• Seules au front, les banques engagées dans une course contre la montre - Kenza OUAZZANI - L’Orient-Le Jour
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    Cet article explique pas mal de choses sur la crise bancaire en cours

    Acculées, faisant face à une crise sans précédent, les banques tentent de gagner du temps. Elles ont annoncé hier qu’elles fermeront de nouveau leurs portes aujourd’hui et lundi (jour férié). De quoi leur donner un peu de répit alors qu’elles ont fait l’objet tout au long de cette semaine et surtout ces deux derniers jours d’une pression croissante de leurs clients et qu’aucune avancée ne se profile sur la scène politique. Suite à des rumeurs faisant état d’une fermeture prolongée des banques, le président de l’Association des banques du Liban, Salim Sfeir, a opposé un démenti. Mais des sources bancaires issues de six différents établissements ont indiqué à L’Orient-Le Jour que les banques comptent bien rester fermées tant qu’un nouveau gouvernement ne sera pas formé et qu’elles n’auront pas de visibilité politique.

    Sur le plan financier, l’incertitude politique se traduit par une aggravation de la crise de liquidités en dollars qui préexistait au début de la révolte le 17 octobre et à la démission du gouvernement Hariri III une semaine plus tard. Les banques sont contraintes d’accentuer de plus en plus leurs mesures restrictives en l’absence d’un contrôle formel des capitaux, les mettant en porte-à-faux face à leurs clients, qui, paniqués, se ruent encore plus sur les banques.

    Alors que certains établissements avaient autorisé des transferts à l’étranger en fin de semaine dernière, ils ont tous pris la décision d’arrêter ces opérations depuis lundi. En ce qui concerne les retraits (via les distributeurs automatiques et les guichets), les banques ont revu une nouvelle fois à la baisse hier leurs plafonds quotidiens et hebdomadaires pour les deux monnaies. Certaines ont même arrêté complètement les retraits de dollars. Ce qui ne manque pas d’augmenter encore davantage la panique et la perte de confiance. Un véritable cercle vicieux. Toutes les banques ne sont pas confrontées au même problème de liquidités. Elles peuvent normalement faire appel à leurs réserves placées auprès de leurs banques correspondantes ou à leurs dépôts placés auprès de la banque centrale. Mais, pour la plupart d’entre elles, leurs réserves auprès des banques correspondantes sont très minimes car elles ont préféré les placer à la BDL, avec des rémunérations plus importantes et des maturités à long terme, ce qui les rend inaccessibles aujourd’hui. Elles pourraient toutefois décider de renoncer à ces rémunérations pour les débloquer, mais au vu du manque de visibilité politique, elles ne s’y risquent pas. D’autant plus que la BDL ne pourrait pas être en mesure de débloquer ces dépôts, puisqu’elle doit elle-même minutieusement gérer ses réserves en devises.

    (Lire aussi : Pour la Banque mondiale, les pertes liées à la crise sont « énormes » pour l’économie libanaise)

    Celles, plus conservatrices, qui ont préféré garder leurs réserves auprès des banques correspondantes, sont les seules qui ont pu autoriser des transferts à l’étranger la semaine dernière. Mais elles ont aussi dû arrêter d’effectuer ces transferts cette semaine face à la forte demande.

    En parallèle, les banques qui continuent de recevoir des dépôts en dollars les placent auprès de la BDL, car elles n’ont pas d’autre choix : la banque centrale refuse leurs transferts à l’étranger. Ce sont ces mêmes dépôts que la BDL utilise pour prêter des liquidités en dollars aux banques qui perdent des dépôts. Mais l’ouverture de ces lignes de crédit auprès de la BDL coûte très cher à ces dernières qui doivent s’acquitter d’une commission de 20 % là-dessus.

    Autrement, les banques en besoin de liquidités peuvent contracter des prêts à court terme auprès d’autres banques, mais le taux interbancaire applicable sur ces transactions a atteint cette semaine 100 %.

    Parallèlement, le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, a demandé aux banques de rapatrier les dépôts de leurs filiales à l’étranger, qui s’élèvent à 9 milliards de dollars. « Il leur demande de le faire en partie à travers la circulaire émise lundi par la banque centrale », qui demande aux banques de ne pas redistribuer à leurs actionnaires les profits réalisés en 2019 et d’augmenter de 20 % leurs fonds propres, confie un des banquiers interrogés. Certaines banques essaient de négocier et de repousser le délai de la première augmentation (de 10 %) prévu pour fin décembre (la deuxième doit avoir lieu avant fin juin 2020), mais d’autres sont plus sceptiques quant à sa faisabilité. « Pour certaines banques, c’est l’équivalent de 500 millions de dollars en six mois. Et rien n’oblige les actionnaires à accepter de le faire de par la loi », prévient-il, avant d’affirmer que pour certaines banques « une augmentation de 20 % de leur capital ne sera pas suffisante pour les protéger contre un risque de solvabilité ».

    (Lire aussi : Repenser la réforme pour relancer l’économie)

    Une situation qui pousse les banques à prioriser du mieux que possible leur gestion de leurs liquidités en devises. Le problème le plus urgent auquel elles doivent faire face n’est autre que les dépôts arrivés à maturité (et ceux qui y arrivent dans les semaines qui viennent). Dans le contexte actuel, elles n’arrivent à céder à leurs clients qu’une partie de ces dépôts et leur demandent de patienter avant de récupérer le reste du montant. Mais légalement et en l’absence d’un contrôle formel des capitaux, elles sont dans l’obligation de débloquer la totalité des dépôts, sinon leurs clients peuvent leur intenter un procès pouvant mener à une procédure de mise en faillite. C’est ainsi qu’une citoyenne américaine a pu obtenir cette semaine d’une des plus grandes banques du pays le rapatriement de son dépôt de 20 millions de dollars hors du pays, après avoir menacé de porter plainte contre elle aux États-Unis, a confié un banquier opérant dans cette même banque.

    Aujourd’hui, c’est donc une véritable course contre la montre qu’engagent les banques pour empêcher certaines d’entre elles de se retrouver en défaut de paiement. « La BDL pourra en sauver une ou deux, mais pas plusieurs. D’autant plus qu’elle n’a aucune obligation de le faire, si on instaure un contrôle de change et un contrôle de capitaux. Ces banques pourront être mises en liquidation, et cela n’impactera pas le reste du secteur bancaire », explique un banquier.

    La course contre la montre est aussi engagée pour le reste de l’économie, puisque les mesures restrictives imposées par les banques impactent significativement les activités de l’ensemble des acteurs économiques, eux-mêmes endettés auprès des banques, et risquant d’être en défaut de paiement vis-à-vis d’elles.

    La seule issue immédiate qui permettra de réduire la panique et la crise de confiance est la formation d’un nouveau gouvernement qui puisse mettre en place des mesures fortes dans le cadre d’un plan de sauvetage. Mais en attendant, le président Michel Aoun a convoqué plusieurs acteurs du secteur bancaire (dont le gouverneur de la BDL et les membres du conseil d’administration de l’ABL) à une réunion aujourd’hui au palais de Baabda, afin de « trouver des solutions » à la crise bancaire actuelle...

    #banque #crise_de_liquidités #banque_du_Liban #devises
    Voir aussi : https://seenthis.net/messages/808290

    • Voir également cet article de Jad Chaabane
      Why Aren’t Lebanese Banks Giving You Back Your Money ?

      The Central Bank and the Association of Banks have a major historical responsibility to protect depositors and provide transparent regulations going forward.

      http://beirut-today.com/2019/11/08/arent-lebanese-banks-giving-back-money

      Après avoir analysé la complicité entre la Banque centrale, le gouvernement et les banques privés, il souligne aussi la responsabilité (ou la complicité) des déposants à titre individuel :

      And it is somehow your fault too. When the banks kept on increasing the interest rate on deposits to attract dollar savings, people gladly joined in. Between 2015 and 2019 deposits by residents in Lebanon in foreign currencies (mainly dollars) increased by $20 billion, mostly in high-interest earning term deposits averaging one year.

      In parallel, the depositors enjoyed low taxes on wealth and interest income, which was barely increased recently, but still much lower than many other countries. This income many Lebanese earned was spent on mostly imported, expensive and non-essential commodities, increasing the country’s need for more dollars to finance these imports.

      So what can be done? You can start by limiting your unnecessary consumption, taking less loans, and accepting that interest rates on your savings go down –of course, the big depositors should lead by example first. You should also not run to the bank to withdraw cash you don’t need, since this might actually cause more panic and less money for everyone. And you should keep on protesting, since a new “clean” government is a cornerstone to regaining trust in the system and reinvigorating our economy.