• Katalin Kariko, pionnière du vaccin à ARN messager : « J’étais l’archétype de la scientifique qui lutte. Et qui chute »

    S’il fallait retenir un visage de l’extraordinaire épopée du vaccin à ARN messager, ça serait le sien. Depuis un an, Katalin Kariko collectionne les honneurs. Cette chercheuse qui, à 67 ans, n’était jamais allée à Paris y est passée deux fois en juin : pour recevoir la grande médaille de l’Académie des sciences et le prix international L’Oréal-Unesco Pour les femmes et la science. L’occasion pour la biochimiste hongroise, désormais vice-présidente de l’entreprise allemande BioNTech, de revenir sur les multiples embûches qui ont jalonné son parcours.

    Je ne serais pas arrivée là si…

    … Si je n’avais pas été si souvent limogée des postes que j’occupais. Mon histoire n’est pas celle de la femme à succès qui, pas après pas, avance dans sa carrière, en enchaînant les promotions pour atteindre la gloire et les prix internationaux. Pendant longtemps, la réussite m’a même fuie. Vu de l’extérieur, j’étais l’archétype de la scientifique qui lutte. Et qui chute.

    Moi je voyais bien que j’avançais, j’avais confiance et ça me rendait heureuse malgré tout. Mais les institutions dans lesquelles je travaillais ne m’ont jamais montré beaucoup de soutien. En revanche, elles ont toutes fini par me montrer la porte. Sans cela, je n’aurais pas quitté la Hongrie, ni Temple University, le premier établissement qui m’a accueillie aux Etats-Unis, ni l’université de Pennsylvanie ensuite, et je ne serais jamais allée chez BioNTech…

    J’ai fini par comprendre que le système est tel qu’il n’accorde le soutien financier, les promotions, les bourses qu’à ceux qui gravitent déjà près du centre, où règnent les théories dominantes du moment. A l’inverse, l’originalité et l’indépendance s’affirment à la périphérie. Le prix à payer est lourd, mais c’est cela qui m’a permis de rester concentrée sur mon objectif.

    Commençons par votre première mise à l’écart, en Hongrie. Que s’est-il passé ?

    Mon laboratoire a perdu ses financements. J’étais postdoctorante là-bas, je travaillais déjà sur l’ARN messager et, le jour de mes 30 ans, j’ai appris que je devais partir. J’adorais travailler dans ce centre de recherche, j’adorais la Hongrie. D’autres rêvaient des Etats-Unis, moi pas du tout. Quand j’ai compris que j’allais devoir m’exiler si je voulais continuer à faire la biochimie que j’aimais, ça m’a terrifiée.

    Avez-vous connu une enfance heureuse ?

    Oh oui ! Mon père était boucher, ma mère comptable. Ils n’avaient pas dépassé l’éducation primaire, mais c’étaient tous les deux des personnes intelligentes. Mon père jouait du violon, il multipliait les nombres à deux chiffres instantanément : 28 fois 64, paf !

    La maison ne comptait qu’une pièce où nous vivions à quatre, un poêle à bois, l’électricité, mais pas d’eau courante, pas de frigo, pas de télévision évidemment. Mais personne dans le quartier n’avait tout ça, ce n’était pas un problème. Et tout le monde travaillait, beaucoup. On avait des cochons, des poulets, un jardin avec nos légumes. Moi et ma grande sœur avions notre coin où nous regardions les plantes germer et grandir.

    Etait-ce le début de votre intérêt pour la biologie ?

    C’est possible. J’étais très curieuse. Quand mon père tuait le cochon, ma sœur allait se cacher, moi j’essayais de comprendre où se trouvait chacun des organes. En vérité, je pense que tout enfant qui voit un poussin sortir d’un œuf, la vie bourgeonner au printemps ou les cigognes revenir chaque année se pose des questions.

    Et puis j’ai eu des professeurs formidables. Ils nous faisaient mettre les mains dans la science. A l’école primaire, on fabriquait des cristaux à partir de solutions saturées et d’un petit fil. Depuis, dès que je vois un cristal… je tourne la tête pour regarder sa forme… La science m’a toujours fascinée et donc j’avais de très bons résultats.

    A 14 ans, j’ai terminé troisième au concours national de biologie à Budapest. Et à 16 ans, j’ai commencé à vouloir devenir scientifique. C’est aussi l’année où la classe a écrit une lettre à Janos Selye [1907-1982], le médecin hongrois installé au Canada qui a inventé la notion de stress. Il nous a répondu, on a tous lu son livre. Ça m’a passionnée. Il expliquait comment le stress peut nous tuer, mais aussi que sans lui on ne pourrait pas se lever le matin. Et que transformer le stress négatif en stress positif était l’enjeu d’une vie. Qu’il fallait se concentrer sur ce que l’on pouvait changer, ne pas perdre son temps en se comparant aux autres et en se lamentant sur son sort. Après cette lecture, je n’ai jamais cessé d’appliquer ces préceptes.

    Comment avez-vous décidé de travailler sur l’ARN messager ?

    Par hasard. J’étais à l’université de Szeged, en maîtrise, dans un laboratoire spécialisé dans les lipides, un truc assez ennuyeux, et deux étudiants sont venus demander de l’aide pour faire des liposomes, ces bulles de lipides qui permettent d’acheminer l’ADN dans les cellules. J’ai appris à le faire. Et un jour, un professeur est venu au labo, c’était le chef d’une équipe qui travaillait sur l’ARN. Mes compétences l’intéressaient. J’ai basculé et fait ma thèse avec lui. C’était une équipe financée par des industriels. On pensait que l’ARN pouvait avoir un effet antiviral. Mais les expériences étaient difficiles, même si nous avions des résultats encourageants. Ils ont retiré leur soutien.

    Direction les Etats-Unis…

    J’ai d’abord postulé à Montpellier, à Londres et à Madrid. Les universités étaient prêtes à m’accueillir, mais il me fallait une bourse et la Hongrie n’en donnait pas. J’ai donc pris ma respiration et candidaté aux Etats-Unis, et Temple University, en Pennsylvanie, m’a acceptée.

    A l’époque, en 1985, nous avions le droit d’emporter 50 dollars par personne. Donc 100 dollars pour mon mari et ma fille. Moi, rien, car j’avais un contrat de travail. On a vendu notre Lada, changé l’argent au noir et récupéré 800 livres sterling qu’on a cousues dans le nounours de ma fille de 2 ans. Trois allers simples et nous voilà à Philadelphie, juste tous les trois, dans une société inconnue, pas d’amis, le niveau de vie qui s’effondre. En Hongrie, nous avions une machine à laver, là il fallait aller dans une laverie automatique.

    Le rêve américain…

    C’est l’histoire de beaucoup d’immigrants, partout dans le monde. Le quotidien est une épreuve continuelle. Pour tenir, il faut une foi inébranlable en soi et beaucoup travailler. C’est pour ça que les immigrants sont si particuliers, qu’ils accomplissent des choses incroyables. Au laboratoire, j’ai travaillé comme une folle, appris énormément de choses, beaucoup publié, si bien qu’au bout de trois ans j’ai reçu une offre d’embauche de l’université Johns-Hopkins. Quand j’en ai parlé à mon patron, il m’a dit qu’il n’en était pas question, que je lui devais mon invitation aux Etats-Unis. Et quand j’ai décidé d’accepter, il m’a dénoncée aux services de l’immigration qui ont voulu m’expulser. J’ai dû payer 1 000 dollars de frais d’avocats – j’en gagnais 17 000 par an. Le tribunal m’a donné raison mais, entre-temps, Johns-Hopkins avait annulé mon contrat au motif que j’étais une fugitive…

    J’ai trouvé un CDD à Bethesda, près de Washington, dans une faculté de médecine militaire. Ma famille était restée à Philadelphie, moi je dormais dans mon bureau car on ne pouvait pas payer deux loyers, je me lavais au gymnase. Neuf mois comme ça. Finalement, après des dizaines de candidatures, j’ai été acceptée à l’université de Pennsylvanie.
    La prestigieuse UPenn, une des universités privées de l’Ivy League…

    Oui, chez Elliot Barnathan, au département de cardiologie. Il m’a toujours soutenue. Mes recherches sur l’ARN messager n’étaient pas au cœur de l’activité de l’équipe, mais il avait confiance en moi. Sauf qu’en 1995, au bout de cinq ans, la direction de l’université m’a rétrogradée, écartée de la liste académique, parce que je n’avais pas obtenu de financement des NIH [instituts américains de la santé] ou d’ailleurs. J’avais le choix entre rester comme assistante de recherche avec un salaire de misère ou partir. Je suis restée car j’aimais mon travail et l’équipe. Et je voyais que nous progressions. C’est essentiel : être tenace, ce n’est pas s’entêter pour s’entêter, c’est tenir compte des progrès, des résultats, et, s’ils sont là, y croire et poursuivre. Je n’avais plus de bureau, mais Elliot m’a accueillie dans le sien, a financé mes recherches et créé un poste temporaire pour moi.

    Enfin un peu de stabilité…

    Deux ans. Car en 1997, il a quitté UPenn. Sa remplaçante ne voulait plus de moi. Là, j’ai été sauvée par un ancien étudiant, David Langer, devenu résident en neurochirurgie, qui a convaincu son patron de m’accueillir. Voilà pourquoi toute la recherche sur l’ARN messager a été conduite au département de neurochirurgie, ce qui à première vue n’a pas beaucoup de sens, mais le département était riche, ça ne leur coûtait pas grand-chose de me donner un peu d’espace et 40 000 dollars de salaire annuel. Et l’ARN messager pouvait aider à lutter contre les accidents vasculaires cérébraux (AVC). En tout cas, c’était notre idée. Toute ma vie j’ai travaillé avec des gens de domaines autres que le mien – des chimistes en Hongrie, un cardiologue, des neurochirurgiens –, à chercher des terrains communs et à s’enrichir mutuellement de nos approches.

    La rencontre avec l’infectiologue Drew Weissman devant la photocopieuse, moment devenu légendaire, s’inscrit-elle dans cette lignée ?

    Bien sûr. Je plaidais pour l’ARN messager partout où je pouvais. A UPenn, j’avais du mal à me faire entendre car c’était un des temples de la thérapie génique, qui consiste à modifier l’ADN pour vaincre les maladies d’origine génétique. Mais ces interventions sont aussi très risquées. UPenn l’a appris à ses dépens avec la mort d’un jeune homme pendant un essai clinique, en 1999, ce qui a conduit à tout arrêter.

    Mon argument, c’était que la plupart des pathologies sont temporaires. Pour soigner les multiples ampoules sur les mains de ma fille [Susan Francia, qui est double championne olympique d’aviron pour les Etats-Unis], je n’ai pas besoin de modifier son génome. Avec l’ARN messager, vous délivrez une information que vos cellules vont transformer en protéines thérapeutiques, et ça s’arrête dès que vous êtes guéri, ou immunisé si c’est un vaccin. Quand j’ai croisé Drew, qu’il m’a expliqué qu’il voulait mettre au point un vaccin contre le sida, je lui ai dit que je pouvais lui fabriquer de l’ARN pour ça. Et il m’a répondu oui.

    Le coup de chance ?

    Notre chance, c’est qu’en 1998 nous n’avions pas encore Internet. Nous étions obligés de photocopier des articles. A partir de 2002, c’était fini, on téléchargeait tout directement. Heureusement que le progrès n’a pas été plus rapide.

    Votre collaboration a-t-elle rapidement été fructueuse ?

    On a vite vu que l’ARN était très actif in vitro sur les cellules dendritiques, les éducatrices du système immunitaire. Mais sur les souris, il créait de l’inflammation. On a cherché d’où venait le problème. Et, après de nombreux essais, nous avons compris, puis démontré qu’en modifiant une des bases on évitait l’inflammation. Ça nous a pris sept ans.

    C’est l’article de 2005, la clé de voûte de l’édifice pour lequel vous êtes unanimement saluée. Avez-vous alors changé de catégorie ?

    Pas vraiment, non. D’abord ce papier a été refusé par les grandes revues. Nature l’a écarté au motif qu’il était « incrémentiel », je ne savais même pas ce que ça voulait dire. J’ai regardé dans le dictionnaire : des progrès infimes. L’article a fini dans Immunity, une revue beaucoup plus confidentielle. Il est passé pratiquement inaperçu. J’ai reçu en tout et pour tout deux invitations, à Hokkaïdo, au Japon, et à l’université Rockefeller, à New York.

    De 2005 à 2012, vous poursuivez la mise au point de votre système, en purifiant l’ARN messager, en augmentant son efficacité, en perfectionnant l’acheminement vers les cellules, in vitro et sur des souris. La reconnaissance est-elle cette fois au rendez-vous ?

    Dans la communauté de l’ARN messager, oui, forcément. Mais dans mon université, pas du tout. En 2008, j’ai mis en avant ma reconnaissance internationale pour pouvoir retrouver, treize ans après, un poste d’enseignante-chercheuse. Ils m’ont dit qu’en deux siècles et demi personne n’avait jamais été réintégré. « C’est la règle. » Je leur ai dit qu’il y avait aussi une règle qui obligeait Rosa Parks à s’asseoir au fond du bus. Ils m’ont répondu que c’était leur décision, que je n’avais pas le niveau. Je suis encore restée quatre ans, grâce à un contrat industriel, mais à Noël 2012 ils m’ont demandé de partir.

    Comment avez-vous réagi ?

    J’ai perdu 10 kilos en quelques mois. Et puis j’ai repensé à Janos Selye : se concentrer sur ce que l’on peut changer et ce que l’on veut vraiment faire. Moi, je voulais soigner les gens.

    Dans le domaine de l’ARN messager, il y avait trois biotechs. Moderna proposait de m’embaucher, mais je n’ai pas aimé le contact. Curevac pensait qu’il n’était pas nécessaire de modifier l’ARN messager, moi j’étais convaincue que si. Restait BioNTech : Ugur Sahin, son PDG, était clair, direct, et ils avaient un premier essai clinique en cours. Pour moi, c’était essentiel. A 58 ans, je voulais voir mes idées aboutir.

    Rêviez-vous déjà du vaccin ?

    Pas du tout. J’ai même dit à Ugur que tout m’intéressait sauf les vaccins. Je voulais un traitement. Contre le cancer, le diabète, l’anémie, peu m’importait. Mais pas un vaccin. Ugur a dit O.K. et m’a permis de monter mon équipe. Lui ne croyait pas vraiment à l’ARN modifié, mais il m’a fait confiance. D’autant qu’en 2014 Sanofi nous a donné 62,5 millions de dollars pour développer des traitements. C’était la première fois qu’un industriel s’impliquait véritablement. Devant l’argent, on s’incline. Quand Pfizer a proposé de s’associer pour un vaccin contre la grippe, en 2018, ça ne nous intéressait pas vraiment mais on voulait leur argent, donc on a travaillé.

    C’est grâce à cela que, lorsque l’épidémie de Covid-19 a commencé, vous étiez prêts à répondre ?

    Comme Stéphane Bancel chez Moderna, Ugur Sahin a tout de suite compris l’importance de cette pandémie et ce que nous allions pouvoir apporter avec notre technologie. Ce sont eux les visionnaires, pas moi. Mais ils se sont évidemment appuyés sur les vingt ans de recherches que nous avions accomplies avec Drew.

    Vous qui rêviez de soigner des gens, qu’avez-vous ressenti quand les résultats de l’essai clinique de phase 3 sont arrivés, avec cette efficacité impressionnante de 95 % ?

    C’était l’anniversaire de ma fille. Le téléphone a sonné : Ugur Sahin. « Tu es seule ? » Je suis sortie de la pièce. Il m’a donné le résultat. Je suis rentrée. Mon mari m’a demandé ce que c’était. Je lui ai répondu : « Le vaccin marche. »

    La vérité, c’est que je m’y attendais. A chaque étape, nous faisions beaucoup mieux que tous les autres vaccins, avec des niveaux d’anticorps incroyables. Pour fêter ça, j’ai mangé un Gruber, un cookie au chocolat et au beurre de cacahuète.

    Réservez-vous le champagne pour le Nobel que chacun vous promet ?

    Franchement, ce n’est pas ce qui compte. Dans les prix – j’en ai reçu quelques-uns –, ce que je préfère, ce sont les gens formidables qu’ils vous permettent de rencontrer. Autrement, si pendant quarante ans j’ai pu fonctionner sans reconnaissance, je peux bien me passer du Nobel. Je sais que pour ce cher Janos Selye, on a tous besoin d’encouragements réguliers. C’est peut-être là que je suis exceptionnelle.

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/07/03/katalin-kariko-pionniere-du-vaccin-a-arn-messager-j-etais-l-archetype-de-la-

    #ARN_messager : la leçon de liberté de Katalin Kariko, 1er décembre 2020
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/01/arn-messager-la-lecon-de-liberte-de-katalin-kariko_6061779_3232.html

    #Katalin_Kariko #recherche #santé #découverte_scientfique

  • 6 Ways to Start Decolonizing Data for Development Today - ICTworks
    https://www.ictworks.org/decolonizing-data-for-development

    Despite good intentions, data is sometimes collected, analyzed and used in ways that can replicate or even amplify existing injustices and inequalities. This happens because data and data-driven technologies are often treated as neutral tools. However, since these tools are developed by human beings within a social and cultural context, values and world views can be embedded within them. Decolonizing data for development approaches can help us to unpack this.

    #Décolonisation #Données #Aide_au_Développement

  • Emploi : « La condamnation européenne du barème d’indemnisation d’un licenciement injustifié est une gifle cinglante »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/17/emploi-la-condamnation-europeenne-du-bareme-d-indemnisation-d-un-licenciemen

    Il aura fallu attendre l’entre-deux-tours des élections législatives pour être informé de la condamnation européenne du barème d’indemnisation d’un licenciement injustifié, dit « barème Macron », l’un des symboles de la politique sociale d’Emmanuel Macron.

  • Ah, chez Lundi Matin, on en est encore aux élucubrations les plus crasses en matière de Covid, et que je t’enrobe ça dans un vocabulaire délirant et des paragraphes numérotés.

    Décoloniser la médecine ?
    https://lundi.am/Decoloniser-la-medecine

    Maintenir l’état d’exception théorique qui conduit à penser le covid comme un phénomène absolu, un virus qui existerait, simplement, en dehors de toute cosmologie, c’est fermer la porte à toutes les manières alternatives de le comprendre et donc, potentiellement, d’y faire face.

    […]

    l y a bien entendu des mauvaises conceptions des maladies : par exemple celles qui, empruntant tout au vocabulaire du nationalisme ambiant à l’époque de leur élaboration, font du corps une citadelle et du virus un étranger auquel il faut déclarer la guerre, cette métaphore dégénérant systématiquement en pensée du corps social national à préserver des étrangers. Leurs conséquences politiques sont bien connues. Reste à savoir ce que « nous », nous considérons comme des visions acceptables des maux qui nous affligent et surtout, comment imaginer la coexistence de différentes manières parfois antagonistes de concevoir ce mal selon les régions, les appartenances (ethniques, religieuses, politiques), le lieu et la forme de vie.

    […]

    Mais ce refus, qui s’agrégeait en Guadeloupe à une contestation sociale vivace, était aussi motivé sur la base de raisons religieuses et à partir de savoirs indigènes, certains acteurs affirmant être en mesure de combattre le covid par différentes méthodes locales (notamment les plantes médicinales, comme cela a également été le cas en Chine). Seule une perspective proprement coloniale nous permettrait de réduire ces motifs au rang de croyances insignifiantes.

    • C’est cependant un débat qu’il faudra avoir, dans les milieux de gauche/émancipation/décoloniaux, même en étant totalement opposé avec ce point de vue.

      On pense notamment au rôle de la Miviludes et de l’ordre des médecins dans la répression des médecines dites « alternatives » ou « parallèles » aujourd’hui.

      #médecine #santé #religion #anthropologie #relativisme #science #décolonial #Foucault #Bruno_Latour #vaccination #antivax #Guadeloupe #Paracelse

    • La Revue du Crieur aussi : Et si l’on battait le capitalisme sur le terrain du désir ? Alain Damasio, Revue du Crieur 2022/1 (N° 20)
      https://seenthis.net/messages/933520#message955946

      L’époque a un problème avec l’altérité. Elle ne sait plus vraiment comment l’accueillir, l’accepter, nouer avec elle, s’y articuler. Elle ne sait plus faire avec.

      Les migrants, les virus, les pas-comme-nous, les pas-de-chez-nous, les autres espèces, les autres genres ou les autres règnes : au mieux indifférence, angle mort, tache aveugle. Au pire conjuration et rejet. Expulsion. Exil. L’affect dominant est de fuir et chasser tout ce qui ne nous ressemble pas.

    • Bon, pas d’auteur et beaucoup de post-posts ou encore un travers du constructivisme que j’appelle le déconstructionnisme. Dire que quelque chose est le fruit d’une construction sociale, d’histoire, de rapports de force etc., ça ne veut pas dire que le processus que l’on mets en évidence abouti à des objets qui n’existent pas.

      Par ex, qu’il y ait tout un appareillage politique et de luttes sociales qui accompagne la « victoire » de l’approche de Pasteur contre les explications de type génération spontanée, ça ne veut pas dire que l’approche pastorienne n’est pas opérante du point de vue biologique ou médical.

      C’est un raccourci qui est assez fréquent chez certain·e·s lecteur·ice·s de Latour, Foucault etc...

      On a une situation - une épidémie par exemple - dont l’étendue est le fruit de différentes opérations humaines, de rapports de forces (impériaux ou coloniaux par exemple, mais aussi de classe ou industriels dans d’autres cas) et le fait qu’il y ait une accumulation d’erreurs humaines, d’intérêts particuliers et de rapports de force, voudrait presque dire que la maladie qui cause l’épidémie n’existe pas. A classer dans la catégorie #raccourcisexpéditifs

      Ps : Après, c’est aussi à mon avis un contre-coup de l’exploitation sans reconnaissance financière, notamment, de nombreux savoirs vernaculaires en phytothérapie par l’industrie pharmaceutique sous forme de molecules propriétaires qui renforce ce type de discours. De manière générale, le fait de balayer toute connaissance populaire (ex : la connaissance des patients sur leur propre maladie, celles de femmes sur les naissances etc...) d’un revers, ouvre la porte au charlatanisme et aux amalgames.

  • L’effervescence de l’indépendance algérienne
    https://laviedesidees.fr/Rahal-Algerie-1962-Une-histoire-populaire.html

    À propos de : Malika Rahal, #Algérie 1962. Une #Histoire populaire, La Découverte. Comment l’année 1962, où le pouvoir bascule des autorités coloniales aux représentants du peuple algérien, a-t-elle été vécue par la simple population ? Faute d’archives, Malika Rahal propose une histoire incarnée des émotions.

    #décolonisation #indépendance #émotion

  • Discovering Colonization, Decolonizing the ‘Discoveries’. by Giulia Dickmans
    https://www.roots-routes.org/discovering-colonization-decolonizing-the-discoveries-by-giulia-dickma

    How the Padrão dos Descobrimentos can contribute to the decolonization of Lisbon’s memoryscape and Portugal’s internal process of restorative justice L’articolo Discovering Colonization, Decolonizing the ‘Discoveries’. by Giulia Dickmans sembra essere il primo su roots§routes.

    • Des étudiants d’AgroParisTech appellent à « déserter » des emplois « destructeurs »

      Huit diplômés de l’école d’ingénieurs agronomes se sont exprimés, lors de leur cérémonie de remise de diplômes, contre un avenir tout tracé dans des emplois qu’ils jugent néfastes.

      « Ne perdons pas notre temps, et surtout, ne laissons pas filer cette énergie qui bout quelque part en nous. » Sur la scène de la luxueuse salle parisienne Gaveau, ce 30 avril, ils sont huit ingénieurs agronomes, fraîchement diplômés de la prestigieuse école AgroParisTech, à prendre la parole collectivement. Dans l’ambiance plutôt policée de cette soirée de remise de diplômes, après une introduction de musique disco sous éclairage de néons violet et vert bouteille, ils déroulent, d’un ton calme, un discours tranchant très politique.

      https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/05/11/des-etudiants-d-agroparistech-appellent-a-deserter-des-emplois-destructeurs_

    • « Nous, démissionnaires » : enquête sur la désertion d’en bas

      Les discours vibrants d’étudiants d’une grande école d’ingénieurs agronomes, au moment de la remise de leur prestigieux diplôme, qui déclarent ne pas vouloir suivre la voie royale que notre société de classe leur réserve, ont eu un grand retentissement. Or, si la désertion d’une petite frange de nos élites est un événement, elle masque trop souvent la désertion d’en bas, moins flamboyante mais parfois plus héroïque, des membres de la classe laborieuse. Elle survient actuellement dans tous les secteurs, de la restauration à l’informatique en passant par l’Éducation nationale ou l’associatif. Les démissionnaires d’en bas disent beaucoup du dégoût du travail et de la vie sous le capitalisme. Ils remettent en question avec force la façon dont on produit, dirige et travaille dans ce pays comme ailleurs. Ils sont un groupe dont on ne parle pas mais qui augmente en nombre et dont l’existence est un caillou dans la botte du patronat. Enquête sur la désertion d’en bas.

      Il y a un an, j’ai conclu une rupture conventionnelle et quitté mon dernier CDI. Deux mois plus tard, une amie faisait de même. Six mois plus tard, un autre m’annonçait sa démission. Il y a deux semaines, mon frère a démissionné de son premier CDI, il a vécu ce moment comme une libération. Après des années de brimades et de résistances dans une association, ma belle-mère a fait de même. Autour de moi, au travail, “on se lève et on se casse”. “Félicitations pour ta démission !” est un message que j’envoie plus souvent que “bravo pour ta promotion !” . Le récit du premier rendez-vous Pôle Emploi est devenu, parmi mes proches, plus répandu que celui du prochain entretien d’embauche. Le média en ligne Reporterre nous a informé la semaine dernière que nous n’étions pas les seuls, loin de là. Le phénomène de la « grande démission », qui a concerné aux Etats-Unis autour de 47 millions de personnes, semble toucher la France. L’enquête périodique du ministère du Travail sur les mouvements de main-d’œuvre le confirme : on assiste depuis 2 ans à une augmentation importante des démissions (+20,4% entre le premier trimestre 2022 et le dernier trimestre 2019).

      Ça n’a échappé à personne tant que le matraquage médiatique est intense : des secteurs peinent à recruter, ou perdent du personnel. C’est le cas de la restauration, dont le patronat se plaint, dans Le Figaro, de ne plus oser parler mal à ses salariés de peur qu’ils fassent leur valise. Mais c’est aussi le cas de l’hôpital public ou de l’Education nationale. Les explications médiatiques laissent le plus souvent à désirer : pour le Point, nous aurions perdu le goût de l’effort, tandis que la presse managériale se lamente sur ce problème qui serait générationnel. Ces dernières semaines, le thème de la désertion est essentiellement traité du point de vue d’une petite partie de la jeunesse diplômée et bien née, qui pour des principes éthiques et politiques, refuserait, comme par exemple dans les discours devenus viraux des étudiants d’AgroParisTech dont nous parlions en introduction, de diriger une économie basée sur la destruction de notre habitat pour se reconvertir dans l’agriculture paysanne.

      Mais qu’en est-il de cette désertion du milieu et d’en bas, celle des employés, des cadres subalternes, des fonctionnaires, des techniciens et des exécutants de la société capitaliste qui décident – souvent parce qu’ils n’en peuvent plus – de quitter leur emploi ? Derrière les grands principes, la réalité du travail est exposée dans la cinquantaine de témoignages que nous avons reçue, issus de tous secteurs : la désertion de la classe laborieuse est avant tout une quête de survie individuelle dans un monde du travail absurde et capitaliste. Elle dit beaucoup de la perte de nos outils collectifs de résistance aux injustices, de la solitude des travailleurs dont tout le monde se fout, mais aussi d’un refus puissant de jouer le rôle qu’on nous assigne. La grande démission est-elle une chance à saisir pour changer la société ?

      La démission, une question de survie face à la violence au travail

      Arthur* ne parle pas de « désertion ». Il n’a pas eu l’occasion de faire un discours vibrant lors de sa remise de diplôme. C’est normal, il est devenu apprenti pâtissier dès ses 14 ans et n’a pas eu le temps de souffler depuis. Mais il y a deux mois, il a démissionné de son emploi dans la restauration. Son patron a refusé la rupture conventionnelle, ce dispositif légal qui permet de partir, avec l’accord de son employeur, en échange d’indemnités minimales mais d’un accès aux indemnités chômage. Sa justification ? « Je t’ai appris des valeurs donc tu ne vas pas pointer au chômage ». Parmi les valeurs de ce Père La Morale : l’homophobie, qui a contraint Arthur à devoir cacher sa sexualité, avant d’être poussé au coming out, devant des collègues, par son patron. Dans cette petite entreprise, il a enduré des années de brimades et d’humiliations qui lui ont fait perdre confiance en lui et le goût de son travail. Depuis sa démission, il est sans revenus et a du mal à retrouver un emploi décent. Il n’empêche qu’il vit son départ comme un soulagement, après avoir enduré tête baissée ces années de captivité professionnelle, avec ses horaires décalées, son chef tyrannique et sa paye minimale. Le confinement de 2020 a joué un rôle déterminant dans sa prise de décision : Arthur a enfin eu du temps pour voir ses proches, sa famille, pour s’intéresser à la politique et ainsi, avancer.

      Les problèmes de turnover du secteur de la restauration ne sont quasiment jamais décrits du point de vue d’Arthur et de ses collègues. La presse est entièrement mobilisée pour relayer le point de vue du patronat, qui se plaint d’une pénurie de main-d’œuvre. Arthur rit jaune devant un tel spectacle : « ça me fait autant marrer que ça me dégoûte, m’explique-t-il, et mon patron tenait aussi ce discours de ouin-ouin « il y a un grand turn over plus personne ne veut travailler… » alors qu’on faisait quasiment tous 65h payées 39h ». Le secteur de la restauration est à l’avant-poste de tout ce qui dysfonctionne – ou plutôt fonctionne selon les intérêts du patronat – dans le monde du travail : des salariés isolés, sans représentation syndicale efficace, une hiérarchie omniprésente et intrusive, un travail difficile, en horaires décalés, avec beaucoup d’heures supplémentaires (souvent non payées) et avec peu d’autonomie et où le droit est très peu respecté.

      C’est aussi à cause de la violence généralisée que Yann a quitté plusieurs emplois successifs, dans la manutention puis le bâtiment. Pour lui, le problème venait tout autant de hiérarchies « maltraitantes » que de l’ambiance générale entretenue au sein des entreprises qu’il a connu : « J’avais cette sensation qu’on m’obligeait à bosser avec des personnes que j’aurais détesté fréquenter en dehors, et d’un autre côté qu’on me mettait en compétition avec des gens avec qui j’aurais pu être pote » m’a-t-il raconté. L’ambiance « stupidement viriliste » au travail ne lui convenait pas et il n’a pas trouvé de possibilités d’améliorer les choses.

      La plupart des témoignages reçus viennent confirmer une tendance lourde du monde du travail des années 2020 : si la violence est aussi répandue, c’est parce que la pression au travail s’est accrue, et pèse sur les épaules de toute une partie des effectifs, des managers aux employés de base. L’absence d’empathie des chaînes hiérarchiques semble être devenue la norme, comme nous l’avions déjà décrit dans un précédent article. C’est ainsi que Sara*, responsable de boutique dans une chaîne d’épicerie, a fini par quitter son emploi, après avoir gravi tous les échelons. Déjà éprouvée par la misogynie continuelle qu’elle subissait au quotidien, elle s’est retrouvée seule face à une situation de violence au travail, sans réaction de sa hiérarchie. Dans cette structure jeune, très laxiste sur le droit du travail, elle n’a pas trouvé de soutien face à la pression continuelle qu’elle subissait. Résultat, nous dit-elle, « j’allais au travail la boule au ventre, je faisais énormément de crises d’angoisse chez moi le soir, beaucoup d’insomnies aussi. J’ai un terrain anxieux depuis l’adolescence mais c’était la première fois depuis des années que j’ai ressenti le besoin d’être sous traitement. Je me sentais impuissante et en danger ».

      Ce témoignage est tristement banal : il semblerait qu’en France, les hiérarchies se complaisent dans l’inaction face aux atteintes à la santé des salariés. Il faut dire que les dernières évolutions législatives ont considérablement favorisé cette nouvelle donne. Nous en avons parlé à de multiples reprises : depuis la loi El Khomri de 2016 et les ordonnances travail de 2017, la santé au travail est reléguée au second plan, et le pouvoir du patronat face aux salariés a été considérablement renforcé. Le prix à payer était, jusqu’ici, l’augmentation du mal-être au travail, du burn out ainsi que des accidents, qui fait de la France une triste championne d’Europe de la mortalité au travail.

      La démission et le turn over qui en résultent, ainsi que la difficulté à recruter dans de nombreux secteurs, est désormais le prix que doivent payer les employeurs, et ils ne sont pas contents : peut-être auraient-ils pu y songer quand ils envoyaient toutes leurs organisations représentatives (MEDEF, CPME…) plaider pour détricoter le code du travail auprès des gouvernements successifs.

      La « perte de sens » : une question matérielle et non spirituelle

      Dans les témoignages reçus, la question du sens occupe une place moins grande que celle des (mauvaises) conditions de travail. Là encore, la désertion d’en bas diffère de la désertion d’en haut décrite dans la presse, où la question du sens et des grands principes est centrale. Au point que les grands groupes s’adaptent pour retenir leurs « talents » (c’est comme ça que les cadres sup appellent les autres cadres sup) en se donnant une « raison d’être » qui ne soit pas que la satisfaction de l’appât du gain des actionnaires. Ce dispositif est permis par la loi PACTE depuis 2019, et il ne sert à rien d’autre qu’à faire croire qu’une boîte capitaliste n’est pas seulement capitaliste : elle aime les arbres, aussi. Quand il s’agit du sens au travail, personne n’évoque la politique de “Responsabilité Sociale et Écologique » que les grands groupes affichent fièrement sur des affiches dans le hall du siège social. En revanche, trois cas de figures semblent se dessiner : le sentiment d’absurdité et d’inutilité, le sentiment de ne pas réussir à faire correctement son travail et de voir ses missions dévoyées, et enfin celui de faire un travail nuisible, intrinsèquement mauvais, qu’il convient de quitter pour des raisons politiques et morales.
      1 – L’absurdité au rendez-vous : « qu’on existe ou pas, ça ne change rien »

      Mon frère a quitté une structure associative où il était constamment noyé de boulot… sans savoir à quoi il servait. « J’ai encore une histoire à la The Office à te raconter » avait-il l’habitude de m’écrire. The Office, brillante série américaine, met en scène des salariés qui font toujours autre chose que leur travail, car constamment sollicités par un patron égocentrique et extravagant les entraînant dans un tourbillon de réunions, formations sécurité, séminaires de team building, concours de meilleur employé etc. Mais à la fin, ils servent à quoi, ces gens qui travaillent ? Dans le cas de mon frère, si le sens était altéré, c’était d’abord en raison d’une mauvaise gestion, d’un objet mal défini par un compromis politique reconduit chaque année par un directoire composé d’élus locaux. Il n’empêche que pour mon frère, l’intérêt de son job pour la société n’était pas avéré : « qu’on existe ou pas, ça ne change rien » m’a-t-il dit avant de décider de partir.

      Le thème des « bullshit jobs », ces métiers inutiles et ennuyeux dont l’existence a été brillamment théorisée par l’anthropologue britannique David Graeber, peut expliquer tout un pan du désamour d’une partie des cadres moyens pour leurs professions vides de sens. Pour mon ami A., son activité de consultant s’inscrivait en partie dans ce paradigme-là. Bien sûr, son action avait une utilité pour l’entreprise cliente, car le logiciel qu’il y mettait en place et pour lequel il formait le personnel à une organisation dédiée améliorait vraiment les choses. Mais que faire si l’entreprise elle-même avait une activité absurde ?

      Le capitalisme contemporain, nous dit Graeber, génère une immense aristocratie constituée de services de ressources humaines et de cabinets de consultants, c’est-à-dire de gens dont le travail est de gérer le travail des autres. Forcément, l’utilité ne tombe pas toujours sous le sens. Cette masse de gens qui dépendent de cette économie des services pour le travail n’a cessé de grossir, et ses contradictions génèrent sa propre croissance : dans ces entreprises où les cadres s’ennuient et se demandent à quoi ils servent, il faut faire venir des consultant en bien-être au travail qui vont organiser des ateliers et des cercles de parole pour parler de ce problème.

      Le problème du sentiment d’absurdité au travail, c’est qu’aucune hiérarchie ne tolère qu’il s’exprime librement. Les techniques de management des années 2020 insistent sur la nécessité de l’engagement, en toute bienveillance évidemment : il s’agit d’être sûr que tout le monde adhère à fond au sens de son travail. Ecrire un hymne en l’honneur de l’entreprise, comme A. a été invité à le faire lors d’un week-end de « team building », poster des photos de son travail et de son enthousiasme sur un réseau social interne, comme doivent le faire les salariés d’un grand groupe agroalimentaire où j’ai eu l’occasion de mener une expertise en santé au travail. Le non-engagement est sanctionné : dans cette entreprise, une évaluation comportementale annuelle se penche sur le niveau d’engagement et d’implication des salariés. Le soupir n’est pas de mise. Comment, dans ces conditions, tenir le coup sans devenir un peu fou ? A., comme d’autres consultants qui m’ont écrit, a choisi la démission.
      2 – La qualité empêchée : « j’aimerais juste pouvoir faire mon travail »

      Le sentiment d’absurdité ne peut expliquer à lui seul la succession de démissions et de déception professionnelle. Au contraire, nombre de récits reçus sont ceux de gens qui croyaient en ce qu’ils faisaient mais se sont vu empêcher de mener correctement leurs missions. La question du sens est le plus souvent abordée sous l’angle de la capacité ou non à bien faire son travail. Or, autour de moi et dans les témoignages reçus pour cette enquête, tout le monde semble frappé de ce que les psychologues du travail appellent la « qualité empêchée ».

      L’histoire de Céline*, maîtresse de conférence dans l’université d’une grande ville française, s’inscrit en partie dans ce cadre. Elle aussi a été poussée au départ par une pression administrative constante et l’absence de solidarité de son équipe. Elle a quitté une situation pourtant décrite comme confortable et stable : fonctionnaire, dans l’université publique… Pour elle, son travail est détruit par « les dossiers interminables pour avoir des moyens ou justifier qu’on a bien fait son travail », mais aussi les programmes et l’organisation du travail qui changent constamment et, évidemment, le manque de moyens. Paloma, enseignante dans le secondaire, a pris conscience de son envie de partir lors des confinements, mise face à la désorganisation de l’Education nationale, au niveau du pays comme des deux établissements où elle enseignait. Plus généralement, elle m’a confié que “le plus dur, c’était de constater que les élèves détestent l’école et les profs aussi, et qu’on ne cherche pas à faire réfléchir les élèves ou à développer leur sens critique. Je ne voulais pas contribuer à ça.”

      La question du manque de moyens est omniprésente lorsque l’on discute avec les personnels des services publics. Ce manque, qui se ressent dans la rémunération mais qui transforme toute envie d’agir ou d’améliorer les choses en parcours du combattant face à des gestionnaires omniprésents et tâtillons, brisent l’envie de rester. Les soignant.e.s ne cessent de le répéter, apparemment en vain : « En formation, on apprend que chaque patient est unique et qu’il faut le traiter comme tel, résumait Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers. Mais quand on arrive à l’hôpital, on est face à un processus bien plus industriel, où on n’a pas le temps d’accompagner le patient, d’être à l’écoute. Il y a alors le sentiment de mal faire son travail et une perte de sens ». C’était il y a un an. Désormais, la pénurie de personnel entraîne la fermeture de services d’urgences la nuit, un peu partout en France. Ce sont les patients, et le personnel qui continue malgré tout, qui subissent de plein fouet les départs en masse de l’hôpital public où « la grande démission » n’est pas une légende médiatique.

      Face à ces problèmes très concrets, la question du sens devient presque une opportunité rhétorique pour le gouvernement et les strates hiérarchiques : il faudrait « réenchanter la profession », donner du sens aux métiers du service public à base de communication abstraite, plutôt que de donner les moyens de travailler correctement.
      3 – Le sentiment de faire un travail nocif : ​​”j’étais surtout un maillon de la perpétuation de la violence sociale”

      Hugo* travaillait pour un important bailleur social d’Île-de-France. Désireux de sortir de la précarité continue qu’il connaissait en enchaînant les CDD dans la fonction publique, il est devenu chef de projet dans cette structure, en ayant l’espoir de pouvoir se rendre utile. « J’y suis arrivé plein d’entrain car j’avais à cœur de faire un métier « qui ait du sens » … loger les pauvres, être un maillon de la solidarité sociale, etc ». Il a vite déchanté : « Globalement, je me suis rendu compte que j’étais surtout un maillon de la perpétuation de la violence sociale. In fine, malgré tout l’enrobage du type « bienveillance », « au service des plus démunis », des photos de bambins « de cité » tout sourire, il s’agissait d’encaisser les loyers pour engraisser les actionnaires (c’était un bailleur social privé, pas public). J’ai ainsi participé à une opération de relogement d’une tour de 60 habitants, qui allait être démolie dans le cadre du « renouvellement urbain ». Autant vous dire que les locataires n’étaient pour beaucoup (hormis quelques fonctionnaires communaux ayant encore un peu d’âme) que des numéros. Des « poids » à dégager au plus vite. Toutes les semaines je devais faire un « reporting » sur combien étaient partis, combien il en restait encore, avec un objectif… Je devais faire 3 propositions de logement aux locataires et leur mettre la pression pour qu’ils acceptent, en brandissant la menace de l’expulsion à demi-mot. Je voyais l’angoisse sur le visage des gens. » Hugo a fini par craquer et obtenir – au forceps – une rupture conventionnelle.

      Selma* et Damien* travaillaient aussi dans des professions participant de la façon dont on construit et on habite les villes. La première est urbaniste, le second architecte. Ils ont quitté des métiers pourtant souvent perçus comme intéressants et utiles parce que les effets de leur action leur semblaient vains voire néfastes, sur le plan social et écologique. Pour Selma, les mauvaises conditions de travail liées aux contraintes financières de son entreprise rachetée par un grand groupe sapait la qualité de son travail. Quant à Damien, il déplore les activités de son ancienne agence d’architecture : “Les projets sur lesquels je travaillais étaient très loin de mes convictions : des logements pour des promoteurs, en béton, quasiment aucune réflexion sur l’écologie (au-delà des normes thermiques obligatoires). Je faisais partie d’une organisation qui construisait des logements dans le seul but de faire de l’argent pour les promoteurs avec qui je travaillais.” Sa conclusion est sans appel : “Globalement, j’en suis arrivé à la conclusion que nous allions tous dans le mur (écologique). Les villes seront bientôt invivables, ne sont pas résilientes au changement climatique (essayez de passer un été sans clim à Strasbourg). J’ai constaté que j’étais totalement impuissant pour changer un tant soit peu les choses.”

      Les personnes qui travaillent dans des domaines d’activité nocifs à la société et qui en souffrent évoluent dans une contradiction forte, qui se termine souvent par un départ, faute d’avoir pu faire changer les choses de l’intérieur. Le manque d’autonomie conjugué à la quête de sens peut expliquer le nombre croissant de démissions et la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs (le nucléaire, par exemple, a de grosses difficultés à recruter – étonnant, non ?). Chercher du sens dans son travail pose néanmoins une question de ressources : la stabilité économique doit d’abord être garantie, et la majeure partie de la classe laborieuse n’a pas le luxe de s’offrir le sens et la sécurité tout à la fois.
      La démission : une forme (désespérée) de protestation au travail ?

      Je repense à mes départs successifs (trois, au total : un non-renouvellement de CDD, une démission, une rupture conventionnelle) avec soulagement mais aussi une pointe de culpabilité. Quitter un emploi, c’est laisser derrière soi des collègues que l’on appréciait, avec qui l’on riait mais aussi avec qui on luttait. Deux de mes départs ont été le résultat de petites ou de grosses défaites collectives, accompagné d’un dégoût ou d’un désintérêt pour des secteurs ou des entreprises que j’estimais impossibles, en l’état du rapport de force, à changer. J’ai donc demandé à toutes les personnes qui m’ont raconté leur démission si elles avaient tenté de changer les choses de l’intérieur, et comment cela s’était passé. La majeure partie des personnes qui m’ont répondu ont tenté de se battre. En questionnant la hiérarchie sur les conditions de travail, en réclamant justice, en poussant la structure à s’interroger sur le sens de son action et de ses missions… en vain.

      Les situations les plus désespérées en la matière m’ont sans doute été racontées de la part de démissionnaires du monde associatif. Les associations, des structures où l’on exerce en théorie des métiers qui ont du sens… et qui sont progressivement vidées de leur essence par des hiérarchies calamiteuses, des conditions de travail très dégradées, des logiques néolibérales et gestionnaires qui viennent s’appliquer au forceps, contre l’intérêt des salariés et des usagers… Et le pire, c’est que le discours du sens y est devenu une arme mobilisée par le patronat associatif pour mater les salariés récalcitrants en leur opposant la noblesse de leur mission et la nécessité de ne pas y déroger pour ne pas nuire aux usagers. Antoine, démissionnaire d’une association d’éducation populaire dans l’ouest de la France, résume bien la situation : “dans l’associatif, la répression syndicale est super forte, joli combo avec le côté « on est dans une association alors on est toustes des gens biens et militants donc ça se fait pas de parler de domination”, qui décourage pas mal à se mobiliser…”.

      Il y a des secteurs qui sont structurellement moins propices à la résistance salariale collective, et l’associatif en fait partie, et pas seulement à cause du discours évoqué par Antoine. Le syndicat ASSO, la branche de Solidaires dédié aux salariés de l’associatif, rappelle qu’il s’agit d’un secteur “très atomisé, où nombre de salarié.e.s se trouvent seul.e.s dans de très petites structures : plus de 80 % des associations emploient moins de 10 salarié.e.s. L’organisation d’élections n’est pas obligatoire selon le code du travail pour les structures de moins de 10 salarié.e.s (6 pour la Convention de l’animation). Très peu de salarié.e.s ont une voix officielle, via un représentant.e du personnel, pour participer aux discussions sur leurs conditions de travail et pas d’appuis en interne en cas de conflit.” Par ailleurs, “près de 30% des salarié.e.s associatifs ne sont pas couverts par une convention collective (contre 8% dans le secteur privé marchand)”. On part donc de plus loin, quand on est salarié de l’associatif, que d’autres, pour améliorer les choses. Mais c’est le cas, d’une façon générale, dans l’ensemble des secteurs du pays qui ont tous subi d’importants reculs en matière de rapport de force salarial. Partout, le patronat est sorti renforcé des différentes réformes gouvernementales.

      C’est le cas à la SNCF, dont le personnel est massivement sur le départ depuis 2018, date de la réforme ferroviaire et d’une longue grève brisée par Macron et Borne, alors ministre des Transports et depuis Première ministre. En 2019, les départs ont augmenté de 40% par rapport à 2018, et ils suivent depuis le même rythme. La direction de la SNCF a tout fait pour briser les collectifs de travail, atomiser les salariés et modifier leurs conditions de travail. Dans Libération, les cheminots racontent comment la fin de leur statut a mis fin, entre autres, à la retraite garantie à 55 ans, compensation d’un rythme de travail épuisant.

      Difficile de résister quand les syndicats sont de moins en moins présents et nombreux. Yann, notre manutentionnaire démissionnaire, s’en prend quant à lui à la perte de culture du rapport de force chez ses collègues : « J’ai 35 ans et j’ai entendu de plus de plus les discours managériaux et les exigences patronales dans la bouche des ouvriers. C’est d’une déprime… Rien à prendre aussi du côté des « anciens » avec des dos défoncés qui ressassent des discours du type « on se plaignait pas avant », « les jeunes veulent plus rien faire »… ». Le problème dépasse largement, selon Yann, la culture de son ex-entreprise. Il s’étonne : “C’est fou que le sujet du malheur au travail ne soit quasiment jamais abordé à part par le côté clinique des burn out. Le sujet est absent de toutes les dernières campagnes électorales.”

      La solitude et la désunion, ou du moins l’absence de culture du rapport de force au travail, est une réalité qu’il est facile d’éprouver : la baisse continue des effectifs syndicaux n’en est que l’illustration statistique la plus flagrante. La démission devient alors une façon de mettre le collectif face à ses contradictions, d’interpeller collègues, direction et la société plus globalement sur les injustices qui s’accumulent. C’est un peu ce que concluait mon amie Orianne, infirmière à l’AP-HP et depuis en disponibilité pour exercer dans le privé. Comme des milliers de soignant.e.s en France, elle a déserté des hôpitaux publics détraqués par les gouvernements successifs – et celui-ci en particulier. Membre du collectif InterUrgences, Orianne s’est pourtant battue pendant plusieurs années, avec ses collègues, pour obtenir une revalorisation salariale et de meilleures conditions de travail, globalement en vain. Les applaudissements aux fenêtres durant le premier confinement n’auront donc pas suffi : le départ a été pour elle une issue personnelle et, dans un sens, collective ; face au manque de soignant.e.s, le gouvernement va-t-il finir par réagir ?

      De là à dire que la démission est une forme radicale et individuelle de grève, il n’y a qu’un pas que nous franchirons pas : car les grèves renforcent le collectif, soudent les collègues autour d’un objectif commun alors que la démission vous laisse le plus souvent seul, même si des effets collectifs peuvent se créer. Antoine a bon espoir que sa démission ait un peu secoué les choses : “mon départ a pas mal remué le Conseil d’Administration de mon association qui a prévu un gros travail sur la direction collégiale entre autres. A voir si cela bouge en termes de fonctionnement interne”, me dit-il. Lorsque mon frère a quitté son association, il s’est demandé si ses supérieurs hiérarchiques allaient “se remettre en question”. Je lui ai plutôt conseillé de ne pas en attendre grand-chose : les hiérarchies sont généralement expertes pour ne pas se remettre en question. Les “départs” sont évoqués, dans les entreprises, avec une grande pudeur, voire carrément mis de côté ou rangés du côté des fameux “motifs personnels” qui sont la réponse préférée des hiérarchies aux manifestations de la souffrance au travail.
      La quête (vaine ?) d’un ailleurs

      “Si ça continue, je vais partir élever des chèvres dans le Larzac moi” : c’est une phrase que j’ai souvent entendu, cliché du changement de vie après des déceptions professionnelles. Force est de constater que ce n’est pas la route empruntée par la plupart des démissionnaires, sinon les départements de la Lozère ou de l’Ariège auraient fait un signalement statistique. La plupart des personnes qui ont témoigné au cours de cette enquête ont des aspirations plus modestes : trouver un emploi avec des horaires moins difficiles, quitter une entreprise toxique, prendre le temps de réfléchir à la suite ou devenir indépendant.

      La reconversion agricole ou la reconversion tout court restent des possibilités accessibles à une minorité de personnes, en raison du temps et de l’argent que cela requiert. Yann, à nouveau, a tout résumé : “J’entends souvent le type de discours sur la perte de sens des CSP+ qui rêvent d’ouvrir un food truck ou un salon de massage, et ça m’irrite au plus haut point. Quand on est cadre, on a le capital financier/scolaire et le réseau pour faire autre chose. C’est nettement plus difficile quand on est préparateur de commande”. Mon compagnon fait partie de celles et ceux qui ont choisi la reconversion agricole comme planche de salut après des expériences désastreuses dans d’autres secteurs de l’économie. Il est le premier à relativiser le discours qui fait de l’agriculture un “ailleurs” au capitalisme . Ce n’est d’ailleurs pas pour ça qu’il a franchi ce cap, mais bien en raison d’un désir de vivre à la campagne, loin de la ville et dans un secteur qui l’intéressait davantage. Mais pour lui ce n’est pas une “alternative” au capitalisme, et c’est loin d’être une activité qu’il conseillerait à toutes celles et ceux qui veulent déserter les bureaux ou les entrepôts de la vie capitaliste : “C’est dur et tu gagnes mal ta vie”.

      Loin de l’image d’Epinal de la reconversion agricole enchantée où l’on vit d’amour et d’eau fraîche dans des cabanes dans les bois, façon vidéo Brut, l’agriculture, même biologique, s’insère dans un marché et dans des rapports de force qui sont tout sauf anticapitalistes. Le poids politique de l’agriculture intensive, le règne de la FNSEA, le principal lobby agro-industriel qui impose ses vues à tout le monde, avec le soutien du gouvernement, ne font pas de ce secteur un endroit apaisé et éloigné des turpitudes décrites précédemment.

      J’ai voulu un temps m’y lancer moi aussi (depuis, je me contente d’être vendeur au marché, ce qui me convient très bien) et j’ai vu, lors des formations que je suivais, l’attraction que le secteur exerçait sur de nombreux salariés désireux de changer, littéralement, d’horizon. J’ai vu ceux d’en bas, qui luttaient pour obtenir un lopin de terre à peine cultivable, et ceux d’en haut, qui rachètent des domaines immenses, font creuser des étangs et plantent le jardin bio-permaculture de leur rêve – pardon, font planter par des ouvriers agricoles – et semblent y jouer une vie, comme Marie-Antoinette dans la fausse fermette construite pour elle dans les jardins de Versailles. Puis ils s’étonnent que la population locale ne les accueille pas à bras ouverts… Bref, le monde agricole n’est pas un ailleurs, il est une autre partie du capitalisme où il faut lutter – même si le paysage y est souvent plus beau. Et d’ailleurs, les agriculteurs démissionnent aussi – de leur métier ou, c’est une réalité tragique, de leur propre vie. Les exploitants agricoles ont malheureusement la mortalité par suicide la plus élevée de toutes les catégories sociales.

      S’il y a bien un désir qui réunit la majeure partie des démissionnaires à qui j’ai parlé, et qui m’a moi-même animé, c’est celui de sortir du lien de subordination et du monde étouffant de l’entreprise en devenant indépendant. Ce désir d’indépendance, souvent snobé, quand on est de gauche, car il s’apparenterait à de la soumission déguisée en autonomie entrepreneuriale, n’est pourtant pas vécu comme un “projet” disruptif et capitaliste. Bien au contraire, les gens qui choisissent la voie de “l’auto-entrepreneuriat” et du freelance savent que c’est aussi une précarité économique que l’on peut vivre si on en a les moyens : quelques économies, un niveau de qualification suffisant, un petit réseau… Mais parfois, après avoir subi la violence du lien hiérarchique, on peut s’en contenter si c’est une possibilité. Mohamed, ingénieur, résume ce qui, pour lui, mène à l’envie d’indépendance, et qui résulte directement des impasses structurelles du travail sous le capitalisme contemporain : “Je n’ai que trois possibilités : faire partie d’un grand groupe (Atos, Orange, Thales, etc.), pire solution car travaillant exclusivement pour des actionnaires avec un boulot qui n’a aucun sens. Repartir en PME, ce qui est très bien pour 5 ans maximum mais on finit toujours par se faire racheter par les gros. Ou devenir indépendant.” Mais pour beaucoup, après la démission, c’est la quête d’un boulot salarié “moins pire” qui reste le seul choix possible.

      Démissionnaires de tous les secteurs, unissons-nous !

      Poussés dehors par des entreprises et des services publics de plus en plus macronisés (c’est-à-dire où la violence des rapports humains, la fausseté du discours et la satisfaction des actionnaires ou des gestionnaires prennent toute la place), nous sommes amenés à chercher des recours possibles pour mener une vie plus tranquille, un peu à l’égard de la guerre que le capitalisme nous mène. Mais l’ailleurs n’existe pas, ou bien il implique des choix de vie radicaux et sacrificiels. “Je me demande s’il y a moyen de dire fuck à la société capitaliste sans devenir un primitiviste babos qui ne se lave plus”, me résumait cette semaine mon frère, sans pitié. Franchement, sans doute pas. On peut s’épargner des souffrances inutiles en refusant le salariat, des boulots absurdes et profondément aliénants – quand on le peut – mais partout où on l’on se trouve, il faut lutter.

      Ce constat serait plombant si j’étais le seul à avoir quitté à répétition mes derniers emplois. Mais ce n’est pas le cas. Nous, démissionnaires, sommes des dizaines de milliers. Nous, les rescapés des ruptures conventionnelles, les démissionnaires sans allocations, les abandonneurs de postes, rejoignons chaque jour le cortège ordinaire des licenciés, des en-incapacité-de-travailler, des accidentés, des malades, de tous ceux qui ont été exclus ou se sont exclus du cursus honorum que le capitalisme accorde à celles et ceux qui ne font pas partie de la classe bourgeoise : baisse la tête, obéis au chef, endette-toi, fais réparer ta voiture et peut-être qu’à 40 ans tu seras propriétaire de ton logement.

      Nous, démissionnaires, sommes si nombreux et si divers. Les écœurés du virilisme des chantiers comme Yann, les saoulées du sexisme de boutique comme Sara, les rescapés de la brutalité patronale comme Arthur, les Selma et Damien qui ne veulent pas nuire aux habitants en faisant de la merde, les Céline, Paloma et Orianne qui n’ont pas rejoint le service public pour maltraiter élèves et patients mais aussi les Mohamed, les Hugo qui ne veulent pas engraisser des actionnaires en faisant de l’abattage de dossier pour gonfler les chiffres… Démissionnaires = révolutionnaires ? En tout cas, leur démission est une preuve de non-adhésion au système capitaliste.

      Démissionnaires de tous les secteurs : vous n’êtes pas seuls, nous sommes des milliers, et notre existence fait le procès de l’entreprise capitaliste. Notre amour du travail bien fait, de la justice et de la solidarité sont incompatibles avec la façon dont le capitalisme transforme nos activités, même celles qui en sont a priori le plus éloignées. Démissionnaires de tous les secteurs : unissons-nous !

      https://www.frustrationmagazine.fr/enquete-desertion

      #désertion #désertion_d'en_bas #démissionnaires #travail

  • Presentation of the EUI Decolonising Initiative • European University Institute
    https://www.eui.eu/events?id=541756
    https://apps.eui.eu/EUI_API/EVENTSV2/Images/Image?id=2683

    The Decolonising Initiative is a project recently funded by researchers, professors and teachers of the language center at the EUI who believe in the necessity to tackle colonial privileges and assumptions in the material and intellectual fabric of our institution.

    This forum is a place to examine constructively, among other concerns, the matter of white euro-centrism in the content and framing of academic syllabi, a lack of diversity in the EUI community, and the legacies of colonial history in our institutions of learning.

    The Decolonising Initiative is not a research working group and our members come from the communities of PhD researchers, postdoctoral fellows, academic faculty, and administration. We believe it to be vital that any members of EUI to be invited to participate in this wider conversation about anti-racism and racial justice that is taking place globally, both within and outside research institutions.

    Contact(s):

    Daphné Budasz (European University Institute)

    Organiser(s):

    Benno Gammerl (EUI)

    Michelle Graabek (EUI)

    Nicola Hargreaves (EUI - Language Centre)

    Fartun Mohamed (EUI)

    Benjamin Carver (EUI - Language Centre)

    Ophelia Nicole-Berva (EUI)
    EUI Newsletter

    © European University Institute 2022, Badia Fiesolana - Via dei Roccettini 9, I-50014 San Domenico di Fiesole (FI) - Italy

    #decolonising #decolonial #

  • Decolonising Settler Cities - Antipode Online
    https://antipodeonline.org/iwas-1617-porter

    ❝Decolonising Settler Cities, Post-Workshop Report, May 2018

    Professor Libby Porter (Centre for Urban Research, RMIT University)

    Dr Tod Jones and Dr Shaphan Cox (Department of Planning and Geography, Curtin University)

    Professor Cheryl Kickett-Tucker (Translational Research Centre for Aboriginal Knowledges and Wellbeing, Curtin University)

    Summary of achievements

    Decolonising Settler Cities was a series of events held throughout 2017 bringing together Indigenous and non-Indigenous activists, scholars, communities and practitioners to share their questions and critiques, experience and knowledge of cities as settler-colonial modes of power, and the possibilities and obstacles they present for Indigenous land justice.

    Every Australian city is built on the unceded country[1] of distinct, sovereign Aboriginal and Torres Strait Islander peoples who continue to practice their laws, cultures, rights and interests under persistent regimes of settler-colonial power. Yet this fact has still not penetrated urban scholarship and practice in Australia. There has been remarkably little effort made to interrogate how this fact unsettles the categories, theories and knowledges used by urban geography and built environment disciplines to understand and practice the Australian city. Despite some key interventions in the field from a handful of scholars, there remains a profound silence in mainstream Australian urban geographical scholarship and practice on Indigenous rights and justice. The urban context is also a stubbornly difficult place for Aboriginal and Torres Strait Islander people to realise land justice. While nearly 80% of Indigenous people in Australia live in cities, less than 1% of the land base returned after decades of their struggle is in urban areas. The question of the urban context, then, for Indigenous land and cultural justice is both urgent and vital.

    Our purpose in this series of events was to bring these issues more sharply onto the agenda for radical urban geography in Australia and beyond. Building on recent efforts to bring critical analyses of urbanisation and settler colonial contexts together, the events contributed to efforts toward reconfiguring Australian urban scholarship and practice to properly attend to Indigenous land and cultural justice.

    We held a special panel session within the annual conference of the Institute of Australian Geographers (IAG) in July 2017 in Brisbane, Queensland. This lively discussion panel, “Practising paradox: Decolonising urban geographies from the settler-colonial University”, attracted around 20 participants and was led by Libby Porter and Tod Jones with special guest Yvonne Underhill-Sem.

    In September 2017, we held a two-day symposium in Perth, Western Australia. This attracted more than 60 delegates from around Australia and beyond, with around 50% Indigenous and 50% non-Indigenous participation and a mix of disciplinary backgrounds. The program included special guests Linda Kennedy and Oren Yiftachel. The event was co-designed between Indigenous and non-Indigenous organisers as a way to unsettle and challenge the conventions of knowing and sharing knowledge that tend to prevail in western scholarly contexts.

    Program and book of abstracts

    The symposium began with a yarning circle, facilitated by Carol Dowling, a Nyoongar scholar and cultural knowledge holder of yarning circle methods. For three hours on the first morning, Carol held open a specially designed space for the open sharing of ourselves as participants in terms of who we are in relation to Indigenous sovereignties and laws, and our individual experiences of settler-colonial power relations.

    Carol Dowling facilitating the yarning circle

    The program included papers on Aboriginal land rights, treaty negotiations, place-making and property, justice, urban design practices, education and pedagogy among other important themes. Many of the papers were joint presentations between Indigenous and non-Indigenous collaborators.

    One session involved around ten young people (aged 11-19) from the Kaat Koort n Hoops Peer Ambassador program in a panel session, facilitated by Cheryl Kickett-Tucker where they discussed what self-determination means to them in an urban context and some of the ways they are leading the future.

    Kaat Koort n Hoops honours the importance of education and the future aspirations upon wellbeing, academic outcomes and transitions. KKnH is an innovative community-led and sustainable program comprised of weekly wellbeing activities combined with weekly organized sport activities developed and delivered by Aboriginal young people (KKnH Peer Ambassadors). The purpose of this innovation is to provide real life, practical, leadership opportunities to Peer Ambassadors who will learn and teach young peers (KKnH participants) about holistic wellbeing (using organized sport as the vehicle). KKnH aims to provide Peer Ambassadors with a culturally empowering space to learn new skills, knowledge and confidence in a fun and relevant work environment so that they take a proactive approach to their life choices for the future and for today.

    fig4

    Kaat Koort n Hoops Peer Ambassadors

    As part of our outcomes, Peer Ambassadors partake in external, value add activities such as the Decolonising Settler Cities international symposium. Over three weeks leading up to the symposium, ten young Ambassadors (both Aboriginal and non-Aboriginal aged 12-23 years) worked independently and collectively to workshop their ideas of decolonization from their perspectives. At the symposium they led a young persons’ panel to present their ideas and take questions from the audience. They worked alongside KKnH Project Director, symposium co-convenor and working party member Cheryl Kickett-Tucker.

    We were led by Nyoongar Elder Noel Nannup on a walking tour to meet and know the country on which we were meeting through Nyoongar law and culture. We were able to film most of the symposium and have been able to create an archive shared among all the participants at this stage, as we work together on other negotiated outcomes that might be enabled by this archive.

    fig5

    Noel Nannup leading us toward knowing Nyoongar country

    Organising these events has helped toward creating a movement within Australian urban geography and cognate built environment disciplines towards a decolonizing ethics and politics in the service of self-determining Indigenous justice. There is evidence that such a movement has emerged and is gaining some momentum. At the 2017 RGS-IBG conference, two of the organisers of these Antipode Foundation-funded events convened a special paper session based on the IAG panel discussion, focused on decolonising knowledges within universities. The session included papers from Indigenous and non-Indigenous scholars on the paradoxes and challenges of decolonial practice within Universities. The Urban Geography Study Group of the Institute of Australian Geographers commissioned Linda Kennedy to write a “Leading Insight” essay on decolonising urban practice. This achieves a widening of the voices heard in Australian urban geographical studies, in formats that refuse the forms of white knowledge-creation that we have sought to challenge. A number of postgraduate students are taking up these issues and organising their own events and discussions. We have also worked with Clare Land, author of Decolonising Solidarity, to develop a reading and action group based on her book to further develop decolonial practices of solidarity and scholarship.

    Challenges encountered

    We encountered thankfully few major challenges or problems, but some of our intentions and program had to change to accommodate shifting conditions. A first challenge was that we were unable to host the one-day online forum originally planned. A number of conditions conspired to undermine this plan, perhaps the most significant being that as an organising team we were a little removed from the main organising committee of that event. It is likely to happen in 2018, and we can support the event and create the synergies originally planned.

    A second unfortunate change of plans occurred when Tony Birch was unable to join the Perth symposium at the last minute due to a serious illness in his family. While we missed Tony’s voice and had already paid some amounts for his travel which were not refundable, his withdrawal did not have a major effect on the outcomes we were able to achieve.

    Finally, practising decolonising ethics and philosophies within the organising of these efforts is a challenging undertaking. One of the most instructive dimensions of the work was where our intentions and practices came into conflict with the norms and expectations particularly of Western universities and also expectations and conventions within the scholarly community. We continue to reflect on these challenges and they will form part of our published outputs in the coming months.

    Plans for the future

    The 2018 NZGS-IAG conference will feature a special “Leading Insight” session sponsored by the Urban Geography Study Group on furthering the theme of decolonising urban knowledges, including published output forthcoming in Australian Geographer.

    We’re also planning a series of published outputs, including a co-authored article from the Perth symposium and a co-authored article from the RGS-IBG special session.

    Note

    [1] A word used widely by Aboriginal and Torres Strait Islander people in Australia to denote their special relationship with their lands and waters. Country is a living, sentient being in itself, an interconnected web of people, environment and non-human species.

    *

    Symposium, 26-27 September, Perth, Australia

    Decolonising Settler Cities is supported by an Antipode Foundation International Workshop Award. The award supports our pursuit in this symposium of knowing the city differently through conversation with Indigenous custodians, activists, scholars, elders and practitioners, and to use this as the basis for rethinking settler-colonial urbanism. Keynote speakers include Tony Birch, Linda Kennedy and Oren Yiftachel.

    There is still time to make a submission of interest to Decolonising Settler Cities. The call for participants closes on 1 June; please make a submission of 300 words to Tod Jones at Curtin University (T.Jones@curtin.edu.au) or Libby Porter at RMIT University (libby.porter@rmit.edu.au). More information is available on our website here.

    Please join us in seeking an agenda for establishing decolonising practices in Australian cities.

    We acknowledge and thank the Wadjuk Noongar people on whose territory Decolonising Settler Cities will be held. This symposium is hosted by Curtin University’s Translational Research Centre for Aboriginal Knowledges, the Centre for Aboriginal Studies, and the School of Built Environment in collaboration with the Centre for Urban Research, RMIT University. We acknowledge support and funds from the Institute of Australian Geographer"

    PDF of the workshop report: https://resources.curtin.edu.au/file/faculty/hum/Decolonising-Settler-Cities-Program.pdf

    #Decolonisation #Décolonial #ville #Australie #Indigenous

  • Decolonize this Place (DTP)- New York
    https://decolonizethisplace.org/faxxx-1

    Decolonize This Place is an action-oriented movement and decolonial formation in New York City and beyond.

    Decolonize this Place (DTP) is an action-oriented movement and decolonial formation in New York City. Facilitated by MTL+, DTP consists of over 30 collaborators, consisting of grassroots groups and art collectives that seek to resist, unsettle, and reclaim the city. The organizing and action bring together many strands of analysis and traditions of resistance: Indigenous insurgence, Black liberation, free Palestine, free Puerto Rico, the struggles of workers and debtors, de-gentrification, migrant justice, dismantling patriarchy, and more. In some cases, we have used cultural institutions as platforms and amplifiers for movement demands, but we do not understand the transformation of these institutions as an end in and of itself. We aim to cultivate a politics of autonomy, solidarity, and mutual aid within a long-term, multi-generational horizon of decolonial, anti-capitalist, and feminist liberation that is animated by Grace Lee Boggs’ question: “What time is it on the clock of the world?” For us, decolonization necessitates abolition. But what does abolition demand? Not only does it demand the abolition of prisons and police, bosses and borders, but as Fred Moten and Stefano Harney write, it’s “the abolition of a society that could have prisons, that could have slavery, that could have the wage, and therefore not abolition as the elimination of anything but abolition as the founding of a new society.”

    #abolition #New_York #decolonisation #Décoloniser #musée #contestedmonuments #monument

  • Decolonize your eyes, Padova.. Pratiche visuali di decolonizzazione della città

    Introduzione
    Il saggio a tre voci è composto da testi e due video.[1]
    Mackda Ghebremariam Tesfau’ (L’Europa è indifendibile) apre con un una riflessione sulle tracce coloniali che permangono all’interno degli spazi urbani. Lungi dall’essere neutre vestigia del passato, questi segni sono tracce di una storia contesa, che si situa contemporaneamente al cuore e ai margini invisibili della rappresentazione di sé dell’occidente. La dislocazione continua del fatto coloniale nella memoria storica informa il discorso che è oggi possibile sul tema delle migrazioni, del loro governo e dei rapporti tra Nord e Sud Globale. La stessa Europa di cui Césaire dichiarava “l’indifendibilità” è ora una “fortezza” che presidia i suoi confini dal movimento di ritorno postcoloniale.
    Annalisa Frisina (Pratiche visuali di decolonizzazione della città) prosegue con il racconto del percorso didattico e di ricerca Decolonizzare la città. Dialoghi visuali a Padova, realizzato nell’autunno del 2020. Questa esperienza mostra come sia possibile performare la decolonizzazzione negli spazi pubblici e attivare contro-politiche della memoria a livello urbano. Le pratiche visuali di decolonizzazione sono utili non solo per fare vacillare statue e nomi di vie, ma soprattutto per mettere in discussione le visioni del mondo e le gerarchie sociali che hanno reso possibile celebrare/dimenticare la violenza razzista e sessista del colonialismo. Le vie coloniali di Padova sono state riappropriate dai corpi, dalle voci e dagli sguardi di sei cittadine/i italiane/i afrodiscendenti, facendo uscire dall’insignificanza le tracce coloniali urbane e risignificandole in modo creativo.
    Infine, Salvatore Frisina (L’esperienza del A.S.D. Quadrato Meticcio) conclude il saggio soffermandosi sui due eventi urbani Decolonize your eyes (giugno e ottobre 2020), promossi dall’associazione Quadrato Meticcio, che ha saputo coinvolgere in un movimento decoloniale attori sociali molto eterogenei. Da quasi dieci anni questa associazione di sport popolare, radicata nel rione Palestro di Padova, favorisce la formazione di reti sociali auto-gestite e contribuisce alla lotta contro discriminazioni multiple (di classe, “razza” e genere). La sfida aperta dai movimenti antirazzisti decoloniali è infatti quella di mettere insieme processi simbolici e materiali.

    L’Europa è indifendibile
    L’Europa è indifendibile, scrive Césaire nel celebre passo iniziale del suo Discorso sul colonialismo (1950). Questa indifendibilità non è riferita tanto al fatto che l’Europa abbia commesso atti atroci quanto al fatto che questi siano stati scoperti. La “scopertura” è “svelamento”. Ciò che viene svelata è la natura stessa dell’impresa “Europa” e lo svelamento porta all’impossibilità di nascondere alla “coscienza” e alla “ragione” tali fatti: si tratta di un’indifendibilità “morale” e “spirituale”. A portare avanti questo svelamento, sottraendosi alla narrazione civilizzatrice che legittima – ovvero che difende – l’impresa coloniale sono, secondo Césaire, le masse popolari europee e i colonizzati che “dalle cave della schiavitù si ergono giudici”. Era il 1950.
    A più di sessant’anni di distanza, oggi l’Europa è tornata ad essere ben difesa, i suoi confini materiali e simbolici più che mai presidiati. Come in passato, tuttavia, uno svelamento della sua autentica natura potrebbe minarne le fondamenta. È quindi importante capire quale sia la narrazione che oggi sostiene la fortezza Europa.
    La scuola decoloniale ha mostrato come la colonialità sia un attributo del potere, la scuola postcoloniale come leggerne i segni all’interno della cultura materiale. Questa stessa cultura è stata interrogata, al fine di portarne alla luce gli impliciti. È successo ripetutamente alla statua di Montanelli, prima oggetto dell’azione di Non Una di Meno Milano, poi del movimento Black Lives Matter Italia. È successo alla fermata metro di Roma Amba Aradam. È successo anche alle vie coloniali di Padova. La reazione a queste azioni – reazione comune a diversi contesti internazionali – è particolarmente esplicativa della necessità, del Nord globale, di continuare a difendersi.
    Il fronte che si è aperto in contrapposizione alla cosiddetta cancel culture[2] si è battuto per la tutela del “passato” e della “Storia”, così facendo ribadendo un potere non affatto scontato, che è quello di decidere cosa sia “passato” e quale debba essere la Storia raccontata – oltre che il come debba essere raccontata. Le masse che si sono radunate sotto le statue abbattute, deturpate e sfidate, l’hanno fatto per liberare “passato” e “Storia” dal dominio bianco, maschile e coloniale che ha eretto questi monumenti a sua immagine e somiglianza. La posta in gioco è, ancora, uno svelamento, la presa di coscienza del fatto che queste non sono innocue reliquie di un passato disattivato, ma piuttosto la testimonianza silente di una Storia che lega indissolubilmente passato a presente, Nord globale e Sud globale, colonialismo e migrazioni. Riattivare questo collegamento serve a far crollare l’impalcatura ideologica sulla quale oggi si fonda la pretesa di sicurezza invocata e agita dall’Europa.
    Igiaba Scego e Rino Bianchi, in Roma Negata (2014), sono stati tra i primi a dedicare attenzione a queste rumorose reliquie in Italia. L’urgenza che li ha spinti a lavorare sui resti coloniali nella loro città è l’oblio nel quale il colonialismo italiano è stato relegato. Come numerosi autrici e autori postcoloniali hanno dimostrato, tuttavia, questo oblio è tutt’altro che improduttivo. La funzione che svolge è infatti letteralmente salvifica, ovvero ha lo scopo di salvare la narrazione nazionale dalle possibili incrinature prodotte dallo svelamento alla “barra della coscienza” (Césaire 1950) delle responsabilità coloniali e dei modi in cui si è stati partecipi e protagonisti della costruzione di un mondo profondamente diseguale. Al contempo, la presenza di questi monumenti permette, a livello inconscio, di continuare a godere del senso di superiorità imperiale di cui sono intrisi, di continuare cioè a pensarsi come parte dell’Europa e del Nord Globale, con ciò che questo comporta. Che cosa significa dunque puntarvi il dito? Che cosa succede quando la memoria viene riattivata in funzione del presente?
    La colonialità ha delle caratteristiche intrinseche, ovvero dei meccanismi che ne presiedono il funzionamento. Una di queste caratteristiche è la produzione costante di confini. Questa necessità è evidente sin dai suoi albori ed è rintracciabile anche in pagine storiche che non sono abitualmente lette attraverso una lente coloniale. Un esempio è la riflessione marxiana dei Dibattiti sulla legge contro i furti di legna[3], in cui il pensatore indaga il fenomeno delle enclosure, le recinzioni che tra ‘700 e ‘800 comparvero in tutta Europa al fine di rendere privati i fondi demaniali, usati consuetudinariamente dalla classe contadina come supporto alla sussistenza del proprio nucleo attraverso la caccia e la raccolta. Distinzione, definizione e confinamento sono processi materiali e simbolici centrali della colonialità. Per contro, connettere, comporre e sconfinare sono atti di resistenza al potere coloniale.
    Da tempo Gurminder K. Bhambra (2017) ha posto l’accento sull’importanza di questo lavoro di ricucitura storica e sociologica. Secondo l’autrice la stessa distinzione tra cittadino e migrante è frutto di una concettualizzazione statuale che fonda le sue categorie nel momento storico degli imperi. In questo senso per Bhambra tale distinzione poggia su di una lettura inadeguata della storia condivisa. Tale lettura ha l’effetto di materializzare l’uno – il cittadino – come un soggetto avente diritti, come un soggetto “al giusto posto”, e l’altro – il migrante – come un soggetto “fuori posto”, qualcuno che non appartiene allo stato nazione.
    Questo cortocircuito storico è reso evidente nella mappa coloniale che abbiamo deciso di “sfidare” nel video partecipativo. La raffigurazione dell’Impero Italiano presente in piazza delle Erbe a Padova raffigura Eritrea, Etiopia, Somalia, Libia, Albania e Italia in bianco, affinché risaltino sullo sfondo scuro della cartina. Su questo spazio bianco è possibile tracciare la rotta che oggi le persone migranti intraprendono per raggiungere la Libia da numerosi paesi subsahariani, tra cui la Somalia, l’Eritrea e l’Etiopia, la stessa Libia che è stata definita un grande carcere a cielo aperto. Dal 2008 infatti Italia e Libia sono legate da accordi bilaterali. Secondo questi accordi l’Italia si è impegnata a risarcire la Libia per l’occupazione coloniale, e in cambio la Libia ha assunto il ruolo di “guardiano” dei confini italiani, ruolo che agisce attraverso il contenimento delle persone migranti che raggiungono il paese per tentare la traversata mediterranea verso l’Europa. Risulta evidente come all’interno di questi accordi vi è una riattivazione del passato – il risarcimento coloniale – che risulta paradossalmente neocoloniale piuttosto che de o anti-coloniale.
    L’Italia è indifendibile, eppure si difende. Si difende anche grazie all’ombra in cui mantiene parti della sua storia, e si difende moltiplicando i confini coloniali tra cittadini e stranieri, tra passato e presente. Questo passato non è però tale, al contrario plasma il presente traducendo vecchie disuguaglianze sotto nuove vesti. Oggi la dimensione coloniale si è spostata sui corpi migranti, che si trovano ad essere marchiati da una differenza che produce esclusione nel quotidiano.
    I confini coloniali – quelli materiali come quelli simbolici – si ergono dunque a difesa dell’Italia e dell’Europa. Come nel 1950 però, questa difendibilità è possibile solo a patto che le masse popolari e subalterne accettino e condividano la narrazione coloniale, che è stata ieri quella della “missione civilizzatrice” ed è oggi quella della “sicurezza”. Al fine di decolonizzare il presente è dunque necessario uscire da queste narrazioni e riconnettere il passato alla contemporaneità al fine di svelare la natura coloniale del potere oggi. Così facendo la difesa dell’Europa potrà essere nuovamente scalfibile.
    Il video partecipativo realizzato a Padova va esattamente in questa direzione: cerca di ricucire storie e relazioni interrotte e nel farlo pone al centro il fatto coloniale nella sua continuità e contemporaneità.

    Pratiche visuali di decolonizzazione della città
    Il video con Mackda Ghebremariam Tesfau è nato all’interno del laboratorio di Visual Research Methods dell’Università di Padova. Da diversi anni, questo laboratorio è diventato un’occasione preziosa per fare didattica e ricerca in modo riflessivo e collaborativo, affrontando il tema del razzismo nella società italiana attraverso l’analisi critica della visualità legata alla modernità europea e attraverso la sperimentazione di pratiche contro-visuali (Mirzoeff 2011). Come docente, ho provato a fare i conti con “l’innocenza bianca” (Wekker 2016) e spingere le mie studentesse e i miei studenti oltre la memoria auto-assolutoria del colonialismo italiano coi suoi miti (“italiani brava gente”, “eravamo lì come migranti straccioni” ecc.). Per non restare intrappolate/i nella colonialità del potere, le/li/ci ho invitate/i a prendere consapevolezza di quale sia il nostro sguardo su noi stessi nel racconto che facciamo degli “altri” e delle “altre”, mettendo in evidenza il peso delle divisioni e delle gerarchie sociali. Come mi hanno detto alcune mie studentesse, si tratta di un lavoro faticoso e dal punto di vista emotivo a volte difficilmente sostenibile. Eppure, penso sia importante (far) riconoscere il proprio “disagio” in quanto europei/e “bianchi/e” e farci qualcosa collettivamente, perché il sentimento di colpa individuale è sterile, mentre la responsabilità è capacità di agire, rispondere insieme e prendere posizione di fronte ai conflitti sociali e alle disuguaglianze del presente.
    Nel 2020 la scommessa è stata quella di fare insieme a italiani/e afrodiscendenti un percorso di video partecipativo (Decolonizzare la città. Dialoghi visuali a Padova[4]) e di utilizzare il “walk about” (Frisina 2013) per fare passeggiate urbane con studentesse e studenti lasciandosi interpellare dalle tracce coloniali disseminate nella città di Padova, in particolare nel rione Palestro dove abito. La congiuntura temporale è stata cruciale.
    Da una parte, ci siamo ritrovate nell’onda del movimento Black Lives Matter dopo l’omicidio di George Floyd a Minneapolis. Come discusso altrove (Frisina & Ghebremariam Tesfau’ 2020, pp. 399-401), l’antirazzismo è (anche) una contro-politica della memoria e, specialmente nell’ultimo anno, a livello globale, diversi movimenti hanno messo in discussione il passato a partire da monumenti e da vie che simbolizzano l’eredità dello schiavismo e del colonialismo. Inevitabilmente, in un’Europa post-coloniale in cui i cittadini hanno le origini più diverse da generazioni e in cui l’attivismo degli afrodiscendenti diventa sempre più rilevante, si sono diffuse pratiche di risignificazione culturale attraverso le quali è impossibile continuare a vedere statue, monumenti, musei, vie intrise di storia coloniale in modo acritico; e dunque è sempre più difficile continuare a vedersi in modo innocente.
    D’altra parte, il protrarsi della crisi sanitaria legata al covid-19, con le difficoltà crescenti a fare didattica in presenza all’interno delle aule universitarie, ha costituito sia una notevole spinta per uscire in strada e sperimentare forme di apprendimento più incarnate e multisensoriali, sia un forte limite alla socialità che solitamente accompagna la ricerca qualitativa, portandoci ad accelerare i tempi del laboratorio visuale in modo da non restare bloccati da nuovi e incalzanti dpcm. Nel giro di soli due mesi (ottobre-novembre 2020), dunque, abbiamo realizzato il video con l’obiettivo di far uscire dall’insignificanza alcune tracce coloniali urbane, risignificandole in modo creativo.
    Il video è stato costruito attraverso pratiche visuali di decolonizzazione che hanno avuto come denominatore comune l’attivazione di contro-politiche della memoria, a partire da sguardi personali e familiari, intimamente politici. Le sei voci narranti mettono in discussione le gerarchie sociali che hanno reso possibile celebrare/dimenticare la violenza razzista e sessista del colonialismo e offrono visioni alternative della società, perché capaci di aspirare e rivendicare maggiore giustizia sociale, la libertà culturale di scegliersi le proprie appartenenze e anche il potere trasformativo della bellezza artistica.
    Nel video, oltre a Mackda Ghebremariam Tesfau’, ci sono Wissal Houbabi, Cadigia Hassan, Ilaria Zorzan, Emmanuel M’bayo Mertens e Viviana Zorzato, che si riappropriano delle tracce coloniali con la presenza dei loro corpi in città e la profondità dei loro sguardi.
    Wissal, artista “figlia della diaspora e del mare di mezzo”, “reincarnazione del passato rimosso”, si muove accompagnata dalla canzone di Amir Issa Non respiro (2020). Lascia la sua poesia disseminata tra Via Catania, via Cirenaica, via Enna e Via Libia.

    «Cerchiamo uno spiraglio per poter respirare, soffocati ben prima che ci tappassero la bocca e ci igienizzassero le mani, cerchiamo una soluzione per poter sopravvivere […]
    Non siamo sulla stessa barca e ci vuole classe a non farvelo pesare. E la mia classe sociale non ha più forza di provare rabbia o rancore.
    Il passato è qui, insidioso tra le nostre menti e il futuro è forse passato.
    Il passato è qui anche se lo dimentichi, anche se lo ignori, anche se fai di tutto per negare lo squallore di quel che è stato, lo Stato e che preserva lo status di frontiere e ius sanguinis.
    Se il mio popolo un giorno volesse la libertà, anche il destino dovrebbe piegarsi».

    Cadigia, invece, condivide le fotografie della sua famiglia italo-somala e con una sua amica si reca in Via Somalia. Incontra una ragazza che abita lì e non ha mai capito la ragione del nome di quella via. Cadigia le offre un suo ricordo d’infanzia: passando da via Somalia con suo padre, da bambina, gli aveva chiesto perché si chiamasse così, senza ricevere risposta. E si era convinta che la Somalia dovesse essere importante. Crescendo, però, si era resa conto che la Somalia occupava solo un piccolo posto nella storia italiana. Per questo Cadigia è tornata in via Somalia: vuole lasciare traccia di sé, della sua storia familiare, degli intrecci storici e rendere visibili le importanti connessioni che esistono tra i due paesi. Via Somalia va fatta conoscere.
    Anche Ilaria si interroga sul passato coloniale attraverso l’archivio fotografico della sua famiglia italo-eritrea. Gli italiani in Eritrea si facevano spazio, costruendo strade, teleferiche, ferrovie, palazzi… E suo nonno lavorava come macchinista e trasportatore, mentre la nonna eritrea, prima di sposare il nonno, era stata la sua domestica. Ispirata dal lavoro dell’artista eritreo-canadese Dawit L. Petros, Ilaria fa scomparire il suo volto dietro fotografie in bianco e nero. In Via Asmara, però, lo scopre e si mostra, per vedersi finalmente allo specchio.
    Emmanuel è un attivista dell’associazione Arising Africans. Nel video lo vediamo condurre un tour nel centro storico di Padova, in Piazza Antenore, ex piazza 9 Maggio. Emmanuel cita la delibera con la quale il comune di Padova dedicò la piazza al giorno della “proclamazione dell’impero” da parte di Mussolini (1936). Secondo Emmanuel, il fascismo non è mai scomparso del tutto: ad esempio, l’idea dell’italianità “per sangue” è un retaggio razzista ancora presente nella legge sulla cittadinanza italiana. Ricorda che l’Italia è sempre stata multiculturale e che il mitico fondatore di Padova, Antenore, era un profugo, scappato da Troia in fiamme. Padova, così come l’Italia, è inestricabilmente legata alla storia delle migrazioni. Per questo Emmanuel decide di lasciare sull’edicola medioevale, che si dice contenga le spoglie di Antenore, una targa dedicata alle migrazioni, che ha i colori della bandiera italiana.
    Chiude il video Viviana, pittrice di origine eritrea. La sua casa, ricca di quadri ispirati all’iconografia etiope, si affaccia su Via Amba Aradam. Viviana racconta del “Ritratto di ne*ra”, che ha ridipinto numerose volte, per anni. Farlo ha significato prendersi cura di se stessa, donna italiana afrodiscendente. Riflettendo sulle vie coloniali che attraversa quotidianamente, sostiene che è importante conoscere la storia ma anche ricordare la bellezza. Amba Alagi o Amba Aradam non possono essere ridotte alla violenza coloniale, sono anche nomi di montagne e Viviana vuole uno sguardo libero, capace di bellezza. Come Giorgio Marincola, Viviana continuerà a “sentire la patria come una cultura” e non avrà bandiere dove piegare la testa. Secondo Viviana, viviamo in un periodo storico in cui è ormai necessario “decolonizzarsi”.

    Anche nel nostro percorso didattico e di ricerca la parola “decolonizzare” è stata interpretata in modi differenti. Secondo Bhambra, Gebrial e Nişancıoğlu (2018) per “decolonizzare” ci deve essere innanzitutto il riconoscimento che il colonialismo, l’imperialismo e il razzismo sono processi storici fondamentali per comprendere il mondo contemporaneo. Tuttavia, non c’è solo la volontà di costruire la conoscenza in modi alternativi e provincializzare l’Europa, ma anche l’impegno a intrecciare in modo nuovo movimenti anti-coloniali e anti-razzisti a livello globale, aprendo spazi inediti di dialogo e dando vita ad alleanze intersezionali.

    L’esperienza del A.S.D. Quadrato Meticcio
    Il video-partecipativo è solo uno degli strumenti messi in atto a Padova per intervenire sulla memoria coloniale. Con l’evento pubblico urbano chiamato Decolonize your Eyes (20 giugno 2020), seguito da un secondo evento omonimo (18 Ottobre 2020), attivisti/e afferenti a diversi gruppi e associazioni che lavorano nel sociale si incontrano a favore di uno scopo che, come poche volte precedentemente, consente loro di agire all’unisono. Il primo evento mette in scena il gesto simbolico di cambiare, senza danneggiare, i nomi di matrice coloniale di alcune vie del rione Palestro, popolare e meticcio. Il secondo agisce soprattutto all’interno di piazza Caduti della Resistenza (ex Toselli) per mezzo di eventi performativi, artistici e laboratoriali con l’intento di coinvolgere un pubblico ampio e riportare alla memoria le violenze coloniali italiane. Ai due eventi contribuiscono realtà come l’asd Quadrato Meticcio, la palestra popolare Chinatown, Non una di meno-Padova, il movimento ambientalista Fridays for future, il c.s.o. Pedro e l’Associazione Nazionale Partigiani Italiani (anpi).
    Si è trattato di un rapporto di collaborazione mutualistico. L’anpi «indispensabile sin dalle prime battute nell’organizzazione» – come racconta Camilla[5] del Quadrato Meticcio – ha contribuito anche ai dibattiti in piazza offrendo densi spunti storici sulla Resistenza. Fridays for future, impegnata nella lotta per l’ambiente, è intervenuta su via Lago Ascianghi, luogo in cui, durante la guerra d’Etiopia, l’utilizzo massiccio di armi chimiche da parte dell’esercito italiano ha causato danni irreversibili anche dal punto di vista della devastazione del territorio. Ha sottolineato poi come l’odierna attività imprenditoriale dell’eni riproduca lo stesso approccio prevaricatore colonialista. Non una di meno-Padova, concentrandosi sulle tematiche del trans-femminismo e della lotta di genere, ha proposto un dibattito intitolando l’attuale via Amba Aradam a Fatima, la bambina comprata da Montanelli secondo la pratica coloniale del madamato. Durante il secondo evento ha realizzato invece un laboratorio di cartografia con gli abitanti del quartiere di ogni età, proponendogli di tracciare su una mappa le rotte dal luogo d’origine a Padova: un gesto di sensibilizzazione sul rapporto tra memoria e territorio. Il c.s.o. Pedro ha invece offerto la strumentazione mobile e di amplificazione sonora che ha permesso a ogni intervento di diffondersi in tutto il quartiere.
    Rispetto alla presenza attiva nel quartiere, Il Quadrato Meticcio, il quale ha messo a disposizione gli spazi della propria sede come centrale operativa di entrambi gli eventi, merita un approfondimento specifico.
    Mattia, il fondatore dell’associazione, mi racconta che nel 2008 il “campetto” – così chiamato dagli abitanti del quartiere – situato proprio dietro la “piazzetta” (Piazza Caduti della Resistenza), sarebbe dovuto diventare un parcheggio, ma “l’intervento congiunto della comunità del quartiere lo ha preservato”. Quando gli chiedo come si inserisca l’esperienza dell’associazione in questo ricordo, risponde: “Ho navigato a vista dopo quell’occasione. Mi sono accorto che c’era l’esigenza di valorizzare il campo e che il gioco del calcio era un contesto di incontro importante per i ragazzi. La forma attuale si è consolidata nel tempo”. Adesso, la presenza costante di una vivace comunità “meticcia” – di età che varia dagli otto ai sedici anni – è una testimonianza visiva e frammentaria della cultura familiare che i ragazzi si portano dietro. Come si evince dalla testimonianza di Mattia: «Loro non smettono mai di giocare. Sono in strada tutto il giorno e passano la maggior parte del tempo con il pallone ai piedi. Il conflitto tra di loro riflette i conflitti che vivono in casa. Ognuno di loro appartiene a famiglie economicamente in difficoltà, che condividono scarsi accessi a opportunità finanziarie e sociali in generale. Una situazione che inevitabilmente si ripercuote sull’emotività dei ragazzi, giorno dopo giorno».

    L’esperienza dell’associazione si inserisce all’interno di una rete culturale profondamente complessa ed eterogenea. L’intento dell’associazione, come racconta Camilla, è quello di offrire una visione inclusiva e una maggiore consapevolezza dei processi coloniali e post-coloniali a cui tutti, direttamente o indirettamente, sono legati; un approccio simile a quello della palestra popolare Chinatown, che offre corsi di lotta frequentati spesso dagli stessi ragazzi che giocano nel Quadrato Meticcio. L’obiettivo della palestra è quello di educare al rispetto reciproco attraverso la simulazione controllata di situazioni conflittuali legate all’uso di stereotipi etno-razziali e di classe, gestendo creativamente le ambivalenze dell’intimità culturale (Herzfeld, 2003). Uber[6], fra i più attivi promotori di Decolonize your eyes e affiliato alla palestra, racconta che: «Fin tanto che sono ragazzini, può essere solo un gioco, e tra di loro possono darsi man forte ogni volta che si scontrano con il razzismo brutale che questa città offre senza sconti. Ma ho paura che presto per loro sarà uno shock scoprire quanto può far male il razzismo a livello politico, lavorativo, legale… su tutti i fronti. E ho paura soprattutto che non troveranno altro modo di gestire l’impatto se non abbandonandosi agli stereotipi che gli orbitano già attorno».

    La mobilitazione concertata del 2008 a favore della preservazione del “campetto”, ha molto in comune con il contesto dal quale è emerso Decolonize your eyes. È “quasi un miracolo” di partecipazione estesa, mi racconta Uber, considerando che storicamente le “realtà militanti” di Padova hanno sempre faticato ad allearsi e collaborare. Similmente, con una vena solenne ma scherzosa, Camilla definisce entrambi gli eventi “necessari”. Lei si è occupata di gestire anche la “chiamata” generale: “abbiamo fatto un appello aperto a tutti sui nostri social network e le risposte sono state immediate e numerose”. Uber mi fa presente che “già da alcune assemblee precedenti si poteva notare l’intenzione di mettere da parte le conflittualità”. Quando gli chiedo perché, risponde “perché non ne potevamo più [di andare l’uno contro l’altro]”. Camilla sottolinea come l’impegno da parte dell’anpi di colmare le distanze generazionali, nei concetti e nelle pratiche, sia stato particolarmente forte e significativo.

    Avere uno scopo comune sembra dunque essere una prima risorsa per incontrarsi. Ma è nel modo in cui le conflittualità vengono gestite quotidianamente che può emergere una spinta rivoluzionaria unitaria. In effetti, «[…] l’equilibrio di un gruppo non nasce per forza da uno stato di inerzia, ma spesso da una serie di conflitti interni controllati» (Mauss, 2002, p. 194).
    Nel frattempo il Quadrato Meticcio ha rinnovato il suo impegno nei confronti del quartiere dando vita a una nuova iniziativa, chiamata All you can care, basata sullo scambio mutualistico di beni di prima necessità. Contemporaneamente, i progetti per un nuovo Decolonize your eyes vanno avanti e, da ciò che racconta Camilla, qualcosa sembra muoversi:
    «Pochi giorni fa una signora ci ha fermati per chiederci di cambiare anche il nome della sua via – anch’essa di rimando coloniale. Stiamo avendo anche altre risposte positive, altre realtà vogliono partecipare ai prossimi eventi».
    L’esperienza di Decolonize your eyes è insomma una tappa di un lungo progetto di decolonizzazione dell’immaginario e dell’utilizzo dello spazio pubblico che coinvolge molte realtà locali le quali, finalmente, sembrano riconoscersi in una lotta comune.

    Note
    [1] Annalisa Frisina ha ideato la struttura del saggio e ha scritto il paragrafo “Pratiche visuali di decolonizzazione della città”; Mackda Ghebremariam Tesfau’ ha scritto il paragrafo “L’Europa è indifendibile” e Salvatore Frisina il paragrafo “L’esperienza del A.S.D. Quadrato Meticcio”.
    [2] Cancel culture è un termine, spesso utilizzato con un’accezione negativa, che è stato usato per indicare movimenti emersi negli ultimi anni che hanno fatto uso del digitale, come quello il #metoo femminista, e che è stato usato anche per indicare le azioni contro le vestigia coloniali e razziste che si sono date dal Sud Africa agli Stati Uniti all’Europa.
    [3] Archivio Marx-Engels
    [4] Ho ideato con Elisabetta Campagni il percorso di video partecipativo nella primavera del 2020, rispondendo alla call “Cinema Vivo” di ZaLab; il nostro progetto è rientrato tra i primi cinque votati e supportati dal crowfunding.
    [5] Da un’intervista realizzata dall’autore in data 10/12/2020 a Camilla Previati e Mattia Boscaro, il fondatore dell’associazione.
    [6] Da un’intervista realizzata con Uber Mancin dall’autore in data 9/12/2020.
    [7] Le parti introduttive e finali del video sono state realizzate con la gentile concessione dei materiali audiovisivi da parte di Uber Mancin (archivio privato).

    Bibliografia
    Bhambra, G., Nişancıoğlu, K. & Gebrial, D., Decolonising the University, Pluto Press, London, 2018.
    Bhambra, G. K., The current crisis of Europe: Refugees, colonialism, and the limits of cosmopolitanism, in: «European Law Journal», 23(5): 395-405. 2017.
    Césaire, A. (1950), Discorso sul colonialismo, Mellino, M. (a cura di), Ombre corte, Verona, 2010.
    Frisina, A., Ricerca visuale e trasformazioni socio-culturali, utet Università, Torino, 2013.
    Frisina, A. e Ghebremariam Tesfau’, M., Decolonizzare la città. L’antirazzismo come contro-politica della memoria. E poi?, «Studi Culturali», Anno XVII, n. 3, Dicembre, pp. 399-412. 2020.
    Herzfeld, M., & Nicolcencov, E., Intimità culturale: antropologia e nazionalismo, L’ancora del Mediterraneo, 2003.
    Mauss, M., Saggio sul dono: forma e motivo dello scambio nelle società arcaiche, G. Einaudi, Torino, 2002.
    Mirzoeff, N., The Right to Look: A Counterhistory of Visuality, Duke University Press, Durham e London, 2011.
    Scego, I., & Bianchi, R., Roma negata. Percorsi postcoloniali nella città, Ediesse, Roma, 2014.
    Wekker, G., White Innocence: Paradoxes of Colonialism and Race, Duke University Press, Durham and London, 2016.

    https://www.roots-routes.org/decolonize-your-eyes-padova-pratiche-visuali-di-decolonizzazione-della
    #décolonisation #décolonial #colonialisme #traces_coloniales #Italie #Italie_coloniale #colonialisme_italien #statues #Padova #Padoue

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  • Rapid Response : Decolonizing Italian Cities

    Anti-racism is a battle for memory. Enzo Traverso well underlined how statues brought down in the last year show “the contrast between the status of blacks and postcolonial subjects as stigmatised and brutalised minorities and the symbolic place given in the public space to their oppressors”.

    Material traces of colonialism are in almost every city in Italy, but finally streets, squares, monuments are giving us the chance to start a public debate on a silenced colonial history.

    Igiaba Scego, Italian writer and journalist of Somali origins, is well aware of the racist and sexist violence of Italian colonialism and she points out the lack of knowledge on colonial history.

    “No one tells Italian girls and boys about the squad massacres in Addis Ababa, the concentration camps in Somalia, the gases used by Mussolini against defenseless populations. There is no mention of Italian apartheid (…), segregation was applied in the cities under Italian control. In Asmara the inhabitants of the village of Beit Mekae, who occupied the highest hill of the city, were chased away to create the fenced field, or the first nucleus of the colonial city, an area off-limits to Eritreans. An area only for whites. How many know about Italian apartheid?” (Scego 2014, p. 105).

    In her book, Roma negata. Percorsi postcoloniali nella città (2014), she invites us to visually represent the historical connections between Europe and Africa, in creative ways; for instance, she worked with photographer Rino Bianchi to portray Afro-descendants in places marked by fascism such as Cinema Impero, Palazzo della Civiltà Italiana and Dogali’s stele in Rome.

    Inspired by her book, we decided to go further, giving life to ‘Decolonizing the city. Visual Dialogues in Padova’. Our goal was to question ourselves statues and street names in order to challenge the worldviews and social hierarchies that have made it possible to celebrate/forget the racist and sexist violence of colonialism. The colonial streets of Padova have been re-appropriated by the bodies, voices and gazes of six Italian Afro-descendants who took part in a participatory video, taking urban traces of colonialism out of insignificance and re-signifying them in a creative way.

    Wissal Houbabi, artist “daughter of the diaspora and the sea in between“, moves with the soundtrack by Amir Issa Non respiro (2020), leaving her poetry scattered between Via Cirenaica and Via Libia.

    “The past is here, insidious in our minds, and the future may have passed.

    The past is here, even if you forget it, even if you ignore it, even if you do everything to deny the squalor of what it was, the State that preserves the status of frontiers and jus sanguinis.

    If my people wanted to be free one day, even destiny would have to bend”.

    Cadigia Hassan shares the photos of her Italian-Somali family with a friend of hers and then goes to via Somalia, where she meets a resident living there who has never understood the reason behind the name of that street. That’s why Cadigia has returned to via Somalia: she wants to leave traces of herself, of her family history, of historical intertwining and to make visible the important connections that exist between the two countries.

    Ilaria Zorzan questions the colonial past through her Italo-Eritrean family photographic archive. The Italians in Eritrea made space, building roads, cableways, railways, buildings… And her grandfather worked as a driver and transporter, while her Eritrean grandmother, before marrying her grandfather, had been his maid. Ilaria conceals her face behind old photographs to reveal herself in Via Asmara through a mirror.

    Emmanuel M’bayo Mertens is an activist of the Arising Africans association. In the video we see him conducting a tour in the historic center of Padova, in Piazza Antenore, formerly Piazza 9 Maggio. Emmanuel cites the resolution by which the municipality of Padova dedicated the square to the day of the “proclamation of the empire” by Mussolini (1936). According to Emmanuel, fascism has never completely disappeared, as the Italian citizenship law mainly based on jus sanguinis shows in the racist idea of ​​Italianness transmitted ‘by blood’. Instead, Italy is built upon migration processes, as the story of Antenor, Padova’s legendary founder and refugee, clearly shows.

    Mackda Ghebremariam Tesfau’ questions the colonial map in Piazza delle Erbe where Libya, Albania, Ethiopia and Eritrea are marked as part of a white empire. She says that if people ignore this map it is because Italy’s colonial history is ignored. Moreover, today these same countries, marked in white on the map, are part of the Sub-saharan and Mediterranean migrant routes. Referring then to the bilateral agreements between Italy and Libya to prevent “irregular migrants” from reaching Europe, she argues that neocolonialism is alive. Quoting Aimé Césaire, she declares that “Europe is indefensible”.

    The video ends with Viviana Zorzato, a painter of Eritrean origin. Her house, full of paintings inspired by Ethiopian iconography, overlooks Via Amba Aradam. Viviana tells us about the ‘Portrait of a N-word Woman’, which she has repainted numerous times over the years. Doing so meant taking care of herself, an Afro-descendant Italian woman. Reflecting on the colonial streets she crosses daily, she argues that it is important to know the history but also to remember the beauty. Amba Alagi or Amba Aradam cannot be reduced to colonial violence, they are also names of mountains, and Viviana possesses a free gaze that sees beauty. Like Giorgio Marincola, Viviana will continue to “feel her homeland as a culture” and she will have no flags to bow her head to.

    The way in which Italy lost the colonies – that is with the fall of fascism instead of going through a formal decolonization process – prevented Italy from being aware of the role it played during colonialism. Alessandra Ferrini, in her ‘Negotiating amnesia‘,refers to an ideological collective amnesia: the sentiment of an unjust defeat fostered a sense of self-victimisation for Italians, removing the responsibility from them as they portrayed themselves as “brava gente” (good people). This fact, as scholars such as Nicola Labanca have explained, has erased the colonial period from the collective memory and public sphere, leaving colonial and racist culture in school textbooks, as the historian Gianluca Gabrielli (2015) has shown.

    This difficulty in coming to terms with the colonial past was clearly visible in the way several white journalists and politicians reacted to antiracist and feminist movements’ request to remove the statue of journalist Indro Montanelli in Milan throughout the BLM wave. During the African campaign, Montanelli bought the young 12-year-old-girl “Destà” under colonial concubinage (the so‑called madamato), boasting about it even after being accused by feminist Elvira Banotti of being a rapist. The issue of Montanelli’s highlights Italy’s need to think critically over not only colonial but also race and gender violence which are embedded in it.

    Despite this repressed colonial past, in the last decade Italy has witnessed a renewed interest stemming from bottom-up local movements dealing with colonial legacy in the urban space. Two examples are worth mentioning: Resistenze in Cirenaica (Resistances in Cyrenaica) in Bologna and the project “W Menilicchi!” (Long live Menilicchi) in Palermo. These instances, along with other contributions were collected in the Roots§Routes 2020 spring issue, “Even statues die”.

    Resistenze in Cirenaica has been working in the Cyrenaica neighbourhood, named so in the past due to the high presence of colonial roads. In the aftermath of the second world war the city council decided unanimously to rename the roads carrying fascist and colonial street signs (except for via Libya, left as a memorial marker) with partisans’ names, honouring the city at the centre of the resistance movement during the fascist and Nazi occupation. Since 2015, the collective has made this place the centre of an ongoing laboratory including urban walks, readings and storytelling aiming to “deprovincialize resistances”, considering the battles in the ex-colonies as well as in Europe, against the nazi-fascist forces, as antiracist struggles. The publishing of Quaderni di Cirene (Cyrene’s notebooks) brought together local and overseas stories of people who resisted fascist and colonial occupation, with the fourth book addressing the lives of fighter and partisan women through a gender lens.

    In October 2018, thanks to the confluence of Wu Ming 2, writer and storyteller from Resistenze in Cirenaica, and the Sicilian Fare Ala collective, a public urban walk across several parts of the city was organized, with the name “Viva Menilicchi!”. The itinerary (19 kms long) reached several spots carrying names of Italian colonial figures and battles, explaining them through short readings and theatrical sketches, adding road signs including stories of those who have been marginalized and exploited. Significantly, W Menilicchi! refers to Palermitan socialists and communists’ battle cry supporting king Menelik II who defeated the Italian troops in Aduwa in 1896, thus establishing a transnational bond among people subjected to Italian invasion (as Jane Schneider explores in Italy’s ‘Southern Question’: Orientalism in One Country, South Italy underwent a socio-economic occupation driven by imperial/colonial logics by the north-based Kingdom of Italy) . Furthermore, the urban walk drew attention to the linkage of racist violence perpetrated by Italians during colonialism with the killings of African migrants in the streets of Palermo, denouncing the white superiority on which Italy thrived since its birth (which run parallel with the invasion of Africa).

    These experiences of “odonomastic guerrillas” (street-name activists) have found creative ways of decolonising Italian history inscribed in cities, being aware that a structural change requires not only time but also a wide bottom-up involvement of inhabitants willing to deal with the past. New alliances are developing as different groups network and coordinate in view of several upcoming dates, such as February 19th, which marks the anniversary of the massacre of Addis Ababa which occurred in 1937 at the hands of Italian viceroy Rodolfo Graziani.

    References:
    Gabrielli G. (2015), Il curriculo “razziale”: la costruzione dell’alterità di “razza” e coloniale nella scuola italiana (1860-1950), Macerata: Edizioni Università di Macerata.
    Labanca, N. (2002) Oltremare. Storia dell’espansione coloniale italiana, Bologna: Il Mulino.
    Scego, I. (2014) Roma negata. Percorsi postcoloniali nella città, Roma: Ediesse.
    Schneider J (ed.) (1998) Italy’s ‘Southern Question’: Orientalism in One Country, London: Routledge.

    https://archive.discoversociety.org/2021/02/06/rapid-response-decolonizing-italian-cities

    #décolonisation #décolonial #colonialisme #traces_coloniales #Italie #Italie_coloniale #colonialisme_italien #statues #Padova #Padoue #afro-descendants #Cadigia_Hassan #via_Somalia #Ilaria_Zorzan #Emmanuel_M’bayo_Mertens #Mackda_Ghebremariam_Tesfau #Piazza_delle_erbe #Viviana_Zorzato #Via_Amba_Aradam #Giorgio_Marincola #Alessandra_Ferrini

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    ajouté à la métaliste sur l’Italie coloniale :
    https://seenthis.net/messages/871953

    • #Negotiating_Amnesia

      Negotiating Amnesia is an essay film based on research conducted at the Alinari Archive and the National Library in Florence. It focuses on the Ethiopian War of 1935-36 and the legacy of the fascist, imperial drive in Italy. Through interviews, archival images and the analysis of high-school textbooks employed in Italy since 1946, the film shifts through different historical and personal anecdotes, modes and technologies of representation.

      https://vimeo.com/429591146?embedded=true&source=vimeo_logo&owner=3319920



      https://www.alessandraferrini.info/negotiating-amnesia

      En un coup d’oeil, l’expansion coloniale italienne :

      #amnésie #film #fascisme #impérialisme #Mussolini #Benito_Mussolini #déni #héritage #mémoire #guerre #guerre_d'Ethiopie #violence #Istrie #photographie #askaris #askari #campagna_d'Africa #Tito_Pittana #Mariano_Pittana #mémoire #prostitution #madamato #madamisme #monuments #Romano_Romanelli #commémoration #mémoriel #Siracusa #Syracuse #nostalgie #célébration #Axum #obélisque #Nuovo_Impero_Romano #Affile #Rodolfo_Graziani #Pietro_Badoglio #Uomo_Nuovo #manuels_scolaires #un_posto_al_sole #colonialismo_straccione #italiani_brava_gente #armes_chimiques #armes_bactériologiques #idéologie

    • My Heritage ?

      My Heritage? (2020) is a site-specific intervention within the vestibule of the former Casa d’Italia in Marseille, inaugurated in 1935 and now housing the Italian Cultural Institute. The installation focuses on the historical and ideological context that the building incarnates: the intensification of Fascist imperial aspirations that culminated in the fascistization of the Italian diaspora and the establishment of the Empire in 1936, as a result of the occupation of Ethiopia. As the League of Nations failed to intervene in a war involving two of its members, the so-called Abyssinian Crisis gave rise to a series of conflicts that eventually led to the WW2: a ‘cascade effect’. On the other hand, the attack on the ‘black man’s last citadel’ (Ras Makonnen), together with the brutality of Italian warfare, caused widespread protests and support to the Ethiopian resistance, especially from Pan-African movements.

      Placed by the entrance of the exhibition Rue d’Alger, it includes a prominent and inescapable sound piece featuring collaged extracts from texts by members of the London-based Pan-African association International African Friends of Ethiopia - CLR James, Ras Makonnen, Amy Ashwood Garvey - intertwined with those of British suffragette Sylvia Pankhurst and Italian anarchist Silvio Corio, founders of the newspaper New Times and Ethiopian News in London.

      Through handwritten notes and the use of my own voice, the installation is a personal musing on heritage as historical responsibility, based on a self-reflective process. My voice is used to highlight such personal process, its arbitrary choice of sources (related to my position as Italian migrant in London), almost appropriated here as an act of thinking aloud and thinking with these militant voices. Heritage is therefore intended as a choice, questioning its nationalist uses and the everlasting and catastrophic effects of Fascist foreign politics. With its loudness and placement, it wishes to affect the visitors, confronting them with the systemic violence that this Fascist architecture outside Italy embodies and to inhibit the possibility of being seduced by its aesthetic.



      https://www.alessandraferrini.info/my-heritage

      #héritage

    • "Decolonizziamo le città": il progetto per una riflessione collettiva sulla storia coloniale italiana

      Un video dal basso in cui ogni partecipante produce una riflessione attraverso forme artistiche differenti, come l’arte figurativa, la slam poetry, interrogando questi luoghi e con essi “noi” e la storia italiana

      Via Eritrea, Viale Somalia, Via Amba Aradam, via Tembien, via Adua, via Agordat. Sono nomi di strade presenti in molte città italiane che rimandano al colonialismo italiano nel Corno d’Africa. Ci passiamo davanti molto spesso senza sapere il significato di quei nomi.

      A Padova è nato un progetto che vuole «decolonizzare la città». L’idea è quella di realizzare un video partecipativo in cui ogni partecipante produca una riflessione attraverso forme artistiche differenti, come l’arte figurativa, la slam poetry, interrogando questi luoghi e con essi “noi” e la storia italiana. Saranno coinvolti gli studenti del laboratorio “Visual Research Methods”, nel corso di laurea magistrale “Culture, formazione e società globale” dell’Università di Padova e artisti e attivisti afrodiscendenti, legati alla diaspora delle ex-colonie italiane e non.

      «Stavamo preparando questo laboratorio da marzo», racconta Elisabetta Campagni, che si è laureata in Sociologia a marzo 2020 e sta organizzando il progetto insieme alla sua ex relatrice del corso di Sociologia Visuale Annalisa Frisina, «già molto prima che il movimento Black Lives Matter riportasse l’attenzione su questi temi».

      Riscrivere la storia insieme

      «Il dibattito sul passato coloniale italiano è stato ampiamente ignorato nei dibattiti pubblici e troppo poco trattato nei luoghi di formazione ed educazione civica come le scuole», si legge nella presentazione del laboratorio, che sarà realizzato a partire dall’autunno 2020. «C’è una rimozione grandissima nella nostra storia di quello che ricordano questi nomi, battaglie, persone che hanno partecipato a massacri nelle ex colonie italiane. Pochi lo sanno. Ma per le persone che arrivano da questi paesi questi nomi sono offensivi».

      Da qui l’idea di riscrivere una storia negata, di «rinarrare delle vicende che nascondono deportazioni e uccisioni di massa, luoghi di dolore, per costruire narrazioni dove i protagonisti e le protagoniste sono coloro che tradizionalmente sono stati messi a tacere o sono rimasti inascoltati», affermano le organizzatrici.

      Le strade «rinarrate»

      I luoghi del video a Padova saranno soprattutto nella zona del quartiere Palestro, dove c’è una grande concentrazione di strade con nomi che rimandano al colonialismo. Si andrà in via Amba Aradam, il cui nome riporta all’altipiano etiope dove nel febbraio 1936 venne combattuta una battaglia coloniale dove gli etiopi vennero massacrati e in via Amba Alagi.

      Una tappa sarà nell’ex piazza Pietro Toselli, ora dedicata ai caduti della resistenza, che ci interroga sul legame tra le forme di resistenza al fascismo e al razzismo, che unisce le ex-colonie all’Italia. In Italia il dibattito si è concentrato sulla statua a Indro Montanelli, ma la toponomastica che ricorda il colonialismo è molta e varia. Oltre alle strade, sarà oggetto di discussione la mappa dell’impero coloniale italiano situata proprio nel cuore della città, in Piazza delle Erbe, ma che passa spesso inosservata.

      Da un’idea di Igiaba Scego

      Come ci spiega Elisabetta Campagni, l’idea nasce da un libro di Igiaba Scego che anni fa ha pubblicato alcune foto con afrodiscendenti che posano davanti ai luoghi che celebrano il colonialismo a Roma come la stele di Dogali, vicino alla stazione Termini, in viale Luigi Einaudi.

      Non è il primo progetto di questo tipo: il collettivo Wu Ming ha lanciato la guerriglia odonomastica, con azioni e performance per reintitolare dal basso vie e piazze delle città o aggiungere informazioni ai loro nomi per cambiare senso all’intitolazione. La guerriglia è iniziata a Bologna nel quartiere della Cirenaica e il progetto è stato poi realizzato anche a Palermo. Un esempio per il laboratorio «Decolonizzare la città» è stato anche «Berlin post colonial», l’iniziativa nata da anni per rititolare le strade e creare percorsi di turismo consapevole.

      Il progetto «Decolonizzare la città» sta raccogliendo i voti sulla piattaforma Zaalab (https://cinemavivo.zalab.org/progetti/decolonizzare-la-citta-dialoghi-visuali-a-padova), con l’obiettivo di raccogliere fondi per la realizzazione del laboratorio.

      https://it.mashable.com/cultura/3588/decolonizziamo-le-citta-il-progetto-per-una-riflessione-collettiva-sull

      #histoire_niée #storia_negata #récit #contre-récit

    • Decolonizzare la città. Dialoghi Visuali a Padova

      Descrizione

      Via Amba Alagi, via Tembien, via Adua, via Agordat. Via Eritrea, via Libia, via Bengasi, via Tripoli, Via Somalia, piazza Toselli… via Amba Aradam. Diversi sono i nomi di luoghi, eventi e personaggi storici del colonialismo italiano in città attraversate in modo distratto, senza prestare attenzione alle tracce di un passato che in realtà non è ancora del tutto passato. Che cosa significa la loro presenza oggi, nello spazio postcoloniale urbano? Se la loro origine affonda le radici in un misto di celebrazione coloniale e nazionalismo, per capire il significato della loro permanenza si deve guardare alla società contemporanea e alle metamorfosi del razzismo.

      Il dibattito sul passato coloniale italiano è stato ampiamente ignorato nei dibattiti pubblici e troppo poco trattato nei luoghi di formazione ed educazione civica come le scuole. L’esistenza di scritti, memorie biografiche e racconti, pur presente in Italia, non ha cambiato la narrazione dominante del colonialismo italiano nell’immaginario pubblico, dipinto come una breve parentesi storica che ha portato civiltà e miglioramenti nei territori occupati (“italiani brava gente”). Tale passato, però, è iscritto nella toponomastica delle città italiane e ciò ci spinge a confrontarci con il significato di tali vie e con la loro indiscussa presenza. Per questo vogliamo partire da questi luoghi, e in particolare da alcune strade, per costruire una narrazione dal basso che sia frutto di una ricerca partecipata e condivisa, per decolonizzare la città, per reclamare una lettura diversa e critica dello spazio urbano e resistere alle politiche che riproducono strutture (neo)coloniali di razzializzazione degli “altri”.

      Il progetto allora intende sviluppare una riflessione collettiva sulla storia coloniale italiana, il razzismo, l’antirazzismo, la resistenza di ieri e di oggi attraverso la realizzazione di un video partecipativo.

      Esso è organizzato in forma laboratoriale e vuole coinvolgere studenti/studentesse del laboratorio “Visual Research Methods” (corso di laurea magistrale “Culture, formazione e società globale”) dell’Università di Padova e gli/le artisti/e ed attivisti/e afrodiscendenti, legati alla diaspora delle ex-colonie italiane e non.

      Il progetto si propone di creare una narrazione visuale partecipata, in cui progettazione, riprese e contenuti siano discussi in maniera orizzontale e collaborativa tra i e le partecipanti. Gli/Le attivisti/e e artisti/e afrodiscendenti con i/le quali studenti e studentesse svolgeranno le riprese provengono in parte da diverse città italiane e in parte vivono a Padova, proprio nel quartiere in questione. Ognuno/a di loro produrrà insieme agli studenti e alle studentesse una riflessione attraverso forme artistiche differenti (come l’arte figurativa, la slam poetry…), interrogando tali luoghi e con essi “noi” e la storia italiana. I partecipanti intrecciano così le loro storie personali e familiari, la storia passata dell’Italia e il loro attivismo quotidiano, espresso con l’associazionismo o con diverse espressioni artistiche (Mackda Ghebremariam Tesfaù, Wissal Houbabi, Theophilus Marboah, Cadigia Hassan, Enrico e Viviana Zorzato, Ilaria Zorzan, Ada Ugo Abara ed Emanuel M’bayo Mertens di Arising Africans). I processi di discussione, scrittura, ripresa, selezione e montaggio verranno documentati attraverso l’utilizzo di foto e filmati volti a mostrare la meta-ricerca, il processo attraverso cui viene realizzato il video finale, e le scelte, di contenuto e stilistiche, negoziate tra i diversi attori. Questi materiali verranno condivisi attraverso i canali online, con il fine di portare a tutti coloro che sostengono il progetto una prima piccola restituzione che renda conto dello svolgimento del lavoro.

      Le strade sono un punto focale della narrazione: oggetto dei discorsi propagandistici di Benito Mussolini, fulcro ed emblema del presunto e mitologico progetto di civilizzazione italiana in Africa, sono proprio le strade dedicate a luoghi e alle battaglie dove si sono consumate le atrocità italiane che sono oggi presenze fisiche e allo stesso tempo continuano ad essere invisibilizzate; e i nomi che portano sono oggi largamente dei riferimenti sconosciuti. Ripercorrere questi luoghi fisici dando vita a dialoghi visuali significa riappropriarsi di una storia negata, rinarrare delle vicende che nascondono deportazioni e uccisioni di massa, luoghi di dolore, per costruire narrazioni dove i protagonisti e le protagoniste sono coloro che tradizionalmente sono stati messi a tacere o sono rimasti inascoltati.

      La narrazione visuale partirà da alcuni luoghi – come via Amba Aradam e via lago Ascianghi – della città di Padova intitolati alla storia coloniale italiana, in cui i protagonisti e le protagoniste del progetto daranno vita a racconti e performances artistiche finalizzate a decostruire la storia egemonica coloniale, troppo spesso edulcorata e minimizzata. L’obiettivo è quello di favorire il prodursi di narrazioni dal basso, provenienti dalle soggettività in passato rese marginali e che oggi mettono in scena nuove narrazioni resistenti. La riappropriazione di tali luoghi, fisica e simbolica, è volta ad aprire una riflessione dapprima all’interno del gruppo e successivamente ad un pubblico esterno, al fine di coinvolgere enti, come scuole, associazioni e altre realtà che si occupano di questi temi sul territorio nazionale. Oltre alle strade, saranno oggetto di discussione la mappa dell’impero coloniale italiano situata proprio nel cuore della città, in Piazza delle Erbe, e l’ex piazza Toselli, ora dedicata ai caduti della resistenza, che ci interroga sul legame tra le forme di resistenza al fascismo e al razzismo, che unisce le ex-colonie all’Italia.

      Rinarrare la storia passata è un impegno civile e politico verso la società contemporanea. Se anche oggi il razzismo ha assunto nuove forme, esso affonda le sue radici nella storia nazionale e coloniale italiana. Questa storia va rielaborata criticamente per costruire nuove alleanze antirazziste e anticolonialiste.

      Il video partecipativo, ispirato al progetto “Roma Negata” della scrittrice Igiaba Scego e di Rino Bianchi, ha l’obiettivo di mostrare questi luoghi attraverso narrazioni visuali contro-egemoniche, per mettere in discussione una storia ufficiale, modi di dire e falsi miti, per contribuire a dare vita ad una memoria critica del colonialismo italiano e costruire insieme percorsi riflessivi nuovi. Se, come sostiene Scego, occupare uno spazio è un grido di esistenza, con il nostro progetto vogliamo affermare che lo spazio può essere rinarrato, riletto e riattraversato.

      Il progetto vuole porsi in continuità con quanto avvenuto sabato 20 giugno, quando a Padova, nel quartiere Palestro, si è tenuta una manifestazione organizzata dall’associazione Quadrato Meticcio a cui hanno aderito diverse realtà locali, randunatesi per affermare la necessita’ di decolonizzare il nostro sguardo. Gli interventi che si sono susseguiti hanno voluto riflettere sulla toponomastica coloniale del quartiere Palestro, problematizzandone la presenza e invitando tutti e tutte a proporre alternative possibili.

      https://cinemavivo.zalab.org/progetti/decolonizzare-la-citta-dialoghi-visuali-a-padova

      https://www.youtube.com/watch?v=axEa6By9PIA&t=156s

  • Recension de « La conjuration des ego , d’Aude VIDAL, publiée sur le blog Les Ruminant.e.s | « TRADFEM
    https://tradfem.wordpress.com/2022/04/04/recension-de-la-conjuration-des-ego-daude-vidal-publiee-sur-le-bl

    Le féminisme est une lutte pour toutes les femmes et contre toutes les violences – physiques, psychologiques, verbales – qu’exercent les hommes sur les femmes. Il est incompatible avec les nombreux privilèges dont bénéficient les hommes du fait de leur domination. Que cette domination soit consciente ou pas, de nombreuses études démontrent que la vie commune hétérosexuelle bénéficie aux hommes qui profitent du travail domestique de leur compagne. Cette situation d’exploitation plus ou moins acceptée permet aux hommes de mieux réussir que les femmes dont le temps de travail et le salaire sont réduits. Les femmes, rendues dépendantes économiquement, sont plus facilement victimes de l’accaparement de leurs corps par les hommes qui profitent ainsi de services sexuels, domestiques ou reproductifs.

    Si les hommes peuvent s’approprier et dominer les femmes, c’est parce que les individus sont socialisés selon qu’ils naissent avec une vulve ou un pénis. L’homme est socialisé de telle manière qu’il pense légitime de s’approprier les femmes. Les femmes sont socialisées de façon à accepter leur asservissement. Cette différenciation binaire des sexes est socialement construite. La société divise les individus selon les deux catégories sexuelles – mâle ou femelle – auxquelles elle assigne un genre masculin ou féminin. Personne n’échappe à ces assignations binaires, elles nous façonnent et nous les intégrons malgré nous. Être une femme, c’est subir cette assignation. Puisque le genre est un fait social, une expérience collective, alors on « ne peut être une femme, quelle que soit sa naissance et son vécu, que quand on est perçue et traitée comme une femme dans la société, quand on a en partage cette expérience avec les autres membres de la classe des femmes. » (p. 53)

    C’est pour cela qu’exercer sa liberté individuelle en se définissant non-binaire ou transgenre n’apporte aucune liberté aux autres femmes. D’autant que, comme l’explique l’autrice, la personne qui s’auto-identifie à un genre revendique un genre socialement construit par et pour une société patriarcale. Les non-binaires eux-mêmes tiennent à un pronom plus qu’à un autre. C’est pourtant cette assignation des genres qui doit être combattue collectivement, dans la dimension institutionnelle mais aussi intime.

    #féminisme #identités

  • Participant responses – Decolonial Research Methods webinar series

    This video features participant responses to the NCRM webinar series Decolonial Research Methods: Resisting Coloniality in Academic Knowledge Production.

    The seven speakers in this video are: Musharrat J. Ahmed-Landeryou, of London South Bank University (UK), Jorge Vega Humboldt, of Humboldt-Universität zu Berlin (Germany-Mexico), Luqman Muraina, of the University of Cape Town (South Africa), Nuruddin Al Akbar, from Universitas Gadjah Mada (Indonesia), Nirupama Sarathy, an independent facilitator and researcher (India), Dr Randy T. Nobleza, of Marinduque State College (Philippines) and Carl W. Jones, of the Royal College of Art and University of Westminster (UK).

    The series comprised six webinars, which took place between October and December 2021.

    https://www.youtube.com/watch?v=oXvjxGPVfGA

    #intersectionnalité #décolonial #décolonialité #méthodologie #savoirs #recherche #méthodologie_de_recherche #éthique #exclusion #violence_systémique #pouvoir #relations_de_pouvoir #pluriversalité #pluriverse #connaissance #savoirs #production_de_savoirs
    ping @postcolonial @cede @karine4

  • Emmanuel Macron contre l’autonomie financière des femmes ? Céline Bessière et Sibylle Gollac, Sociologues

    Permettre aux couples ni mariés ni pascés de déclarer ensemble leurs revenus risque d’être un cadeau fiscal pour les hommes, décryptent les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac.

    Deux mesures du président-candidat passées relativement inaperçues dans cette non-campagne montrent son attachement à une conception passéiste de la famille, contre l’autonomie financière des femmes. L’une est une promesse. S’il est réélu, Emmanuel Macron a annoncé qu’il permettra aux couples non mariés et non pacsés de déclarer leurs impôts sur le revenu ensemble, transformant de fait la définition du foyer fiscal. Cette possibilité serait facultative : uniquement si les couples le souhaitent.

    Cette mesure d’apparence libérale constitue, en réalité, un cadeau fiscal pour les hommes en couple imposables . Pourquoi ? Parce qu’on sait que la déclaration commune est d’autant plus avantageuse que l’écart de revenu est important dans le couple. Et qu’elle bénéficie avant tout au plus riche des deux, qui voit ainsi son taux d’imposition diminuer, et qu’elle est généralement défavorable à l’autre, qui voit son taux d’imposition augmenter. Or les hommes dans les couples hétérosexuels gagnent en moyenne 42% de plus que leur conjointe, selon l’Insee.

    Démarche supplémentaire et pouvoir de négociation

    Prenons un exemple concret : une femme n’était pas imposable alors que son conjoint l’était. En passant à une déclaration commune, elle risque de se retrouver à payer l’impôt conjugal sur le revenu, tandis que la facture fiscale de l’homme sera diminuée. Certes, il existe la possibilité de modifier le taux d’imposition sur le site des impôts, pour passer d’un taux conjugal unique (appelé bizarrement « taux personnalisé »), proposé par défaut en cas de déclaration commune, à un « taux individualisé ». Mais dans les faits, cela suppose une démarche supplémentaire, des calculs, et un pouvoir de négociation de celle qui gagne le moins pour faire accepter à son conjoint le passage au « taux individualisé », qui ne fait pas faire d’économie au couple.

    La proposition de Macron est encore plus inégalitaire si on prend en compte l’effet des demi-parts correspondant aux enfants à charge. En effet, on sait que suite à la séparation d’un couple avec enfants, la garde de ceux-ci revient le plus souvent aux mères, et la demi-part avec. Des hommes qui se remettent en couple avec des femmes avec enfants vont donc pouvoir bénéficier d’une réduction d’impôts liés aux enfants de celle-ci.

    Dans le même temps, une mesure très attendue pour lutter contre les impayés de pension alimentaire est en passe d’être concrétisée au 1er janvier 2023. A partir de cette date, toutes les pensions alimentaires décidées par un acte de justice seront automatiquement « intermédiées » par la Caisse d’allocations familiales (CAF). Ceci veut dire que c’est la CAF qui prélèvera le montant sur le compte du débiteur (le plus souvent un père) et le versera sur le compte de la créditrice (le plus souvent une mère).

    Contrôler la vie sexuelle des mères séparées

    Ce sera aussi la CAF qui, en cas de non-paiement ou de mal paiement de la pension alimentaire, enclenchera le versement de l’« allocation de soutien familial », qui se substitue aux pensions impayées, et se chargera en principe des poursuites pour recouvrer le montant auprès des pères. Une belle mesure, si elle n’était pas liée à un principe archaïque : l’allocation de soutien familial est réservée aux mères « isolées ». En d’autres termes, dès lors qu’elles se remettent en couple, les mères séparées du père de leurs enfants n’y ont plus droit et l’intermédiation perd de son intérêt.

    Le débat récent sur la « déconjugalisation » de l’allocation adulte handicapé, refusée par le gouvernement, avait déjà bien montré combien les principes de calcul de notre système redistributif s’opposent à l’autonomie financière des individus. Dans ce système, les femmes doivent accepter de dépendre de leur nouveau conjoint pour subvenir aux besoins de leurs enfants. En conditionnant le paiement de l’allocation de soutien familial au célibat, on donne aussi le pouvoir à la CAF de contrôler la vie amoureuse et sexuelle des mères séparées.

    Faisons le lien avec la proposition du candidat Macron : une femme séparée non imposable ayant des enfants à charge qui touche l’allocation de soutien familial et qui se remet en couple avec un homme aux revenus plus confortables, pourra se retrouver à payer un impôt sur le revenu et, en même temps, perdre le bénéfice de l’allocation de soutien familial. En se mettant en couple, elle diminue ses revenus propres en même temps que les impôts de son nouveau conjoint. Pour améliorer la situation économique des femmes, il faudrait plutôt individualiser l’impôt sur le revenu et supprimer la condition de l’isolement pour le versement de l’allocation de soutien familial (mais aussi des autres allocations : AAH, RSA…). Au contraire, Emmanuel Macron choisit de légitimer le foyer hétéro-conjugal comme unité de base de la société en fermant les yeux sur les inégalités économiques qui existent en son sein entre les femmes et les hommes.

    Céline Bessière et Sibylle Gollac sont autrices du livre le Genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités, La Découverte, 2020.

    https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/emmanuel-macron-contre-lautonomie-financiere-des-femmes-20220403_PKW6MKJQ

    #femmes #famille #fiscalité #impôt_sur_le_revenu #contrôle_du_corps_des_femmes #mères_séparées #déconjugalisation #CAF #pensions_alimentaires #allocation_de_soutien_familial #revenu #minima_sociaux

  • Le vieux projet d’union du Sahara, source de méfiance entre le Mali et la France
    https://afriquexxi.info/article4952.html

    Depuis que le torchon brûle entre Paris et Bamako, le pouvoir militaro-civil malien accuse la France de jouer un double jeu dans le nord du pays. Une suspicion fantasmée, mais qui se nourrit (entre autres) d’un épisode bien réel : le projet français, à la fin des années 1950, de conserver le Sahara et d’en faire un territoire d’outre-mer à part entière. Retour sur l’éphémère existence de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS).

    Simon Pierre, 23 mars 2022

    La crise de confiance entre les autorités françaises et le pouvoir militaro-civil au Mali a atteint son paroxysme en ce début d’année. Depuis le coup d’État d’août 2020, des politiciens et des activistes proches de la junte diffusent des interprétations particulières au sujet d’une éventuelle collusion des militaires de l’opération Barkhane avec l’ennemi djihadiste. Cette stratégie vise à transformer les échecs patents à écraser l’insurrection djihadiste en une accusation de complicité. Elle s’appuie sur les tentatives maladroites, à Paris, de ménager la chèvre et le chou entre les indépendantistes touaregs des régions de Kidal et de Ménaka et l’État malien, qui les considère comme des terroristes au même titre que les salafistes avec qui, il est vrai, ils ont collaboré en 2012. Dès lors, par une fausse transitivité, l’ancienne puissance coloniale ne serait pas seulement faible ou inefficace, elle collaborerait ouvertement avec les djihadistes dans le but, selon les versions, de détruire le Mali ou d’y justifier son occupation afin de s’accaparer les richesses naturelles du Nord.❞ (...)

    #Algérie #Décolonisation #Empire_colonial_français #Mali #Maroc #Mauritanie #Sahel #France #Sahara

  • https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/20/sahara-occidental-en-voulant-mettre-fin-a-la-crise-diplomatique-avec-le-maro

    Sahara occidental : en voulant mettre fin à la crise diplomatique avec le Maroc, l’Espagne fâche l’Algérie
    La décision du gouvernement de Pedro Sanchez de soutenir les plans marocains pour le territoire a provoqué le rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Madrid.

    Par Sandrine Morel, 20 mars 2022

    En voulant clore dix mois de crise avec le Maroc, l’Espagne pourrait bien en avoir ouvert une autre, avec l’Algérie. Pris entre l’intérêt stratégique de rétablir les relations diplomatiques avec le Maroc – essentielles notamment dans la lutte contre l’immigration illégale –, et le maintien de sa neutralité sur l’avenir du territoire disputé du Sahara occidental, Madrid a pris une décision osée. Vendredi 18 mars, le président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, a envoyé un courrier à Mohammed VI dans lequel il s’aligne sur les thèses marocaines.

    Le plan marocain « d’autonomie » du Sahara occidental est « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend », écrit M. Sanchez, en saluant « les efforts sérieux et crédibles du Maroc dans le cadre des Nations unies pour trouver une solution mutuellement acceptable ». De quoi « envisager une feuille de route claire et ambitieuse afin d’inscrire, durablement, le partenariat bilatéral », a réagi le ministère marocain des affaires étrangères, dans un communiqué.

    Les propos de M. Sanchez constituent un revirement inattendu de la position de Madrid sur une question très sensible, qui empoisonne depuis des dizaines d’années les relations entre le Maroc, l’Algérie et l’Espagne. Favorable à une résolution du conflit « dans le cadre des Nations unies », Madrid avait jusque-là refusé de se positionner sur la question du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole classée comme « non autonome » par l’ONU, et dont la majeure partie du territoire est sous contrôle du Maroc depuis la guerre menée en 1976 contre les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger (...)

    #Algérie #Maroc #Sahara_occidental #ONU #décolonisations #Front_Polisario

  • Difficult Heritage

    The Royal Institute of Art in Stockholm and the University of Basel are collaborating in the organization of the international summer program Difficult Heritage. Coordinated by the Decolonizing Architecture Course from Sweden and the Critical Urbanism course from Switzerland, the program takes place at #Borgo_Rizza (Syracuse, Italy) from 30 August to 7 September 2021, in coordination with Carlentini Municipality, as well as the local university and associations.
    The program is constituted by a series of lectures, seminars, workshop, readings and site visits centered around the rural town of Borgo Rizza, build in 1940 by the ‘#Ente_della_colonizzazione’ established by the fascist regime to colonize the south of Italy perceived as backward and underdeveloped.
    The town seems a perfect place for participants to analyze, reflect and intervene in the debate regarding the architectural heritage associated to painful and violent memories and more broadly to problematize the colonial relation with the countryside, especially after the renew attention due the pandemic.
    The summer program takes place inside the former ‘entity of colonization’ and constitutes the first intensive study period for the Decolonizing Architecture Advanced Course 2020/21 participants.

    https://www.youtube.com/watch?v=x0jY9q1VR3E

    #mémoire #héritage #Italie #Sicile #colonialisme #Italie_du_Sud #fascisme #histoire #architecture #Libye #Borgo_Bonsignore #rénovation #monuments #esthétique #idéologie #tabula_rasa #modernisation #stazione_sperimentale_di_granicoltura #blé #agriculture #battaglia_del_grano #nationalisme #grains #productivité #propagande #auto-suffisance #alimentation #Borgo_Cascino #abandon #ghost-town #villaggio_fantasma #ghost_town #traces #conservation #spirale #décolonisation #défascistisation #Emilio_Distretti

    –-
    ajouté à la métaliste sur le colonialisme italien :
    https://seenthis.net/messages/871953

    via @cede qui l’a aussi signalé sur seenthis : https://seenthis.net/messages/953432

    • Architectural Demodernization as Critical Pedagogy: Pathways for Undoing Colonial Fascist Architectural Legacies in Sicily

      The Southern question

      In 1952, #Danilo_Dolci, a young architect living and working in industrial Milan, decided to leave the North – along with its dreams for Italy’s economic boom and rapid modernization – behind, and move to Sicily. When he arrived, as he describes in his book Banditi a Partinico (The Outlaws of Partinico, 1956), he found vast swathes of rural land brutally scarred by the war, trapped in a systematic spiral of poverty, malnutrition and anomie. After twenty years of authoritarian rule, Italy’s newly created democratic republic preserved the ‘civilising’ ethos established by the fascist regime, to develop and modernize Sicily. The effect of these plans was not to bridge the gap with the richer North, but rather, to usher in a slow and prolonged repression of the marginalised poor in the South. In his book, as well as in many other accounts, Dolci collected the testimonies of people in Partinico and Borgo di Trappeto near Trapani, western Sicily.1, Palermo: Sellerio Editore, 2009.] Living on the margins of society, they were rural labourers, unemployed fishermen, convicted criminals, prostitutes, widows and orphans – those who, in the aftermath of fascism, found themselves crushed by state violence and corruption, by the exploitation of local notables and landowners, and the growing power of the Mafia.

      Dolci’s activism, which consisted of campaigns and struggles with local communities and popular committees aimed at returning dignity to their villages, often resulted in confrontations with the state apparatus. Modernization, in this context, relied on a carceral approach of criminalisation, policing and imprisonment, as a form of domestication of the underprivileged. On the one hand, the South was urged to become like the North, yet on the other, the region was thrown further into social decay, which only accelerated its isolation from the rest of the country.

      The radical economic and social divide between Italy’s North and South has deep roots in national history and in the colonial/modern paradigm. From 1922, Antonio Gramsci branded this divide as evidence of how fascism exploited the subaltern classes via the Italian northern elites and their capital. Identifying a connection with Italy’s colonisation abroad, Gramsci read the exploitation of poverty and migrant labour in the colonial enterprise as one of ‘the wealthy North extracting maximum economic advantage out of the impoverished South’.2 Since the beginning of the colonisation of Libya in 1911, Italian nationalist movements had been selling the dream of a settler colonial/modern project that would benefit the underprivileged masses of southern rural laborers.

      The South of Italy was already considered an internal colony in need of modernization. This set the premise of what Gramsci called Italy’s ‘Southern question’, with the southern subalterns being excluded from the wider class struggle and pushed to migrate towards the colonies and elsewhere.3 By deprovincialising ‘the Southern question’ and connecting it to the colonial question, Gramsci showed that the struggle against racialised and class-based segregation meant thinking beyond colonially imposed geographies and the divide between North and South, cities and countryside, urban labourers and peasants.

      Gramsci’s gaze from the South can help us to visualise and spatialise the global question of colonial conquest and exploitation, and its legacy of an archipelago of colonies scattered across the North/South divide. Written in the early 1920s but left incomplete, Gramsci’s The Southern Question anticipated the colonizzazione interna (internal colonization) of fascism, motivated by a capital-driven campaign for reclaiming arable land that mainly effected Italy’s rural South. Through a synthesis of monumentalism, technological development and industrial planning, the fascist regime planned designs for urban and non-urban reclamation, in order to inaugurate a new style of living and to celebrate the fascist settler. This programme was launched in continuation of Italy’s settler colonial ventures in Africa.

      Two paths meet under the roof of the same project – that of modernization.

      Architectural colonial modernism

      Architecture has always played a crucial role in representing the rationality of modernity, with all its hierarchies and fascist ramifications. In the Italian context, this meant a polymorphous and dispersed architecture of occupation – new settlements, redrawn agricultural plots and coerced migration – which was arranged and constructed according to modern zoning principles and a belief in the existence of a tabula rasa. As was the case with architectural modernism on a wider scale, this was implemented through segregation and erasure, under the principle that those deemed as non-modern should be modernized or upgraded to reach higher stages of civilisation. The separation in the African colonies of white settler enclaves from Indigenous inhabitants was mirrored in the separation between urban and rural laborers in the Italian South. These were yet another manifestation of the European colonial/modern project, which for centuries has divided the world into different races, classes and nations, constructing its identity in opposition to ‘other’ ways of life, considered ‘traditional’, or worse, ‘backwards’. This relation, as unpacked by decolonial theories and practices, is at the core of the European modernity complex – a construct of differentiations from other cultures, which depends upon colonial hegemony.

      Taking the decolonial question to the shores of Europe today means recognising all those segregations that also continue to be perpetuated across the Northern Hemisphere, and that are the product of the unfinished modern and modernist project. Foregrounding the impact of the decolonial question in Europe calls for us to read it within the wider question of the ‘de-modern’, beyond colonially imposed geographical divides between North and South. We define ‘demodernization’ as a condition that wants to undo the rationality of zoning and compartmentalisation enforced by colonial modern architecture, territorialisation and urbanism. Bearing in mind what we have learned from Dolci and Gramsci, we will explain demodernization through architectural heritage; specifically, from the context of Sicily – the internal ‘civilisational’ front of the Italian fascist project.

      Sicily’s fascist colonial settlements

      In 1940, the Italian fascist regime founded the Ente di Colonizzazione del Latifondo Siciliano (ECLS, Entity for the Colonization of the Sicilian Latifondo),4 following the model of the Ente di Colonizzazione della Libia and of colonial urban planning in Eritrea and Ethiopia. The entity was created to reform the latifondo, the predominant agricultural system in southern Italy for centuries. This consisted of large estates and agricultural plots owned by noble, mostly absentee, landlords. Living far from their holdings, these landowners used local middlemen and hired thugs to sublet to local peasants and farmers who needed plots of land for self-sustenance.5 Fascism sought to transform this unproductive, outdated and exploitative system, forcing a wave of modernization. From 1940 to 1943, the Ente built more than 2,000 homesteads and completed eight settlements in Sicily. These replicated the structures and planimetries that were built throughout the 1930s in the earlier bonifica integrale (land reclamation) of the Pontine Marshes near Rome, in Libya and in the Horn of Africa; the same mix of piazzas, schools, churches, villas, leisure centres, monuments, and a Casa del Fascio (fascist party headquarters). In the name of imperial geographical unity, from the ‘centre’ to the ‘periphery’, many of the villages built in Sicily were named after fascist ‘martyrs’, soldiers and settlers who had died in the overseas colonies. For example, Borgo Bonsignore was named after a carabinieri (military officer) who died in the Battle of Gunu Gadu in 1936, and Borgo Fazio and Borgo Giuliano after Italian settlers killed by freedom fighters in occupied Ethiopia.

      The reform of the latifondo also sought to implement a larger strategy of oppression of political dissent in Italy. The construction of homesteads in the Sicilian countryside and the development of the land was accompanied by the state-driven migration of northern labourers, which also served the fascist regime as a form of social surveillance. The fascists wanted to displace and transform thousands of rural laborers from the North – who could otherwise potentially form a stronghold of dissent against the regime – into compliant settlers.6 Simultaneously, and to complete the colonizing circle, many southern agricultural workers were sent to coastal Libya and the Horn of Africa to themselves become new settlers, at the expense of Indigenous populations.

      All the Sicilian settlements were designed following rationalist principles to express the same political and social imperatives. Closed communities like the Pontine settlements were ‘geometrically closed in the urban layout and administratively closed to farmers, workmen, and outside visitors as well’.7 With the vision of turning waged agrarian laborers into small landowners, these borghi were typologically designed as similar to medieval city enclaves, which excluded those from the lower orders.

      These patterns of spatial separation and social exclusion were, unsurprisingly, followed by the racialisation of the Italian southerners. Referring to a bestiary, the propaganda journal Civiltà Fascista (Fascist Civilisation) described the Pontine Marshes as similar to ‘certain zones of Africa and America’, ‘a totally wild region’ whose inhabitants were ‘desperate creatures living as wild animals’.8 Mussolini’s regime explicitly presented this model of modernization, cultivation and drainage to the Italian public as a form of warfare. The promise of arable land and reclaimed marshes shaped an epic narrative which depicted swamps and the ‘unutilised’ countryside as the battlefield where bare nature – and its ‘backward inhabitants’ – was the enemy to be tamed and transformed.

      However, despite the fanfare of the regime, both the projects of settler colonialism in Africa and the plans for social engineering and modernization in the South of Italy were short-lived. As the war ended, Italy ‘lost’ its colonies and the many Ente were gradually reformed or shut down.9 While most of the New Towns in the Pontine region developed into urban centres, most of the fascist villages built in rural Sicily were meanwhile abandoned to a slow decay.

      Although that populationist model of modernization failed, the Sicilian countryside stayed at the centre of the Italian demographic question for decades to come. Since the 1960s, these territories have experienced a completely different kind of migration to that envisaged by the fascist regime. Local youth have fled unemployment in huge numbers, migrating to the North of Italy and abroad. With the end of the Second World War and the colonies’ return to independence, it was an era of reversed postcolonial migration: no longer white European settlers moving southwards/eastwards, but rather a circulatory movement of people flowing in other directions, with those now freed from colonial oppression taking up the possibility to move globally. Since then, a large part of Sicily’s agrarian sector has relied heavily on seasonal migrant labour from the Southern Hemisphere and, more recently, from Eastern Europe. Too often trapped in the exploitative and racist system of the Italian labour market, most migrants working in areas of intensive agriculture – in various Sicilian provinces near the towns of Cassibile, Vittoria, Campobello di Mazara, Caltanissetta and Paternò – have been forced out of cities and public life. They live isolated from the local population, socially segregated in tent cities or rural slums, and without basic services such as access to water and sanitation.

      As such, rural Sicily – as well as vast swathes of southern Italy – remain stigmatised as ‘insalubrious’ spaces, conceived of in the public imagination as ‘other’, ‘dangerous’ and ‘backward’. From the time of the fascist new settlements to the informal rural slums populated by migrants in the present, much of the Sicilian countryside epitomises a very modern trope: that the South is considered to be in dire need of modernization. The rural world is seen to constitute an empty space as the urban centres are unable to deal with the social, economic, political and racial conflicts and inequalities that have been (and continue to be) produced through the North/South divides. This was the case at the time of fascist state-driven internal migration and overseas settler colonial projects. And it still holds true for the treatment of migrants from the ex-colonies, and their attempted resettlement on Italian land today.

      Since 2007, Sicily’s right-wing regional and municipal governments have tried repeatedly to attain public funding for the restoration of the fascist settlements. While this program has been promoted as a nostalgic celebration of the fascist past, in the last decade, some municipalities have also secured EU funding for architectural restoration under the guise of creating ‘hubs’ for unhoused and stranded migrants and refugees. None of these projects have ever materialised, although EU money has financed the restoration of what now look like clean, empty buildings. These plans for renovation and rehousing echo Italy’s deepest populationist anxieties, which are concerned with managing and resettling ‘other’ people considered ‘in excess’. While the ECLS was originally designed to implement agrarian reforms and enable a flow of migration from the north of the country, this time, the Sicilian villages were seen as instrumental to govern unwanted migrants, via forced settlement and (an illusion of) hospitality. This reinforces a typical modern hierarchical relationship between North and South, and with that, exploitative metropolitan presumptions over the rural world.

      The Entity of Decolonization

      To imagine a counter-narrative about Sicily’s, and Italy’s, fascist heritage, we presented an installation for the 2020 Quadriennale d’arte – FUORI, as a Decolonizing Architecture Art Research (DAAR) project. This was held at the Palazzo delle Esposizioni in Rome, the venue of the Prima mostra internazionale d’arte coloniale (First International Exhibition of Colonial Art, 1931), as well as other propaganda exhibitions curated by the fascist regime. The installation aims to critically rethink the rural towns built by the ECLS. It marks the beginning of a longer-term collaborative project, the Ente di Decolonizzazione or Entity of Decolonization, which is conceived as a transformative process in history-telling. The installation builds on a photographic dossier of documentation produced by Luca Capuano, which reactivates a network of built heritage that is at risk of decay, abandonment and being forgotten. With the will to find new perspectives from which to consider and deconstruct the legacies of colonialism and fascism, the installation thinks beyond the perimeters of the fascist-built settlements to the different forms of segregations and division they represent. It moves from these contested spaces towards a process of reconstitution of the social, cultural and intimate fabrics that have been broken by modern splits and bifurcations. The project is about letting certain stories and subjectivities be reborn and reaffirmed, in line with Walter D. Mignolo’s statement that ‘re-existing means using the imaginary of modernity rather than being used by it. Being used by modernity means that coloniality operates upon you, controls you, forms your emotions, your subjectivity, your desires. Delinking entails a shift towards using instead of being used.’10 The Entity of Decolonization is a fluid and permanent process, that seeks perpetual manifestations in architectural heritage, art practice and critical pedagogy. The Entity exists to actively question and contest the modernist structures under which we continue to live.

      In Borgo Rizza, one of the eight villages built by the Ente, we launched the Difficult Heritage Summer School – a space for critical pedagogy and discussions around practices of reappropriation and re-narrativisation of the spaces and symbols of colonialism and fascism.11 Given that the villages were built to symbolise fascist ideology, how far is it possible to subvert their founding principles? How to reuse these villages, built to celebrate fascist martyrs and settlers in the colonial wars in Africa? How to transform them into antidotes to fascism?

      Borgo Rizza was built in 1940 by the architect Pietro Gramignani on a piece of land previously expropriated by the ECLS from the Caficis, a local family of landowners. It exhibits a mixed architectural style of rationalism and neoclassical monumentalism. The settlement is formed out of a perimeter of buildings around a central protected and secured piazza that was also the main access to the village. The main edifices representing temporal power (the fascist party, the ECLS, the military and the school) and spiritual power (the church) surround the centre of the piazza. To display the undisputed authority of the regime, the Casa del Fascio took centre stage. The village is surrounded on all sides by eucalyptus trees planted by the ECLS and the settlers. The planting of eucalyptus, often to the detriment of indigenous trees, was a hallmark of settler colonialism in Libya and the Horn of Africa, dubiously justified because their extensive roots dry out swamps and so were said to reduce risks of malaria.

      With the end of the Second World War, Borgo Rizza, along with all the other Sicilian settlements, went through rapid decay and decline. It first became a military outpost, before being temporarily abandoned in the war’s aftermath. In 1975, the ownership and management of the cluster of buildings comprising the village was officially transferred to the municipality of Carlentini, which has since made several attempts to revive it. In 2006, the edifices of the Ente di Colonizzazione and the post office were rehabilitated with the intent of creating a garden centre amid the lush vegetation. However, the garden centre was never realised, while the buildings and the rest of the settlement remain empty.

      Yet despite the village’s depopulation, over the years the wider community of Carlentini have found an informal way to reuse the settlement’s spaces. The void of the piazza, left empty since the fall of fascism, became a natural spot for socialising. The piazza was originally designed by the ECLS for party gatherings and to convey order and hierarchy to the local population. But many locals remember a time, in the early 1980s, before the advent of air-conditioned malls that offered new leisure spaces to those living in peri-urban and rural areas, when people would gather in the piazza for fresh air amid summer heatwaves. The summer school builds on these memories, to return the piazza to its full public function and reinvent it as a place for both hospitality and critical pedagogy.

      Let’s not forget that the village was first used as a pedagogical tool in the hands of the regime. The school building was built by the ECLS and was the key institution to reflect the principles of neo-idealism promoted by the fascist and neo-Hegelian philosophers Giovanni Gentile and Giuseppe Lombardo Radice. Radice was a pedagogue and theoretician who contributed significantly to the fascist reforms of the Italian school system in the 1930s. Under the influence of Gentile, his pedagogy celebrated the modern principle of a transcendental knowledge that is never individual but rather embodied by society, its culture, the party, the state and the nation. In the fascist ideal, the classroom was designed to be the space where students would strive to transcend themselves through acquired knowledge. A fascist education was meant to make pupils merge with the ‘universal’ embodied by the teacher, de facto the carrier of fascist national values. In relation to the countryside context, the role of pedagogy was to glorify the value of rurality as opposed to the decadence wrought by liberal bourgeois cultures and urban lifestyles. The social order of fascism revolved around this opposition, grounded in the alienation of the subaltern from social and political life, via the splitting of the urban and rural working class, the celebration of masculinity and patriarchy, and the traditionalist nuclear family of settlers.

      Against this historical background, our summer school wants to inspire a spatial, architectural and political divorce from this past. We want to engage with decolonial pedagogies and encourage others to do the same, towards an epistemic reorganisation of the building’s architecture. In this, we share the assertion of Danilo Dolci, given in relation to the example of elementary schools built in the fascist era, of the necessity for a liberation from the physical and mental cages erected by fascism:

      These seemed designed (and to a large extent their principles and legacies are still felt today) to let young individuals get lost from an early age. So that they would lose the sense of their own existence, by feeling the heavy weight of the institution that dominates them. These buildings were specifically made to prevent children from looking out, to make them feel like grains of sand, dispersed in these grey, empty, boundless spaces.12

      This is the mode of demodernization we seek in this project: to come to terms with, confront, and deactivate the tools and symbols of modern fascist colonization and authoritarian ideologies, pedagogy and urbanism. It is an attempt to fix the social fabric that fascism broke, to heal the histories of spatial, social and political isolation in which the village originates. Further, it is an attempt to heal pedagogy itself, from within a space first created as the pedagogical hammer in the hands of the regime’s propagandists.

      This means that when we look at the forms of this rationalist architecture, we do not feel any aesthetic pleasure in or satisfaction with the original version. This suggests the need to imagine forms of public preservation outside of the idea of saving the village via restoration, which would limit the intervention to returning the buildings to their ‘authentic’ rationalist design. Instead, the school wants to introduce the public to alternative modes of heritage-making.

      Architectural demodernization

      In the epoch in which we write and speak from the southern shores of Europe, the entanglement of demodernization with decolonization is not a given, and certainly does not imply an equation. While decolonization originates in – and is only genealogically possible as the outcome of – anti-colonialist struggles and liberation movements from imperial theft and yoke, demodernization does not relate to anti-modernism, which was an expression of reactionary, anti-technological and nationalist sentiment, stirred at the verge of Europe’s liberal collapse in the interwar period. As Dolci explained for the Italian and Sicilian context, there is no shelter to be found in any anachronistic escape to the (unreal and fictional) splendours of the past. Or, following Gramsci’s refusal to believe that the Italian South would find the solutions to its problems through meridionalism, a form of southern identitarian and essentialist regionalism, which further detaches ‘the Southern question’ from possible alliances with the North.

      Demodernization does not mean eschewing electricity and wiring, mortar and beams, or technology and infrastructure, nor the consequent welfare that they provide, channel and distribute. By opposing modernity’s aggressive universalism, demodernization is a means of opening up societal, collective and communal advancement, change and transformation. Precisely as Dolci explains, the question it is not about the negation of progress but about choosing which progress you want.13

      In the context in which we exist and work, imagining the possibility of an architectural demodernization is an attempt to redraw the contours of colonial architectural heritage, and specifically, to raise questions of access, ownership and critical reuse. We want to think of demodernization as a method of epistemic desegregation, which applies to both discourse and praxis: to reorient and liberate historical narratives on fascist architectural heritage from the inherited whiteness and ideas of civilisation instilled by colonial modernity, and to invent forms of architectural reappropriation and reuse. We hold one final aim in mind: that the remaking of (post)colonial geographies of knowledge and relations means turning such fascist designs against themselves.

      https://www.internationaleonline.org/research/decolonising_practices/208_architectural_demodernization_as_critical_pedagogy_pathway

      #Partinico #Borgo_di_Trappeto #Italie_du_Sud #Italie_meridionale #Southern_question #colonizzazione_interna #colonisation_interne #Ente_di_Colonizzazione_de_Latifondo_Siciliano (#ECLS) #Ente_di_Colonizzazione_della_Libia #modernisation #bonifica_integrale #Pontine_Marshes #Borgo_Bonsignore #Borgo_Fazio #Borgo_Giuliano #latifondo #Pietro_Gramignani #Caficis

  • Difficult Heritage – Summer School, 2021

    For an impression of the summer school on Difficult Heritage of Fascist architecture in Sicily see:
    – YouTube
    https://www.youtube.com/watch?v=x0jY9q1VR3E

    The summerschool is offered again in 2022. Please see a description below:

    “In collaboration with DAAS - Decolonizing Architecture Advanced Studies at the Royal Institute of Art in Stockholm, the Critical Urbanisms program at the University of Basel is organizing the Decolonial Summer School on Difficult Heritage. The summer school aims at enlarging the analysis and investigation of colonial urban and architectural heritage. What kind of heritage really is colonial urban and architectural heritage? What should be done with this troublesome heritage? Is there a possibility for its re-use and for critical preservation without falling into the celebration of colonial ideologies? Who has the right to reuse and reclaim this heritage?

    The summer school will address these questions exploring and experimenting decolonial approaches in the debates on urban heritage, embracing non Euro-centric epistemologies and methodologies of inquiry and investigation. The summer school takes place in Borgo Rizza, in the province of Siracusa, Sicily, Italy.

    Borgo Rizza is one of a series of rural settlements that have been built in Sicily between 1939-43. Following Mussolini’s experiment of settler colonialism in Libya, these villages had been built as part of fascism’s plan of “internal colonisation” of the South of Italy, which was considered by the fascist regime as “underdeveloped” and in need of “modernisation”. In the aftermath of WWII, Borgo Rizza, as well as the other villages, has been subsequently abandoned and left empty until this very day.

    In the “difficult” setting of the fascist colonial architecture of Borgo Rizza, the summer school offers students the possibility to develop independent projects and experiment practices of “re-use” by examining critically the ideas of modernity, progress, and development in relation to Europe’s imperial histories and legacies.

    By joining the course, students will share the experience with a selected number of students from the DAAS course in Stockholm. The summer school is organized around a series of seminars, excursions, collaborative work with local communities and political activists, public events featuring the participation of international guests from the academia and the contemporary art world. During the duration of the school, the students will develop their individual projects, under the supervision of Dr Emilio Distretti, Urban Studies, Department of Social Sciences.”

    #Sicily #Italy #fascisme #architecture #décolonial

  • La #découverte de la #Russie de ce qui se tramait en #Ukraine.
    https://bit.ly/3KotySv
    Les #activités documentées du #Pentagone, frapper ou subir selon #Poutine.
    mardi 8 mars 2022, par Azouz Benhocine

    Les Américains avaient vu juste, l’armée russe avait bien un projet d’intervention en Ukraine. Et elle détient tous les moyens de dissuasion pour neutraliser toute interférence qui se mettrait sur son chemin. Vis-versa, La Russie avait aussi compris et découvert que les projets de l’OTAN se tramaient hostilement son égard. Et pour lesquels le seul traitement adéquat, suite à l’échec d’autres tractations, est une ingérence, en brisant la souveraineté d’un voisin servant de base à l’expansion de l’influence de l’ennemi traditionnel.

  • La Décolonisation britannique, l’art de filer à l’anglaise

    Le 24 mars 1947, Lord Mountbatten est intronisé Vice-roi des Indes dans un faste éblouissant. Alors que l’émancipation de 410 millions d’indiens est programmée, la couronne britannique tente de sauver les apparences en brillant de tous ses feux. Cinq mois de discussions entre les forces en présence aboutissent à un découpage arbitraire du territoire entre le Pakistan et l’Inde avec des conséquences désastreuses. Des violences qui sont reléguées au second plan par l’adhésion des deux nouveaux États souverains à la grande communauté du Commonwealth. Un arrangement qui ne va pas sans arrière-pensées. Mais déjà la Malaisie et le Kenya s’enflamment à leur tour. Dans les deux cas, la violence extrême de la répression qui s’abat est occultée par une diabolisation « de l’ennemi » et par une machine de propagande redoutable qui permet aux autorités de maîtriser le récit des événements.
    En 1956, la Grande-Bretagne échoue à rétablir son aura impériale après avoir été obligée d’abandonner le canal de Suez par les deux nouveaux maîtres du monde : l’URSS et les États-Unis. Le nouveau Premier ministre, Harold Macmillan, demande un « audit d’empire », pour évaluer le poids économique du maintien des colonies, car il sait que le pays n’a plus les moyens de poursuivre sa politique impérialiste. Il est prêt à y renoncer, à condition de restaurer le prestige national.
    Une décision mal vue par l’armée. En 1967 au Yémen, des unités britanniques renégates défient le gouvernement et s’adonnent à une répression féroce, obligeant la Grande-Bretagne à prononcer son retrait. En Rhodésie du Sud, c’est au tour de la communauté blanche de faire sécession et d’instaurer un régime d’apartheid. Incapable de mettre au pas ses sujets, signe de son impuissance, la couronne est condamnée à accepter l’aide du Commonwealth pour aboutir à un accord qui donne lieu à la naissance du Zimbabwe.
    Après la perte de sa dernière colonie africaine, l’Empire britannique a vécu et le dernier sursaut impérialiste de Margaret Thatcher aux Malouines n’y change rien. Jusqu’à aujourd’hui, la décolonisation demeure un traumatisme dans ces pays déstabilisés par leur ancien maître colonial tandis qu’au Royaume-Uni, la nostalgie prend le pas sur un travail de mémoire pourtant nécessaire.

    http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/61716_0
    #film #film_documentaire #documentaire
    #colonisation #décolonisation #Inde #Pakistan #violence #Lord_Mountbatten #frontières #déplacement_de_populations #partition_de_l'Inde #Malaisie #torture #Commonwealth #Kenya #Mau_Mau #camps_d'internement #Kimathi #serment_Mau_Mau #travaux_forcés #Aden #Rhodésie_du_Sud #réserves #îles_Malouines

    ping @postcolonial

  • The slave trader’s statue that divided a city

    Following the murder of George Floyd in 2020, protestors in #Bristol tore down the statue of 17th Century slave trader #Edward_Colston. While some residents of Bristol supported the change, others felt a sentimental attachment to the statue, as Colston’s surname was ’stitched into the city’.

    Statue Wars explores the aftermath of the statue’s removal and how the action thrust the city of Bristol onto the global stage.

    https://www.bbc.com/reel/video/p0bm2slm/the-slave-trader-s-statue-that-divided-a-city

    #statue #esclavage #mémoire #espace_public #décolonial #Colston #toponymie #toponymie_politique

    ping @cede
    via @reka

  • https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/300122/trente-ans-apres-une-exposition-pionniere-nantes-revisite-son-passe-negrie

    Trente ans après une exposition pionnière, Nantes revisite son passé négrier

    Dans l’enceinte du château des ducs de Bretagne, une exposition didactique apporte de nouveaux éclairages sur les collections de la ville, premier port négrier de France. En replaçant l’essor de la traite nantaise dans le temps long, et à l’échelle de non pas trois, mais quatre continents.

    Ludovic Lamant, 30 janvier 2022

    Nantes (Loire-Atlantique).– Les deux tableaux, acquis par le musée d’histoire de la ville de Nantes en 2015, forment un diptyque. Dans un intérieur cossu, les époux Deurbroucq exhibent leur fortune dans une pose figée, chacun flanqué d’un domestique noir.

    « L’Abîme », exposition consacrée à la traite négrière visible jusqu’en juin au château des ducs de Bretagne, ne s’intéresse pas tant à l’histoire des deux époux. Leur biographie est bien documentée, et depuis longtemps : lui, d’origine flamande, a pris part à sa première campagne de traite en 1734 ; elle appartient à une famille de commerçants allemands qui exportent vers l’Europe du Nord des produits venus des colonies.

    Le mystère qui émane de ce double portait réalisé en 1753 provient des deux figures de l’arrière-plan, deux domestiques noirs. La jeune femme, en particulier, dont on perçoit le collier d’esclave, serti de quelques pierres précieuses, a le regard perdu, impossible à saisir.

    Dans la ville de Nantes, 4 712 personnes réduites à l’esclavage ont été déclarées entre 1692 et 1792. Elles étaient sans doute bien plus nombreuses à travailler, selon des statuts variés, dans ce qui était alors le premier port négrier de France.

    Les travaux préalables à l’exposition n’ont pas permis d’établir l’identité précise de cette servante. Mais la salle où les toiles sont présentées contient une dizaine de biographies de ces esclaves nantais, dont le nom, celui que leur avaient imposé leurs maîtres, a été retrouvé.

    « Même si son identité n’est pas encore connue, cette femme témoigne, par sa présence, des conditions de vie de ces gens-là. C’est une manière de renverser nos collections : prendre l’objet et le regarder là où il n’était pas prévu, à l’origine, que le regard se porte », avance Krystel Gualdé, directrice scientifique du musée d’histoire de Nantes et responsable de cette exposition, aussi didactique que recommandée en ces temps politiques agités.

    À la fois aux habitué·es du musée nantais, qui reconnaîtront des pièces emblématiques exposées sous un nouvel angle, et aux néophytes qui découvriront, cartes animées et archives à l’appui, l’une des boucles les plus sinistres de l’histoire française qui continue de hanter le pays aujourd’hui.

    Avec « L’Abîme », Nantes poursuit un travail ancien d’exploration de son passé de port négrier. Une manifestation pionnière, « Les Anneaux de la mémoire », avait déjà été montée entre les murs du château dès 1992. Le musée lui-même avait rouvert en 2007, consacrant plusieurs de ses salles permanentes au commerce d’esclaves et à l’enrichissement de la ville au XVIIIe siècle grâce à la traite. En 2012 enfin, Nantes a inauguré un mémorial de l’abolition, posé sur les quais de Loire, une première en France parmi les anciens ports négriers.

    Nantes fut le premier port négrier français avec 43 % des navires de la traite partis depuis la France.

    Ce chantier mémoriel est le résultat de l’activisme d’associations locales dès les années 1980, d’un personnel politique plutôt bien disposé sur ces questions, à commencer par l’ancien premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault, qui fut longtemps maire de la ville (1989-2012), mais aussi d’une donation qui a considérablement enrichi les collections publiques nantaises : celle du musée des Salorges.

    Celle-ci a été constituée au début du XXe siècle par deux frères qui avaient fait fortune dans l’industrie de la conserve. Ils rassemblèrent des pièces qui appartenaient directement aux descendants des grandes familles d’armateurs nantais et qui arrivèrent au « château » en 1955.

    Nantes fut le premier port négrier français avec 43 % des navires de la traite partis depuis la France (1,3 million d’esclaves déportés à l’initiative des ports français, sur un total estimé entre 13 et 17 millions de personnes). L’exposition inscrit le phénomène dans un temps long, de l’exploration des côtes africaines par les Occidentaux dès le XVe siècle (une série de sublimes gravures de 1686 documente l’approche des côtes africaines par la mer, depuis les navires européens) jusqu’à 2022 (avec une réflexion, bienvenue mais un peu attendue, sur la persistance de certaines formes d’esclavage comme de préjugés racistes).

    Mais elle prend pour référence un laps de temps relativement bref pour la traite nantaise en tant que telle, la faisant débuter en 1707 avec l’échec de l’expédition de L’Hercule (et même si la première expédition organisée depuis Nantes, répertoriée par les historiens, remonte à 1657, sous l’impulsion des frères Libault).

    Si la « vocation négrière » de Nantes est plutôt tardive, comparée à celle d’autres ports d’Europe, tout bascule en 1733, lorsque Lorient obtient le monopole des ventes de la Compagnie des Indes orientales : le port nantais décide alors de se spécialiser dans la traite.

    Un commerce « quadrangulaire, avec l’Asie »

    À celles et ceux qui redoutent parfois qu’il n’y ait rien à voir, au-delà d’insipides carnets de comptes de navires négriers, dans une exposition sur la traite, l’exposition nantaise apporte un cinglant démenti : elle regorge d’objets étranges et ambigus, dont les experts n’ont parfois pas encore déterminé la fonction exacte (même si l’on n’y trouve pas d’objets ayant appartenu à des esclaves, prouesse qu’avait réalisée l’exposition sur l’esclavage qui s’est tenue l’été 2020 à Amsterdam).

    On se contentera d’évoquer ici en vrac un énigmatique anneau de traite en ivoire qui pourrait avoir été offert par un capitaine de navire négrier venu de Liverpool à un intermédiaire africain, en remerciement de sa loyauté, un effroyable coffre renfermant les instruments de chirurgiens de la marine embarqués à bord des navires (dont des outils pour marquer la peau des captifs et captives du sceau de leur propriétaire), ou encore un éventail célébrant la première abolition, celle de 1794, reproduisant les paroles d’une chanson engagée de l’époque, La Liberté des nègres.

    D’autres objets exposés – les cauris, ces coquillages venus des îles Maldives (récemment popularisés par Beyoncé), ou encore ces tissus à motifs importés du continent indien (puis réalisés depuis Nantes, prenant le nom d’« indiennes ») – illustrent l’importance jouée par l’Asie dans la traite : « Nous avons voulu montrer qu’il s’agit bien d’un commerce non pas triangulaire [entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques – ndlr] mais quadrangulaire, avec l’Asie, d’où l’on faisait venir des monnaies d’échange contre les esclaves », explique Krystel Gualdé.

    Pour le reste, les habitué·es du musée nantais ne seront pas dépaysé·es. À l’exception de trois prêts, l’exposition s’est construite uniquement sur les collections municipales (dont une bonne partie, tout de même, provient des réserves, peu montrées jusqu’alors, à quoi s’ajoutent quelques acquisitions récentes).

    On retrouve une édition de l’incontournable Code noir (qui fixe la condition de l’homme noir réduit en esclavage, pour le dire vite, entre l’homme libre et le bien meuble), ou encore les deux aquarelles de la Marie-Séraphique, qui ont fait la réputation internationale des collections nantaises. La Marie-Séraphique, ce navire négrier parti de Nantes, qui réalisa quatre expéditions de 1769 à 1774, déporta environ 1 300 personnes vers Saint-Domingue, l’actuel Haïti.

    Petit événement, l’exposition révèle pour la première fois l’existence d’une autre aquarelle, détenue par un collectionneur privé, malheureusement pas prêtée mais reproduite en toute fin de catalogue : on y voit deux images, l’une montrant des esclaves mangeant sur le pont de la Marie-Séraphique dans d’énormes gamelles, l’autre une scène de ventes d’hommes en terres africaines.

    Comme c’est déjà le cas dans les collections permanentes du musée, l’exposition prend un soin infini à dresser l’inventaire des grandes familles nantaises qui firent fortune dans la traite, des premiers explorateurs aux armateurs. Sur une carte qui répertorie les plantations agricoles d’une région de Saint-Domingue, le cartel va jusqu’à préciser les deux terrains qui appartenaient à des Nantais…

    À ce jeu-là, on signale une lettre stupéfiante, datée de 1819 : un armateur de la région y explique qu’il compte bien poursuivre ses activités dans l’illégalité, malgré l’abolition de 1794, et se félicite même des perspectives de bénéfices supérieurs… L’écriture de cet armateur en train de commettre un crime contre l’humanité est fine, régulière et glaçante.

    Fidèles à ce souci d’actualiser les connaissances comme les manières de raconter cette histoire indicible, Krystel Gualdé et ses équipes ont aussi fait le choix d’utiliser majoritairement l’expression de « personnes mises en esclavage » plutôt que d’« esclaves », à l’instar des musées anglo-saxons qui parlent d’« enslaved people » plutôt que de « slaves », dans le but de ne pas réduire la personne au seul statut d’esclave, qu’elle n’a jamais désiré.

    Un parti pris que les musées français qui évoquent la traite sont encore loin d’avoir tous adopté : « Pourquoi s’interdire de réinterroger ces mots ?, se justifie Krystel Gualdé. Il est nécessaire de construire une vision commune sur cette histoire, d’ouvrir d’autres possibles. Et cela ne pourra pas se faire en s’accrochant, tout seul, à tel ou tel terme. »

    Si Nantes, avec cette nouvelle exposition, continue à faire sa part, ce chantier reste encore ouvert dans de nombreuses autres villes françaises, de Marseille à Bayonne, de La Rochelle à Bordeaux. « L’Abîme » prouve en tout cas, une nouvelle fois, l’urgence d’ouvrir un musée national consacré, tout ou en partie, à la traite négrière organisée depuis la France.

    Sur ce sujet, Jean-Marc Ayrault, désormais à la tête de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, s’était montré prudent sur le calendrier, dans un entretien à Mediapart en 2020 : « Je suis convaincu qu’à terme, la France se dotera d’un lieu où l’on ne parlera pas que de la traite et de l’esclavage, mais aussi de la période coloniale, et du travail forcé : tout cela forme un tout. » Le fait que le ministère de la culture n’ait pas jugé bon de reconnaître « d’intérêt national » cette exposition nantaise sur la traite n’invite pas à l’optimisme.

    L’exposition est visible à Nantes jusqu’au 19 juin 2022. Les informations pratiques sont ici. Un catalogue rédigé par Krystel Gualdé a été publié (éditions du musée d’histoire de Nantes, 29,95 euros).

    Ludovic Lamant

    #Mémoiresclavage #misenesclavage #muséepostcol