#cory_doctorow

  • La « merdification », ce processus inexorable de dégradation de la qualité des services sur les plateformes numériques
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/23/la-merdification-ce-processus-inexorable-de-degradation-de-la-qualite-des-se

    DÉBATS
    VIE PRIVÉE
    La « merdification », ce processus inexorable de dégradation de la qualité des services sur les plateformes numériques
    Bien sûr, le pourrissement des services existe au-delà des plateformes du Web. Mais il est si systémique dans ce secteur que le mot inventé par le journaliste canadien Cory Doctorow a tout de suite fait mouche sur les réseaux sociaux.
    Par Marion Dupont
    Publié aujourd’hui à 08h00
    Temps de Lecture 3 min.

    Histoire d’une notion. A une époque qui semble désormais lointaine, aucun résultat « sponsorisé » n’apparaissait en tête de liste lors d’une recherche sur Google. Il était possible de trouver rapidement un utilisateur ou un contenu précis sur Instagram, grâce à un astucieux système de hashtags. Les vidéos mises en ligne sur YouTube n’étaient précédées ou interrompues par aucune publicité. N’importe quel abonné Netflix pouvait donner le mot de passe de son compte à ses proches, et visionner un film en même temps qu’eux. Mieux : un internaute utilisant un comparateur de vols comme Skyscanner pouvait réserver un trajet en avion sans voir le prix augmenter de façon aléatoire à chaque étape de la réservation.
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    Si cette dégradation de la qualité des services fournis par les plateformes numériques est longtemps restée sous les radars médiatiques, tout utilisateur en a fait l’expérience. Il ne manquait qu’un mot pour désigner ce processus apparemment inexorable de « pourrissement » des plateformes.
    Lors de vacances en famille, alors qu’il bataille contre des publicités et des trackers (ces petits logiciels incorporés dans des applications mobiles) pour trouver l’adresse d’un restaurant sur le site TripAdvisor, l’activiste et journaliste canadien Cory Doctorow a l’idée d’un néologisme : « enshittification » en anglais, souvent traduit en français par « merdification » ou « emmerdification ». Partagée dans un post sur Twitter en 2022, la notion rencontre un succès immédiat auprès des utilisateurs anglophones, qui voient dans sa formulation un brin grossière matière à exprimer leur propre frustration.
    « J’ai passé la plus grande partie de ma vie professionnelle à élaborer des mots, des blagues, des analogies et des stratégies pour attirer l’attention du grand public sur les effets des politiques du numérique », explique Cory Doctorow, ravi de voir ses efforts enfin récompensés. Sous ses airs frustes, le terme permet de saisir intuitivement les effets d’un phénomène à la fois nouveau et complexe.

    Coût économique et démocratique
    Car si la dégradation de la qualité d’un service n’est pas l’apanage des plateformes du numérique, « le caractère systémique de ce phénomène dans le secteur des plateformes et l’aisance avec laquelle elles peuvent s’y livrer rendent le terme “merdification” intéressant et pertinent », note Mathilde Abel, postdoctorante au Centre de recherche en économie et statistique de l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique.

    Les plateformes numériques sont en effet des entreprises particulières. D’abord, parce qu’elles sont spécialistes du matching, c’est-à-dire de la mise en relation entre des offres et des demandes à (plus ou moins) grande échelle : par exemple, entre un chauffeur de VTC et une personne ayant besoin d’une course ; entre un vidéaste et un spectateur ; entre un acheteur et un vendeur. « Ce sont des professionnels des effets de réseau – c’est-à-dire de la capacité à attirer des publics très différents et de les rendre interdépendants », précise l’économiste.

    Ces plateformes présentent aussi la spécificité d’avoir à disposition, notamment grâce aux données de leurs utilisateurs, de nombreux outils permettant de mesurer les conséquences de la dégradation de leur service sur leurs marges. Résultat, « ces entreprises exercent leur monopole de façon très spécifique, parce qu’elles sont capables de jouer sur des niveaux de prix avec leurs concurrents, mais aussi sur des niveaux de prix croisés entre leurs différents marchés, explique Mathilde Abel. La capacité des plateformes à faire de la discrimination par les prix et à dégrader leur service a toujours fait partie intégrante de leur modèle économique ».
    D’où une trajectoire similaire, que Cory Doctorow résume en trois étapes dans un livre à paraître en juillet, Enshittification (Macmillan Publishers). A leur naissance, les jeunes plateformes ont besoin d’attirer des utilisateurs et cherchent donc à se rendre particulièrement utiles à leurs yeux, quitte à proposer un service à perte. Puis, elles cherchent à attirer des entreprises clientes (vendeurs, publicitaires ou médias) et orientent donc le fonctionnement de la plateforme en leur faveur, aux dépens des utilisateurs. Enfin, une fois la dépendance des uns et des autres à la plateforme acquise, divers mécanismes sont utilisés pour permettre de rediriger la valeur produite non plus vers les utilisateurs ou les entreprises clientes, mais vers la plateforme elle-même et ses actionnaires.

    Un constat nuancé par Mathilde Abel, qui rappelle que si la « merdification » est indéniablement un mouvement inhérent aux plateformes, la dégradation des services n’est pas exercée de manière uniforme partout. « Ces différences ne sont pas seulement liées à des questions de rationalité économique : elles résultent de choix de gouvernance à l’échelle de l’entreprise, portant sur la façon dont la plateforme exerce son pouvoir de marché », explique l’économiste.

    Reste que, selon Cory Doctorow, la position dominante des grands acteurs du numérique a un coût économique et démocratique considérable. « Lorsque des entreprises détiennent de tels monopoles, argumente l’activiste, elles deviennent remarquablement insensibles à tout mécanisme de responsabilisation : les consommateurs ne peuvent pas protester contre leurs pratiques en achetant les produits des concurrents, et les gouvernements se retrouvent démunis pour protéger leurs citoyens contre cette extorsion. » Avec la « merdification », la critique du capitalisme de plateforme aurait-elle enfin trouvé un levier de mobilisation ?

    Marion Dupont

    #Cory_Doctorow #Emmerdification

  • « Le Rapt d’Internet » : la réappropriation des moyens de production numérique
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/16/le-rapt-d-internet-la-reappropriation-des-moyens-de-production-numerique_659

    « Le Rapt d’Internet » : la réappropriation des moyens de production numérique
    Pour prospérer, les géants du numérique enferment leurs utilisateurs dans des plateformes dont il est difficile de sortir. Dans un essai, le Canadien Cory Doctorow appelle à faire tomber les murs de ces forteresses juridiques. Le moyen pour y parvenir ? L’interopérabilité.
    Par Marion Dupont

    Livre. Pourquoi les géants du numérique – Microsoft, Apple, Google, Amazon, Meta, et autres – sont-ils si « gros » et comment le sont-ils devenus ? Loin de devoir leur gigantisme au génie de leurs fondateurs ou à la supériorité des technologies qu’ils proposent, les Big Tech se sont développées et maintenues grâce à une forme d’emprisonnement de leurs utilisateurs particulièrement pernicieuse. C’est en tout cas l’analyse présentée par le militant canadien Cory Doctorow dans un ouvrage au titre explicite : Le Rapt d’Internet. Manuel de déconstruction des Big Tech ou comment récupérer les moyens de production numérique (C&F Editions, 240 pages, 26 euros).

    Difficile de lui donner tort. Un exemple : si la qualité des services fournis par Facebook n’a cessé de se dégrader au cours des dernières années, le départ de la plateforme a un prix (appelé « coût de sortie ») que peu d’utilisateurs sont prêts à payer. Abandonner ce réseau social se traduit en effet par la perte des photos, de l’accès aux amis, à la famille, aux communautés fréquentées ou, pour les entrepreneurs, à la clientèle qu’ils s’y sont forgé. Résultat, même maltraités, les utilisateurs restent et contribuent par leur argent et leurs données à la puissance des Big Tech, dans un cercle vicieux qui, trop souvent encore, ne suscite que des réactions fatalistes.
    Les murs des « jardins clos » créés et entretenus par les entreprises de la Silicon Valley ne sont pourtant pas impénétrables, argumente Cory Doctorow. Ces forteresses sont en effet protégées par un enchevêtrement de dispositifs juridiques particulièrement avantageux, fruit d’une bataille législative menée à bas bruit depuis les années 1990 pour entraver l’émergence de technologies concurrentes ou la libre utilisation des produits par les utilisateurs (qui n’ont pas le droit, par exemple, de réparer ou d’améliorer les téléphones Apple qu’ils ont pourtant achetés… ailleurs que chez Apple).

    Connecter de nouvelles technologies

    Le nerf de la guerre pour forcer ces murailles ? L’interopérabilité, c’est-à-dire la possibilité pour les clients comme pour les concurrents de connecter de nouvelles technologies aux services, systèmes ou plateformes déjà existants – ce qui permettrait, notamment, d’en sortir à coûts réduits. La notion constitue sans surprise le cœur de l’ouvrage et de son argumentation, l’auteur s’employant à la rendre accessible à coups de bons mots et de cas concrets – au détriment parfois de la citation des sources sur lesquelles il s’appuie.
    Lire aussi l’entretien | Article réservé à nos abonnés « Le pouvoir des géants de la tech érode la démocratie »

    Si, admet-il, réformer le maquis législatif rendant actuellement l’interopérabilité quasiment hors la loi pourrait prendre plusieurs décennies, des mesures peuvent être prises dès maintenant pour « récupérer les moyens de production numérique » : encore faut-il que le grand public les connaisse. Avec Le Rapt d’Internet, c’est chose faite.

    Le Rapt d’Internet. Manuel de déconstruction des Big Tech ou comment récupérer les moyens de production numérique de Cory Doctorow, C&F Editions, 240 pages, 26 euros.

    Marion Dupont


    #Cory_Doctorow #Rapt_Internet

  • Le rapt d’Internet : Manuel de déconstruction des Big Tech, ou comment récupérer les moyens de production numérique - Babelio
    https://www.babelio.com/livres/Doctorow-Le-rapt-dInternet--Manuel-de-deconstruction-des-/1805039/editions/2344773?cmp=# !

    Extraits des commentaires portés sur Babelio sur le livre de Cory Doctorow dans le cadre de l’opération « Masse critique ».

    Dans la suite du livre découpé en deux grandes parties « Comment se réapproprier les moyens de production numérique » et « Quid... », Doctorow développe son propos.

    Autant la première partie « Comment se réapproprier les moyens de production numérique » est intéressante (comprendre : cette partie m’a intéressé), autant la deuxième « Quid... » qui traite de façon parfois très rapide de la vie privée, du harcèlement, des pays pauvres ou de la blockchain n’est pas très intéressante (comprendre : cette partie m’a intéressé). Je vais donc me concentrer sur cette première partie dans cette critique.

    En mobilisant des concepts comme les effets de réseau, l’interopérabilité ou les normes, Cory Doctorow montre comment les géants de la Tech - Google, Facebook, Apple, Microsoft ou TikTok - qui sont selon des « maniaques de la surveillance » (Facebook par exemple) ou des "maniaques du contrôle (Apple par exemple) - se sont appropriés les moyens de production numériques. Cette appropriation des moyens de production numérique empêchera selon Doctorow de mener d’autres luttes comme celle de « l’emballement du changement climatique » (p. 31) ou celle des « violences et discriminations sexistes » (p. 31). Ce faisant, selon Doctorow, le préalable à de nombreuses luttes sera de « récupérer/se réapproprier les moyens de production numérique » (comme l’indique le sous-titre/la première partie).

    Bien documentées et riches d’exemples, les différentes sections de cette première partie sont parfois bizarrement rédigées

    Après avoir lu cet ouvrage, je me rends à l’évidence : celui-ci n’était pas fait pour moi. L’opération Mass Critique de Babelio m’a permis de découvrir un tout nouveau genre. Habitué à lire de la romance, je peux vous dire que je suis entré dans un univers totalement différent. ⋆˚✿˖°

    J’ai adoré les anecdotes, j’ai appris certaines choses sur les ordinateurs, l’interopérabilité, l’opposition entre Apple et Microsoft.. Tout cela m’a intéressé. Cependant, je n’ai pas réussi à aller jusqu’au bout de ma compréhension. Certains chapitres étaient incroyables, car j’avais compris de nombreux éléments, tandis que d’autres m’ont laissé complètement perdu. ᓚ₍⑅^..^₎

    Petit clin d’oeil à un tableau inspiré de la couverture. Celle-ci ne m’avait pas attiré au premier abord, mais en ayant vu la référence, je comprends beaucoup mieux son sens. ✧

    Si le numérique vous intéresse ou si vous êtes curieux, ce livre est fait pour vous. Pour ma part, c’est un non, mais je n’hésiterai pas à me renseigner sur d’autres oeuvres de Cory Doctorow.

    😇 Ou comment j’ai choisi ce livre pour Masse Critique car je connaissais l’auteur pour ses livres de science-fiction.

    😅 J’avoue que je lis très peu de non-fiction, hormis certains essais en lien avec l’Imaginaire, donc je sors ici totalement de ma zone de confort. Mais en tant que consommatrice quotidienne des Big Tech, il est intéressant de connaître leurs modes de fonctionnement et comment l’on pourrait s’en passer.

    ✒ Avec de nombreux exemples concrets dans l’histoire de l’informatique et d’internet, cet essai est vraiment intéressant, même pour une néophyte comme moi. Ce n’est pas un livre pour dompter les Big Tech, mais pour donner des pistes afin de détruire ces grosses sociétés et permettre à tout un chacun d’avoir un outil à son service, et non d’en être le produit...

    😉 Une lecture très intéressante !

    #Cory_Doctorow #Rapt_internet

  • Doctorow : rendre l’interopérabilité contraignante | CNNum | Traducteur et éclaireur des transformations numériques
    https://cnnumerique.fr/lettre-dinformation/doctorow-rendre-linteroperabilite-contraignante

    Doctorow : rendre l’interopérabilité contraignante

    Hubert Guillaud

    Le rapt d’Internet. Voilà des années que Cory Doctorow traverse les enjeux des technologies. En France, il est surtout connu pour ses romans de science-fiction, dont quelques titres ont été traduits (Le grand abandon, Bragelonne, 2021 ; De beaux et grands lendemains, Goater, 2018, Little Brother, éditions 12-21, 2012 ; Dans la dèche au royaume enchanté, Folio, 2008). Cela explique que beaucoup connaissent moins le journaliste et militant prolixe, qui de Boing Boing (le blog qu’il a animé pendant 20 ans) à Pluralistic (le blog personnel qu’il anime depuis 5 ans), de Creative Commons à l’Electronic Frontier Foundation, dissémine ses prises de positions engagées et informées depuis toujours, quasiment quotidiennement et ce avec un ton mordant qui fait le sel de ses prises de paroles. Depuis des années, régulièrement, quelques-unes de ses prises de position parviennent jusqu’à nous, via quelques entretiens disséminés dans la presse française ou quelques traductions de certaines de ses tribunes. D’où l’importance du Rapt d’Internet (C&F éditions, 2025, traduction de The internet con, publié en 2023 chez Verso), qui donne enfin à lire un essai du grand activiste des libertés numériques.

    #Cory_Doctorow #Hubert_Guillaud #CNNum

  • Le chaos Trump, une occasion pour l’Europe d’affaiblir les Big Tech, selon Cory Doctorow
    https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/le-chaos-trump-une-occasion-d-affaiblir-les-big-tech-selon-cory-doctorow-1

    GRAND ENTRETIEN. Et si du nouveau désordre mondial provoqué par Donald Trump pouvait naître de nouvelles règles du commerce moins avantageuses pour les Big Tech et plus protectrices pour les utilisateurs et les petites entreprises ? C’est le vœu de Cory Doctorow, auteur et activiste canadien qui vient de publier la traduction française de son dernier essai Le Rapt d’Internet (éditions C&F).

    Propos recueillis par Marine Protais

    Publié le 18/03/25 à 11:48
    Cory Doctorow.

    Cory Doctorow.

    Anna Olthoff

    Cory Doctorow veut nous délivrer des « jardins clos » que sont les grandes plateformes du Web pour que nous nous réapproprions les « moyens de production numérique ». L’auteur de science-fiction et essayiste a pour cela détaillé quelques consignes dans son ouvrage Le Rapt d’Internet, Manuel de déconstruction des Big Tech (C&F, février 2025).

    Toutefois, depuis l’écriture de cet ouvrage, le Web décrit par Doctorow a été bousculé par l’arrivée de l’IA, mais aussi de nouveaux textes de lois, et le monde par la réélection de Donald Trump. Nous lui avons donc demandé comment il voyait les choses désormais.

    LA TRIBUNE — Vous partez du postulat qu’il est impossible de dompter les Big Tech pour les rendre meilleures, et qu’il faut simplement les détruire. Pourquoi ?

    CORY DOCTOROW — Il est impossible d’être le modérateur une plateforme de trois milliards de personnes. Ni Mark Zuckerberg ni personne ne devrait être le tsar non élu des réseaux sociaux. Lorsque vous permettez à Mark Zuckerberg d’observer, d’analyser et de contrôler tout ce que font ses utilisateurs, vous lui donnez un pouvoir absolument irrésistible. Vous lui donnez la tentation d’abuser de ces utilisateurs. Si nous voulons que Zuckerberg cherche réellement à satisfaire ses utilisateurs, il faut que ces derniers puissent partir facilement.

    #Cory_Doctorow

  • Dans les algorithmes | Doctorow : rendre l’interopérabilité contraignante
    https://danslesalgorithmes.net/2025/03/27/doctorow-rendre-linteroperabilite-contraignante

    Avec « Le rapt d’internet », Cory Doctorow nous invite à lutter contre ceux qui nous l’ont volé ! L’interopérabilité est le levier que nous devons activer pour limiter la concentration des Big Tech. Lecture.

    Hubert Guillaud

    27/03/2025
    Sommaire

    — En Guerre
    — Police sans justice
    — L’interopérabilité d’abord
    — L’interopérabilité partout

    Mots clés

    #Réglementation

    Voilà des années que Cory Doctorow traverse les enjeux des technologies. En France, il est surtout connu pour ses romans de science-fiction, dont quelques titres ont été traduits (Le grand abandon, Bragelonne, 2021 ; De beaux et grands lendemains, Goater, 2018, Little Brother, éditions 12-21, 2012 ; Dans la dèche au royaume enchanté, Folio, 2008). Cela explique que beaucoup connaissent moins le journaliste et militant prolixe, qui de Boing Boing (le blog qu’il a animé pendant 20 ans) à Pluralistic (le blog personnel qu’il anime depuis 5 ans), de Creative Commons à l’Electronic Frontier Foundation, dissémine ses prises de positions engagées et informées depuis toujours, quasiment quotidiennement et ce avec un ton mordant qui fait le sel de ses prises de paroles. Depuis des années, régulièrement, quelques-unes de ses prises de position parviennent jusqu’à nous, via quelques entretiens disséminés dans la presse française ou quelques traductions de certaines de ses tribunes. D’où l’importance du Rapt d’Internet (C&F éditions, 2025, traduction de The internet con, publié en 2023 chez Verso), qui donne enfin à lire un essai du grand activiste des libertés numériques.

    On retrouve dans ce livre à la fois le ton volontaire et énergisant de Doctorow, mais aussi son côté brouillon, qui permet bien souvent de nous emmener plus loin que là où l’on s’attendait à aller. Dans son livre, Doctorow explique le fonctionnement des technologies comme nul autre, sans jamais se tromper de cible. Le défi auquel nous sommes confrontés n’est pas de nous débarrasser des technologies, mais bien de combattre la forme particulière qu’elles ont fini par prendre : leur concentration. Nous devons œuvrer à remettre la technologie au service de ceux qui l’utilisent, plaide-t-il depuis toujours. Pour cela, Doctorow s’en prend aux monopoles, au renforcement du droit d’auteur, au recul de la régulation… pour nous aider à trouver les leviers pour reprendre en main les moyens de production numérique.
    En Guerre

    Voilà longtemps que Cory Doctorow est en guerre. Et le principal ennemi de Doctorow c’est la concentration. Doctorow est le pourfendeur des monopoles quels qu’ils soient et des abus de position dominantes. A l’heure où les marchés n’ont jamais autant été concentrés, le militant nous rappelle les outils que nous avons à notre disposition pour défaire cette concentration. “La réforme de la tech n’est pas un problème plus pressant qu’un autre. Mais si nous ne réformons pas la tech, nous pouvons abandonner l’idée de remporter d’autres combats”, prévient-il. Car la technologie est désormais devenue le bras armé de la concentration financière, le moyen de l’appliquer et de la renforcer. Le moyen de créer des marchés fermés, où les utilisateurs sont captifs et malheureux.

    Pour résoudre le problème, Doctorow prône l’interopérabilité. Pour lui, l’interopérabilité n’est pas qu’un moyen pour disséminer les technologies, mais un levier pour réduire les monopoles. L’interopérabilité est le moyen “pour rendre les Big Tech plus petites”. Pour Doctorow, la technologie et notamment les technologies numériques, restent le meilleur moyen pour nous défendre, pour former et coordonner nos oppositions, nos revendications, nos luttes. “Si nous ne pouvons nous réapproprier les moyens de production du numérique, nous aurons perdu”.

    Cory Doctorow est un militant aguerri. En historien des déploiements de la tech, son livre rappelle les combats technologiques que nous avons remportés et ceux que nous avons perdus, car ils permettent de comprendre la situation où nous sommes. Il nous rappelle comme nul autre, l’histoire du web avant le web et décrypte les manœuvres des grands acteurs du secteur pour nous enfermer dans leurs rets, qui ont toujours plus cherché à punir et retenir les utilisateurs dans leurs services qu’à leur fournir un service de qualité. Nous sommes coincés entre des “maniaques de la surveillance” et des “maniaques du contrôle”. “Toutes les mesures prises par les responsables politiques pour freiner les grandes entreprises technologiques n’ont fait que cimenter la domination d’une poignée d’entreprises véreuses”. La régulation a produit le contraire de ce qu’elle voulait accomplir. Elle a pavé le chemin des grandes entreprises technologiques, au détriment de la concurrence et de la liberté des usagers.
    Police sans justice

    En revenant aux racines du déploiement des réseaux des années 90 et 2000, Doctorow nous montre que l’obsession au contrôle, à la surveillance et au profit, ont conduit les entreprises à ne jamais cesser d’œuvrer contre ce qui pouvait les gêner : l’interopérabilité. En imposant par exemple la notification et retrait pour modérer les infractions au copyright, les grandes entreprises se sont dotées d’une procédure qui leur permet tous les abus et face auxquelles les utilisateurs sont sans recours. En leur confiant la police des réseaux, nous avons oublié de confier la justice à quelqu’un. Dans les filtres automatiques des contenus pour le copyright, on retrouve les mêmes abus que dans tous les autres systèmes : des faux positifs en pagaille et des applications strictes au détriment des droits d’usage. En fait, les grandes entreprises de la tech, comme les titulaires des droits, tirent avantage des défaillances et des approximations de leurs outils de filtrage. Par exemple, rappelle Doctorow, il est devenu impossible pour les enseignants ou interprètes de musique classique de gagner leur vie en ligne, car leurs vidéos sont systématiquement bloquées ou leurs revenus publicitaires captés par les maisons de disques qui publient des interprétations de Bach, Beethoven ou Mozart. L’application automatisée de suppression des contenus terroristes conduit à la suppression automatisée des archives de violations des droits humains des ONG. Pour Doctorow, nous devons choisir : “Soit nous réduisons la taille des entreprises de la Tech, soit nous les rendons responsables des actions de leurs utilisateurs”. Cela fait trop longtemps que nous leur faisons confiance pour qu’elles s’améliorent, sans succès. Passons donc à un objectif qui aura plus d’effets : œuvrons à en réduire la taille !, recommande Doctorow.
    L’interopérabilité d’abord

    Pour y parvenir, l’interopérabilité est notre meilleur levier d’action. Que ce soit l’interopérabilité coopérative, celle qui permet de construire des normes qui régulent le monde moderne. Ou que ce soit l’interopérabilité adverse. Doctorow s’énerve légitimement contre toutes les entreprises qui tentent de protéger leurs modèles d’affaires par le blocage, à l’image des marchands d’imprimantes qui vous empêchent de mettre l’encre de votre choix dans vos machines ou des vendeurs d’objets qui introduisent des codes de verrouillages pour limiter la réparation ou l’usage (qu’on retrouve jusque chez les vendeurs de fauteuils roulants !). Ces verrous ont pourtant été renforcés par des lois qui punissent de prison et de lourdes amendes ceux qui voudraient les contourner. L’interopérabilité est désormais partout entravée, bien plus encore par le droit que par la technique.

    Doctorow propose donc de faire machine avant. Nous devons imposer l’interopérabilité partout, ouvrir les infrastructures, imposer des protocoles et des normes. Cela suppose néanmoins de lutter contre les possibilités de triche dont disposent les Big Tech. Pour cela, il faut ouvrir le droit à la rétro-ingénierie, c’est-à-dire à l’interopérabilité adverse (ou compatibilité concurrentielle). Favoriser la “fédération” pour favoriser l’interconnexion, comme les services d’emails savent échanger des messages entre eux. Doctorow défend la modération communautaire et fédérée, selon les règles que chacun souhaite se donner. Pour lui, il nous faut également favoriser la concurrence et empêcher le rachat d’entreprises concurrentes, comme quand Facebook a racheté Instagram ou WhatsApp, qui a permis aux Big Techs de construire des empires toujours plus puissants. Nous devons nous défendre des seigneuries du web, car ce ne sont pas elles qui nous défendront contre leurs politiques. Sous prétexte d’assurer notre protection, bien souvent, elles ne cherchent qu’à maximiser les revenus qu’elles tirent de leurs utilisateurs.
    L’interopérabilité partout

    Le livre de Doctorow fourmille d’exemples sur les pratiques problématiques des Big Tech. Par exemple, sur le fait qu’elles ne proposent aucune portabilité de leurs messageries, alors qu’elles vous proposent toujours d’importer vos carnets d’adresse. Il déborde de recommandations politiques, comme la défense du chiffrement des données ou du droit à la réparabilité, et ne cesse de dénoncer le fait que les régulateurs s’appuient bien trop sur les Big Tech pour produire de la réglementation à leur avantage, que sur leurs plus petits concurrents. Nous devons rendre l’interopérabilité contraignante, explique-t-il, par exemple en la rendant obligatoire dans les passations de marchés publics et en les obligeant à l’interopérabilité adverse, par exemple en faisant que les voitures des flottes publiques puissent être réparables par tous, ou en interdisant les accords de non-concurrence. “Les questions de monopole technologique ne sont pas intrinsèquement plus importantes que, disons, l’urgence climatique ou les discriminations sexuelles et raciales. Mais la tech – une tech libre, juste et ouverte – est une condition sine qua non pour remporter les autres luttes. Une victoire dans la lutte pour une meilleure tech ne résoudra pas ces autres problèmes, mais une défaite annihilerait tout espoir de remporter ces luttes plus importantes”. L’interopérabilité est notre seul espoir pour défaire les empires de la tech.

    Le verrouillage des utilisateurs est l’un des nœuds du problème techno actuel, expliquait-il récemment sur son excellent blog, et la solution pour y remédier, c’est encore et toujours l’interopérabilité. Ces services ne sont pas problématiques parce qu’ils sont détenus par des entreprises à la recherche de profits, mais bien parce qu’elles ont éliminé la concurrence pour cela. C’est la disparition des contraintes réglementaires qui produit « l’emmerdification », assure-t-il, d’un terme qui est entré en résonance avec le cynisme actuel des plateformes pour décrire les problèmes qu’elles produisent. Zuckerberg ou Musk ne sont pas plus diaboliques aujourd’hui qu’hier, ils sont juste plus libres de contraintes. « Pour arrêter l’emmerdification, il n’est pas nécessaire d’éliminer la recherche du profit – il faut seulement rendre l’emmerdification non rentable ». Et Doctorow de nous inviter à exploiter les divisions du capitalisme. Nous ne devons pas mettre toutes les entreprises à but lucratif dans le même panier, mais distinguer celles qui produisent des monopoles et celles qui souhaitent la concurrence. Ce sont les verrous que mettent en place les plateformes en s’accaparant les protocoles que nous devons abattre. Quand Audrey Lorde a écrit que les outils du maître ne démantèleront jamais la maison du maître, elle avait tort, s’énerve-t-il. « Il n’y a pas d’outils mieux adaptés pour procéder à un démantèlement ordonné d’une structure que les outils qui l’ont construite ».

    Cet essai est une chance. Il va permettre à beaucoup d’entre nous de découvrir Cory Doctorow, de réfléchir avec lui, dans un livre joyeusement bordélique, mais qui sait comme nul autre relier l’essentiel et le décortiquer d’exemples toujours édifiants. Depuis plus de 20 ans, le discours de Doctorow est tout à fait cohérent. Il est temps que nous écoutions un peu plus !

    #Cory_Doctorow #Hubert_Guillaud

  • Cory Doctorow : « Facebook, Instagram, X… plus personne n’aime ces plateformes ! » – Libération
    https://www.liberation.fr/idees-et-debats/cory-doctorow-facebook-instagram-x-plus-personne-naime-ces-plateformes-20
    https://www.liberation.fr/resizer/5txWE0Jd5BVIlcGaeobbaCIFoaE=/1200x630/filters:format(jpg):quality(70):focal(1686x1307:1696x1317)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/JHYQQXJJVRHFBNIYEVA5RRUPJI.jpg

    Les Gafam dominent l’univers numérique parce qu’ils ont pu se constituer en monopoles qui retiennent les utilisateurs captifs, souligne le journaliste canadien. Pour les briser, il faut donner aux gens les moyens de quitter ces plateformes sans renoncer aux services qu’elles fournissent.

    « Si on continue d’utiliser [les entreprises de la tech], c’est parce qu’elles ont tout fait pour nous empêcher de les quitter. » (Fräneck/Libération)
    par Nicolas Celnik
    publié le 22 septembre 2023 à 12h52
    Nos vies sont gouvernées par une poignée de brillants entrepreneurs à la tête de géants du numérique. En tout cas, c’est ce que ces derniers aimeraient nous faire croire. En refermant The Internet Con (Verso, 2023), du journaliste spécialisé dans la tech et écrivain de science-fiction Cory Doctorow, on se demande plutôt : « Et si tous les petits génies de la Silicon Valley n’étaient, en fait, qu’un ramassis de perdants pas franchement originaux ? ». Depuis que Google – actuellement en procès pour sa suprématie sur la recherche en ligne – a lancé son moteur de recherche il y a trente ans, ses créateurs n’ont fait qu’enchaîner les échecs – et ont acheté tous les services qui font aujourd’hui leur fortune.

    Si l’entreprise est un géant, c’est surtout parce qu’elle a triché, enfreint les lois, et bénéficié d’une réglementation favorable à la constitution de monopoles, qui lui a permis de multiplier les fusions-acquisitions pour éliminer ses concurrents. Cette hégémonie permet aux Gafam de fournir un service de moins en moins bonne qualité – Doctorow parle de « merdification » (« shitification »), et on comprend sans mal ce qu’il vise. Pour briser ces monopoles, Doctorow propose de rendre obligatoire l’interopérabilité entre plateformes, qui permettrait d’utiliser leurs services sans subir leurs conditions, et donc de les déserter.

    Vous critiquez dans votre livre la « merdification » de Facebook. X (anciennement Twitter) est-il en train de suivre la même pente, depuis son rachat par Elon Musk ?

    La plupart des choses que je n’aimais pas à propos de Facebook sont en train d’être reproduites sur Twitter. Quand je parle de « merdification », je cible le fait que les plateformes maltraitent leurs utilisateurs. C’est ce qu’il se passe quand une plateforme tient ses deux groupes d’utilisateurs captifs : d’un côté, ses « clients », qui sont les annonceurs publicitaires, dépendent de Facebook pour diffuser leurs publicités ; de l’autre, les clients de ces clients, c’est-à-dire les utilisateurs, dépendent de Facebook pour rester en contact avec leurs amis.

    On le voit avec Facebook, Instagram ou Twitter : ça a été des plateformes agréables pour les utilisateurs, on y voyait l’activité de nos amis ou des choses intéressantes, puis l’algorithme a changé, et tout le contenu qui nous était proposé est devenu des pubs, ce qui a fait la joie des annonceurs, puis la rémunération pour les pubs a chuté, et on s’est rendu compte que presque 100 % des annonces sont vues… par des robots. Résultat : plus personne n’aime ces plateformes.

    Pensez-vous que le traitement médiatique des frasques d’Elon Musk est pertinent ?

    Il y a beaucoup de spéculations pour savoir si ce que fait Elon Musk à Twitter est un projet idéologique, s’il cherche à gagner de l’argent, ou s’il fait tout bonnement n’importe quoi. Mais je me méfie de toute tentative de kremlinologie avec lui : j’ai l’impression qu’il est très chaotique, qu’il ne fait pas ce qu’il dit et qu’il ne sait pas ce qu’il fait. Je pense qu’il a annoncé qu’il voulait acheter Twitter à moitié pour faire une blague et à moitié pour faire paniquer les marchés, puis qu’il n’avait plus trop le choix, et la bande d’idiots qui l’entoure lui a dit que ce serait une super idée, alors, il l’a fait !

    C’est un bon argument pour demander moins de concentrations des pouvoirs : loin de l’idée que les entreprises qui réussissent sont celles qui ont le plus de talents ou sont les plus innovantes, c’est une preuve de plus qu’elles réussissent simplement parce qu’elles ont réussi à verrouiller le marché pour éliminer la concurrence.

    Prenez Google : il y a trente ans, ses fondateurs ont eu un éclair de génie et ont créé un super moteur de recherche. Depuis, plus rien. Tous les autres projets qu’ils ont montés depuis trente ans ont été des échecs : un service vidéo (Google Vidéos), un réseau social (Google +), un lecteur de flux RSS… A chaque fois, ils se sont plantés. Alors, ils ont acheté un service vidéo (YouTube), un système de management de serveur, des outils de cartographie (Google Maps), de traitement de texte collaboratif (Google Docs), etc.

    Pratiquement, tout ce qui fait leur fortune aujourd’hui, ce n’est pas eux qui l’ont fait. Mais s’ils ont pu bâtir un tel empire, c’est parce que Google dépense près de 20 milliards de dollars chaque année pour être le moteur de recherche par défaut des appareils Apple, Samsung, etc.

    Le problème des géants du Web, ce sont donc, précisément, que ce sont des géants ?

    Malgré tous les défauts de Facebook, il faut bien reconnaître une chose : il y a beaucoup de petites entreprises qui font des choses bien pires. Spiral Toys fabriquait des peluches dotées d’un micro, et a hébergé des enregistrements de conversations d’enfants, parfois très intimes, sur un site accessible par tous. Mais est-ce qu’il vaut mieux faire la pire des crasses à 10 000 personnes, ou des choses un peu moins pires (enfreindre le RGPD, voler et revendre les données personnelles, s’implanter en Irlande pour ne pas payer d’impôts, etc.) à trois milliards de personnes ? L’un des problèmes aujourd’hui n’est pas que les géants du Web ne sont soumis à aucune régulation, c’est qu’on n’a pas la capacité de déployer et de faire respecter ces régulations.

    Si Google ou Facebook ne sont pas des entreprises si innovantes qu’elles le disent, comment expliquez-vous qu’elles aient réuni une telle puissance ?

    Les entreprises du Web se sont constituées en monopoles incontrôlables pour trois raisons. D’abord, il y a, depuis l’époque Reagan (1981-1989), un affaiblissement des lois anti-monopoles, ce qui a permis aux entreprises de multiplier les fusions-acquisitions, d’écarter tous les concurrents potentiels, et de devenir hégémoniques.

    Ensuite, les entreprises de la tech bénéficient d’une plus grande flexibilité pour adapter leurs produits, ce qui leur permet de tirer profit de leur activité de surveillance, mais aussi de s’adapter aux nouvelles réglementations.

    Enfin, elles ont réussi à verrouiller le marché de sorte que tout ce qu’on essaie pour renverser leur pouvoir soit illégal : prenez l’exemple de OG App, qui proposait aux utilisateurs de faire défiler leur fil Instagram par ordre chronologique et sans publicité – Instagram les a attaqués en justice et a fait disparaître l’application. La combinaison de ces trois facteurs est ce qui rend les géants du numérique si problématiques aujourd’hui.

    Vous dites qu’on ne peut pas « réparer les géants du Web ». Pourquoi ?

    Faisons une analogie. Avant l’arrivée des colons, les Indiens de Californie faisaient régulièrement des feux de forêt contrôlés – ils préparaient des corridors, nettoyaient du bois mort, etc. Quand les colons sont arrivés, ils ont décidé qu’il n’y aurait plus aucun incendie en Californie, ils ont donc arrêté la pratique, puis ils ont urbanisé des zones à risque d’incendie. Résultat : la région est régulièrement décimée par des feux incontrôlables. On a dépensé toute notre énergie à rendre la Californie sûre, et cela complique l’exode de populations qui doivent aujourd’hui fuir ces zones qui risquent la destruction.

    Dire à Facebook ou à Twitter : « Vous devez modérer les contenus haineux de vos utilisateurs », cela revient à dire « il n’y aura plus de feux ici ». Et c’est la meilleure manière de se retrouver face à des feux incontrôlables. Il faut plutôt construire des issues de secours à ces plateformes numériques.

    Ces issues de secours prennent, pour vous, la forme de l’interopérabilité. De quoi s’agit-il, et pourquoi cela vous semble-t-il la bonne solution ?

    Si on continue de les utiliser, c’est parce qu’elles ont tout fait, depuis leur création, pour nous empêcher de les quitter : elles augmentent les « coûts à la sortie ». Si vous quittez Facebook, vous avez toutes les chances de ne pas être invité la prochaine fois que vos amis organisent leur anniversaire. Vous n’allez pas sur Facebook parce que vous aimez Facebook : vous y allez parce que vos amis y sont aussi. Si vous pouviez continuer à échanger avec eux grâce à une autre application, peut-être que vous le feriez. Or des mémos internes montrent que les géants du Web le savent, et qu’ils font tout pour qu’il soit impossible d’utiliser ces alternatives.

    L’interopérabilité signifie ici que vous pouvez utiliser un système différent pour accéder à un même registre : par exemple, que vous pouvez échanger des messages avec vos amis qui utilisent l’application Facebook, depuis une autre application de votre choix. Si on forçait les plateformes à accepter l’interopérabilité, cela pourrait donner naissance à une myriade d’applications qui proposeraient des modèles alternatifs, moins centrés sur la surveillance ou l’économie de l’attention. La preuve que ce phénomène se produirait, c’est qu’il s’est déjà produit (pensons une fois encore à OG App) – mais que c’est la Cour suprême des Etats-Unis qui l’a rendu illégal, à la demande d’Instagram !

    En définitive, qui a le pouvoir pour renverser les géants du Web ? Les citoyens, les consommateurs, les législateurs ?

    Le mot « citoyen » me semble très important ici. On se demande souvent : « Que peuvent faire les consommateurs ? ». Mais en tant que consommateurs, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Ce n’est pas un problème qui se règle à l’échelle individuelle, mais systémique : c’est un enjeu qui doit être saisi en tant que communauté de citoyens, qui ont le droit de participer à l’élaboration des règles qui dictent la manière dont ils vivent. Obtenir l’interopérabilité et briser les monopoles se fera donc de la même manière que pour tous les autres conflits sociaux : par le vote, par les manifestations, par la politisation et par la législation – c’est le principe de la démocratie.

    #Cory_Doctorow

  • Doctorow : rendre l’interopérabilité contraignante | LinkedIn
    https://www.linkedin.com/pulse/doctorow-rendre-linterop%25C3%25A9rabilit%25C3%25A9-contraignante-4p1ke

    Doctorow : rendre l’interopérabilité contraignante

    Hubert Guillaud

    Le rapt d’Internet. Voilà des années que Cory Doctorow traverse les enjeux des technologies. En France, il est surtout connu pour ses romans de science-fiction, dont quelques titres ont été traduits (Le grand abandon, Bragelonne, 2021 ; De beaux et grands lendemains, Goater, 2018, Little Brother, éditions 12-21, 2012 ; Dans la dèche au royaume enchanté, Folio, 2008). Cela explique que beaucoup connaissent moins le journaliste et militant prolixe, qui de Boing Boing (le blog qu’il a animé pendant 20 ans) à Pluralistic (le blog personnel qu’il anime depuis 5 ans), de Creative Commons à l’Electronic Frontier Foundation, dissémine ses prises de positions engagées et informées depuis toujours, quasiment quotidiennement et ce avec un ton mordant qui fait le sel de ses prises de paroles. Depuis des années, régulièrement, quelques-unes de ses prises de position parviennent jusqu’à nous, via quelques entretiens disséminés dans la presse française ou quelques traductions de certaines de ses tribunes. D’où l’importance du Rapt d’Internet (C&F éditions, 2025, traduction de The internet con, publié en 2023 chez Verso), qui donne enfin à lire un essai du grand activiste des libertés numériques.

    On retrouve dans ce livre à la fois le ton volontaire et énergisant de Doctorow, mais aussi son côté brouillon, qui permet bien souvent de nous emmener plus loin que là où l’on s’attendait à aller. Dans son livre, Doctorow explique le fonctionnement des technologies comme nul autre, sans jamais se tromper de cible. Le défi auquel nous sommes confrontés n’est pas de nous débarrasser des technologies, mais bien de combattre la forme particulière qu’elles ont fini par prendre : leur concentration. Nous devons œuvrer à remettre la technologie au service de ceux qui l’utilisent, plaide-t-il depuis toujours. Pour cela, Doctorow s’en prend aux monopoles, au renforcement du droit d’auteur, au recul de la régulation... pour nous aider à trouver les leviers pour reprendre en main les moyens de production numérique.

    En Guerre. Voilà longtemps que Cory Doctorow est en guerre. Et le principal ennemi de Doctorow c’est la concentration. Doctorow est le pourfendeur des monopoles quels qu’ils soient et des abus de position dominantes. A l’heure où les marchés n’ont jamais autant été concentrés, le militant nous rappelle les outils que nous avons à notre disposition pour défaire cette concentration. “La réforme de la tech n’est pas un problème plus pressant qu’un autre. Mais si nous ne réformons pas la tech, nous pouvons abandonner l’idée de remporter d’autres combats”, prévient-il. Car la technologie est désormais devenue le bras armé de la concentration financière, le moyen de l’appliquer et de la renforcer. Le moyen de créer des marchés fermés, où les utilisateurs sont captifs et malheureux.

    Pour résoudre le problème, Doctorow prône l’interopérabilité. Pour lui, l’interopérabilité n’est pas qu’un moyen pour disséminer les technologies, mais un levier pour réduire les monopoles. L’interopérabilité est le moyen “pour rendre les Big Tech plus petites”. Pour Doctorow, la technologie et notamment les technologies numériques, restent le meilleur moyen pour nous défendre, pour former et coordonner nos oppositions, nos revendications, nos luttes. “Si nous ne pouvons nous réapproprier les moyens de production du numérique, nous aurons perdu”.

    Cory Doctorow est un militant aguerri. En historien des déploiements de la tech, son livre rappelle les combats technologiques que nous avons remportés et ceux que nous avons perdus, car ils permettent de comprendre la situation où nous sommes. Il nous rappelle comme nul autre, l’histoire du web avant le web et décrypte les manœuvres des grands acteurs du secteur pour nous enfermer dans leurs rets, qui ont toujours plus cherché à punir et retenir les utilisateurs dans leurs services qu’à leur fournir un service de qualité. Nous sommes coincés entre des “maniaques de la surveillance” et des “maniaques du contrôle”. “Toutes les mesures prises par les responsables politiques pour freiner les grandes entreprises technologiques n’ont fait que cimenter la domination d’une poignée d’entreprises véreuses”. La régulation a produit le contraire de ce qu’elle voulait accomplir. Elle a pavé le chemin des grandes entreprises technologiques, au détriment de la concurrence et de la liberté des usagers.

    Police sans justice. En revenant aux racines du déploiement des réseaux des années 90 et 2000, Doctorow nous montre que l’obsession au contrôle, à la surveillance et au profit, ont conduit les entreprises à ne jamais cesser d’œuvrer contre ce qui pouvait les gêner : l’interopérabilité. En imposant par exemple la notification et retrait pour modérer les infractions au copyright, les grandes entreprises se sont dotées d’une procédure qui leur permet tous les abus et face auxquelles les utilisateurs sont sans recours. En leur confiant la police des réseaux, nous avons oublié de confier la justice à quelqu’un. Dans les filtres automatiques des contenus pour le copyright, on retrouve les mêmes abus que dans tous les autres systèmes : des faux positifs en pagaille et des applications strictes au détriment des droits d’usage. En fait, les grandes entreprises de la tech, comme les titulaires des droits, tirent avantage des défaillances et des approximations de leurs outils de filtrage. Par exemple, rappelle Doctorow, il est devenu impossible pour les enseignants ou interprètes de musique classique de gagner leur vie en ligne, car leurs vidéos sont systématiquement bloquées ou leurs revenus publicitaires captés par les maisons de disques qui publient des interprétations de Bach, Beethoven ou Mozart. L’application automatisée de suppression des contenus terroristes conduit à la suppression automatisée des archives de violations des droits humains des ONG. Pour Doctorow, nous devons choisir : “Soit nous réduisons la taille des entreprises de la Tech, soit nous les rendons responsables des actions de leurs utilisateurs”. Cela fait trop longtemps que nous leur faisons confiance pour qu’elles s’améliorent, sans succès. Passons donc à un objectif qui aura plus d’effets : œuvrons à en réduire la taille !, recommande Doctorow.

    L’interopérabilité d’abord. Pour y parvenir, l’interopérabilité est notre meilleur levier d’action. Que ce soit l’interopérabilité coopérative, celle qui permet de construire des normes qui régulent le monde moderne. Ou que ce soit l’interopérabilité adverse. Doctorow s’énerve légitimement contre toutes les entreprises qui tentent de protéger leurs modèles d’affaires par le blocage, à l’image des marchands d’imprimantes qui vous empêchent de mettre l’encre de votre choix dans vos machines ou des vendeurs d’objets qui introduisent des codes de verrouillages pour limiter la réparation ou l’usage (qu’on retrouve jusque chez les vendeurs de fauteuils roulants !). Ces verrous ont pourtant été renforcés par des lois qui punissent de prison et de lourdes amendes ceux qui voudraient les contourner. L’interopérabilité est désormais partout entravée, bien plus encore par le droit que par la technique.

    Doctorow propose donc de faire machine avant. Nous devons imposer l’interopérabilité partout, ouvrir les infrastructures, imposer des protocoles et des normes. Cela suppose néanmoins de lutter contre les possibilités de triche dont disposent les Big Tech. Pour cela, il faut ouvrir le droit à la rétro-ingénierie, c’est-à-dire à l’interopérabilité adverse (ou compatibilité concurrentielle). Favoriser la “fédération” pour favoriser l’interconnexion, comme les services d’emails savent échanger des messages entre eux. Doctorow défend la modération communautaire et fédérée, selon les règles que chacun souhaite se donner. Pour lui, il nous faut également favoriser la concurrence et empêcher le rachat d’entreprises concurrentes, comme quand Facebook a racheté Instagram ou WhatsApp, qui a permis aux Big Techs de construire des empires toujours plus puissants. Nous devons nous défendre des seigneuries du web, car ce ne sont pas elles qui nous défendront contre leurs politiques. Sous prétexte d’assurer notre protection, bien souvent, elles ne cherchent qu’à maximiser les revenus qu’elles tirent de leurs utilisateurs.

    L’interopérabilité partout. Le livre de Doctorow fourmille d’exemples sur les pratiques problématiques des Big Tech. Par exemple, sur le fait qu’elles ne proposent aucune portabilité de leurs messageries, alors qu’elles vous proposent toujours d’importer vos carnets d’adresse. Il déborde de recommandations politiques, comme la défense du chiffrement des données ou du droit à la réparabilité, et ne cesse de dénoncer le fait que les régulateurs s’appuient bien trop sur les Big Tech pour produire de la réglementation à leur avantage, que sur leurs plus petits concurrents. Nous devons rendre l’interopérabilité contraignante, explique-t-il, par exemple en la rendant obligatoire dans les passations de marchés publics et en les obligeant à l’interopérabilité adverse, par exemple en faisant que les voitures des flottes publiques puissent être réparables par tous, ou en interdisant les accords de non-concurrence. “Les questions de monopole technologique ne sont pas intrinsèquement plus importantes que, disons, l’urgence climatique ou les discriminations sexuelles et raciales. Mais la tech - une tech libre, juste et ouverte - est une condition sine qua non pour remporter les autres luttes. Une victoire dans la lutte pour une meilleure tech ne résoudra pas ces autres problèmes, mais une défaite annihilerait tout espoir de remporter ces luttes plus importantes”. L’interopérabilité est notre seul espoir pour défaire les empires de la tech.

    Le verrouillage des utilisateurs est l’un des nœuds du problème techno actuel, expliquait-il récemment sur son excellent blog, et la solution pour y remédier, c’est encore et toujours l’interopérabilité. Ces services ne sont pas problématiques parce qu’ils sont détenus par des entreprises à la recherche de profits, mais bien parce qu’elles ont éliminé la concurrence pour cela. C’est la disparition des contraintes réglementaires qui produit "l’emmerdification", assure-t-il, d’un terme qui est entré en résonance avec le cynisme actuel des plateformes pour décrire les problèmes qu’elles produisent. Zuckerberg ou Musk ne sont pas plus diaboliques aujourd’hui qu’hier, ils sont juste plus libres de contraintes. "Pour arrêter l’emmerdification, il n’est pas nécessaire d’éliminer la recherche du profit – il faut seulement rendre l’emmerdification non rentable". Et Doctorow de nous inviter à exploiter les divisions du capitalisme. Nous ne devons pas mettre toutes les entreprises à but lucratif dans le même panier, mais distinguer celles qui produisent des monopoles et celles qui souhaitent la concurrence. Ce sont les verrous que mettent en place les plateformes en s’accaparant les protocoles que nous devons abattre. Quand Audrey Lorde a écrit que les outils du maître ne démantèleront jamais la maison du maître, elle avait tort, s’énerve-t-il. "Il n’y a pas d’outils mieux adaptés pour procéder à un démantèlement ordonné d’une structure que les outils qui l’ont construite".

    Cet essai est une chance. Il va permettre à beaucoup d’entre nous de découvrir Cory Doctorow, de réfléchir avec lui, dans un livre joyeusement bordélique, mais qui sait comme nul autre relier l’essentiel et le décortiquer d’exemples toujours édifiants. Depuis plus de 20 ans, le discours de Doctorow est tout à fait cohérent. Il est temps que nous écoutions un peu plus !

    #Cory_Doctorow #Hubert_Guillaud #interopérabilité #Cnnum

  • Le chaos Trump, une occasion pour l’Europe d’affaiblir les Big Tech, selon Cory Doctorow
    https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/le-chaos-trump-une-occasion-d-affaiblir-les-big-tech-selon-cory-doctorow-1

    GRAND ENTRETIEN. Et si du nouveau désordre mondial provoqué par Donald Trump pouvait naître de nouvelles règles du commerce moins avantageuses pour les Big Tech et plus protectrices pour les utilisateurs et les petites entreprises ? C’est le vœu de Cory Doctorow, auteur et activiste canadien qui vient de publier la traduction française de son dernier essai Le Rapt d’Internet (éditions C&F).

    #Cory_Doctorow

  • Pour réenchanter les réseaux sociaux, cap vers l’interopérabilité ! | France Culture
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/un-monde-connecte/pour-reenchanter-les-reseaux-sociaux-cap-vers-l-interoperabilite-3643566

    Et si derrière le terme technique d’interopérabilité se trouvait l’espoir d’imaginer des réseaux sociaux plus saints en redonnant aux utilisateurs le contrôle de leurs données. De l’auteur canadien Cory Doctorow au conseil national du numérique, nombreux sont ceux qui réclament ce droit.

    Dans le monde que nous traversons et encore davantage dans le monde connecté, un petit souffle d’espoir ne peut pas nous faire de mal, celui ci porte un nom « le droit à l’interopérabilité ». J’avoue que le terme est assez technique et de prime à bord, il ne fait pas rêver, mais ses effets pourraient être particulièrement bénéfiques pour nous, utilisateurs des réseaux sociaux. Le droit à l’interopérabilité nous offrirait la possibilité de pouvoir migrer d’une plateforme à une autre en emportant avec nous nos abonnés et nos abonnements, en un mot notre « capital social ».

    Exemple concret depuis la reprise en main de Twitter (devenu X) par Elon Musk, beaucoup de personnes ont désiré quitter cet endroit devenu toxique mais elles se sont retrouvées face à un dilemme, acter ce départ voulait dire abandonner une communauté forgée depuis des années, lâcher un endroit de sociabilité et un espace de visibilité professionnelle. Les grandes plateformes le savent et profitent de cet « effet de réseau », elles ont acquis une telle taille critique qu’elles nous rendent captifs. Nous restons sur une interface nocive pour notre santé mentale car les personnes qu’on aime, qu’on suit, y sont. Mais si le droit à l’interopérabilité était fonctionnel, un mouvement de masse pourrait facilement d’organiser vers de nouveaux acteurs plus éthiques, une saine concurrence qui pourrait d’autant plus se déployer avec la garantie de l’interopérabilité.
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    L’auteur canadien Cory Doctorow défend ardemment ce droit dans son dernier essai, « Le rapt d’internet » dont la traduction française vient de paraitre aux éditions C&F, je vous le recommande chaudement. L’auteur nous rappelle que par le passé, nous avons déjà remporté des combats similaires, par exemple en permettant la lecture d’un fichier de traitement de texte d’un mac à un PC ou encore la portabilité de nos numéros de téléphone, souvenez-vous Jean il fut un temps ou changer d’opérateur signifiait abandonner son numéro historique, ce n’est plus la cas aujourd’hui. Doctorow nous donne des pistes pour reprendre en main le contrôle de nos données et c’est le plus précieux des pouvoirs.


    https://cfeditions.com/rapt-internet

    Vive les réseaux sociaux locaux

    Oui en Europe grâce au DSA, le Digital Services Act, le règlement européen entré en vigueur pour assainir les réseaux sociaux. La portabilité est déjà garantie, elle a par exemple permis au mouvement HelloQuitteX d’accompagner les utilisateurs dans leur traversée en exigeant d’X leurs archives personnelles. Quant à l’interopérabilité, elle est évoquée à l’état de possibilité dans le DSA et l’UE aurait tout intérêt à accélérer sur cette mesure prometteuse. Ce droit est défendu par Jean Cattan, le secrétaire général au Conseil National du Numérique et d’autres institutions qui se battent pour un monde numérique meilleur.

    Car les réseaux sociaux peuvent avoir du bon, l’actualité nous fait oublier cette évidence, et ce n’est pas la vidéo postée hier par Donald Trump représentant un gaza transformé par l’IA en riviera jonchée d’hôtels de luxe et de dollars qui arrange la perception.

    Ces réseaux peuvent avoir du bon, s’ils retrouvent un peu d’humanité, cette semaine Le Monde accordait un reportage réjouissant autour de l’initiative Front Porch Forum, un réseau social local situé dans le Vermont aux Etats-Unis. 240 000 utilisateurs, échangent avec courtoisie dans un espace non gouverné par la viralité des contenus, il n’est pas possible de liker les messages et on ne peut pas publier un commentaire instantanément, pour laisser le temps à la réflexion.

    Si l’interopérabilité était effective, des initiatives locales du même genre pourraient se multiplier en France et partout dans le monde. Voilà un cap de bonne espérance !

    #Cory_Doctorow #François_Saltiel

  • Les chroniques d’Adelaïde - Sur Cory Doctorow - Le rapt d’Internet
    https://www.alternantesfm.fr/wa_files/11%20cory%20doctorow%20copie.mp3

    Chronique diffusée par la radio Alternantes FM

    Cory Doctorow est un auteur de science-fiction et un activiste des libertés numériques. Né en 1971 à Toronto, il est très suivi outre-Atlantique et a reçu de nombreux prix, tant pour ses romans que pour ses essais. Publié en 2023, son dernier ouvrage est paru ce mois-ci en France, chez C&F Editions (avec une esperluette entre C et F), un éditeur basé à Caen dont le catalogue propose des ouvrages essentiels pour qui veut comprendre la société numérique (publicité gratuite …)
    « Le rapt d’internet » comporte un sous-titre plein de promesses : « Manuel de déconstruction des Big Tech, ou comment récupérer les moyens de production numérique ». L’auteur l’introduit par les précisions suivantes (je cite) :
    • Ceci est un livre pour les personnes qui veulent détruire les Big Tech.
    • Ce n’est pas un livre pour celles qui veulent dompter les Big Tech. IL est impossible de les réformer.
    • Ce n’est pas non plus un livre pour les personnes qui veulent se débarrasser des technologies à proprement parler. Elles ne posent pas problème en soi. Arrêtons de réfléchir à ce que font les technologies. Réfléchissons plutôt à qui et pour qui elles le font.
    • C’est un livre qui s’intéresse à ce que les Big Tech craignent le plus : une technologie qui serait dans les mains et au service des personnes qui l’utilisent.
    Vaste programme, j’en conviens. Irréalisable, c’est à voir… L’auteur nous invite à prendre notre courage à deux mains et énonce les voies et moyens d’un certain nombre de réformes pour sortir l’Internet et ses utilisateurs de ce qu’il nomme « l’emmerdification ». Son analyse s’inscrit évidemment dans le contexte juridique et politique nord-américain, mais les avancées récentes de la législation européenne dans ce domaine sont encore loin de nous « délivrer du mal ».
    Et son propos se veut très large, comme en témoignent les titres de chapitres suivants : Quid de la vie privée ? Quid du harcèlement ? Quid de la radicalisation algorithmique ? Quid de la pédopornographie et des contenus terroristes ? Quid des garanties ? Quid des pays pauvres ? Le tout assorti de nombreux exemples.
    Et aussi de propositions : La lutte contre les monopoles (qui suppriment la concurrence en rachetant les créateurs d’applications innovantes pour les arrimer à leurs plateformes) et pour la libération des usagers (qui redoutent de perdre leurs contacts et leurs archives s’ils migrent d’une plateforme à l’autre) passe selon Cory Doctorow par la notion-clef d’interopérabilité : pour le dire vite, ce qui permet à des outils identiques de communiquer entre eux, à l’exemple du téléphone.
    Changer les règles de fusion d’entreprises, ébrécher ou éliminer les monopoles, sanctionner radicalement les atteintes à la vie privée, les manipulations et les tromperies, voilà des pistes connues. L’objectif du Manuel est de chercher à limiter les coûts de sortie d’un système, soit toutes les données qu’on doit abandonner lorsque l’on quitte une plateforme.
    Légaliser et encourager l’interopérabilité qui permet aux technologies nouvelles de se connecter aux technologies existantes, voilà, pour l’auteur, l’arme fatale.
    Les innovateurs ne seront pas obligés de se vendre au plus gourmand. Quant aux utilisateurs, ils en retireront le bénéfice de quitter une plateforme X (au hasard !) pour une autre Y ou Z avec un coût de sortie égal à zéro.
    C’est ce qu’a proposé en France (et ailleurs dans le monde), le mois dernier, le mouvement HelloQuitteX : abandonner le réseau toxique d’Elon Musk pour des plateformes plus vertueuses – pour le moment. On attend avec impatience un premier bilan.
    Ce n’est pas encore la revendication de l’interopérabilité générale. Mais il n’est jamais interdit de rêver … à mieux …
    Vous trouverez d’autres propositions de lectures sur le site des chroniques d’Alternantes FM.

    Références
    Cory Doctorow, « Le rapt d’internet. Manuel de déconstruction des Big Tech, ou comment récupérer les moyens de production numérique », G&F Editions, Caen, 2025.
    Dominique Boullier, « Distribué et fédéral, le monde qui nous manque », A.O.C, 27 janvier 2025.
    Etienne Caillebotte, « De Diaspora à Mastodon : l’utopie du réseau social décentralisé », BDM, 28 août 2023.

    #Rapt_internet #Cory_Doctorow #Podcast

  • Le Rapt d’Internet, de Cory Doctorow (C & F Éditions)
    https://cfeditions.com/rapt-internet

    Manuel de déconstruction des Big Tech,
    ou comment récupérer les moyens de production numérique

    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Lemoine
     
    « Ceci est un livre pour les personnes qui veulent détruire les Big Tech.

    Ce n’est pas un livre pour les personnes qui veulent dompter les Big Tech. Il est impossible de les réformer.

    Ce n’est pas non plus un livre pour les personnes qui veulent se débarrasser des technologies à proprement parler. Les technologies ne posent pas de problème en soi. Arrêtons de réfléchir à ce que font les technologies. Réfléchissons plutôt à qui elles le font et pour qui elles le font.

    C’est un livre qui s’intéresse à ce que les Big Tech craignent le plus : une technologie qui serait dans les mains et au service des personnes qui l’utilisent. »

  • Pluralistic : Dirty words are politically potent (14 Oct 2024) – Pluralistic : Daily links from Cory Doctorow
    https://pluralistic.net/2024/10/14/pearl-clutching

    Sur la création et le succès du mot « enshittification » par Cory Doctorow

    Making up words is a perfectly cromulent pastime, and while most of the words we coin disappear as soon as they fall from our lips, every now and again, you find a word that fits so nice and kentucky in the public discourse that it acquires a life of its own:

    http://meaningofliff.free.fr/definition.php3?word=Kentucky

    I’ve been trying to increase the salience of digital human rights in the public imagination for a quarter of a century, starting with the campaign to get people to appreciate that the internet matters, and that tech policy isn’t just the delusion that the governance of spaces where sad nerds argue about Star Trek is somehow relevant to human thriving:

    https://www.newyorker.com/magazine/2010/10/04/small-change-malcolm-gladwell

    Now, eventually people figured out that a) the internet mattered and, b) it was going dreadfully wrong. So my job changed again, from “how the internet is governed matters” to “you can’t fix the internet with wishful thinking,” for example, when people said we could solve its problems by banning general purpose computers:

    https://memex.craphound.com/2012/01/10/lockdown-the-coming-war-on-general-purpose-computing

    Or by banning working cryptography:

    https://memex.craphound.com/2018/09/04/oh-for-fucks-sake-not-this-fucking-bullshit-again-cryptography-edit

    Or by redesigning web browsers to treat their owners as threats:

    https://www.eff.org/deeplinks/2017/09/open-letter-w3c-director-ceo-team-and-membership

    Or by using bots to filter every public utterance to ensure that they don’t infringe copyright:

    https://www.eff.org/deeplinks/2018/09/today-europe-lost-internet-now-we-fight-back

    Or by forcing platforms to surveil and police their users’ speech (aka “getting rid of Section 230”):

    https://www.techdirt.com/2020/06/23/hello-youve-been-referred-here-because-youre-wrong-about-section-230-commu

    Along the way, many of us have coined words in a bid to encapsulate the abstract, technical ideas at the core of these arguments. This isn’t a vanity project! Creating a common vocabulary is a necessary precondition for having the substantive, vital debates we’ll need to tackle the real, thorny issues raised by digital systems. So there’s “free software,” "open source," “filternet,” "chat control," “back doors,” and my own contributions, like “adversarial interoperability”:

    https://www.eff.org/deeplinks/2019/10/adversarial-interoperability

    Or “Competitive Compatibility” ("comcom"), a less-intimidatingly technical term for the same thing:

    https://www.eff.org/deeplinks/2020/12/competitive-compatibility-year-review

    These have all found their own niches, but nearly all of them are just that: niche. Some don’t even rise to “niche”: they’re shibboleths, insider terms that confuse and intimidate normies and distract from the real fights with semantic ones, like whether it’s “FOSS” or “FLOSS” or something else entirely:

    https://opensource.stackexchange.com/questions/262/what-is-the-difference-between-foss-and-floss

    But every now and again, you get a word that just kills. That brings me to “enshittification,” a word I coined in 2022:

    https://pluralistic.net/2022/11/28/enshittification/#relentless-payola

    “Enshittification” took root in my hindbrain, rolling around and around, agglomerating lots of different thoughts and critiques I’d been making for years, crystallizing them into a coherent thesis:

    https://pluralistic.net/2023/01/21/potemkin-ai/#hey-guys

    This kind of spontaneous crystallization is the dividend of doing lots of work in public, trying to take every half-formed thought and pin it down in public writing, something I’ve been doing for decades:

    https://pluralistic.net/2021/05/09/the-memex-method

    After those first couple articles, “enshittification” raced around the internet. There’s two reasons for this: first, “enshittification” is a naughty word that’s fun to say. Journalists love getting to put “shit” in their copy:

    https://www.nytimes.com/2024/01/15/crosswords/linguistics-word-of-the-year.html

    Radio journalists love to tweak the FCC with cheekily bleeped syllables in slightly dirty compound words:

    https://www.wnycstudios.org/podcasts/otm/projects/enshitification

    And nothing enlivens an academic’s day like getting to use a word like “enshittification” in a journal article (doubtless this also amuses the editors, peer reviewers, copyeditors, typesetters, etc):

    https://scholar.google.com/scholar?hl=en&as_sdt=0%2C5&q=enshittification&btnG=&

    That was where I started, too! The first time I used “enshittification” was in a throwaway bad-tempered rant about the decay of Tripadvisor into utter uselessness, which drew a small chorus of appreciative chuckles about the word:

    https://twitter.com/doctorow/status/1550457808222552065

    The word rattled around my mind for five months before attaching itself to my detailed theory of platform decay. But it was that detailed critique, coupled with a minor license to swear, that gave “enshittification” a life of its own. How do I know that the theory was as important as the swearing? Because the small wave of amusement that followed my first use of “enshittification” petered out in less than a day. It was only when I added the theory that the word took hold.

    Likewise: how do I know that the theory needed to be blended with swearing to break out of the esoteric realm of tech policy debates (which the public had roundly ignored for more than two decades)? Well, because I spent two decades writing about this stuff without making anything like the dents that appeared once I added an Anglo-Saxon monosyllable to that critique.

    Adding “enshittification” to the critique got me more column inches, a longer hearing, a more vibrant debate, than anything else I’d tried. First, Wired availed itself of the Creative Commons license on my second long-form article on the subject and reprinted it as a 4,200-word feature. I’ve been writing for Wired for more than thirty years and this is by far the longest thing I’ve published with them – a big, roomy, discursive piece that was run verbatim, with every one of my cherished darlings unmurdered.

    That gave the word – and the whole critique, with all its spiky corners – a global airing, leading to more pickup and discussion. Eventually, the American Dialect Society named it their “Word of the Year” (and their “Tech Word of the Year”):

    https://americandialect.org/2023-word-of-the-year-is-enshittification

    “Enshittification” turns out to be catnip for language nerds:

    https://becauselanguage.com/90-enpoopification/#transcript-60

    I’ve been dragged into (good natured) fights over the German, Spanish, French and Italian translations for the term. When I taped an NPR show before a live audience with ASL interpretation, I got to watch a Deaf fan politely inform the interpreter that she didn’t need to finger-spell “enshittification,” because it had already been given an ASL sign by the US Deaf community:

    https://maximumfun.org/episodes/go-fact-yourself/ep-158-aida-rodriguez-cory-doctorow

    I gave a speech about enshittification in Berlin and published the transcript:

    https://pluralistic.net/2024/01/30/go-nuts-meine-kerle/#ich-bin-ein-bratapfel

    Which prompted the rock-ribbed Financial Times to get in touch with me and publish the speech – again, nearly verbatim – as a whopping 6,400 word feature in their weekend magazine:

    https://www.ft.com/content/6fb1602d-a08b-4a8c-bac0-047b7d64aba5

    Though they could have had it for free (just as Wired had), they insisted on paying me (very well, as it happens!), as did De Zeit:

    https://www.zeit.de/digital/internet/2024-03/plattformen-facebook-google-internet-cory-doctorow

    This was the start of the rise of enshittification. The word is spreading farther than ever, in ways that I have nothing to do with, along with the critique I hung on it. In other words, the bit of string that tech policy wonks have been pushing on for a quarter of a century is actually starting to move, and it’s actually accelerating.

    Despite this (or more likely because of it), there’s a growing chorus of “concerned” people who say they like the critique but fret that it is being held back because you can’t use it “at church or when talking to K-12 students” (my favorite variant: “I couldn’t say this at a NATO conference”). I leave it up to you whether you use the word with your K-12 students, NATO generals, or fellow parishoners (though I assure you that all three groups are conversant with the dirty little word at the root of my coinage). If you don’t want to use “enshittification,” you can coin your own word – or just use one of the dozens of words that failed to gain public attention over the past 25 years (might I suggest “platform decay?”).

    What’s so funny about all this pearl-clutching is that it comes from people who universally profess to have the intestinal fortitude to hear the word “enshittification” without experiencing psychological trauma, but worry that other people might not be so strong-minded. They continue to say this even as the most conservative officials in the most staid of exalted forums use the word without a hint of embarrassment, much less apology:

    https://www.independent.ie/business/technology/chairman-of-irish-social-media-regulator-says-europe-should-not-be-seduced-by-mario-draghis-claims/a526530600.html

    I mean, I’m giving a speech on enshittification next month at a conference where I’m opening for the Secretary General of the United Nations:

    https://icanewdelhi2024.coop/welcome/pages/Programme

    After spending half my life trying to get stuff like this into the discourse, I’ve developed some hard-won, informed views on how ideas succeed:

    First: the minor obscenity is a feature, not a bug. The marriage of something long and serious to something short and funny is a happy one that makes both the word and the ideas better off than they’d be on their own. As Lenny Bruce wrote in his canonical work in the subject, the aptly named How to Talk Dirty and Influence People:

    I want to help you if you have a dirty-word problem. There are none, and I’ll spell it out logically to you.

    Here is a toilet. Specifically-that’s all we’re concerned with, specifics-if I can tell you a dirty toilet joke, we must have a dirty toilet. That’s what we’re all talking about, a toilet. If we take this toilet and boil it and it’s clean, I can never tell you specifically a dirty toilet joke about this toilet. I can tell you a dirty toilet joke in the Milner Hotel, or something like that, but this toilet is a clean toilet now. Obscenity is a human manifestation. This toilet has no central nervous system, no level of consciousness. It is not aware; it is a dumb toilet; it cannot be obscene; it’s impossible. If it could be obscene, it could be cranky, it could be a Communist toilet, a traitorous toilet. It can do none of these things. This is a dirty toilet here.

    Nobody can offend you by telling a dirty toilet story. They can offend you because it’s trite; you’ve heard it many, many times.

    https://www.dacapopress.com/titles/lenny-bruce/how-to-talk-dirty-and-influence-people/9780306825309

    Second: the fact that a neologism is sometimes decoupled from its theoretical underpinnings and is used colloquially is a feature, not a bug. Many people apply the term “enshittification” very loosely indeed, to mean “something that is bad,” without bothering to learn – or apply – the theoretical framework. This is good. This is what it means for a term to enter the lexicon: it takes on a life of its own. If 10,000,000 people use “enshittification” loosely and inspire 10% of their number to look up the longer, more theoretical work I’ve done on it, that is one million normies who have been sucked into a discourse that used to live exclusively in the world of the most wonkish and obscure practitioners. The only way to maintain a precise, theoretically grounded use of a term is to confine its usage to a small group of largely irrelevant insiders. Policing the use of “enshittification” is worse than a self-limiting move – it would be a self-inflicted wound. As I said in that Berlin speech:

    Enshittification names the problem and proposes a solution. It’s not just a way to say ’things are getting worse’ (though of course, it’s fine with me if you want to use it that way. It’s an English word. We don’t have der Rat für englische Rechtschreibung. English is a free for all. Go nuts, meine Kerle).

    Finally: “coinage” is both more – and less – than thinking of the word. After the American Dialect Society gave honors to “enshittification,” a few people slid into my mentions with citations to “enshittification” that preceded my usage. I find this completely unsurprising, because English is such a slippery and playful tongue, because English speakers love to swear, and because infixing is such a fun way to swear (e.g. “unfuckingbelievable”). But of course, I hadn’t encountered any of those other usages before I came up with the word independently, nor had any of those other usages spread appreciably beyond the speaker (it appears that each of the handful of predecessors to my usage represents an act of independent coinage).

    If “coinage” was just a matter of thinking up the word, you could write a small python script that infixed the word “shit” into every syllable of every word in the OED, publish the resulting text file, and declare priority over all subsequent inventive swearers.

    On the one hand, coinage takes place when the coiner a) independently invents a word; and b) creates the context for that word that causes it to escape from the coiner’s immediate milieu and into the wider world.

    But on the other hand – and far more importantly – the fact that a successful coinage requires popular uptake by people unknown to the coiner means that the coiner only ever plays a small role in the coinage. Yes, there would be no popularization without the coinage – but there would also be no coinage without the popularization. Words belong to groups of speakers, not individuals. Language is a cultural phenomenon, not an individual one.

    Which is rather the point, isn’t it? After a quarter of a century of being part of a community that fought tirelessly to get a serious and widespread consideration of tech policy underway, we’re closer than ever, thanks, in part, to “enshittification.” If someone else independently used that word before me, if some people use the word loosely, if the word makes some people uncomfortable, that’s fine, provided that the word is doing what I want it to do, what I’ve devoted my life to doing.

    The point of coining words isn’t the pilkunnussija’s obsession with precise usage, nor the petty glory of being known as a coiner, nor ensuring that NATO generals’ virgin ears are protected from the word “shit” – a word that, incidentally, is also the root of “science”:

    https://www.arrantpedantry.com/2019/01/24/science-and-shit

    Isn’t language fun?

    #Cory_Doctorow #Enshittification #Emmendification

  • « L’intelligence artificielle est une bulle : il y a un décalage entre les coûts, très importants, et les revenus potentiels »
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/08/31/l-intelligence-artificielle-est-une-bulle-il-y-a-un-decalage-entre-les-couts

    « Les entretiens de l’IA ». L’essayiste, activiste et auteur Cory Doctorow observe que « beaucoup d’investissements affluent chez les fabricants de modèles d’IA qui, souvent, perdent de l’argent ».
    Propos recueillis par Alexandre Piquard
    Publié le 31 août 2024 à 04h30, modifié le 31 août 2024 à 13h58
    Temps de Lecture 7 min.

    L’essayiste Cory Doctorow à New York, le 22 septembre 2022. CRAIG BARRITT / GETTY IMAGES VIA AFP
    Né au Canada et résidant à Los Angeles, en Californie, Cory Doctorow est un essayiste, activiste, enseignant et auteur (The Internet Con. How to Seize the Means of Computation, Verso, 2023 ; The Bezzle, Tor Books, 240 pages, non traduits). Il chronique le développement du numérique depuis les débuts d’Internet, sur son site Pluralistic et dans différents médias, comme, en février, dans le Financial Times pour critiquer l’évolution des grandes plates-formes et des réseaux sociaux. En décembre 2023, il a évoqué dans une chronique l’intelligence artificielle (IA) comme une « bulle », une thématique qui, ces derniers mois, suscite un débat croissant dans le secteur. M. Doctorow doute de l’équilibre économique entre les coûts des grands modèles d’IA, comme ceux sur lesquels s’appuient les robots conversationnels ChatGPT, et les revenus des différents cas d’usage.
    « Les entretiens de l’IA » du « Monde »
    « Le Monde » lance « Les entretiens de l’IA », une série d’entretiens pour éclairer le débat autour de l’intelligence artificielle, de ses perspectives et des questions qu’elle soulève. Nous publierons régulièrement dans cette rubrique nos échanges avec des personnalités aux profils variés : dirigeants des entreprises du secteur, experts des domaines les plus concernés par cette technologie, observateurs, essayistes, chercheurs.
    Retrouvez tous les entretiens de la série ici.
    Pourquoi pensez-vous que l’IA est une « bulle » ?
    L’intelligence artificielle est une bulle, car elle en porte tous les signes distinctifs. On voit des entrepreneurs qui ajoutent le mot « IA » à leurs produits pour faire monter leur cours de Bourse, sans pour autant savoir vraiment ce que cette technologie va leur apporter. Cela rappelle l’époque où la blockchain [technologie qui permet d’authentifier des actions, comme des transactions en cryptomonnaies] était en vogue.
    On voit aussi beaucoup d’investissements affluer chez les fabricants de modèles d’IA, qui, souvent, perdent de l’argent. La promesse est que ces entreprises convaincront des clients désireux de payer suffisamment pour amortir le prix de revient de ces logiciels, mais elles ont du mal à expliquer comment elles vont faire. Enfin, il y a cette impression que tout le monde semble vouloir parler d’IA, à propos de n’importe quel sujet, parfois sans rapport apparent, comme le changement climatique…
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    Pourquoi doutez-vous du modèle économique des grands modèles d’IA ?
    Il y a un décalage entre les coûts, très importants, et les revenus potentiels. Beaucoup des applications de l’IA offrant les plus grandes perspectives de revenus sont sensibles à ce que le secteur appelle les « hallucinations », c’est-à-dire les erreurs [comme une réponse factuellement fausse dans un texte]. Or, personne dans l’IA n’a de théorie convaincante sur la façon dont on pourra éliminer ces erreurs.
    Quand on parle de ces cas d’usages sensibles (la santé, la conduite autonome de véhicules…), les entreprises de l’IA proposent généralement comme solution d’ajouter un humain dans la boucle, pour vérifier la décision ou le contenu produit par le logiciel. Mais l’intérêt pratique et financier de ces IA est, selon leurs créateurs, qu’elles sont censées agir beaucoup plus rapidement que les humains. Et si on a besoin de gens pour revoir chacune de leurs actions, cela limite la rentabilité et les éventuels gains en productivité.
    Si l’on compare à d’autres technologies ayant suscité un engouement excessif, comme le métavers ou les cryptomonnaies, l’IA ne génère-t-elle pas beaucoup plus d’usages ?
    Si, il y a de nombreux cas d’usages intéressants. Le site d’archivage du Web Internet Archive a acquis des bases de données d’anciens journaux sur microfiches et utilise l’IA pour identifier et scanner les pages de sommaires, afin de les classifier. L’application pour aveugles Be My Eyes vous décrit les objets vers lesquels vous pointez votre téléphone.
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    Ma femme utilise une IA génératrice d’images pour créer des décors pour ses parties en ligne du jeu de rôle Donjons & Dragons. C’est super, mais ce genre de projets ne suffira pas à payer les coûteux calculs informatiques nécessaires à l’entraînement et au fonctionnement de ces grands modèles. Idem pour les élèves qui utilisent un chatbot pour tricher… Ce sont au mieux des marchés marginaux à la périphérie d’un cœur d’activité qui devrait être constitué de clients d’entreprises, comme pour les logiciels de bureautique de type Excel.
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    Quand on analyse les applications des IA, il faut se demander si elles représentent des économies potentielles importantes pour un client, notamment en main-d’œuvre, et si elles tolèrent un certain taux d’erreur… Et l’intersection de ces deux catégories donne un réservoir de cas relativement restreint.
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    L’IA ne peut-elle pas améliorer la productivité ?
    Si, mais la question est de savoir si elle peut apporter des gains de productivité importants pour des clients qui seront prêts à payer beaucoup pour cela. Le fondateur d’OpenAI, Sam Altman, envisage de lancer un projet de fabrication de microprocesseurs nécessitant plusieurs milliers de milliards de dollars d’investissement [selon le Wall Street Journal]. Sans aller jusque-là, des milliards sont dépensés dans la création de ces modèles et des centaines de milliards de dollars investis dans les centres de données, notamment pour le calcul lié à l’IA. Montrez-moi les centaines de milliards de revenus par an que les clients sont prêts à payer. A ce stade, ils ne se matérialisent pas.
    En Europe et en France, start-up et gouvernements jugent nécessaire d’investir dans l’IA pour ne pas se faire dépasser par les Etats-Unis ou la Chine, ont-ils tort ?
    Il n’y a rien de mal à investir pour ne pas se faire dépasser dans des domaines importants : la santé publique, l’éducation aux sciences informatiques, l’énergie solaire ou l’électricité. Mais ce n’est pas grave d’être dépassé dans les arnaques en ligne ou les virus informatiques… Et aujourd’hui, je pense que les « AI bros » [les apôtres de l’intelligence artificielle] sont un mélange de gens qui mentent et de gens qui se trompent sur le potentiel de leur technologie.
    Les géants comme Google ou Microsoft n’ont-ils pas des moyens d’amortir leurs investissements en la matière ? Ils vendent aux entreprises des modèles d’IA, mais aussi du calcul informatique, ils déploient des IA sur leurs propres services…
    Ils ont davantage de moyens de faire de l’argent avec l’IA. Un dicton américain célèbre dit que la meilleure façon de devenir riche pendant la ruée vers l’or était de vendre les pioches et les pelles. C’est une idée assez cynique, car vous savez que la plupart des chercheurs d’or vont finir en squelettes au bord de la route… Bien sûr, si vous touchez en plus une part de l’or récolté par les mineurs, c’est encore mieux.
    Mais, dans l’IA, les géants du numérique s’impliquent aussi directement dans la recherche d’or : ils bourrent leurs plates-formes (moteurs de recherche, réseaux sociaux, smartphones…) d’assistants et de fonctionnalités d’IA pourtant pas très utiles ou pas encore assez matures pour être déployées. Cela risque de rendre leurs produits moins attrayants et de leur fait courir un risque réputationnel… C’est une chose d’être un cynique, mais un proverbe dit que le pire, pour un dealeur, est de consommer sa propre drogue…
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    Les assistants d’IA n’améliorent-ils pas les grandes plates-formes ?
    Je trouve plutôt qu’ils participent à rendre les smartphones, les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux pires. Déployer ainsi largement de l’IA peut être un moyen de faire monter le cours de Bourse d’une entreprise, ce qui est bon pour ses actionnaires et ses dirigeants, qui en font partie.
    Toutefois, ces derniers temps, nous entrons dans une situation plus compliquée, où les investisseurs en Bourse demandent au secteur des retours sur les énormes investissements faits dans l’IA. C’est ce qui s’était passé avec le métavers. La différence, c’est que les entreprises concernées avaient arrêté d’investir dans ces mondes virtuels, alors qu’avec l’IA elles semblent coincées dans leur engagement à développer cette technologie.
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    Aux débuts du Web, il y a aussi eu la « bulle Internet », mais ce krach n’a pas empêché cette technologie de se développer sur le long terme…
    En effet, on peut distinguer des bulles productives et des bulles non productives – même si toutes sont mauvaises, car elles transfèrent de l’argent des petits épargnants à des gens très riches. La bulle Internet a été productive. Elle a laissé derrière elle beaucoup de réseaux fibrés de connexion à Internet, beaucoup de gens formés à l’informatique et au code…
    A l’inverse, la bulle des cryptomonnaies de ces dernières années a certes formé des gens à la cryptographie et à la cybersécurité, mais elle a surtout laissé du très mauvais art numérique (les NFT) [non-fungible tokens, « jetons non fongibles » en français] et incarné un mauvais exemple de la doctrine économique néolibérale. Une bonne part de l’argent est partie en fumée.
    Et l’IA ?
    La question est en effet : sera-t-elle une bulle productive ? Cette technologie crée davantage de spécialistes des statistiques et des maths, ce qui est une bonne chose. Elle a permis de trouver des méthodes pour utiliser les processeurs graphiques (ou « GPU ») de façon beaucoup plus efficace. D’ailleurs, peut-être y aura-t-il un jour un surplus de GPU, comme après la bulle Internet, quand on pouvait racheter aux enchères des serveurs de sociétés pour 10 dollars pièce. Ce seront des résidus productifs, réutilisables.
    Il restera aussi des modèles d’IA plus petits, comme Llama (de Meta) ou ceux de la plate-forme Hugging Face, qui peuvent fonctionner sur des ordinateurs classiques et sont accessibles librement en open source. Ils suscitent une créativité intéressante, même s’ils risquent aussi d’atteindre un plafond, car ils sont pour la plupart dérivés des grands modèles créés par les fabricants d’IA.
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    Il y a aussi une question ouverte sur le rôle que pourrait jouer pour l’IA l’apprentissage fédéré, qui consiste à partager la puissance de calcul entre des milliers d’ordinateurs personnels, comme dans le projet SETI@home d’analyse des données du télescope Hubble. Mais ce n’est qu’une piste de recherche, et cela n’améliorerait pas forcément les retours sur investissement économiques.
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    Certains dirigeants du secteur espèrent créer des assistants ou agents qui, grâce à l’IA, pourraient réaliser des tâches complexes, en se connectant au Web, en envoyant un e-mail, en passant un appel, en commandant en ligne… Vous n’y croyez pas ?
    Ce n’est pas parce que quelque chose serait génial que cela va forcément se produire. La foi en ce type de développements est fondée sur des éléments non prouvés, comme l’idée que si l’on fait encore grossir les modèles d’IA, ils vont toujours continuer à s’améliorer. Dans sa forme la plus ridicule, il y a l’idée que l’on pourrait atteindre ainsi une intelligence artificielle générale [supérieure aux humains dans la plupart des tâches], comme si en faisant des croisements de chevaux pour les rendre toujours plus rapides, ils allaient finir par se transformer en une locomotive…
    On n’a pas de définition claire de l’IA générale, donc, en parler, c’est comme vouloir créer une fée ou un fantôme. Beaucoup des conversations autour de ces sujets proviennent de la communauté soucieuse de la sûreté de l’IA [les chercheurs et les dirigeants inquiets des risques « existentiels » ou « catastrophiques » que l’IA pourrait poser à l’humanité], qui se pose des questions proches de « Que se passerait-il si on créait un Dieu et qu’il nous punissait ? » Si vous cherchez à lever des dizaines de milliards de dollars, faire partie d’un secteur dont la légende dit qu’il va peut-être créer une forme de Dieu, même si ce dernier est dangereux, c’est un bien meilleur pitch pour convaincre les investisseurs que si vous dites construire de simples chatbots, des robots conversationnels…
    A l’inverse, les questions sur des risques plus immédiats, soulevées par les chercheurs en éthique de l’IA – selon lesquels cette technologie n’est pas prête à être déployée largement pour servir d’assistant personnel sur des tâches importantes, pour conduire une voiture, pour décider qui embaucher, pour octroyer des aides sociales, pour accorder des libérations conditionnelles… –, réduisent l’intérêt des investisseurs.
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    Alexandre Piquard

    #Cory_Doctorow #Intelligence_artificielle

  • Laissez à Cory Doctorow le soin d’imaginer une utopie post-apocalyptique - Los Angeles Times
    https://www.latimes.com/books/jacketcopy/la-ca-jc-cory-doctorow-20170525-htmlstory.html

    Par Scott Timberg
    1er juin 2017 9 h 00 (heure du Pacifique)

    À quoi ressemblera la situation après l’effondrement de notre système ? Lorsque le climat deviendra incontrôlable, que la classe moyenne sera réduite à un minuscule point, que les très riches accapareront toutes les richesses et les ressources, que les emplois traditionnels disparaîtront, que les usines resteront vides et que des centaines de milliers de personnes se retireront complètement de la société ? Pour Cory Doctorow, la situation n’est pas si éloignée de celle que nous connaissons aujourd’hui, et elle n’est pas si mauvaise après tout.

    « J’ai bien compris ce qui se passe réellement lors de catastrophes », déclare Doctorow à propos de son dernier livre, le roman Walkaway (Tor, 26,99 $) . Assis dans son jardin de Burbank, qui comprend une yourte chromée, un panier de basket et une planche de surf transformée en table basse, il poursuit : « C’est l’un des premiers romans sur les catastrophes qui dit : ’Les catastrophes sont les endroits où nous mettons nos différences de côté pour nous aider les uns les autres, mais où nous trouvons toujours des points sur lesquels nous ne sommes pas d’accord.’ Comment sortir des décombres ? » L’auteur Neal Stephenson et le dissident Edward Snowden ont fait l’éloge du roman.

    Doctorow, 45 ans, connaît bien la lignée de romans — de science-fiction ou non — qui considèrent les catastrophes géologiques, économiques ou politiques comme des événements qui révèlent notre véritable nature de voleurs égoïstes, d’accumulateurs furtifs, de concurrents à somme nulle, d’antagonistes tribaux, voire de cannibales affamés : « 1984 » de George Orwell, les catastrophes climatiques de JG Ballard et les chroniques post-apocalyptiques de John Wyndham, « La Route » de Cormac McCarthy. Il admire tous ces livres.

    Mais dans le monde de Walkaway de Doctorow, qui doit son nom à un trio de jeunes protagonistes qui rejoignent une sous-culture naissante de marginaux, les gens coopèrent. Ils forment des communautés de marginaux dans lesquelles les novices (le livre regorge d’argot du milieu du XXIe siècle) sont invités à participer à la création d’un monde nouveau. Ils oublient la propriété privée et ont beaucoup de relations sexuelles. Ils utilisent la technologie numérique pour tirer le meilleur parti de ce dont ils ont besoin et ignorent ce dont ils ne peuvent pas.

    Doctorow appelle son monde post-apocalyptique une utopie.

    Cory Doctorow chez lui. Son nouveau roman pour adultes s’intitule « Walkaway ». (Gary Coronado / Los Angeles Times) (Gary Coronado/Los Angeles Times)
    Doctorow, originaire de Toronto, qui, après de nombreux déménagements aux États-Unis et au Royaume-Uni, a conservé le « oo » doux du nord de la frontière, est revenu en Californie du Sud en 2015 ; il dit que c’est « ma troisième fois à Los Angeles et ma cinquième fois en Californie ». Cette arrivée comprenait une épouse d’origine britannique qui travaille aux studios Disney et une fille de 9 ans dont le deuxième prénom vient du mathématicien italien médiéval Fibonacci. Il aime le fait que Burbank ait toujours l’air d’une ville de classe moyenne et qu’elle possède trois magasins d’Halloween ouverts toute l’année.

    Outre ses romans, qui sont en quelque sorte des œuvres cyberpunk de la deuxième vague, Doctorow est connu comme une sorte d’expert anarchiste. Co-éditeur de longue date de BoingBoing , il est apprécié par les journalistes du magazine Wired et de l’Electronic Frontier Foundation, pour laquelle il a travaillé, pour ses arguments sur les merveilles de la technologie, l’emprise du droit d’auteur, les vertus de la culture maker/hacker/burner (une version modernisée de l’ancien DIY du punk rock) et les contradictions de la société contemporaine.

    « Nous avons vraiment l’impression d’être dans une situation difficile », dit-il sans détour, en évoquant la lutte pour l’immobilier dans les grandes villes, la domination écrasante de la finance, la duplication des chaînes de magasins, la bureaucratie impersonnelle de la vie des entreprises et la lutte pour une éducation universitaire abordable. « Il semble que le test décisif pour un système économique devrait être de savoir s’il fournit de la nourriture, un abri et un travail valorisant aux personnes qui y vivent. »

    Et même s’il est difficile de le situer sur un axe gauche-droite (il est sceptique à l’égard du marché, mais pas non plus fan de l’État), il se situe clairement du côté des pro-technologies dans le débat. « La technologie est la réponse à des problèmes comme notre égoïsme inhérent », dit-il. « Essayer de convaincre les gens qu’ils devraient vouloir moins de choses est un projet qui dure depuis plusieurs milliers d’années et qui n’a pas très bien fonctionné. »

    La croissance technologique et les réseaux – volontaires, propres, rapides et efficaces – peuvent faire des choses que les gouvernements et les marchés capitalistes ne peuvent pas faire, dit-il. La créativité prospère de cette façon, dit-il, grâce aux logiciels libres plutôt qu’aux verrous numériques. L’effondrement décrit dans son roman n’est pas facilité par l’action de l’État ou du marché, mais par un réseau de distribution alimenté par l’économie du don, un modèle que les anthropologues pensent remonter à la préhistoire.

    Les conversations avec Doctorow fonctionnent souvent ainsi, passant d’un sujet à l’autre, alors qu’il trace un chemin imprévisible entre des points de vue familiers et des citations. Brian Eno , l’anarchiste David Graeber et l’écrivain de San Francisco Rebecca Solnit (dont le travail a inspiré le nouveau roman) sont en passe de trouver des métaphores étranges mais étrangement appropriées.

    Notre incapacité à vraiment affronter le capitalisme, dit Doctorow — notre pensée selon laquelle le véritable problème est la politique immobilière ou l’automatisation ou un autre facteur — est un peu comme le fumeur invétéré diagnostiqué avec cancer du poumon Il dit à son médecin : « Et si au lieu d’arrêter de fumer je devenais vétérinaire ? »

    Les personnages de « Walkway », malgré toutes leurs différences avec Doctorow, sont tout aussi fascinés par les systèmes et les idées : au début du roman, alors qu’ils discutent de la prise de contrôle d’une taverne dans laquelle les fugitifs se sont enfuis, une femme dit à une autre qu’ils sont engagés dans « le dialogue socratique le plus inutile du monde ».

    Mais il ne s’agit pas que de paroles. L’auteur considère son livre comme un roman de gare, animé par l’action. Dans le National Post canadien, le spécialiste de Tolkien Tom Shippey qualifie le livre de « roman d’idées fusionné avec un thriller de science-fiction, dans lequel les personnages parlent souvent en paragraphes avant d’être interrompus par des attaques de drones et des scènes de combat ».

    Doctorow s’intéresse aux arguments et aux idées avec honnêteté, et les horreurs de l’histoire lui sont apparues très tôt : son père est né dans un camp de réfugiés azerbaïdjanais, et l’auteur est issu de deux familles juives d’Europe de l’Est. Ses parents étaient des syndicalistes marxistes et il a parfois travaillé avec sa mère pour soutenir le militantisme en faveur du droit à l’avortement. Mais malgré la position de centre-gauche de sa famille et de son Canada natal, ses grands-parents étaient ce qu’il appelle des réactionnaires politiques : des discussions complexes et théoriques faisaient partie de la plupart des fêtes et des dîners.

    Le romancier William Gibson, un fan et ami de longue date, considère ce mélange d’abstrait et de concret comme l’arme secrète de Doctorow. « Le naturalisme littéraire est l’ingrédient secret méconnu de beaucoup de mes œuvres de science-fiction préférées », explique l’auteur de « Neuromancer » par e-mail. « Les personnages sont des êtres sexuels, des êtres socio-économiques, des produits de cultures entièrement imaginées, etc. Le naturalisme, que je suppose que plus de gens appelleraient aujourd’hui réalisme, était très peu présent dans une grande partie de la science-fiction de genre du XXe siècle. Si les personnages ont des vies suffisamment convaincantes, cela équilibre organiquement le bavardage et la théorie, et la fiction de Cory démontre amplement qu’il le sait. »

    Parfois, la vision du monde de Doctorow et le monde d’après-demain qu’il a créé dans « Walkaway » semblent un peu idylliques, trop confiants dans la nature humaine et l’innovation numérique. Mais il n’est pas plus un hippie aux yeux écarquillés qu’un Ayn Rand -libertaire d’inspiration, sa vision de l’humanité est complexe. « Pour moi, il ne s’agit pas de savoir si les gens sont bons ou mauvais », dit-il, mais de savoir comment construire une société qui multiplie les gens intelligents et honnêtes et décourage les trolls. « Il s’agit de savoir comment les gens bons peuvent se mettre en avant. »

    Timberg est un écrivain spécialisé dans les arts et la culture basé à Los Angeles. Il est l’auteur de « Culture Crash : The Killing of the Creative Class » et tweete sur @TheMisreadCity .

    #Cory_Doctorow

  • Cory Doctorow : « L’intelligence artificielle est une bulle : il y a un décalage entre les coûts, très importants, et les revenus potentiels »
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/08/31/l-intelligence-artificielle-est-une-bulle-il-y-a-un-decalage-entre-les-couts

    « Les entretiens de l’IA ». L’essayiste, activiste et auteur Cory Doctorow observe que « beaucoup d’investissements affluent chez les fabricants de modèles d’IA qui, souvent, perdent de l’argent ».

    Propos recueillis par Alexandre Piquard

    Je profite de cet excellent interview pour annoncer que la traduction en français de "The Internet con" paraîtra en novembre chez C&F éditions.

    #Cory_Doctorow #Intelligence_artificielle #Economie

  • Pluralistic: FCC strikes a blow against prison profiteering (19 Jul 2024) – Pluralistic: Daily links from Cory Doctorow
    https://pluralistic.net/2024/07/19/martha-wright-reed/#capitalists-hate-capitalism

    Par Cory Doctorow

    Here’s a tip for policymakers hoping to improve the lives of the most Americans with the least effort: help prisoners.

    After all, America is the most prolific imprisoner of its own people of any country in world history. We lock up more people than Stalin, than Mao, more than Botha, de Klerk or any other Apartheid-era South African president. And it’s not just America’s vast army of the incarcerated who are afflicted by our passion for imprisonment: their families and friends suffer, too.

    That familial suffering isn’t merely the constant pain of life without a loved one, either. America’s prison profiteers treat prisoners’ families as ATMs who can be made to pay and pay and pay.

    This may seem like a losing strategy. After all, prison sentences are strongly correlated with poverty, and even if your family wasn’t desperate before the state kidnapped one of its number and locked them behind bars, that loved one’s legal defense and the loss of their income is a reliable predictor of downward social mobility.

    Decent people don’t view poor people as a source of riches. But for a certain kind of depraved sadist, the poor are an irresistible target. Sure, poor people don’t have much money, but what they lack even more is protection under the law ("conservativism consists of the principle that there is an in-group whom the law protects but does not bind, and an out-group whom the law binds but does not protect" -Wilhoit). You can enjoy total impunity as you torment poor people, make them so miserable and afraid for their lives and safety that they will find some money, somewhere, and give it to you.

    If you’re following closely, this is one of those places where the hair on the back of your neck starts to rise. These companies make money when prisoners buy food from the commissary, and they’re also in charge of the quality of the food in the mess hall. If the food in the mess hall is adequate and nutritious, there’s no reason to buy food from the commissary.

    This is what economists call a “moral hazard.” You can think of it as the reason that prison ramen costs 300% more than ramen in the free world:

    With the new law in place, it fell to the FCC use those newfound powers. Compared to agencies like the FTC and the NLRB, Biden’s FCC has been relatively weak, thanks in large part to the Biden administration’s refusal to defend its FCC nomination for Gigi Sohn, a brilliant and accomplished telecoms expert. You can tell that Sohn would have been a brilliant FCC commissioner because of the way that America’s telco monopolists and their allies in the senate (mostly Republicans, but some Democrats, too) went on an all-out offensive against her, using the fact that she is gay to smear her and ultimately defeat her nomination:

    https://pluralistic.net/2023/03/19/culture-war-bullshit-stole-your-broadband

    But even without Sohn, the FCC has managed to do something genuinely great for America’s army of the imprisoned. This week, the FCC voted in price-caps on prison calls, so that call rates will drop from $11.35 for 15 minutes to just $0.90. Both interstate and intrastate calls will be capped at $0.06-0.12/minute, with a phased rollout starting in January:

    https://arstechnica.com/tech-policy/2024/07/fcc-closes-final-loopholes-that-keep-prison-phone-prices-exorbitantly-h

    It’s hard to imagine a policy that will get more bang for a regulator’s buck than this one. Not only does this represent a huge savings for prisoners and their families, those savings are even larger in proportion to their desperate, meager finances.

    It shows you how important a competent, qualified regulator is.

    #Cory_Doctorow #FCC #Prisons #Monopole

  • 2023 Word of the Year Is “Enshittification” - American Dialect Society
    https://americandialect.org/2023-word-of-the-year-is-enshittification

    2023 Word of the Year Is “Enshittification”
    January 5, 2024

    Sheraton New York Times Square Hotel, New York, NY–Jan. 5—The American Dialect Society, in its 34th annual words-of-the-year vote, selected “enshittification” as the Word of the Year for 2023. More than three hundred attendees took part in the deliberations and voting, in an event hosted in conjunction with the Linguistic Society of America’s annual meeting.

    The term enshittification became popular in 2023 after it was used in a blog post by author Cory Doctorow, who used it to describe how digital platforms can become worse and worse. “Here is how platforms die: first, they are good to their users; then they abuse their users to make things better for their business customers; finally, they abuse those business customers to claw back all the value for themselves. Then, they die. I call this enshittification,” Doctorow wrote on his Pluralistic blog.

    Presiding at the Jan. 6 voting session were Ben Zimmer, chair of the ADS New Words Committee and language columnist for the Wall Street Journal, and Dr. Kelly Elizabeth Wright of Virginia Tech, data czar of the New Words Committee. “Enshittification is a sadly apt term for how our online lives have become gradually degraded,” Zimmer said. “From the time that it first appeared in Doctorow’s posts and articles, the word had all the markings of a successful neologism, being instantly memorable and adaptable to a variety of contexts.”

    Word of the Year is interpreted in its broader sense as “vocabulary item”—not just words but also phrases, compounds, and affixes. The items do not have to be brand-new, but they have to be newly prominent or notable in the past year.

    The vote is the longest-running such vote anywhere, the only one not tied to commercial interests, and the word-of-the-year event up to which all others lead. It is fully informed by the members’ expertise in the study of words, but it is far from a solemn occasion.

    Members in the 134-year-old organization include linguists, lexicographers, etymologists, grammarians, historians, researchers, writers, editors, students, and independent scholars. In conducting the vote, they act in fun and do not pretend to be officially inducting words into the English language. Instead, they are highlighting that language change is normal, ongoing, and entertaining.

    In a companion vote, sibling organization the American Name Society selected “Gaza” and “Barbie” as Names of the Year for 2023 in its 20th annual name-of-the-year contest. The two names were declared co-winners after tying in a runoff. Further information can be found on the society’s website.

    #Cory_Doctorow #Enshitification

  • Doctorow’s Law: Who Benefits from DRM? | Electronic Frontier Foundation
    https://www.eff.org/deeplinks/2009/04/doctorows-law

    Doctorow’s Law: Who Benefits from DRM?
    By Hugh D’Andrade
    April 20, 2009

    In a reprise of his famous argument against DRM delivered to Microsoft executives in 2004, Cory Doctorow recently appeared before book publishers at the O’Reilly Tools of Change for Publishing Conference to explain to leaders of the publishing industry why DRM on digital books is bad for customers, bad for authors, and bad for business.

    Cory reminded his audience of something they have probably already heard from their own customers: no one likes DRM.

    No one woke up this morning and thought, “gee, I wish there was a way I could do less with my music, maybe someone’s offering that product today.”

    And customers especially don’t like it when they wake up one day and find that their legally purchased products will no longer read — as Fictionwise customers discovered when DRM provider Overdrive ended its licensing deal with Fictionwise:

    The lesson was pretty clear to people who went out and bought books: if you buy books, prepare to have them taken from you without compensation... But if you steal your eBooks you can keep them forever! This is not a message you want to be sending to your customers.

    But the message the publishers really needed to hear was one Cory delivered loud and clear: DRM is not about stopping piracy, it’s about locking customers and businesses into a proprietary platform.

    Imagine if, in addition to having control over what inventory they carry, [the big box stores] also carried your books in such a way that they could only be shelved on WalMart shelves, they could only be read in WalMart lamps, running WalMart light bulbs. Imagine the lock-in to your customers and the lack of control over your destiny that you have signed up with if this is the path you pursue. Well this is in fact what you get when you sell DRM’d eBooks or DRM’d music — in order to play back that DRM format, in order carry, manipulate or convert that DRM format, you have to license the DRM. The company that controls licensing for the DRM controls your business to the extent that your business is reliant on this.

    The music industry has already gone down this (walled) garden path, and discovered too late that DRM did nothing to stop or even slow piracy — but it did manage to alienate customers and give Apple an enormous amount of leverage over their businesses. It’s not too late for the publishing industry to avoid this deadly mistake, so long as they remember what has been dubbed Doctorow’s Law:

    Anytime someone puts a lock on something you own, against your wishes, and doesn’t give you the key, they’re not doing it for your benefit.

    `#Cory_Doctorow #DRM #Loi_de_Doctorow

  • Cory Doctorow : « Facebook, Instagram, X… plus personne n’aime ces plateformes ! » – Libération
    https://www.liberation.fr/idees-et-debats/cory-doctorow-facebook-instagram-x-plus-personne-naime-ces-plateformes-20
    https://www.liberation.fr/resizer/5txWE0Jd5BVIlcGaeobbaCIFoaE=/1200x630/filters:format(jpg):quality(70):focal(1686x1307:1696x1317)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/JHYQQXJJVRHFBNIYEVA5RRUPJI.jpg

    Les Gafam dominent l’univers numérique parce qu’ils ont pu se constituer en monopoles qui retiennent les utilisateurs captifs, souligne le journaliste canadien. Pour les briser, il faut donner aux gens les moyens de quitter ces plateformes sans renoncer aux services qu’elles fournissent.

    « Si on continue d’utiliser [les entreprises de la tech], c’est parce qu’elles ont tout fait pour nous empêcher de les quitter. » (Fräneck/Libération)
    par Nicolas Celnik
    publié le 22 septembre 2023 à 12h52

    Nos vies sont gouvernées par une poignée de brillants entrepreneurs à la tête de géants du numérique. En tout cas, c’est ce que ces derniers aimeraient nous faire croire. En refermant The Internet Con (Verso, 2023), du journaliste spécialisé dans la tech et écrivain de science-fiction Cory Doctorow, on se demande plutôt : « Et si tous les petits génies de la Silicon Valley n’étaient, en fait, qu’un ramassis de perdants pas franchement originaux ? ». Depuis que Google – actuellement en procès pour sa suprématie sur la recherche en ligne – a lancé son moteur de recherche il y a trente ans, ses créateurs n’ont fait qu’enchaîner les échecs – et ont acheté tous les services qui font aujourd’hui leur fortune.

    Si l’entreprise est un géant, c’est surtout parce qu’elle a triché, enfreint les lois, et bénéficié d’une réglementation favorable à la constitution de monopoles, qui lui a permis de multiplier les fusions-acquisitions pour éliminer ses concurrents. Cette hégémonie permet aux Gafam de fournir un service de moins en moins bonne qualité – Doctorow parle de « merdification » (« shitification »), et on comprend sans mal ce qu’il vise. Pour briser ces monopoles, Doctorow propose de rendre obligatoire l’interopérabilité entre plateformes, qui permettrait d’utiliser leurs services sans subir leurs conditions, et donc de les déserter.

    Vous critiquez dans votre livre la « merdification » de Facebook. X (anciennement Twitter) est-il en train de suivre la même pente, depuis son rachat par Elon Musk ?

    La plupart des choses que je n’aimais pas à propos de Facebook sont en train d’être reproduites sur Twitter. Quand je parle de « merdification », je cible le fait que les plateformes maltraitent leurs utilisateurs. C’est ce qu’il se passe quand une plateforme tient ses deux groupes d’utilisateurs captifs : d’un côté, ses « clients », qui sont les annonceurs publicitaires, dépendent de Facebook pour diffuser leurs publicités ; de l’autre, les clients de ces clients, c’est-à-dire les utilisateurs, dépendent de Facebook pour rester en contact avec leurs amis.

    On le voit avec Facebook, Instagram ou Twitter : ça a été des plateformes agréables pour les utilisateurs, on y voyait l’activité de nos amis ou des choses intéressantes, puis l’algorithme a changé, et tout le contenu qui nous était proposé est devenu des pubs, ce qui a fait la joie des annonceurs, puis la rémunération pour les pubs a chuté, et on s’est rendu compte que presque 100 % des annonces sont vues… par des robots. Résultat : plus personne n’aime ces plateformes.

    Pensez-vous que le traitement médiatique des frasques d’Elon Musk est pertinent ?

    Il y a beaucoup de spéculations pour savoir si ce que fait Elon Musk à Twitter est un projet idéologique, s’il cherche à gagner de l’argent, ou s’il fait tout bonnement n’importe quoi. Mais je me méfie de toute tentative de kremlinologie avec lui : j’ai l’impression qu’il est très chaotique, qu’il ne fait pas ce qu’il dit et qu’il ne sait pas ce qu’il fait. Je pense qu’il a annoncé qu’il voulait acheter Twitter à moitié pour faire une blague et à moitié pour faire paniquer les marchés, puis qu’il n’avait plus trop le choix, et la bande d’idiots qui l’entoure lui a dit que ce serait une super idée, alors, il l’a fait !

    C’est un bon argument pour demander moins de concentrations des pouvoirs : loin de l’idée que les entreprises qui réussissent sont celles qui ont le plus de talents ou sont les plus innovantes, c’est une preuve de plus qu’elles réussissent simplement parce qu’elles ont réussi à verrouiller le marché pour éliminer la concurrence.

    Prenez Google : il y a trente ans, ses fondateurs ont eu un éclair de génie et ont créé un super moteur de recherche. Depuis, plus rien. Tous les autres projets qu’ils ont montés depuis trente ans ont été des échecs : un service vidéo (Google Vidéos), un réseau social (Google +), un lecteur de flux RSS… A chaque fois, ils se sont plantés. Alors, ils ont acheté un service vidéo (YouTube), un système de management de serveur, des outils de cartographie (Google Maps), de traitement de texte collaboratif (Google Docs), etc.

    Pratiquement, tout ce qui fait leur fortune aujourd’hui, ce n’est pas eux qui l’ont fait. Mais s’ils ont pu bâtir un tel empire, c’est parce que Google dépense près de 20 milliards de dollars chaque année pour être le moteur de recherche par défaut des appareils Apple, Samsung, etc.

    Le problème des géants du Web, ce sont donc, précisément, que ce sont des géants ?

    Malgré tous les défauts de Facebook, il faut bien reconnaître une chose : il y a beaucoup de petites entreprises qui font des choses bien pires. Spiral Toys fabriquait des peluches dotées d’un micro, et a hébergé des enregistrements de conversations d’enfants, parfois très intimes, sur un site accessible par tous. Mais est-ce qu’il vaut mieux faire la pire des crasses à 10 000 personnes, ou des choses un peu moins pires (enfreindre le RGPD, voler et revendre les données personnelles, s’implanter en Irlande pour ne pas payer d’impôts, etc.) à trois milliards de personnes ? L’un des problèmes aujourd’hui n’est pas que les géants du Web ne sont soumis à aucune régulation, c’est qu’on n’a pas la capacité de déployer et de faire respecter ces régulations.

    Si Google ou Facebook ne sont pas des entreprises si innovantes qu’elles le disent, comment expliquez-vous qu’elles aient réuni une telle puissance ?

    Les entreprises du Web se sont constituées en monopoles incontrôlables pour trois raisons. D’abord, il y a, depuis l’époque Reagan (1981-1989), un affaiblissement des lois anti-monopoles, ce qui a permis aux entreprises de multiplier les fusions-acquisitions, d’écarter tous les concurrents potentiels, et de devenir hégémoniques.

    Ensuite, les entreprises de la tech bénéficient d’une plus grande flexibilité pour adapter leurs produits, ce qui leur permet de tirer profit de leur activité de surveillance, mais aussi de s’adapter aux nouvelles réglementations.

    Enfin, elles ont réussi à verrouiller le marché de sorte que tout ce qu’on essaie pour renverser leur pouvoir soit illégal : prenez l’exemple de OG App, qui proposait aux utilisateurs de faire défiler leur fil Instagram par ordre chronologique et sans publicité – Instagram les a attaqués en justice et a fait disparaître l’application. La combinaison de ces trois facteurs est ce qui rend les géants du numérique si problématiques aujourd’hui.

    Vous dites qu’on ne peut pas « réparer les géants du Web ». Pourquoi ?

    Faisons une analogie. Avant l’arrivée des colons, les Indiens de Californie faisaient régulièrement des feux de forêt contrôlés – ils préparaient des corridors, nettoyaient du bois mort, etc. Quand les colons sont arrivés, ils ont décidé qu’il n’y aurait plus aucun incendie en Californie, ils ont donc arrêté la pratique, puis ils ont urbanisé des zones à risque d’incendie. Résultat : la région est régulièrement décimée par des feux incontrôlables. On a dépensé toute notre énergie à rendre la Californie sûre, et cela complique l’exode de populations qui doivent aujourd’hui fuir ces zones qui risquent la destruction.

    Dire à Facebook ou à Twitter : « Vous devez modérer les contenus haineux de vos utilisateurs », cela revient à dire « il n’y aura plus de feux ici ». Et c’est la meilleure manière de se retrouver face à des feux incontrôlables. Il faut plutôt construire des issues de secours à ces plateformes numériques.

    Ces issues de secours prennent, pour vous, la forme de l’interopérabilité. De quoi s’agit-il, et pourquoi cela vous semble-t-il la bonne solution ?

    Si on continue de les utiliser, c’est parce qu’elles ont tout fait, depuis leur création, pour nous empêcher de les quitter : elles augmentent les « coûts à la sortie ». Si vous quittez Facebook, vous avez toutes les chances de ne pas être invité la prochaine fois que vos amis organisent leur anniversaire. Vous n’allez pas sur Facebook parce que vous aimez Facebook : vous y allez parce que vos amis y sont aussi. Si vous pouviez continuer à échanger avec eux grâce à une autre application, peut-être que vous le feriez. Or des mémos internes montrent que les géants du Web le savent, et qu’ils font tout pour qu’il soit impossible d’utiliser ces alternatives.

    L’interopérabilité signifie ici que vous pouvez utiliser un système différent pour accéder à un même registre : par exemple, que vous pouvez échanger des messages avec vos amis qui utilisent l’application Facebook, depuis une autre application de votre choix. Si on forçait les plateformes à accepter l’interopérabilité, cela pourrait donner naissance à une myriade d’applications qui proposeraient des modèles alternatifs, moins centrés sur la surveillance ou l’économie de l’attention. La preuve que ce phénomène se produirait, c’est qu’il s’est déjà produit (pensons une fois encore à OG App) – mais que c’est la Cour suprême des Etats-Unis qui l’a rendu illégal, à la demande d’Instagram !

    En définitive, qui a le pouvoir pour renverser les géants du Web ? Les citoyens, les consommateurs, les législateurs ?

    Le mot « citoyen » me semble très important ici. On se demande souvent : « Que peuvent faire les consommateurs ? ». Mais en tant que consommateurs, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Ce n’est pas un problème qui se règle à l’échelle individuelle, mais systémique : c’est un enjeu qui doit être saisi en tant que communauté de citoyens, qui ont le droit de participer à l’élaboration des règles qui dictent la manière dont ils vivent. Obtenir l’interopérabilité et briser les monopoles se fera donc de la même manière que pour tous les autres conflits sociaux : par le vote, par les manifestations, par la politisation et par la législation – c’est le principe de la démocratie.

    #Cory_Doctorow #Emmerdification #Interview

  • De la merdification des choses
    https://ploum.net/2023-06-15-merdification.html

    Le principe de la merdification est simple  : maintenant que les utilisateurs sont captifs, que les concurrents ont quasiment disparu, que les business indépendants ont été acculés à la faillite ou rachetés, on peut exploiter l’utilisateur jusqu’au trognon.

    Certains groupes d’investisseurs se sont spécialisés dans ces techniques. Cory Doctorow les regroupe sous le terme «  Private Equity  » (PE). Leur job  ? À partir d’un business existant, extraire un maximum d’argent en un minimum de temps, disons entre deux et cinq ans.

    Comment  ?

    Premièrement, en augmentant les tarifs et en supprimant les programmes gratuits. Les utilisateurs sont habitués, migrer vers un autre service est difficile, la plupart vont payer. Surtout si cette hausse est progressive. L’objectif n’est pas d’avoir de nouveaux utilisateurs, mais bien de faire cracher ceux qui sont déjà là. On va donc leur pourrir la vie au maximum : tarifs volontairement complexes et changeant, rebranding absurdes pour justifier de nouveaux tarifs, blocage de certaines fonctionnalités, problèmes techniques empêchant la migration vers un autre service, etc.

    En second lieu, on va bien entendu stopper tout investissement dans l’infrastructure ou le produit. Un maximum d’employés vont être licenciés pour ne garder que l’équipage minimal, si possible sous-payé. Le support devient injoignable ou complètement incompétent, la qualité du produit se dégrade tout à fait.

    Bref, c’est la merdification.

  • Pluralistic: Tiktok’s enshittification (21 Jan 2023) – Pluralistic: Daily links from Cory Doctorow
    https://pluralistic.net/2023/01/21/potemkin-ai/#hey-guys

    Cory Doctorow

    Ô combien cette vision est juste !!!!

    Here is how platforms die: first, they are good to their users; then they abuse their users to make things better for their business customers; finally, they abuse those business customers to claw back all the value for themselves. Then, they die.

    I call this enshittification, and it is a seemingly inevitable consequence arising from the combination of the ease of changing how a platform allocates value, combined with the nature of a “two sided market,” where a platform sits between buyers and sellers, hold each hostage to the other, raking off an ever-larger share of the value that passes between them.

    #Cory_Doctorow #Plateformes #Economie_numériques #Libertés_numériques #Manipulation

  • Livre audio : les inadmissibles conditions d’Amazon, selon Cory Doctorow (@doctorow)
    https://www.actualitte.com/article/lecture-numerique/livre-audio-les-inadmissibles-conditions-d-amazon-selon-cory-doctorow/102703?origin=newsletter

    Engagé et militant depuis des années, l’écrivain de science-fiction Cory Doctorow a décidé de contourner le géant Audible pour la version audio de son prochain roman. L’auteur souhaite retrouver sa liberté et a choisi d’organiser un financement participatif pour la sortie de l’ouvrage dans ce format.

    Cory Doctorow

    Attack Surface, le prochain roman de Cory Doctorow, devrait sortir le mois prochain. Il sera facile au lecteur de se procurer une copie physique du roman puisque le titre sera disponible en librairie, mais aussi sur les grandes plateformes comme Amazon ou Kobo. Mais pour mettre la main sur le livre audio, l’entreprise risque de se révéler un poil plus compliquée.

    Le roman ne figurera en effet pas dans le catalogue d’Audible, le plus grand vendeur de livres audio du marché. Doctorow a choisi de vendre le livre sous ce format via une campagne Kickstarter.

    Le problème de Doctorow avec Audible trouve sa source dans la politique de l’entreprise : Amazon impose en effet l’application d’un DRM, un micro logiciel de protection, au sein des œuvres audio. Ce logiciel permet de mieux contrôler le bien et évite théoriquement le piratage ou la reprise d’extraits par le consommateur. Les DRM ne sont pas nouveaux, mais sont souvent présents à la demande des éditeurs et des auteurs . Qu’une entreprise décide directement de l’intégrer pose problème à l’écrivain :

    « Nous ne devrions pas vivre dans un monde où les fabricants décident de la manière dont vous utilisez leurs produits une fois que vous les avez achetés », rugit-il. Cette politique est d’autant plus incompréhensible qu’Amazon n’impose pas de DRM au sein de ses ebooks sur Kindle.

    Une alternative ?

    Opposé depuis des années aux DRM, Doctorow n’en est pas à son coup d’essai. L’auteur garde un droit de regard sur ses œuvres et dans le cadre de son accord avec l’éditeur Macmillan, propose des enregistrements audio de ses livres exclusivement via des plates-formes non affiliées à Amazon.

    Pour ce blogueur militant, les DRM ne sont pas qu’une simple technologie, mais « une loi », un appareil juridique qui interdit au consommateur de s’approprier l’œuvre qu’il vient d’acheter. L’écrivain affirme que ces logiciels constituent une nuisance pour les consommateurs qui essaient d’accéder à du contenu acheté légitimement, tout en étant incapable d’arrêter un pirate informatique digne de ce nom.

    NUMERIQUE : Amazon, Penguin et des auteurs
    lancés dans une chasse aux pirates de livres

    Doctorow a donc lancé une campagne de financement pour promouvoir le livre via ses propres moyens. Depuis son lancement mardi, la campagne a recueilli plus de 142.000 $ sur Kickstarter de la part de plus de 3500 contributeurs, le livre audio étant disponible pour ceux qui s’engagent à hauteur d’au moins 15 $. Ce succès, l’auteur l’explique en partie par la méfiance des gens envers Amazon, laquelle s’est transformée en colère suite aux profits que l’entreprise a enregistrés depuis le début de la crise sanitaire.

    Si l’initiative donnera certainement envie de faire des émules, il reste difficile pour un auteur débutant de se lancer dans un projet similaire. C’est en grande partie sa renommée qui permet à Doctorow ce genre de coup d’éclat.

    L’écrivain a lui-même participé à la production du format audio, travaillant via Zoom avec la réalisatrice Cassandra de Cuir de chez Skyboat Media et avec l’actrice Amber Benson chargée de lire le texte.

    #Cory_Doctorow #Audible #Livres_audio #DRM

  • Cory Doctorow: Fake News Is an Oracle – Locus Online
    https://locusmag.com/2019/07/cory-doctorow-fake-news-is-an-oracle

    In the same way, science fiction responds to our societal ideomotor responses. First, the authors write the stories about the futures they fear and rel­ish. These futures are not drawn from a wide-open field; rather, they make use of the writer’s (and audience’s) existing vocabulary of futuristic ideas: robots, internets and AIs, spaceships and surveil­lance devices. Writers can only get away with so much exposition in their fiction (though I’ve been known to push the limits) and so the imaginative leaps of a work of fiction are constrained by the base knowledge the writer feels safe in assuming their readers share.

    So the writers write the stories. Then the editors choose some of those stories to publish (or the writers publish them themselves). Then readers choose some of those stories to elevate to the discourse, making them popular and integrating them into our vocabulary about possible futures, good and bad. The process of elevation is complicated and has a lot of randomness in it (lucky breaks, skilled agents, PR wins, a prominent reviewer’s favor), but the single incontrovertible fact about a SF work’s popularity is that it has captured the public’s imagination. The warning in the tale is a warning that resonates with our current anxieties; the tale’s inspiration thrums with our own aspirations for the future.

    Reading a writer’s fiction tells you a lot about that writer’s fears and aspira­tions. Looking at the awards ballots and bestseller lists tells you even more about our societal fears and aspirations for the future. The system of writers and readers and editors and critics and booksellers and reviewers act as a kind of oracle, a societal planchette that our hands rest lightly upon, whose movements reveal secrets we didn’t even know we were keeping.

    Which brings me to “fake news.”

    “Fake news” is a nearly useless term, encompassing hoaxes, conspiracy theories, unfalsifiable statements, true facts spoken by people who are seek­ing to deceive audiences about the identity of the speaker, and as a catch-all meaning, “I read a thing on the internet that I disagree with.”

    But for all that, “fake news” is useful in one regard: the spread of a given hoax, or unfalsifiable statement, or truth delivered under color of falsehood, or conspiracy, or objectionable idea undeniably tells you that the idea has caught the public imagination. The fake news that doesn’t catch on may have simply been mishandled, but the fake news that does catch on has some plausibility that tells you an awful lot about the world we live in and how our fellow humans perceive that world.

    The anti-vaxers have a point. Not about the safety of vaccines. I believe they are 100% wrong about vaccines and that everyone who can should get a full schedule of vaccines for themselves and their children.

    But anti-vaxers have a point about the process.

    About 20 years ago, Purdue Pharma introduced a new blockbuster pain­killer to replace its existing flagship product, MS Contin, whose patent had expired. The new drug, Oxycontin, was said to be safe and long-lasting, with effects that would last an incredible 12 hours, without provoking the fast adaptation response characteristic of other opioids, which drives users to take higher and higher doses. What’s more, the company claimed that the addictive potential of opioids was vastly overstated, citing a one-paragraph letter to the New England Journal of Medicine penned by Boston University Medical Center’s Dr. Hershel Jick, who claimed that an internal, un-reviewed study showed that opioids could be safely given at higher doses, for longer times, than had been previously thought.

    Purdue Pharma weaponized the “Jick Letter,” making it one of the most-cited references in medical research history, the five most consequential sentences in the history of NEJM. Through a cluster of deceptive tactics – only coming to light now through a string of state lawsuits – Purdue cre­ated the opioid epidemic, which has killed more than 200,000 Americans and counting, more than died in the Vietnam War. Purdue made $31 billion. The Sackler family, owners of Purdue, are now richer than the Rockefellers.

    The regulators had every reason to know something terrible was going on, from the small town pharmacies ordering millions of pills to the dead piling up on the streets of American cities and towns. The only way they could miss the opioid crisis and its roots in junk science was if they were actively seeking not to learn about it – and no surprise, given how many top regulators come from industry, and have worked at an opioid giant (and more: they are often married to pharma execs, they’re godparents to other pharma execs’ kids, they’re executors of pharma execs’ estates – all the normal, tight social bonds from the top players in concentrated industries).

    Ten years ago, if you came home from the doctor’s with a prescription for oxy, and advice that they were not to be feared for their addictive potential, and an admonition that pain was “the fourth vital sign,” and its under-treatment was a great societal cruelty, you might have met someone who said that this was all bullshit, that you were being set up to be murdered by a family of ruthless billionaires whose watchdog had switched sides.

    You might have called that person an “opioid denier.”

    #Fake_news #Cory_Doctorow #Science_fiction #Vaccins #Opioides

  • Opinion | I Shouldn’t Have to Publish This in The New York Times - The New York Times
    https://www.nytimes.com/2019/06/24/opinion/future-free-speech-social-media-platforms.html

    Une nouvelle de Cory Doctorow sur la régulation des plateformes : briser les monopoles, ou leur laisser le choix d’être eux-mêmes les régulateurs algorithmiques de l’expression de chacun.

    Editors’ note: This is part of a series, “Op-Eds From the Future,” in which science fiction authors, futurists, philosophers and scientists write Op-Eds that they imagine we might read 10, 20 or even 100 years from now. The challenges they predict are imaginary — for now — but their arguments illuminate the urgent questions of today and prepare us for tomorrow. The opinion piece below is a work of fiction.

    I shouldn’t have to publish this in The New York Times.

    Ten years ago, I could have published this on my personal website, or shared it on one of the big social media platforms. But that was before the United States government decided to regulate both the social media platforms and blogging sites as if they were newspapers, making them legally responsible for the content they published.

    The move was spurred on by an unholy and unlikely coalition of media companies crying copyright; national security experts wringing their hands about terrorism; and people who were dismayed that our digital public squares had become infested by fascists, harassers and cybercriminals. Bit by bit, the legal immunity of the platforms was eroded — from the judges who put Facebook on the line for the platform’s inaction during the Provo Uprising to the lawmakers who amended section 230 of the Communications Decency Act in a bid to get Twitter to clean up its Nazi problem.

    While the media in the United States remained protected by the First Amendment, members of the press in other countries were not so lucky. The rest of the world responded to the crisis by tightening rules on acceptable speech. But even the most prolific news service — a giant wire service like AP-AFP or Thomson-Reuters-TransCanada-Huawei — only publishes several thousand articles per day. And thanks to their armies of lawyers, editors and insurance underwriters, they are able to make the news available without falling afoul of new rules prohibiting certain kinds of speech — including everything from Saudi blasphemy rules to Austria’s ban on calling politicians “fascists” to Thailand’s stringent lese majeste rules. They can ensure that news in Singapore is not “out of bounds” and that op-eds in Britain don’t call for the abolition of the monarchy.

    But not the platforms — they couldn’t hope to make a dent in their users’ personal expressions. From YouTube’s 2,000 hours of video uploaded every minute to Facebook-Weibo’s three billion daily updates, there was no scalable way to carefully examine the contributions of every user and assess whether they violated any of these new laws. So the platforms fixed this the Silicon Valley way: They automated it. Badly.

    Which is why I have to publish this in The New York Times.

    The platforms and personal websites are fine if you want to talk about sports, relate your kids’ latest escapades or shop. But if you want to write something about how the platforms and government legislation can’t tell the difference between sex trafficking and sex, nudity and pornography, terrorism investigations and terrorism itself or copyright infringement and parody, you’re out of luck. Any one of those keywords will give the filters an incurable case of machine anxiety — but all of them together? Forget it.

    If you’re thinking, “Well, all that stuff belongs in the newspaper,” then you’ve fallen into a trap: Democracies aren’t strengthened when a professional class gets to tell us what our opinions are allowed to be.

    And the worst part is, the new regulations haven’t ended harassment, extremism or disinformation. Hardly a day goes by without some post full of outright Naziism, flat-eartherism and climate trutherism going viral. There are whole armies of Nazis and conspiracy theorists who do nothing but test the filters, day and night, using custom software to find the adversarial examples that slip past the filters’ machine-learning classifiers.

    It didn’t have to be this way. Once upon a time, the internet teemed with experimental, personal publications. The mergers and acquisitions and anticompetitive bullying that gave rise to the platforms and killed personal publishing made Big Tech both reviled and powerful, and they were targeted for breakups by ambitious lawmakers. Had we gone that route, we might have an internet that was robust, resilient, variegated and dynamic.

    Think back to the days when companies like Apple and Google — back when they were stand-alone companies — bought hundreds of start-ups every year. What if we’d put a halt to the practice, re-establishing the traditional antitrust rules against “mergers to monopoly” and acquiring your nascent competitors? What if we’d established an absolute legal defense for new market entrants seeking to compete with established monopolists?

    Most of these new companies would have failed — if only because most new ventures fail — but the survivors would have challenged the Big Tech giants, eroding their profits and giving them less lobbying capital. They would have competed to give the best possible deals to the industries that tech was devouring, like entertainment and news. And they would have competed with the news and entertainment monopolies to offer better deals to the pixel-stained wretches who produced the “content” that was the source of all their profits.

    But instead, we decided to vest the platforms with statelike duties to punish them for their domination. In doing so, we cemented that domination. Only the largest companies can afford the kinds of filters we’ve demanded of them, and that means that any would-be trustbuster who wants to break up the companies and bring them to heel first must unwind the mesh of obligations we’ve ensnared the platforms in and build new, state-based mechanisms to perform those duties.

    Our first mistake was giving the platforms the right to decide who could speak and what they could say. Our second mistake was giving them the duty to make that call, a billion times a day.

    Still, I am hopeful, if not optimistic. Google did not exist 30 years ago; perhaps in 30 years’ time, it will be a distant memory. It seems unlikely, but then again, so did the plan to rescue Miami and the possibility of an independent Tibet — two subjects that are effectively impossible to discuss on the platforms. In a world where so much else is up for grabs, finally, perhaps, we can once again reach for a wild, woolly, independent and free internet.

    It’s still within our reach: an internet that doesn’t force us to choose between following the algorithmically enforced rules or disappearing from the public discourse; an internet where we can host our own discussions and debate the issues of the day without worrying that our words will disappear. In the meantime, here I am, forced to publish in The New York Times. If only that were a “scalable solution,” you could do so as well.

    Cory Doctorow (@doctorow) is a science fiction writer whose latest book is “Radicalized,” a special consultant to the Electronic Frontier Foundation and an M.I.T. Media Lab research affiliate.

    #Cory_Doctorow #Régulation_internet #Plateformes #Liberté_expression #Monopoles