Comment dire. je n’ai pas le sentiment d’être privé d’accès à la pensée des philosophes et universitaires, encore moins de ne pas avoir connaissance du genre de bouillie confusionniste que servent à l’envi les plus médiatiques d’entre eux.
Ellil est d’ailleurs des universitaires dont je tiens la pensée en très haute estime, et qui sont pour moi une véritable nourriture intellectuelle, je ne prétendrais pas le contraire. Mais ce ne sont pas les plus médiatiques, loin de là. Et entre se trouver de temps à autre exposé dans les médias mainstream - et faire preuve d’une véritable complaisance à leur endroit, voir plus - il me semble qu’il y a un gouffre.
Aucun des vivants cités ici ne me semble proposer quoi que ce soit de digeste et de suffisamment exigeant envers soi-même pour mériter qu’on s’y attarde. Et il me semble bien peu opportun de souhaiter leur redonner encore la parole dans un « débat », quand ils sont édités et squattent déjà les médias : y compris beaucoup de presse militante, en panne de production originale.
Il ne s’agit pas d’amalgamer. La rigueur comme la vigueur de la pensée d’un Vaneigem se sont tout de même sacrément émoussées depuis le bon vieux temps du Traité (je n’étais pas né alors), et le contenu le plus incisif de sa pensée du temps qu’il était situ, comme de celle des meilleurs de ses comparses, mérite sérieusement d’être réévaluée et critiquée.
Des questions comme « La gauche a-t-elle trahi le peuple ? », par exemple, me paraissent d’un inintérêt vertigineux, tant les termes en lesquels elles sont formulées sont creux et ne touchent pas terre. (je pense pour ma part que « le peuple » est une catégorie de la pensée tellement fourre-tout, qui recouvre tant de disparités et de vécus, qu’elle voue ceux qui y ont recours à être trahis ou à se trahir eux-mêmes, par exemple ; tout comme est voué à la même déception l’électeur. Et que la « gauche politique » recouvre trouve justement les hommes et femmes d’Etat et autres agents du Pouvoir qui se trouvent en charge desdites « trahisons ».
Que si l’on a l’ambition de faire avancer le schmilblick ne serait-ce que d’un angström, il faut partir du constat de ce que le terme « trahison » n’est en pareil domaine depuis longtemps plus approprié : ou qu’il est ici complètement dévoyé, son sens perverti lorsqu’on persiste à prétendre l’employer pour désigner quelque chose d’aussi prévisible et attendu que la déception des représentés. Si l’on veut exprimer réellement, honnêtement ce dont on prétend rendre compte, alors il faut recourir à d’autres termes.
Qu’inversement, si l’on tient à continuer à penser et poser les questions en termes de gauche, de peuple et de trahison, alors l’on signifie assez clairement que l’on se refuse à hisser sa pensée politique ne serait-ce qu’au seul ras des pâquerettes. Ce qui caractérise assez sûrement tout ceux qui plastronnent dans les médias et qui font profession d’alimenter régulièrement la production littéraire
Pis Simone Weil, je l’ai connu d’abord par la lecture d’un gars comme Boris Souvarine et des témoignages anarchistes sur la guerre d’Espagne. J’ai étoffé avec d’autres mauvais esprits assez peu mainstream, y compris un Bernanos, qui était un foutu catho, mais qui n’était pas tendre avec son propre camp. C’est un parcours qui en vaut d’autres, assurément, une telle personnalité pouvant s’aborder par bien des faces. Mais le problème est surtout de la compagnie dans laquelle on se trouve en le faisant. Il me semble que cela influence profondément la lecture que l’on va faire d’une oeuvre. Le « mode d’emploi » avec lequel on l’aborde n’est pas le même, pour dire les choses très grossièrement. On peut bien sur s’en affranchir, mais cela va demander ensuite beaucoup de temps.
Tenez, c’est le même problème avec un type aussi sympathique et épatant que le curé Meslier, que tant découvrent depuis quelques années sous la plume du triste hédoniste Onfray.
C’est l’époque et le reflux des luttes qui veulent ça, je ne jette la pierre à personne.
Mais cela n’est pas sans incidence.
Il ne s’agit pas tant de droite et de gauche que de compromission et de confusion dans leur pensée, de ce que l’on peut soi-même espérer en faire. Je causerais pas une seconde ni de Simone Weil ou de Vaneigem, ni même de la couleur de mes chaussettes ou de la froidure de la pluie avec des personnages aussi résolument antipathiques et complaisants avec ce que ce monde nous inflige que le sont des Michéa ou Julliard (bien qu’il y ait assurément matière à distinguer l’un de l’autre).
Et je ne recommanderais à personne de le faire !