• #Berlin, ville de la « domestication » et de la « normalisation » de la « société » par la « culture » selon le philosophe #Francesco_Masci dans son essai "L’ordre règne à Berlin" (titre emprunté à un article de #Rosa_Luxemburg) paru aux éditions Allia

    Extrait de Berlin Babylon de Hubertus Siegert
    http://www.youtube.com/watch?v=opA73140gA4


    http://www.lerideau.fr/francesco-masci/6983
    Francesco, quel est le point de départ de ce livre ? Pourquoi la ville de Berlin ?

    Parce que la nouvelle théorie de la #modernité que j’ai essayé de construire dans mes livres précédents était très bien illustrée par cette #ville. L’Ordre règne à Berlin est différent de mes autres livres, surtout le premier (Superstitions, NDLR), dans lequel il y a encore des échos un peu littéraires presque #postromantiques, surtout dans sa composition par fragments. Mais il n’y a aucune rupture théorique. Depuis mon premier livre je travaille à construire une nouvelle lecture de la #modernité et de son évolution avec comme point de départ l’idée que la culture n’est pas une victime désignée d’une quelque force néfaste et obscurantiste, mais qu’elle participe à la « mise en #ordre » du #monde, qu’elle est une force de conservation plus qu’une force #révolutionnaire.

    C’est un #discours qui n’est pas facile à saisir, parce que les gens ont un automatisme : on pense culture, donc on pense forcément à quelque chose de séparé de la #société et meilleur que celle-ci. Il est difficile de comprendre que l’on puisse avoir un regard neutre sur la culture moderne et son histoire qui en arriverait à la conclusion d’une participation active de la « #machine_culture » à l’#organisation sociale. Je voulais rompre avec l’illusion bicentenaire d’abord romantique, puis #avant-gardiste et enfin #adornienne et aussi #debordienne, d’un #pouvoir exorbitant d’ordre presque #religieux attribué aux #images et aux #événements, le pouvoir de sauver un monde a priori jugé mauvais.

    Ce que j’ai essayé de démontrer de manière théorique dans mes autres livres, c’est l’emprise de ce que j’appelle la culture absolue sur le réel. J’appelle « #culture_absolue » la machine de #reproduction d’événements ou d’images #autoréférentielles, qui forment l’unique milieu où les individus sont capables de se connaître et de se reconnaitre. Ce #processus de #substitution d’un monde constitué d’#images et d’événements à une #réalité potentiellement #conflictuelle est au centre même de notre modernité, une modernité qui est essentiellement culturelle, c’est-à-dire qui est en train de réaliser les promesses de ses origines grâce à la culture, d’une manière « imaginaire ». La modernité est en train de réaliser ses promesses originaires, l’#émancipation de l’individu vis-à-vis d’une société totale, la promesse aussi d’un sujet entier ayant une maîtrise totale sur le monde, mais elle les réalise dans un espace #aseptisé et séparé de celui de la contrainte #factuelle, du monde de la #technique qui continue pourtant bel et bien à exister.

    Ces promesses n’ont pas réalisé par le #politique. Le politique, entendu comme le principe conflictuel de l’#opposition ami/ennemi, à ne pas confondre avec une technique d’organisation que j’appelle la politique. Toute la complexité d’une conflictualité permanente (on peut rappeler par exemple les tumultes des factions des villes de la #Renaissance italienne chéries par #Machiavel), cette conflictualité a été, au cours de la modernité, progressivement écartée, évacuée (sauf dans les moments où elle réapparait dans l’histoire comme hyperviolence). Elle a été remplacée par des conflits imaginaires moralement polarisés qui ne franchissent jamais l’au-delà de cet horizon de la culture absolue dedans lequel ils sont renfermés.

    Berlin, qui gardait des restes de cette #division éminemment politique, division inscrite dans la chair même de la ville (le #Mur, mais pas seulement), résume parfaitement l’histoire de ce passage à la culture absolue comme mode de #gestion d’une #société. En vingt ans, depuis la chute du Mur, toute l’histoire et la réalité de la ville a été non seulement effacée, mais transformée dans son essence même, avec une prise de #contrôle absolue de son #territoire, comme nulle part ailleurs en #Occident, par un #imaginaire #abstrait et #allogène.

    Quand je parle d’une #réorganisation du territoire même de la ville par la culture, je ne parle pas de la #production d’événements culturels. Bien sûr, il y a des nombreuses #institutions culturelles à Berlin, les #galeries, les #musées, les #fondations, mais ce ne sont pas elles qui font de Berlin la ville où la culture absolue s’est chargée de l’organisation sociale. C’est plutôt une prise de pouvoir d’ordre ontologique

    #Culture #Philosophie #Pensée_critique #Esthétique #Technique #Histoire #Urbanisme #Relégation #Allemagne #Einstürzende_Neubauten #Musique #Film #Berlin_Babylon #Hubertus_Siegert #Vidéo #Allia #livre