• IA génératives et éducation - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2025/07/15/ia-generatives-et-education/?loggedin=true

    Ainsi si le débat public a besoin d’une alerte, ce n’est pas celle sur les risques des IAG sur le développement cognitif, mais sur le fait que la production de preuves scientifiques ne suffira pas à encadrer les usages sociaux des IAG dans l’enseignement. Aucun calcul coûts/bénéfices ne sera satisfaisant pour encadrer ces machines.

    De fait, nous n’en sommes pas encore là. Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est surtout une polarisation croissante autour de deux postures. D’un côté, les enthousiastes de l’IA générative, à l’image d’Ethan Mollick[2], compilent les études montrant les bénéfices cognitifs et pédagogiques pour plaider en faveur d’une intégration massive de ces outils. De l’autre, les critiques radicaux, dans la lignée de Nicholas Carr[3] ou de Bernard Stiegler — désormais relayés par Anne Alombert — sélectionnent les énoncés les plus alarmistes pour cadrer le débat sous l’angle d’une « bêtise artificielle ». Cette polarisation révèle une instrumentalisation symétrique de la recherche : chaque camp puise dans le corpus scientifique les éléments qui confortent ses convictions préalables, transformant la complexité des résultats en arguments d’autorité simplifiés. Ainsi ceux qui invoquent les « preuves scientifiques » font autant de politique que les autres !

    Mais alors comment organiser concrètement une délibération démocratique sur l’usage des IA génératives dans l’enseignement ? Deux conditions me semblent essentielles : d’une part, expliciter les valeurs qui orientent les expérimentations actuelles ; d’autre part, diversifier les formes de savoirs mobilisées dans le débat.

    Expliciter les valeurs consiste à identifier les présupposés qui sous-tendent les expérimentations en cours. Derrière ces questions apparemment techniques se cachent des choix de valeurs : privilégie-t-on l’optimisation du rendement cognitif ou valorise-t-on la difficulté intellectuelle comme formatrice ? Présuppose-t-on qu’il faut adapter l’enseignement aux besoins individuels ou maintenir un socle de savoirs partagés ? Conçoit-on l’égalité comme une facilitation de l’accès au savoir ou comme le maintien d’un niveau d’exigence élevé ? L’école doit-elle s’adapter aux outils du futur ou transmettre un héritage culturel ? Il ne s’agirait pas de remettre en question la valeur de ces études, mais de considérer qu’on en fera un usage d’autant plus scientifique qu’on sera capable de les situer. C’est ici que la notion de « bonne gouvernance des preuves » développée par Parkhurst trouve toute sa pertinence. Elle implique de reconnaître que l’utilisation rigoureuse des données scientifiques ne consiste pas à les laisser « parler d’elles-mêmes », mais à expliciter les choix normatifs qui orientent leur interprétation : Quelles compétences valoriser ? Quel rapport au savoir promouvoir ? Quelle conception de l’autonomie intellectuelle défendre ? Une délibération démocratique éclairée pourrait alors s’organiser autour de ces dernières questions, en s’appuyant sur les travaux scientifiques sans s’y soumettre.

    La deuxième condition implique de débattre des IAG dans l’éducation en composant avec une pluralité de formes de savoirs et d’expertises. Après tout, nous ne sommes pas seulement des cerveaux derrière des écrans, mais aussi des individus sociaux dont les apprentissages s’inscrivent dans des contextes institutionnels. Par-delà la question des « impacts » et des effets cognitifs, d’autres questions empiriques, plus proche de la sociologie et de l’ethnographie des usages, peuvent enrichir le débat d’une autre manière : comment les élèves utilisent-ils concrètement ces outils ? Comment se distribuent les usages des IAG dans l’éducation, et sous quelle forme, selon les milieux sociaux ? Quelle mutation profonde est à l’œuvre ? Autant de questions qui permettent de dépasser le paradigme du risque pour mettre en avant un débat anthropologique : si ces machines transforment nos cerveaux, alors quel type d’humanité voulons-nous construire en leur compagnonnage ? Cette conversation politique exige que nous assumions nos choix éducatifs comme des choix politiques, et non des politiques fondées sur des preuves de tel ou tel risque ou bénéfice cognitif.

    Toute décision politique sur la place de ces outils doit donc assumer une certaine conflictualité. Elle doit être capable de composer avec l’incertitude, de reconnaître les dilemmes de valeur, et d’ouvrir un espace de délibération sur les finalités éducatives en lien avec ces machines à écrire et à connaître. En somme, il ne s’agit pas simplement de mesurer les effets des IAG, mais de débattre du monde que leur intégration contribue à configurer, pour paraphraser Hannah Arendt[4].

    Bilel Benbouzid

    Sociologue, Maître de conférences à l’Université Gustave Eiffel et chercheur au Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (LISIS)

    #Intelligence_artificielle #Education #Apprentissage #Décision #Politique Bilel_Benbouzid

    • Comment accepter le risque sans se précipiter vers le danger, comprendre le monde sans être paralysé par le savoir, naviguer dans l’incertain sans s’aveugler de chimères ?

      Avec Catherine Van Offelen, essayiste

      « Celui qui attend que tout danger soit écarté pour mettre les voiles ne prendra jamais la mer », disait Thomas Fuller il y a presque quatre siècles, sans doute avec juste raison. Mais nous n’en sommes plus là : au terme d’une longue histoire, nous sommes devenus hypersensibles aux risques, voire quasiment allergiques.

      La notion de risque présuppose d’avoir identifié la probabilité de dommages par essence négatifs. Elle est apparue dans l’esprit collectif lors de l’émergence de la société industrielle. La loi de 1898 qui instaurait la « responsabilité sans faute » à propos des accidents du travail a en quelque sorte officialisé l’entrée de notre monde dans l’ère du risque. Mais depuis lors, la sensibilité aux risques a éminemment varié, au point de s’inverser : longtemps perçu comme le prix à payer pour faire advenir le mieux, il est finalement devenu le symptôme d’un dérèglement général à corriger, voire comme l’annonce tangible des apocalypses futures.

    • #éthique #virtù #phronesis (en EN. ’practical wisdom’)

      https://plato.stanford.edu/entries/ethics-virtue/#PracWisd

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      https://fr.wikipedia.org/wiki/Phronesis

      [...]

      La définition aristotélicienne rattachée à l’éthique est celle-ci [7] : « La phronésis est une disposition pratique, une manière d’être habituelle (en grec : ἕξις πρακτική / héxis praktikḗ), accompagnée de règle vraie (orthos logos), capable d’agir dans la sphère de ce qui est bon ou mauvais pour l’être humain »[8]. Ramenée à sa signification courante, c’est-à-dire au sens que ce mot avait avant Platon, elle devient « la pénétration éthique », élément parmi beaucoup d’autres dans l’analyse du caractère moral[5]. Aristote prive donc ce mot de toute la signification théorique qu’il avait chez Platon, et distingue son domaine de celui de la σοφία / sophía et du νοῦς / noûs[9]. En abandonnant la théorie des Idées, Aristote distingua nettement la #métaphysique et l’ éthique, parce qu’il découvrit les racines psychologiques de l’action et de l’évaluation morale dans le caractère (ἦθος / êthos). Le résultat a été la distinction féconde entre raison théorique et raison pratique, restées liées et confondues dans la phronésis selon Platon [6].

      La φρόνησις / phrónēsis selon Aristote est donc la vertu (arété) de la faculté d’opiner de l’âme, qui se distingue de la faculté de raison[10]. Ceci parce que la faculté d’opiner, comme la prudence, a rapport au contingent, c’est-à-dire à la sphère des actions humaines, et non au nécessaire ou à l’universel. Il ne s’agit pas de spéculation mais de délibération de l’eudémonisme pour le choix de ce qui est moralement désirable et de la saisie prudente de son propre avantage. Cette phronésis est une « vertu pratique », c’est-à-dire qui a rapport à la praxis, à l’action, par opposition à la poïesis (fabrication), c’est-à-dire aux arts ou à la production technique (technè).

      [...]

  • #algorithms are breaking how we think
    https://www.youtube.com/watch?v=QEJpZjg8GuA

    Ce podcast explore le concept de la "complaisance algorithmique", défini par l’orateur comme une tendance croissante à laisser les algorithmes des plateformes numériques, en particulier les réseaux sociaux et les moteurs de recherche, déterminer ce que les utilisateurs voient et consomment en ligne, au détriment de leur propre curiosité, de leur pensée critique et de leur capacité à rechercher activement l’information. L’orateur introduit le sujet en démontrant la facilité avec laquelle on peut trouver des informations détaillées sur un objet ancien (une radio vintage) en utilisant des techniques de recherche en ligne basiques et l’observation attentive. Il utilise cet exemple pour contraster avec ce qu’il perçoit comme une perte de cette capacité et de cette volonté chez de nombreux (...)

    #decisionmaking #choice #attention #focus #intention #cognition #algorithmiccomplacency #automation #agency #delegation #rant #control #recommendation #curation #curiosity #imagination #relationship #socialmedia #contextcollapse #context #conversation #respect #polarization #introspection #thinking #criticalthinking #ACS #influence #artificialintelligence #bestof

  • Le #masculin l’a-t-il toujours emporté sur le #féminin ?

    La #règle de #grammaire « le masculin l’emporte sur le féminin » ne date que du 17ème siècle. Difficile à croire, et pourtant. Avant cette époque, on utilisait les #accords_de_proximité et de majorité, et les noms de #métiers exercés par des femmes étaient tous féminisés. On parlait de poétesse ou encore de peintresse.

    La langue française avant le 17ème siècle

    Des documents datant du 13ème siècle, prouvent que des femmes travaillaient hors du foyer depuis longtemps et que leurs métiers étaient nommés au féminin. Cette découverte m’a beaucoup surprise, croyant que les femmes avaient toujours souffert de la domination masculine dans la #langue_française.

    Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le masculin ne l’a donc pas toujours emporté. Cela ne signifie pas pour autant que les femmes étaient traitées de manière égale aux hommes. Sous #Napoléon, les femmes étaient tenues de prendre le nom et le prénom de leur mari. Par exemple, on disait « madame Pierre Dufour ». Avec une telle appellation, on peut se demander, comment une femme existe-t-elle par et pour elle-même ?

    Comment s’est imposée la règle du « masculin l’emporte sur le féminin » ?

    Au 17ème siècle et plus particulièrement en 1635, la langue française atteint un statut de prestige, notamment avec la création de la fameuse #Académie_française. À cette époque, c’est #Richelieu qui est chargé de mettre en place cette institution de #régulation de la langue. L’assemblée de l’Académie française, composée d’hommes nobles ayant servi le royaume, décide que le masculin doit l’emporter sur le féminin dans la langue, puisque l’homme est plus noble que la femme : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » (Beauzée, Grammaire générale, 1767).

    À l’époque, il s’agit d’une #décision_politique visant à invisibiliser les femmes de pouvoir. Le refus de voir les femmes agir sur le même terrain qu’eux, les amène à masculiniser la langue et notamment les noms de métier : « Il faut dire cette femme est poète, est philosophe, est médecin, est auteur, est peintre ; et non poétesse, philosophesse, médecine, autrice, peintresse, etc. », écrit Andry de Boisregard (Réflexions sur l’usage présent de la langue françoise, 1689).

    C’est seulement plus tard qu’on tente d’expliquer cette règle, en disant que le masculin générique fait le neutre.

    Les conséquences néfastes de la masculinisation de la langue française

    Le problème réside dans le fait que, en n’incluant pas les femmes dans la langue, nous les rendons invisibles. Notre cerveau associe le masculin générique à des #représentations masculines. Son utilisation influence donc nos représentations mentales, et participe par conséquent à invisibiliser les femmes dans la langue et dans la société.

    Grammaticalement, cette règle est inutile et cause des dommages. « Cette règle incrustée dans la tête des enfants y installe un message politique sans doute tout aussi nocif que les #stéréotypes de sexe », écrit Eliane Viennot.

    Comment s’exprimaient les gens avant d’utiliser le #masculin_générique ?

    Avant l’utilisation du masculin générique soit du « masculin qui l’emporte », on féminisait les noms de métiers, et on adoptait l’accord de majorité et celui de proximité.

    L’accord de majorité se réfère à l’accord grammatical basé sur le genre qui était le plus représenté. Exemple d’accord de majorité : s’il y avait 10 femmes et 2 hommes dans un groupe, on pouvait aisément dire « Elles étaient présentes ».

    L’accord de proximité signifie que l’on accordait avec le substantif le plus proche. La règle d’accord en genre et en nombre avec le substantif le plus proche (règle de proximité), était utilisée par tout le monde jusqu’au 17ème siècle et restait en usage courant jusqu’à la Révolution. Exemple d’accord de proximité : « Le client et la cliente présente » ou encore « Les hommes et les femmes intelligentes ».

    Qui régule la langue aujourd’hui ?

    On peut se demander si en réadoptant ces accords ou en féminisant des noms de métiers, nous ne risquerions pas de faire des erreurs, d’autant plus que notre correcteur automatique nous reprend systématiquement. La question à se poser est donc la suivante : qui régule la langue ? Les dictionnaires ont-ils un rôle de régulation de la langue ? Est-ce l’Académie française ou alors, est-ce l’usage ? Eh bien, c’est l’usage qui régule la langue. Nous avons donc toutes et tous le pouvoir de faire évoluer la langue française, pour la rendre, ainsi que la société, plus juste et équitable.
    Conclusion

    Le langage inclusif n’est pas une nouvelle lubie féministe. Avant le 17ème siècle, il se pratiquait naturellement. Aujourd’hui, la langue inclusive se soucie de contourner la règle injuste du masculin qui l’emporte pour promouvoir la justice et d’égalité. Alors, pour celles et ceux pour qui le langage inclusif résonne, sachez qu’en l’utilisant, vous participez grandement à faire évoluer les mœurs.

    https://jeannesorin.com/le-masculin-lemporte-t-il-sur-le-feminin-depuis-toujours
    #français #langue #égalité #accord_de_majorité #accord_de_proximité #histoire #féminisation #masculinisation #invisibilisation #historicisation

  • La responsabilità dell’Australia per la detenzione arbitraria sull’isola di #Nauru

    Con due accordi firmati oltre dieci anni fa con la Repubblica di Nauru, Canberra -spesso presa a “modello” dai governi europei- ha stabilito che le domande di asilo presentate nel suo territorio debbano essere esaminate offshore sull’isola, trasferendo forzatamente le persone. Un modo per aggirare i propri obblighi internazionali che è stato sanzionato dal Comitato per i diritti umani delle Nazioni Unite. Ecco perché.

    Con due decisioni di portata storica, il Comitato per i diritti umani delle Nazioni Unite ha decretato la responsabilità dell’Australia per la detenzione arbitraria di richiedenti asilo trasferiti o reindirizzati verso i centri di detenzione offshore situati nella Repubblica di Nauru. Attraverso la sottoscrizione di due memorandum d’intesa con Nauru nel 2012 e nel 2013, l’Australia ha stabilito che le richieste di asilo presentate nel suo territorio vengano esaminate offshore su quest’isola, trasferendo forzatamente le persone migranti nel piccolo Stato insulare del Pacifico.

    Il 9 gennaio 2025, il Comitato delle Nazioni Unite ha deliberato su due casi riguardanti rifugiati e richiedenti asilo sottoposti a detenzioni prolungate e arbitrarie proprio presso il Centro di elaborazione regionale di Nauru. “Uno Stato non può sottrarsi alle proprie responsabilità in materia di diritti umani delegando l’elaborazione delle richieste d’asilo ad un altro Paese”, ha dichiarato Mahjoub El Haiba, membro del Comitato, aggiungendo: “quando un Paese esercita un controllo effettivo su un’area, i suoi obblighi secondo il diritto internazionale rimangono saldi”.

    Il primo caso esaminato dalle Nazioni Unite riguarda 24 minori non accompagnati provenienti da Iraq, Iran, Afghanistan, Pakistan, Sri Lanka e Myanmar, tutti intercettati in mare dalle forze di polizie australiane mentre fuggivano dalle persecuzioni nei loro Paesi d’origine. I minori erano diretti in Australia: tra il 2013 e il 2014, sono stati portati sull’Isola di Natale, piccolo territorio australiano nell’Oceano Indiano, e trattenuti in detenzione obbligatoria per periodi compresi tra i due e i 12 mesi.

    Nel 2014 sono poi stati trasferiti a Nauru e trattenuti nel sovraffollato Centro di elaborazione regionale, caratterizzato da carenza di acqua potabile e servizi igienici, alte temperature e umidità e da cure mediche inadeguate. Secondo quanto esaminato dal Comitato, quasi tutti i minorenni hanno sofferto un deterioramento della loro salute fisica e mentale, manifestando autolesionismo, depressione, problemi renali, insonnia, mal di testa, problemi di memoria e perdita di peso. Nonostante quasi tutti avessero ottenuto lo status di rifugiati intorno a settembre 2014, sono però rimasti detenuti a Nauru.

    Nel secondo caso, una richiedente asilo iraniana è arrivata in barca sull’Isola di Natale nell’agosto 2013 con il marito, il patrigno, la sorellastra e un cugino maschio: nessuno di loro aveva un visto valido. Sette mesi dopo, la donna è stata trasferita a Nauru e trattenuta nel Centro di elaborazione regionale. Le autorità nauruane le hanno riconosciuto lo status di rifugiata nell’aprile 2017, ma non è stata rilasciata nell’immediato. Tredici mesi dopo il riconoscimento del suo status, è stata trasferita in un’area di supporto -sempre a Nauru- per ricevere assistenza sanitaria. Solo nel novembre 2018 è stata trasferita nella terraferma australiana per motivi medici, ma è comunque rimasta detenuta in varie strutture.

    In entrambi i casi, le vittime hanno presentato reclami al Comitato per i diritti umani, sostenendo che l’Australia aveva violato i suoi obblighi ai sensi del Patto internazionale sui diritti civili e politici (Iccpr), in particolare l’articolo 9, relativo alla detenzione arbitraria. L’Australia ha respinto le accuse sostenendo che non vi fossero prove sufficienti a dimostrare che le presunte violazioni avvenute a Nauru rientrassero nella sua giurisdizione.

    Tuttavia il Comitato ha fatto notare che, secondo fonti pubbliche e ufficiali, l’Australia ha pianificato la costruzione e l’istituzione del Centro di elaborazione regionale a Nauru, contribuendo direttamente alla sua gestione attraverso finanziamenti, contratti con enti privati e altri soggetti responsabili direttamente nei suoi confronti. Secondo i funzionari delle Nazioni Unite, “l’Australia ha un controllo e un’influenza significativi sul Centro di elaborazione regionale a Nauru e, pertanto, riteniamo che i richiedenti asilo coinvolti in questi casi siano sotto la giurisdizione dello Stato parte ai sensi dell’Iccpr”, ha specificato El Haiba.

    Nel dettaglio, per quanto riguarda il caso dei 24 minori non accompagnati, il Comitato ha riscontrato che l’Australia non ha giustificato in maniera adeguata perché questi minori non potessero essere trasferiti in centri di detenzione comunitari sulla terraferma, più adatti alle esigenze specifiche di individui vulnerabili. Il Comitato ha quindi concluso che l’Australia ha violato l’articolo 9 dell’Iccpr, che garantisce il diritto di essere liberi dalla detenzione arbitraria. Inoltre, poiché i minori non avevano un canale efficace per contestare la legalità della loro detenzione davanti ai tribunali nazionali, il Comitato ha riscontrato anche una violazione relativa al diritto delle persone private della libertà di portare le proprie richieste in tribunale.

    Nel caso invece della rifugiata iraniana, il Comitato ha osservato che l’Australia non ha dimostrato su base individuale che la detenzione prolungata e indefinita della vittima fosse giustificata, violando anche in questo caso l’articolo 9 dell’Iccpr. “Le nostre conclusioni inviano un chiaro messaggio a tutti gli Stati: dove c’è potere o controllo effettivo, c’è responsabilità. L’esternalizzazione delle operazioni non esime gli Stati dai propri doveri. I centri di detenzione in non sono zone franche per i diritti umani dello Stato parte, che rimane vincolato dalle disposizioni del Patto”, è il commento di El Haiba.

    L’Iccpr, infatti, è stato ratificato da 174 Paesi, Australia inclusa. Su tali basi, il Comitato ha invitato l’Australia a fornire un risarcimento adeguato alle vittime e ad adottare misure per garantire che violazioni simili non si ripetano. In particolare, ha sollecitato una revisione della legislazione migratoria e degli accordi bilaterali di trasferimento per allinearli agli standard internazionali sui diritti umani.

    https://altreconomia.it/la-responsabilita-dellaustralia-per-la-detenzione-arbitraria-sullisola-
    #Australie #externalisation #modèle_australien #asile #migrations #réfugiés #détention_arbitraire #responsabilité #ONU #Comité_des_droits_de_l'Homme

    • Australia responsible for arbitrary detention of asylum seekers in offshore facilities, UN Human Rights Committee finds

      In two landmark decisions, the UN Human Rights Committee has ruled that Australia remained responsible for the arbitrary detention of asylum seekers redirected or transferred to offshore detention facilities in the Republic of Nauru.

      The Committee published its Decisions today about two cases involving refugees and asylum seekers who have endured prolonged and arbitrary detention in the Regional Processing Centre in Nauru. Australia signed Memoranda of Understanding with Nauru in 2012 and 2013, allowing Australia to forcibly redirect and transfer asylum seekers to the Pacific Island nation for processing.

      “A State party cannot escape its human rights responsibility when outsourcing asylum processing to another State,” said Committee member Mahjoub El Haiba, adding that, “Where a State exercises effective control over an area, its obligations under international law remain firmly in place and cannot be transferred.”

      In the first case, 24 unaccompanied minors from Iraq, Iran, Afghanistan, Pakistan, Sri Lanka and Myanmar were intercepted at sea by Australia while fleeing persecution in their home countries and enroute to Australia. They were first brought to Christmas Island, an Australian territory in the Indian Ocean, between 2013 and 2014 and placed in mandatory immigration detention for between 2 and 12 months.

      They were then transferred to Nauru in 2014 and detained at the overcrowded Regional Processing Centre with insufficient water supply and sanitation, high temperatures and humidity, as well as inadequate healthcare. Almost all of these minors have suffered from deterioration of physical and mental well-being, including self-harm, depression, kidney problems, insomnia, headaches, memory problems and weight loss.

      Despite all but one of these minors being granted refugee status around September 2014, they remained detained in Nauru.

      In the second case, an Iranian asylum seeker arrived by boat on Christmas Island with her husband, stepfather, stepsister, and male cousin without valid visas in August 2013. Seven months later, she was transferred to Nauru and detained at the Regional Processing Centre. She was recognised as a refugee by the authorities in Nauru in April 2017 but was not released immediately. Thirteen months after the granting of her refugee status, she was moved to a Support Accommodation Area in Nauru for healthcare services. She was subsequently transferred to mainland Australia in November 2018 for medical reasons but was still detained in various facilities.

      Victims from both cases filed complaints to the Human Rights Committee, claiming Australia had violated its obligations under the International Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR), particularly Article 9 regarding arbitrary detention.

      Australia opposed the allegations, stating there was no prima facie substantiation that the alleged violations in Nauru had occurred within Australia’s jurisdiction.

      The Committee, however, observed that pursuant to various public and official sources, Australia had arranged for the construction and establishment of the Regional Processing Centre in Nauru and directly contributed to its operation through financing, contracting with private and other entities which were accountable to Australia, and management.

      The Committee recalled its earlier jurisprudence and its General Comment No. 31, which defines the principle of “power or effective control” when establishing the exercise of jurisdiction.

      “It was established that Australia had significant control and influence over the regional processing facility in Nauru, and thus, we consider that the asylum seekers in those cases were within the State party’s jurisdiction under the ICCPR,” said El Haiba.

      In the first case regarding 24 unaccompanied minors, the Committee found that Australia failed to justify why they could not have been transferred to community detention centres on the mainland, which are more tailored to meet the specific needs of vulnerable individuals. The Committee thus concluded that Australia had violated Article 9 (1) of the ICCPR, which guarantees the right to be free from arbitrary detention. In addition, given that the minors did not have an effective channel to challenge the legality of their detention before domestic courts, the Committee also found that Australia had violated article 9 (4) of ICCPR regarding the right of people deprived of liberty to bring their claims to court.

      In the case concerning the Iranian refugee, the Committee observed that Australia had not demonstrated on an individual basis that the victim’s prolonged and indefinite detention was justified. The Committee thus found that Australia had violated Article 9(1).

      “These decisions send a clear message to all States: Where there is power or effective control, there is responsibility. The outsourcing of operations does not absolve States of accountability. Offshore detention facilities are not human-rights free zones for the State party, which remains bound by the provisions of the Covenant,” said El Haiba.

      The Committee called on Australia to provide adequate compensation to the victims and take steps to ensure that similar violations do not recur. Specifically, it urged a review of migration legislation and bilateral transfer agreements to align with international human rights standards.

      https://www.ohchr.org/en/press-releases/2025/01/australia-responsible-arbitrary-detention-asylum-seekers-offshore-facilities
      #décision

  • Instaurer un droit des salariés d’avoir leur « mot à dire » sur leur travail
    https://laviedesidees.fr/Instaurer-un-droit-des-salaries-d-avoir-leur-mot-a-dire-sur-leur-trava

    Les équipes de travail doivent bénéficier d’une demi-journée par mois sur le temps de travail pour se réunir et discuter, entre collègues et avec le délégué au travail réel, de la façon dont elles pourraient mieux travailler.

    #environnement #participation #décision #No_home #dialogue_professionnel #santé_au_travail

  • Enhanced rationality in autism spectrum disorder

    Challenges in social cognition and communication are core characteristics of autism spectrum disorder (ASD), but in some domains, individuals with ASD may display typical abilities and even outperform their neurotypical counterparts. These enhanced abilities are notable in the domains of reasoning, judgment and #decision-making, in which individuals with ASD often show ‘enhanced rationality’ by exhibiting more rational and bias-free decision-making than do neurotypical individuals. We review evidence for enhanced rationality in ASD, how it relates to theoretical frameworks of information processing in ASD, its implications for basic research about human irrationality, and what it may mean for the ASD community.

    https://www.cell.com/trends/cognitive-sciences/fulltext/S1364-6613(21)00125-X

    #rationalité #autisme #neuroatypie #raisonnement #jugement #prise_de_décision
    via @freakonometrics

    • je pense quand même qu’il y a un soucis (le protocole n’est pas clairement expliqué) : les autistes ont du mal à extraire l’information importante, et sont facilement distraits par du « bruit ambiant »... Prendre des décisions dans une « expé » devant un ordinateur qui pose des questions, c’est facile. En conditions réelles, c’est bien plus dur. Pour ma part, je magasine presque exclusivement en ligne à cause de ça : j’ai beaucoup de mal à analyser le « bruit » des vendeurs, qui me noient sous de l’information que je ne veux pas, et qui me font prendre des décisions non-rationnelles. Je pense que le marketing a des effets désastreux sur les TSA (ASD) précisément parce que ce bruit (intentionnel des vendeurs) les empêche d’agir de manière rationnelle (encore plus qu’une personne neurotypique).

  • Comment peut-on être un vampire ?
    https://laviedesidees.fr/Laurie-Paul-Ces-experiences-qui-nous-transforment

    Nous ne savons pas s’il est bien d’être un vampire. Il faudrait, pour s’en convaincre, rencontrer d’anciens humains devenus vampires qui nous expliqueraient les avantages de leur nouvelle vie. Mais les croirait-on pour autant ?

    #Philosophie #décision #expérience
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20240708_vampire.pdf

  • A la frontière franco-italienne, des refoulements « illégaux » de migrants, dénonce la Défenseure des droits

    Dans une décision-cadre inédite, au terme de deux ans d’instruction, la Défenseure des droits dénonce des violations « systématiques » des droits des personnes par les autorités françaises, en particulier des demandeurs d’asile et des mineurs isolés. Des #privations_de_liberté « arbitraires » et « indignes » sont aussi épinglées.

    C’est une décision inédite de la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui est rendue publique jeudi 25 avril. Pour la première fois, cette autorité administrative indépendante s’est penchée avec exhaustivité sur les pratiques de la France à sa frontière avec l’Italie. Depuis 2015, des contrôles y ont été rétablis, qui contreviennent au principe de libre circulation des personnes dans l’espace Schengen, mais qui sont sans cesse justifiés auprès de la Commission européenne par la menace terroriste et les flux migratoires irréguliers en Europe.

    Pendant près de deux ans, la Défenseure a enquêté sur la façon dont ces contrôles aux frontières intérieures de l’Union européenne (UE) sont réalisés, en se rendant notamment aux postes de police de Menton (Alpes-Maritimes) et de Montgenèvre (Hautes-Alpes), en épluchant les registres des services, en visitant les locaux dans lesquels les personnes sont retenues, en interrogeant les préfectures et les forces de l’ordre. Ses conclusions sont cinglantes : « Les droits des personnes migrantes font l’objet de violations massives », soulignent les équipes de Mme Hédon auprès du Monde.

    En 2023, plus de trente mille refus d’entrée ont été réalisés à la frontière franco-italienne, quasi exclusivement au motif que les personnes n’avaient pas de document de voyage ou de titre de séjour. Sur 184 pages, les observations de la Défenseure des droits détaillent des contrôles, des interpellations, des privations de liberté et des renvois en Italie de migrants. Pour elle, ces refoulements sont « illégaux ».

    La Défenseure a par exemple constaté que des refus d’entrée sont opposés à des personnes contrôlées en dehors des points de passage frontaliers formellement identifiés. Elles se trouvent donc déjà sur le territoire français et devraient en conséquence se voir appliquer d’autres procédures de contrôle.

    Contrôles « discriminatoires »

    Sur le principal point de passage, la gare de Menton-Garavan, qui concentre « 70 % à 80 % des interpellations », Mme Hédon a aussi observé des contrôles « discriminatoires, fondés sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée », mais aussi des palpations systématiques sans qu’un danger potentiel objectif ait été identifié, y compris sur des mineurs et à la vue du public.

    Une fois les personnes contrôlées amenées au poste de la police aux frontières, qu’il s’agisse de celui de Menton ou de Montgenèvre, la Défenseure des droits considère qu’elles sont éloignées sans tenir compte de leur situation individuelle et donc de façon indiscriminée et systématique, au mépris en particulier de leur souhait de demander l’asile. Mme Hédon s’étonne que les autorités « assument » de procéder ainsi. « Cette pratique illégale est pleinement avalisée par la hiérarchie des forces de police ainsi que par l’autorité préfectorale », souligne-t-elle, dénonçant « une violation durable et systématique du droit d’asile à la frontière franco-italienne ».

    Les violations des droits de l’enfant sont également largement documentées. La Défenseure des droits considère que la police doit immédiatement orienter vers l’aide sociale à l’enfance des départements les jeunes se disant mineurs isolés. En lieu et place de quoi, la police aux frontières procède à des « opérations d’identification judiciaires » : elle relève leurs empreintes et consulte plusieurs fichiers biométriques. De même, lorsque les mineurs présentent des documents d’état civil tels que des actes de naissance, ceux-ci ne sont pas pris en compte. A tel point que la police fait figurer des dates de naissance différentes sur les refus d’entrée qu’elle édicte.

    « Appréciation » de l’âge des mineurs

    Dans les Alpes-Maritimes, une expérimentation est menée avec le conseil départemental depuis 2019. Des effectifs sont présents au sein des locaux de police de Menton pour procéder à une « appréciation » de l’âge des jeunes, à travers un entretien de quelques minutes. Un entretien dont les enjeux ne sont pas précisés aux personnes et qui fait l’objet d’un compte rendu qui n’est pas relu par le jeune, pas plus que celui-ci n’est informé de la possibilité de saisir un juge des enfants s’il conteste l’évaluation de son âge. Pour la Défenseure, ce protocole expérimental est illégal. De même, Mme Hédon a constaté que, si la police italienne refusait de reprendre le jeune, la police française avait pour pratique de le laisser libre en lui notifiant une obligation de quitter le territoire. Un procédé jugé, là encore, illégal.

    De façon plus générale, la Défenseure des droits a constaté que la police privait de liberté les personnes interpellées, pendant parfois toute une nuit en raison de la fermeture des services de police italiens. Les locaux préfabriqués utilisés pour, officiellement, des « mises à l’abri » de migrants, sont en réalité des lieux d’enfermement « arbitraire », puisque les personnes n’y bénéficient pas des droits afférents. Le juge n’y exerce aucun contrôle, les personnes n’ont pas accès à un avocat et les conditions matérielles d’enfermement sont qualifiées d’« indignes », en raison notamment de l’exiguïté des lieux, du manque d’hygiène, de lits et de matelas, d’aération ou encore de séparation entre les mineurs et les adultes.

    Surtout, la Défenseure des droits rappelle que, depuis une décision du Conseil d’Etat du 2 février (qui répercute un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 21 septembre 2023), le droit applicable aux étrangers à une frontière intérieure a été clarifié. La justice a ainsi rappelé que les éloignements devaient suivre une procédure de remise à l’Italie bien précise (prévue par un accord bilatéral de 1997, dit « de Chambéry »). Ces précisions de droit ont des implications importantes sur les pratiques de la police.

    Aménager des locaux spécifiques

    Les personnes contrôlées à la frontière peuvent ainsi faire l’objet, si elles se trouvent en situation irrégulière, d’une retenue administrative pour vérification de leur droit au séjour. Mais la Défenseure rappelle que ni les demandeurs d’asile ni les mineurs non accompagnés ne peuvent être placés en retenue administrative (car alors ils ne sont pas en situation irrégulière mais doivent être orientés, les premiers vers un guichet de demande d’asile et une véritable mise à l’abri, les seconds vers l’aide sociale à l’enfance pour une procédure d’évaluation). Les demandes d’asile formulées par les personnes étrangères « doivent être transmises sans délai à l’autorité préfectorale, et sans autres vérifications », insiste la Défenseure.

    Mme Hédon profite de sa décision pour se pencher sur les conséquences éventuelles de la loi relative à l’immigration adoptée en décembre 2023 et promulguée début 2024, et qui prévoit le placement en rétention administrative des demandeurs d’asile lorsqu’ils présentent un « risque de fuite ». Pour la Défenseure, cette rétention ne saurait s’appliquer de façon systématique aux migrants à la frontière et devrait faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité au fond.

    Quant aux personnes en situation irrégulière placées en retenue administrative, la Défenseure des droits rappelle que cette retenue ne peut excéder vingt-quatre heures, que des locaux spécifiques doivent être aménagés à cette fin, qui respectent la dignité des personnes, que le procureur doit être systématiquement averti, et qu’il doit en outre autoriser toute consultation du fichier automatisé des empreintes digitales, que les personnes doivent être informées, dans une langue qu’elles comprennent, de la possibilité d’avoir un avocat, qu’un procès-verbal de fin de retenue doit leur être notifié ainsi qu’une décision écrite de remise à l’Italie, pays qui doit formellement donner son accord à cette remise. « Aujourd’hui, rappellent les équipes de la Défenseure des droits, nous n’avons pas de garantie sur un changement de système. »

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/04/25/a-la-frontiere-franco-italienne-des-refoulements-illegaux-de-migrants-denonc

    #frontière_sud-alpine #asile #migrations #réfugiés #frontières #Italie #France #Vintimille #renvois #expulsions #défenseur_des_droits #contrôles_frontaliers #Hautes-Alpes #Alpes_Maritimes #Montgenèvre #violations_massives #refus_d'entrée #interpellations #refoulements #push-backs #droit_d'asile #illégalité #mineurs #enfants #âge #retenue_administrative

    –-> et ce terme "illégaux" mis entre guillemets... pourtant les #refoulements sont illégaux. C’est l’article 33 de la convention sur les réfugiés qui le dit, c’est le #principe_de_non-refoulement...
    #illégalité #terminologie #mots #vocabulaire

    –-

    ajouté à la métaliste autour de la Création de zones frontalières (au lieu de lignes de frontière) en vue de refoulements :
    https://seenthis.net/messages/795053

    • Respect des droits des personnes migrantes à la frontière intérieure franco-italienne : le Défenseur des droits publie une décision-cadre

      Le Défenseur des droits publie ce jour une décision-cadre sur le respect des droits des personnes contrôlées et interpellées à la frontière intérieure franco-italienne, par les forces de sécurité françaises, dans les départements des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes.

      Le franchissement des frontières de l’Union européenne (UE) est régi par le règlement européen dit code frontières Schengen, qui distingue d’un côté, les « frontières extérieures » de l’UE, et de l’autre, les « frontières intérieures » entre deux États membres de l’UE. Le franchissement de chaque catégorie de frontières obéit à des conditions qui lui est propre. Concernant les frontières intérieures, le principe est la libre circulation des personnes. Le droit de l’UE assure ainsi l’absence de tout contrôle des personnes aux frontières intérieures, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’elles franchissent ces frontières. Cependant, depuis 2015, la France a rétabli les contrôles à ces frontières, en faisant application d’une exception prévue par le code frontières Schengen mais strictement encadrée.

      La #décision-cadre n°2024-061 (https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=50351) s’inscrit dans le cadre du traitement de réclamations individuelles adressées à l’institution par les personnes concernées et par l’intermédiaire d’associations. Elle est le résultat d’une instruction contradictoire menée auprès des autorités mises en cause et de la mise en œuvre des pouvoirs d’enquête et d’intervention de l’institution. À ce titre, la Défenseure des droits a effectué un déplacement avec ses équipes à Montgenèvre et Briançon les 10 et 11 février 2022. Les services de l’institution ont également mené une vérification sur place du 10 au 13 avril 2023 à Menton, au sein des locaux de la police aux frontières (PAF) et à des points de passage autorisés.

      Cette décision intervient dans un contexte inédit, dans lequel la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 4e ch., 21 septembre 2023) et le Conseil d’État (CE, section du contentieux, 2ème et 7ème ch.) ont récemment réaffirmé l’obligation pour les États membres de l’Union européenne, d’appliquer les garanties juridiques minimales prévues par la directive européenne dite retour aux personnes qui sont interpellées à la frontière intérieure, afin que leurs droits fondamentaux soient respectés.

      De manière préoccupante, cette décision-cadre conclut à l’existence de procédures et pratiques qui ne sont pas conformes à la directive retour, au droit européen et au droit national. Elle conclut également à des atteintes substantielles et multiples aux droits des personnes interpellées, à partir du moment où elles sont contrôlées, jusqu’à leur éloignement du territoire.

      Des procédures de refus d’entrée contraires au droit de l’UE

      Le Défenseur des droits constate que les personnes interpellées font l’objet d’une procédure de refus d’entrée qui ne respecte pas les garanties juridiques minimales de la directive retour telles que le recours à une procédure équitable et transparente, impliquant notamment un examen de la situation individuelle de la personne, la motivation des décisions en fait et en droit ou encore l’accès à l’interprétariat. Ces atteintes concernent un nombre de personnes d’autant plus important que la procédure est mise en œuvre sur une zone frontalière très étendue et imprécise, ce qui est en contradiction avec le droit européen.
      Une privation de liberté hors de tout cadre juridique

      Un grand nombre de personnes interpellées se retrouvent enfermées pendant plusieurs heures, voire une nuit entière, dans des locaux présentés comme des espaces de « mise à l’abri », sans fondement légal et dans des conditions indignes. Plus inquiétant encore, parmi ces personnes se trouvent des personnes vulnérables, notamment des familles, des mineurs et des demandeurs d’asile.
      Des obstacles au droit d’asile

      Concernant les demandeurs d’asile, le Défenseur des droits constate notamment que si la personne est considérée comme « non entrée » sur le territoire, elle fait l’objet d’un refus d’entrée et aucune demande d’asile n’est prise en compte. Cette pratique largement assumée est ouvertement contraire au droit d’asile, et constitue une entrave grave, généralisée et durable à l’accès à la procédure d’asile à la frontière franco-italienne.
      De lourdes atteintes aux droits des mineurs

      Concernant les mineurs, le Défenseur des droits relève de lourdes atteintes à leurs droits, qu’ils soient ou non accompagnés, en violation de l’intérêt supérieur de l’enfant et des droits des mineurs, et des garanties de la directive retour. Les procédures mises en place entravent notamment l’accès des mineurs non accompagnés à la protection de l’enfance.

      Au regard de l’ensemble de ses constats et conclusions alarmants, la Défenseure des droits formule une série de recommandations qu’elle adresse au ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et aux préfectures concernées. Elle appelle à faire cesser, dans les plus brefs délais, les procédures et pratiques constatées et à mettre fin aux atteintes multiples portées aux droits des personnes qui sont contrôlées et interpellées à la frontière franco-italienne.

      https://www.defenseurdesdroits.fr/respect-des-droits-des-personnes-migrantes-la-frontiere-interieur

    • La France accusée de « violations systématiques » des droits des migrants à sa frontière avec l’Italie

      Une enquête très documentée publiée jeudi par la Défenseure des droits souligne des « violations systématiques » par les autorités françaises des droits des personnes migrantes souhaitant entrer sur le territoire depuis l’Italie, ainsi que des privations de liberté « arbitraires et indignes ».

      En 2023, 30 000 refus d’entrées ont été notifiés à des personnes que la police a ensuite refoulées sur le territoire italien. Dans bon nombre de cas, ces refoulements étaient illégaux. C’est ce qu’a pu constater la Défenseure des droits Claire Hédon au terme d’une enquête de deux ans, en se rendant avec ses équipes à la frontière franco-italienne. Cette « décision-cadre », un document qui fait partie des moyens d’action de la Défenseure des droits, a été publiée jeudi 25 avril et adressée au ministère de l’Intérieur.

      L’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafe) constate ces violations des droits sur le terrain depuis huit ans. « On était encore en observation à la frontière la semaine dernière, précise son président Alexandre Moreau. Ce qu’on observe, c’est qu’il n’y a toujours pas d’interprètes dans les procédures de vérification de séjour. Il n’y a pas d’information sur la procédure appliquée aux personnes, il n’y a pas d’avocat et donc pas d’assistance juridique. Il n’y a pas non plus d’information sur la procédure d’asile. Or un certain nombre de personnes fuient des situations qui leur justifieraient un besoin de protection internationale au-dessus de l’asile, il n’y a pas de toute cette explication et c’est encore pire pour les mineurs isolés. »
      Atteintes aux droits des enfants pour les mineurs non accompagnés

      Le cas des mineurs non accompagnés est particulièrement mis en lumière dans l’enquête de la Défenseure des droits. Selon la loi, une personne migrante se déclarant mineure doit notamment être prise en charge par les services départementaux de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Or, les pratiques de la police française aux frontières (PAF) ne reflètent pas les procédures prévues, estime Alexandre Moreau.

      « Lorsqu’on procède à une vérification du séjour pour les mineurs, on doit leur permettre un temps de répit. Mais on observe qu’il n’y a pas ce temps de répit immédiatement. Quand il y a interpellation, il y a examen. L’examen ne dure même pas 30 minutes. On ne leur explique pas pourquoi ils doivent répondre à ces questions et quels en sont les enjeux. Systématiquement, on s’aperçoit que la minorité, elle, est contestée et donc le doute ne profite pas à la minorité. Et on ne leur explique pas, par exemple, qu’ils ont droit à un avocat, qu’ils ont droit aussi de saisir le juge des enfants pour contester la décision de majorité. Or, les mineurs isolés ne sont jamais, jamais, jamais en situation irrégulière sur le territoire. »
      Privations de liberté arbitraires

      Une fois interpellées, « un grand nombre de personnes se retrouvent enfermées pendant plusieurs heures, voire toute une nuit », souligne l’enquête. Cela sous prétexte d’être « mises à l’abri », avant d’être reconduites de l’autre côté de la montagne par la police italienne. « On n’est ni dans une zone d’attente, ni dans un centre de rétention, indique Alexandre Moreau. C’est une procédure complètement illégale et arbitraire d’un enfermement dans des préfabriqués, donc en plus dans des conditions complètement indignes. Et on ne sait pas exactement dans quel cadre juridique la police pratique cet enfermement. Elle parle de mise à l’abri, mais c’est tout un code particulier qui n’est pas non plus lui-même respecté. »

      Parmi la longue liste d’entraves constatées par la Défenseure des droits dans ce rapport de 180 pages, le lieu même des contrôles policiers pose question. Les points de contrôles doivent être déclarés à la Commission européenne, condition sine qua non au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen. Or, à plusieurs reprises, des personnes exilées ont été interceptées à d’autres endroits que ceux officiellement prévus dans les textes.
      Le rétablissement des frontières intérieures justifié par un attentat à Moscou

      Le droit européen permet effectivement aux États membres de l’espace Schengen, dont la libre-circulation des personnes est un principe clef, de rétablir les contrôles à titre exceptionnel et pour une durée de six mois.

      Depuis 2015, en raison d’une menace terroriste après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, la police française aux frontières a activement repris du service. Depuis, le rétablissement des contrôles est sans cesse renouvelé, motivé par des événements aussi variés que la pandémie de Covid-19 en 2020, ou l’organisation de la Coupe du monde de Rugby en 2023.

      L’autorisation actuelle prend fin le 30 avril 2024. Au 1er mai, de nouveaux arguments ont été notifiés à la Commission européenne : la tenue des Jeux Olympiques et paralympiques à Paris et l’attentat de Moscou du 22 mars dernier.

      https://www.infomigrants.net/fr/post/56698/la-france-accusee-de-violations-systematiques-des-droits-des-migrants-

    • Migrations à la frontière franco-italienne : comment la loi est utilisée pour déplacer les montagnes

      Imaginez. La vie chez vous – en Syrie, en Guinée, au Bangladesh, en Turquie – est devenue trop dangereuse. Après y avoir longuement réfléchi, vous prenez donc la décision de partir, de quitter votre pays. Vous avez déjà tenté plusieurs fois d’obtenir un visa pour faire le voyage en sécurité, sans succès. Votre destination : la France. C’est là qu’une cousine peut vous accueillir le temps de la procédure pour obtenir l’asile, puis de reconstruire votre vie. Il ne vous reste donc que de « tenter l’aventure », voilà comment vous définissez le voyage entre vous, comme le soulignent les universitaires Cécile Canut et Alioune Sow dans un texte publié il y a dix ans.

      Vous êtes ainsi contraint de traverser des montagnes, des déserts, des rivières et des mers de manière « illégalisée ». C’est ainsi que le chercheur Harald Bauder suggère de définir les parcours qui se font de manière clandestine. Vous arrivez par voie terrestre ou maritime aux portes de l’Europe début décembre 2023. Vous vous apprêtez à entrer en Grèce, Italie ou Espagne, des pays membres de l’Union européenne et par ce fait soumis aux règles communes de l’espace Schengen.

      C’est une agente des polices aux frontières (PAF) du pays en question qui contrôle si vous avez les papiers requis – un passeport avec un visa valable pour l’espace Schengen – pour passer la frontière dite « extérieure » de l’Union européenne (UE). Vous ne les avez pas, mais vous savez par contre que, pour déposer une demande d’asile, les papiers ne sont pas nécessaires. L’agente devant vous incarne l’autorité nationale, elle agit au nom de l’État, qui est souverain dans le contrôle des flux migratoires et dans la fixation des conditions d’entrée et de séjour des personnes étrangères sur son sol.

      Pourtant, il y a des normes qui priment, et l’agente devrait le savoir. C’est notamment le cas du principe dit « de non-refoulement ». Celui-ci limite cette liberté de principe pour les personnes qui demandent l’asile, soit celles qui font une requête de protection contre une persécution subie dans leur pays. C’est l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés (ou Convention de Genève) qui interdit l’expulsion d’« un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée ».

      Vous décidez donc de manifester votre intention de demander l’asile. Vous êtes enfermé dans un hotspot, un de ces centres d’enregistrement mis en place dès 2015 par l’UE dans le but d’identifier, d’évaluer et de trier les personnes exilées arrivant sur le territoire européen. Vous avez de la chance, vous y restez seulement quelques jours et vous trouvez le moyen de continuer le voyage. Vous êtes en Italie, mais vous êtes surtout sur le sol de l’Union européenne, un espace de libre circulation, pensiez-vous. Fini les contrôles systématiques aux frontières dites « intérieures » depuis mars 1995. Théoriquement.
      Des contrôles accrus

      Dans la pratique, les choses sont différentes. Un compatriote vous a averti : pas possible de passer par l’une des innombrables infrastructures qui permettent de franchir rapidement les Alpes et se rendre en France, où vous attend votre cousine.

      En effet, les contrôles aux frontières ont été réinstaurés par l’Hexagone depuis 2015. Pour faire cela, la France a dû les justifier sur la base d’une « menace grave à l’ordre public » et de la « sécurité ». C’est le seul pays européen à les avoir mis en place sans interruption, depuis 2015.

      Dernière prolongation obtenue, celle qui couvrira la période allant du 1er mai au 31 octobre 2024, dont voici les raisons évoquées :

      « Les Jeux olympiques et paralympiques organisés en France durant l’été 2024, qui augmentent considérablement le risque pour la sécurité nationale, une menace terroriste intensifiée, l’attentat de Moscou du 22 mars 2024 revendiqué par l’État islamique, une pression migratoire constante aux frontières extérieures de l’espace Schengen, une augmentation significative des franchissements irréguliers notamment en provenance de Turquie et d’Afrique du Nord, une pression sur le système d’accueil. »

      Désormais, depuis donc 2015, les frontières sont surveillées et militarisées. Si vous choisissez de passer par l’un des postes-frontière officiels vous serez contrôlé, arrêté, puis expulsé en Italie. Il faut tenter par des passages alternatifs, par les chemins de montagne, vous suggère le même compatriote.
      Vous n’avez qu’un sac en plastique avec des papiers administratifs

      4 janvier 2024. Vous changez de train à Turin pour vous rendre à Oulx, dans le Val de Suse. Là, vous êtes accueilli une nuit au Rifugio Fraternità Massi, un lieu où vous pouvez dormir et manger.

      Des bénévoles vous donneront des habits adaptés pour la traversée via le col de Montgenèvre jusqu’à Briançon. Vous-même n’avez qu’un sac en plastique avec des papiers administratifs, une photo de votre mère et de vos sœurs et frères, un téléphone portable. Le reste, vous l’avez perdu durant votre long périple et vous n’avez évidemment pas de chaussures adaptées pour marcher dans la montagne.

      Au refuge, on vous recommandera les sentiers les moins dangereux si vous décidez de contourner le poste-frontière. Vous suivez les conseils. Vous vous mettez en marche, la nuit vers 2h du matin. Vous voyez en contrebas les lumières dans les maisons de vacances du village de Montgenèvre.

      Vous marchez depuis cinq heures dans le froid et la nuit. Vous avez souvent l’impression de refaire le même chemin plusieurs fois, et vous ne savez pas si vous êtes déjà en France ou encore en Italie. Soudain, vous voyez trois personnes en uniforme. Ils viennent vers vous et ils vous ordonnent de vous arrêter.

      Vous obéissez. Vous êtes amené au poste-frontière de Montgenèvre et là, sans vous poser aucune question, on vous donne un papier, un « refus d’entrée ». Après des formalités avec la police italienne, qui a pris vos empreintes digitales, vous êtes remis à la Croix-Rouge qui vous ramène à Oulx. La bénévole tient à vous dire que vous avez eu de la chance, que vous êtes passé « au bon moment », dans un moment dans lequel le droit semble enfin être respecté, mais elle ajoute : « Les règles et les pratiques aux frontières changent rapidement, on ne sait pas de quoi le demain sera fait ».

      Une procédure, dans ces conditions, illégale. Vous le savez maintenant que vous êtes arrivé à Grenoble, là où vous avez trouvé un refuge temporaire. Une bénévole d’une association vous a expliqué que ce changement est dû à un arrêt publié le 2 février 2024 par le Conseil d’État.

      C’est grâce à cette décision que le droit semble maintenant être respecté à la frontière haute alpine. En effet, une compatriote est passée par le même chemin que vous il y a quelques jours, et elle a pu se présenter au poste-frontière, expliquer aux gardes-frontière son intention de demander l’asile à la France et elle a ainsi pu continuer son chemin jusqu’à Briançon, en toute sécurité et sans peur d’être pourchassée dans les montagnes. La bénévole tient à souligner :

      « Les règles et les pratiques aux frontières changent rapidement, on ne sait pas de quoi le demain sera fait ».

      Avant cette date, les décisions des forces de l’ordre se fondaient sur une vague indication géographique ; et c’était cette interprétation de votre localisation dans l’espace qui comptait et décidait de votre sort.
      Une microgéographie cruciale

      Cette microgéographie importe bien plus qu’elle ne le semble, comme le montre un rapport récent de la Défenseure des droits. Cette dernière prend la forme d’une décision-cadre publiée en avril 2024 et portant sur la frontière franco-italienne dite « haute » (Montgenèvre/Hautes-Alpes) ainsi que sur celle dite « basse » (Menton/Alpes-Maritimes).

      C’est en se fondant sur des visites sur place – qui ont eu lieu à Montgenèvre et Briançon les 10 et 11 février 2022 et du 10 au 13 avril 2023 à Menton – et sur des décisions de justice que la Défenseure des droits a rendu sa décision cadre. Celle-ci permet ensuite à l’institution de régler un litige, préconiser des recommandations ou sanctionner.

      Dans ce cadre-ci, elle a constaté que les pratiques étaient non conformes au droit, notamment en analysant quel régime juridique est appliqué en cas d’interpellation des personnes dans ces régions frontalières.

      Les régimes qui les régissent ne sont pas les mêmes : le « régime frontière extérieure » ou le « régime territoire », selon que la personne est considérée comme ayant franchi la frontière, ou pas.

      Dans le premier cas, la décision porte sur la non-autorisation à accéder au territoire national. Dans le deuxième, les gardes-frontière estiment en revanche que la personne est bel et bien rentrée sur le territoire, mais qu’elle y séjourne de manière irrégulière. Si, dans le premier cas, elle se voit notifier un refus d’entrée, dans le deuxième, c’est une décision de renvoi selon la directive européenne dite « retour » qui s’applique et qui est légalement « autrement plus contraignante », comme l’affirme la Défenseure des droits.

      Il devrait pourtant être simple de juger si une personne se trouve sur le territoire national, il suffit de constater si elle est en deçà ou au-delà du tracé frontalier. La frontière est une ligne, croit-on. Oui, mais…
      Pourquoi la définition de col est problématique

      Ce que constate Madame Hédon, c’est que dans ces régions frontalières haute et basse, il y a une « imprécision du tracé » qui résulte en une « extension illégale de la frontière franco-italienne » (p.18).

      Prenons en exemple la mention de la notion géographique de « col » utilisée par les forces de l’ordre dans les Hautes-Alpes et qui donne lieu à des décisions de refus d’entrée. Si le Larousse la définit comme « Partie déprimée d’une crête montagneuse, utilisée comme passage » on ne peut que constater l’imprécision du terme quant au territoire qu’il est censé définir.

      Cette désignation, selon la Défenseure des droits, ne permet pas d’identifier précisément la zone d’interpellation, et notamment de savoir si les contrôles ont été effectués sur les points de passage autorisés (PPA), seuls endroits où des contrôles peuvent être conduits en vertu du Rétablissement des contrôles aux frontières intérieures en vigueur depuis 2015 en France.

      En dehors de ces points de passage ou « sur le trait de frontière intérieure entre deux PPA » (p.23), les personnes doivent être « considérées sur le territoire français » (p.23). Ainsi, et emblématiquement, la Défenseure des droits recommande d’« établir une liste de PPA précisément délimités, de transmettre les coordonnées géographiques de ces lieux à la Commission européenne et de la publier à l’échelle nationale par le biais du Journal officiel » (p.23).

      Voilà dans quelle imbrication juridique vous êtes tombé quand ces agents en uniforme vous ont sommé de montrer vos papiers ! Vous n’êtes pourtant pas la seule personne à qui l’on dit, et contre toute évidence, que vous ne vous trouvez pas sur le territoire national alors même que le GPS sur votre smartphone vous indique le contraire : Lat. 44°55’25.6"N, Lon. 6°42’20.8"E. Territoire français.
      Zones d’attente

      À quelques centaines de kilomètres de là – même topo, autre endroit où la France « joue » avec le tracé frontalier. Autre fiction juridique.

      C’est un ressortissant d’Amérique latine cette fois à qui cet agent de la police aux frontières dit de ne pas être sur le territoire français. Son avion a pourtant bien atterri à Roissy, et il a même déjà envoyé un petit message à sa conjointe pour l’en informer comme on l’entend dans le documentaire sonore signé Antoine Bougeard et Nausicaa Preiss.

      Mais les gardes-frontière l’ont amené dans « une zone d’attente », des lieux institués en 1992 avec la loi Quilès. Comme le rappelle Laure Blondel, co-directrice de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), il s’agit de lieux dans lesquels sont enfermées les personnes qui demandent l’asile et celles qui parviennent à atteindre la frontière, mais dont l’accès au territoire est refusé car elles ne remplissent pas les conditions d’entrée ou sont suspectées d’être un « risque migratoire ».

      La loi Quilès préfigure la situation aujourd’hui à Montgenèvre ou à Menton, et qui est en train de se jouer dans le Pacte sur les migrations et l’asile dernièrement approuvé par les États membres de l’Union européenne. Des personnes « enfermées nulle part », comme le suggère le titre du récent documentaire sonore sur les zones d’attente, ou des « prisonnièr·e·s du passage », comme le propose la bande dessinée signée Chowra Makaremi et Matthieu Parciboula (2019).

      Que vous arrivera-t-il ?

      Qu’apprend-on de ces histoires ? On sait que depuis la mise en œuvre de la Convention sur les réfugiés signée en 1951, prétendre à une protection exige deux conditions : être sorti du pays dans lequel la persécution a lieu et se trouver physiquement sur le sol du pays où on demande la protection. On en déduit donc que l’accès au territoire permet l’accès aux droits.

      L’enjeu est donc éminemment géographique en plus d’être juridique. Comme l’a si bien démontré le juriste Bastien Charaudeau Santomauro, à la frontière franco-italienne l’on peut observer « un bricolage du droit », qui passe aussi (avant tout ?) par un bricolage de la définition même des frontières.

      En effet, depuis désormais plus de 30 ans, les États trouvent des astuces afin de créer des « fictions juridiques », c’est-à-dire, décaler le tracé frontalier et créer des zones d’extraterritorialité ou plutôt, comme l’écrit Bastien Charaudeau Santomauro, d’« a-territorialité », c’est-à-dire, des zones qui limitent – voire empêchent – l’accès aux droits.
      Vous marchez plus de dix heures dans la neige

      Ainsi, quand la bénévole vous explique ce changement de pratiques à la frontière, intervenu après la décision du 2 février par le Conseil d’État, vous vous dites que vous auriez dû bénéficier du droit à l’asile directement à la frontière, au lieu d’être renvoyé à Oulx.

      Pour vous, les choses ont été différentes. Après avoir la traversée, après avoir dormi à nouveau au Refuge Fraternità Massi, vous avez repris le bus, et puis continué à pied. Vous croisez d’autres personnes, hommes, femmes et enfants, qui ont fait ce trajet, vous ont-ils dit deux, trois, quatre… huit fois.

      Vous voulez éviter tout risque d’être contrôlé. Alors, vous avez pris un chemin très haut dans la montagne, tant pis s’il a fallu marcher plus de dix heures dans la neige qui vous arrive à la hauteur de votre bassin. Vous êtes épuisé, gelé, et très désorienté.

      Au petit matin vous arrivez enfin à Briançon, et vous êtes accueilli quelques jours au Refuge solidaire. C’est là qu’on vous dit de vous rendre en Préfecture pour déposer votre demande d’asile, maintenant que vous êtes effectivement sur le territoire. Vous mesurez l’absurdité de l’administration… Pour exercer votre droit de demander une protection à la France, vous avez finalement dû éviter les agents normalement en charge d’appliquer le cadre légal et qui vous permettent de le faire en sécurité.

      https://theconversation.com/migrations-a-la-frontiere-franco-italienne-comment-la-loi-est-utili

    • Frontières : des « fictions juridiques » pour esquiver le droit international

      Une « fiction juridique » : c’est ainsi que la Défenseure des droits a qualifié en avril dernier le stratagème que la France a mis en place à sa frontière avec l’Italie. Depuis 2015, l’administration a ainsi esquivé le droit international et décidé d’une politique de refoulement systématique des personnes exilées. Un procédé qui s’est accompagné de nombreux dénis de droits envers ces dernières.

      ram05 a recueilli sur ce sujet les éclairages d’une enseignante-chercheuse et géographe.
      Dans quel cadre se déroulent les contrôles aux frontières ?

      La Défenseure des droits en rappelle l’historique dans sa décision-cadre rendue fin avril 2024. Il s’agit d’un rapport sur les pratiques des forces de l’ordre à la frontière franco-italienne, résultant d’une instruction menée entre 2022 et mars 2024. Le document est très sévère envers l’administration et conclut à de nombreuses atteintes aux droits des personnes interpellées à la frontière franco-italienne.

      Pour résumer, le principe de base à l’intérieur de l’Union Européenne est la libre circulation, quelque soit la nationalité des personnes. Mais une exception est possible : un pays peut demander à l’UE un rétablissement des contrôles à ses frontières, « en dernier recours », et « en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ».

      La France a enclenché cette procédure le 13 novembre 2015, jour des attentats en Île-de-France, pour lutter contre la menace terroriste. Depuis, elle la renouvelle tous les 6 mois.

      Ces contrôles restent toutefois encadrés par le droit, rappelle Cristina del Biaggio, enseignante-chercheuse et géographe à l’Université Grenoble Alpes.

      Ces contrôles aux frontières ne doivent pas s’apparenter à des contrôles systématiques ou des contrôles au faciès.

      « À partir de 2015, la France a demandé une dérogation du code frontière Schengen, dans lequel elle a demandé de pouvoir rétablir des contrôles frontières. Mais ceux-ci ne doivent pas s’apparenter à des contrôles systématiques aux frontières.

      Dans ce cadre-là, la France a dû envoyer une liste des points de passage autorisés à l’Union européenne, et dans cette liste-là, il y a des endroits précis, des lieux précis, pour lesquels les forces de l’ordre ont le droit de faire des contrôles et des interpellations de personnes qui passent la frontière, et de pouvoir demander les raisons pour lesquelles les personnes passent la frontière.

      Mais ils ne doivent pas, encore une fois, s’apparenter à des contrôles systématiques aux frontières ou des contrôles au faciès », retrace Cristina del Biaggio.

      Un rétablissement des contrôles aux frontières, d’accord, mais dans des lieux précisément identifiés et pas de manière systématique.
      La France a-t-elle respecté ces contraintes ?

      Non, a observé la Défenseure des droits. Celle-ci mentionne d’une part des « contrôles systématiques et sans limitation de durée », ce qui est donc contraire au droit.

      Mais surtout, la Défenseure des droits signale une « imprécision du tracé » et une « extension illégale » de la frontière franco-italienne.

      Ainsi, les PPA, points de passages autorisés, dans les Hautes-Alpes, sont définis notamment comme les cols de Larche, Agnel, de l’Échelle et de Montgenèvre, la notion de col étant particulièrement « imprécise » et permettant donc des contrôles dans une zone trop large. La décision-cadre recommande d’établir des PPA « précisément délimités » et de communiquer leurs « coordonnées géographiques ».

      L’administration est également pointée du doigt pour une autre pratique : considérer que les personnes interpellées ne se trouvent en fait pas sur le territoire français, et leur notifier un « refus d’entrée ».

      On retrouve Cristina del Biaggio.

      La France trouve des stratagèmes pour faire comme si la personne n’était jamais arrivée sur le territoire.

      « Dans une espèce de ce que les juristes appellent une « fiction juridique », la France trouve des moyens, des fictions, des stratégies, des stratagèmes pour faire comme si la personne n’était jamais arrivée sur le territoire.

      D’ailleurs, cette décision s’appelle « refus d’entrée », ce qui montre bien que la personne n’est pas encore considérée comme étant entrée sur le territoire, comme ayant mis physiquement les pieds sur le territoire.

      Donc on refuse d’entrer à des personnes à qui on devrait donner la possibilité de rentrer pour notamment demander une protection et donc l’asile », expose l’universitaire.
      La France respecte-t-elle le droit international ?

      En théorie chaque État doit garantir l’application du droit international et du droit d’asile sur son territoire.

      « En gros, dès qu’une personne accède physiquement à un territoire, qu’elle pose ses pieds sur un territoire, cette personne peut faire valoir des droits, et notamment le droit de demander une protection au titre de l’asile.

      Les États, donc la France aussi, doit garantir que ces droits soient respectés », rappelle Cristina del Biaggio.

      Le raisonnement est donc simple : « vu que l’entrée sur le territoire garantit des droits, on fait semblant que la personne n’est pas entrée sur le territoire pour ne pas avoir à lui donner accès à ces droits », résume l’universitaire.

      Cette sorte d’entre-deux, de zone grise au bord de la frontière, constitue un « détournement » du droit, estime la Défenseure.

      Depuis la publication de ce rapport, les pratiques des forces de l’ordre à la frontière ont cependant évolué vers un meilleur respect des droits des personnes exilées, a constaté l’association Tous Migrants. Nous vous en parlions dans Le Forum Hebdo du 17 mai 2024.
      Ce stratagème existe-t-il aussi ailleurs ?

      La France, décidément, est avant-gardiste sur le sujet, relate Cristina del Biaggio.

      La France a été une pionnière de ces fictions juridiques et territoriales, avec la création des zones d’attente dans les aéroports.

      « La France, déjà, a été une des pionnières dans la création de ces fictions juridiques et/ou fictions territoriales, notamment avec la création des zones d’attente dans les aéroports. Si je ne me trompe pas, c’était 1992. C’est toujours le même principe : la France décide qu’il y a certaines zones sur son territoire qui ne sont pas considérées vraiment comme faisant partie du territoire.

      Il y a des chercheurs qui parlent aussi de « a-territorialité », pour dire que la France fait semblant que ces zones-là ne sont pas des zones qui appartiennent à son territoire », détaille la géographe.

      Et des exemples d’État qui s’amputent d’une partie de leur territoire pour ne pas avoir à y appliquer le droit, il en existe plusieurs à travers le monde.

      Un exemple assez éclatant a été décidé en 2001 en Australie, c’est ce que cet État appelle « l’excision territoriale »de ses côtes nord.

      « C’est le cas par exemple à la frontière entre l’Espagne et le Maroc, à Melilla, enclave espagnole sur le territoire marocain. L’Espagne a construit une barrière frontalière qui est en fait une triple barrière, trois grillages successifs parallèles dans l’espace qui créent une espèce de zone. l’Espagne a décidé que la zone justement qui se trouve entre les trois barrières n’est pas considérée comme étant territoire espagnol. Donc ça veut dire que la personne qui arrive à traverser un grillage qui se trouve dans cette zone entre les trois grillages n’est pas vraiment considérée comme étant sur le territoire espagnol. Et donc les forces de l’ordre les renvoient de l’autre côté, ce qui est encore une fois interdit par le droit international.

      C’est la même chose avec la Hongrie qui a créé une espèce de bande frontalière d’une largeur de 8 km à l’intérieur de son territoire où elle a décrété que ce n’est pas vraiment la Hongrie.

      Et je pense qu’un exemple assez éclatant a été décidé en 2001 en Australie, c’est ce que cet État appelle « l’excision territoriale ». L’Australie a décidé que ses côtes nord n’étaient pas vraiment son territoire et que les personnes qui arrivaient par bateau n’avaient aucun droit une fois débarquées sur la côte. Ils appellent ça « l’excision territoriale », ils enlèvent une partie du territoire de leur propre territoire », énumère Cristina del Biaggio.

      https://ram05.fr/frontieres-des-fictions-juridiques-pour-esquiver-le-droit-international

  • L’#Europe et la fabrique de l’étranger

    Les discours sur l’ « #européanité » illustrent la prégnance d’une conception identitaire de la construction de l’Union, de ses #frontières, et de ceux qu’elle entend assimiler ou, au contraire, exclure au nom de la protection de ses #valeurs particulières.

    Longtemps absente de la vie démocratique de l’#Union_européenne (#UE), la question identitaire s’y est durablement installée depuis les années 2000. Si la volonté d’affirmer officiellement ce que « nous, Européens » sommes authentiquement n’est pas nouvelle, elle concernait jusqu’alors surtout – à l’instar de la Déclaration sur l’identité européenne de 1973 – les relations extérieures et la place de la « Communauté européenne » au sein du système international. À présent, elle renvoie à une quête d’« Européanité » (« Europeanness »), c’est-à-dire la recherche et la manifestation des #trait_identitaires (héritages, valeurs, mœurs, etc.) tenus, à tort ou à raison, pour caractéristiques de ce que signifie être « Européens ». Cette quête est largement tournée vers l’intérieur : elle concerne le rapport de « nous, Européens » à « nous-mêmes » ainsi que le rapport de « nous » aux « autres », ces étrangers et étrangères qui viennent et s’installent « chez nous ».

    C’est sous cet aspect identitaire qu’est le plus fréquemment et vivement discuté ce que l’on nomme la « #crise_des_réfugiés » et la « #crise_migratoire »

    L’enjeu qui ferait de l’#accueil des exilés et de l’#intégration des migrants une « #crise » concerne, en effet, l’attitude que les Européens devraient adopter à l’égard de celles et ceux qui leur sont « #étrangers » à double titre : en tant qu’individus ne disposant pas de la #citoyenneté de l’Union, mais également en tant que personnes vues comme les dépositaires d’une #altérité_identitaire les situant à l’extérieur du « #nous » – au moins à leur arrivée.

    D’un point de vue politique, le traitement que l’Union européenne réserve aux étrangères et étrangers se donne à voir dans le vaste ensemble de #discours, #décisions et #dispositifs régissant l’#accès_au_territoire, l’accueil et le #séjour de ces derniers, en particulier les accords communautaires et agences européennes dévolus à « une gestion efficace des flux migratoires » ainsi que les #politiques_publiques en matière d’immigration, d’intégration et de #naturalisation qui restent du ressort de ses États membres.

    Fortement guidées par des considérations identitaires dont la logique est de différencier entre « nous » et « eux », de telles politiques soulèvent une interrogation sur leurs dynamiques d’exclusion des « #autres » ; cependant, elles sont aussi à examiner au regard de l’#homogénéisation induite, en retour, sur le « nous ». C’est ce double questionnement que je propose de mener ici.

    En quête d’« Européanité » : affirmer la frontière entre « nous » et « eux »

    La question de savoir s’il est souhaitable et nécessaire que les contours de l’UE en tant que #communauté_politique soient tracés suivant des #lignes_identitaires donne lieu à une opposition philosophique très tranchée entre les partisans d’une défense sans faille de « l’#identité_européenne » et ceux qui plaident, à l’inverse, pour une « #indéfinition » résolue de l’Europe. Loin d’être purement théorique, cette opposition se rejoue sur le plan politique, sous une forme tout aussi dichotomique, dans le débat sur le traitement des étrangers.

    Les enjeux pratiques soulevés par la volonté de définir et sécuriser « notre » commune « Européanité » ont été au cœur de la controverse publique qu’a suscitée, en septembre 2019, l’annonce faite par #Ursula_von_der_Leyen de la nomination d’un commissaire à la « #Protection_du_mode_de_vie_européen », mission requalifiée – face aux critiques – en « #Promotion_de_notre_mode_de_vie_européen ». Dans ce portefeuille, on trouve plusieurs finalités d’action publique dont l’association même n’a pas manqué de soulever de vives inquiétudes, en dépit de la requalification opérée : à l’affirmation publique d’un « #mode_de_vie » spécifiquement « nôtre », lui-même corrélé à la défense de « l’#État_de_droit », « de l’#égalité, de la #tolérance et de la #justice_sociale », se trouvent conjoints la gestion de « #frontières_solides », de l’asile et la migration ainsi que la #sécurité, le tout placé sous l’objectif explicite de « protéger nos citoyens et nos valeurs ».

    Politiquement, cette « priorité » pour la période 2019-2024 s’inscrit dans la droite ligne des appels déjà anciens à doter l’Union d’un « supplément d’âme
     » ou à lui « donner sa chair » pour qu’elle advienne enfin en tant que « #communauté_de_valeurs ». De tels appels à un surcroît de substance spirituelle et morale à l’appui d’un projet européen qui se devrait d’être à la fois « politique et culturel » visaient et visent encore à répondre à certains problèmes pendants de la construction européenne, depuis le déficit de #légitimité_démocratique de l’UE, si discuté lors de la séquence constitutionnelle de 2005, jusqu’au défaut de stabilité culminant dans la crainte d’une désintégration européenne, rendue tangible en 2020 par le Brexit.

    Précisément, c’est de la #crise_existentielle de l’Europe que s’autorisent les positions intellectuelles qui, poussant la quête d’« Européanité » bien au-delà des objectifs politiques évoqués ci-dessus, la déclinent dans un registre résolument civilisationnel et défensif. Le geste philosophique consiste, en l’espèce, à appliquer à l’UE une approche « communautarienne », c’est-à-dire à faire entièrement reposer l’UE, comme ensemble de règles, de normes et d’institutions juridiques et politiques, sur une « #communauté_morale » façonnée par des visions du bien et du monde spécifiques à un groupe culturel. Une fois complétée par une rhétorique de « l’#enracinement » desdites « #valeurs_européennes » dans un patrimoine historique (et religieux) particulier, la promotion de « notre mode de vie européen » peut dès lors être orientée vers l’éloge de ce qui « nous » singularise à l’égard d’« autres », de « ces mérites qui nous distinguent » et que nous devons être fiers d’avoir diffusés au monde entier.

    À travers l’affirmation de « notre » commune « Européanité », ce n’est pas seulement la reconnaissance de « l’#exception_européenne » qui est recherchée ; à suivre celles et ceux qui portent cette entreprise, le but n’est autre que la survie. Selon #Chantal_Delsol, « il en va de l’existence même de l’Europe qui, si elle n’ose pas s’identifier ni nommer ses caractères, finit par se diluer dans le rien. » Par cette #identification européenne, des frontières sont tracées. Superposant Europe historique et Europe politique, Alain Besançon les énonce ainsi : « l’Europe s’arrête là où elle s’arrêtait au XVIIe siècle, c’est-à-dire quand elle rencontre une autre civilisation, un régime d’une autre nature et une religion qui ne veut pas d’elle. »

    Cette façon de délimiter un « #nous_européen » est à l’exact opposé de la conception de la frontière présente chez les partisans d’une « indéfinition » et d’une « désappropriation » de l’Europe. De ce côté-ci de l’échiquier philosophique, l’enjeu est au contraire de penser « un au-delà de l’identité ou de l’identification de l’Europe », étant entendu que le seul « crédit » que l’on puisse « encore accorder » à l’Europe serait « celui de désigner un espace de circulation symbolique excédant l’ordre de l’identification subjective et, plus encore, celui de la #crispation_identitaire ». Au lieu de chercher à « circonscri[re] l’identité en traçant une frontière stricte entre “ce qui est européen” et “ce qui ne l’est pas, ne peut pas l’être ou ne doit pas l’être” », il s’agit, comme le propose #Marc_Crépon, de valoriser la « #composition » avec les « #altérités » internes et externes. Animé par cette « #multiplicité_d’Europes », le principe, thématisé par #Etienne_Balibar, d’une « Europe comme #Borderland », où les frontières se superposent et se déplacent sans cesse, est d’aller vers ce qui est au-delà d’elle-même, vers ce qui l’excède toujours.

    Tout autre est néanmoins la dynamique impulsée, depuis une vingtaine d’années, par les politiques européennes d’#asile et d’immigration.

    La gouvernance européenne des étrangers : l’intégration conditionnée par les « valeurs communes »

    La question du traitement public des étrangers connaît, sur le plan des politiques publiques mises en œuvre par les États membres de l’UE, une forme d’européanisation. Celle-ci est discutée dans les recherches en sciences sociales sous le nom de « #tournant_civique ». Le terme de « tournant » renvoie au fait qu’à partir des années 2000, plusieurs pays européens, dont certains étaient considérés comme observant jusque-là une approche plus ou moins multiculturaliste (tels que le Royaume-Uni ou les Pays-Bas), ont développé des politiques de plus en plus « robustes » en ce qui concerne la sélection des personnes autorisées à séjourner durablement sur leur territoire et à intégrer la communauté nationale, notamment par voie de naturalisation. Quant au qualificatif de « civique », il marque le fait que soient ajoutés aux #conditions_matérielles (ressources, logement, etc.) des critères de sélection des « désirables » – et, donc, de détection des « indésirables » – qui étendent les exigences relatives à une « #bonne_citoyenneté » aux conduites et valeurs personnelles. Moyennant son #intervention_morale, voire disciplinaire, l’État se borne à inculquer à l’étranger les traits de caractère propices à la réussite de son intégration, charge à lui de démontrer qu’il conforme ses convictions et comportements, y compris dans sa vie privée, aux « valeurs » de la société d’accueil. Cette approche, centrée sur un critère de #compatibilité_identitaire, fait peser la responsabilité de l’#inclusion (ou de l’#exclusion) sur les personnes étrangères, et non sur les institutions publiques : si elles échouent à leur assimilation « éthique » au terme de leur « #parcours_d’intégration », et a fortiori si elles s’y refusent, alors elles sont considérées comme se plaçant elles-mêmes en situation d’être exclues.

    Les termes de « tournant » comme de « civique » sont à complexifier : le premier car, pour certains pays comme la France, les dispositifs en question manifestent peu de nouveauté, et certainement pas une rupture, par rapport aux politiques antérieures, et le second parce que le caractère « civique » de ces mesures et dispositifs d’intégration est nettement moins évident que leur orientation morale et culturelle, en un mot, identitaire.

    En l’occurrence, c’est bien plutôt la notion d’intégration « éthique », telle que la définit #Jürgen_Habermas, qui s’avère ici pertinente pour qualifier ces politiques : « éthique » est, selon lui, une conception de l’intégration fondée sur la stabilisation d’un consensus d’arrière-plan sur des « valeurs » morales et culturelles ainsi que sur le maintien, sinon la sécurisation, de l’identité et du mode de vie majoritaires qui en sont issus. Cette conception se distingue de l’intégration « politique » qui est fondée sur l’observance par toutes et tous des normes juridico-politiques et des principes constitutionnels de l’État de droit démocratique. Tandis que l’intégration « éthique » requiert des étrangers qu’ils adhèrent aux « valeurs » particulières du groupe majoritaire, l’intégration « politique » leur demande de se conformer aux lois et d’observer les règles de la participation et de la délibération démocratiques.

    Or, les politiques d’immigration, d’intégration et de naturalisation actuellement développées en Europe sont bel et bien sous-tendues par cette conception « éthique » de l’intégration. Elles conditionnent l’accès au « nous » à l’adhésion à un socle de « valeurs » officiellement déclarées comme étant déjà « communes ». Pour reprendre un exemple français, cette approche ressort de la manière dont sont conçus et mis en œuvre les « #contrats_d’intégration » (depuis le #Contrat_d’accueil_et_d’intégration rendu obligatoire en 2006 jusqu’à l’actuel #Contrat_d’intégration_républicaine) qui scellent l’engagement de l’étranger souhaitant s’installer durablement en France à faire siennes les « #valeurs_de_la_République » et à les « respecter » à travers ses agissements. On retrouve la même approche s’agissant de la naturalisation, la « #condition_d’assimilation » propre à cette politique donnant lieu à des pratiques administratives d’enquête et de vérification quant à la profondeur et la sincérité de l’adhésion des étrangers auxdites « valeurs communes », la #laïcité et l’#égalité_femmes-hommes étant les deux « valeurs » systématiquement mises en avant. L’étude de ces pratiques, notamment les « #entretiens_d’assimilation », et de la jurisprudence en la matière montre qu’elles ciblent tout particulièrement les personnes de religion et/ou de culture musulmanes – ou perçues comme telles – en tant qu’elles sont d’emblée associées à des « valeurs » non seulement différentes, mais opposées aux « nôtres ».

    Portées par un discours d’affrontement entre « systèmes de valeurs » qui n’est pas sans rappeler le « #choc_des_civilisations » thématisé par #Samuel_Huntington, ces politiques, censées « intégrer », concourent pourtant à radicaliser l’altérité « éthique » de l’étranger ou de l’étrangère : elles construisent la figure d’un « autre » appartenant – ou suspecté d’appartenir – à un système de « valeurs » qui s’écarterait à tel point du « nôtre » que son inclusion dans le « nous » réclamerait, de notre part, une vigilance spéciale pour préserver notre #identité_collective et, de sa part, une mise en conformité de son #identité_personnelle avec « nos valeurs », telles qu’elles s’incarneraient dans « notre mode de vie ».

    Exclusion des « autres » et homogénéisation du « nous » : les risques d’une « #Europe_des_valeurs »

    Le recours aux « valeurs communes », pour définir les « autres » et les conditions de leur entrée dans le « nous », n’est pas spécifique aux politiques migratoires des États nationaux. L’UE, dont on a vu qu’elle tenait à s’affirmer en tant que « communauté morale », a substitué en 2009 au terme de « #principes » celui de « valeurs ». Dès lors, le respect de la dignité humaine et des droits de l’homme, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit sont érigés en « valeurs » sur lesquelles « l’Union est fondée » (art. 2 du Traité sur l’Union européenne) et revêtent un caractère obligatoire pour tout État souhaitant devenir et rester membre de l’UE (art. 49 sur les conditions d’adhésion et art. 7 sur les sanctions).

    Reste-t-on ici dans le périmètre d’une « intégration politique », au sens où la définit Habermas, ou franchit-on le cap d’une « intégration éthique » qui donnerait au projet de l’UE – celui d’une intégration toujours plus étroite entre les États, les peuples et les citoyens européens, selon la formule des traités – une portée résolument identitaire, en en faisant un instrument pour sauvegarder la « #civilisation_européenne » face à d’« autres » qui la menaceraient ? La seconde hypothèse n’a certes rien de problématique aux yeux des partisans de la quête d’« Européanité », pour qui le projet européen n’a de sens que s’il est tout entier tourné vers la défense de la « substance » identitaire de la « civilisation européenne ».

    En revanche, le passage à une « intégration éthique », tel que le suggère l’exhortation à s’en remettre à une « Europe des valeurs » plutôt que des droits ou de la citoyenneté, comporte des risques importants pour celles et ceux qui souhaitent maintenir l’Union dans le giron d’une « intégration politique », fondée sur le respect prioritaire des principes démocratiques, de l’État de droit et des libertés fondamentales. D’où également les craintes que concourt à attiser l’association explicite des « valeurs de l’Union » à un « mode de vie » à préserver de ses « autres éthiques ». Deux risques principaux semblent, à cet égard, devoir être mentionnés.

    En premier lieu, le risque d’exclusion des « autres » est intensifié par la généralisation de politiques imposant un critère de #compatibilité_identitaire à celles et ceux que leur altérité « éthique », réelle ou supposée, concourt à placer à l’extérieur d’une « communauté de valeurs » enracinée dans des traditions particulières, notamment religieuses. Fondé sur ces bases identitaires, le traitement des étrangers en Europe manifesterait, selon #Etienne_Tassin, l’autocontradiction d’une Union se prévalant « de la raison philosophique, de l’esprit d’universalité, de la culture humaniste, du règne des droits de l’homme, du souci pour le monde dans l’ouverture aux autres », mais échouant lamentablement à son « test cosmopolitique et démocratique ». Loin de représenter un simple « dommage collatéral » des politiques migratoires de l’UE, les processus d’exclusion touchant les étrangers constitueraient, d’après lui, « leur centre ». Même position de la part d’Étienne Balibar qui n’hésite pas à dénoncer le « statut d’#apartheid » affectant « l’immigration “extracommunautaire” », signifiant par là l’« isolement postcolonial des populations “autochtones” et des populations “allogènes” » ainsi que la construction d’une catégorie d’« étrangers plus qu’étrangers » traités comme « radicalement “autres”, dissemblables et inassimilables ».

    Le second risque que fait courir la valorisation d’un « nous » européen désireux de préserver son intégrité « éthique », touche au respect du #pluralisme. Si l’exclusion des « autres » entre assez clairement en tension avec les « valeurs » proclamées par l’Union, les tendances à l’homogénéisation résultant de l’affirmation d’un consensus fort sur des valeurs déclarées comme étant « toujours déjà » communes aux Européens ne sont pas moins susceptibles de contredire le sens – à la fois la signification et l’orientation – du projet européen. Pris au sérieux, le respect du pluralisme implique que soit tolérée et même reconnue une diversité légitime de « valeurs », de visions du bien et du monde, dans les limites fixées par l’égale liberté et les droits fondamentaux. Ce « fait du pluralisme raisonnable », avec les désaccords « éthiques » incontournables qui l’animent, est le « résultat normal » d’un exercice du pouvoir respectant les libertés individuelles. Avec son insistance sur le partage de convictions morales s’incarnant dans un mode de vie culturel, « l’Europe des valeurs » risque de produire une « substantialisation rampante » du « nous » européen, et d’entériner « la prédominance d’une culture majoritaire qui abuse d’un pouvoir de définition historiquement acquis pour définir à elle seule, selon ses propres critères, ce qui doit être considéré comme la culture politique obligatoire de la société pluraliste ».

    Soumis aux attentes de reproduction d’une identité aux frontières « éthiques », le projet européen est, en fin de compte, dévié de sa trajectoire, en ce qui concerne aussi bien l’inclusion des « autres » que la possibilité d’un « nous » qui puisse s’unir « dans la diversité ».

    https://laviedesidees.fr/L-Europe-et-la-fabrique-de-l-etranger
    #identité #altérité #intégration_éthique #intégration_politique #religion #islam

    • Politique de l’exclusion

      Notion aussi usitée que contestée, souvent réduite à sa dimension socio-économique, l’exclusion occupe pourtant une place centrale dans l’histoire de la politique moderne. Les universitaires réunis autour de cette question abordent la dimension constituante de l’exclusion en faisant dialoguer leurs disciplines (droit, histoire, science politique, sociologie). Remontant à la naissance de la citoyenneté moderne, leurs analyses retracent l’invention de l’espace civique, avec ses frontières, ses marges et ses zones d’exclusion, jusqu’à l’élaboration actuelle d’un corpus de valeurs européennes, et l’émergence de nouvelles mobilisations contre les injustices redessinant les frontières du politique.

      Tout en discutant des usages du concept d’exclusion en tenant compte des apports critiques, ce livre explore la manière dont la notion éclaire les dilemmes et les complexités contemporaines du rapport à l’autre. Il entend ainsi dévoiler l’envers de l’ordre civique, en révélant la permanence d’une gouvernementalité par l’exclusion.

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