Si l’on en croit les partisans d’une Fin de l’Histoire programmée pour après-demain à 14 h 38, la sexualité serait banalisée, désacralisée, to-ta-le-ment acceptée. Mais si nos vies sexuelles étaient aussi transparentes que nos habitudes alimentaires, pourquoi le revenge porn existerait-il ? En quoi est-il différent de publier la photo d’un partenaire endormi plutôt qu’en missionnaire ?
Précisons : la pornographie « de revanche » consiste à propager des photos ou des vidéos sexuelles d’ex-partenaires, contre leur gré. L’objectif essentiel est l’humiliation, à la suite d’une rupture, d’un refus sentimental ou d’une infidélité, mais on emploie désormais ce terme pour évoquer toute diffusion non-consentie de contenus intimes (comme nous l’écrivions il y a un mois, un quart des personnes recevant des sextos les diffusent, en moyenne, à trois amis).
Les plus jeunes d’entre nous sont aussi les plus exposés, au point que cette revanche puisse servir comme moyen de coercition sexuelle. Selon le centre francilien pour l’égalité femmes-hommes, « 17 % des filles et 11 % des garçons déclarent avoir été confrontés à des #cyberviolences à caractère sexuel… A travers la diffusion virale de #selfies_dénudés, les garçons gagnent en popularité, et les filles sont jugées de manière négative et insultées. » Avec les conséquences que l’on connaît, allant jusqu’au #suicide.
Quand c’est en ligne, c’est trop tard
Les adultes ne sont pas épargnés, du chantage financier (si votre ordinateur est hacké, ou si vous êtes victime d’une arnaque à la webcam) à la destruction d’une crédibilité professionnelle. La manœuvre est facile : quelques copies d’écran, une diffusion anonyme sur une plateforme étrangère, suffisent à rendre une #sexualité non seulement publique mais médiatiquement incontrôlable. A l’exception de quelques « rattrapages » réussis par des célébrités armées d’avocats, quand c’est en ligne, c’est trop tard.
Et quand il est trop tard, comment faire ? Face à l’étendue du problème, nombre d’entre nous accusent les victimes ou choisissent de faire l’autruche : puisque tout le monde prend des selfies dénudés, puisque la nature humaine est traître, alors nous finirons tous publiquement en string-panthère , c’est comme ça, point barre.
Outre qu’une misère partagée n’est pas forcément plus supportable, outre que personnellement, je veux croire que l’univers vaut mieux qu’une jungle peuplée de sociopathes, cette logique du « tous à poil » part du principe que les corps seraient égaux, jugés avec la même bienveillante indifférence.
Allez dire ça aux gros, aux poilus, aux ados, aux stars, aux personnes âgées… Même au niveau symbolique, ce n’est pas pareil d’apparaître en levrette au-dessus ou en-dessous, doté d’un pénis de deux ou de vingt centimètres, à son avantage ou pas, avec un sourire ou une sale tête.
Et surtout : l’immense majorité des victimes de #revenge_porn sont des femmes, qui se coltinent alors tous les stigmatisations possibles elles l’auraient bien cherché (nous cherchons toujours tout, n’est-ce pas), elles auraient manqué de lucidité lors du choix de leur partenaire, elles n’auraient pas dû prendre cette photo, elles n’auraient d’ailleurs pas dû avoir de sexualité.
Ce fatalisme facile, on le retrouve dans la prostitution (le plus vieux métier du monde), le #viol (il en faut), les guerres (inévitables), la violence conjugale (pardon, les crimes « passionnels »), la violence tout court (l’homme descend du singe, et bizarrement, du loup).
C’est sûr qu’en catégorisant un problème comme insolvable, on ne risque pas de faire avancer le schmilblick, ou pour le cas qui nous intéresse, la dignité humaine. Car c’est bien de dignité qu’il faut parler.
Reconnaissons qu’ici et maintenant (pour la situation au Sénégal en 2189, consultez les autorités compétentes), l’étalage non-consenti de la #vie_sexuelle rend malheureux, honteux. Reconnaissons que même si cette réaction était hypocrite ou injuste (mais qui peut juger ?), 99 % d’entre nous n’ont aucune envie d’apparaître à quatre pattes lors d’une recherche Google. Ça ne fait pas sérieux, ni pour la réputation, ni pour la recherche d’un emploi, ni pour trouver un logement – les hardeurs et les escortes en savent quelque chose.
Alors nous ressortons, de temps en temps, la possibilité d’un droit à l’oubli : concept contesté, compliqué à mettre en place au niveau international, inopérant face aux organisations criminelles.
Reste le recours au législatif, qui implique qu’on prenne le problème au sérieux. La France, après avoir accusé un retard considérable, a réactualisé cette année son texte de loi : alors qu’en mars 2016, un arrêt de la Cour de cassation ▻http://www.numerama.com/politique/153202-revenge-porn-nest-delit-confirme-cour-de-cassation.html qualifiait d’impossible la pénalisation des coupables (au motif qu’une image prise avec le consentement de la personne pouvait être diffusée a posteriori sans son consentement), l’article 226-2-1 adopté par le Sénat fin avril propose désormais des sanctions allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende – que l’image ait été obtenue avec l’accord de la victime ou non.
Des évolutions similaires adviennent ailleurs : si Israël a été le pionnier du revenge porn reconnu comme #crime_sexuel en 2014, certaines régions des Etats-Unis ont suivi le mouvement, ainsi que le Canada, l’Australie, l’Angleterre, le Pays de Galles, le Japon ou les Philippines. En Allemagne, les #photos doivent être supprimées à la demande du partenaire – mais supprimées d’où, exactement, quand #Internet est mondialisé ?
Le problème, c’est que même un arsenal législatif agressif et décourageant façon Terminator (la chaise électrique sans procès ni antidouleurs pour les auteurs, les diffuseurs, les serveurs et les spectateurs) ne suffirait pas à couvrir tous les cas « gris ».
▻http://www.vocativ.com/363198/photoshopped-porn
Certains sites sont en effet spécialisés en #fausse_pornographie : vous prenez un banal portrait de votre époux ou de votre boulangère, puis vous collez leur visage sur un corps nu (la technique du mapping nous apportera bientôt la même possibilité en #vidéo – courage, camarades). Les résultats peuvent être bluffants, et les retoucheurs les plus talentueux profitent du filon pour gagner de l’argent de poche : ils créent à la demande des #images_pornographiques plus vraies que nature, allant du #gang_bang de célébrités au portfolio érotique de votre patron.
La loi sera toujours en retard sur la technique
Dans ces conditions, sommes-nous face à de la diffamation, du vol d’identité, de la création, de la potacherie ? S’agit-il encore de « violation délibérée de la vie privée intime d’autrui » – quand cette vie privée est purement fictionnelle ?
Le tout répressif ne permet pas de répondre à ces questions, et de toute façon, la loi sera toujours en retard sur la technique. Reste la prévention. Pour l’instant, on culpabilise les victimes – approche absurde et destructrice. Mais il est encore temps de prendre nos responsabilités et d’enseigner, dès l’enfance, qu’aucun rejet sentimental ou sexuel ne justifie une revanche. Qu’aucune injustice ressentie ne justifie qu’on fasse « payer » les camarades, même au second degré, même pour amuser les copains, même de manière passive en consommant ces images.
Un simple double-clic peut avoir des conséquences dramatiques. Ce n’est pas parce que les gens sont tout nus que c’est forcément marrant : il est temps d’avoir une sérieuse conversation, en somme.