Piéton tué par la #BRAV-M : des policiers avaient alerté sur la #dangerosité des motards
« Devons-nous attendre un accident mortel pour réagir ? » Deux mois avant la mort d’un piéton en décembre dernier à Paris, une quinzaine de policiers de cette unité décriée avaient dénoncé, en vain, la dangerosité de leurs #motards dans des rapports accablants. Depuis plusieurs années, les blessés s’accumulent.
À la préfecture de police de Paris, l’annonce, le 12 décembre, de la mort d’un homme de 84 ans, percuté par une moto de la brigade de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M) alors qu’il traversait un passage piéton dans le XIXe arrondissement de Paris, n’a pas surpris tout le monde. Notamment dans les rangs des compagnies d’intervention (CI), mobilisées à tour de rôle pour grimper à l’arrière des motos au sein de ces équipages décriés pour leur violence depuis leur création, en 2019, en plein mouvement des « gilets jaunes ».
Casque blanc à l’avant pour le pilote, noir à l’arrière pour son passager, vêtements sombres, motos de sport banalisées : les BRAV-M sont déployées au coup par coup pour des missions de maintien de l’ordre à Paris, et de « sécurisation » dans les quartiers réputés difficiles en banlieue.
Le 7 octobre 2023, soit un peu plus de deux mois avant la mort du piéton − qui fait l’objet d’une enquête judiciaire pour « homicide involontaire » −, une quinzaine de policiers passagers des BRAV-M avaient transmis à leur hiérarchie des rapports pointant du doigt la dangerosité et l’illégalité de la conduite de leurs collègues.
Dans ces écrits, consignés au terme d’une journée particulièrement chaotique, ils signifiaient également leur refus de continuer de monter derrière des pilotes décrits comme hors de contrôle, évoquant une accumulation d’accidents et de blessés et des alertes émises auprès de responsables de la DOPC (direction de l’ordre public et de la circulation) de la préfecture de police depuis « des mois voire des années ». Vitesse folle, prise de risques inconsidérée et injustifiée, absence de contrôle hiérarchique : le contenu de ces rapports, consultés par Mediapart, est effarant.
Ce samedi 7 octobre, des équipages de la BRAV-M, dont la devise est « Born to ride » (« Né pour rouler », en anglais), sont affectés à plusieurs missions de sécurisation un peu partout à Paris. Certaines motos sont stationnées au stade Charléty, dans le sud de la capitale, où le Paris Football Club doit affronter l’AJ Auxerre pour un match de ligue 2. D’autres patrouillent place de la Bastille ou boulevard Magenta, près de la place de la République.
En fin d’après-midi, une des unités voit un scooter brûler un feu rouge rue de Bagnolet, dans l’Est parisien. Les policiers tentent d’interpeller le conducteur, qui ne s’arrête pas. L’annonce de ce « refus d’obtempérer » circule sur les ondes et, sans attendre aucun ordre, des motards, même ceux du stade Charléty (à une dizaine de kilomètres de là), décident de se joindre à la course-poursuite.
Le scooter pris en chasse s’engage sur le périphérique saturé, puis sur l’autoroute, où il finit par chuter au niveau de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Pendant ce temps, les motos de la BRAV-M convergent d’un peu partout dans Paris, à très grande vitesse.
Plus de 180 kilomètres-heure
Dans leurs rapports, les policiers passagers racontent : « Les motards ont décidé de partir à très vive allure, roulant à plus de 100 km/h en ville et slalomant entre les véhicules. Ils ont continué leur progression en interfile à 145 km/h sur un périphérique saturé. C’est inadmissible. Les motards ne sont pas conscients des risques qu’ils prennent pour leur propre vie, celles de leurs passagers, et celles des citoyens. D’autant plus que le Code de la route est complètement bafoué », écrit l’un d’entre eux, qui conclut : « Devons-nous attendre qu’il y ait un accident mortel pour réagir ? »
Un autre relate que le pilote « a dépassé les 180 km/h [...] après avoir pris tous les risques possibles tout en étant conscient qu’à tout moment la moindre collision s’avérerait mortelle ». « Nous arrivons bien évidemment après l’intervention », ajoute-t-il. « Certains pilotes sont partis tellement vite qu’ils ont laissé leur passager sur place, avec le casque d’un passager encore attaché à la moto », précise encore le rapport.
L’un des policiers passagers, équipé pour les opérations de maintien de l’ordre, explique s’être senti particulièrement vulnérable alors que la moto « slalomait entre les différents véhicules à vive allure ». « Après avoir fait part à un motocycliste du danger que représente la prise au vent [d’]un bouclier à de telles vitesses, celui-ci me répondra qu’à ma place il l’aurait lâché », relate-t-il. Un des fonctionnaires explique aussi avoir perdu une grenade goupillée place de la Bastille, et que le pilote aurait refusé de s’arrêter pour qu’il la ramasse…
Plus grave encore, les policiers passagers des BRAV-M insistent sur le fait que ces comportements, à l’origine de « nombreuses blessures », ont été signalés à la hiérarchie de la DOPC à plusieurs reprises, et ce depuis des années. Sans, visiblement, que les motards aient fait l’objet d’un rappel à l’ordre.
« Il ne se passe pas une vacation sans qu’il n’y ait une chute fortuite, et malgré de nombreuses discussions, rien ne semble changer », se plaint un fonctionnaire. « Il existe depuis de longs mois voire des années des griefs par rapport à leur conduite », explique un autre, évoquant une réunion en juin 2023 provoquée par « des accidents à répétition ». « Malgré de nombreuses blessures en service ainsi que de multiples discussions, il semblerait que les problèmes de comportement persistent et que les risques encourus ne cessent d’augmenter semaine après semaine », dit un troisième.
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Les BRAV-M, des unités uniques en France
La première intervention officielle des BRAV-M (brigades de répression de l’action violente motorisées) dans les manifestations parisiennes date du 23 mars 2019, en plein mouvement des « gilets jaunes », sous la houlette du tout nouveau préfet de police de l’époque, Didier Lallement – remplacé par Laurent Nuñez à l’été 2022. Mais ces unités étaient déjà en gestation. Dès décembre 2018, sur décision du ministre de l’intérieur Christophe Castaner et du préfet Michel Delpuech, des binômes de policiers motorisés, interdits depuis la mort de Malik Oussekine en 1986, refont leur apparition dans les rues de Paris.
Au départ, ce sont essentiellement des agents des brigades anticriminalité (BAC), non formés au maintien de l’ordre, qui sont mobilisés au sein de ces équipages. Car la particularité de la BRAV-M est qu’elle n’est pas une unité à proprement parler : depuis 2020, elle est composée d’agents appartenant aux compagnies d’intervention (CI) de la préfecture de police de Paris, mobilisés ponctuellement pour grimper à l’arrière des motos comme passagers. À l’avant, les motards, 150 policiers environ, appartiennent eux aussi à une compagnie d’intervention, « la 24 ».
Déployées au coup par coup en fonction des événements prévus dans la capitale, les BRAV-M sont réparties en équipages de 18 motos organisées en trinômes. Elles sont devenues le symbole ambulant de ce que les manifestant·es reprochent aux forces de l’ordre françaises : une violence imprévisible, indiscriminée et gratuite.
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Pourquoi ces alertes et ces rapports sont-ils restés sans suite pendant des mois ? Selon nos informations, les écrits envoyés par les policiers le 7 octobre n’ont pas été enregistrés par la hiérarchie de la DOPC dans le système de courrier de la préfecture de police, baptisé « Alice », comme le veut la procédure.
Les fonctionnaires auteurs des rapports n’ont été convoqués qu’à la mi-janvier, soit plus de trois mois après les incidents signalés, dans le cadre d’une « procédure d’enquête administrative ». Des convocations tombées, donc, quelques semaines après l’accident qui a causé la mort du piéton dans le XIXe arrondissement.
Selon les informations de Mediapart, les procès-verbaux de convocation à ces auditions sont en effet datés du mois d’octobre, mais ne comportent aucune référence « Alice », ce qui interroge sur la réalité de la temporalité de la procédure.
Le préfet de police pas informé
Un autre détail pose question : l’enquête administrative chargée de faire la lumière sur les incidents du 7 octobre a été confiée à Patrick Lunel, qui n’est autre que… le responsable des motards de la BRAV-M mise en cause par leurs collègues. Patrick Lunel est par ailleurs connu pour avoir été commandant de la CSI 93, la compagnie de sécurisation et d’intervention de la Seine-Saint-Denis, quand elle s’est retrouvée au cœur d’une retentissante série de scandales.
Une vingtaine d’enquêtes judiciaires avaient été ouvertes en 2019 et 2020 par le parquet de Bobigny pour des faits de vols, violences et faux en écriture publique. La majorité ont été classées faute de preuves, selon une source judiciaire, mais plusieurs des policiers de la CSI 93 ont été renvoyés devant la justice, et certains condamnés à de la prison ferme.
Sollicité via la préfecture de police, Patrick Lunel n’a pas répondu à nos questions.
Interrogée sur le contenu de ces rapports et l’absence de suites, la préfecture de police nous a indiqué que « les rapports des agents, transmis par mail un dimanche, ont été portés sans délai à la connaissance de l’ensemble de la chaîne hiérarchique, l’absence d’enregistrement par numéro ALICE n’ayant aucune incidence sur la remontée et la prise en compte d’information ».
« Le délai de trois mois entre le déclenchement de l’enquête administrative et les premières auditions se justifie par la nécessité d’instruire l’ensemble des rapports, les contraintes opérationnelles, et la programmation de plusieurs actes s’agissant d’une affaire dans laquelle aucun blessé n’est à déplorer et alors même que le préfet de police, dès le 11 octobre, avait reçu l’ensemble de l’encadrement de la BRAV-M pour rappeler les règles de déontologie, notamment la nécessité de circuler à allure normale hors cas d’intervention d’urgence », a-t-elle justifié.
« Le préfet de police tient à préciser que toute la lumière sera faite sur cette enquête administrative sur des faits qui se déroulaient dans le cadre initial d’un refus d’obtempérer commis par un individu finalement interpellé dans un secteur sensible de Seine-Saint-Denis où ont eu lieu de nombreuses prises à partie d’effectifs et nécessitant l’envoi de renforts dans les meilleurs délais », nous a encore précisé la préfecture.
La hiérarchie de la DOPC a-t-elle dissimulé au préfet la colère qui montait dans les rangs des BRAV-M ? « Le préfet de police a été informé des crispations liées à la vitesse (c’est à ce titre qu’il reçoit les encadrants le 11 octobre), sans être informé précisément du fait du 7 octobre », nous a-t-on répondu.
Autre interrogation : alors que les rapports du 7 octobre font état de « nombreux blessés en service », combien de policiers ont été blessés dans des accidents causés par les motards de la BRAV-M ? « À ce jour, la direction de l’ordre public et de la circulation recense contre les pilotes de la BRAV-M quatre cas de faute lourde de pilotage, avec blessé. Des enquêtes ont été ouvertes pour chacun des cas », indique la préfecture.
Au moins un de ces accidents a eu des conséquences dramatiques. Selon nos informations, une jeune gardienne de la paix affectée dans une compagnie d’intervention a été grièvement blessée en juin 2022 dans un carambolage sur le périphérique parisien au niveau de la porte de la Villette alors qu’elle était passagère dans un équipage de la BRAV-M, accident dont elle conserve de graves séquelles.
À ce sujet, la préfecture de police nous a indiqué que cet accident a fait « l’objet d’une enquête administrative, dont les conclusions ont été rendues : un conseil de discipline doit avoir lieu en mars 2024 ». « Dans l’attente, l’agent en cause a changé d’affectation et n’exerce plus sur la voie publique. L’enquête judiciaire est toujours en cours, elle est effectuée par l’IGPN [Inspection générale de la police nationale – ndlr] », a-t-elle précisé.
« Roues arrière sur le périph’ »
« Le grave accident dont a été victime la jeune policière aurait pourtant dû susciter un électrochoc, souffle un commissaire de la préfecture de police de Paris. Mais ça n’a rien changé, les motards de la BRAV-M continuent de faire des roues arrière sur le périph’ ! » « Ils sortent leur béquille sur l’autoroute pour faire des étincelles. Ils font les kékés, ça les amuse », renchérit un policier, lui aussi en poste à la préfecture.
« Au fil des années, à force d’une série de petits renoncements, un laisser-aller s’est installé, poursuit ce fonctionnaire. Les motards de la BRAV-M, c’est un État dans l’État, il y a un gros sentiment d’impunité. » « Beaucoup sont jeunes, manquent de maturité. Ils sont portés aux nues par leur hiérarchie, et se sentent autorisés à tout faire », confirme le commissaire.
Ni l’accident de la jeune policière ni les rapports du 7 octobre n’ont donc changé quoi que ce soit : le 12 décembre, à proximité de la « base » des motards, porte de la Villette, un de leurs équipages a percuté un passant. Cet homme de 84 ans a été grièvement blessé, souffrant notamment d’un traumatisme crânien. Transporté aux urgences, il est mort le lendemain. Le parquet de Paris avait précisé que l’accident avait eu lieu « vers 16 heures » et que le piéton traversait « au feu vert pour les piétons » tandis que les deux motos de la BRAV-M franchissaient un feu rouge.
Selon les éléments recueillis par Mediapart, la particularité des BRAV-M est qu’elles peuvent décider de leur mobilisation sans consulter les autorités hiérarchiques de la direction de l’ordre public de la préfecture, dont elles dépendent, comme le démontrent les récits relatés dans les rapports du 7 octobre. Avec un objectif assumé : interpeller.
Depuis le déploiement de cette unité unique en France, créée en 2019 pour intervenir quand les conditions habituelles du maintien de l’ordre sont dépassées − les précédentes brigades motorisées ont été interdites après le décès de Malik Oussekine en 1986 −, la BRAV-M est régulièrement décriée pour ses actions violentes.
Ces binômes de policiers motorisés sont visés par plusieurs enquêtes judiciaires, notamment pour avoir agressé gratuitement un étudiant de 22 ans, ou encore pour avoir, pendant le mouvement contre la réforme des retraites, en mars 2023, roué de coups un jeune homme, Souleymane, 23 ans, tout en proférant des insultes racistes à son égard. Dernière affaire en date : des violences exercées sur un jeune réfugié en décembre, qui font l’objet d’une enquête administrative ouverte par le préfet de police, Laurent Nuñez.
Dans un rapport publié en avril 2023, l’Observatoire parisien des libertés publiques (OPLP), créé à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du Syndicat des avocats de France (SAF), avait étrillé ces brigades, décrites comme « violentes et dangereuses, promptes à faire dégénérer les situations ». « La BRAV-M a développé un style qui puise dans les répertoires de la chasse, du film d’action, du virilisme et de l’intimidation », pouvait-on y lire.
La mort du piéton en décembre et l’affaire des rapports sur la conduite « très accidentogène » des pilotes deux mois plus tôt viennent une nouvelle fois éclabousser la DOPC, chargée de la sécurisation de l’ensemble des événements et manifestations à Paris et en petite couronne. Elle sera donc sollicitée pour les cérémonies des Jeux olympiques de Paris, qui auront lieu dans six mois.
La DOPC avait déjà été décapitée par l’affaire Benalla, qui avait emporté avec elle plusieurs des pontes de la préfecture. Jérôme Foucaud, un haut gradé sans expérience du maintien de l’ordre, avait alors été propulsé à la tête de cette direction. C’est lui qui avait été responsable du maintien de l’ordre pendant les manifestations des « gilets jaunes », et lui aussi qui avait signé le « télégramme » entérinant le dispositif de sécurisation de la finale de la Ligue des champions en mai 2022, restée dans les mémoires comme un fiasco d’ampleur internationale.
Selon nos informations, le directeur de l’ordre public avait connaissance, depuis des mois, de la colère qui montait en interne contre les motards de la BRAV-M, sujet qui avait été évoqué au cours de plusieurs réunions. Interrogé à ce sujet via la préfecture de police, Jérôme Foucaud ne nous a pas répondu.
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