Les #aires_d’accueil des #gens_du_voyage surexposées aux nuisances : « On mange de la poussière »
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#voyageur
Ces terrains, créés par les pouvoirs publics, sont très souvent situés dans des zones défavorisées et voisines de sources de pollution et autres nuisances environnementales, selon une étude. Une situation dénoncée par les premiers concernés.
Il n’y a pas grand monde sur l’aire d’accueil des gens du voyage d’#Aulnay-sous-Bois, en #Seine-Saint-Denis, en ce vendredi après-midi de septembre. Mais les quelques personnes qui vaquent autour de leurs #caravanes, alignées de part et d’autre d’une allée de bitume, se sentent cernées. Il y a le vrombissement des petits jets privés qui viennent de décoller de l’aéroport du Bourget, et, celui, plus lointain, des avions de ligne venus de Roissy - Charles-de-Gaulle.
Des palissades en bois et un haut talus n’atténuent qu’en partie le bruit de la circulation sur une quatre-voies très empruntée, à l’est, et sur l’autoroute Paris-Lille, qui passe en contrebas, au sud. Une haie d’arbres, à l’ouest, dissimule un site de production et de recyclage de matériaux du BTP, à l’arrêt à l’approche du week-end. « Souvent, cela fait un bruit de marteau-piqueur, et énormément de poussière », explique Marc Scheitz, 44 ans. Même sans cette dernière nuisance, la pollution est sensible : le visiteur d’un jour a rapidement les yeux qui piquent, la gorge irritée.
Marc Scheitz et sa famille vivent depuis dix-neuf ans sur cette aire, normalement destinée à l’accueil temporaire. Ce commerçant sur les marchés et jardinier tente de relativiser : « C’est moins pire qu’à notre arrivée : c’était un ancien dépôt d’ordures, que nous avons fini de nettoyer et dératisé, avant qu’on nous crée l’aire d’accueil. Et il y a pire ailleurs. » Il cite l’exemple de son frère, « sur une aire du 77 [Seine-et-Marne], près d’une déchetterie », et celui de son oncle, Emile Scheitz. Ce retraité décrit, au téléphone, l’aire de Tremblay-en-France, située sous une ligne à haute tension, à moins de 150 mètres des pistes de l’aéroport de Roissy : « C’est très, très bruyant, jour et nuit. Tout tremble quand les moteurs des avions chauffent. Selon le vent, ça sent le kérosène, qui fait des traces sur les carreaux, et les fumées du crématorium voisin. »
Une étude statistique, publiée fin août dans la revue #Nature_Cities, montre que « les gens du voyage font face, en France, à une discrimination environnementale systémique », résume l’un de ses quatre coauteurs, #Philippe_Delacote, économiste à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. Les aires d’accueil, dont l’emplacement est déterminé par les pouvoirs publics, ont tendance à se situer sur des communes présentant davantage de nuisances environnementales que les communes sans aires d’accueil, et où la valeur locative des logements est moins élevée.
Au sein des #communes, ces aires se trouvent dans des zones défavorisées (revenus plus faibles, plus de logements sociaux…). Et ceux qui vivent sur ces aires ont une probabilité bien plus importante, par rapport aux habitants d’autres #zones_défavorisées comparables, d’être à proximité de sources de #nuisances_environnementales : le #risque d’être à moins de 300 mètres d’une #déchetterie se trouve #multiplié_par_trois, celui d’être à moins de 100 mètres d’une #station_d’épuration ou d’une #autoroute est multiplié par deux, ceux d’être à proximité d’un site pollué ou d’une usine classée Seveso (présentant un risque industriel) sont respectivement augmentés de 30 % et de 40 %.
Comment l’expliquer ? « Il peut s’agir de rationalité économique – on choisit les lieux les moins coûteux à mobiliser – et/ou de racisme environnemental : l’#antitsiganisme est répandu en France, et les décideurs peuvent vouloir éviter les plaintes des autres habitants. Ces deux mécanismes relèvent de logiques différentes, mais convergentes », avance Philippe Delacote.
Ces travaux prolongent ceux réalisés par le juriste #William_Acker à partir de relevés sur Google Maps, pour son livre Où sont les « gens du voyage ? » Inventaire critique des aires d’accueil (#Editions_du_commun), qui avait connu un certain écho en 2021. La même année, un rapport de la #Défenseure_des_droits alertait sur les « #discriminations_systémiques » contre des gens du voyage. Peu d’améliorations ont été obtenues depuis : « L’Etat réserve désormais ses subventions aux projets d’aires d’accueil respectant différents critères, y compris environnementaux. Mais on ne revient pas sur l’existant, déplore William Acker. La seule exception que je connaisse est l’aire d’accueil à proximité de l’usine chimique #Lubrizol, à Rouen, dont les habitants commencent tout juste à être relogés, six ans après l’incendie sur ce site classé #Seveso ! »
« Bronchites chroniques »
Sur l’aire d’Aulnay-sous-Bois, il faut parfois s’enfermer dans les caravanes, tant l’air est saturé de particules. « On mange de la poussière, même si on nettoie beaucoup. On a des infections des yeux, des bronchites chroniques, mal à la tête », explique Denise Lagréné, 71 ans. Son fils, Max, poursuit : « Mon fils a commencé à faire de l’asthme quand il avait quelques mois. Le médecin a dit que c’était à cause de la pollution, qu’il valait mieux partir. » Ils ont passé sept années près de Fontainebleau (Seine-et-Marne) avant de revenir ici, auprès du reste de la famille. « Mon fils n’a plus d’asthme, mais ma compagne est devenue allergique. A force, elle ne supporte pas bien son traitement. On est partis en Vendée cet été : en trois jours, elle allait mieux. »
Un médecin achève ses visites sur l’aire. Il préfère taire son nom. Désormais installé à Paris, il continue à venir ici de temps en temps, « parce que personne ne veut se déplacer pour les gens du voyage ». Dans quelle mesure ces patients sont-ils malades de la pollution ? « Je n’ai pas les outils pour le dire. Mais on sait qu’elle exacerbe les allergies préexistantes, et qu’elle joue un rôle dans les problèmes cardiaques et pulmonaires que je constate. »
Les habitants subissent une double assignation à résidence. Malgré leurs demandes auprès de l’intercommunalité, l’unique voie de sortie de l’aire, la route à quatre voies, n’a ni trottoir, ni passage clouté, ni éclairage public. L’oncle de l’épouse de Marc Scheitz y a trouvé la mort en mars 2023, fauché par une voiture en tentant de traverser. Depuis, les habitants s’interdisent toute sortie à pied. « On fait des allers-retours sur l’aire pour se promener », relate Isabelle (le prénom a été modifié), 39 ans.
Vivre ailleurs apparaît hors de portée. Isabelle, inquiète pour son aîné « qui perd ses cheveux et fait des œdèmes, sans qu’on puisse l’expliquer », rêve d’habitat adapté, c’est-à-dire d’un logement social doté d’un emplacement pour caravane, « car cela fait partie de nous, de voyager l’été ». Or ce type de HLM reste rarissime, tout comme les terrains familiaux, où les gens du voyage peuvent s’installer durablement. Vivre en caravane sur une parcelle privée est de moins en moins toléré. Les aires d’accueil sont saturées : elles totalisent 26 300 places, loin des 43 000 initialement prévues (l’objectif a été réduit depuis), car bon nombre de communes de plus de 5 000 habitants s’affranchissent de l’obligation, fixée par la loi relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage de 2000, de créer ou de cofinancer une aire. S’installer en dehors des terrains prévus est passible d’amende.
« Ils savent qu’on n’a pas le choix »
Sur l’aire d’Aulnay-sous-Bois, chaque emplacement coûte 3,50 euros par jour, et les factures hebdomadaires d’eau et d’électricité atteignent souvent 50 euros. « C’est nous qui coupons l’herbe et nettoyons l’aire, parce qu’ils n’envoient personne. Si on dit qu’on paie trop cher, on nous dit “allez-vous en”, regrette Isabelle. Ils savent qu’on n’a pas le choix. »
« Le manque de terrains fait qu’on se sent presque chanceux », déplore aussi Emile Scheitz. L’aire de #Tremblay-en-France, trop proche des pistes de #Roissy, devait être provisoire. Une soixantaine de personnes s’y serrent depuis vingt ans. « J’ai monté un dossier pour porter plainte, pour mise en danger de nos vies. Mais les autres familles ont la crainte d’être expulsées si j’en fais trop. » L’intercommunalité Paris Terres d’envol, dont dépendent cette aire et celle d’Aulnay-sous-Bois, n’a pas donné suite à nos demandes réitérées d’entretien.
Dans la Métropole européenne de Lille, des habitantes sont mobilisées depuis 2013 et la création d’une usine de concassage derrière leur aire d’accueil d’#Hellemmes-Ronchin, qui jouxtait déjà une fabrique de ciment. Elles s’apprêtent à sortir un nouveau film, après Nos poumons c’est du béton, réalisé en 2016 pour témoigner de leurs conditions de vie. « Si vous laissez un verre dehors, l’eau devient grise en dix minutes, dénonce Sue-Ellen Demestre, 38 ans, porte-parole de leur association, Da So Vas. Des bébés sont hospitalisés pour des bronchiolites, sept enfants sur dix font de l’asthme. On a recensé dix cancers, dont trois décès. Il y a des maladies que les médecins ne comprennent pas. Ma mère est morte il y a sept mois d’une maladie auto-immune [dont la pollution renforce l’incidence]. Mon père vient de passer un mois à l’hôpital, sous respirateur. »
En juin, l’association a lancé une pétition, qui a recueilli plus de 15 000 signatures, pour demander au préfet un « refuge climatique » pour l’été, où le beau temps redouble les retombées de poussière. Faute de réponse, une partie des familles ont investi successivement deux terrains, en juillet, obtenant finalement d’y rester jusqu’à fin septembre.
Une solution pérenne aurait dû être apportée au plus tard cette année, selon le schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage. Mais aucune n’a encore été trouvée, reconnaît Patrick Delebarre, maire (sans étiquette) de Bondues (Nord) et référent de la Métropole européenne de Lille pour les gens du voyage. « La #pression_foncière et sociale dans une métropole rend les choses plus compliquées, dit-il. En attendant, compte tenu de la situation de l’aire, nous allons limiter le coût des charges pour ceux qui y vivent. »
















