivent traverser des mers, franchir des murs… On fait tout pour les empêcher d’arriver, et une fois qu’ils sont sur place, on les reconnaît à 90 %. Il y a là quelque chose de particulièrement cynique.
      Vos travaux reviennent à la création de l’Ofpra en 1952. Pourquoi avoir repris cette histoire déjà lointaine ?

      Jusqu’aux années 80, l’Ofpra accordait le statut de réfugié à 80 % des demandeurs. Depuis les années 90, environ 20 % l’obtiennent. Cette inversion du pourcentage peut amener à la conclusion qu’entre les années 50 et 80, les demandeurs d’asile étaient tous de « vrais » réfugiés, et que depuis, ce sont majoritairement des « faux ». Il était donc important d’étudier cette période, parce qu’elle détermine notre perception actuelle selon laquelle l’asile aurait été dénaturé. Or il apparaît que cette catégorie de réfugié a sans cesse été mobilisée en fonction de considérations diplomatiques et politiques.

      La question de l’asile n’a jamais été neutre. En contexte de guerre froide, le statut de réfugié est attribué presque automatiquement aux personnes fuyant des régimes communistes que l’on cherche à décrédibiliser. Lorsqu’on est russe, hongrois ou roumain, ou plus tard vietnamien, cambodgien ou laotien, on est automatiquement reconnu réfugié sans qu’il soit nécessaire de prouver que l’on risque d’être persécuté ou de cacher ses motivations économiques. Ce qui apparaît comme de la générosité est un calcul politique et diplomatique. Les 80 % d’accords de l’époque sont autant pétris de considérations politiques que les 80 % de rejets aujourd’hui.
      Ces considérations conduisent alors à rejeter les demandes émanant de certaines nationalités, même dans le cas de régimes communistes et/ou autoritaires.

      Il y a en effet d’importantes différences de traitement, qui s’expliquent principalement par l’état des relations diplomatiques. La France est réticente à accorder l’asile aux Yougoslaves ou aux Portugais, car les relations avec Tito ou Salazar sont bonnes. Il n’y a d’ailleurs même pas de section portugaise à l’Ofpra ! Mais au lieu de les rejeter massivement, on les dirige vers les procédures d’immigration. La France passe des accords de main- d’œuvre avec Belgrade, qui permettent d’orienter les Yougoslaves vers la régularisation par le travail et de faire baisser le nombre de demandeurs d’asile.

      Grâce aux politiques d’immigration ouvertes on pouvait donc diriger vers la régularisation par le travail les nationalités rendues « indésirables » en tant que réfugiés en raison des relations diplomatiques. On pouvait prendre en compte les questions de politique étrangère, sans que cela ne nuise aux exilés. Aujourd’hui, on ne peut plus procéder comme cela, puisque la régularisation par le travail a été bloquée. Les rejets ont donc augmenté et la question du « vrai-faux » est devenu le paradigme dominant. Comme il faut bien justifier les rejets, on déplace la cause des refus sur les demandeurs en disséquant de plus en plus les biographies pour scruter si elles correspondent ou non à la fiction d’une identité de réfugié supposée neutre et objective.

      Cela montre qu’il n’est pas possible d’avoir un système d’asile juste sans politique d’immigration ouverte, d’abord parce que les catégories de réfugiés et de migrants sont poreuses et ne reflètent qu’imparfaitement la complexité des parcours migratoires, ensuite parce qu’elles sont largement façonnées par des considérations politiques.
      Vous identifiez les années 80 comme le moment où change la politique d’asile. Comment se déroule cette évolution ?

      Les changements de cette période sont liés à trois grands facteurs : la construction de l’immigration comme un problème qui arrime la politique d’asile à l’impératif de réduction des flux migratoires ; la fin de la guerre froide qui diminue l’intérêt politique à l’attribution du statut ; et la construction d’une crise de l’Etat social, dépeint comme trop dépensier et inefficace, ce qui justifie l’austérité budgétaire et la rigueur juridique dans les institutions en charge des étrangers (et plus généralement des pauvres). L’Ofpra va alors passer d’un régime des réfugiés, marqué par un fort taux d’attribution du statut, des critères souples, une activité tournée vers l’accompagnement des réfugiés en vue de leur intégration, à un régime des demandeurs d’asile orienté vers une sélection stricte et la production de rejets qui s’appuient sur des exigences nouvelles. Désormais, les demandeurs doivent montrer qu’ils risquent d’être individuellement persécutés, que leurs motivations sont purement politiques et sans aucune considération économique. Ils doivent aussi fournir toujours plus de preuves.
      Dans les années 80, ce n’était pas le cas ?

      La particularité de la décennie 80 est qu’elle voit coexister ces deux régimes, en fonction des nationalités. Les boat-people du Laos, du Cambodge et du Vietnam reçoivent automatiquement le statut de réfugié sur la seule base de leur nationalité. Et pour cause, non seulement on retrouve les questions de guerre froide, mais s’ajoutent des enjeux postcoloniaux : il faut que la figure de l’oppresseur soit incarnée par les anciens colonisés et non plus par la France. Et n’oublions pas les besoins de main- d’œuvre, toujours forts malgré les restrictions de l’immigration de travail mises en place dès les années 70. L’arrivée de ces travailleurs potentiels apparaît comme une opportunité, d’autant qu’on les présume dociles par stéréotype. Au même moment, les Zaïrois, qui fuient le régime du général Mobutu, sont massivement rejetés.
      Pourquoi ?

      Après les indépendances, la France s’efforce de maintenir une influence forte en Afrique, notamment au Zaïre car c’est un pays francophone où la France ne porte pas la responsabilité de la colonisation. C’est également un pays riche en matières premières, qui fait figure de rempart face aux Etats communistes qui l’entourent. Les Zaïrois qui demandent l’asile doivent donc montrer qu’ils sont individuellement recherchés, là où prévalait auparavant une gestion par nationalité. L’Ofpra surmédiatise les fraudes des Zaïrois, alors qu’il étouffe celles des boat-people. On a donc au même moment deux figures absolument inversées. Dans les années 90, la gestion de l’asile bascule pour tous dans le système appliqué aux Zaïrois. Cette rigidification entraîne une augmentation des fraudes, qui justifie une nouvelle surenchère d’exigences et de contrôles dans un cercle vicieux qui perdure jusqu’aujourd’hui.
      Il faut ajouter le fait que l’Ofpra devient un laboratoire des logiques de management.

      L’Ofpra est longtemps resté une institution faible. Il était peu considéré par les pouvoirs publics, en particulier par sa tutelle, les Affaires étrangères, et dirigé par les diplomates les plus relégués de ce ministère. Au début des années 90, avec la construction de l’asile comme « problème », des sommes importantes sont injectées dans l’Ofpra qui s’ennoblit mais sert en retour de lieu d’expérimentation des stratégies de management issues du secteur privé. Les agents sont soumis à des exigences de productivité, de standardisation, et à la segmentation de leur travail. On leur demande notamment de prendre un certain nombre de décisions par jour (deux à trois aujourd’hui), faute de quoi ils sont sanctionnés.

      Cette exigence de rapidité s’accompagne de l’injonction à justifier longuement les décisions positives, tandis qu’auparavant c’était davantage les rejets qui devaient être motivés. Cette organisation productiviste est un facteur d’explication du nombre grandissant de rejets. La division du travail produit une dilution du sentiment de responsabilité qui facilite cette production des rejets. Ce n’est pas que les agents de l’Ofpra fassent mal leur travail. Mais les techniques managériales influent sur leurs pratiques et elles contribuent aux 80 % de refus actuels.
      Quelle est l’influence de la question religieuse sur l’asile ?

      Pour aborder cette question, je suis partie d’un constat : depuis la fin des années 90, un nouveau groupe, composé de femmes potentiellement victimes d’excision ou de mariage forcé et de personnes homosexuelles, a accès au statut de réfugié. Comment expliquer cette ouverture à un moment où la politique menée est de plus en plus restrictive ? On pense bien sûr au changement des « mentalités », mais cette idée, si elle est vraie, me semble insuffisante. Mon hypothèse est que c’est aussi parce que nous sommes passés du problème communiste au problème islamiste comme soubassement idéologique de l’attribution du statut. Par ces nouvelles modalités d’inclusion se rejoue la dichotomie entre un Occident tolérant, ouvert, et un Sud global homophobe, masculiniste, sexiste.

      Cette dichotomie a été réactualisée avec le 11 septembre 2001, qui a donné un succès aux thèses sur le choc des civilisations. On retrouve cette vision binaire dans la façon dont on se représente les guerres en Afrique. Ce seraient des conflits ethniques, flous, irrationnels, où tout le monde tire sur tout le monde, par opposition aux conflits politiques de la guerre froide. Cette mise en opposition permet de sous-tendre l’idée selon laquelle il y avait bien par le passé de vrais réfugiés qui arrivaient de pays avec des problèmes clairs, ce qui ne serait plus le cas aujourd’hui. Cette vision culturaliste des conflits africains permet également de dépolitiser les mouvements migratoires auxquels ils donnent lieu, et donc de délégitimer les demandes d’asile.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/12/20/il-n-est-pas-possible-d-avoir-un-systeme-d-asile-juste-sans-politique-d-i

    • Le tri aux frontières

      En retraçant l’histoire de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, Karen Akoka montre que l’accueil des migrants en France relève d’une distinction non assumée entre « bons » réfugiés politiques et « mauvais » migrants économiques.
      « Pourquoi serait-il plus légitime de fuir des persécutions individuelles que des violences collectives ? Pourquoi serait-il plus grave de mourir en prison que de mourir de faim ? Pourquoi l’absence de perspectives socio-économiques serait-elle moins problématique que l’absence de liberté politique ? »

      (p. 324)

      Karen Akoka, maîtresse de conférences en sciences politique à l’Université Paris Nanterre et associée à l’Institut des sciences sociales du politique, pose dans cet ouvrage des questions essentielles sur les fondements moraux de notre société, à la lumière du traitement réservé aux étrangers demandant une forme de protection sur le territoire français. Les institutions publiques concernées – principalement le ministère des Affaires Étrangères, l’ Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), le ministère de l’Intérieur – attribuent depuis toujours aux requérants un degré variable de légitimité : ce dernier, longtemps lié à la nationalité d’origine, s’incarne en des catégories (réfugié, boat people, demandeur d’asile, migrant…) qui sont censées les distinguer et les classer, et dont le sens, les usages, et les effets en termes d’accès aux droits évoluent dans le temps. Cet ouvrage a le grand mérite de dévoiler les processus organisationnels, les rapports de force, les intérêts politiques, et les principes moraux qui sous-tendent ces évolutions de sens et d’usage des catégories de l’asile.

      Ce dévoilement procède d’une entreprise socio-historique autour de la naissance et du fonctionnement de l’Ofpra, entre les années 1950 et les années 2010, et notamment des pratiques de ses agents. Dans une approche résolument constructiviste, la figure du « réfugié » (et en creux de celui qui n’est pas considéré « réfugié ») émerge comme étant le produit d’un étiquetage dont sont responsables, certes, les institutions, mais qui est finalement délégué aux agents chargés de la mise en œuvre des règles et orientations politiques.

      Comment est-on passé d’une reconnaissance presque automatique du statut de réfugié pour des communautés entières de Russes, Géorgiens, Hongrois dans les années 1960 et 1970, à des taux de rejets très élevés à partir des années 1990 ? À quel moment et pourquoi la preuve d’un risque individuel (et non plus d’une persécution collective) est devenue un requis ? À rebours d’une explication qui suggérerait un changement de profil des requérants, l’auteure nous invite à rentrer dans les rouages de la fabrique du « réfugié » et de ses alter ego : le « demandeur d’asile » et le « migrant économique ». Pour comprendre à quoi cela tient, elle se penche sur le travail des agents qui sont appelés à les ranger dans une de ces multiples catégories, et sur les éléments (moraux, organisationnels, économiques, et politiques) qui influencent leurs arbitrages.
      Un voyage dans le temps au sein de l’OFPRA

      En s’appuyant à la fois sur les archives ouvertes et sur de nombreux entretiens, son livre propose un éclairage sur l’évolution des décisions prises au sein de l’Ofpra, au plus près des profils et des expériences des hommes et femmes à qui cette responsabilité a été déléguée : les agents.

      Karen Akoka propose une reconstruction chronologique des événements et des logiques qui ont régi l’octroi de l’asile en France à partir de l’entre-deux-guerres (chapitre 1), en s’attardant sur la « fausse rupture » que représente la création de l’Ofpra en 1952, à la suite de la ratification de la Convention de Genève (chapitre 2). Elle montre en effet que, loin de représenter un réel changement avec le passé, la protection des réfugiés après la naissance de cette institution continue d’être un enjeu diplomatique et de politique étrangère pendant plusieurs décennies.

      Les chapitres suivants s’attachent à montrer, de façon documentée et parfois à rebours d’une littérature scientifique jusque-là peu discutée (voir Gérard Noiriel, Réfugiés et sans-papiers, Paris, Hachette, 1998), que la création de l’Ofpra n’est pas exemplaire d’un contrôle « purement français » de l’asile : le profil des agents de l’Ofpra compte, et se révèle déterminant pour la compréhension de l’évolution des pourcentages de refus et d’acceptation des demandes. En effet, entre 1952 et la fin des années 1970, des réfugiés et des enfants de réfugiés occupent largement la place d’instructeurs de demandes de leurs compatriotes, dans une période de guerre froide où les ressortissants russes, géorgiens, hongrois sont reconnus comme réfugiés sur la simple base de leur nationalité. Les contre-exemples sont heuristiques et ils montrent les intérêts français en politique étrangère : les Yougoslaves, considérés comme étant des ressortissants d’un régime qui s’était désolidarisé de l’URSS, et les Portugais, dont le président Salazar entretenait d’excellents rapports diplomatiques avec la France, étaient pour la plupart déboutés de leur demande ; y répondre positivement aurait été considéré comme un « acte inamical » vis-à-vis de leurs dirigeants.

      Les années 1980 sont une décennie de transition, pendant laquelle on passe d’un « régime des réfugiés » à un « régime des demandeurs d’asile », où la recherche d’une crainte individuelle de persécution émerge dans les pratiques des agents. Mais toujours pas vis-à-vis de l’ensemble des requérants : des traitements différenciés continuent d’exister, avec d’évidentes préférences nationales, comme pour les Indochinois ou boat people, et des postures de méfiance pour d’autres ressortissants, tels les Zaïrois. Ce traitement discriminatoire découle encore des profils des agents chargés d’instruire les demandes : ils sont indochinois pour les Indochinois, et français pour les Zaïrois. La rhétorique de la fraude, pourtant bien documentée pour les ressortissants indochinois aussi, est largement mobilisée à charge des requérants africains. Elle occupe une place centrale dans le registre gouvernemental dans les années 1990, afin de légitimer des politiques migratoires visant à réduire les flux.

      L’entrée par le profil sociologique des agents de l’Ofpra et par les changements organisationnels internes à cet organisme est éclairante : la proximité culturelle et linguistique avec les publics n’est plus valorisée ; on recherche des agents neutres, distanciés. À partir des années 1990, l’institution fait évoluer les procédures d’instruction des demandes de façon à segmenter les compétences des agents, à déléguer aux experts (juristes et documentaristes), à réduire le contact avec les requérants ; l’organisation introduit progressivement des primes au rendement selon le nombre de dossiers traités, et des sanctions en cas de non remplissage des objectifs ; des modalités informelles de stigmatisation touchent les agents qui accordent trop de statuts de réfugié ; le recrutement d’agents contractuels permet aux cadres de l’Ofpra d’orienter davantage leur façon de travailler. Il apparaît alors qu’agir sur le profil des recrutés et sur leurs conditions de travail est une manière de les « contrôler sans contrôle officiel ».

      L’approche socio-historique, faisant place à différents types de données tels les mémoires, le dépouillement d’archives, et les entretiens, a l’avantage de décrire finement les continuités et les ruptures macro, et de les faire résonner avec les expériences plus micro des agents dans un temps long. Aussi, l’auteure montre que leurs marges de manœuvre sont largement influencées par, d’un côté, les équilibres politiques internationaux, et de l’autre, par l’impact du new public management sur cette organisation.

      Le retour réflexif de l’auteure sur sa propre expérience au sein du HCR, où elle a travaillé entre 1999 et 2004, est aussi le gage d’une enquête où le sens accordé par les interlocuteurs à leurs pratiques est pris au sérieux, sans pour autant qu’elles fassent l’objet d’un jugement moral. Les dilemmes moraux qui parfois traversent les choix et les hésitations des enquêté.e.s éclairent le continuum qui existe entre l’adhésion et la résistance à l’institution. Mobiliser à la fois des extraits d’entretiens de « résistants » et d’« adhérents », restituer la puissance des coûts de la dissidence en termes de réputation auprès des collègues, faire de la place aux bruits de couloirs : voilà les ingrédients d’une enquête socio-historique se rapprochant de la démarche ethnographique.
      Pour en finir avec la dichotomie réfugié/migrant et la morale du vrai/faux

      Une des contributions essentielles de l’ouvrage consiste à déconstruire l’édifice moral de l’asile, jusqu’à faire émerger les paradoxes de l’argument qui consisterait à dire que protéger l’asile aujourd’hui implique de lutter contre les fraudeurs et de limiter l’attribution du statut aux plus méritants. Karen Akoka aborde au fond des enjeux politiques cruciaux pour notre société, en nous obligeant, si encore il en était besoin, à questionner la légitimité de distinctions (entre réfugié et migrant) qui ne sont pas sociologiquement fondées, mais qui servent en revanche des intérêts et des logiques politiques des plus dangereuses, que ce soit pour maquiller d’humanitarisme la volonté cynique de davantage sélectionner les candidats à l’immigration, ou pour affirmer des objectifs populistes et/ou xénophobes de réduction des entrées d’étrangers sur le territoire sous prétexte d’une prétendue trop grande diversité culturelle ou encore d’une faible rentabilité économique.

      Ce livre est une prise de position salutaire contre la rhétorique des « vrais et faux réfugiés », contre la posture de « autrefois c’était différent » (p. 27), et invite à arrêter de porter un regard moralisateur sur les mensonges éventuels des demandeurs : ces mensonges sont la conséquence du rétrécissement des cases de la protection, de la surenchère des horreurs exigées pour avoir une chance de l’obtenir, de la réduction des recours suspensifs à l’éloignement du territoire en cas de refus de l’Ofpra… La portée politique d’une sociohistoire critique des étiquetages est en ce sens évidente, et l’épilogue de Karen Akoka monte en généralité en mettant en perspective la dichotomie réfugié/migrant avec d’autres populations faisant l’objet de tri : le parallèle avec les pauvres et les guichetiers étudiés par Vincent Dubois (La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica, 2003) permet de décloisonner le cas des étrangers pour montrer comment le système justifie la (non)protection des (in)désirables en la présentant comme nécessaire ou inévitable.

      https://www.icmigrations.cnrs.fr/2021/05/25/defacto-026-08

    • Karen Akoka : « Le statut de réfugié en dit plus sur ceux qui l’attribuent que sur ceux qu’il désigne »

      Alors que l’accueil d’exilés afghans divise les pays de l’Union européenne, l’interprétation par la France du droit d’asile n’a pas toujours été aussi restrictive qu’aujourd’hui, explique, dans un entretien au « Monde », la sociologue spécialiste des questions migratoires.

      (#paywall)

      https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/30/karen-akoka-le-statut-de-refugie-en-dit-plus-sur-ceux-qui-l-attribuent-que-s

  • Au lieu d’un moratoire, l’État lance une mission… pour multiplier les entrepôts Amazon
    https://reporterre.net/Au-lieu-d-un-moratoire-l-Etat-lance-une-mission-pour-multiplier-les-entr

    La Convention citoyenne pour le climat exigeait un moratoire sur la construction de nouveaux entrepôts de e-commerce. Mais le gouvernement cherche, au contraire, à faciliter et accélérer leur implantation. Cet automne, il a lancé une mission pour développer des sites logistiques « clé en main » et accroître l’attractivité de la France à l’international. La promesse d’un moratoire sur la construction de nouveaux entrepôts de commerce en ligne a fait long feu. Elle s’est consumée sous l’autel de la (...)

    #Amazon #consommation #domination #lobbying

  • #Conférence_de_presse conjointe sur la réponse européenne à la #menace_terroriste

    Une conférence de presse a eu lieu hier à Paris, avec #Sebastian_Kurz (chancelier autrichien), #Angela_Merkel, #Mark_Rutte (Pays Bas) ainsi qu’avec le président du Conseil européen, #Charles_Michel, et la présidente de la Commission européenne, #Ursula_Von_der_Leyen.

    La conférence de presse complète est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=zL6_Ewwy8dE&feature=youtu.be

    Message reçu via la mailing-list Migreurop, 11.11.2020 (que j’anonymise et modifie légèrement) :

    Lors de cette conférence ont été tenu des propos potentiellement inquiétants par Emmanuel #Macron. Dans sa prise de parole officielle, il a déclaré : « Il ne faut en rien confondre la lutte contre l’#immigration_clandestine et le terrorisme, mais il nous faut regarder lucidement les #liens qui existent entre ces deux phénomènes. » (à 4mn52sec.)
    Parfaite illustration de l’utilisation rhétorique de la litote !
    En résumé tout ce qui est dit avant le « mais » ne compte pas…

    Plus tard dans la conférence de presse, une journaliste lui pose la question du respect du #droit_d’asile, et il répond ceci : « Tout particulièrement, et c’est un sujet dont nous devons nous emparer collectivement, nous constatons dans tous nos pays à un dévoiement de ce qui est le droit d’asile. Le droit d’asile est fait pour les #combattants_de_la_paix, pour ceux qui prennent un #risque dans leur choix politique dans leur pays. Et nous voyons de plus en plus aujourd’hui de personnes qui viennent demander le droit d’asile en Europe et qui viennent de pays qui ne sont pas en #guerre, auxquels nous donnons des centaines de milliers de #visas chaque année. Donc il y a un dévoiement, qui est utilisé chaque année par des trafiquants, par des réseaux qui sont bien identifiés. » (à 35mn20sec.)

    Ces mots sont inquiétants…
    D’abord parce que Macron, quand il parle du droit d’asile sous cette forme, ne parle pas du droit d’asile au sens de la #convention_de_Genève, mais bien uniquement de l’asile sous sa forme constitutionnelle française.
    #Asile_constitutionnel : "toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la #liberté" (alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946)
    L’OFPRA le détaille comme ceci :
    "existence d’une #persécution_effective (et donc pas seulement d’une #crainte_de_persécution)
    les auteurs des persécutions peuvent être déterminés ou non, organisés ou non
    le demandeur a fait preuve d’un engagement actif en faveur de l’instauration d’un régime démocratique ou des valeurs qui s’y attachent (liberté d’expression, liberté d’association, liberté syndicale...)
    l’engagement du demandeur doit être dicté par des considérations d’#intérêt_général (et non d’ordre personnel)"

    Cette forme est bien plus restrictive que l’asile au sens de la Convention :
    Article 1, A, 2 :
    « toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. ».

    Quand Emmanuel Macron déclare que c’est un sujet dont les pays européens doivent s’emparer collectivement, est-ce qu’il ne faut pas craindre que des discussions au sein des Etats-membres s’engagent sur une #restriction des #critères d’attribution de l’asile ? Voire une #remise_en_cause de l’asile conventionnel ?
    Ce vendredi doit se tenir une réunion du Conseil Européen, avec tous les ministres de l’intérieur européens. Il faut rappeler que Gérald Darmanin aurait évoqué une remise en cause du droit d’asile, le 18 octobre. Sujet qui n’aurait « pas été à l’ordre du jour » du conseil de défense, contrairement à son souhait.
    https://blogs.mediapart.fr/david-t/blog/191020/itineraire-dune-info-gatee

    Ce #glissement _émantique de la France, qui je l’espère ne va pas déteindre sur les autres Etats-membres.

    #extrémisme_violent #terrorisme #asile #migrations #réfugiés

    ping @isskein @karine4

  • L’affaire d’importation de déchets d’Italie : Une enquête ouverte

    Le ministère des Affaires locales et de l’Environnement a annoncé mardi, 3 novembre 2020, qu’il a ordonné l’ouverture d’une #enquête sur un marché conclu par une société tunisienne pour l’importation de déchets de l’Italie, sans divulguer le nom de la société.

    Cette décision intervient au lendemain de la diffusion sur une chaîne de télévision privée, d’’un reportage d’investigation, faisant savoir que 70 conteneurs transportant 120 tonnes de déchets, viennent d’arriver en Tunisie. Plus de 200 autres sont encore en attente dans le port de #Sousse, selon la même source.

    La société tunisienne recevrait 48 euros pour chaque tonne importée. Il s’agit de divers types de déchets dont des #résidus_hospitaliers et dont l’importation n’est pas conforme aux normes nationales et internationales, a-t-on encore indiqué.

    Le département des Affaires locales et de l’Environnement n’a pas démenti, dans un communiqué, ce marché, mais, il a précisé qu’il n’a octroyé aucune autorisation à la société impliquée dans cette affaire et qu’il « n’hésitera pas à prendre toutes les mesures judiciaires adéquates face à ce genre de dépassement ».

    Il a fait savoir, aussi, qu’une décision de « ne plus accepter les conteneurs de déchets importés par ladite société et de renvoyer les quantités précédemment importées » a été prise, lors d’une séance de travail, tenue le 8 juillet 2020, avec la participation de l’ensemble des départements concernés.

    Sur le plan national, les activités de collecte, de transport et de gestion des déchets en Tunisie sont soumises à un cahier des charges que les promoteurs et sociétés doivent déposer à l’Agence Nationale de Gestion des Déchets pour approbation.

    Ils sont aussi tenus d’élaborer une étude d’impact sur l’environnement et la déposer à l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement ANPE.

    Les deux agences, qui relèvent du ministère de l’Environnement sont responsables de l’approbation des dossiers déposés pour exercer les activités précitées.

    Quant à l’échelle internationale, la Tunisie est signataire de plusieurs conventions internationales concernant les déchets.

    Il s’agit surtout de la #convention_de_Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, adopté à Bale, depuis le 22 mars 1989 et la convention de Bamako sur l’interdiction d’importer en Afrique des déchets dangereux et sur le contrôle des mouvements transfrontières et la gestion des déchets dangereux produits en Afrique. Elle est aussi signataire des codes des déchets européens.

    https://www.mosaiquefm.net/fr/actualite-national-tunisie/817584/l-affaire-d-importation-de-dechets-d-italie-une-enquete-ouverte
    #Italie #déchets #Tunisie

  • #Convention_citoyenne : « Les élus ne peuvent plus revendiquer le monopole de la production de la décision » assure Loïc Blondiaux | Public Senat
    https://www.publicsenat.fr/article/politique/convention-citoyenne-les-elus-ne-peuvent-plus-revendiquer-le-monopole-de

    Certains élus, assez réticents, voient d’ailleurs dans cette convention citoyenne les racines d’une concurrence qui pourrait se développer. Qu’en pensez-vous ?

    Oui, objectivement, il y a une concurrence de #légitimité, mais elle n’est problématique que lorsqu’on a une vision très simplificatrice de la légitimité qui ne serait finalement reconstruite que par l’#élection. Or, ça ne fonctionne plus véritablement comme ça. Les élus sont légitimes à prendre la décision, mais ils doivent admettre que d’autres formes de légitimité peuvent venir enrichir le processus de décision collective. En fait, la #démocratie_participative ou délibérative, c’est à dire l’association des citoyens concernés par la décision dans le processus de décision, c’est une roue de secours pour la démocratie représentative, qui risque de disparaître, mise à mal par le processus de déconsolidation des démocraties représentatives et la montée en puissance des mouvements autoritaires. Si elle ne se réforme pas elle va disparaître.

    Le #tirage_au_sort est-il la bonne manière de rendre des citoyens légitimes pour s’exprimer et potentiellement donner lieu à un projet de loi ?

    Le tirage au sort pour désigner des citoyens qui prendraient les décisions qui feraient les lois de A jusqu’à Z, j’ai le sentiment que c’est une solution qui n’apparaît réaliste à personne. Pour l’instant, l’élection continue à être le moins mauvais des systèmes pour prendre la décision en dernière instance. Mais le tirage au sort trouve son intérêt, pour produire des assemblées citoyennes suffisamment diverses, suffisamment représentatives de la population, pour inclure dans la discussion des intérêts, des expériences et des manières de penser qui ne sont pas suffisamment représentées au Parlement. Aujourd’hui, un des problèmes de nos assemblées élues, c’est qu’elles ne sont pas assez représentatives socialement de la population. Et quelqu’un peut être légitime parce qu’il apparaît beaucoup moins partial, moins dans des intérêts particuliers. Ces 150 citoyens se sont placés du côté de l’#intérêt_général. Ils n’avaient de comptes à rendre à personne, pas de souci de réélection. Ils ont eu la possibilité de prendre des mesures audacieuses que des élus n’auraient peut-être pas prises.

    Est-ce que l’élection n’a pas aussi perdu en légitimité et en poids du fait des taux d’#abstention ?

    Je crois que les citoyens ne se sont pas dépolitisés. Ils continuent à être informés. Ils continuent à s’engager quand ils se sentent véritablement concernés. Et quand on regarde les enquêtes d’#opinion, l’intérêt pour la politique ne faiblit pas autant qu’on pourrait le croire. Ce qui faiblit, c’est l’intérêt pour la #politique institutionnalisée, l’intérêt pour les élections. Les citoyens, à l’exception de l’élection présidentielle, ont le sentiment que ces élections n’ont plus de conséquences véritables sur leur destin. Ils ont le sentiment que ceux qui ont le pouvoir de décision se situent hors de portée de l’élection. Donc, il y a une forme d’affaiblissement de l’importance de l’élection dans nos systèmes politiques. Ce qu’il faut maintenant, c’est réinventer des mécanismes politiques autres que l’élection pour venir renforcer notre système.

    #démocratie_représentative #démocratie_délibérative #élus