Le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH) détaille dans un rapport le système criminel qui force des centaines de milliers de personnes à réaliser arnaques sentimentales et jeux illégaux en ligne, dans des conditions indignes des droits humains.
Régulièrement, les études le démontrent : les faux investissements et les escroqueries sentimentales font perdre des milliards de dollars à des centaines de milliers d’internautes. Mais sait-on seulement qui réalise ces escroqueries, et pourquoi ? Depuis 2021, le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH) relève des alertes sur le lien entre ces activités frauduleuses et des trafics d’êtres humains dans différents pays d’Asie du Sud-Est.
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De fait, en Birmanie, au Laos, en Thaïlande, au Cambodge ou encore aux Philippines, des réseaux criminels réduisent des centaines de milliers de personnes en situation de quasi-esclavage, selon un rapport publié par l’instance. Le but : réaliser toutes sortes de fraudes numériques pour leur compte.
Deux types de victimes pour un même crime
La situation est complexe, car la fraude en ligne crée deux types de victimes, note d’entrée de jeu le HCDH : celles qui perdent les économies d’une vie ou se retrouvent endettées à cause des schémas dans lesquels elles ont été embarquées, mais aussi ceux et celles qui sont contraints à réaliser les escroqueries.
Arnaques aux sentiments (dites « pig-butchering »), fraude aux crypto actifs, jeux illégaux… Si les victimes de ces gangs criminels ne coopèrent pas, elles se voient menacées de traitements cruels, de détentions arbitraires, de violences sexuelles et diverses autres attaques directes envers leurs droits humains. L’ampleur du phénomène est complexe à saisir, mais le rapport pointe diverses sources qui estiment à 120 000 le nombre de personnes concernées au Myanmar, à 100 000 celles qui le seraient au Cambodge.
Les auteurs des arnaques en ligne « subissent des traitements inhumains tout en étant forcées de commettre des crimes. Ce sont des victimes. Ce ne sont pas des criminels », insiste le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme Volker Türk.
L’activité des « filières » de l’arnaque aggravée par la pandémie
Selon le HCDH, les arnaques rapportent à ceux qui les orchestrent des milliards de dollars chaque année. En 2021, les seuls vols de cryptomonnaies ont pesé 7,8 milliards de dollars à travers le monde. Vu le secret qui entoure ces activités, cela dit, l’instance admet qu’il est difficile de chiffrer précisément les sommes amassées.
Parmi les autres activités concernées, les jeux d’argent sont plus ou moins interdits en Chine, au Cambodge, en Thaïlande et au Laos, ce qui n’a pas empêché des filières criminelles de s’y installer. Dans d’autres cas, comme aux Philippines, des activités plus légales se créent, sous réserve qu’elles visent des joueurs situés hors du pays.
Les réseaux d’arnaques en ligne existent depuis longtemps dans la région, mais le HCDH rapporte une augmentation de ce type d’opérations depuis 2016, en particulier au Cambodge. Quant à la Birmanie, où des filières criminelles œuvraient déjà en la matière, le coup d’État militaire de février 2021 semble avoir aggravé la situation.
En provoquant la fermeture de tous les établissements plus ou moins légaux, la pandémie de Covid-19 a poussé les filières criminelles à chercher de nouveaux espaces où exercer ainsi que de nouvelles filières où « recruter » les bras nécessaires au maintien de leurs opérations. La période a aussi poussé un nombre croissant de gens en ligne, ce qui a accru les possibilités d’arnaques.
Abus de la vulnérabilité des personnes migrantes
La pandémie s’est donc aussi traduite par une tendance accrue des trafiquants à se tourner vers des personnes migrantes. Avec les fermetures de frontières et de nombreuses entreprises, celles-ci se sont en effet retrouvées dans des situations particulièrement vulnérables.
La plupart des personnes victimes de ces trafics sont des hommes, note le rapport, même si la présence de femmes et d’adolescents a été notée dans quelques cas. Ils sont souvent éduqués, avec des diplômes en informatique et des compétences multilingues, ce qui est inhabituel dans les autres affaires de trafic d’êtres humains documentées dans la région.
Dans certains cas, note toutefois le HCDH, des citoyens des pays concernés sont, eux aussi, embarqués dans ces trafics inhumains.
Le rôle des plateformes
Le HCDH note le rôle particulier que jouent les réseaux sociaux et les autres plateformes numériques dans les opérations d’arnaques. Comme le reste du monde, l’Asie du Sud-Est a connu une intense transformation numérique. Résultat, « les habitants de l’Asie du Sud-Est accordent une grande confiance aux plateformes de médias sociaux, mais dans le même temps, la réglementation protégeant les droits des utilisateurs en ligne est limitée. »
Or les trafiquants sont, eux aussi, passés à l’ère numérique : le rapport pointe leur usage croissant des plateformes pour recruter des victimes de leur trafic, notamment à l’aide de fausses offres d’emplois. Ils laissent entendre qu’ils embauchent pour des postes de développeurs, dans le marketing ou dans les ressources humaines. Dans certains cas, les publicités ciblent même les populations de pays étrangers, les trafiquants se chargeant alors du transport.
Facebook, Grindr, Instagram, LinkedIn, OkCupid, Line, WeChat et d’autres : ce sont les mêmes espaces numériques qui sont ensuite utilisés pour arnaquer des internautes, en plus des faux sites web utilisés pour tromper des internautes.
En juin, la police philippine a sauvé 2 700 personnes venues de Chine, des Philippines, du Vietnam, d’Indonésie et d’une dizaine d’autres pays forcées de réaliser des activités de délinquance numérique. L’Associated Press soulignait déjà l’ampleur croissante du problème, notant que les chefs d’États de l’Association des Nations Unies du Sud-Est (ASEAN) s’étaient mis d’accord quelques semaines plus tôt pour coopérer dans la lutte contre ce type de criminalité.