René Dumont, candidat écologiste aux élections présidentielles 1974, justifie la légitimité et le sérieux de sa candidature, puis présente une partie de son programme.
ORTF, 1ère chaîne, le 19 avril 1974
Mes amis, je viens d’entrer chez vous sans avoir pu frapper à la porte, alors je crois qu’il est bon de me présenter, d’abord de vous dire un certain nombre de choses et de réfuter un certain nombre d’arguments qui ont été présentés quelquefois contre moi. Je ne suis pas un candidat « doux rêveur ». J’ai 45 ans de travail agronomique sur le terrain ou 45 ans de travail d’enseignement, surtout à l’Institut national agronomique de Paris. Donc dire que je suis un candidat « pas sérieux », c’est tout de même s’avancer un peu vite. Quand on va étudier les problèmes au village avec les paysans, avec les agriculteurs, on doit être sérieux. Par ailleurs, si je n’étais pas sérieux, est-ce que j’aurais été choisi par plus de 50 associations, représentant plus de 100 000 adhérents répartis à travers la France ? Est-ce que, si je n’étais pas sérieux, j’aurais été présenté par 176 signatures, sans compter celles qui sont arrivées en retard, dont 80, plus de 80, maires de communes rurales, de petites communes qui sont tous les jours en contact avec les problèmes de la terre, dont 65 agriculteurs, dont 15 médecins, des notaires, des commerçants et autres notabilités ?
Je représente ici un programme écologique, un mouvement écologique. Et d’abord ce mot nouveau pour beaucoup d’entre vous, l’écologie, qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas un mot gadget qui a été inventé pour les besoins de cette campagne. C’est un mot, créé en 1866 par le biologiste allemand Ernst Haeckel, qui étudie les rapports entre les êtres vivants et les milieux où ils vivent. Aujourd’hui je viens revenir en France pour étudier avec vous les problèmes très graves qui se posent. Après avoir beaucoup étudié les problèmes de la faim dans le monde, dans le Tiers-Monde, j’estime que aujourd’hui il est temps de s’occuper des problèmes de nos pays. Mais nous, les écologistes, on nous accuse d’être des prophètes de malheur et d’annoncer l’apocalypse. Mais l’apocalypse, nous ne l’annonçons pas, elle est là parmi nous, elle se trouve dans les nuages de pollution qui nous dominent, dans les eaux d’égouts que sont devenues nos rivières, nos estuaires et nos littoraux marins. On espérait tirer de ces eaux de la mer des ressources importantes, on pensait que ce serait le grenier de l’humanité de demain. Ces eaux, ces estuaires, ces plateaux continentaux, ce sont aujourd’hui nos poubelles, là où on jette tous nos détritus.
On a dit que j’étais un vieux professeur qui se baladait à vélo. Mais oui. Le 16 mars, j’étais avec mes amis de la terre de la Porte d’Orléans à la Concorde, pour montrer que Paris pourrait être au moins pour un jour, et dans quelques rues, le domaine de ces instruments de transport à deux roues qui ne polluent pas. On a dit que j’étais, donc, un fantaisiste, je crois que les 20 livres que j’ai écrits, la diffusion qu’ils ont eue, ôtent beaucoup de poids à de tels arguments. Je me présente ici comme un candidat propre, à tous les sens du terme puisque nous sommes pour la propreté de l’air et de l’eau, et parce que tous les comptes d’élection seront présentés au public, seront officiels. Les uns comptent le coût de leur campagne en millions de francs lourds, nous allons les compter avec un tout petit nombre de millions de francs légers. Candidat propre qui respecte les murs, qui sait que le papier est rare, comme l’énergie, et qui, par conséquent, ne va pas couvrir nos murs d’affiches et vous ne verrez pas ma tête sur les murs de nos villes, d’abord parce que nous n’avons pas d’argent, ensuite parce que je n’ai pas envie de voir ma tête sur tous les murs de la ville. A quoi ça sert, quel argument ça apporte de montrer sa binette sur tous les murs de la ville ? C’est une grossière plaisanterie. Un candidat pauvre, je vous l’ai dit. C’est pour cela que nous sommes amarrés au port de l’Alma, à côté du Pont de l’Alma, sur un bateau-mouche qui a été gracieusement mis à notre disposition par un ami de l’environnement, qui s’inquiète notamment de voir Notre-Dame assaillie par les autos à cause d’un projet de voie expresse rive-gauche.
Nous serons les seuls à parler d’un projet global d’avenir, les seuls à regarder en face les menaces de notre expansion illimitée. Le pillage du Tiers-Monde amène un gaspillage inouï de nos matières premières. La France consommait 5 millions de tonnes de pétrole en 1939, la France consommait 120 millions de tonnes de pétrole en 1973. Une telle expansion illimitée ne peut pas se poursuivre. Ceux qui vous disent le contraire sont des inconscients ou des menteurs. Nous n’aurons plus les moyens d’acheter de telles quantités. Notre économie, que l’on dit de plus en plus indépendante depuis 30 ans, depuis 15 ans surtout, notre économie depuis 15 ans est de plus en plus dépendante. La France a perdu son indépendance économique puisque toute son économie dépend d’une forme d’énergie importée qui va devenir de plus en plus coûteuse. Ces matières premières que le Tiers-Monde nous fournissait presque gratuitement, c’était le pillage du Tiers-Monde, pillage de matières premières sous-payées, ce qui nous permettait de gaspiller ces matières premières d’une façon inconsidérée. Alors il va falloir cesser ces problèmes de pillage, cesser ces formes de gaspillage qui aboutissent à des choses invraisemblables. Aux Etats-Unis sont rejetés chaque année 48 milliards de boîtes de conserve vides, 65 milliards d’emballages en métal et en plastique, et il y a 9 ans, en 1965, le coût d’enlèvement de tous ces détritus s’élevait à 15 milliards de francs lourds. Notre population ne peut augmenter indéfiniment. Et vous savez ce qui va se passer ? Eh bien, nous allons bientôt manquer de l’eau, et c’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau précieuse puisque, avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera.
A lundi, je vous dis au revoir, et j’espère vous revoir pour vous expliquer notre projet global d’avenir. Merci mes amis.