• De l’individu au #politique. L’#angoisse comme régime d’expérience

    Alors que l’angoisse comme catégorie est abondamment mobilisée pour désigner une sensation corporelle de mal-être propre à l’individu, ce numéro de Tracés propose de se pencher sur l’angoisse comme régime d’#expérience face à l’#incertitude, à partir des outils non plus de la psychanalyse mais des sciences humaines et sociales. Les articles du numéro abordent ainsi les logiques qui sous-tendent les modes de manifestation de l’angoisse, en prenant en compte leurs dimensions à la fois corporelle, discursive et esthétique. On revient en particulier sur la question du caractère socialement situé de l’expression de l’angoisse (dépendantes à la fois d’un contexte institutionnel et de dispositions individuelles), mais aussi de leur caractère genré. Toutefois, l’analyse des manifestations de l’angoisse suppose d’abord de s’interroger sur leurs conditions de son #objectivation dans le discours médical mais aussi par les sciences humaines et sociales prises dans leur diversité. Si le discours psychanalytique s’est imposé au fil du xxe siècle comme le principal vecteur pour penser l’angoisse comme ontologique et en cela fondamentalement différenciée de la #peur (quant à elle toujours rattachée à un objet), l’apport de la philosophie existentialiste (#Kierkegaard, notamment) permet de penser l’angoisse comme l’expérimentation par l’homme de l’infinité des possibles. Catégorie savante, l’angoisse est aussi une catégorie ordinaire désignant une #émotion qui peut être considérée comme fondatrice autant d’un groupe social que de modes d’action politiques. Alors que l’angoisse tend à être réduite à un processus propre au sujet, le parti pris de notre numéro a donc été de repenser cette émotion à l’aune du #collectif, c’est-à-dire d’en faire le signe d’un #régime_émotionnel partagé dans un espace et à une époque donnée. Si « éprouver de l’angoisse » ressort davantage du #corps et de l’incorporé, se dire angoissé reviendrait à bénéficier de catégories d’entendement du monde social, notamment issues de la #psychanalyse, qui contribuent non plus seulement à qualifier de pathologique son rapport au monde, mais plutôt à affirmer dans l’espace public (après l’espace privé) la légitimité de la singularité tortueuse et douloureuse de ce rapport.

    https://journals.openedition.org/traces/11152

    • (…) Ce désajustement originel qu’impose la nécessité de se réaliser, de devenir soi, dans un esprit tant de développement personnel que d’individualisation de la responsabilité, avec l’outillage de récentes techniques managériales, tandis que de l’autre les possibilités réelles sont dramatiquement restreintes. C’est cette faille que désigne Pierre Bourdieu en parlant des « hommes sans avenir », dans ses Méditations pascaliennes (1997), faille également sensible chez #Gilbert_Simondon, comme l’analyse Lara Bonneau dans son article, rejoignant l’interprétation d’Igor Krtolica.

      Si l’angoisse survient dans le rapport du sujet moderne à l’informe et à l’infini, elle indique également en creux, comme Simondon le souligne [dans son ouvrage L’inviduation psychique et collective], l’échec de la relation transindividuelle ou du moins sa fragilisation. Son inscription dans une histoire artistique et culturelle au long cours qui rappelle l’importance de l’#expérience_esthétique dans le rapport du sujet à soi et au monde permet cependant de sortir du solipsisme auquel elle semblait condamner le sujet. L’angoisse, pour Simondon, pointe le « paradoxe du #transindividuel ». (Krtolica, 2009)

      L’angoisse est l’expression affective de l’impossibilité que le sujet éprouve à poursuivre en lui, c’est-à-dire à l’échelle individuelle, son #individuation ; pour le philosophe, c’est seulement dans la dimension collective du transindividuel que cette impasse qu’est l’angoisse peut trouver une issue positive.

      C’est ainsi dans sa nature duelle, propre au sujet mais chez un sujet véritablement politique que l’angoisse saisie par les articles du numéro retrouve un sens qui inscrit, dans la longue tradition savante héritée de #Fanon, l’angoisse dans un cadre politique. C’est cette dernière dimension – le rapport de l’angoisse objet des sciences humaines au politique – qu’il convient d’approfondir.

      Angoisse, #mélancolie et individuation : une généalogie du sujet moderne entre histoire de l’art et #philosophie, Lara BONNEAU
      https://doi.org/10.4000/traces.11172

      En se concentrant sur la question du rapport de l’individu à la forme et aux formes, la science de l’art (Kunstwissenschaft) d’#Aby_Warburg permet l’élaboration d’une généalogie singulière de l’angoisse, qui souligne le rôle crucial de cet #affect pour comprendre la #subjectivité moderne. Entretenant un dialogue avec Ernst Cassirer quant à la nécessité d’une philosophie des « formes symboliques », Warburg postule qu’un basculement de la phobie à l’angoisse a lieu par la #création_artistique ; en ce sens, l’angoisse ne témoigne du rapport du sujet à l’être que parce qu’elle implique plus originairement un rapport du sujet à la forme et à l’informe. C’est depuis une pensée de l’individuation entendue comme prise de forme ontogénétique que l’on se propose d’articuler le rapport à l’être et le rapport à la forme, dans une perspective qui fait droit au devenir. La philosophie de Gilbert Simondon peut alors éclairer l’entreprise warburgienne. L’angoisse apparaît comme un affect particulièrement prégnant, en tant qu’elle marque un coup d’arrêt dans l’individuation du sujet et lui révèle le vertige non du néant de l’être mais de sa propre prise de forme. Simondon indique toutefois de manière énigmatique que l’angoisse peut être « départ de l’être », ce que l’histoire de l’art d’Aby Warburg et la philosophie cassirérienne de la culture peuvent, réciproquement, contribuer à éclairer.

      et #merci ! @cdb_77 pour ce signalement.

  • Le #paria.
    Expulsion, refoulement, ghettos, cités, misère, exclusion, prison, incarcération, déportation, racisme, islamophobie, violence policière, état d’urgence, déchéance, identité nationale

    Le paria est une association créée en 2017 qui a pour principe d’allier l’#action_militante et politique, le registre scientifique et la #création_artistique dans la lutte contre toutes les formes l’#exclusion, de #marginalisation et de #discrimination, notamment liées à l’origine, à la religion, aux #préjugés xénophobes et racistes.

    https://leparia.fr

    #action_politique #art_et_politique #racisme #xénophobie #journal

  • Les femmes, ça crée aussi - Libération
    http://www.liberation.fr/tribune/2006/04/10/les-femmes-ca-cree-aussi_35765
    Marie DARRIEUSSECQ écrivaine.

    Le déni des artistes de sexe féminin est tenace, même si l’histoire de l’art propose de nombreux exemples qui rendent caduc cet ostracisme.

    Venue de la littérature, je découvre le monde de l’art, et j’y apprends beaucoup de choses. Par exemple, que les femmes ne peuvent pas vraiment bâtir d’oeuvre. C’est écrit dans le catalogue consacré au peintre Jean-Marc #Bustamante (collection « la Création contemporaine », éditions Flammarion, 2005).

    Bustamante renchérit (il faudrait tout citer de son texte inspiré, où l’on retrouve le souffle dix-neuviémiste et grandiose d’un Michelet ou d’un Renan) : « Oui, l’homme a besoin de conquérir des territoires, la femme trouve son territoire et elle y reste... Les femmes cherchent un homme, un homme veut toutes les femmes. La femme, dès qu’elle a trouvé son territoire, elle y reste... Les hommes sont toujours dans la recherche de territoires vierges. »

    Selon un préjugé qui remonte aux premières ébauches d’anthropologie, la femme est faite pour l’espace privé (le foyer, le « personnel » que citera plus loin Veilhan) : en bref, l’intériorité vaginale et utérine. Comme si la forme des organes sexuels pouvait fonder une pensée. Une préhistorienne comme Claudine Cohen montre qu’il y a une fiction scientifique totale à penser que M. Cromagnon chassait le mammouth pendant que Mme Cromagnon l’attendait dans la grotte... Tous deux étaient, au mieux et au quotidien, grands chasseurs de féroces belettes.

    Il est vrai que dès qu’une femme pénètre sur le soi-disant terrain des hommes, elle se fait traiter de « femme phallique » : c’est le terme de Macel pour décrire Louise Bourgeois. Par un sursaut de pensée historicisante, elle tente ensuite d’excuser ces pauvres femelles attardées : « Les femmes n’ont pu s’exprimer en tant qu’artistes que très récemment, à partir des années 1970, avant il en existait peu. » Sonia Delaunay, Maya Deren, Lili Brick, Germaine Richier, Barbara Hepworth... la liste pourrait être longue de celles qui étaient artistes avant les années 70.

    Certes, une femme qui crée doit reprendre des outils ou une langue déjà formatés par un monde d’hommes, ce qui peut ajouter à la confusion de ceux dont la pensée est déjà confuse. Les dominés doivent en effet passer par le champ du dominant pour s’en extraire. Une alternative historique a été de réinventer les outils et symboles traditionnellement féminins, ce qui explique pourquoi les années 70 ont effectivement vu tant de tricots, de draps et de maisons, de sang cyclique et d’humeurs féminines mis en scène dans l’art. Sans rien enlever à leur formidable relecture des corps et des stéréotypes, Orlan, Bourgeois, Messager... ont toutes évolué ensuite dans leurs explorations.

    #art #création_artistique #sexisme #crétin_abyssal #femmes #féminisme

  • Les premières Journées du #Matrimoine
    http://www.sortiraparis.com/arts-culture/exposition/articles/90486-les-premieres-journees-du-matrimoine
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    La 32ème édition des Journées du Patrimoine invite le public à venir découvrir gratuitement 17000 lieux culturels dans toute l’Europe. Cette excellente initiative a toutefois une caractéristique malheureuse : ces lieux sont à 95% créés, dessinés, peints ou sculptés par des hommes. C’est pourquoi, les 19 et 20 septembre 2015, HF Île-de-France et Osez le féminisme ! s’associent pour mettre le matrimoine en lumière.

    Il ne faudrait pas croire que les femmes n’ont jamais participé à la création artistique, architecturale et culturelle de l’histoire de l’humanité, bien au contraire. On pourrait pourtant s’y tromper en ne voyant dans les musées qu’une majorité de peintres masculins (et, soit dit en passant, de modèles nus féminins !).

    Car quoique majoritairement empêchées par les hommes et par un système anti-féministe, les créatrices ont laissé un matrimoine des plus significatifs, reflet à la fois de la vivacité de leur créativité et de leur courage. Les Journées du Matrimoine ont pour objectif de « rendre à nouveau visibles les biens artistiques transmis par les femmes qui nous ont précédé-e-s et réhabiliter celles-ci en tant que créatrices ». Une initiative extrêmement importante dont nous vous recommandons chaudement les activités proposées.