• Pétition · SAVE ARI ! The Statue of Peace must remain ! - Allemagne · Change.org
    https://www.change.org/p/save-ari-the-statue-of-peace-must-remain


    Photo : Dong-Ha Choe

    “The Statue of Peace must remain - against colonial oppression and the continuing attempts to silence us!”

    Since September 2020, the Statue of Peace of the Korea Association Berlin (Korea Verband) has stood in Berlin’s Moabit district as a reminder of the fate of the so-called comfort women during the Second World War. While the monument was erected in memory of the girls and women who were sexually enslaved by the Japanese military at the time, it has since become an international symbol against sexual violence as a weapon of war - going beyond its historical context.

    Immediately after its installation, the Japanese government’s attempt to remove the Statue of Peace made headlines. In October 2020, organised protests by civil society saved the statue from being disassembled. Now Ari is under threat again.

    The mayor of Berlin, Kai Wegner (CDU), visited Japan in mid May. He met with Japanese Foreign Minister Yoko Kamikawa. According to a press release issued by the Senate Chancellery on 16 May, Wegner offers the “prospect of a solution for the controversial memorial to the comfort women in Berlin’’ and is “committed to ensuring that there is a memorial against violence against women, but a one-sided representation must no longer take place". The Japanese Ambassador will be involved in future discussions about a new memorial. What? The statue is currently only ’tolerated’ by the district authorities. The BVV’s (district assembly) decision in favour of its permanent preservation is being ignored.
    […]
    The Statue of Peace is a monument - not only in memory of the “#comfort_women”, but also for the many anti-colonial and ongoing struggles of FLINTA* (women, lesbians, intersex, non-binary, trans and agender people) against sexualised violence, femicide and their silencing worldwide. This is demonstrated time and time again when the Statue of Peace is chosen as a meeting place for BIPOCS (Black, Indigenous, People of Colours) in Berlin to give voice to anti-racist and post-migrant communities. The statue has long since become a decolonial monument in the neighbourhood. It is essential for the democratic politics of remembrance in the public space!

    The “Ari” Statue of Peace has been standing in Berlin for four years, while diplomatic relations between Germany and Japan have not deteriorated. The Korean and Japanese communities also continue to work closely together in civil society to raise awareness of sexualised and colonial violence. Ari is loved and appreciated by neighbours, Berliners and people from all over the world. In addition, the Korea Association (Korea Verband) and the “comfort women” task force are carrying out important educational and awareness-raising work with the Statue of Peace and the “Museum of Comfort Women” (MuT) as a reference point: schoolchildren, students, academics and artists are addressing the issues of sexualised violence, colonialism and the culture of remembrance. The Korea Association (Korea Verband) works with various youth groups and school classes.

    #femmes_de_réconfort #décolonialisme

  • Une note de lecture peu critique mais qui offre un bon résumé des thématiques abordées dans le court ouvrage de Françoise Vergès « Décoloniser le musée » (La Fabrique, 2023).

    Françoise Vergès : un regard décolonial sur le musée
    par Christian RUBY

    En tant qu’institution, le musée occidental s’est construit sur des logiques coloniales d’appropriation, de conservation et d’exposition que l’approche décoloniale entend renverser.

    La politologue Françoise Vergès a publié de nombreux ouvrages sur les questions féministes et antiracistes ; en tant qu’enseignante, elle a créé une chaire intitulée « Global South(s) » au Collège d’études mondiales. Sa dernière publication, parue aux éditions La Fabrique, propose une analyse décoloniale du musée en tant qu’institution, et cherche à encourager l’émergence de ce qu’elle nomme « un post-musée », c’est-à-dire une institution culturelle dépouillée de ses ancrages coloniaux.

    Perspectives décoloniales sur le musée

    La réflexion décoloniale sur les musées s’est concentrée, ces dernières années, sur la question de la restitution des objets pillés ou volés. L’autrice appuie très clairement ce processus, qu’elle considère comme nécessaire : il convient à la fois de permettre aux pays qui en ont été dépossédés d’accéder aux inventaires et aux bourses de recherche permettant d’identifier correctement tous les objets, mais encore que le pays actuellement détenteur de ces objets prenne en charge les coûts de « repatriation » et la formation du personnel à la conservation. Vergès ajoute qu’il est impératif que les citoyens du pays de retour choisissent eux-mêmes les conditions de préservation et d’exposition des objets.

    Au-delà des objets, le cas des restes humains enregistrés dans les institutions et musées européens — dont on sait qu’ils devaient servir (ou ont servi) à entériner, par contraste, l’idéal de beauté censé s’incarner dans la blancheur — est encore plus délicat, quoique certains aient déjà été restitués, comme c’est le cas de la dite « Vénus Hottentote ». Mais la réflexion proposée dans cet ouvrage déborde cette question de la restitution.

    Elle excède également la question de l’analyse décoloniale des œuvres des musées européens. L’auteure revient tout de même sur les visites guidées qu’elle a initiées en 2012 au Louvre, au cours desquelles elle explorait la présence des esclaves dans les œuvres y étant exposées. Elle consacre également un chapitre critique à l’exposition « Le modèle noir » présentée au musée d’Orsay en 2019, dont elle pointe davantage les limites qu’elle n’en salue le travail nécessaire. Vergès commente également des polémiques récentes telles que celle qu’a suscité la fresque jugée antisémite exposée lors de la Documenta 15 de Cassel en 2022, ou encore celle qui a entouré la programmation de la pièce Kanata en 2019, accusée d’appropriation culturelle.

    Ceci dit, le cœur du propos de ce livre se situe ailleurs : il s’agit d’interroger les présupposés colonialistes qui organisent le fonctionnement même du musée, en tant qu’institution historique et politique.

    Critique du « musée universel »

    Pour Vergès, le musée est un produit des Lumières européennes, dont la curiosité scientifique est entretenue par les expéditions coloniales et les découvertes de continents lointains. En tant que lieu de rassemblement et d’exposition des objets récoltés à travers le monde, le musée se présente comme un « dépôt de l’universel », un gardien du patrimoine de l’humanité, et revendique ainsi une démarche neutre et désintéressée. Cette idée a contribué à ériger le Louvre, et à sa suite le British Museum de Londres, le Humboldt Forum de Berlin ou encore le Metropolitan Museum de New York, comme des modèles de « musée universel » à imiter.

    L’ouvrage examine le formidable retournement rhétorique qui a été nécessaire pour produire cette image de « musée universel ». Ce discours dissimule en effet les conditions économiques, sociales et politiques d’une telle entreprise, et notamment les aspects conflictuels et criminels de son histoire. Loin d’une exposition neutre de l’universel, le musée offre une mise en scène unique de la grandeur de l’État-nation européen, par opposition à toutes les sociétés « sauvages » qu’il rencontre au-delà de ses frontières.

    L’étude d’un cas d’école structure le propos de l’auteure : celui du musée du Louvre, enfant des Lumières et de la Révolution française. Du fait de ce double héritage, il s’est arrogé le droit d’acquérir et de conserver des œuvres, des archives, des documents saisis, pillés ou volés, pour les exposer dans le pays qui symbolisait désormais la liberté.

    Vergès détaille ainsi les vols, les destructions de palais, les pillages systématiques et l’appropriation de nombreuses richesses. Elle souligne comment la mise sous tutelle des œuvres venues des colonies et des conquêtes a été justifiée, d’un point de vue juridique, grâce à la notion de propriété qui occupe une place centrale dans le droit occidental. Ce processus n’est d’ailleurs pas réductible à l’appropriation des objets, mais s’applique également à celle des individus : Vergès explore pour le montrer l’architecture du Palais-Bourbon et celle de l’Élysée, dont la construction a fait intervenir des compagnies esclavagistes.

    À la lumière de ces réflexions, les objets exposés dans les grands musées européens apparaissent davantage comme des butins de guerre, que les vainqueurs se sont octroyés au détriment des vaincus, que comme les productions d’une humanité universelle. En ce sens, le fonctionnement même du musée repose sur une logique coloniale, que Vergès considère comme structurelle.

    Décoloniser le musée

    En contrepoint, l’auteure cherche à valoriser des cas de « contre-musées » ou de « post-musées », dont les fonds ne proviennent pas du dépouillement d’une culture étrangère. Un tel exemple pourrait être trouvé dans le projet (finalement empêché par le Président du conseil régional de La Réunion, Didier Robert) de Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise. Formulé en 2004, ce projet avait pour objectif de construire un espace d’exposition et de transmission culturelle qui tienne compte des analyses décoloniales en matière d’architecture, d’histoire et d’arts plastiques, et qui sans se focaliser sur des objets soit en mesure de replacer l’île de la Réunion au sein des mondes de l’océan Indien.

    Ce musée « sans objets » convient bien au contre-modèle que souhaite valoriser Vergès, qui n’oublie pas tout au long de son livre que les musées ne sont pas d’abord constitués d’œuvres mais de personnes, dont le travail rend possible le rayonnement de ces institutions. Un véritable « post-musée » devrait dès lors réévaluer les conditions de travail de ceux qui nettoient, gardent, cuisinent, font de la recherche ou administrent les lieux ; mais il devrait également contester les hiérarchies de genre, de classe, de race, de religion et échapper aux impératifs des grands groupes capitalistes qui financent le plus souvent les fondations artistiques.

    Du côté du public, également, il s’agirait d’assurer l’accueil inconditionnel des visiteurs, d’où qu’ils viennent, y compris s’ils ne sont pas familiers de ces institutions, du fait de leur âge ou de leur origine sociale par exemple, et n’en possèdent pas tous les codes.

    C’est donc par des tactiques décoloniales que l’objectif de sortir du modèle du « musée universel » sera atteint selon Vergès. Et ce projet, comme le titre de l’ouvrage l’indique, est un « programme de désordre absolu ». Reprenant la formule à Frantz Fanon — dont elle cite à plusieurs reprises Peau noire, masques blancs ou Les Damnés de la terre — Vergès considère que seul un « désordre absolu » permettrait de mettre fin à un ordre qui structure les différents niveaux de domination et d’oppression au niveau planétaire, et notamment les asymétries et inégalités Nord/Sud.

    Loin d’y voir un appel au chaos, elle reprend à son compte l’injonction de Fanon à renverser ce que les puissants appellent l’« ordre » du monde, et qu’ils veulent faire passer pour immuable. En s’appuyant également sur les analyses des écrivains et militants américains Fred Moten et Stefano Harney, elle associe cet ordre au « monde de la modernité », lequel est « fondé sur la philosophie libérale des droits, qui a accumulé richesses et biens sur la traite, l’esclavage, la colonisation, et le capitalisme racial et patriarcal ».

    Dans ce dessein, il ne suffit pas d’inciter à des programmes de simple habillage décolonial. L’auteure précise que la décolonisation du « musée universel » est « impossible si elle ne s’inscrit pas dans un programme qui embrasse la construction d’un monde post-raciste, post-impérialiste et post-patriarcal ». Il ne s’agit ni de compassion, ni de compensation altruiste, ni de repentance, mais d’un programme de réinvention radicale des institutions qui contribuent à perpétuer l’ordre dominant.

    #musée #décolonialisme #domination

  • Un quartier de #Berlin rebaptise des lieux avec les noms de résistants africains à la #colonisation

    Une rue et une #place portant le nom de personnalités phares du colonialisme allemand ont été débaptisées, début décembre, dans le quartier de #Wedding. Elles ont désormais le nom de résistants ayant œuvré, au début du XXe siècle, contre l’action de l’Allemagne en Afrique.

    “Fini d’honorer les dirigeants de la colonisation.” Comme le rapporte le Tagesspiegel, plusieurs lieux du “quartier africain” de Berlin ont été rebaptisés, dans le cadre d’une initiative menée par les autorités locales. “L’ancienne place #Nachtigal est devenue la place #Manga-Bell ; et la rue #Lüderitz, la rue #Cornelius-Fredericks”, détaille le titre berlinois. Le tout au nom du “travail de mémoire” et du “#décolonialisme”.

    #Gustav_Nachtigal et #Adolf_Lüderitz, dont les noms ornaient jusqu’à présent les plaques du quartier, avaient tous deux “ouvert la voie au colonialisme allemand”. Ils ont été remplacés par des personnalités “qui ont été victimes de ce régime injuste”.

    À savoir Emily et Rudolf Manga Bell, le couple royal de Douala qui s’est opposé à la politique d’expropriation des terres des autorités coloniales allemandes au #Cameroun, et Cornelius Fredericks, résistant engagé en faveur du peuple des #Nama, avant d’être emprisonné et tué dans le camp de concentration de #Shark_Island, dans l’actuelle #Namibie.

    “Indemnisation symbolique”

    “Les noms des rues du quartier africain ont fait polémique pendant plusieurs années”, assure le journal berlinois. Lorsqu’en 2018 l’assemblée des délégués d’arrondissement de ce quartier, Wedding, dans l’arrondissement de #Berlin-Mitte, avait proposé pour la première fois de changer les noms de certains lieux, près de 200 riverains étaient montés au créneau, critiquant notamment le coût de la mesure. Ils assuraient par ailleurs qu’“on ne peut pas faire disparaître l’histoire des plaques de rue”.

    Mais les associations des différentes diasporas africaines, elles, considèrent que les changements de noms sont importants, dans un pays “où les crimes du colonialisme allemand ne sont pas éclaircis systématiquement”. L’Empire allemand a en effet été responsable de diverses atrocités commises pendant sa courte période coloniale – comme le génocide des Héréro et des Nama, entre 1904 et 1908, dans ce que l’on appelait à l’époque le “Sud-Ouest africain allemand” et qui correspond aujourd’hui à la Namibie.

    Cet épisode de l’histoire n’a été reconnu par l’Allemagne qu’en mai 2021, rappellent les organisations décoloniales d’outre-Rhin. “Elles demandent de nouveaux noms de rue à titre d’indemnisation symbolique pour les victimes, mais également à titre éducatif.”

    https://www.courrierinternational.com/article/memoire-un-quartier-de-berlin-rebaptise-des-lieux-avec-les-no

    #toponymie #toponymie_politique #colonialisme #résistance #noms_de_rue #rebaptisation #colonialisme_allemand #Allemagne_coloniale #Allemagne #toponymie_coloniale #mémoire

    ping @cede

    • Keine Ehre für Kolonialherren in Berlin: Straßen im Afrikanischen Viertel werden umbenannt

      Aus dem Nachtigalplatz wird am Freitag der Manga-Bell-Platz und aus der Lüderitzstraße die Cornelius-Fredericks-Straße. Anwohner hatten gegen die Umbenennung geklagt.

      Nach jahrelangen Protesten werden ein Platz und eine Straße im Afrikanischen Viertel in Wedding umbenannt. Aus dem bisherigen Nachtigalplatz wird der Manga-Bell-Platz und aus der Lüderitzstraße die Cornelius-Fredericks-Straße.

      „Straßennamen sind Ehrungen und Teil der Erinnerungskultur“, sagte Bezirksbürgermeisterin Stefanie Remlinger (Grüne). Daher sei es eine wichtige Aufgabe, Namen aus dem Berliner Straßenbild zu tilgen, die mit Verbrechen der Kolonialzeit im Zusammenhang stehen.

      Gustav Nachtigal und Adolf Lüderitz waren Wegbereiter des deutschen Kolonialismus, der im Völkermord an den Herero und Nama gipfelte. An ihrer Stelle sollen nun Menschen geehrt werden, die Opfer des deutschen Unrechtsregimes wurden.

      Das Königspaar Emily und Rudolf Duala Manga Bell setzte sich nach anfänglicher Kooperation mit deutschen Kolonialautoritäten gegen deren Landenteignungspolitik zur Wehr. Cornelius Fredericks führte den Widerstandskrieg der Nama im damaligen Deutsch-Südwestafrika, dem heutige Namibia, an. Er wurde 1907 enthauptet und sein Schädel zur „Erforschung der Rassenüberlegenheit“ nach Deutschland geschickt und an der Charité aufbewahrt.

      Über die Straßennamen im Afrikanischen Viertel wurde viele Jahre gestritten. Im April 2018 hatte die Bezirksverordnetenversammlung Mitte nach langem Hin und Her beschlossen, den Nachtigalplatz, die Petersallee und die Lüderitzstraße umzubenennen. Dagegen hatten 200 Gewerbetreibende sowie Anwohnende geklagt und die Namensänderungen bis jetzt verzögert. Im Fall der Petersallee muss noch über eine Klage entschieden werden.

      Geschichte könne nicht überall von Straßenschildern getilgt werden, argumentieren die Gegner solcher Umbenennungen. Denn konsequent weitergedacht: Müsste dann nicht sehr vielen, historisch bedeutenden Personen die Ehre verweigert werden, wie etwa dem glühenden Antisemiten Martin Luther?
      Klagen verzögern auch Umbenennung der Mohrenstraße

      Ein anderes viel diskutiertes Beispiel in Mitte ist die Mohrenstraße, deren Namen als rassistisch kritisiert wird. Auch hier verzögern Klagen die beschlossene Umbenennung. Gewerbetreibende argumentieren auch mit Kosten und Aufwand für Änderung der Geschäftsunterlagen.

      Vor allem afrodiasporische und solidarische Organisationen wie der Weddinger Verein Eoto und Berlin Postkolonial kämpfen für die Straßenumbenennungen. Sie fordern sie als symbolische Entschädigung für die Opfer, aber auch als Lernstätte. Denn bis heute fehlt es oft an Aufklärung über die deutschen Verbrechen. Die Debatte darüber kam erst in den letzten Jahren in Gang.

      Wenn am Freitag ab 11 Uhr die neuen Straßenschilder enthüllt werden, sind auch die Botschafter Kameruns und Namibias sowie König Jean-Yves Eboumbou Douala Bell, ein Nachfahre des geehrten Königspaares, dabei. Die Straßenschilder werden mit historischen Erläuterungen versehen. (mit epd)

      https://www.tagesspiegel.de/berlin/bezirke/keine-ehre-fur-kolonialherren-in-berlin-strassen-im-afrikanischen-viert

    • Benannt nach Kolonialverbrechern: #Petersallee, Nachtigalplatz - wenn Straßennamen zum Problem werden

      Die #Mohrenstraße in Berlin wird umbenannt. Im Afrikanischen Viertel im Wedding dagegen wird weiter über die Umbenennung von Straßen gestritten.

      Die Debatte über den Umgang mit kolonialen Verbrechen, sie verläuft entlang einer Straßenecke im Berliner Wedding. Hier, wo die Petersallee auf den Nachtigalplatz trifft, wuchert eine wilde Wiese, ein paar Bäume werfen kurze Schatten, an einigen Stellen bricht Unkraut durch die Pflastersteine des Bürgersteigs. Kaum etwas zu sehen außer ein paar Straßenschildern. Doch um genau die wird hier seit Jahren gestritten.

      Am Mittwoch hat die Bezirksverordnetenversammlung Berlin-Mitte beschlossen, die Mohrenstraße in Anton-Wilhelm-Amo-Straße umzubenennen, nach einem widerständigen afrikanischen Gelehrten. Im gleichen Bezirk hat die Organisation „Berlin Postkolonial“ in dieser Woche ein Informationszentrum zur deutschen Kolonialgeschichte in der Wilhelmstraße eröffnet – in den kommenden vier Jahren soll es von Erinnerungsort zu Erinnerungsort ziehen.

      Das Zentrum ist die erste speziell dem Thema gewidmete öffentliche Anlaufstelle in der Stadt.

      Andernorts aber kämpft man seit Jahren nach wie vor erfolglos für eine Umbenennung von Straßennamen mit Bezügen zur Kolonialzeit. In ganz Deutschland gibt es noch immer mehr als 150 – im Berliner Wedding treten sie besonders geballt im sogenannten Afrikanischen Viertel auf. Orte wie die Petersallee, der Nachtigalplatz und die Lüderitzstraße. Orte, die nach deutschen Kolonialverbrechern benannt sind.
      #Carl_Peters wurde wegen seiner Gewalttaten „blutige Hand“ genannt. Gustav Nachtigal unterwarf die Kolonien Togo, Kamerun und Deutsch-Südwestafrika.

      Carl Peters (1856–1918) war die treibende Kraft hinter der Gründung der ehemaligen deutschen Kolonie #Deutsch-Ostafrika, seine Gewalttätigkeit brachte ihm die Spitznamen „Hänge-Peters“ und „blutige Hand“ ein. Gustav Nachtigal (1834– 1885) nahm eine Schlüsselrolle ein bei der Errichtung der deutschen Herrschaft über die drei westafrikanischen Kolonien Togo, Kamerun und Deutsch-Südwestafrika, das heutige Namibia. Und der Bremer Kaufmann Adolf Eduard Lüderitz (1834–1886) gilt als der Mann, der das deutsche Kolonialreich mit einem betrügerischen Kaufvertrag in Gang setzte.

      Eine Ehrung für außergewöhnliche Leistungen

      Straßennamen sollen eine besondere Ehrung darstellen, sie sollen an Menschen erinnern, die außergewöhnlich Gutes geleistet haben. Das deutsche Kolonialreich aufgebaut zu haben, fällt nicht mehr in diese Kategorie. Aus diesem Grund wurden in der Geschichte der Bundesrepublik bislang allein 19 Straßen umbenannt, die Carl Peters im Namen trugen. Das erste Mal war das 1947 in Heilbronn. Der aktuellste Fall findet sich 2015 in Ludwigsburg. Auch nach dem Ende des Nationalsozialismus und dem der DDR hat man im großen Stil Straßen umbenannt, die als Würdigung problematischer Personen galten.

      Im Wedding ist wenig passiert, in der Welt zuletzt viel. Die Ermordung des schwarzen US-Amerikaners George Floyd hat Proteste ausgelöst, weltweit. Gegen Rassismus, gegen Polizeigewalt. Aber auch gegen die noch immer präsenten Symbole des Kolonialismus, dem diese Ungerechtigkeiten, diese Unterdrückungssysteme entspringen. Im englischen Bristol stürzten Demonstranten die Statue des Sklavenhändlers Edward Colston von ihrem Sockel und versenkten sie im Hafenbecken.

      „Krieg den Palästen“

      Ein alter Gewerbehof in Kreuzberg unweit des Landwehrkanals, Sommer 2019. Tahir Della, Sprecher der Initiative Schwarze Menschen in Deutschland, sitzt an seinem Schreibtisch in einem Co-Working-Space. Um ihn herum Bücher, Flyer. Hinter Della lehnen zwei große Plakate. Auf dem einen steht: „Black Lives Matter“. Auf dem anderen: „Krieg den Palästen“. Ein paar Meter über Dellas Kopf zieht sich eine großformatige Bildergalerie durch die ganze Länge des Raums. Fotos von Schwarzen Menschen, die neue Straßenschilder über die alten halten.

      „Die kolonialen Machtverhältnisse wirken bis in die Gegenwart fort“, sagt Della. Weshalb die Querelen um die seit Jahren andauernde Straßenumbenennung im Wedding für ihn auch Symptom eines viel größeren Problems sind: das mangelnde Bewusstsein und die fehlende Bereitschaft, sich mit der deutschen Kolonialvergangenheit auseinanderzusetzen. „Die Leute haben Angst, dieses große Fass aufzumachen.“

      Denn wer über den Kolonialismus von damals spreche, der müsse auch über die Migrations- und Fluchtbewegungen von heute reden. Über strukturellen Rassismus, über racial profiling, über Polizeigewalt, darüber, wo rassistische Einordnungen überhaupt herkommen.

      Profiteure der Ausbeutung

      „Deutsche waren maßgeblich am Versklavungshandel beteiligt“, sagt Della. In Groß Friedrichsburg zum Beispiel, an der heutigen Küste Ghanas, errichtete Preußen schon im 17. Jahrhundert ein Fort, um von dort aus unter anderem mit Sklaven zu handeln. „Selbst nach dem sogenannten Verlust der Kolonien hat Europa maßgeblich von der Ausbeutung des Kontinents profitiert, das gilt auch für Deutschland“, sagt Della.

      Viele Menschen in diesem Land setzen sich aktuell zum ersten Mal mit dem Unrechtssystem des Kolonialismus auseinander und den Privilegien, die sie daraus gewinnen. Und wenn es um Privilegien geht, verhärten sich schnell die Fronten. Weshalb aus einer Debatte um die Umbenennung von kolonialen Straßennamen in den Augen einiger ein Streit zwischen linkem Moralimperativ und übervorteiltem Bürgertum wird. Ein Symptom der vermeintlichen Empörungskultur unserer Gegenwart.

      Ein unscheinbares Café im Schatten eines großen Multiplexkinos, ebenfalls im Sommer 2019. Vor der Tür schiebt sich der Verkehr langsam die Müllerstraße entlang, dahinter beginnt das Afrikanische Viertel. Drinnen warten Johann Ganz und Karina Filusch, die beiden Sprecher der Initiative Pro Afrikanisches Viertel.
      Die Personen sind belastet, aber die Namen sollen bleiben

      Ganz, Anfang 70, hat die Bürgerinitiative 2010 ins Leben gerufen. Sie wünschen sich eine Versachlichung. Er nennt die betreffenden Straßennamen im Viertel „ohne Weiteres belastet“, es sei ihm schwergefallen, sie auf Veranstaltungen zu verteidigen. Warum hat er es dennoch getan?

      Seine Haltung damals: Die Personen sind belastet, aber die Straßennamen sollten trotzdem bleiben.

      „Da bin ich für die Bürger eingesprungen“, sagt Ganz, „weil die das absolut nicht gewollt haben.“ Und Filusch ergänzt: „Weil sie nicht beteiligt wurden.“

      Allein, das mit der fehlenden Bürgerbeteiligung stimmt so nicht. Denn es gab sie – obwohl sie im Gesetz eigentlich gar nicht vorgesehen ist. Für die Benennung von Straßen sind die Bezirksverwaltungen zuständig. Im Falle des Afrikanischen Viertels ist es das Bezirksamt Mitte. Dort entschied man, den Weg über die Bezirksverordnetenversammlung zu gehen.
      Anwohner reichten 190 Vorschläge ein

      In einem ersten Schritt bat man zunächst die Anwohner, Vorschläge für neue Namen einzureichen, kurze Zeit später dann alle Bürger Berlins. Insgesamt gingen etwa 190 Vorschläge ein, über die dann eine elfköpfige Jury beriet. In der saß neben anderen zivilgesellschaftlichen Akteuren auch Tahir Della, als Vertreter der Schwarzen Community. Nach Abstimmung, Prüfung, weiteren Gutachten und Anpassungen standen am Ende die neuen Namen fest, die Personen ehren sollen, die im Widerstand gegen die deutsche Kolonialmacht aktiv waren.

      Die #Lüderitzstraße soll in Zukunft #Cornelius-Fredericks-Straße heißen, der Nachtigalplatz in Manga-Bell-Platz umbenannt werden. Die Petersallee wird in zwei Teilstücke aufgeteilt, die #Anna-Mungunda-Allee und die #Maji-Maji-Allee. So der Beschluss des Bezirksamts und der Bezirksverordnetenversammlung im April 2018. Neue Straßenschilder hängen aber bis heute nicht.

      Was vor allem am Widerstand der Menschen im Viertel liegt. Mehrere Anwohner haben gegen die Umbenennung geklagt, bis es zu einer juristischen Entscheidung kommt, können noch Monate, vielleicht sogar Jahre vergehen.

      Eine Generation will endlich gehört werden

      Auf der einen Seite ziehen sich die Prozesse in die Länge, auf der anderen steigt die Ungeduld. Wenn Tahir Della heute an die jüngsten Proteste im Kontext von „Black Lives Matter“ denkt, sieht er vor allem auch eine jüngere Generation, die endlich gehört werden will. „Ich glaube nicht, dass es gleich nachhaltige politische Prozesse in Gang setzt, wenn die Statue eines Versklavungshändlers im Kanal landet“, sagt Della, „aber es symbolisiert, dass die Leute es leid sind, immer wieder sich und die offensichtlich ungerechten Zustände erklären zu müssen.“

      In Zusammenarbeit mit dem Berliner Peng-Kollektiv, einem Zusammenschluss von Aktivisten aus verschiedenen Bereichen, hat die Initiative kürzlich eine Webseite ins Leben gerufen: www.tearthisdown.com/de. Dort findet sich unter dem Titel „Tear Down This Shit“ eine Deutschlandkarte, auf der alle Orte markiert sind, an denen beispielsweise Straßen oder Plätze noch immer nach Kolonialverbrechern oder Kolonialverbrechen benannt sind. Wie viel Kolonialismus steckt im öffentlichen Raum? Hier wird er sichtbar.

      Bemühungen für eine Umbenennung gibt es seit den Achtzigerjahren

      Es gibt viele Organisationen, die seit Jahren auf eine Aufarbeitung und Auseinandersetzung mit dem Unrecht des Kolonialismus drängen. Zwei davon sitzen im Wedding, im sogenannten Afrikanischen Viertel: EOTO, ein Bildungs- und Empowerment-Projekt, das sich für die Interessen Schwarzer, afrikanischer und afrodiasporischer Menschen in Deutschland einsetzt, und Berlin Postkolonial.

      Einer der Mitbegründer dieses Vereins ist der Historiker Christian Kopp. Zusammen mit seinen Kollegen organisiert er Führungen durch die Nachbarschaft, um über die Geschichte des Viertels aufzuklären. Denn Bemühungen, die drei Straßen umzubenennen, gibt es schon seit den achtziger Jahren.

      Kopp erzählt auch von der erfolgreichen Umbenennung des Gröbenufers in Kreuzberg im Jahr 2010, das seitdem den Namen May-Ayim-Ufer trägt. „Vor zehn Jahren wollte niemand über Kolonialismus reden“, sagt Kopp. Außer man forderte Straßenumbenennungen. „Die Möglichkeit, überhaupt erst eine Debatte über Kolonialismus entstehen zu lassen, die hat sich wohl vor allem durch unsere Umbenennungsforderungen ergeben.“

      Rassismus und Raubkunst

      2018 haben sich CDU und SPD als erste deutsche Bundesregierung überhaupt die „Aufarbeitung des Kolonialismus“ in den Koalitionsvertrag geschrieben. Auch die rot-rot-grüne Landesregierung Berlins hat sich vorgenommen, die Rolle der Hauptstadt in der Kolonialzeit aufzuarbeiten.

      Es wird öffentlich gestritten über das koloniale Erbe des Humboldt-Forums und dem Umgang damit, über die Rückgabe von kolonialer Raubkunst und die Rückführung von Schädeln und Gebeinen, die zu Zwecken rassistischer Forschung einst nach Deutschland geschafft wurden und die bis heute in großer Zahl in Sammlungen und Kellern lagern.

      Auch die Initiative Pro Afrikanisches Viertel hat ihre Positionen im Laufe der vergangenen Jahre immer wieder verändert und angepasst. War man zu Beginn noch strikt gegen eine Umbenennung der Straßen, machte man sich später für eine Umwidmung stark, so wie es 1986 schon mit der Petersallee geschehen ist. Deren Name soll sich nicht mehr auf den Kolonialherren Carl Peters beziehen, sondern auf Hans Peters, Widerstandskämpfer gegen den Nationalsozialismus und Mitglied des Kreisauer Kreises.

      Straßen sollen vorzugsweise nach Frauen benannt werden

      Heute ist man bei der Initiative nicht mehr für die alten Namen. Für die neuen aber auch nicht wirklich. Denn diese würden nicht deutlich genug im Kontext deutscher Kolonialgeschichte stehen, sagt Karina Filusch, Sprecherin der Initiative. Außerdem würden sie sich nicht an die Vorgabe halten, neue Straßen vorzugsweise nach Frauen zu benennen.

      An Cornelius Fredericks störe sie der von den „Kolonialmächten aufoktroyierte Name“. Und Anna Mungunda habe als Kämpferin gegen die Apartheid zu wenig Verbindung zum deutschen Kolonialismus. Allgemein wünsche sie sich einen Perspektivwechsel, so Filusch.

      Ein Perspektivwechsel weg von den weißen Kolonialverbrechern hin zu Schwarzen Widerstandskämpfern, das ist das, was Historiker Kopp bei der Auswahl der neuen Namen beschreibt. Anna Mungunda, eine Herero-Frau, wurde in Rücksprache mit Aktivisten aus der Herero-Community ausgewählt. Fredericks war ein Widerstandskämpfer gegen die deutsche Kolonialmacht im heutigen Namibia.
      Bezirksamt gegen Bürger? Schwarz gegen Weiß?

      Für die einen ist der Streit im Afrikanischen Viertel eine lokalpolitische Auseinandersetzung zwischen einem Bezirksamt und seinen Bürgern, die sich übergangen fühlen. Für die anderen ist er ein Symbol für die nur schleppend vorankommende Auseinandersetzung mit der deutschen Kolonialgeschichte.

      Wie schnell die Dinge in Bewegung geraten können, wenn öffentlicher Druck herrscht, zeigte kürzlich der Vorstoß der Berliner Verkehrsbetriebe. Angesichts der jüngsten Proteste verkündete die BVG, die U-Bahn-Haltestelle Mohrenstraße in Glinkastraße umzutaufen.

      Ein Antisemit, ausgerechnet?

      Der Vorschlag von Della, Kopp und ihren Mitstreitern war Anton-W.-Amo- Straße gewesen, nach dem Schwarzen deutschen Philosophen Anton Wilhelm Amo. Dass die Wahl der BVG zunächst ausgerechnet auf den antisemitischen russischen Komponisten Michail Iwanowitsch Glinka fiel, was viel Kritik auslöste, offenbart für Della ein grundsätzliches Problem: Entscheidungen werden gefällt, ohne mit den Menschen zu reden, die sich seit Jahrzehnten mit dem Thema beschäftigen.

      Am Dienstag dieser Woche ist der Berliner Senat einen wichtigen Schritt gegangen: Mit einer Änderung der Ausführungsvorschriften zum Berliner Straßengesetz hat er die Umbenennung umstrittener Straßennamen erleichtert. In der offiziellen Mitteilung heißt es: „Zukünftig wird ausdrücklich auf die Möglichkeit verwiesen, Straße umzubenennen, wenn deren Namen koloniales Unrecht heroisieren oder verharmlosen und damit Menschen herabwürdigen.“

      https://www.tagesspiegel.de/gesellschaft/petersallee-nachtigalplatz-wenn-strassennamen-zum-problem-werden-419073
      #M-Straße #Mohrenstrasse

    • Als Ehrung gedacht und doch rassistisch

      Die Hofmohren, an die die Mohrenstraße erinnern soll, waren nicht freiwillig in Preußen - sie waren Sklaven. Dass die Straße nun nach Anton Wilhelm Amo benannt wird, ist eine gute Wahl.

      Die Mohrenstraße in Berlin ist ein teures Pflaster. Sie liegt, wo früher das Machtzentrum Preußens lag, in einer Ecke, in der viele Straßen nach Figuren des einstigen Hofes benannt sind: Friedrichstraße, Wilhelmstraße, Charlottenstraße. Mittendrin die Mohrenstraße: Das war historisch nicht dazu gedacht, jemanden rassistisch zu schmähen. Es war, im Gegenteil, sogar als Ehrung gedacht - für jene Afrikaner, die aus Sicht der damaligen Aristokratie auch zum Hof gehörten.

      Wenn man heute in eine Zeitmaschine steigen und dem Alten Fritz erzählen könnte, dass Grüne und SPD in Berlin gerade beschlossen haben, diesen „diskriminierenden“ Straßennamen zu streichen, würde er wohl aus allen Wolken fallen. Wie bitte? Ich liebe doch meine Mohren mit ihren putzigen roten Uniformen!

      Aber das ist der Moment, an dem es Widerspruch braucht. Die Ghanaer, die seit dem 17. Jahrhundert als exotisches Dekor feudaler Haushalte dienten, waren selten freiwillig gekommen; oft in Ketten. Es waren Preußens Sklaven. Das mögen die Mächtigen drollig gefunden haben, was sie auch durch vermeintliche Ehrungen unterstrichen. Das war es nie.

      Künftig soll die Straße in Berlin nach Anton Wilhelm Amo heißen. Eine gute Wahl. Auch er war ein „Hofmohr“, bekam sogar die Vornamen seiner Herren aufgedrückt. Aber er brachte es zum ersten afrikanischstämmigen Doktor der Philosophie in Europa - und schaffte es vor allem, den Kolonialverbrechern zu entkommen und in seine Heimat zurückzukehren.

      https://www.sueddeutsche.de/politik/mohrenstrasse-berlin-umbenennung-kommentar-1.5006150

    • Mohrentrasse Street Renaming in Berlin

      This case study examines the renaming process of the street ‘Mohrenstraße’ to Anton-Wilhelm-Amo-Straße and its corresponding underground train station in Berlin, Germany. The decision to rename came after several years of debate and initiatives from various societal actors and academics, who stressed the racist character of the word ‘Mohr’ in ‘Mohrenstraße.’ The renaming is intended as a sign against racism and a tribute to Anton Wilhelm Amo, the first known German legal scholar and philosopher of African descent, and the first person of colour to attend a European university. The renaming process signifies an important, albeit small step in a more significant debate about Germany’s colonial past.

      https://contestedhistories.org/resources/case-studies/mohrentrasse-street-renaming-in-berlin

  • Janvier 2022, un "colloque" (soi-disant) est organisé par l’#Observatoire_du_décolonialisme et le #Collège_de_philosophie.
    Sont entre autres présents à ce "colloque" #Jean-Michel_Blanquer et #Thierry_Coulhon (patron de l’HCERES)...

    Titre du colloque « Après la #déconstruction : reconstruire les sciences et la culture »
    https://decolonialisme.fr/?p=6333

    Ci-dessous un fil de discussion à son propos.

    #Université : « L’#universalisme_républicain ne se décrète pas, il se construit »

    Dans une tribune au « Monde », soixante-quatorze universitaires expliquent pourquoi le colloque organisé par l’Observatoire du décolonialisme, les 7 et 8 janvier à la Sorbonne, constitue une caricature de son objet, car il conduit à observer pour ne rien voir !

    Tribune :

    L’#Observatoire_du_décolonialisme et le #Collège_de_philosophie organisent les 7 et 8 janvier, avec l’aval de #Jean-Michel_Blanquer, un #colloque à la #Sorbonne, intitulé « Après la #déconstruction : reconstruire les #sciences et la #culture » dont l’objectif affiché est de dénoncer l’« #ordre_moral » que la « “pensée” décoloniale », également nommée « #woke » ou « #cancel_culture », introduit dans le domaine éducatif en contradiction avec « l’#esprit_d’ouverture, de #pluralisme et de #laïcité qui en constitue l’essence ».

    Il s’agit, est-il précisé, de « favoriser la construction, chez les élèves et les étudiants, des #repères_culturels fondamentaux » et de « faire un état des lieux, aussi nuancé que possible ». Cette recommandation laisse perplexe lorsque l’on constate que les animateurs des tables rondes sont les intervenants et vice-versa, et la quasi-totalité d’entre eux membres de l’Observatoire. Il serait vain dès lors d’attendre #débat_contradictoire ou mise en perspective.

    On pourrait s’étonner de la participation annoncée du président de l’agence gouvernementale chargée d’évaluer la recherche dans l’enseignement supérieur, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), dont dépend l’avenir des laboratoires de sciences humaines et sociales. On sait toutefois que la dénonciation du #wokisme, ou d’autres chimères comme l’« #islamo-gauchisme », est un cheval de bataille du ministre de l’éducation nationale comme de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

    Une #police_de_la pensée

    La caution quasi officielle apportée par le président du #HCERES à l’Observatoire du décolonialisme laisse-t-elle présager l’apparition d’une police de la pensée qui sanctionnerait toute recherche suspectée d’être contaminée par le prétendu wokisme ? Admettons, bien qu’il soit infondé, le postulat de réduction du #décolonialisme à l’idéologie woke et à la cancel culture.

    De quoi est-il donc question ? On sait que l’expression « #being_woke » s’est popularisée aux Etats-Unis dans la communauté afro-américaine tout au long du XXe siècle pour désigner une nécessité : celle d’être éveillé aux #injustices, principalement alors de nature socio-économique. Le slogan, repris par le mouvement #Black_Lives_Matter (« les vies noires comptent »), gagne en popularité avant d’être récupéré par les conservateurs américains pour le dénigrer et disqualifier ceux qui en font usage.

    C’est ainsi que s’impose #wokisme, lequel suggère l’existence d’un mouvement politique homogène chargé de propager l’#idéologie_woke. Il est d’ailleurs assez cocasse que la dénonciation de l’américanisation du débat s’accommode de l’importation (fautive) de mots américains.

    Les nouveaux inquisiteurs

    Désormais, le wokisme désigne péjorativement ceux qui sont engagés dans les luttes antiracistes, féministes, LGBT, etc. Sous couvert d’alerter sur le nouveau danger qui menacerait l’école républicaine, il s’agit de réprouver ceux qui dénoncent les #discriminations fondées sur la couleur et qui font un lien entre celles-ci et notre passé colonial et/ou esclavagiste.

    Dans la rhétorique réactionnaire des nouveaux inquisiteurs, on pratique une stratégie d’#éradication_lexicale visant à éliminer du vocabulaire des #sciences_sociales des termes tels que #racisme_systémique, #privilège_blanc, #racisation, #intersectionnalité, #décolonialisme, termes prétendument dénués de toute rationalité. A de nombreux égards, la querelle ressemble à celle de la #political_correctness (le #politiquement_correct) du début des années 1990.

    En effet, cette dernière fut avant tout, aux Etats-Unis, l’occasion d’une offensive des conservateurs et de l’extrême droite contre le pouvoir supposé des #minorités. En France, le terme désigne, dans la méconnaissance du contexte américain, un ensemble hétérogène composé de marxistes, de multiculturalistes, de féministes, de postmodernistes, etc., tous accusés, entre autres vices, de #puritanisme, de #censure, de #dictature_des_minorités.

    Le #cyberharcèlement moralisateur

    A l’inverse, celui qui se veut politiquement incorrect fonde ses jugements sur la #liberté_de_penser, la #rationalité, le #courage_intellectuel. Qui ne s’en réclamerait ? Quelle est donc la valeur d’une position qui rassemble tout le monde et chasse des fantômes ? La « #wokeness » doit en réalité être comprise comme une dynamique inhérente à la #démocratie et, au-delà, l’indice des manquements de celle-ci à ses principes fondamentaux.

    Le sort réservé à la cancel culture (#culture_de_l’annulation) illustre ce point de vue. Comme le wokisme, il s’agit essentiellement d’un terme polémique, lequel a servi, d’abord à la droite américaine puis aux néoconservateurs français, à disqualifier toute interpellation progressiste. Ses adversaires pensent que son invocation relève du tribunal populaire et s’accompagne nécessairement de #cyberharcèlement_moralisateur.

    Il convient plutôt de l’interpréter comme une modalité de la protestation à l’usage de ceux qui disposent du seul pouvoir de marquer leur indignation en dénonçant certains dysfonctionnements dont la société s’accommode si souvent. Peut-on réellement penser que la cancel culture exprime, comme l’écrivent sans vergogne l’Observatoire du décolonialisme et le Collège de philosophie, la tentation de faire « table rase du passé, de l’histoire, de l’art, de la littérature, et de l’ensemble de l’héritage civilisationnel occidental » ? Nuance, disent-ils ?

    Les choses commencent à changer

    Plutôt que des effets de la cancel culture, ne faudrait-il pas s’inquiéter de la culture de l’#impunité, laquelle préfère la #disqualification à la dispute argumentée ? Que les choses commencent à changer, nous ne pouvons que nous en réjouir et non redouter la « dictature des minorités ». C’est, au contraire, des droits de ces dernières que nous devrions nous soucier si nous voulons combattre la dérive droitière à laquelle les organisateurs, en invitant #Mathieu_Bock-Côté à s’exprimer, sont coupablement inattentifs.

    L’#universalisme_républicain ne se décrète pas, il se construit. Cela passe par la lutte contre les discriminations de classe, sexistes, homophobes ou ethnoraciales, comme contre les #préjugés racistes, antisémites et islamophobes, aujourd’hui de nouveau en vogue dans les espaces publics. Nier leur existence, c’est nuire gravement à l’idéal républicain.

    Les signataires de cette tribune sont : Nicolas Bancel, professeur ordinaire, université de Lausanne ; Gilles Bastin, professeur, Sciences Po Grenoble ; Hourya Bentouhami, maîtresse de conférences, université Toulouse-II-Jean-Jaurès ; Magali Bessone, professeure, université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Pascal Blanchard, chercheur associé, CRHIM/UNIL Lausanne ; Philippe Blanchet, professeur, université Rennes-II ; Fabienne Bock, professeure émérite, Paris-XIII ; Gilles Boëtsch, directeur de recherche émérite, INEE-CNRS ; Olivier Borraz, directeur de recherche, IEP Paris ; Ahmed Boubeker, professeur, université de Saint-Etienne ; Michel Cahen, directeur de recherche émérite, IEP Bordeaux ; François Calori, maître de conférences, Rennes-I ; Philippe Chanial, professeur, université de Caen ; Sébastien Chauvin, professeur associé, université de Lausanne ; Christiane Chauviré, professeure émérite, université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Catherine Coquio, professeure, Université de Paris ; Philippe Corcuff, maître de conférences, IEP Lyon ; James Costa, maître de conférences, université Sorbonne-Nouvelle ; Bruno Cousin, professeur assistant, IEP Paris ; Pierre Crétois, maître de conférences, université Bordeaux-Montaigne ; Martine de Gaudemar, professeure émérite, université Paris-Nanterre ; Thierry Deshayes, chercheur postdoctoral, université de Neuchâtel ; Stéphane Dufoix, professeur, membre senior de l’IUF, université Paris-Nanterre ; Estelle Ferrarese, professeure de philosophie, université de Picardie Jules-Verne ; Franck Fischbach, professeur, université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Vincent Foucher, chargé de recherche, IEP Bordeaux ; Jean-Louis Fournel, professeur, université Paris-VIII ; Pierre François, directeur de recherche, IEP Paris ; Claude Gautier, professeur, ENS Lyon ; Jean-Christophe Goddard, professeur, université de Toulouse-II Jean-Jaurès ; Sophie Guérard de Latour, professeure, ENS Lyon ; Jacques Haiech, professeur honoraire, université de Strasbourg ; Abdelhafid Hammouche, professeur, université de Lille ; Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure, Paris-Nanterre ; François Héran, professeur, Collège de France ; Philippe Huneman, directeur de recherche, IHPST ; Chantal Jaquet, professeure, université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Nadia Yala Kisukidi, maîtresse de conférences, université Paris-VIII ; Stefan Kristensen, professeur, université de Strasbourg ; Sandra Laugier, professeure, université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Jeanne Lazarus, directrice du département de sociologie, IEP Paris ; Olivier Le Cour Grandmaison, professeur, université d’Evry ; Patrick Le Galès, directeur de recherche, IEP Paris ; Claire Lemercier, directrice de recherche, IEP Paris ; Françoise Lorcerie, directrice de recherche émérite, université d’Aix-Marseille ; Pascal Maillard, professeur agrégé, université de Strasbourg ; Philippe Marlière, professeur, University College London ; Nonna Mayer, directrice de recherche émérite, IEP Paris ; Catherine Miller, directrice de recherche, université d’Aix-Marseille ; Yann Moulier-Boutang, professeur émérite, UTC-Alliance Sorbonne-Université ; Laure Murat, professeure, université de Californie à Los Angeles (UCLA) ; Christine Musselin, directrice de recherche, IEP Paris ; Etienne Nouguez, chargé de recherche, IEP Paris ; Janie Pélabay, chargée de recherche, IEP Paris ; Roland Pfefferkorn, professeur émérite, université de Strasbourg ; Alain Policar, chercheur associé, IEP Paris ; Clotilde Policar, professeure, ENS Paris ; Jean-Yves Pranchère, professeur, ULB Bruxelles ; Alain Renaut, professeur émérite, Sorbonne-Université ; Jacob Rogozinski, professeur, université de Strasbourg ; Diane Roman, professeure, université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Laurence Rosier, professeure, ULB Bruxelles ; Emma Rubio-Milet, professeure agrégée, université Sorbonne-Nouvelle ; Haoues Seniguer, maître de conférences, IEP Lyon ; Réjane Sénac, directrice de recherche, IEP Paris ; Vincent Tiberj, professeur associé, IEP Bordeaux ; Julien Talpin, Chargé de recherche, université de Lille ; Fabrice Virgili, directeur de recherche, UMR Sirice/CNRS ; Tommaso Vitale, professeur associé, IEP Paris ; Albin Wagener, maître de conférences, université Rennes-II ; Patrick Werly, maître de conférences HDR, université de Strasbourg ; Aline Wiame, maîtresse de conférences, université Toulouse-II Jean-Jaurès ; Charles Wolfe, professeur, université de Toulouse Jean-Jaurès ; Geneviève Zoïa, professeure, université de Montpellier ; Valentine Zuber, directrice d’études, EPHE.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/05/universite-l-universalisme-republicain-ne-se-decrete-pas-il-se-construit_610

    #Blanquer #Thierry_Culhon

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    ajouté à ce fil de discussion :

    Projet de #loi sur les #principes_républicains : le niveau des eaux continue de monter
    https://seenthis.net/messages/908798

    • Un vrai-faux colloque à la Sorbonne pour mener le procès du « wokisme »

      Vendredi 7 et samedi 8 janvier s’est tenu à la Sorbonne un #colloque éloigné des canons du genre, mais patronné par d’illustres visiteurs, dont le ministre de l’éducation nationale, qui a par ailleurs aidé à financer l’événement. « Épidémie de #transgenres », « soleil noir des minorités » : les formules ont fleuri pour qualifier la manière dont le #décolonialisme et les #études_intersectionnelles martyriseraient l’université française.

      Vendredi 7 janvier, il est à peine neuf heures, deux mondes s’affrontent aux portes de la Sorbonne. Dehors, étudiants et enseignants-chercheurs (soutenus par plusieurs syndicats, dont Solidaires, la CGT et l’Unef, ainsi que par le Nouveau Parti anticapitaliste) moquent « les paniques identitaires » et dénoncent un événement « réactionnaire ». Dedans, on se presse pour prendre place dans le prestigieux amphithéâtre Liard, pour deux jours de colloque sur la « déconstruction » et le « wokisme », afin de « reconstruire les sciences et la culture ». Plus de 1 300 personne se sont inscrites pour assister aux débats, la plupart suivront la discussion jusqu’à samedi en ligne, en raison du contexte sanitaire.

      En plus des agents de la Sorbonne, légèrement sur les dents, des jeunes du très droitier syndicat UNI (Union nationale universitaire) font le contrôle des passes sanitaires et des identités, sweat-shirts floqués à leurs couleurs sur le dos. Ce sont d’ailleurs quasiment les seuls étudiants présents, les cheveux blancs étant plutôt dominant dans l’assistance. Deux jeunes gens s’en plaignent auprès de l’un des intervenants : « Les étudiants ont eu peur de venir, c’est sûr, mais nous vous soutenons ! »

      Dans les travées, avant l’ouverture des travaux sur « la pensée décoloniale, aussi nommée woke ou cancel culture », les discussions donnent un peu le ton : « Maintenant, si tu as un fils qui veut mettre une jupe, tu vas devoir lui dire “oui, peut-être”, se plaint un participant. Alors qu’il y a 30 ans, ça ne se faisait pas, et puis c’est tout. Aujourd’hui, tu es homme hétérosexuel le lundi, femme le mardi et tu te fais opérer le mercredi… » L’eurodéputé Les Républicains (LR) #François-Xavier_Bellamy tweete depuis la salle ses remerciements pour cette initiative « salutaire ».

      #Élisabeth_Lévy, éditorialiste vedette du magazine Causeur, distribue les saluts sonores, une journaliste prend des notes pour l’Incorrect. D’autres spectateurs ont tout annulé pour entendre en vrai de vrai #Mathieu_Bock-Côté, chroniqueur choisi par Europe 1 et CNews en remplacement de Zemmour. « Je l’adore, il est génial, non ? »

      Ils seront servis. Nombre des intervenants sont des chouchous de CNews et de FigaroVox, effrayés par la « dictature des minorités » : l’essayiste #Pascal_Bruckner, figure médiatique de ce courant néoconservateur qui a récemment publié Un coupable presque parfait. La construction du bouc émissaire blanc (Grasset, 2020) ; le dessinateur #Xavier_Gorce, qui a récemment quitté Le Monde après la « censure » de dessins jugés insultants ; #Pierre-André_Taguieff, qui a imposé le terme d’« islamo-gauchisme » dans le débat public et dont Nicolas Lebourg rappelait récemment dans Mediapart le rôle essentiel joué dans la dénonciation de l’#antiracisme comme « #nouveau_totalitarisme » ; ou encore le linguiste #François_Rastier, connu pour ses croisades contre l’#écriture_inclusive et les recherches sur le genre.

      Mais pour l’heure, la star du jour s’appelle Jean-Michel Blanquer, présent à la tribune en ouverture des travaux. Le ministre de l’éducation nationale remercie les organisateurs pour ce colloque sur un thème « si essentiel », « pour avoir eu le courage et la persévérance de l’organiser », et s’excuse par avance de la brièveté de son passage, « en raison de la crise sanitaire », mais il « devait être là, en Sorbonne ». Le ministre a même financé l’événement sur un fonds réservé. « Quand l’université ne soutient pas les universitaires, il faut bien qu’ils aillent chercher du soutien ailleurs », nous a répondu la professeure de littérature #Emmanuelle_Hénin, cheville ouvrière de l’opération.

      Un tel patronage n’a rien d’évident. Co-organisé par deux associations extra-universitaires controversées, l’Observatoire du décolonialisme et le Collège de philosophie, l’événement ressemble plus à une discussion savante – mais très politique – qu’à un colloque selon les canons du genre.

      Contactée par Mediapart, Sorbonne-Université a d’ailleurs tenu à préciser qu’elle n’avait rien à voir avec l’organisation, nous renvoyant vers la chancellerie des universités. Celle-ci, sous le patronage du recteur de Paris, propose en effet différentes salles du prestigieux bâtiment à la location pour des entreprises, des associations, autonomie des universités oblige…

      L’Observatoire du décolonialisme, fondé l’an dernier pour « mettre un terme à l’embrigadement de la recherche et de la transmission des savoirs » par « l’idéologie décoloniale », réunit des universitaires et des chercheurs, pour certains éminents dans leur spécialité, mais qui ont tous pour point commun de ne pas avoir de compétence particulière sur les sujets de sciences sociales dont ils parlent.

      Dans une tribune publiée le 5 janvier dans Le Monde, 74 chercheurs mettaient en garde contre une telle « caricature » : « Il s’agit, est-il précisé [dans ce colloque – ndlr], de “favoriser la construction, chez les élèves et les étudiants, des repères culturels fondamentaux” et de “ faire un état des lieux, aussi nuancé que possible”. Cette recommandation laisse perplexe lorsque l’on constate que les animateurs des tables rondes sont les intervenants, et vice versa, et la quasi-totalité d’entre eux membres de l’Observatoire. Il serait vain dès lors d’attendre débat contradictoire ou mise en perspective. »

      Enfin le Collège de philosophie, association loi 1901 pour le moins confidentielle, peut induire en erreur tant son nom est proche du Collège international de philosophie, une institution au rayonnement scientifique international, créée notamment par Jacques Derrida, le penseur de la déconstruction. Des intellectuels tels que Giorgio Agamben, Barbara Cassin, Jacques Rancière, Alain Badiou en ont assuré la renommée.

      Et alors qu’il sera tout au long de la première journée beaucoup question de #Derrida, pas un seul spécialiste connu de l’intellectuel n’est présent. « On parle de la #déconstruction, qui n’est pas la propriété de Derrida, justement pour montrer que c’est un concept dynamique, pas figé, qui est aujourd’hui réinterprété », justifie Emmanuelle Hénin. Certes, mais quand l’anthropologue #Albert_Doja saute en quelques minutes de la dispute intellectuelle opposant Jacques Derrida et Claude Lévi-Strauss sur la « leçon d’écriture » du célèbre ouvrage Tristes tropiques à… l’écriture inclusive, on s’interroge sur le choix du panel.

      Parmi les intervenants, mêmes approximations et parfois tromperies sur l’étiquette. #Sami_Biasoni, présenté comme philosophe, est un ancien trader en matières premières à la Société générale, ancien candidat aux municipales sur une liste dissidente de LR dans le VIIIe arrondissement de Paris, docteur en philosophie. Mais on ne lui connaît aucune publication scientifique. #Pierre_Valentin, également présenté comme philosophe, est en réalité « journaliste en formation », salarié depuis un an par FigaroVox. Il est l’auteur d’une note sur le « phémonène woke » pour la #Fondapol, « en deux volumes ». L’agrégé de lettres classiques et adjoint à l’urbanisme à la mairie de Pecq, #Raphaël_Doan, devient, dans cette présentation, « historien » et intervient sur la « cancel culture ».

      « Ce n’est pas un colloque scientifique, c’est une #réunion_politique, cingle Caroline Ibos, sociologue au département Études de genre à l’université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis. Ce n’est pas un problème d’ailleurs, encore faut-il le dire... C’est d’autant plus gênant que ces gens se drapent dans la neutralité axiologique et ne cessent de dénoncer les chercheurs qui confondraient la science et le militantisme. Le plus gros souci dans tout cela est la présence de Blanquer. »

      Le ministre de l’éducation nationale semble n’avoir cure de cette critique, vantant dans sa prise de parole « un événement intellectuel, scientifique » sur un sujet qui a « de grandes conséquences sociales, sociétales, civiques ». « Les Lumières font peur, il y a comme une haine de soi qui doit être identifiée, poursuit le ministre, avant d’appeler à « l’offensive » pour sauver « l’#universalisme pris en tenaille entre #revendications_identitaires de l’extrême gauche comme de l’extrême droite ». Il est vivement applaudi.

      « Ceci n’est pas un colloque », s’amuse le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, co-organisateur, citant le peintre Magritte, alors que le ministre s’échappe, sous les huées du dehors. Pour présenter la première table ronde, consacrée aux « trois âges » de la pensée déconstructionniste, dont le « wokisme » et l’intersectionnalité seraient les enfants, il invite à réfléchir sur une période où « tout serait oppression, unique clé de lecture du monde contemporain ». L’historien #Pierre_Vermeren, spécialiste du monde arabe et auteur d’un livre récent sur la métropolisation du monde, estime que tout est sur la table depuis 60 ans, un seul « mot d’ordre intellectuel et politique » : retourner la #civilisation_européenne contre elle-même, le « verbe français contre lui-même ».

      Au fil des tables rondes et de la critique de l’intersectionnalité (concept visant, dans l’analyse sociologique et politique, à croiser les discriminations de classe, de genre ou encore de race au sens de construction sociale), l’ouvrier, le prolétaire, est régulièrement convoqué face au « soleil noir que sont devenues les minorités » (comprendre les femmes, les racisé·es, les personnes LGBTQ+), souvent par des personnalités pourtant peu connues pour leurs sympathies marxistes.

      #Pascal_Perrineau, politologue à Sciences-Po Paris, habitué des plateaux télévisés, critique ainsi une idéologie qui vise à déconstruire « toutes les catégories du réel et la démocratie représentative », et parle d’une « obscure oppression généralisée, par les hommes blancs hétérosexuels, qu’il faudrait déconstruire avec d’autant plus de vigueur qu’elle n’a pas l’évidence de l’oppression économique ».

      Il tacle au passage des membres du Centre de recherches politiques de Sciences-Po (#Cevipof), et notamment #Réjane_Sénac pour son livre L’Égalité sans condition. Osons nous imaginer et être semblables (Rue de l’Échiquier, 2019), avant de glisser, sous l’œil complice de l’assistance : « Vous voyez pourquoi je ne suis plus directeur… », après quand même 21 années passées à la tête du Cevipof.

      La prétendue mainmise des tenants de l’intersectionnalité, du décolonialisme ou des « #genderistes » sur l’université française, sous influence-nord américaine, est au cœur des discussions. Y compris sur les sciences dites dures, comme la physique ou les mathématiques. Le programme pour la mobilisation des #savoirs_autochtones dans l’étude de la physique, développé par l’université Concordia au Canada, provoque l’effroi (« Ils veulent décoloniser la lumière », moque #Bruno_Chaouat, spécialiste de littérature), alors que le mathématicien de Princeton Sergiu Klainerman dénonce dans une vidéo le débat autour du manque de diversité dans l’enseignement des mathématiques et d’un #biais_raciste.

      « Deux et deux ne font plus quatre », déclare t-on à la tribune. « Cela rappelle le moment Lyssenko, quand la science prolétaire devait remplacer la science bourgeoise, ou le moment Goebbels, quand la science devenait plus sensible à la race », ose Bruno Chaouat.

      Ces propos trouvent un écho bien au-delà du cénacle de l’amphithéâtre Liard. En juin 2020, Emmanuel Macron disait en privé que les universitaires sont coupables d’« ethnicisation de la question sociale » » et « cassent la République en deux », des propos proches des théories des mouvements du Printemps républicain et de Vigilance université, dont nombre d’intervenants du colloque sont proches ou membres.

      Jean-Michel Blanquer lui-même a parlé, visant à nouveau les universitaires, de « complicités » après l’attentat contre Samuel Paty en octobre 2020. Il y a un, an Frédérique Vidal déclenchait à son tour la consternation dans la communauté scientifique en annonçant vouloir diligenter une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université.

      Le CNRS, auquel cette embarrassante mission aurait été confiée, avait immédiatement répondu par voie de communiqué que la notion n’était qu’un « slogan politique » ne correspondant « à aucune réalité scientifique ». L’organisme avait par ailleurs mis en garde contre toute « instrumentalisation de la science », en précisant qu’il condamnait « les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de “race”, ou tout autre champ de la connaissance ».

      Certains débats du colloque tentent de sortir de l’acrimonie, notamment sur la question de la place de l’étude de l’islam à l’université, avec les interventions moins directement polémistes du sociologue #Bernard_Rougier (lire ici son portrait dans Le Crieur) et du politologue #Arnaud_Lacheret, basé au Bahreïn.

      Mais les outrances l’emportent le plus souvent, dont celles de Pierre-André Taguieff, qui n’hésite pas à faire du « wokisme » un « #ethnocide de grande ampleur », ou de la sociologue de l’art #Nathalie_Heinich, qui parle « d’#abus_sur_enfant » en donnant les coordonnées d’une association luttant contre ce qu’elle nomme une « #épidémie_de_transgenres » favorisée par les enseignants de l’Éducation nationale.

      Le mélange des registres n’arrange rien puisque chacun y va de son histoire personnelle, de la journaliste #Claire_Koç au politologue #Vincent_Tournier, enseignant à l’Institut d’études politiques de Grenoble, où les polémiques s’enchaînent depuis neuf mois. Ce dernier, dans une table ronde intitulée « Il faut sauver Blanche-Neige ! Totems et tabous de la cancel culture », n’y est pas allé avec le dos de la cuillère.

      Relevant sous forme de blague la non-parité à la tribune (norme du colloque d’après nos observations), il disserte sur la censure dans le cinéma et fait rire en regrettant qu’une photo d’actrice nue soit peu visible sur le grand écran de la Sorbonne. « Vous ratez, messieurs, la meilleure partie du film ! » Puis, à propos de Blanche-Neige, il se demande benoîtement si le dessin animé n’est pas totalement « woke-compatible », puisqu’il met en scène des nains, et même le « quota handicapé, grâce à Simplet ».

      Aucune expression réellement discordante n’a eu voix au chapitre. « Nous avons essayé d’en inviter mais ils ne sont pas venus, par peur des réactions, explique Emmanuelle Hénin. Et d’ailleurs, quand il y a des colloques sur le colonialisme, ils ne nous invitent pas ! » Au moins trois chercheurs, dont le professeur de droit Olivier Beaud et le professeur de littérature Jean-Yves Masson, ont effectivement fini par décliner l’invitation devant l’absence de légitimité académique de certains des intervenants.

      « Quand l’Observatoire du décolonialisme a lancé son appel lors de sa création, ils ont été 77 à répondre, 30 professeurs émérites, donc des retraités, et 60 hommes, c’est un premier élément d’explication, remarque Caroline Ibos. Ce sont des gens qui ont été puissants, très puissants, et qui se trouvent confrontés à une perte de pouvoir car oui, l’université change, et les sciences sociales aussi. Nous, on fait notre travail de chercheurs, on dirige des thèses, on gère un laboratoire, on travaille beaucoup. Nous n’avons pas le temps pour ces bêtises. »

      Se poursuivant samedi 8 janvier, le colloque devait se clore par l’intervention de #Gilbert_Abergel, président du #Comité_laïcité_République, et plus surprenant, de Thierry Coulhon, président du très officiel Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES). Interrogé sur la critique concernant le manque de rigueur scientifique des intitulés et la composition des panels, ce dernier reconnaît « des formulations un peu flottantes et peu rigoureuses ».

      Pas de quoi faire renoncer Thierry Coulhon, ancien conseiller d’Emmanuel Macron sur l’enseignement supérieur : « Je ne suis pas là pour apporter une caution ou pour me faire instrumentaliser mais je trouve dangereux d’aller à des débats où l’on est d’accord avec tout le monde. Dans le milieu universitaire, on a intérêt à se parler. » Quitte à monologuer.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/080122/un-vrai-faux-colloque-la-sorbonne-pour-mener-le-proces-du-wokisme

    • Avec le hashtag #colloquedelahonte, Olivier Compagnon a fait un très bon live twitter :

      Voici le résumé du 1er jour du « colloque » :

      Colloque de la honte « Après la déconstruction », premier constat à 9h09 : les organisateurs n’ont pas encore déconstruit leur rapport au numérique puisqu’ils ne savent manifestement pas se servir de zoom.

      9h16 : il semble que ces collègues n’ont pas fait beaucoup d’enseignement à distance ou d’hybride pendant le confinement. Le zoom est désormais coupé.

      9h21, ça ne s’arrange pas. Le colloque de la reprise en main de l’enseignement supérieur et de la recherche est mal parti

      9h35, je renonce à ma rééducation intellectuelle puisque le zoom du #colloquedelahonte ne fonctionne pas. On ne dira pas que je n’ai pas essayé. Tout cela me laisse du temps pour lire

      Bon, je dois dire que je viens d’écouter 10 mn d’une introduction ânonnée. C’est nul et réac comme on pouvait s’y attendre, mais le pire est le niveau des commentaires sur le zoom. Un exemple : quand sont évoqués les risques pesant sur le latin, un gars écrit « le latin.e »...

      Si l’on entend bien les remerciements, le ministère de l’Education nationale a contribué au financement de ce #colloquedelahonte.

      Ah merde, tout est de la faute de la « pensée 68 » et un hommage est rendu à Luc Ferry pour ses analyses libératrices

      « Quelle est la domination la pire ? C’est ma domination, c’est pas la tienne ».

      Un peu de nostalgie avec Pierre Vermeren : tout ce bordel commence en 1962, avec l’indépendance de l’Algérie, qui met un terme à un grand projet d’expansion civilisationnel français et européen. Les origines de l’"effondrement politique et moral" contemporain

      Ah, il balance sur Hélène Cixous, c’est la transition vers la prochaine présentation sur « l’imposture Derrida ». Finalement, tout cela ne serait pas arrivé si on avait su garder l’Algérie.

      Bon, c’est dégueulasse, ça suffit.

      Ce #colloquedelahonte est addictif : j’y reviens après pris l’air. On parle d’hétéronormativité, de retour à une conception du savoir du XVIe siècle, ça n’a pas l’air de s’arranger.

      Là, ils font la pause, ils doivent être crevés après des débats d’un tel niveau. Surtout quand il s’est agi de comparer le « déconstructionnisme » à l’apparition de chaires sur la magie dans l’université.

      La bonne nouvelle, c’est qu’ils ne savent toujours se servir de zoom (11h59) et que le public zoom n’a rien entendu à la vidéo de Taguieff.

      La parole est désormais à Helen Pluckrose, cette journaliste britannique qui a envoyé à des revues scientifiques de faux articles sur la culture du viol chez les chiens. Quel casting !

      Comme c’est en anglais, le public zoom échange sur la qualité du son de sa vidéo. #colloquedelahonte

      On passe à « l’état des sciences humaines aux Etats-Unis ». Le mec dénonce « l’essentialisme stratégique » et n’aime pas trop les trans apparemment. Il lance aussi un parallèle entre « déconstructionnisme » et nazisme en s’appuyant sur Heidegger. Les digues sautent

      « Terrorisme intellectuel » : le mot est lâché, enfin ! Blanquer doit être content là. Le mec a dit « étudiantes femelles » aussi, mais s’est repris quand même

      La parole est désormais à un spécialiste d’équations différentielles. Beaucoup de mecs dans le casting, quand même, ce matin, non ? Le gars y va fort d’emblée : enjeu civilisationnel, avenir de l’humanité, etc.

      Un petit coup d’oeil aux commentaires du public zoom, ça détend.

      Le matheux, c’est un suprémaciste blanc. Applaudissements nourris, commentaire du modérateur parlant de totalitarisme.

      On parle désormais des « Science and Technology Studies ». La déconstruction, c’est « l’anti-science », c’est « la recherche d’un monde sans tragique ». Est mal à l’aise avec « science participative » et « science citoyenne » qui rappellent la « physique aryenne »

      Conclut sur la « soi-disant discrimination entre hommes et femmes ». C’est génial, ce #colloquedelahonte

      La parole à Christophe de Voogd, « normalien » (surtout de l’Institut Montaigne en fait), sur les usages du passé. Mépris pour les étudiants qui ne connaissent plus Marc Bloch. A dix minutes de parole, mais prend le temps de rappeler qu’il est agrégé

      « Si on oublie le puritanisme, on ne comprend rien au wokisme ». Tout se barre et en France on ne sait plus l’histoire, la sociologie est devenue dominante (celle de ce sale Bourdieu alors qu’on a oublié Boudon) « ah pardon chère Nathalie Heinich ».

      30 minutes de retard, ça n’en finit pas. Edward Said, cette peste. New York Times collabo. Séparer le grain de l’ivraie. Terrible défi. En gros, son idée de base est que les « déconstructionnistes » sont ignorants, ne connaissent pas les faits. Faiblard

      Ouf, ils vont manger. Sans doute un bourguignon plutôt que des tacos.

      J’ai fini mon poulet tikka (hommage à Dipesh Chakrabarty évidemment) et je piaffe en attendant la table ronde sur « Le retour de la race ».

      Gros programme cet aprem : race / islam / gender / cancel. Je vais me contenter de la race avec une table ronde composée de « témoins » et d’"experts". Ah, petit lapsus historique / hystérique en intro, très bon.

      « Vous me pardonnerez mes raccourcis ». Ben non...

      Bruckner explique (depuis les témoignages de J. Baker ou Baldwin) que, dans la France des années 40-50, les afro-descendants ou les gays ne subissaient aucune discrimination, aucune stigmatisation.

      « Le wokisme est une religion ». Les wokes infantilisent la communauté noire et, dans le même temps, reconstituent un nouveau racisme (anti-blanc). Le vrai problème aux US, c’est « la violence interne à la communauté noire » (sic).

      Si je comprends bien, les Noirs n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. Bien, Bruckner, bien. Personne n’a encore dit que la race était une construction sociale (ce qu’on commence à dire aux étudiants à tous les niveaux, non ?)

      Ah, belle conclusion : Tahar Bouhafs = nazi (dit moins brutalement, mais c’est ce qu’il a dit).

      Claire Koç prend la parole et a le mérite de préciser que son témoignage n’a pas valeur de généralisation. Etre français, c’est le vouloir, le prénom est fondamental. Bon c’est du Zemmour. Eloge de l’assimilation, on se croirait au milieu du XXe siècle

      « Je ne porte pas mes origines en bandoulière ». Métaphore mal maîtrisée ?

      « Français de souche »

      Voici le Québécois de CNEWS, qui va essayer de décrire « l’univers mental » du wokisme.

      n gros, il n’y a pas de privilège blanc mais le wokisme conduit à un racisme anti-blanc. Je trouve que ça tourne un peu en rond (sans compter que l’administration de la preuve c’est pas leur truc aux grands témoins)

      Gros niveau parmi le public zoom

      « L’éternelle question des révolutionnaires totalitaires », pas mal. « Je vais me tourner vers mes amis racisés pour me rééduquer dans une sorte de vigilance permanente de ma conscience » (éclats de rire dans la salle).

      « Le wokisme est une logique totalitaire ». Déjà dit ce matin, tu préparais ton émission de CNEWS, t’as pas pu assister ?

      La faute politique, c’est d’avoir dénationaliser comme dans le « woke Canada ». Le woke est un discours désormais dominant dans les universités, chez Microsoft, tout le monde s’est soumis. Il faut combattre le wokisme comme certains ont combattu le marxisme

      Eloge de la nation et des nationalismes donc, t’as bien choisi en allant chez CNEWS mec.

      Commence le débat. Bruckner dit que c’est la faute à la gauche et balance sur FI, le NPA, les Verts, etc. On ne peut pas continuer à soumettre le monde occidental à la vindicte ("l’Europe n’a pas inventé l’esclavage, mais l’abolition")

      il passe à la guerre d’Algérie : « Bouteklika a balancé sur la France génocidaire, il aurait mieux fait de s’en prendre à l’Empire ottoman ». Traduction : notre colonisation fut si douce, si civilisée

      « Exister en tant que Blanc, ce n’est plus qu’expier ». Bon, il a écrit le Sanglot de l’homme blanc en 1983 et le bégaye depuis. Vieillir est un naufrage, ça se confirme.
      Ah, de nouveau une attaque contre le New York Times

      « Le wokisme, c’est l’alliance d’une idéologie majoritaire dans les élites et le grand capitalisme ». Assia Traoré est ainsi l’émissaire de grandes marques. Hum, j’ai du mal à suivre la pensée là

      « Tous les Blancs ne sont pas interchangeables » : une pensée puissante du mec de CNEWS pour conclure la table. Applaudissements enthousiastes.

      La salle est à fond après cette table ronde

      e m’arrête là pour aujourd’hui. Y’a pas trop de quoi s’inquiéter tellement c’est faible, c’est une simple litanie depuis 9h du mat’. Faut juste éviter que ces gens-là ne gagnent définitivement la bataille médiatique. Celle des idées, ils ne risquent pas.

      Je ne me suis pas déconnecté assez vite, j’ai entendu l’intro sur l’islam par #Vincent_Tournier : « j’annonçais depuis longtemps les attentats et je remercie les frères Kouachi d’avoir en fait validé mon cours auprès de la direction de l’IEP ». BEURK

      https://twitter.com/CompagnonO/status/1479364600776859649

    • A la Sorbonne, un colloque pour « cancel » la « culture woke »

      Les deux journées de débats des 7 et 8 janvier s’inscrivent dans un conflit délétère qui dure depuis près de trois ans entre les chercheurs favorables aux études de genre ou dites « décoloniales » et ceux qui n’y voient que l’expression d’un repli « identitaire ». Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, pourrait y prendre part.

      Une table ronde sur les « dérives du déconstructionnisme ». Une autre sur « racialisme et néoracisme ». Mais aussi sur « le néoféminisme » ou la « cancel culture ». Tel est, en partie, le programme d’un colloque proposé les 7 et 8 janvier par le Collège de philosophie et qui se tiendra dans un amphithéâtre de la Sorbonne (1). Intitulés « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture », les deux jours de débat réuniront aussi bien des chercheurs en sociologie, en musicologie ou en linguistique que des polémistes conservateurs, comme le remplaçant d’Eric Zemmour sur CNews Mathieu Bock-Côté, des romanciers comme Pascal Bruckner et Boualem Sansal ou encore l’éditorialiste à Marianne Jacques Julliard et le dessinateur démissionnaire du Monde Xavier Gorce.

      L’événement promet de s’attaquer à « la ‘‘pensée’’ décoloniale, aussi nommée woke ou cancel culture », « importée pour une bonne part des Etats-Unis » et qui « monte en puissance dans tous les secteurs de la société ». A vocation scientifique, les tables rondes prévues ne sont pas dépourvues d’enjeux politiques. La présence de Jean-Michel Blanquer est en effet annoncée au colloque. Le ministre de l’Education nationale « prononcera à cette occasion un mot d’ouverture », précise l’Observatoire du décolonialisme sur son site. Façon de donner l’assentiment du gouvernement aux débats qui s’y tiendront ? Contacté par Libération, le cabinet du ministre explique toutefois ne pas être en mesure de confirmer sa présence ce vendredi 7 janvier à la Sorbonne.

      Reste que l’intitulé des thématiques débattues durant ces deux jours converge assez nettement avec les obsessions du ministre de l’Education nationale, son « laboratoire de la République » pour lutter contre le « wokisme », et celles de sa collègue à l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Cette dernière a d’ailleurs tenu une nouvelle fois des propos polémiques le 15 décembre au Sénat en déclarant que des chercheurs étaient « empêchés dans leurs travaux ». Allusion à la prétendue « idéologie woke » et à la « cancel culture » qui séviraient, selon elle, dans les facs et les laboratoires français. Des suspicions qui peuvent apparaître en décalage avec la précarité étudiante, le manque chronique de financement de la recherche publique ou l’effondrement du nombre de doctorats en France.

      En conclusion de ces journées de discussions, une autre présence ne laisse pas d’interpeller la communauté scientifique. Celle de Thierry Coulhon, président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), nommé en octobre 2020 par Emmanuel Macron malgré une « apparence de conflits d’intérêts » selon le collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche, et la contestation d’une large partie de ses pairs. « J’y vais car il est question de liberté académique, je n’ai pas l’intention d’être instrumentalisé et je ne partage pas les opinions de tous les intervenants, balaie le mathématicien de formation et ex-conseiller de Valérie Pécresse auprès de Libération. L’Hcéres n’est pas là pour dire si tel ou tel domaine de recherche est digne d’intérêt. » Et d’ajouter : « La frontière entre militantisme et science est très difficile à déterminer. La liberté académique, ce n’est pas l’opinion. »
      « Pluralisme éclairé »

      « Le principe de ce colloque, peut-on lire dans l’annonce mise en ligne, est de faire un état des lieux, aussi nuancé que possible, et d’envisager comment conserver au sein du monde scolaire et universitaire, les conditions d’un pluralisme éclairé. » A l’origine du raout entre universitaires et polémistes, des membres de l’Observatoire du décolonialisme, comme le maître de conférences en philosophie à la Sorbonne Paris-IV Pierre-Henri Tavoillot ou le maître de conférences en linguistique à l’université Paris-13 Xavier-Laurent Salvador. Nous les avons joints mais faute d’être tombés d’accord sur les termes d’un entretien portant sur le fond de ce colloque et les conditions du débat d’idées en général, ces derniers n’ont pas souhaité répondre aux questions de Libération dans le cadre d’un article. « Le but de ce colloque est d’ouvrir le débat ; pas de le clore », assure néanmoins Pierre-Henri Tavoillot au Figaro. « Si nous ne faisons rien, nous nous exposons à voir des textes expurgés ou censurés et, à moyen terme, des champs disciplinaires entiers remplacés par les “études culturelles” transversales qui ne reposent pas sur un savoir validé mais sur des préjugés militants », ajoute, toujours dans le Figaro, Emmanuelle Hénin, professeure de littérature française et coorganisatrice.

      Cette nouvelle séquence s’inscrit dans un conflit délétère qui dure depuis près de trois ans entre les chercheurs favorables aux études de genre ou dites décoloniales et ceux qui n’y voient qu’un dévoiement militant de la science, voire l’expres

      sion d’un repli « identitaire ». Depuis 2018, un nombre considérable de tribunes parues dans la presse n’ont cessé de mettre en garde contre « une stratégie hégémonique » du « décolonialisme » qui « infiltre les universités » et « menace » la République. S’il est indéniable que les recherches sur les minorités raciales ou sexuelles ont progressé ces dernières années, leur degré d’institutionnalisation demeure très faible. En France, il n’existe ni départements, ni laboratoires, ni doctorats d’études « décoloniaux » ou même « postcoloniaux ». Cela signifie qu’aucun poste n’est « fléché » comme tel, ce qui est pourtant le nerf de la guerre. Seuls quelques masters portent les mentions « études postcoloniales » ou « études sur le genre ». De même, les labos consacrés au genre sont rares, comme le Laboratoire d’études de genre et de sexualité en France, le Legs (CNRS), ou le Département d’études de genre, à Paris-8, décernant des doctorats.

      « Tous ces champs de savoir sont en réalité marginaux, menacés, minoritaires, sans cesse sommés de se justifier, avance Caroline Ibos, sociologue à la tête du Legs, auprès de Libération. Et les déclarations successives des ministres les fragilisent plus encore. » Quand ce n’est pas celles du président de la République en personne, lequel avait estimé en juin 2020 dans le Monde que les discours tenus par les universitaires reviennent « à casser la République en deux ». « Cette opposition schématique qui consiste à s’unir dans un ‘‘patriotisme républicain’’ ou n’être qu’un ‘‘séparatiste’’ est une manière brutale de disqualifier le travail des chercheurs en sciences sociales, selon l’historienne Michelle Zancarini-Fournel et le philosophe Claude Gautier, qui publient « De la défense des savoirs critiques. Quand le pouvoir s’en prend à l’autonomie de la recherche » (La Découverte). Rendre visibles les facteurs d’inégalité et de discrimination, ce n’est pas être idéologue. »
      Une intrusion du politique inhabituelle

      Cette bataille autour de l’objectivité d’une recherche aspirant à décrire une certaine réalité du monde social et son enseignement n’est pas sans répercussion au-delà des cénacles académiques et des réseaux sociaux. En jeu, le contrôle de la production scientifique et les menaces pesant sur la liberté académique. Comme cette décision, le 20 décembre dernier, du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez, qui fut ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de juin 2011 à mai 2012, de suspendre tout soutien financier à Sciences-Po Grenoble au prétexte d’« une dérive idéologique et communautariste ». Une intrusion du politique dans la procédure interne d’un établissement de recherche tout à fait inhabituelle. Ou cette tentative de la droite sénatoriale d’amender la loi de programmation de la recherche (LPR), votée en novembre 2020, afin de conditionner les travaux scientifiques au « respect des valeurs de la République ». Qualifié d’« ignoble » et d’« instrument de musellement du monde académique », par la rédaction d’Academia, composée d’universitaires, l’amendement en question sera modifié.

      Après la LRU en 2007, prévoyant que toutes les universités accèdent à l’autonomie budgétaire et de gestion de leurs ressources humaines, la LPR reste massivement décriée par la communauté scientifique. En cause, sa tendance à favoriser les thématiques financées par le secteur privé et à gommer les spécificités de la recherche française en promouvant un alignement sur les standards internationaux. « D’un côté, on justifie depuis la fin des années 90 des réformes au nom d’une autonomie et d’une internationalisation toujours plus poussée, relèvent Michelle Zancarini-Fournel et Claude Gautier. De l’autre, des membres du gouvernement, qui conduisent ces politiques, mobilisent des termes issus du débat états-unien et jamais bien définis (wokisme, cancel culture…), en étant soutenus par un certain nombre de polémistes, pour dénoncer une « américanisation » des universités au motif que leurs travaux seraient contraires à la tradition républicaine. »
      « Dérive civilisationniste »

      C’est ainsi au nom de la défense des principes républicains que Frédérique Vidal intentait, en février 2020, un long et médiatique procès en islamo-gauchisme à l’encontre de l’université en annonçant sur le plateau de CNews son souhait de commander une enquête au CNRS sur « ce qui relève de la science et du militantisme ». Le projet, condamné par le CNRS, n’a jamais vu le jour. Un mois après, l’Observatoire du décolonialisme fustigeait avec virulence la candidature de la politologue Nonna Mayer à la tête de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP). Un article non signé publié sur son site reprochait à la chercheuse spécialiste de l’antisémitisme, du racisme et du vote FN – qui verra sa candidature rejetée –, d’avoir contribué à « donner une caution scientifique à la notion d’‘‘islamophobie’’ ». En revanche, le texte apportait son soutien au candidat du « camp républicain », le politologue Pascal Perrineau, également présent lors du colloque sur l’« Après déconstruction… » à la Sorbonne.

      Au fil des mois et des montées en tension, l’attention se porte sur l’Observatoire du décolonialisme. Lancé fin 2020 et émanant d’un regroupement d’universitaires plus ancien appelé Vigilance universités, le collectif s’illustre par des publications au ton grinçant (« trans-LGBTQ + phobie des chimiothérapies anticancéreuses », « utérus-expertes », « ressource pédagogique branlante »…). On y trouve aussi, par exemple, un article consacré à l’« islamo-gauchisme » faisant référence dans une note – sans ironie cette fois – au pamphlet Eurabia (Jean-Cyrille Godefroy, 2006) de l’essayiste britannique Bat Ye’or, dont la thèse sur l’« islamisation de l’Europe » (un complot suggérant la soumission des pays européens de leur plein gré à l’islam) rencontre un fort écho à l’extrême droite. Une variante du « grand remplacement » de Renaud Camus qui a notamment inspiré le tueur norvégien Anders Breivik, auteur des attentats d’Oslo et d’Utoya en juillet 2011 ayant fait 77 morts.

      Une tournure qui a conduit la chercheuse et essayiste Isabelle Barbéris, elle aussi très critique à l’endroit des théories décoloniales, à prendre ses distances avec l’Observatoire. La maître de conférences en lettres et arts pointe auprès de Libération la « dérive civilisationniste » de la direction de ce qui s’apparente davantage à un « lobby médiatique » qu’à un groupe de travail. « La caricature des positions me semble discréditer une critique à laquelle doit être soumis n’importe quel champ de savoir, en particulier, quand ils commencent, comme les études de genre et le « décolonialisme », à connaître un écho médiatique important », souligne-t-elle. « On fait dans le pamphlet et dans l’ironie. Si on est réduits à sortir un observatoire qui a ce ton, c’est bien parce qu’on n’arrive pas à mener ce débat », se défendait dans le Monde le cofondateur de l’Observatoire du décolonialisme, Xavier-Laurent Salvador.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/a-la-sorbonne-un-colloque-contre-la-pensee-woke-et-la-cancel-culture-2022

    • Si ce n’est pas un colloque universitaire, qu’est-ce donc ?

      À propos d’un article paru dans

      Libération

      (voir ci-dessus) :

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/a-la-sorbonne-un-colloque-contre-la-pensee-woke-et-la-cancel-culture-2022

      Avec le temps, le journaliste Simon Blin est devenu un fin connaisseur des dissensus initiés il y a plus d’un an par le Manifeste des 100. Ce qui est devenu avec le temps le “danger du wokisme” a d’abord bénéficié d’une large couverture médiatique sous le nom de “islamo-gauchisme” et de “cancel culture” grâce à un accès inouï aux médias d’orientation (extrême-)droitière, comme Le Point ou CNews.
      Un nouvel épisode des relations entre le gouvernement avec l’université

      CNews a d’ailleurs accueilli Frédérique Vidal pour son chiffon rouge islamogauchiste, au moment où la Ministre était conspuée pour sa gestion de la crise alimentaire étudiante. Présenté comme un débat au sein du monde universitaire, c’est pourtant un phénomène initié par des responsables politiques : le Ministre de l’Éducation nationale en octobre dernier, à des fins de diversion de la calamiteuse gestion de son administration qui a conduit à l’assassinat de Samuel Paty, plusieurs mois après un ballon d’essai dans l’Express en décembre 2019 co-signé, entre autres, par le fondateur du Printemps républicain — feu Laurent Bouvet — et une ancienne membre du Conseil constitutionnel et actuelle présidente du Conseil des sages de la laïcité du Ministère de l’Éducation nationale — Dominique Schnapper1 . Le colloque « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture » organisé aujourd’hui et demain à Paris sous l’égide de trois associations — l’obscur Collège de philosophie2” :, l’Observatoire du décolonialisme et le Comité Laïcité République — officiellement à l’initiative de la professeure des universités Emmanuelle Hénin et les maîtres de conférences Pierre-Henri Tavoillot et Xavier-Laurent Salvador — représente ainsi une nouvelle étape dans une série de “déclarations successives des ministres [qui] fragilisent plus encore les [études de genre et les études postcoloniales] » (Caroline Ibos) quand il ne s’agit pas de celles du “président de la République en personne, lequel avait estimé en juin 2020 dans le Monde que les discours tenus par les universitaires reviennent « à casser la République en deux »,

      contrefeu incendié quelques jours après la magistrale démonstration de force des partisans et partisanes de la justice pour Adama Traoré, devant le Tribunal judiciaire de Paris.Le “colloque”, selon le nom donné par les organisateurs, représente ainsi un pourrait représenter le point d’orgue — nous dirons, optimistes, le chant du cygne — dans une attaque politique d’ampleur inégalée contre les universités.

      L’instrumentalisation des libertés académiques

      C’est bien un nouvel épisode des relations du gouvernement avec l’université qui va se dérouler les 7 et 8 janvier 2021. Le journaliste commente sujets et particpant·es de ce que nous appelerons, pour notre part, une manifestation.

      À vocation scientifique, les tables rondes prévues ne sont pas dépourvues d’enjeux politiques. La présence de Jean-Michel Blanquer est en effet annoncée au colloque. Le ministre de l’Éducation nationale « prononcera à cette occasion un mot d’ouverture », précise l’Observatoire du décolonialisme sur son site. Façon de donner l’assentiment du gouvernement aux débats qui s’y tiendront ? Contacté par Libération, le cabinet du ministre explique toutefois ne pas être en mesure de confirmer sa présence ce vendredi 7 janvier à la Sorbonne.

      Au programme, la présence de deux très hauts responsables non-élus interroge. Celle de Jean-Michel Blanquer 3, d’abord, pose question. Alors que le chaos règne dans les écoles comme jamais depuis le début de la crise sanitaire, et tandis que des centaines de milliers d’élèves passent des heures devant les pharmacies à attendre qu’on veuille bien les tester pour pouvoir retourner en classe, l’actuel Ministre de l’Éducation nationale préfère donc prendre de son temps précieux pour se rendre à un colloque polémique qu’aucun laboratoire de recherche ne cautionne.”. Il n’en faut pas douter : des liens peu académiques justifient l’invitation du Ministre, à moins que cela ne soit le Ministre lui-même qui en soit commanditaire. La tenue de la manifestation dans l’amphithéâtre Liard en est un indice supplémentaire4 : on ne dit pas suffisamment que cet amphithéâtre de la Sorbonne n’est pas un espace géré par une université, mais par une administration d’État, et plus précisément par la chancellerie de Paris, à la tête de laquelle a été nommée Christophe Kerrero — connu pour ne pas disposer du titre universitaire, et partant de la légitimité nécessaire pour accéder à ce poste —, un très proche collaborateur de Jean-Michel Blanquer depuis 2008.

      Simon Blin questionne également la présence du décrié président du Haut Conseil de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche (Hcéres) Thierry Coulhon, qui s’est déclaré prêt à conclure le colloque dès décembre 2021. C’est le président du Hcéres — et non le “parent d’élève” qu’il prétend être parfois5 — qui répond à Simon Blin :

      « J’y vais car il est question de liberté académique, je n’ai pas l’intention d’être instrumentalisé et je ne partage pas les opinions de tous les intervenants, balaie le mathématicien de formation et ex-conseiller de Valérie Pécresse auprès de Libération. L’Hcéres n’est pas là pour dire si tel ou tel domaine de recherche est digne d’intérêt. » Et d’ajouter : « La frontière entre militantisme et science est très difficile à déterminer. La liberté académique, ce n’est pas l’opinion. »

      Thierry Coulhon n’a peut-être “pas l’intention d’être instrumentalisé” ; mais il est sûr, en revanche, qu’il instrumentalise l’autorité publique indépendante à la tête de laquelle il se trouve, et qu’il engage toute entière dans ce colloque en en prononçant les conclusions ès-qualités. Libre à Thierry Coulhon d’adhérer à titre personnel au projet politique d’associations comme le “Printemps républicain” ; mais doit-il pour cela emporter dans sa chute l’institution qu’il préside, et l’indépendance même de celle-ci ? Doit-il alors aussi associer le Hcéres aux méthodes de harcèlement qui caractérise cette petite communauté militante ?”6 ?
      Fermer les débats

      De fait, comme le suggère Simon Blin, l’objet n’est pas — contrairement à ce que le co-organisateur Pierre-Henri Tavoillot indique au Figaro — “d’ouvrir le débat”.

      À l’origine du raout entre universitaires et polémistes, des membres de l’Observatoire du décolonialisme, comme le maître de conférences en philosophie à la Sorbonne Paris-IV Pierre-Henri Tavoillot ou le maître de conférences en linguistique à l’université Paris-13 Xavier-Laurent Salvador. Nous les avons joints mais faute d’être tombés d’accord sur les termes d’un entretien portant sur le fond de ce colloque et les conditions du débat d’idées en général, ces derniers n’ont pas souhaité répondre aux questions de Libération dans le cadre d’un article. (Nous soulignons)

      Car Simon Blin n’est pas dupe. Selon le journaliste, est

      en jeu, le contrôle de la production scientifique et les menaces pesant sur la liberté académique. Comme cette décision, le 20 décembre dernier, du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez, qui fut
      ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de juin 2011 à mai 2012, de suspendre tout soutien financier à Sciences-Po Grenoble au prétexte d’« une dérive idéologique et communautariste ». Une intrusion du politique dans la procédure interne d’un établissement de recherche tout à
      fait inhabituelle. Ou cette tentative de la droite sénatoriale d’amender la loi de programmation de la recherche (LPR), votée en novembre 2020, afin de conditionner les travaux scientifiques au « respect des valeurs de la République ». Qualifié d’« ignoble » et d’« instrument de musellement du monde académique », par la rédaction d’Academia, composée d’universitaires, l’amendement en question sera modifié.

      C’est donc, si l’on suit le journaliste, une vraie continuité politique qui apparaît à la lecture du programme du “colloque” : celle, initiée par Valérie Pécresse — et son conseiller d’alors, Thierry Coulhon – avec la loi LRU, qui vise7 à mettre l’enseignement supérieur au pas, en commençant par réduire les budgets et en affaiblissant le statut protecteur de l’emploi universitaire. C’est sûr, le comité d’organisation du colloque d’aujourd’hui et demain relève moins d’un “groupe de travail” que d’un “lobby médiatique” (Isabelle Barbéris). Il s’agit ici de donner une nouvelle fraîcheur à une politique initiée en 2007, que peut-être certains souhaiteraient continuer sous la présidence à venir, aux relents islamophobes ou “laïques”8.

      On peut remercier Simon Blin de sa profondeur de vue et d’enquête. Elle répond en partie à la question posée par syndicats CGT et Sud de Sorbonne Université : ce colloque est-il universitaire ? De fait, la manifestation se place résolument hors du champ de la recherche : accueillie hors du territoire de l’université9, sans la caution scientifique de laboratoire de recherche — puisque la manifestation est organisée par trois associations —, l’événement réunit quelques universitaires peut-être, mais aussi des personnalités médiatiques, et notamment des membres éminent·es non élu·es de l’État, pour débattre de ce qui représente désormais une ligne politique bien identifiée10.

      S’il ne s’agit pas d’un colloque universitaire, de quoi s’agit-il donc ? D’un meeting dont la fonction est de peser sur une campagne présidentielle déjà nauséabonde.

      https://academia.hypotheses.org/33627

    • Sorbonne : ministre et intellectuels déconstruisent le « woke » lors d’un premier jour de colloque univoque

      Racialisme, nouveau féminisme, « cancel culture »… La première journée du colloque sur la question de la déconstruction, auquel participait Jean-Michel Blanquer, s’est déroulée dans une salle acquise aux orateurs et sans contradiction.

      « Un événement intellectuel. » Installé en Sorbonne, sous les plafonds dorés de l’amphithéâtre Liard où apparaissent les noms de Descartes et Pascal mais aussi le monogramme de la République française, c’est ainsi que Jean-Michel Blanquer a introduit ce vendredi matin les deux jours de colloque « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture ». Ces rencontres, qui ont suscité beaucoup de débats ces derniers jours, ont été présentées par leurs organisateurs – le Collège de philosophie, l’Observatoire du décolonialisme, le Comité laïcité république – comme un rendez-vous scientifique nécessaire pour clarifier l’affrontement entre eux (les universalistes) et les autres (les intersectionnels). A en croire Emmanuelle Hénin, professeure de littérature et coorganisatrice, le moment est marqué par l’« urgence de restaurer un espace de dialogue et de controverse scientifique ».

      Comme sur les murs de l’amphi, la science et la politique se rejoignent vite, dès l’ouverture des discussions. Son discours à peine entamé, Jean-Michel Blanquer revient à l’une de ses idées chères : en matière d’écologie, de féminisme, de lutte contre les discriminations, « il y a une vision “woke” de l’écologie et une vision républicaine. Lorsque nous lisons Elisabeth Badinter, nous ne lisons pas d’autres auteurs de moindre qualité. » Le ministre de l’Education nationale déclare même faire front commun avec les chercheurs réunis : « C’est sur un grand vide que les théories dont nous ne voulons pas ont pu avancer. » Pour le combler, il appelle à défendre l’universalisme, la raison et l’humanisme. « Face à tant de relativisme qui consiste à dire que tout se vaut, le bien, le vrai, le beau doivent en permanence être repensés. »

      Le relativisme ? Voilà l’ennemi ! Au cours de la journée, celui-ci prend plus d’un nom : « pensée “woke” », « enfermement “woke” », « religion qui distingue les élus des damnés ». Sans oublier le racialisme, l’antiracisme, le nouveau féminisme ou l’intersectionnalité. Pour embrasser les mille visages de ces menaces académiques, les intervenants préfèrent souvent le mot « déconstruction » – « pédanterie à la portée de tous », affirme l’historien des idées Pierre-André Taguieff – dont il s’agit d’abord de faire la généalogie.
      Etude des apories du déconstructionnisme

      Le philosophe et coorganisateur Pierre-Henri Tavoillot fait naître la déconstruction avec la philosophie moderne. Elle se révèle vraiment problématique avec « la pensée 68, où la déconstruction devient un processus sans fin ». Comprendre : où tout est toujours à déconstruire, sans débouché… constructif. Pour lui, le fonctionnement actuel de la déconstruction suit cinq étapes : tout est domination (1), l’Occident représente l’apothéose de cette domination (2). La décolonisation n’a en fait pas eu lieu (3) : il faut donc se réveiller (« woke »), sortir de l’illusion que tout va mieux (4). Resterait à passer de la théorie à la pratique : une fois éveillé, il faut annuler (« cancel culture », 5). Parmi les intervenants, l’hypothèse est volontiers acceptée.

      La matinée poursuit l’étude des apories du déconstructionnisme. Le professeur de sciences politiques Pascal Perrineau déplore une conception où « le lieu politique serait un lieu de projection de dominations en tous genres. A la figure du prolétaire ont succédé d’autres figures de victimes : femmes, immigrés, racisés, minorités homosexuelles », oubliant les vertus de la démocratie représentative (développées un peu plus tard par le philosophe Pierre Manent). « Dans le combat politique et culturel, le “wokisme” donne un avantage à l’accumulation du capital victimaire par les mouvements intellectuels et politiques. » La référence au vocabulaire marxiste n’est pas anodine : les chercheurs présents insistent sur les liens avec le communisme et ses échecs au cours du XXe siècle, comme la romancière et enseignante Véronique Taquin, ou le philosophe Pierre-André Taguieff : « Le “wokisme” est la dernière version en date de la grande illusion communiste », dit-il. Alors que la révolution prolétarienne se proposait de détruire la société capitaliste pour réaliser universellement l’égalité, le « wokisme » se fixerait désormais rien de moins que l’objectif de « détruire la civilisation occidentale en commençant par criminaliser son passé tout entier ».

      Après cette vue d’ensemble, les tables rondes suivantes passent en revue les « domaines d’application du “wokisme” » : la race, l’islam, le genre et la « cancel culture ». L’occasion pour l’essayiste Pascal Bruckner d’affirmer que « le “wokisme” constitue un nouveau racisme » par sa propension à ramener les individus à leur couleur de peau : « Plus on assimile les gens à leur épiderme, plus on les enferme dans une idéologie qui n’est pas sans ressembler beaucoup à l’idéologie coloniale. » Lors de ce passage en revue alternent de façon pas toujours claire des exposés de chercheurs (Bernard Rougier, Thibault Tellier…), et des interventions plus proches du témoignage comme celle du politologue Vincent Tournier, professeur à Sciences-Po Grenoble, qui a vu son nom affiché sur les murs de l’école l’an passé, au moment d’une polémique liée à l’emploi du terme « islamophobie » dans l’intitulé d’un colloque.

      Absence de moments de questions

      Evidemment, une parole manque aux échanges : celle des « wokistes déconstructeurs » dont les approches sont critiquées à longueur d’interventions. Dans la salle, on reconnaît quelques visages de chercheurs qui pourraient s’en réclamer : l’absence de moments de questions ne leur permettra pas de tenter la controverse, dans une salle bien remplie et de toute façon visiblement acquise aux orateurs. « Cancel culture » appliquée aux “woke” ? Presque. Très en verve, le sociologue et chroniqueur à CNews Mathieu Bock-Côté entre dans la tête d’un « woke » : « un voyage en folie » pour expliquer « comment, pour les woke, l’universalisme est le vrai racisme ». Il y explique que pour eux, la suprématie blanche serait dissimulée derrière la référence à l’universalisme, qu’il faudrait donc combattre pour faire ressortir les mécanismes de domination. Conclusion : « Pour nous [les blancs], exister, c’est expier ad vitam aeternam. » Rires et applaudissements fournis.

      https://www.liberation.fr/resizer/OQVJ9QPoDLjG2pg3SZUZrY863xI=/1440x0/filters:format(jpg):quality(70)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/6CB7GIEQ7JAI3HWG6EY52MMLJE.jpg

      Aux abords de la salle, la présence d’une caméra de télévision suscite un moment de confrontation entre des étudiants (de divers collectifs, dont l’Unef et Solidaires) qui ont déployé une banderole « Combattons la banalisation de l’islamophobie », et d’autres qui portent des sweats du syndicat de droite UNI. C’est là qu’a lieu la controverse, et pas dans l’amphi Liard, où la déconstruction du déconstructionnisme s’opère en un long sermon… au pied un immense tableau de Richelieu, lui aussi présent sous les lambris dorés.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/a-la-sorbonne-ministre-et-intellectuels-deconstruisent-le-wokisme-2022010

    • Live twitter du J2 du #colloquedelahonte, par Olivier Compagnon :

      1/ #colloquedelahonte, J2, ou comment flinguer son samedi. Journée consacrée à la « reconstruction ». Des moments forts sont attendus comme on attend la finale du 100m aux JO : ainsi le dialogue Anceau/Heinich vers 10h30 ou les conclusions du Grand Timonier de l’@Hceres_ vers 16h30

      2/ Mais ne sous-estimons pas certaines tables rondes qui pourraient sembler plus anodines comme celle de 14h30 intitulée « Des noires, des blanches, des rondes : la musique pour tous ». J’imagine d’ici les rires gras quand ils ont trouvé le titre.

      3/ 9h31, un peu de retard, mais on comprend, c’est toujours dur de bosser le samedi matin

      4/ C’est parti, mon kiki. « Première belle journée de travail ». « Nous sommes présents en Sorbonne ». « Nous étions hier 600, 200 dans l’amphi et 400 par zoom », mais un peu déçus par le public du matin (80 dans l’amphi)

      5/ Anceau sera un président de séance « intransigeant », tu m’étonnes... La parole est à D. Schnapper, qui célèbre l’excellente qualité de la journée d’hier. « Dévoiement des SHS et de la démocratie », le ver était dans le fruit avant 68 à cause des Soviétiques

      6/ On a trop oublié Weber (pas les barbecues, le sociologue). Dans la pensée woke, le vote et les institutions n’ont plus de sens, tout ça va finir comme le nazisme et le communisme. Hommage à Laurent Bouvet, dénonciation de la gauche bien pensante

      7/ Rémi Pellet (juriste) prend la parole, dénonce la mollesse de Vidal et milite pour des sanctions contre les universitaires islamogauchistes. Là ça se durcit nettement

      8/ Je me demande s’il ne confond pas reconstruction et épuration, là.

      9/ Revient sur « l’affaire de Grenoble ». « Notre ami PRAG de Grenoble » injustement attaqué et mal protégé par l’institution. Balance sur Vidal, lâche, et « attend sereinement sa mise à pied ». Balance sur FI et célèbre Blanquer.

      10/ « Même François Hollande n’a pas pu tenir une conférence à Lille en 2019 ». Une impunité inacceptable. Dénonce les jurys de thèse et d’HDR qui deviennent wokistes comme ils furent marxistes-léninistes. Termine par un hommage à l’ami de Grenoble.

      11/ Adrien Louis, philosophe. Plaide pour la remise en circulation d’une vieille notion, celle d’amitié civique. Délitement du vivre ensemble, séparatisme, offensive islamiste, nécessité d’une défense de l’identité nationale. Pffffffffff

      12/ Le public a du mal à démarrer

      13/ Célèbre Blanquer sur les femmes voilées dans les sorties scolaires. « Notre souhait que le dissemblable soit un peu plus semblable à nous ».

      14/ Tarik Yildiz maintenant, auteur d’un essai sur le racisme anti-blanc. Le niveau baisse car on adapte le niveau d’exigence à son auditoire, à l’école notamment.
      Déplore la critique permanente et systémique de ce qui fait notre pays. Bon...

      15/ « On n’impose plus de cadres clairs à l’école ». Les profs sont clairement des acteurs-clés de la décadence dans son esprit, mais le ministre actuel travaille à corriger le tir. Parle du fromage « Caprice des Dieux », je ne suis plus du tout là...

      16/ Parle des grossesses et des carottes très bonnes pour le foetus, je décroche complètement... « Pour conclure, il est essentiel de faire réfléchir ». « Un universitaire, ce n’est pas la même chose qu’un élève en 6e, enfin j’espère ». Pas bien réveillé, le gars

      17/ Anne-Marie Le Pourhiet, juriste. Reprend en gros la perspective du juriste d’avant : tous les outils juridiques existent pour réprimer les dérives, mais les pouvoirs publics sont lâches et ne les utilisent pas. Hum, ça craint...

      18/ La liberté académique comprend autant de devoirs que de droits. En gros, l’ESR doit diffuser « le savoir et la vérité ». Or les wokistes n’entrent manifestement pas dans le champ du savoir et de la vérité, comprend-on.

      19/ Il résulte de tout le corpus normatif existant que les universités ont les moyens de réprimer ceux qui érigent des contre-vérités en dogmes. Les instances de validation et de recrutement ne sont pas à la hauteur. Voilà voilà.

      20/ Il se confirme donc que la reconstruction commence par l’épuration. Exemple d’une thèse sur le privilège blanc dans les crèmes solaires, superbe ! Le CNU est complice, l’Europe aussi d’ailleurs.

      21/ « Il ne s’agit pas pour nous de censurer ». Ah bon, j’avais compris le contraire. La puissance publique est largement complice. Scandalisée par le fait que la loi dise que l’ESR contribue à la construction d’une société inclusive...

      22/ Cite avec dépit article 2 de loi Taubira sur traité négrière et esclavage, le législateur est complice des décoloniaux, il s’égare et se contredit. Ce sont des lois liberticides.

      23/ « Cheval de Troie intersectionnel particulièrement liberticide ». Balance sur les référents égalité dans les labos qu’elle appelle (je crois, elle parle vite) des « commissaires à la genritude ».

      24/ Balance aussi sur l’écriture inclusive que les autorités publiques ne se donnent pas les moyens de prohiber. Regrette dans sa fac de droit « des recrutements qui n’auraient pas dû être ». Ah, elle célèbre le Québécois de CNEWS

      25/ « Fake science » en conclusion, applaudissements pour cette présentation « à la fois vigoureuse et rigoureuse ».

      26/ Le débat commence. « Eviter la victimisation permanente », « les musulmans ont fait plus de victimes par l’esclavage que les Européens ». « Convergence des luttes entre nos islamogauchistes et l’islam, mais nos amis LGBT que deviendraient-ils s’ils traversaient la Méditerranée ? »

      27/ « Moi des droits des femmes c’est pas mon truc ». Il va falloir faire une compilation des meilleures punchlines

      28/ « Lavage de cerveau » intersectionnel à l’Université Laval du Québec à partir d’une petite anecdote sur une thèse, ça rigole dans la salle, « je dirige une thèse, pas un tract ».

      29/ Y’a une pause apparemment, ça fait du bien. Je ne vais évidemment pas tenir toute la journée.

      30/ Un public hétérogène

      31/ C’est parti pour la table ronde très attendue. « Histoire pâte à modeler », ça démarre bien. Un oubli sur la table précédente : « on ne va pas commencer à dénoncer nos collègues qui regardent les étudiantes au physique agréable » (en gros)

      Nathalie Heinich. Attaque directement sur la nécessité d’une nouvelle instance de contrôle de la production scientifique, mais se défend d’être maccarthyste. « On ne doit pas pouvoir professer que la terre est plate ou qu’il y a un racisme d’Etat ». Elle est en forme

      33/ @EHESS_fr, nid de gauchistes où l’on invite des indigénistes. C’est pas moi qui dis, évidemment, c’est Heinich. Ah ah

      34/ Déplore confusion entre liberté académique et liberté d’expression. Pour éviter les dérives, « l’arène académique devrait rester imperméable à la société civile ». Pas de professionnels, pas de militants, pas d’artistes à l’université

      35/ Ni Dieudonné ni R. Diallo dans les universités. Exclure aussi les étudiants de l’orbite de la liberté académique car, en gros, sont déb. Nécessaire durcissement des évaluations, se réjouit d’ailleurs de la présence de Coulhon en conclusion du colloque.

      36/ Je fais Anceau et j’arrête ensuite. Il a publié 26 livres, je ne sais pas comment il fait perso...

      37/ « La société patriarcale, européenne bien sûr, a opprimé les femmes, colonisé les peuples, etc... » Très en forme également. La déconstruction fait de la morale et refuse l’objectivité du savoir. wokisme = stalinisme. On invente des personnages, on en efface d’autres

      38/ « Il n’y a pas d’éternisation du passé », il faut contextualiser, la cancel culture écarte les sources gênantes. Encore les arabo-musulmans et l’esclavage, ça devient lourd

      39/ Déboulonnage des statues, vandalisme, effacement de Jefferson du hall de la mairie de NY, tralalalalalalala. Je rappelle que ce gars qui ne veut pas confondre militantisme et université a longtemps léché les pieds de Dupont-Aignan

      40/ « L’historien qui se veut objectif ». Conclut « confiance et vigilance ». Faut-il renoncer à Auguste Comte parce qu’il était misogyne ?

      41/ Un gros problème technique avec la vidéo de François Rastier, c’est con.

      42/ Je suis un peu perdu dans le casting, mais cette comparaison entre le mouvement woke et l’heroic fantasy en intro me semble très porteuse. Univers imaginaire, monde parallèle. Comme tous les autres, il dénonce le woke mais on ne sait jamais qui, quoi, etc

      43/ Venons-en à l’islamophobie. « Les tenants de... », mais qui ? Personne ne source son propos. C’est vague, c’est flou, c’est fantasmatique, c’est nul. Allez PAUSE

      44/ Encore une demi-journée pénible qui se profile avec le #colloquedelahonte, mais elle sera conclue en apothéose par Thierry Coulhon vers 16h30. Pour supporter cela, je concède avoir ouvert une bouteille de vin. Quelle autre solution pour supporter le tragique de l’existence ?

      45/ C’est un Carmenere chilien, en hommage à #gabrielboricpresidente qui a démontré que d’autres voies étaient possibles dans un pays qui fut le berceau du néolibéralisme autoritaire.

      46/ Je n’aurais pas dû ouvrir cette bouteille, je commence à penser à ce que peuvent bien écouter comme musique Éric Anceau ou Pierre Vermeren quand ils rentrent chez eux le soir.

      47/ C’est parti avec un peu de retard, on commence avec la table ronde « Des noires, des blanches, des rondes : la musique pour tous ». Remerciements pour « le jeune technicien très compétent » et son sens de l’improvisation, c’est sympa

      48/ La question structurante de la table : pourquoi les études musicologiques et la musique sont aussi touchées par le wokisme ? On commence avec Catherine Kinzler, qui a notamment bossé sur théâtre et opéra à l’âge classique.

      49/ Va parler de la culture de l’expiation dans les études musicologiques. « Jusqu’à la notation musicale est soupçonnée de racisme ». Est désormais à l’oeuvre « une épuration culturelle ».

      50/ Part d’une anecdote concernant une société musicale US qui favorise l’inclusion de groupes minoritaires et promeut un « décentrement de la blancheur ». Procédé d’"épuration culturelle" (bis) qui repose sur une « culpabilisation » selon notre intervenante

      51/ « Inquisiteur », « procureur extra-lucide », « rééducation », « sommations sans appel », « nombrilisme pleurnichard » : il y a une grammaire de la réaction intellectuelle. Ah, Staline le retour

      52/ « Se figer dans un rôle de victime ou celui d’un coupable plein de contrition », etc : c’est toujours la même chanson (si je peux me permettre)

      53/ Dania Tchalik, pianiste né en URSS, prend la parole et va parler « du wokisme avant le wokisme » (mon fils de 18 ans vient d’entendre cette phrase en passant, on a un fou rire)

      54/ Tiens, Jack Lang en prend pour son grade : avec lui, l’action publique culturelle devient consommation de masse, symbole de la Fête de la Musique. Référence à ce grand progressiste que fut Marc Fumaroli.

      55/ « Vulgate bourdieusienne fossilisée », « anti-intellectualisme », on n’enseigne plus le solfège ma bonne dame. N’a pas l’air d’aimer la gauche, dit le mot avec dégoût. Il est spécialement gratiné, lui

      56/ (La technique zoom n’est pas encore complètement maîtrisée). Il n’y a plus de professeur de musique ni d’enseignement, on veut tout faire venir de l’apprenant. « De ce pédagogisme découle un sociologisme ».

      57/ La musique classique n’est plus honorée car vue comme une musique de riches, « de mâles blancs pourrait-on dire ». « On en est pleine idéologie totalitaire ».
      Typiquement woke, nous dit-il encore, la réduction de l’oeuvre à la biographie de son auteur.

      58/ OK, on a compris : on dirait Bolsonaro parlant de la guerre culturelle. Lui, il me fait vraiment peur là...

      59/ « Que faire ? » se demande-t-il alors ? Rompre avec l’idéologie relativiste, que les pouvoirs publics décident que l’art doit être transmis, que le ministère redevienne celui de la culture et non de la communication

      60/ Veut un nouveau Ferry : Jules ou Luc ? Il développe, mais je ne comprends pas. Tonnerre d’applaudissements

      61/ Nicolas Meeùs, musicologue de Sorbonne Univ. Parle des attaques woke contre Heinrich Schenker (1868-1935), fondateur de l’analyse musicale moderne. C’est technique et je n’y connais rien, je touche mes limites et vais fumer une clope

      62/ Pendant ce temps-là, le public

      63/ Bruno Moysan prend la parole et avoue d’emblée qu’il n’y connaît rien. Commence par raconter qu’il s’est fait insulter au Canada par une doctorante aux cheveux rouge vif et treillis militaire après une intervention qu’il avait faite sur J. Butler

      64/ Il raconte fièrement comment il a cloué le bec à cette inquisitrice. Pour l’instant, il n’a rien dit mais semble aimer parler de lui

      65/ Va parler de Ouverture féministe : musique, genre, sexualité de Suzanne McClary. Se dit nostalgique des années 1968, là il est dissonant, et sous cet angle il a aimé le livre.

      66/ Mais là il va quand même flinguer. Trop d’idéologie dans le livre (alors que lui non, hein !). C’est toujours pénible, les gens qui lisent très vite un papier trop long.

      67/ Je ressens un ennui profond. Ah, le débat. « Le rap et les musiques populaires produisent cet effet d’aller vers des publics qui n’auraient pas la capacité de s’élever ». En gros, les woke privent les enfants de la musique classique qui les deterritorialiserait.

      68/ « Quand on dénonce le virilisme de Beethoven, on m’empêche de jouir de sa musique. » (en gros)

      69/ « Essayons de définir un quatuor à cordes de gay ? C’est compliqué, je ne plaisante pas ». Bruno Moysan, le retour

      70/ Discussion sur le dernier accord de la 9e Symph. de Beethoven vu par Suzanne MacClary comme un viol. Petites blagues dans la salle. « Sans doute que j’ai mes propres résistances à l’éveil ». Cela dit, cette table assez nulle est la plus modérée de toutes

      71/ Je commence à être inquiet pour le public.

      72/ Dernière table ronde sur les arts et les humanités, animée par Yana Grinshpun qui assimile d’emblée wokisme et totalitarisme soviétique sans la moindre explication.

      73/ Hubert Heckmann commence en lisant le sonnet 20 des Amours de Ronsard qui, mis au programme de l’agrég, a provoqué des polémiques avec des militants y voyant une apologie du viol. Lui va défendre le canon littéraire.

      74/ « Je voudroy bien richement jaunissant
      En pluye d’or goute à goute descendre
      Dans le giron de ma belle Cassandre,
      Lors qu’en ses yeux le somne va glissant. »

      75/ Cite Robert Faurisson lisant Rimbaud en 1961 et voit dans le féminisme actuel un parallèle avec le parangon du négationnisme.

      76/ Le wokisme réduit le sens des oeuvres à leur contenu sexuel. Rires gras dans la salle quand il évoque, au travers d’une citation, le pénis. On dirait une classe d’ados prépubères.

      77/ « Ethnocentrisme woke » qui fuit le risque de l’altérité, celle du passé, celle de la littérature des siècles anciens. Conclut sur le wokisme qui empêche toute quête du plaisir et du savoir, ce qui est un peu border après avoir ouvert sur le sonnet 20. Non ?

      78/ Jerôme Delaplanche, historien de l’art (et obsédé sur son twitter par #saccageparis). Revient sur toute la polémique autour de la Villa Médicis, je ne vous raconte pas, il répète cette tribune parue en nov. 2021
      https://www.latribunedelart.com/la-cancel-culture-infiltre-la-villa-medicis

      79/ Il a dit « épicerie » à la place de « tapisserie ». Rien d’autre à signaler. Ah, si, petite vanne sur la « souffrance des animaux » qui n’a pas été mobilisée pour faire décrocher les tapisseries en question.

      80/ « Le wokistan a étendu son champ de nuisance jusqu’à la Villa Médicis ». Il a dû passer la nuit à trouver cette formule.

      81/ Ce qui est fascinant, c’est le sentiment obsidional qui traverse toutes les interventions.

      82/ Il propose 4 niveaux de « résistance », c’est le Jean Moulin de l’histoire de l’art. Les wokistes (je ne sais toujours pas qui ils sont) sont des incultes, des fainéants aussi un peu. « Complaisance doloriste »

      83/ Encore un intervenant, Alexandre Gady, histoire de l’art... « Patrick Devedjian qu’on regrette tous » : merci Yana Grinsphun !!!!!!!!!!

      83/ Balance sur Bénédicte Savoy qui s’en est prise à la statue de Champollion dans le jardin du collège de France.

      85/ « On a déjà beaucoup parlé de sexe, je ne voudrais pas passer pour... »

      86/ « L’auteur, l’autrice excusez-moi ». Rires gras dans la salle.

      87/ Evocation de la mort de George Floyd. Rires gras dans la salle

      88/ Champollion n’en finit pas. Je ne connais pas l’université française qu’ils décrivent. J’aurais (sérieusement) aimé les entendre discuter les décoloniaux latinoam. (Quijano, Mignolo, etc.) qui sont d’ailleurs authentiquement discutables. Mais là rien. Du vide, du fantasme

      89/ Le temps des conclusions est arrivé. « Quel affreux colloque, quelles horreurs n’aurons-nous pas entendu pendant ces deux jours ! » Ben, je vais te les résumer un peu plus tard les horreurs (et je ne suis même pas « décolonial » en plus)

      90/ Nous sommes en Sorbonne, « nous ne lâcherons pas ces lieux, ILS le savent ».
      Ce n’est pas encore Thierry Coulhon, mais la présentation du Comité Laïcité-République

      91/ Se défendent d’être fascistes. Le wokisme est une croyance, nous prenons des risques en résistant, refus de perdre la bataille.

      92/ Creil 1989 : l’offensive de la pensée dogmatique et totalitaire. On commence à avoir une chrono : 1962 et la perte de l’Algérie, la pensée 1968 évidemment, 1989.

      93/ Wokisme et décolonialisme = « fantasme messianique de table rase » qui débouche toujours sur un totalitarisme, qui sévit déjà dans certaines universités et ambitionne aujourd’hui de gangréner toute la société

      94/ « On a perdu une partie de notre jeunesse » (en gros les banlieues) : lls sont murs pour soutenir la remigration

      95/ « Mr le Président Thierry Coulhon ». Ne va pas conclure car n’a pas suivi le colloque. Commence par une remarque de citoyen : ne pensait pas qu’il vivrait une époque où D. Schnapper et J. Julliard seraient considérés comme des personnalités suspectes

      96/ Retour sur liberté académique / liberté d’expression. Le HCERES n’est pas là pour décider des sujets de recherche légitimes ou non, mais il doit clarifier la frontière entre discours académique et discours militant

      97/ HCERES doit placer la limite entre médiocrité et excellence. On ne laissera pas dire que la terre est plate, mais on n’empêchera pas Paxton de... (encore heureux...). Annonce un colloque sur évaluation et SHS au printemps prochain

      98/ Rien d’autre. Mais c’est sa seule présence qui est problématique.

      99/ Conclusion de la conclusion : impérieuse nécessité de faire émerger des clés de lecture des sociétés qui aillent au-delà du rapport dominants / dominés. Il y a aussi des liens d’amour, d’amitié (je verse une larme) qui doivent aussi être examinés. Niais

      100/ Ce fil méritera une petite synthèse, mais ce sera pour plus tard.

      https://twitter.com/CompagnonO/status/1479727962845032448

    • Le « wokisme » sur le banc des accusés lors d’un colloque à la Sorbonne

      Après une introduction du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, un parterre d’universitaires a dénoncé durant deux jours « les dégâts de l’idéologie » de la déconstruction et de la « cancel culture », selon eux nouvel « ordre moral » à l’université.

      « Reconstruire les sciences et la culture » : c’est le chantier que s’est attribué un parterre d’une cinquantaine d’universitaires, essayistes et éditorialistes lors d’un colloque à la Sorbonne, les 7 et 8 janvier, sous la houlette de l’Observatoire du décolonialisme – qui fêtait pour l’occasion son premier anniversaire – et du Collège de philosophie.

      Adoubé par le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui en a fait l’introduction, l’événement a réuni jusqu’à 600 personnes, dont les deux tiers ont assisté à distance aux débats. Son objet : passer au crible, avec un prisme hostile, la « pensée décoloniale », la « théorie du genre » et la « cancel culture » (culture de l’effacement), des concepts en partie importés d’Amérique du Nord et plus largement désignés par les intervenants sous le vocable de « wokisme » (l’éveil à toute forme de discrimination), une pensée devenue épouvantail à droite, en même temps que l’« islamo-gauchisme ».

      Invité en clôture, Thierry Coulhon, président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, est apparu peu à l’aise, expliquant qu’il n’était pas là « pour approuver ou non les prises de position ». Il a annoncé la tenue, au mois de mai, d’un colloque international sur les sciences sociales. Une « réponse », selon lui, à un autre « débat assez mal engagé » en février 2021 sur « l’islamo-gauchisme » par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Elle avait appelé le CNRS à mener une enquête pour distinguer recherche et militantisme. Il sera notamment question de « penser les interactions entre les sciences humaines et le reste du savoir », a précisé M. Coulhon.

      « Déconstruire la déconstruction »

      Jean-Michel Blanquer a revendiqué, en introduction, d’adopter une posture « offensive sur le plan intellectuel » contre le wokisme, au moment où « il y a une prise de conscience que nous devons “déconstruire la déconstruction” et arriver à de nouvelles approches ».

      Pierre-Henri Tavoillot, président du Collège de philosophie, a posé « la déconstruction » comme « un vaste mouvement philosophique » qui a connu trois âges : la critique kantienne de la métaphysique ; la critique des idées humaines, portée en particulier par Nietzsche ; enfin « la pensée 68 », où la déconstruction devient une technique qui ne vise qu’elle-même, selon M. Tavoillot. « On en arrive à la déconstruction intersectionnelle », fondée sur l’idée que tout est domination, que la colonisation occidentale en représente « l’apothéose » (domination Nord/Sud, raison/émotion, homme/femme, technique/nature…) et que la décolonisation camoufle une exploitation toujours en cours, exercée par « le mâle blanc ».

      Armés de la seule notion de « domination » et de la dénonciation du patrimoine vu à l’aune des critères du présent, les « wokistes », enseignants-chercheurs en sciences humaines et sociales, feraient œuvre de « dévoiement de la rationalité », affirme la sociologue Dominique Schnapper. Leurs « néologismes ont valeur de dogmes », et les préfixes, anglicismes et métaphores auxquels ils recourent donnent l’illusion d’une « tradition savante », complète le linguiste Jean Szlamowicz, citant les mots « transphobe », « micro-agression », « appropriation » ou encore « inclusif ». « On invente une injustice pour la dénoncer » car « ces mots s’imposent de manière déclarative, sans données réelles », soutient-il, évoquant « une bouillie entre poésie et militance ».

      Pour le politologue Pascal Perrineau, la pensée déconstructiviste a prolongé un combat que le marxisme structuraliste et la sociologie de Pierre Bourdieu ont engagé, « mais elle va beaucoup plus loin pour dénoncer une obscure oppression généralisée légitimée par le pouvoir dominant qu’il soit hétérosexuel, du genre masculin, de la race blanche ». « Seules les minorités sauraient ce que parler veut dire, poursuit-il, regrettant que parmi les sujets de thèse, à Sciences Po, le thème du vote n’intéresse plus personne. »

      Peser sur la campagne présidentielle

      Le wokisme signerait le retour de l’idée qu’il n’existe pas de science objective, sur le modèle de la dénonciation de « la science bourgeoise » par l’ingénieur soviétique Trofim Lyssenko. « Il faut mettre en avant une physique ethnique contre l’épistémicide que livrerait l’Occident sur les autres cultures », avance l’écrivain Pierre Jourde. Il cite un groupe de recherche canadien qui travaille à « décoloniser la lumière, c’est-à-dire repérer dans la physique le colonialisme ».

      Au Canada, cette idéologie « structure » l’administration universitaire, affirme Mathieu Bock-Côté, éditorialiste sur la chaîne CNews. « Je suis né blanc donc je suis raciste et je dois me rééduquer mais voudrais-je rompre avec le racisme que je n’y arriverais pas », résume-t-il, déplorant que, selon lui, les subventions « dépendent du fait qu’on se soumette à cette idéologie dans la définition des objets de recherche ».

      En Europe, « l’islamisme transnational » des Frères musulmans fait de l’entrisme dans les universités « depuis trente ans », générant « un noyautage des départements en sciences sociales », soutient l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler. Elle cite des « pressions sur les enseignants au début et à la fin des cours, des [personnes] qui gênent la recherche de terrain ou encore des influenceurs qui agissent comme une machine à orienter la recherche », particulièrement au niveau des financements européens.

      La sociologue Nathalie Heinich réclame « un meilleur contrôle scientifique des productions fortement politisées pour qu’un enseignant ne puisse proférer que la Terre est plate ou qu’il existe un racisme d’Etat ». Elle ajoute que « l’arène académique devrait rester imperméable à la société civile » et qu’il faut « s’abstenir d’inviter des professionnels, des militants, des artistes dans les cours et séminaires universitaires », en vue de les « protéger de l’envahissement idéologique ».

      Sur les réseaux sociaux, mais aussi dans des échanges en direct sur la plate-forme du colloque en ligne, certaines interventions ont suscité l’étonnement du public alors que la teneur des échanges – sous couvert de respect des valeurs républicaines – semblait relever du militantisme, pourtant dénoncé quand il provient de la nébuleuse « wokiste ». « C’est une simple litanie depuis 9 heures du matin, écrit l’historien Olivier Compagnon sur Twitter. Il faut juste éviter que ces gens-là ne gagnent définitivement la bataille médiatique. » Dans un article, le collectif universitaire Academia s’interroge tout haut : « S’il ne s’agit pas d’un colloque universitaire, de quoi s’agit-il donc ? D’un meeting dont la fonction est de peser sur une campagne présidentielle déjà nauséabonde. » Une accusation raillée par plusieurs participants, contents d’avoir occupé la scène durant deux jours.

      https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/01/08/le-wokisme-sur-le-banc-des-accuses-lors-d-un-colloque-a-la-sorbonne_6108719_

    • Pour des études noires sans compromis

      Les 7 et 8 janvier, se tenait à la Sorbonne un colloque intitulé Après la déconstruction. Reconstruire les sciences et la culture. Introduit par Jean-Michel Blanquer himself, un parterre d’universitaires réactionnaires s’y est retrouvé pour disserter de la lourde menace que ferait peser la recherche critique sur la bonne moralité de ses étudiants. La sulfureuse question du « wokisme » y a d’ailleurs été évoquée frontalement. Si scientifiquement les interventions semblent avoir été à la hauteur de toutes les attentes, le caniveaux, l’audace et la vulgarité de l’opération n’en sont pas moins significatives. Comme on ne rit jamais très longtemps de pareille déchéance, nous publions en guise de réponse indirecte, l’introduction de Noirceur le dernier livre de Norman Ajari qui paraît à point nommé le 14 janvier prochains aux Éditions Divergences. Il y est précisément question du spectre qui hante certaines têtes blanches ou chauves.

      Un spectre hante l’université occidentale : le spectre de la Critical Race Theory (CRT). Politiques et éditorialistes de la vieille Europe et du Nouveau Monde se sont unis en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : le Président Trump et le Président Macron, Fox News et Libération, les républicains de France et les conservateurs de Grande-Bretagne. Partout, la Théorie Critique de la Race est déclarée ennemie publique, corruptrice de la jeunesse et traîtresse à la science. Nous assistons, dans une partie grandissante du monde occidental, à une attaque, concertée et sans relâche, contre les universitaires menant des recherches sur la question raciale.

      LA THÉORIE CRITIQUE DE LA RACE COMME ENNEMIE PUBLIQUE

      ’est aux États-Unis que la réaction fut la plus spectaculaire : le 4 septembre 2020, le directeur du Bureau de la gestion et du budget états-unien, Russell Vought, émettait un mémorandum vilipendant des formations centrées sur la question raciale supposées inviter les fonctionnaires à « croire à une propagande anti-américaine qui crée la division [1 ». À l’issue du mandat du Président Donald Trump, ce juriste conservateur a fondé le Center for Renewing America, un think tank dont le principal objectif consiste à « combattre la philosophie radicale, enracinée dans le marxisme, connue sous le nom de Théorie Critique de la Race », arguant que « là où Karl Marx divisait la société entre la bourgeoisie capitaliste et le prolétariat opprimé, les adhérents de la Théorie Critique de la Race ont substitué la race aux distinctions économiques de Marx ». L’enjeu est dès lors d’empêcher la « corruption des enfants et des futures générations par la haine d’eux-mêmes et de leurs concitoyens [2] » que ces recherches promouvraient.

      Mais avant d’être contraint par les urnes de se retrancher dans l’activisme de la société civile, Vought était parvenu à convaincre le chef de l’État du bien-fondé de sa croisade. Le 22 septembre 2020, le Président Trump émettait un executive order, c’est-à-dire un décret présidentiel, interdisant à tous les prestataires de service sous contrat avec le gouvernement de mener des formations portant sur les questions de race et de sexe. Il entendait ainsi combattre un discours offensant et anti-américain qui crée des stéréotypes de race et de sexe et des boucs émissaires [3 ». Or, comme c’est souvent le cas en Amérique du Nord, la vigilance religieuse avait anticipé et donné sa direction à l’action politique. C’est en effet dès 2019, au terme de son congrès annuel, que la Southern Baptist Convention avait émis une condamnation plus mesurée, mais toutefois ferme, de la Théorie Critique de la Race. Face à certaines résistances dans ses rangs, notamment du côté des pasteurs et des fidèles africains-américains, la plus importante congrégation protestante des États-Unis n’a depuis cessé de durcir ses positions sur le sujet.

      En mars 2021, quelques mois après sa prise de fonction, le Président Joe Biden prenait le parti d’annuler l’executive order de son prédécesseur, mais la définition de la CRT comme une intolérable corruption de la jeunesse s’était déjà imposée comme un thème central du discours conservateur états-unien. En Caroline du Nord, en Idaho ou encore à Rhode Island, les gouverneurs républicains ont pris des mesures pour bannir la Théorie Critique de la Race des cursus des institutions d’enseignement public. « Le niveau fédéral n’est pas en reste. En mai [2021], une trentaine d’élus républicains de la Chambre des représentants ont présenté un projet de loi, explicitement intitulé Stop CRT Act, visant à bannir les formations “à l’égalité raciale et à la diversité” dispensées aux employés fédéraux [4] . » Dans une nation qui a placé la garantie de la liberté d’expression au seuil de son texte le plus sacré, c’est-à-dire au cœur du premier article du Bill of Rights, ces restrictions exigeaient le déploiement d’une rhétorique d’exception : la CRT s’est ainsi vue assimilée à un discours totalitaire [5], ce qui faisait pour ainsi dire de son exclusion de l’espace public une affaire de sécurité publique.

      En octobre 2020, un mois après l’émission de l’executive order de Trump, les conservateurs britanniques s’emparent de son discours. La sous-secrétaire d’État parlementaire déléguée à l’égalité, Kemi Badenoch, affirme au terme d’un débat portant sur le mois de l’histoire des Noirs : « Toute école qui enseigne les éléments de la Théorie Critique de la Race ou qui promeut des vues politiques partisanes, telles que cesser de financer la police, sans offrir un traitement équilibré des vues opposées, est hors-la-loi [6] . » Aux États-Unis où elle est née, bien qu’elle soit loin d’être aussi omniprésente que ne le laissent entendre le nombre et l’éminence de ses détracteurs, la CRT est ancrée dans le paysage académique. J’ai moi-même été recruté en 2019 par le département de philosophie de Villanova University pour occuper un poste d’Assistant Professor en Critical Race Theory. En Grande-Bretagne, en revanche, la discipline est plus marginale bien que, comme le souligne le sociologue de l’éducation Paul Warmington, le Royaume-Uni possède une solide tradition d’intellectuels noirs dont l’héritage entre facilement en résonance avec le projet de la CRT. Dans un élan panafricain, il souhaite que la rencontre de l’école américaine et de l’école britannique féconde une nouvelle génération d’intellectuels publics noirs [7] . Or c’est certainement cet avènement que les avertissements du gouvernement conservateur cherchent à dissuader en recourant aux frappes préventives de Kemi Badenoch, à l’heure où la révolte suscitée par le meurtre de George Floyd a embrasé l’opinion publique noire anglaise, conduisant des dizaines de milliers de manifestants dans les rues.

      En France, les assauts contre les études sur la race se sont développés selon leurs propres termes, et n’ont pas attendu les mesures de Trump pour gagner une place considérable dans la presse – bien que la solidarité conservatrice internationale ait indéniablement conforté cette hostilité, dès l’instant où Donald Trump et Boris Johnson apparurent comme soutiens opportuns. En janvier 2018, le mensuel d’extrême-droite Causeur fait paraître un dossier intitulé « Toulouse 2, la fac colonisée par les indigénistes ». « Indigénisme » désigne, dans le patois médiatique français, la doctrine politique de l’organisation antiraciste radicale des Indigènes de la République ; ce sera dès lors l’un des noms de code d’une CRT à la française, au côté d’autres néologismes dépréciatifs tels que « décolonialisme » ou « racialisme ». Il n’est pas certain que le texte de Causeur soit véritablement le premier du genre, mais j’en conserve un souvenir net car j’étais alors Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche en philosophie à l’Université de Toulouse, qui est mon Alma Mater, et que l’article me désignait comme l’un des « colonisateurs » de la fac. L’agenda politique suprémaciste blanc du magazine ne laissait guère de place au doute. Il suffisait pour s’en convaincre de se pencher sur le contenu comiquement raciste d’un autre article de la même auteure, dans le même numéro du même mensuel : « C’est un cliché mais c’est vrai : la culture africaine ne connaît pas l’individu. Le groupe seul existe, qui structure l’identité de chacun. Il est alors cohérent que la philosophie qui apprend à “penser par soi-même” soit vue comme une menace [8] . » Voyant, effarée, le département de philosophie de l’Université de Toulouse déployer colloques, journées d’études et cours où Africains et Afrodescendants se faisaient fort de penser par eux-mêmes, le premier réflexe de la journaliste fut d’exiger l’interdiction de ce qu’elle croyait impossible. C’était bien elle qui tenait l’acte même de penser, et notamment celui des Noirs, pour une menace. Là où elle se trouve dans la vie de l’esprit, fort heureusement, elle est en sécurité.

      À la fin de l’année 2018, l’effroi face aux études sur la race avaient contaminé la presse de la droite traditionnelle, la presse centriste et la presse de gauche. Une tribune fortement médiatisée intitulée « Le “décolonialisme”, une stratégie hégémonique : l’appel de 80 intellectuels » paraît fin novembre dans l’hebdomadaire conservateur Le Point. Il est à cet égard amusant de constater que, si le terme « décolonialisme » est placé entre guillemets comme s’il s’agissait d’une citation, il est fort peu usité par les chercheurs et militants francophones, lesquels privilégient « décolonial », comme adjectif aussi bien que comme substantif. La même semaine, l’hebdomadaire de centre-gauche L’Obs, publiait une enquête titrée « Les “décoloniaux” à l’assaut des universités ». En décembre 2018, dans Libération, quotidien réputé de gauche, l’influent éditorialiste Laurent Joffrin signait un éditorial intitulé « La gauche racialiste ». L’extrême-droite et la gauche convergent de plus en plus visiblement dans la détestation des réflexions sur la question raciale. Au cours des années suivantes, « enquêtes » et éditoriaux de ce genre sont devenus un marronnier, pour ne pas dire un genre littéraire à part entière de la presse française. Fatalement, ce discours de plus en plus omniprésent finit par contaminer le pouvoir exécutif. Dès juin 2020, le président Macron déclarait au Monde ses griefs à l’égard d’universitaires français coupables de « casser la République en deux [9] ». L’effet-Trump s’est fait sentir en février 2021, lorsque la Ministre chargée de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal joua son va-tout, annonçant son projet de commanditer une enquête au sujet de « l’islamo-gauchisme » au sein de l’université française, déplorant une énigmatique alliance intellectuelle du président Mao et de l’ayatollah Khomeiny dans les esprits des savants français.

      Ce livre porte sur les tendances pessimistes de la théorie africaine-américaine contemporaine. Force est de constater que l’aspect du discours universitaire sur la race qui génère le rejet le plus franc et le plus radical dans la presse et la parole politique, au point de susciter ces velléités d’interdiction, tient précisément à son pessimisme. Comme l’exprime le révérend Michael Wilhite, membre de la Southern Baptist Convention dans l’Indiana : « C’est simplement à l’opposé des évangiles. Dans la Théorie Critique de la Race, il n’y a pas d’espoir. Si vous êtes blanc, vous êtes automatiquement raciste à cause de la suprématie blanche. Mais dans les évangiles, il y a de l’espoir [10]. » Le décret présidentiel de Trump comme les formulations choisies par les différents États américains pour légitimer leur censure partagent la même philosophie : il s’agit toujours de conjurer l’idée selon laquelle les institutions étatiques américaines ou les personnes blanches seraient intrinsèquement enclines au racisme. De même, journalistes, éditorialistes et politiciens français refusent qu’une partie de l’opinion tienne simplement la République pour un projet dénué de perspective d’avenir pour les minorités. Fondamentalement, les conclusions des principaux auteurs de la CRT sont porteuses de désillusion, de désaffection, voire d’hostilité à l’égard de la démocratie libérale et de l’État. Comme l’explique l’un de ses principaux spécialistes contemporains, le philosophe africain-américain Tommy Curry :

      Les Blancs sont sidérés d’apprendre que les chercheurs noirs qui ont bâti la Théorie Critique de la Race ne souscrivent pas aux promesses de la démocratie occidentale, ni aux illusions selon lesquelles l’égalité raciale serait possible au sein des sociétés démocratiques blanches. Depuis le XIXe siècle, les chercheurs noirs ont insisté sur la permanence du racisme blanc aux États-Unis comme dans d’autres empires blancs. Contrairement aux représentations universitaires de figures noires américaines pleines d’espoir et investies dans l’expérience démocratique américaine, de nombreux penseurs noirs ont insisté sur la négrophobie qui souille perpétuellement les Noirs américains. Au cours des années 1800, les figures historiques noires ont associé la libération des leurs à la révolution (haïtienne), non à l’incorporation au sein des États-Unis. En Amérique et en Europe, l’idéal libéral démocratique dicte que le « problème racial » entre Noirs et Blancs, s’il demeure, conduit lentement les populations blanches vers davantage de conscience sociale et de compréhension raciale. Cet optimisme à l’égard du racisme anti-Noirs, ou de la myriade d’antipathies assimilant noirceur et africanité à l’infériorité, la sauvagerie et l’indignité dépend en dernière instance de la capacité des démocraties blanches à gérer la colère et la contestation des populations américaines et européennes noires lorsqu’elles comparent leur mortalité, leurs préjudices et leur pauvreté à la citoyenneté blanche [11].

      Il s’agit donc, pour les ennemis de la CRT ou de la pensée décoloniale, d’enrayer la pérennisation de ce pessimisme pro-Noir qui tient l’État et la société civile blanche pour des institutions intrinsèquement injustes. Les discours officiels décrivent les Républiques américaine et française, ainsi que le Royaume-Uni, comme perpétuellement mus par la réforme et le progrès en faveur des minorités. Nous sommes invités à croire que l’esclavage, le colonialisme, l’impérialisme ou la ségrégation sont de l’histoire ancienne – non qu’ils se sont métamorphosés pour maintenir l’inégalité dans sa structure. Il s’agit donc, pour les gouvernements, de marginaliser les théories qui élaborent des outils pour comprendre l’optimisme étatique comme visant à perpétuer servitude et aliénation sous la bannière de la démocratie. Disons, en détournant une formule célèbre du Sud-Africain Steve Biko, que l’arme la plus puissante entre les mains de l’oppresseur est devenu l’espoir de l’opprimé. Il permet d’absorber jusqu’aux critiques du racisme structurel ou du racisme d’État, en interprétant ces derniers comme des étapes, des moments passagers, qui appellent la patience réformiste davantage que l’intervention radicale. Or c’est en désespérant du maître, du colon ou de l’exploiteur que l’on retrouve confiance en sa propre dignité et en ses propres forces. La crainte que les trois grandes nations impériales ont en partage réside dans la possibilité que les Noirs, et les autres personnes de couleur, cessent de les concevoir comme des lieux de progrès vers la justice, l’égalité et la tolérance, mais en viennent au contraire à les reconnaître comme des ordres étatiques fondamentalement définis par la déshumanisation raciste.
      ACTIVISME ET THÉORIE

      Ce bilan international d’une séquence médiatique et politique récente permet de tirer d’intéressantes conclusions quant aux contextes académiques des différentes nations. Aux États-Unis, l’émergence des études noires comme champ d’étude autonome fut un effet de bord des mouvements des années 1960 et 1970 où les étudiants de couleur eux-mêmes, par les moyens de la grève et de l’activisme, exigèrent la création de nouvelles disciplines. Au Royaume-Uni, l’Université de Birmingham City a ouvert à la rentrée 2017 le premier cursus en études noires du pays, et d’autres universités britanniques semblent s’orienter dans la même direction. Dans ce panorama, la France apparaît comme le pays où une certaine classe médiatique a mené campagne contre les études sur la race avec le plus d’entêtement et d’opiniâtreté, mais également celui où ces recherches sont le plus significativement sous-développées. C’est dire si leur potentiel apparaît explosif et menaçant aux yeux des garants du statu quo. En février 2021, le Musée du Quai Branly – Jacques Chirac a accueilli une série de conférences (en ligne, à la faveur de la pandémie de COVID-19) intitulées « Préliminaires pour un Institut des études noires ». Le signe est encourageant, bien qu’il y ait à craindre que, si d’aventure le projet aboutissait, une approche plus consensuelle que celle qui présida à la création de la discipline outre-Atlantique et outre-Manche risquerait d’être privilégiée.

      L’absence des études noires dans l’espace public français et son revers, la sclérose de logiques disciplinaires restreintes et routinières, est sans doute en partie responsable de la teneur des débats sur le « décolonialisme ». Malgré l’intensité des attaques répétées menées contre les chercheurs, ces derniers préfèrent souvent demeurer sur la défensive, s’abritant derrière leurs titres et leur discipline pour asseoir leur légitimité. Il n’est pas certain que ce terrain leur soit le plus favorable. En mai 2021, la sociologue Nathalie Heinich faisait paraître un bref pamphlet dénonçant l’alliance, à ses yeux contre-nature, de l’activisme et du travail universitaire. Elle y prend fait et cause pour une neutralité qui, à ses yeux, « consiste à s’abstenir de jugements sur les objets relevant de valeurs morales, religieuses ou politiques – ce qui autorise bien sûr l’expression de jugements proprement épistémiques sur les concepts, les méthodes, les travaux des pairs (et notamment leur respect ou non de l’impératif de neutralité axiologique) [12] ». Dès lors, tout discours qui relèvera de la politique, de la morale ou de la religion sera subsumé sous la catégorie de « l’opinion » et deviendra indésirable dans la parole universitaire.

      Heinich fait comme si ces jugements de valeur étaient nécessairement arbitraires ou hasardeux et ne pouvaient pas, au contraire, être le fruit d’une série d’arguments, de preuves et d’expériences partagées, soumis à la sagacité du « public qui lit ». La démocratie américaine, le projet communiste, le nationalisme noir ou le féminisme ne sont pas de simples opinions. Elles prétendent à la vérité sur la base d’arguments rationnels et de vécus communs. En limitant le jugement sociologique à la détection des manquements à la neutralité axiologique, Heinich formule l’idéal d’une science sociale de petits procéduriers, en quête perpétuelle du vice de forme, mais sans avocat capable de plaider sur le fond. C’est ce que le philosophe jamaïcain Lewis Gordon a qualifié de « décadence disciplinaire [13] » : la discipline universitaire n’est plus une façon d’accéder à un jugement sur le monde informé, argumenté, et donc plausible, mais devient un système autoréférentiel et fermé qui se contente de décerner des certificats de réussite ou de détecter des manquements à des critères qui ne valent que pour ses praticiens [14]. Si l’intégrité des sciences expérimentales dépend de cette indépendance, il n’en va pas de même des sciences de la culture qui, écrites en langage ordinaire et portant sur des objets d’intérêt public, sont condamnées au dialogue interdisciplinaire et avec l’espace public. Déplorant le manque d’originalité, la médiocrité et l’absence de toute « autonomie de la science [15] » depuis son calfeutrage disciplinaire, Heinich définit un idéal théorique déjà moqué par l’historien des sciences Georges Canguilhem voilà plus d’un demi-siècle : « savoir pour savoir ce n’est guère plus sensé que manger pour manger, ou tuer pour tuer, ou rire pour rire, puisque c’est à la fois l’aveu que le savoir doit avoir un sens et le refus de lui trouver un autre sens que lui-même [16]. »

      Pour des études noires sans compromis

      Norman Ajari
      paru dans lundimatin#321, le 10 janvier 2022
      Appel à dons

      Les 7 et 8 janvier, se tenait à la Sorbonne un colloque intitulé Après la déconstruction. Reconstruire les sciences et la culture. Introduit par Jean-Michel Blanquer himself, un parterre d’universitaires réactionnaires s’y est retrouvé pour disserter de la lourde menace que ferait peser la recherche critique sur la bonne moralité de ses étudiants. La sulfureuse question du « wokisme » y a d’ailleurs été évoquée frontalement. Si scientifiquement les interventions semblent avoir été à la hauteur de toutes les attentes, le caniveaux, l’audace et la vulgarité de l’opération n’en sont pas moins significatives. Comme on ne rit jamais très longtemps de pareille déchéance, nous publions en guise de réponse indirecte, l’introduction de Noirceur le dernier livre de Norman Ajari qui paraît à point nommé le 14 janvier prochains aux Éditions Divergences. Il y est précisément question du spectre qui hante certaines têtes blanches ou chauves.

      Un spectre hante l’université occidentale : le spectre de la Critical Race Theory (CRT). Politiques et éditorialistes de la vieille Europe et du Nouveau Monde se sont unis en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : le Président Trump et le Président Macron, Fox News et Libération, les républicains de France et les conservateurs de Grande-Bretagne. Partout, la Théorie Critique de la Race est déclarée ennemie publique, corruptrice de la jeunesse et traîtresse à la science. Nous assistons, dans une partie grandissante du monde occidental, à une attaque, concertée et sans relâche, contre les universitaires menant des recherches sur la question raciale.
      LA THÉORIE CRITIQUE DE LA RACE COMME ENNEMIE PUBLIQUE

      C’est aux États-Unis que la réaction fut la plus spectaculaire : le 4 septembre 2020, le directeur du Bureau de la gestion et du budget états-unien, Russell Vought, émettait un mémorandum vilipendant des formations centrées sur la question raciale supposées inviter les fonctionnaires à « croire à une propagande anti-américaine qui crée la division [1]

      [1] Russell Vought, « M-20-34 », 2020, www.whitehouse....
       ». À l’issue du mandat du Président Donald Trump, ce juriste conservateur a fondé le Center for Renewing America, un think tank dont le principal objectif consiste à « combattre la philosophie radicale, enracinée dans le marxisme, connue sous le nom de Théorie Critique de la Race », arguant que « là où Karl Marx divisait la société entre la bourgeoisie capitaliste et le prolétariat opprimé, les adhérents de la Théorie Critique de la Race ont substitué la race aux distinctions économiques de Marx ». L’enjeu est dès lors d’empêcher la « corruption des enfants et des futures générations par la haine d’eux-mêmes et de leurs concitoyens [2]

      [2] Center For Renewing America, www.americarenewing....
       » que ces recherches promouvraient.

      Mais avant d’être contraint par les urnes de se retrancher dans l’activisme de la société civile, Vought était parvenu à convaincre le chef de l’État du bien-fondé de sa croisade. Le 22 septembre 2020, le Président Trump émettait un executive order, c’est-à-dire un décret présidentiel, interdisant à tous les prestataires de service sous contrat avec le gouvernement de mener des formations portant sur les questions de race et de sexe. Il entendait ainsi combattre un discours offensant et anti-américain qui crée des stéréotypes de race et de sexe et des boucs émissaires [3]

      [3] Presidential Documents, « Combatting Sex and Race...
       ». Or, comme c’est souvent le cas en Amérique du Nord, la vigilance religieuse avait anticipé et donné sa direction à l’action politique. C’est en effet dès 2019, au terme de son congrès annuel, que la Southern Baptist Convention avait émis une condamnation plus mesurée, mais toutefois ferme, de la Théorie Critique de la Race. Face à certaines résistances dans ses rangs, notamment du côté des pasteurs et des fidèles africains-américains, la plus importante congrégation protestante des États-Unis n’a depuis cessé de durcir ses positions sur le sujet.

      En mars 2021, quelques mois après sa prise de fonction, le Président Joe Biden prenait le parti d’annuler l’executive order de son prédécesseur, mais la définition de la CRT comme une intolérable corruption de la jeunesse s’était déjà imposée comme un thème central du discours conservateur états-unien. En Caroline du Nord, en Idaho ou encore à Rhode Island, les gouverneurs républicains ont pris des mesures pour bannir la Théorie Critique de la Race des cursus des institutions d’enseignement public. « Le niveau fédéral n’est pas en reste. En mai [2021], une trentaine d’élus républicains de la Chambre des représentants ont présenté un projet de loi, explicitement intitulé Stop CRT Act, visant à bannir les formations “à l’égalité raciale et à la diversité” dispensées aux employés fédéraux [4]

      [4] Stéphanie Le Bars, « La “critical race theory”, nouvel...
      . » Dans une nation qui a placé la garantie de la liberté d’expression au seuil de son texte le plus sacré, c’est-à-dire au cœur du premier article du Bill of Rights, ces restrictions exigeaient le déploiement d’une rhétorique d’exception : la CRT s’est ainsi vue assimilée à un discours totalitaire [5]

      [5] Arnold Kling, « The decentralized totalitarianism of...
      , ce qui faisait pour ainsi dire de son exclusion de l’espace public une affaire de sécurité publique.

      En octobre 2020, un mois après l’émission de l’executive order de Trump, les conservateurs britanniques s’emparent de son discours. La sous-secrétaire d’État parlementaire déléguée à l’égalité, Kemi Badenoch, affirme au terme d’un débat portant sur le mois de l’histoire des Noirs : « Toute école qui enseigne les éléments de la Théorie Critique de la Race ou qui promeut des vues politiques partisanes, telles que cesser de financer la police, sans offrir un traitement équilibré des vues opposées, est hors-la-loi [6]

      [6] Daniel Trilling, « Why is the UK government suddenly...
      . » Aux États-Unis où elle est née, bien qu’elle soit loin d’être aussi omniprésente que ne le laissent entendre le nombre et l’éminence de ses détracteurs, la CRT est ancrée dans le paysage académique. J’ai moi-même été recruté en 2019 par le département de philosophie de Villanova University pour occuper un poste d’Assistant Professor en Critical Race Theory. En Grande-Bretagne, en revanche, la discipline est plus marginale bien que, comme le souligne le sociologue de l’éducation Paul Warmington, le Royaume-Uni possède une solide tradition d’intellectuels noirs dont l’héritage entre facilement en résonance avec le projet de la CRT. Dans un élan panafricain, il souhaite que la rencontre de l’école américaine et de l’école britannique féconde une nouvelle génération d’intellectuels publics noirs [7]

      [7] Paul Warmington, « “A tradition in ceaseless motion” :...
      . Or c’est certainement cet avènement que les avertissements du gouvernement conservateur cherchent à dissuader en recourant aux frappes préventives de Kemi Badenoch, à l’heure où la révolte suscitée par le meurtre de George Floyd a embrasé l’opinion publique noire anglaise, conduisant des dizaines de milliers de manifestants dans les rues.

      En France, les assauts contre les études sur la race se sont développés selon leurs propres termes, et n’ont pas attendu les mesures de Trump pour gagner une place considérable dans la presse – bien que la solidarité conservatrice internationale ait indéniablement conforté cette hostilité, dès l’instant où Donald Trump et Boris Johnson apparurent comme soutiens opportuns. En janvier 2018, le mensuel d’extrême-droite Causeur fait paraître un dossier intitulé « Toulouse 2, la fac colonisée par les indigénistes ». « Indigénisme » désigne, dans le patois médiatique français, la doctrine politique de l’organisation antiraciste radicale des Indigènes de la République ; ce sera dès lors l’un des noms de code d’une CRT à la française, au côté d’autres néologismes dépréciatifs tels que « décolonialisme » ou « racialisme ». Il n’est pas certain que le texte de Causeur soit véritablement le premier du genre, mais j’en conserve un souvenir net car j’étais alors Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche en philosophie à l’Université de Toulouse, qui est mon Alma Mater, et que l’article me désignait comme l’un des « colonisateurs » de la fac. L’agenda politique suprémaciste blanc du magazine ne laissait guère de place au doute. Il suffisait pour s’en convaincre de se pencher sur le contenu comiquement raciste d’un autre article de la même auteure, dans le même numéro du même mensuel : « C’est un cliché mais c’est vrai : la culture africaine ne connaît pas l’individu. Le groupe seul existe, qui structure l’identité de chacun. Il est alors cohérent que la philosophie qui apprend à “penser par soi-même” soit vue comme une menace [8]

      [8] Anne-Sophie Nogaret, « La hallalisation des esprits »,...
      . » Voyant, effarée, le département de philosophie de l’Université de Toulouse déployer colloques, journées d’études et cours où Africains et Afrodescendants se faisaient fort de penser par eux-mêmes, le premier réflexe de la journaliste fut d’exiger l’interdiction de ce qu’elle croyait impossible. C’était bien elle qui tenait l’acte même de penser, et notamment celui des Noirs, pour une menace. Là où elle se trouve dans la vie de l’esprit, fort heureusement, elle est en sécurité.

      À la fin de l’année 2018, l’effroi face aux études sur la race avaient contaminé la presse de la droite traditionnelle, la presse centriste et la presse de gauche. Une tribune fortement médiatisée intitulée « Le “décolonialisme”, une stratégie hégémonique : l’appel de 80 intellectuels » paraît fin novembre dans l’hebdomadaire conservateur Le Point. Il est à cet égard amusant de constater que, si le terme « décolonialisme » est placé entre guillemets comme s’il s’agissait d’une citation, il est fort peu usité par les chercheurs et militants francophones, lesquels privilégient « décolonial », comme adjectif aussi bien que comme substantif. La même semaine, l’hebdomadaire de centre-gauche L’Obs, publiait une enquête titrée « Les “décoloniaux” à l’assaut des universités ». En décembre 2018, dans Libération, quotidien réputé de gauche, l’influent éditorialiste Laurent Joffrin signait un éditorial intitulé « La gauche racialiste ». L’extrême-droite et la gauche convergent de plus en plus visiblement dans la détestation des réflexions sur la question raciale. Au cours des années suivantes, « enquêtes » et éditoriaux de ce genre sont devenus un marronnier, pour ne pas dire un genre littéraire à part entière de la presse française. Fatalement, ce discours de plus en plus omniprésent finit par contaminer le pouvoir exécutif. Dès juin 2020, le président Macron déclarait au Monde ses griefs à l’égard d’universitaires français coupables de « casser la République en deux [9]

      [9] Irène Ahmadi, « Macron juge le “monde universitaire...
       ». L’effet-Trump s’est fait sentir en février 2021, lorsque la Ministre chargée de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal joua son va-tout, annonçant son projet de commanditer une enquête au sujet de « l’islamo-gauchisme » au sein de l’université française, déplorant une énigmatique alliance intellectuelle du président Mao et de l’ayatollah Khomeiny dans les esprits des savants français.

      Ce livre porte sur les tendances pessimistes de la théorie africaine-américaine contemporaine. Force est de constater que l’aspect du discours universitaire sur la race qui génère le rejet le plus franc et le plus radical dans la presse et la parole politique, au point de susciter ces velléités d’interdiction, tient précisément à son pessimisme. Comme l’exprime le révérend Michael Wilhite, membre de la Southern Baptist Convention dans l’Indiana : « C’est simplement à l’opposé des évangiles. Dans la Théorie Critique de la Race, il n’y a pas d’espoir. Si vous êtes blanc, vous êtes automatiquement raciste à cause de la suprématie blanche. Mais dans les évangiles, il y a de l’espoir [10]

      [10] Propos rapportés dans : Chris Moody, « How Critical...
      . » Le décret présidentiel de Trump comme les formulations choisies par les différents États américains pour légitimer leur censure partagent la même philosophie : il s’agit toujours de conjurer l’idée selon laquelle les institutions étatiques américaines ou les personnes blanches seraient intrinsèquement enclines au racisme. De même, journalistes, éditorialistes et politiciens français refusent qu’une partie de l’opinion tienne simplement la République pour un projet dénué de perspective d’avenir pour les minorités. Fondamentalement, les conclusions des principaux auteurs de la CRT sont porteuses de désillusion, de désaffection, voire d’hostilité à l’égard de la démocratie libérale et de l’État. Comme l’explique l’un de ses principaux spécialistes contemporains, le philosophe africain-américain Tommy Curry :

      Les Blancs sont sidérés d’apprendre que les chercheurs noirs qui ont bâti la Théorie Critique de la Race ne souscrivent pas aux promesses de la démocratie occidentale, ni aux illusions selon lesquelles l’égalité raciale serait possible au sein des sociétés démocratiques blanches. Depuis le XIXe siècle, les chercheurs noirs ont insisté sur la permanence du racisme blanc aux États-Unis comme dans d’autres empires blancs. Contrairement aux représentations universitaires de figures noires américaines pleines d’espoir et investies dans l’expérience démocratique américaine, de nombreux penseurs noirs ont insisté sur la négrophobie qui souille perpétuellement les Noirs américains. Au cours des années 1800, les figures historiques noires ont associé la libération des leurs à la révolution (haïtienne), non à l’incorporation au sein des États-Unis. En Amérique et en Europe, l’idéal libéral démocratique dicte que le « problème racial » entre Noirs et Blancs, s’il demeure, conduit lentement les populations blanches vers davantage de conscience sociale et de compréhension raciale. Cet optimisme à l’égard du racisme anti-Noirs, ou de la myriade d’antipathies assimilant noirceur et africanité à l’infériorité, la sauvagerie et l’indignité dépend en dernière instance de la capacité des démocraties blanches à gérer la colère et la contestation des populations américaines et européennes noires lorsqu’elles comparent leur mortalité, leurs préjudices et leur pauvreté à la citoyenneté blanche [11]

      [11] Tommy J. Curry, « Racism and the equality delusion :...
      .

      Il s’agit donc, pour les ennemis de la CRT ou de la pensée décoloniale, d’enrayer la pérennisation de ce pessimisme pro-Noir qui tient l’État et la société civile blanche pour des institutions intrinsèquement injustes. Les discours officiels décrivent les Républiques américaine et française, ainsi que le Royaume-Uni, comme perpétuellement mus par la réforme et le progrès en faveur des minorités. Nous sommes invités à croire que l’esclavage, le colonialisme, l’impérialisme ou la ségrégation sont de l’histoire ancienne – non qu’ils se sont métamorphosés pour maintenir l’inégalité dans sa structure. Il s’agit donc, pour les gouvernements, de marginaliser les théories qui élaborent des outils pour comprendre l’optimisme étatique comme visant à perpétuer servitude et aliénation sous la bannière de la démocratie. Disons, en détournant une formule célèbre du Sud-Africain Steve Biko, que l’arme la plus puissante entre les mains de l’oppresseur est devenu l’espoir de l’opprimé. Il permet d’absorber jusqu’aux critiques du racisme structurel ou du racisme d’État, en interprétant ces derniers comme des étapes, des moments passagers, qui appellent la patience réformiste davantage que l’intervention radicale. Or c’est en désespérant du maître, du colon ou de l’exploiteur que l’on retrouve confiance en sa propre dignité et en ses propres forces. La crainte que les trois grandes nations impériales ont en partage réside dans la possibilité que les Noirs, et les autres personnes de couleur, cessent de les concevoir comme des lieux de progrès vers la justice, l’égalité et la tolérance, mais en viennent au contraire à les reconnaître comme des ordres étatiques fondamentalement définis par la déshumanisation raciste.
      ACTIVISME ET THÉORIE

      Ce bilan international d’une séquence médiatique et politique récente permet de tirer d’intéressantes conclusions quant aux contextes académiques des différentes nations. Aux États-Unis, l’émergence des études noires comme champ d’étude autonome fut un effet de bord des mouvements des années 1960 et 1970 où les étudiants de couleur eux-mêmes, par les moyens de la grève et de l’activisme, exigèrent la création de nouvelles disciplines. Au Royaume-Uni, l’Université de Birmingham City a ouvert à la rentrée 2017 le premier cursus en études noires du pays, et d’autres universités britanniques semblent s’orienter dans la même direction. Dans ce panorama, la France apparaît comme le pays où une certaine classe médiatique a mené campagne contre les études sur la race avec le plus d’entêtement et d’opiniâtreté, mais également celui où ces recherches sont le plus significativement sous-développées. C’est dire si leur potentiel apparaît explosif et menaçant aux yeux des garants du statu quo. En février 2021, le Musée du Quai Branly – Jacques Chirac a accueilli une série de conférences (en ligne, à la faveur de la pandémie de COVID-19) intitulées « Préliminaires pour un Institut des études noires ». Le signe est encourageant, bien qu’il y ait à craindre que, si d’aventure le projet aboutissait, une approche plus consensuelle que celle qui présida à la création de la discipline outre-Atlantique et outre-Manche risquerait d’être privilégiée.

      L’absence des études noires dans l’espace public français et son revers, la sclérose de logiques disciplinaires restreintes et routinières, est sans doute en partie responsable de la teneur des débats sur le « décolonialisme ». Malgré l’intensité des attaques répétées menées contre les chercheurs, ces derniers préfèrent souvent demeurer sur la défensive, s’abritant derrière leurs titres et leur discipline pour asseoir leur légitimité. Il n’est pas certain que ce terrain leur soit le plus favorable. En mai 2021, la sociologue Nathalie Heinich faisait paraître un bref pamphlet dénonçant l’alliance, à ses yeux contre-nature, de l’activisme et du travail universitaire. Elle y prend fait et cause pour une neutralité qui, à ses yeux, « consiste à s’abstenir de jugements sur les objets relevant de valeurs morales, religieuses ou politiques – ce qui autorise bien sûr l’expression de jugements proprement épistémiques sur les concepts, les méthodes, les travaux des pairs (et notamment leur respect ou non de l’impératif de neutralité axiologique) [12]

      [12] Nathalie Heinich, Ce que le militantisme fait à la...
       ». Dès lors, tout discours qui relèvera de la politique, de la morale ou de la religion sera subsumé sous la catégorie de « l’opinion » et deviendra indésirable dans la parole universitaire.

      Heinich fait comme si ces jugements de valeur étaient nécessairement arbitraires ou hasardeux et ne pouvaient pas, au contraire, être le fruit d’une série d’arguments, de preuves et d’expériences partagées, soumis à la sagacité du « public qui lit ». La démocratie américaine, le projet communiste, le nationalisme noir ou le féminisme ne sont pas de simples opinions. Elles prétendent à la vérité sur la base d’arguments rationnels et de vécus communs. En limitant le jugement sociologique à la détection des manquements à la neutralité axiologique, Heinich formule l’idéal d’une science sociale de petits procéduriers, en quête perpétuelle du vice de forme, mais sans avocat capable de plaider sur le fond. C’est ce que le philosophe jamaïcain Lewis Gordon a qualifié de « décadence disciplinaire [13]

      [13] Lewis R. Gordon, Disciplinary decadence. Living...
       » : la discipline universitaire n’est plus une façon d’accéder à un jugement sur le monde informé, argumenté, et donc plausible, mais devient un système autoréférentiel et fermé qui se contente de décerner des certificats de réussite ou de détecter des manquements à des critères qui ne valent que pour ses praticiens [14]

      [14] Heinich s’alarme que l’université française finance...
      . Si l’intégrité des sciences expérimentales dépend de cette indépendance, il n’en va pas de même des sciences de la culture qui, écrites en langage ordinaire et portant sur des objets d’intérêt public, sont condamnées au dialogue interdisciplinaire et avec l’espace public. Déplorant le manque d’originalité, la médiocrité et l’absence de toute « autonomie de la science [15]

      [15] Nathalie Heinich, Ce que le militantisme fait à la...
       » depuis son calfeutrage disciplinaire, Heinich définit un idéal théorique déjà moqué par l’historien des sciences Georges Canguilhem voilà plus d’un demi-siècle : « savoir pour savoir ce n’est guère plus sensé que manger pour manger, ou tuer pour tuer, ou rire pour rire, puisque c’est à la fois l’aveu que le savoir doit avoir un sens et le refus de lui trouver un autre sens que lui-même [16]. »

      L’absence des études noires en France et l’assurance avec laquelle Nathalie Heinich déploie son argumentaire erroné sont deux symptômes d’un mal plus profond : le retrait de la perspective issue des théories critiques, c’est-à-dire le primat de la méthode sur la légitimité des valeurs mobilisées pour évaluer le monde aussi bien que la théorie. Le véritable défaut des « studies » à la française, que Heinich attaque sans relâche dans son opuscule, est précisément de demeurer trop tributaires de la sclérose des sciences sociales françaises et de n’avoir pas franchement embrassé une méthode critique. Dans un texte fameux 1937, le philosophe allemand Max Horkheimer opposait ce qu’il nommait la théorie traditionnelle à la théorie critique d’inspiration marxiste dont il entendait poser les bases. La théorie traditionnelle se pense neutre, détachée des enjeux sociaux et politiques, des prises de parti et des jugements quant à l’ordre du monde. Mais c’est oublier que, comme le souligne Horkheimer, « le fait que […] des opinions nouvelles parviennent à s’imposer s’inscrit toujours dans le contexte d’une situation historique concrète, même si le savant n’est personnellement déterminé que par des motivations scientifiques [17]. » La posture non-militante revendiquée par certains chercheurs présuppose une approbation des conditions sociales de production de la recherche et de ses buts. Considérer que dans la recherche en sciences humaines et sociales, « une fois franchi le seuil des amphithéâtres, une fois soumis à une revue scientifique à expertise par les pairs, un enseignement ou un article devrait s’affranchir de toute visée politique ou morale au profit de la seule visée épistémique [18] », revient à tenir le contexte social de production de ces travaux pour pleinement satisfaisant. Dans son concept même, la « neutralité » de la théorie « non-militante » ou traditionnelle est un militantisme radical en faveur de l’ordre du monde actuel. C’est pourquoi la méthodologie, foncièrement inoffensive pour l’ordre du monde, a remplacé la théorie. Dans un texte classique du mouvement, le théoricien critique de la race et professeur de droit Richard Delgado arrivait à des conclusions similaires à l’occasion d’une réflexion sur la marginalisation des auteurs noirs au sein de la recherche nord-américaine sur les droits civiques : "Il pourrait être avancé que les auteurs issus des minorités qui écrivent sur la question raciale ne sont pas objectifs et que la passion et la colère les rendent inaptes à la raison ou à une expression claire, alors que les auteurs blancs sont au-dessus des intérêts personnels et se rendent ainsi capables de penser et d’écrire objectivement. Cela n’est cependant pas crédible, car cela présuppose que les auteurs blancs n’ont aucun intérêt au maintien du statu quo [19]."

      Dans le débat français, le rapport entre pratique universitaire et militantisme est surtout défini comme néfaste lorsqu’il est le fait des théoriciens critiques de la race ou des « décoloniaux ». Le fameux « appel des 80 intellectuels » mentionné plus haut est emblématique de ce biais. Il combine deux lignes argumentatives. D’une part, la dénonciation de chercheurs militants qui tentent de « faire passer leur idéologie pour vérité scientifique », et le rappel à l’ordre des universitaires : « Les critères élémentaires de scientificité doivent être respectés. »

      Mais, dans le même temps, les 80 dénoncent des intellectuels décoloniaux qui « attaquent frontalement l’universalisme républicain » et affirment que les « autorités et les institutions […] ne doivent plus être utilisées contre la République [20] ». Le problème auquel nous sommes confrontés est que ce bizarre attelage, où une critique prétendument intransigeante des idéologies se combine à une défense enamourée de l’idéologie républicaine n’est pas un paradoxe. Il procède moins d’une faute d’inattention quelque part au milieu d’une tribune rédigée à la hâte que de la structure même du champ intellectuel français. L’historien Claude Nicolet fait remonter cette attitude à la fin du XVIIIe siècle, avec le philosophe Antoine Destutt de Tracy et sa Société des Idéologues, pour lesquels « la pensée républicaine française se présente aussi comme une philosophie de la connaissance [21] ». En d’autres termes, il n’y a dans l’esprit des intellectuels français pas de contradiction entre l’exaltation de la République et une prétention scientifique héritée du positivisme d’Auguste Comte. Bien au contraire : le républicanisme est redéfini, non plus comme une forme institutionnelle parmi d’autres, mais comme la condition de possibilité même de la rationalité et de la science positive.

      Les sociologues, critiques littéraires, politistes, philosophes ou linguistes qui répondent aux assauts conservateurs en arguant de leur rigueur méthodologique et de l’autonomie de leur discipline se méprennent donc : aux yeux de ces adversaires, leur scientificité ne sera avérée que lorsqu’ils feront leur une apologie sans nuance de la République française, conçue comme l’unique paradis possible pour la recherche de la vérité. Revendiquer la fondation d’études noires dans ce contexte revient à interrompre cette perpétuelle glorification de la République au profit d’un véritable pluralisme, décliné en deux conditions sine qua non. Premièrement, un pluralisme des usages de la raison, qui ne sauraient se limiter à la neutralité prônée par Nathalie Heinich et ses semblables. Des théories critiques fondées sur des usages dialectiques, discursifs, et non simplement « scientifiques » de la raison sont indispensables au renouvellement méthodologique d’un système universitaire encore guidé par les idéaux positivistes du XIXe siècle qui se sont heurtés au mur de l’histoire sans que leur échec ne trouble la routine de tous les chercheurs français. Deuxièmement, il faudra encourager un pluralisme des normes éthiques et des idéaux sociaux à partir desquels nous évaluons la réalité. Dans les démocraties libérales même les plus hostiles aux minorités, les universités ont souvent ménagé quelques lieux d’expression de la dissension. Si elle se veut fidèle à sa promesse millénaire, elle doit être l’un des lieux où envisager un idéal politique non républicain, fondé sur une autre trajectoire historique et une autre normativité politique.

      Du fait de son traditionalisme épistémologique, mais surtout de son opposition au mariage gay [22], Nathalie Heinich est généralement considérée comme une intellectuelle conservatrice. Toutefois, la méfiance vis-à-vis d’une possible émergence en France des études sur la race ou des études noires est disciplinaire au moins autant qu’elle est politique. Ainsi un sociologue se revendiquant pour sa part d’une gauche sans adjuvant, Philippe Corcuff, diagnostique-t-il lui aussi une sorte de déviation militante – et ce plus précisément au sein de mon propre travail. Contrairement à Heinich, il ne s’attaque pas au militantisme universitaire « en soi », mais plutôt à une façon spécifique de l’interpréter. Ainsi déplore-t-il la convergence de « l’arrogance philosophique vis-à-vis de sciences sociales rapetissées » et du « désir du militant [23] » dont mon premier livre, La Dignité ou la Mort, offrirait le désolant spectacle. Or il me semble au contraire regrettable que cette convergence ne soit pas réalisée de façon plus systématique. L’alliance de la synthèse philosophique et de l’analyse stratégique militante telle qu’elle s’est largement scellée au cours des XIXe et XXe siècle chez Marx, Lénine, Antonio Gramsci, Mao, Kwame Nkrumah, Frantz Fanon, Angela Davis, parmi beaucoup d’autres, a produit des effets qui ont changé la face du monde. Chacun à sa façon a milité en philosophe et philosophé en militant. Au-delà de leurs considérables différences, ces auteurs partagent au moins un point commun significatif : sinon une même vision de l’histoire, une même notion de l’histoire, aujourd’hui délaissée par les sciences sociales et la théorie politique constructivistes dont Corcuff se fait le porte-parole.

      Les « philosophes-militants » ont longtemps défini l’histoire comme un massif dense et solide, une trajectoire apparemment inébranlable, face à laquelle il fallait rassembler tous les efforts stratégiques et organisationnels possibles. Face à un ordre du monde analysé comme une totalité hostile contre laquelle, pour reprendre une formule de Herbert Marcuse, ils durent recourir à « une faculté mentale en danger de disparition : le pouvoir de la pensée négative [24] ». Mais, sous l’influence conjuguée de Foucault, de la sociologie critique et du poststructuralisme [25], la pensée négative a été décrédibilisée et le concept d’histoire en est venu à signifier tout l’inverse. Ce qui est historique n’est plus le produit de forces expropriatrices, oppressives ou civilisationnelles puissantes et anciennes ; c’est au contraire ce qui aurait pu être absolument différent, le contingent. L’historicité d’une chose est devenue son caractère révocable, fluide, dénué de substance [26].

      Pour des études noires sans compromis

      Norman Ajari
      paru dans lundimatin#321, le 10 janvier 2022
      Appel à dons

      Les 7 et 8 janvier, se tenait à la Sorbonne un colloque intitulé Après la déconstruction. Reconstruire les sciences et la culture. Introduit par Jean-Michel Blanquer himself, un parterre d’universitaires réactionnaires s’y est retrouvé pour disserter de la lourde menace que ferait peser la recherche critique sur la bonne moralité de ses étudiants. La sulfureuse question du « wokisme » y a d’ailleurs été évoquée frontalement. Si scientifiquement les interventions semblent avoir été à la hauteur de toutes les attentes, le caniveaux, l’audace et la vulgarité de l’opération n’en sont pas moins significatives. Comme on ne rit jamais très longtemps de pareille déchéance, nous publions en guise de réponse indirecte, l’introduction de Noirceur le dernier livre de Norman Ajari qui paraît à point nommé le 14 janvier prochains aux Éditions Divergences. Il y est précisément question du spectre qui hante certaines têtes blanches ou chauves.

      Un spectre hante l’université occidentale : le spectre de la Critical Race Theory (CRT). Politiques et éditorialistes de la vieille Europe et du Nouveau Monde se sont unis en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : le Président Trump et le Président Macron, Fox News et Libération, les républicains de France et les conservateurs de Grande-Bretagne. Partout, la Théorie Critique de la Race est déclarée ennemie publique, corruptrice de la jeunesse et traîtresse à la science. Nous assistons, dans une partie grandissante du monde occidental, à une attaque, concertée et sans relâche, contre les universitaires menant des recherches sur la question raciale.

      LA THÉORIE CRITIQUE DE LA RACE COMME ENNEMIE PUBLIQUE

      C’est aux États-Unis que la réaction fut la plus spectaculaire : le 4 septembre 2020, le directeur du Bureau de la gestion et du budget états-unien, Russell Vought, émettait un mémorandum vilipendant des formations centrées sur la question raciale supposées inviter les fonctionnaires à « croire à une propagande anti-américaine qui crée la division [1] ». À l’issue du mandat du Président Donald Trump, ce juriste conservateur a fondé le Center for Renewing America, un think tank dont le principal objectif consiste à « combattre la philosophie radicale, enracinée dans le marxisme, connue sous le nom de Théorie Critique de la Race », arguant que « là où Karl Marx divisait la société entre la bourgeoisie capitaliste et le prolétariat opprimé, les adhérents de la Théorie Critique de la Race ont substitué la race aux distinctions économiques de Marx ». L’enjeu est dès lors d’empêcher la « corruption des enfants et des futures générations par la haine d’eux-mêmes et de leurs concitoyens [2] » que ces recherches promouvraient.

      Mais avant d’être contraint par les urnes de se retrancher dans l’activisme de la société civile, Vought était parvenu à convaincre le chef de l’État du bien-fondé de sa croisade. Le 22 septembre 2020, le Président Trump émettait un executive order, c’est-à-dire un décret présidentiel, interdisant à tous les prestataires de service sous contrat avec le gouvernement de mener des formations portant sur les questions de race et de sexe. Il entendait ainsi combattre un discours offensant et anti-américain qui crée des stéréotypes de race et de sexe et des boucs émissaires [3] ». Or, comme c’est souvent le cas en Amérique du Nord, la vigilance religieuse avait anticipé et donné sa direction à l’action politique. C’est en effet dès 2019, au terme de son congrès annuel, que la Southern Baptist Convention avait émis une condamnation plus mesurée, mais toutefois ferme, de la Théorie Critique de la Race. Face à certaines résistances dans ses rangs, notamment du côté des pasteurs et des fidèles africains-américains, la plus importante congrégation protestante des États-Unis n’a depuis cessé de durcir ses positions sur le sujet.

      En mars 2021, quelques mois après sa prise de fonction, le Président Joe Biden prenait le parti d’annuler l’executive order de son prédécesseur, mais la définition de la CRT comme une intolérable corruption de la jeunesse s’était déjà imposée comme un thème central du discours conservateur états-unien. En Caroline du Nord, en Idaho ou encore à Rhode Island, les gouverneurs républicains ont pris des mesures pour bannir la Théorie Critique de la Race des cursus des institutions d’enseignement public. « Le niveau fédéral n’est pas en reste. En mai [2021], une trentaine d’élus républicains de la Chambre des représentants ont présenté un projet de loi, explicitement intitulé Stop CRT Act, visant à bannir les formations “à l’égalité raciale et à la diversité” dispensées aux employés fédéraux [4]. » Dans une nation qui a placé la garantie de la liberté d’expression au seuil de son texte le plus sacré, c’est-à-dire au cœur du premier article du Bill of Rights, ces restrictions exigeaient le déploiement d’une rhétorique d’exception : la CRT s’est ainsi vue assimilée à un discours totalitaire [5], ce qui faisait pour ainsi dire de son exclusion de l’espace public une affaire de sécurité publique.

      En octobre 2020, un mois après l’émission de l’executive order de Trump, les conservateurs britanniques s’emparent de son discours. La sous-secrétaire d’État parlementaire déléguée à l’égalité, Kemi Badenoch, affirme au terme d’un débat portant sur le mois de l’histoire des Noirs : « Toute école qui enseigne les éléments de la Théorie Critique de la Race ou qui promeut des vues politiques partisanes, telles que cesser de financer la police, sans offrir un traitement équilibré des vues opposées, est hors-la-loi [6]. » Aux États-Unis où elle est née, bien qu’elle soit loin d’être aussi omniprésente que ne le laissent entendre le nombre et l’éminence de ses détracteurs, la CRT est ancrée dans le paysage académique. J’ai moi-même été recruté en 2019 par le département de philosophie de Villanova University pour occuper un poste d’Assistant Professor en Critical Race Theory. En Grande-Bretagne, en revanche, la discipline est plus marginale bien que, comme le souligne le sociologue de l’éducation Paul Warmington, le Royaume-Uni possède une solide tradition d’intellectuels noirs dont l’héritage entre facilement en résonance avec le projet de la CRT. Dans un élan panafricain, il souhaite que la rencontre de l’école américaine et de l’école britannique féconde une nouvelle génération d’intellectuels publics noirs [7]. Or c’est certainement cet avènement que les avertissements du gouvernement conservateur cherchent à dissuader en recourant aux frappes préventives de Kemi Badenoch, à l’heure où la révolte suscitée par le meurtre de George Floyd a embrasé l’opinion publique noire anglaise, conduisant des dizaines de milliers de manifestants dans les rues.

      En France, les assauts contre les études sur la race se sont développés selon leurs propres termes, et n’ont pas attendu les mesures de Trump pour gagner une place considérable dans la presse – bien que la solidarité conservatrice internationale ait indéniablement conforté cette hostilité, dès l’instant où Donald Trump et Boris Johnson apparurent comme soutiens opportuns. En janvier 2018, le mensuel d’extrême-droite Causeur fait paraître un dossier intitulé « Toulouse 2, la fac colonisée par les indigénistes ». « Indigénisme » désigne, dans le patois médiatique français, la doctrine politique de l’organisation antiraciste radicale des Indigènes de la République ; ce sera dès lors l’un des noms de code d’une CRT à la française, au côté d’autres néologismes dépréciatifs tels que « décolonialisme » ou « racialisme ». Il n’est pas certain que le texte de Causeur soit véritablement le premier du genre, mais j’en conserve un souvenir net car j’étais alors Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche en philosophie à l’Université de Toulouse, qui est mon Alma Mater, et que l’article me désignait comme l’un des « colonisateurs » de la fac. L’agenda politique suprémaciste blanc du magazine ne laissait guère de place au doute. Il suffisait pour s’en convaincre de se pencher sur le contenu comiquement raciste d’un autre article de la même auteure, dans le même numéro du même mensuel : « C’est un cliché mais c’est vrai : la culture africaine ne connaît pas l’individu. Le groupe seul existe, qui structure l’identité de chacun. Il est alors cohérent que la philosophie qui apprend à “penser par soi-même” soit vue comme une menace [8]. » Voyant, effarée, le département de philosophie de l’Université de Toulouse déployer colloques, journées d’études et cours où Africains et Afrodescendants se faisaient fort de penser par eux-mêmes, le premier réflexe de la journaliste fut d’exiger l’interdiction de ce qu’elle croyait impossible. C’était bien elle qui tenait l’acte même de penser, et notamment celui des Noirs, pour une menace. Là où elle se trouve dans la vie de l’esprit, fort heureusement, elle est en sécurité.

      À la fin de l’année 2018, l’effroi face aux études sur la race avaient contaminé la presse de la droite traditionnelle, la presse centriste et la presse de gauche. Une tribune fortement médiatisée intitulée « Le “décolonialisme”, une stratégie hégémonique : l’appel de 80 intellectuels » paraît fin novembre dans l’hebdomadaire conservateur Le Point. Il est à cet égard amusant de constater que, si le terme « décolonialisme » est placé entre guillemets comme s’il s’agissait d’une citation, il est fort peu usité par les chercheurs et militants francophones, lesquels privilégient « décolonial », comme adjectif aussi bien que comme substantif. La même semaine, l’hebdomadaire de centre-gauche L’Obs, publiait une enquête titrée « Les “décoloniaux” à l’assaut des universités ». En décembre 2018, dans Libération, quotidien réputé de gauche, l’influent éditorialiste Laurent Joffrin signait un éditorial intitulé « La gauche racialiste ». L’extrême-droite et la gauche convergent de plus en plus visiblement dans la détestation des réflexions sur la question raciale. Au cours des années suivantes, « enquêtes » et éditoriaux de ce genre sont devenus un marronnier, pour ne pas dire un genre littéraire à part entière de la presse française. Fatalement, ce discours de plus en plus omniprésent finit par contaminer le pouvoir exécutif. Dès juin 2020, le président Macron déclarait au Monde ses griefs à l’égard d’universitaires français coupables de « casser la République en deux [9] ». L’effet-Trump s’est fait sentir en février 2021, lorsque la Ministre chargée de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal joua son va-tout, annonçant son projet de commanditer une enquête au sujet de « l’islamo-gauchisme » au sein de l’université française, déplorant une énigmatique alliance intellectuelle du président Mao et de l’ayatollah Khomeiny dans les esprits des savants français.

      Ce livre porte sur les tendances pessimistes de la théorie africaine-américaine contemporaine. Force est de constater que l’aspect du discours universitaire sur la race qui génère le rejet le plus franc et le plus radical dans la presse et la parole politique, au point de susciter ces velléités d’interdiction, tient précisément à son pessimisme. Comme l’exprime le révérend Michael Wilhite, membre de la Southern Baptist Convention dans l’Indiana : « C’est simplement à l’opposé des évangiles. Dans la Théorie Critique de la Race, il n’y a pas d’espoir. Si vous êtes blanc, vous êtes automatiquement raciste à cause de la suprématie blanche. Mais dans les évangiles, il y a de l’espoir [10]. » Le décret présidentiel de Trump comme les formulations choisies par les différents États américains pour légitimer leur censure partagent la même philosophie : il s’agit toujours de conjurer l’idée selon laquelle les institutions étatiques américaines ou les personnes blanches seraient intrinsèquement enclines au racisme. De même, journalistes, éditorialistes et politiciens français refusent qu’une partie de l’opinion tienne simplement la République pour un projet dénué de perspective d’avenir pour les minorités. Fondamentalement, les conclusions des principaux auteurs de la CRT sont porteuses de désillusion, de désaffection, voire d’hostilité à l’égard de la démocratie libérale et de l’État. Comme l’explique l’un de ses principaux spécialistes contemporains, le philosophe africain-américain Tommy Curry :

      Les Blancs sont sidérés d’apprendre que les chercheurs noirs qui ont bâti la Théorie Critique de la Race ne souscrivent pas aux promesses de la démocratie occidentale, ni aux illusions selon lesquelles l’égalité raciale serait possible au sein des sociétés démocratiques blanches. Depuis le XIXe siècle, les chercheurs noirs ont insisté sur la permanence du racisme blanc aux États-Unis comme dans d’autres empires blancs. Contrairement aux représentations universitaires de figures noires américaines pleines d’espoir et investies dans l’expérience démocratique américaine, de nombreux penseurs noirs ont insisté sur la négrophobie qui souille perpétuellement les Noirs américains. Au cours des années 1800, les figures historiques noires ont associé la libération des leurs à la révolution (haïtienne), non à l’incorporation au sein des États-Unis. En Amérique et en Europe, l’idéal libéral démocratique dicte que le « problème racial » entre Noirs et Blancs, s’il demeure, conduit lentement les populations blanches vers davantage de conscience sociale et de compréhension raciale. Cet optimisme à l’égard du racisme anti-Noirs, ou de la myriade d’antipathies assimilant noirceur et africanité à l’infériorité, la sauvagerie et l’indignité dépend en dernière instance de la capacité des démocraties blanches à gérer la colère et la contestation des populations américaines et européennes noires lorsqu’elles comparent leur mortalité, leurs préjudices et leur pauvreté à la citoyenneté blanche [11]. .

      Il s’agit donc, pour les ennemis de la CRT ou de la pensée décoloniale, d’enrayer la pérennisation de ce pessimisme pro-Noir qui tient l’État et la société civile blanche pour des institutions intrinsèquement injustes. Les discours officiels décrivent les Républiques américaine et française, ainsi que le Royaume-Uni, comme perpétuellement mus par la réforme et le progrès en faveur des minorités. Nous sommes invités à croire que l’esclavage, le colonialisme, l’impérialisme ou la ségrégation sont de l’histoire ancienne – non qu’ils se sont métamorphosés pour maintenir l’inégalité dans sa structure. Il s’agit donc, pour les gouvernements, de marginaliser les théories qui élaborent des outils pour comprendre l’optimisme étatique comme visant à perpétuer servitude et aliénation sous la bannière de la démocratie. Disons, en détournant une formule célèbre du Sud-Africain Steve Biko, que l’arme la plus puissante entre les mains de l’oppresseur est devenu l’espoir de l’opprimé. Il permet d’absorber jusqu’aux critiques du racisme structurel ou du racisme d’État, en interprétant ces derniers comme des étapes, des moments passagers, qui appellent la patience réformiste davantage que l’intervention radicale. Or c’est en désespérant du maître, du colon ou de l’exploiteur que l’on retrouve confiance en sa propre dignité et en ses propres forces. La crainte que les trois grandes nations impériales ont en partage réside dans la possibilité que les Noirs, et les autres personnes de couleur, cessent de les concevoir comme des lieux de progrès vers la justice, l’égalité et la tolérance, mais en viennent au contraire à les reconnaître comme des ordres étatiques fondamentalement définis par la déshumanisation raciste.

      ACTIVISME ET THÉORIE

      Ce bilan international d’une séquence médiatique et politique récente permet de tirer d’intéressantes conclusions quant aux contextes académiques des différentes nations. Aux États-Unis, l’émergence des études noires comme champ d’étude autonome fut un effet de bord des mouvements des années 1960 et 1970 où les étudiants de couleur eux-mêmes, par les moyens de la grève et de l’activisme, exigèrent la création de nouvelles disciplines. Au Royaume-Uni, l’Université de Birmingham City a ouvert à la rentrée 2017 le premier cursus en études noires du pays, et d’autres universités britanniques semblent s’orienter dans la même direction. Dans ce panorama, la France apparaît comme le pays où une certaine classe médiatique a mené campagne contre les études sur la race avec le plus d’entêtement et d’opiniâtreté, mais également celui où ces recherches sont le plus significativement sous-développées. C’est dire si leur potentiel apparaît explosif et menaçant aux yeux des garants du statu quo. En février 2021, le Musée du Quai Branly – Jacques Chirac a accueilli une série de conférences (en ligne, à la faveur de la pandémie de COVID-19) intitulées « Préliminaires pour un Institut des études noires ». Le signe est encourageant, bien qu’il y ait à craindre que, si d’aventure le projet aboutissait, une approche plus consensuelle que celle qui présida à la création de la discipline outre-Atlantique et outre-Manche risquerait d’être privilégiée.

      L’absence des études noires dans l’espace public français et son revers, la sclérose de logiques disciplinaires restreintes et routinières, est sans doute en partie responsable de la teneur des débats sur le « décolonialisme ». Malgré l’intensité des attaques répétées menées contre les chercheurs, ces derniers préfèrent souvent demeurer sur la défensive, s’abritant derrière leurs titres et leur discipline pour asseoir leur légitimité. Il n’est pas certain que ce terrain leur soit le plus favorable. En mai 2021, la sociologue Nathalie Heinich faisait paraître un bref pamphlet dénonçant l’alliance, à ses yeux contre-nature, de l’activisme et du travail universitaire. Elle y prend fait et cause pour une neutralité qui, à ses yeux, « consiste à s’abstenir de jugements sur les objets relevant de valeurs morales, religieuses ou politiques – ce qui autorise bien sûr l’expression de jugements proprement épistémiques sur les concepts, les méthodes, les travaux des pairs (et notamment leur respect ou non de l’impératif de neutralité axiologique) [12] ». Dès lors, tout discours qui relèvera de la politique, de la morale ou de la religion sera subsumé sous la catégorie de « l’opinion » et deviendra indésirable dans la parole universitaire.

      Heinich fait comme si ces jugements de valeur étaient nécessairement arbitraires ou hasardeux et ne pouvaient pas, au contraire, être le fruit d’une série d’arguments, de preuves et d’expériences partagées, soumis à la sagacité du « public qui lit ». La démocratie américaine, le projet communiste, le nationalisme noir ou le féminisme ne sont pas de simples opinions. Elles prétendent à la vérité sur la base d’arguments rationnels et de vécus communs. En limitant le jugement sociologique à la détection des manquements à la neutralité axiologique, Heinich formule l’idéal d’une science sociale de petits procéduriers, en quête perpétuelle du vice de forme, mais sans avocat capable de plaider sur le fond. C’est ce que le philosophe jamaïcain Lewis Gordon a qualifié de « décadence disciplinaire [13] » : la discipline universitaire n’est plus une façon d’accéder à un jugement sur le monde informé, argumenté, et donc plausible, mais devient un système autoréférentiel et fermé qui se contente de décerner des certificats de réussite ou de détecter des manquements à des critères qui ne valent que pour ses praticiens [14]. Si l’intégrité des sciences expérimentales dépend de cette indépendance, il n’en va pas de même des sciences de la culture qui, écrites en langage ordinaire et portant sur des objets d’intérêt public, sont condamnées au dialogue interdisciplinaire et avec l’espace public. Déplorant le manque d’originalité, la médiocrité et l’absence de toute « autonomie de la science [15] » depuis son calfeutrage disciplinaire, Heinich définit un idéal théorique déjà moqué par l’historien des sciences Georges Canguilhem voilà plus d’un demi-siècle : « savoir pour savoir ce n’est guère plus sensé que manger pour manger, ou tuer pour tuer, ou rire pour rire, puisque c’est à la fois l’aveu que le savoir doit avoir un sens et le refus de lui trouver un autre sens que lui-même [16]. »

      L’absence des études noires en France et l’assurance avec laquelle Nathalie Heinich déploie son argumentaire erroné sont deux symptômes d’un mal plus profond : le retrait de la perspective issue des théories critiques, c’est-à-dire le primat de la méthode sur la légitimité des valeurs mobilisées pour évaluer le monde aussi bien que la théorie. Le véritable défaut des « studies » à la française, que Heinich attaque sans relâche dans son opuscule, est précisément de demeurer trop tributaires de la sclérose des sciences sociales françaises et de n’avoir pas franchement embrassé une méthode critique. Dans un texte fameux 1937, le philosophe allemand Max Horkheimer opposait ce qu’il nommait la théorie traditionnelle à la théorie critique d’inspiration marxiste dont il entendait poser les bases. La théorie traditionnelle se pense neutre, détachée des enjeux sociaux et politiques, des prises de parti et des jugements quant à l’ordre du monde. Mais c’est oublier que, comme le souligne Horkheimer, « le fait que […] des opinions nouvelles parviennent à s’imposer s’inscrit toujours dans le contexte d’une situation historique concrète, même si le savant n’est personnellement déterminé que par des motivations scientifiques [17] ». La posture non-militante revendiquée par certains chercheurs présuppose une approbation des conditions sociales de production de la recherche et de ses buts. Considérer que dans la recherche en sciences humaines et sociales, « une fois franchi le seuil des amphithéâtres, une fois soumis à une revue scientifique à expertise par les pairs, un enseignement ou un article devrait s’affranchir de toute visée politique ou morale au profit de la seule visée épistémique [18] », revient à tenir le contexte social de production de ces travaux pour pleinement satisfaisant. Dans son concept même, la « neutralité » de la théorie « non-militante » ou traditionnelle est un militantisme radical en faveur de l’ordre du monde actuel. C’est pourquoi la méthodologie, foncièrement inoffensive pour l’ordre du monde, a remplacé la théorie. Dans un texte classique du mouvement, le théoricien critique de la race et professeur de droit Richard Delgado arrivait à des conclusions similaires à l’occasion d’une réflexion sur la marginalisation des auteurs noirs au sein de la recherche nord-américaine sur les droits civiques :

      Il pourrait être avancé que les auteurs issus des minorités qui écrivent sur la question raciale ne sont pas objectifs et que la passion et la colère les rendent inaptes à la raison ou à une expression claire, alors que les auteurs blancs sont au-dessus des intérêts personnels et se rendent ainsi capables de penser et d’écrire objectivement. Cela n’est cependant pas crédible, car cela présuppose que les auteurs blancs n’ont aucun intérêt au maintien du statu quo [19].

      Dans le débat français, le rapport entre pratique universitaire et militantisme est surtout défini comme néfaste lorsqu’il est le fait des théoriciens critiques de la race ou des « décoloniaux ». Le fameux « appel des 80 intellectuels » mentionné plus haut est emblématique de ce biais. Il combine deux lignes argumentatives. D’une part, la dénonciation de chercheurs militants qui tentent de « faire passer leur idéologie pour vérité scientifique », et le rappel à l’ordre des universitaires : « Les critères élémentaires de scientificité doivent être respectés. »

      Mais, dans le même temps, les 80 dénoncent des intellectuels décoloniaux qui « attaquent frontalement l’universalisme républicain » et affirment que les « autorités et les institutions […] ne doivent plus être utilisées contre la République [20] ». Le problème auquel nous sommes confrontés est que ce bizarre attelage, où une critique prétendument intransigeante des idéologies se combine à une défense enamourée de l’idéologie républicaine n’est pas un paradoxe. Il procède moins d’une faute d’inattention quelque part au milieu d’une tribune rédigée à la hâte que de la structure même du champ intellectuel français. L’historien Claude Nicolet fait remonter cette attitude à la fin du XVIIIe siècle, avec le philosophe Antoine Destutt de Tracy et sa Société des Idéologues, pour lesquels « la pensée républicaine française se présente aussi comme une philosophie de la connaissance [21] ». En d’autres termes, il n’y a dans l’esprit des intellectuels français pas de contradiction entre l’exaltation de la République et une prétention scientifique héritée du positivisme d’Auguste Comte. Bien au contraire : le républicanisme est redéfini, non plus comme une forme institutionnelle parmi d’autres, mais comme la condition de possibilité même de la rationalité et de la science positive.

      Les sociologues, critiques littéraires, politistes, philosophes ou linguistes qui répondent aux assauts conservateurs en arguant de leur rigueur méthodologique et de l’autonomie de leur discipline se méprennent donc : aux yeux de ces adversaires, leur scientificité ne sera avérée que lorsqu’ils feront leur une apologie sans nuance de la République française, conçue comme l’unique paradis possible pour la recherche de la vérité. Revendiquer la fondation d’études noires dans ce contexte revient à interrompre cette perpétuelle glorification de la République au profit d’un véritable pluralisme, décliné en deux conditions sine qua non. Premièrement, un pluralisme des usages de la raison, qui ne sauraient se limiter à la neutralité prônée par Nathalie Heinich et ses semblables. Des théories critiques fondées sur des usages dialectiques, discursifs, et non simplement « scientifiques » de la raison sont indispensables au renouvellement méthodologique d’un système universitaire encore guidé par les idéaux positivistes du XIXe siècle qui se sont heurtés au mur de l’histoire sans que leur échec ne trouble la routine de tous les chercheurs français. Deuxièmement, il faudra encourager un pluralisme des normes éthiques et des idéaux sociaux à partir desquels nous évaluons la réalité. Dans les démocraties libérales même les plus hostiles aux minorités, les universités ont souvent ménagé quelques lieux d’expression de la dissension. Si elle se veut fidèle à sa promesse millénaire, elle doit être l’un des lieux où envisager un idéal politique non républicain, fondé sur une autre trajectoire historique et une autre normativité politique.

      Du fait de son traditionalisme épistémologique, mais surtout de son opposition au mariage gay [22], Nathalie Heinich est généralement considérée comme une intellectuelle conservatrice. Toutefois, la méfiance vis-à-vis d’une possible émergence en France des études sur la race ou des études noires est disciplinaire au moins autant qu’elle est politique. Ainsi un sociologue se revendiquant pour sa part d’une gauche sans adjuvant, Philippe Corcuff, diagnostique-t-il lui aussi une sorte de déviation militante – et ce plus précisément au sein de mon propre travail. Contrairement à Heinich, il ne s’attaque pas au militantisme universitaire « en soi », mais plutôt à une façon spécifique de l’interpréter. Ainsi déplore-t-il la convergence de « l’arrogance philosophique vis-à-vis de sciences sociales rapetissées » et du « désir du militant [23] » dont mon premier livre, La Dignité ou la Mort, offrirait le désolant spectacle. Or il me semble au contraire regrettable que cette convergence ne soit pas réalisée de façon plus systématique. L’alliance de la synthèse philosophique et de l’analyse stratégique militante telle qu’elle s’est largement scellée au cours des XIXe et XXe siècle chez Marx, Lénine, Antonio Gramsci, Mao, Kwame Nkrumah, Frantz Fanon, Angela Davis, parmi beaucoup d’autres, a produit des effets qui ont changé la face du monde. Chacun à sa façon a milité en philosophe et philosophé en militant. Au-delà de leurs considérables différences, ces auteurs partagent au moins un point commun significatif : sinon une même vision de l’histoire, une même notion de l’histoire, aujourd’hui délaissée par les sciences sociales et la théorie politique constructivistes dont Corcuff se fait le porte-parole.

      Les « philosophes-militants » ont longtemps défini l’histoire comme un massif dense et solide, une trajectoire apparemment inébranlable, face à laquelle il fallait rassembler tous les efforts stratégiques et organisationnels possibles. Face à un ordre du monde analysé comme une totalité hostile contre laquelle, pour reprendre une formule de Herbert Marcuse, ils durent recourir à « une faculté mentale en danger de disparition : le pouvoir de la pensée négative [24] ». Mais, sous l’influence conjuguée de Foucault, de la sociologie critique et du poststructuralisme [25], la pensée négative a été décrédibilisée et le concept d’histoire en est venu à signifier tout l’inverse. Ce qui est historique n’est plus le produit de forces expropriatrices, oppressives ou civilisationnelles puissantes et anciennes ; c’est au contraire ce qui aurait pu être absolument différent, le contingent. L’historicité d’une chose est devenue son caractère révocable, fluide, dénué de substance. Ce que les effets de la performativité, des jeux de langage ou la sagacité analytique peuvent suffire à renverser. Entretenir l’idée d’une fluidité ou d’une hybridité de la condition noire a certes une pertinence sur le plan culturel. Mais sur le plan des questions de vie et de mort, de déshumanisation et de dignité, une approche centrée sur l’hybridité ou le caractère « socialement construit » de la noirceur n’est qu’une autre façon de conjurer la menace du pessimisme et de reconstruire, sans aucune justification que le besoin de (se) rassurer, un grand récit trompeur du progrès.

      Le point d’orgue de l’étude de mon travail par Corcuff consiste à diagnostiquer, entre mon livre et la pensée de l’intellectuel d’extrême-droite Alain Finkielkraut, « sous des modalités différentes, des adhésions identitaristes en phase avec de larges tendances idéologiques du moment [27] ». Juxtaposer nos œuvres au seul prétexte qu’elles seraient toutes deux « identitaristes » est pertinent dans l’exacte mesure où il est pertinent d’assimiler une tortue de mer à un escargot de Bourgogne au prétexte que les deux animaux possèdent une carapace. Ce fait est incontestable, cependant, non seulement les carapaces ne sont pas les mêmes mais, entre le reptile et le gastéropode, tout le reste diffère. Même en admettant que je tienne la condition noire pour relevant de l’identité, ce qui n’est nullement le cas [28], non seulement ma théorie n’a rien à voir avec celle de Finkielkraut, mais encore ses positions sont à l’opposé de celles que je défends à propos de l’État, du capitalisme, de la géopolitique, de la police, des religions, c’est-à-dire toutes les questions décisives. Dans la plupart des contextes, une analogie fondée sur une unique et mince similarité paraîtrait immédiatement irrecevable à quiconque sait voir, non seulement sous la carapace, mais est capable d’en jauger le poids, la taille, la couleur et la texture. Or de nombreux universitaires français progressistes semblent déterminés à ne pas se donner cette peine et voient désormais le monde comme séparé entre les animaux qui ont une carapace et ceux qui n’en ont pas – c’est-à-dire entre les « identitaristes » et ceux qui ne le sont pas. Paradoxalement, ce sont souvent les mêmes sociologues qui s’alarment que l’extrême-droite cherche à reconstruire la frontière politique, non plus à partir du clivage de la droite et de la gauche, mais sur la base d’une chimérique division des « patriotes » et des « mondialistes ». Cet aveuglement leur appartient ; il n’est pas celui des penseurs de la condition noire.

      L’émergence d’études noires est un moment important pour crédibiliser l’autonomie, la consistance et la cohérence des traditions de pensée noires – et ce avant tout aux yeux des afrodescendants eux-mêmes. Les auteurs progressistes tiennent compte de l’histoire des pensées « de la gauche » ou « de l’émancipation », et considèrent que les penseurs noirs n’en proposent que des déclinaisons. Ils n’envisagent pas le radicalisme noir comme une tradition spécifique, répondant aux enjeux de populations particulières, et qui a développé ses propres valeurs et sa propre vision, dont la CRT n’est que l’un des effets contemporains. Bien que la tradition radicale noire s’enracine dans la confrontation à l’esclavagisme, la théorie de gauche perçoit toujours ses revendications et son expression militante centrées sur les intérêts des Noirs comme une déviation par rapport à la norme inamovible du mouvement ouvrier, désormais enrichie de nuances postcoloniales et féministes. Si bien que lorsqu’un universitaire noir développe, reprend ou déploie des thèmes travaillés, discutés, débattus depuis 400 ans dans l’abolitionnisme, le radicalisme ou le nationalisme noirs, il est souvent jugé déviant ou traitre à une tradition qui n’a pourtant jamais été la sienne. Il n’y aura pas d’études noires dignes de ce nom dans l’espace francophone tant que les pensées de la diaspora et de l’Afrique seront envisagées comme des excroissances des Lumières européennes, du féminisme, du marxisme et de toutes ces traditions d’ascendance européenne qui se sont cru à même d’expliquer la totalité du réel.

      ÉTUDES NOIRES ET PESSIMISME

      Les études de genre, les études féminines et féministes ont ouvert la voie à une réception francophone des études noires nord-américaines, comme à la formulation de travaux qui marquent notamment un renouvellement de la philosophie française [29]. Des maisons d’édition françaises, québécoises ou suisses ont rendu accessible de rigoureuses traductions de nombreux classiques du féminisme noir, telles que des œuvres d’Audre Lorde, de Patricia Hill Collins, de bell hooks ou d’Angela Davis. En revanche, d’autres courants des Black Studies n’ont pas bénéficié du même accueil. Certainement parce qu’il est tenu pour raciste, comme l’a noté Maboula Soumahoro, le nationalisme noir n’est pas envisagé en France comme un interlocuteur, ni même comme un objet de recherche crédible [30]. De l’œuvre pléthorique de l’influent théoricien de l’afrocentricité et fondateur, à Temple University, du premier programme doctoral en études noires des États-Unis, Molefi Kete Asante, quasiment rien n’est accessible au lecteur francophone. En revanche, un essai consacré à la critique de ses thèses a été traduit en français peu de temps après sa parution originale [31]. Les études noires francophones sont le seul champ d’études où l’on offre préventivement aux lecteurs la critique d’idées auxquelles ils n’ont jamais eu accès. Les livres du principal fondateur de la Critical Race Theory, Derrick Bell, ne sont pas non plus disponibles, pas davantage que ceux de ses plus fidèles continuateurs, Jean Stefancic et Richard Delgado. Heureusement, est récemment parue une anthologie reprenant quelques articles classiques de la CRT [32].

      Au XXIe siècle, c’est par la porte des études de genre et des études féministes que les études noires ont fait leur entrée dans l’université française, ce qui orienta la recherche. Les textes les plus spécifiquement ancrés dans une trajectoire abolitionniste, anticoloniale, nationaliste noire ou panafricaine, aussi influents soient-ils dans les Amériques, sont généralement écartés et tenus pour sans pertinence. Naturellement, les féministes francophones ont privilégié les travaux des femmes noires les plus en accord ou en résonance avec leur propre vision du monde et leur propre agenda. Il s’agissait de l’enrichir de voix nouvelles, mais consonantes. Une telle sélection ne reflète pas l’intégralité des débats et laisse de côté plusieurs options théoriques. Il en va ainsi de l’Africana Womanism, fondé au début des années 1990 par la théoricienne africaine-américaine Clenora Hudson-Weems, qui part de l’idée que « la véritable histoire du féminisme, ses origines et ses participantes, révèle un fond raciste flagrant, ce qui atteste de son incompatibilité avec les femmes afrodescendantes [33] ». Le mouvement des femmes états-unien s’étant structuré à l’imitation de l’abolitionnisme, elle raille les femmes noires qui embrassent la cause féministe en prétendant l’adapter à leurs expériences et leurs besoins comme « imitant une imitation [34] » au lieu de revenir à la source vive du mouvement noir lui-même. Elle conçoit son œuvre comme héritière du militantisme de libération africain-américain, dont elle juge les principes incompatibles avec ceux du féminisme. « Historiquement, les femmes afrodescendantes ont combattu les discriminations sexuelles, les discriminations raciales et de classe. Elles ont défié le machisme des hommes afrodescendants, mais sans aller jusqu’à les supprimer comme alliés dans la lutte pour la libération et la famille [35]. » Une telle perspective recoupe celle du psychologue et penseur panafricain Amos Wilson [36], entre autres universitaires africains-américains méconnus des francophones.

      Certes, en Amérique du Nord également, le féminisme noir, et plus spécifiquement la théorie de l’intersectionnalité, sont aujourd’hui le paradigme le plus prisé au sein des Black Studies. Souvent caricaturées comme passéistes, chauvines, misogynes ou réactionnaires, les théories inspirées du nationalisme noir, du panafricanisme ou du radicalisme noir de la conjoncture des années 1970 ont peu à peu perdu du terrain face à des discours plus libéraux et plus proches des tendances qui dominent les sciences humaines majoritairement blanches. Toutefois, les intuitions, les affects et les orientations générales de ces grands courants de la pensée noire du XXe siècle semblent aujourd’hui resurgir sous une nouvelle forme. Le thème du pessimisme, autrefois basse continue du radicalisme noir, s’est avancé au premier plan. Il n’a jamais porté sur les Noirs, leurs qualités ou leur courage, mais sur la capacité de la société blanche à dépasser sa propre négrophobie – d’où le recours, tout au long du XXe siècle, à des projets tels que, entre autres, le rapatriement en Afrique ou l’établissement d’une nation noire en Amérique du Nord. Or, selon le philosophe Cornel West, « le pessimisme sur lequel se fonde le nationalisme noir ne s’est jamais complètement imposé sur le plan organisationnel. Les Noirs maintiennent en général la possibilité d’une coalition multiraciale en vue d’approfondir la démocratie en Amérique. Je pense que l’Église noire a historiquement coupé l’herbe sous le pied du nationalisme noir. Elle met en avant la spécificité culturelle noire mais, bien qu’elle encourage la cohésion du groupe, son message est universaliste [37] ». Autrement dit, cet optimisme politique capture les aspirations à l’autodétermination et au pouvoir noires pour les réorienter vers une combinaison de distinction culturelle et d’investissement dans le projet démocratique occidental.

      Certes, l’histoire de nationalisme noir et de l’Église noire ne sont pas distinctes. L’évêque Henry M. Turner, de l’African Methodist Episcopal Church, fut l’un des plus ardents militants de la solution du retour en Afrique au tournant du XXe siècle [38] ; mais il fit peu d’émules. Malgré certaines tentatives contemporaines de radicalisation de son discours, à la façon de la théologie de la libération noire des années 1960, l’Église noire est en grande partie devenue un puissant instrument du statu quo. Sa promotion de la théologie de la prospérité qui sanctifie l’enrichissement personnel et le luxe, son conservatisme social et sa connivence avec la politique institutionnelle y tiennent souvent lieu de message universaliste. Si des ambitions politiques telles que celles de l’évêque Turner ne sont plus d’actualité dans les débats contemporains, l’absence de confiance en les institutions demeure vive et la croyance en les supposés bénéfices d’une coalition multiraciale s’érode.

      Dans le contexte africain-américain, la distinction entre optimisme et pessimisme se fonde généralement sur l’enthousiasme ou le scepticisme à l’égard des projets d’assimilation à la société blanche majoritaire. Souvent, les premiers sont qualifiés de libéraux et les seconds de radicaux. Autrement dit, les optimistes croient en une possibilité pour les Noirs de voir leur humanité pleinement reconnue, là où les pessimistes jugent la négrophobie indépassable sans un renversement gigantesque de l’ordre du monde présent ; d’où l’urgence de construire une pensée et une organisation noires sur des bases inédites. Le tournant pessimiste des études noires contemporaines n’est pas l’injection de nouveaux thèmes ou de nouvelles idées, mais bien davantage l’expression d’un retour du refoulé. Ce pessimisme, point de départ de toutes les tendances de la tradition radicale noire, du nationalisme noir au Black Power en passant par le panafricanisme, fut un temps muselé par des tendances plus libérales, telles que le féminisme intersectionnel ou le poststructuralisme. Noirceur, comme une tentative d’histoire immédiate des idées, se veut un témoignage de cet inévitable retour du pessimisme dans le moment théorique contemporain, nourri de la longue séquence de consolidations, de radicalisations et de récupérations du mouvement pour les vies noires (Black Lives Matter), de l’amertume laissée par le passage à la Maison Blanche de Barack Obama, et d’une consternation au spectacle des arlequinades racistes de Donald Trump.

      En anglais, le terme Blackness va de soi : il désigne tout à la fois et tour à tour le fait d’être noir, l’expérience noire, l’assignation raciale, la culture afro ou la condition noire. Toujours un piège pour les traducteurs, il est parfois rendu par le néologisme inventé par Aimé Césaire, Léopold Senghor et Léon Damas : négritude. Mais généraliser ce terme lourd d’une histoire riche, marqué par l’effort athlétique engagé par ces penseurs au début du XXe siècle, revient à effacer la singularité de leur intervention et de leurs créations théoriques et littéraires. On interprète bien volontiers l’invention de la négritude comme un « retournement du stigmate », une façon d’embrasser le Nègre devenu synonyme d’abjection et d’inhumanité dans le monde post-esclavagiste. Mais cette stratégie s’est doublée d’une autre, plus discrète. Ressusciter le Nègre de chair et de sang, poétiser les nations nègres de l’Afrique et de la Caraïbe, c’était contourner le Noir. Le nom Nègre incarne, le nom Noir abîme. La négritude porte aussi le refus de l’abysse, de la surface où la lumière ne se reflète pas, qui guide irrésistiblement l’imagination en direction de l’obscur, du sinistre, du négatif. Cette métaphorique traverse l’histoire de la condition noire et a toujours lourdement contribué à l’assimilation des Africains à des forces démoniaques, inhumaines, monstrueuses et irrémédiables. J’ai traduit Blackness par noirceur, avec tous ses dérivés (anti-Blackness, peu ou prou synonyme de négrophobie, devenant ainsi anti-noirceur), car j’ai jugé nécessaire d’embrasser ce champ sémantique. Les penseurs de la noirceur auquel cet ouvrage est consacré acceptent le séjour auprès du négatif que l’anglais Blackness connote aussi bien que le français noirceur.

      L’ambition de Noirceur est triple. Premièrement, cet ouvrage se veut une introduction à deux champs de réflexion théorique qui se développent actuellement dans le monde universitaire africain-américain : l’afropessimisme et les Black male studies (études sur les hommes noirs). Cela implique également de présenter les sources et les inspirateurs de ces mouvements. Deuxièmement, il se propose de mettre à l’épreuve les outils élaborés par ces courants de pensée en les mobilisant pour questionner d’autres textes et d’autres lieux, notamment au sein de l’espace francophone. Enfin, troisièmement, dans la continuité de La Dignité ou la Mort, il entend accélérer l’émergence d’un discours théorique noir en langue française, en encourageant l’étude des afrodescendants par les afrodescendants eux-mêmes. Ultimement, je souhaiterais que ce livre, qui porte presque exclusivement sur la condition noire dans le Nord global, rencontre quelque intérêt auprès du lectorat d’Afrique francophone, des Caraïbes, du Brésil, du monde hispanique et au-delà, comme avant lui La Dignité ou la Mort. Le dialogue, le débat et la traduction entre les perspectives théoriques des différentes diasporas et des différentes régions du Continent est indubitablement le défi le plus vital pour l’avenir de la pensée noire – peut-être le seul qui vaille.

      https://lundi.am/Pour-des-etudes-noires-sans-compromis

    • Gouvernement. Blanquer en pleine croisade délirante contre le « wokisme »

      Vendredi et samedi, le ministre de l’Éducation a inauguré et financé un colloque obsessionnel et réactionnaire ciblant les féministes, les antiracistes et les anticapitalistes.

      Jean-Michel Blanquer n’a pas que le Covid à combattre. Les établissements scolaires subissent de plein fouet la crise sanitaire ? Ils ne sont toujours pas équipés en masques FFP2 et en purificateurs d’air ? Qu’importe. Le ministre de l’Éducation nationale a un autre ennemi à pourfendre, semble-t-il, tout aussi invisible et omniprésent que le coronavirus, comme flottant dans l’air : le wokisme.

      Un colloque sur la question s’est tenu vendredi et samedi à la Sorbonne. Jean-Michel Blanquer, dont le ministère a financé l’événement à travers un fonds réservé, a lui-même ouvert les travaux. Le ton grave, il s’alarme : « Il y a des personnes à qui les idées des Lumières font peur. » Qui sont ces personnes ? Celles qui nourrissent « la pensée décoloniale, aussi nommée woke ou cancel culture », affirment les organisateurs. Il s’agit pourtant de trois choses différentes. Les études décoloniales visent à critiquer le système économique néolibéral et à décoloniser les rapports humains. Le terme « woke », venu des États-Unis, désigne ceux qui « s’éveillent » devant les inégalités sociales et les discriminations sexistes et racistes. Enfin, la « cancel culture », ou « culture de l’effacement », vise à mettre au ban un personnage historique en fonction de ses actions, ou une oeuvre, suivant son contenu.

      Pierre Bourdieu et la « pensée 68 » décriés

      Trois choses très différentes, donc. Lier les trois termes comme s’ils ne faisaient qu’un est loin d’être anodin et montre le véritable projet de ce colloque : faire croire que tous les universitaires, intellectuels, militants et citoyens qui réfléchissent aux dominations économiques, sociales, racistes et patriarcales ne sont en réalité que de dangereux « wokistes » ou « islamogauchistes ». À les entendre, la gauche serait carrément sous le contrôle de quelques extrémistes essentialistes. Nombre des intervenants et participants à ces deux journées, qui ont rassemblé 600 personnes (dont les deux tiers en ligne), sont allés dans ce sens, notamment sur la messagerie du débat, qui a souvent servi d’exutoire réactionnaire.

      En introduction, Jean-Michel Blanquer appelle d’emblée à « déconstruire la déconstruction », d’autant plus si elle est intersectionnelle, c’est-à-dire qu’elle croise les dominations Nord-Sud, hommes-femmes, blancs-racisés, riches-pauvres. « Je suis né blanc, donc je suis raciste et je dois me rééduquer, mais voudrais-je rompre avec le racisme que je n’y arriverais pas », s’émeut le polémiste Mathieu Bock-Côté, qui a remplacé Éric Zemmour sur CNews, et place sans cesse le « Blanc » comme étant au centre des discriminations, sans doute pour mieux nier les autres. La sociologue Nathalie Heinich prend d’ailleurs la parole pour réclamer « un meilleur contrôle scientifique » afin « qu’un enseignant ne puisse proférer que la Terre est plate ou qu’il existe un racisme d’État ». Dire qu’il existe une forme de racisme institutionnel, étatisé, notamment à travers les contrôles au faciès, serait donc aussi ridicule et scientifiquement faux que d’affirmer que la Terre est plate ? La même sociologue se plaint ensuite d’une « épidémie de transgenres » causée par l’éducation nationale.

      Le reste est à l’avenant. L’assistance pouffe devant l’écriture inclusive, quand elle n’y voit pas une menace civilisationnelle. La loi Taubira reconnaissant l’esclavage et la traite en tant que crimes contre l’humanité est raillée. « L’Europe n’a pas inventé l’esclavage, mais l’abolition », ose Pascal Bruckner, comme si cela la dédouanait d’avoir massivement pratiqué la traite. « Stop à la victimisation permanente », au « nombrilisme pleurnichard », à la « vulgate bourdieusienne fossilisée » et à la « pensée 68 », entend-on ou lit-on ici et là.

      Le temps de l’Algérie française est regretté

      Selon l’historien Olivier Compagnon, qui a suivi l’intégralité des débats, l’Algérie française est même regrettée, des rires gras fusent au sujet de George Floyd, et le chercheur en science politique Vincent Tournier lance : « J’annonçais depuis longtemps les attentats et je remercie les frères Kouachi d’avoir en fait validé mon cours. » « Le wokisme, c’est l’Inquisition espagnole, le stalinisme et le nazisme », lit-on encore, quand ce n’est pas le « soleil noir des minorités » qui est dénoncé. Coorganisé par l’Observatoire du décolonialisme et le Collège de philosophie, ce colloque visait à tordre le cou à l’idée que « l’oppression serait l’unique clé de lecture du monde contemporain », selon le philosophe Pierre-Henri Tavoillot. À la fin du colloque, on peut se demander si ce n’est pas le concept même d’oppression qui était visé. Pour mieux en nier les ravages hier et aujourd’hui.

      https://www.humanite.fr/politique/jean-michel-blanquer/gouvernement-blanquer-en-pleine-croisade-delirante-contre-le-wokisme

    • « Le colloque organisé à La Sorbonne contre le “wokisme” relève d’un #maccarthysme_soft »

      Intitulé « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture », l’événément qui s’est tenu au sein de l’université parisienne les 7 et 8 janvier, n’a servi à rien d’autre qu’à fabriquer un ennemi de l’intérieur, estime le sociologue #François_Dubet, dans une tribune au « Monde ».

      Tribune. On peut être agacé, inquiet, voire hostile à la pensée dite « woke », aux théories du genre appliquées à toutes les sauces, au déconstructivisme radical… On peut préférer les arguments scientifiques à la seule force des indignations. On peut refuser d’être réduit à une identité de dominant de la même manière que l’on refuse de réduire autrui à une identité dominée. On peut penser que l’intersectionnalité est un truisme sociologique érigé en pensée critique nouvelle. On peut penser que la critique de l’islam n’est pas plus nécessairement raciste que l’est celle du catholicisme.

      Bref, on peut avoir de bonnes raisons scientifiques et morales de ne pas adhérer à tout un ensemble de théories et d’idéologies, sans faire pour autant comme si cet ensemble-là était un bloc cohérent, homogène et caricatural, uni par la cancel culture, l’islamo-gauchisme, le décolonialisme ou le « wokisme »…

      Mais quand un colloque officiel est tenu en Sorbonne les 7 et 8 janvier sous l’égide de l’Observatoire du décolonialisme, ouvert par [le ministre de l’éducation nationale] Jean-Michel Blanquer et clos par le président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, Thierry Coulhon, il y a de quoi s’inquiéter. Il s’agit, ni plus ni moins, de fabriquer un ennemi intérieur, un ennemi disparate, masqué mais cohérent, qui viserait à détruire, à la fois, la raison et les valeurs républicaines.

      Faute déontologique et erreur politique

      C’est là un maccarthysme soft visant à désigner les ennemis de l’intérieur, leurs complices, leurs compagnons de route et leurs victimes. Ce colloque, tout ce qu’il y a d’officiel, a mobilisé des collègues honorablement connus et souvent reconnus pour la qualité de leur œuvre, auxquels se sont mêlés des intervenants comme Mathieu Bock-Côté, dont les diatribes à la limite du racisme inondent chaque jour CNews et les réseaux de l’extrême droite. Gageons que si Eric Zemmour n’avait pas été pris par la présidentielle, il aurait été de la fête au nom de son œuvre d’historien !

      Comment un président de la République annoncé comme libéral peut-il encourager cette mise en scène maccarthyste ? Comment penser que c’est à l’Etat de dire quels sont les courants de pensée acceptables et ceux qui ne le seraient pas ? Comment ne pas faire suffisamment confiance au monde académique et scientifique pour laisser un ministre de l’éducation conduire un procès à charge contre les idées et recherches qui le dérangent ?

      Ce maccarthysme soft n’est pas seulement condamnable et inquiétant ; il est aussi stupide. Selon la vieille loi de la prédiction créatrice, ce procès fait advenir l’adversaire qu’il combat. Il transforme une nébuleuse hétéroclite de courants de pensées et de travaux disparates en complot plus ou moins organisé contre la science et contre la République.

      Il conduira celles et ceux qui tiennent aux libertés académiques à défendre le droit d’exister d’idées, de travaux et de recherches qu’ils ne soutiendraient certainement pas dans un monde scientifique et intellectuel organisé par les règles du débat et de la critique. Ce colloque est à la fois une faute déontologique et une erreur politique. Il clive plus encore une société qui n’en a certainement pas besoin.

      François Dubet est sociologue, professeur émérite à l’université de Bordeaux, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il est l’auteur, avec Marie Duru-Bellat, de L’école peut-elle sauver la démocratie ? (Seuil, 2020).

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/10/francois-dubet-le-colloque-organise-a-la-sorbonne-contre-le-wokisme-releve-d

    • Les « #anti-woke » et le virus de la bêtise

      Comme Jean-Michel Blanquer, ils sont nombreux à voir dans #Foucault, #Deleuze et #Derrida l’origine de la « cancel culture » qu’ils déplorent. Les détracteurs de la #French_theory ont-ils seulement lu les auteurs qu’ils critiquent ?

      Voilà maintenant un moment qu’on nous rabâche les oreilles avec les méfaits de la pensée « woke » et de la « cancel culture ». Au point d’y consacrer en Sorbonne un colloque, où le ministre de l’éducation nationale n’hésita pas à utiliser une métaphore douteuse : « D’une certaine façon, c’est nous qui avons inoculé le #virus avec ce qu’on appelle parfois la French theory. Maintenant, nous devons, après avoir fourni le virus, fournir le #vaccin. » On la dit vouloir effacer toute une histoire, s’en prendre aux piliers de l’identité française et européenne, répandre la haine là où régnait l’harmonie, mettre de l’huile (racialiste et genriste) sur la flamme républicaine. On s’en prend volontiers à l’Amérique, à ses campus et ses idéologues. Et il n’est pas difficile de montrer que de ce côté-là souffle aussi parfois un vent de bêtise, voire des positions intransigeantes aux allures de révolution culturelle (on brûle des livres, en interdit d’autres, renverse des statues).

      Ce qui est intéressant dans l’anti-wokisme, surtout celui qui émane de la bouche de nos intellectuels, c’est que notre complexe de supériorité morale et intellectuelle, notre mépris et notre ignorance de la réalité américaine sont tels qu’on pense les Américains incapables de concevoir les outils de leur propre lutte. Ils sont tombés dans le ruisseau, c’est la faute à Foucault ; le nez dans la beuse, c’est la faute à Deleuze.

      Une vieille et bien bête critique

      On prétend donc que les vrais coupables se situent de ce côté-ci de l’Atlantique, et notamment en France. Les noms de Foucault, Derrida et Deleuze sont systématiquement invoqués. Ayant passé les trente dernières années de ma vie à lire ces très grands (j’insiste) penseurs et lecteurs, je peux avec confiance dire que leurs détracteurs ne s’en sont pas donné la peine. C’est une preuve de paresse intellectuelle, voire de #malhonnêteté.

      #Malhonnêteté_morale qui consiste à faire porter le chapeau à ceux qui ne sont plus parmi nous pour se défendre, à faire d’un pan entier de la pensée française un bouc émissaire. #Malhonnêteté_intellectuelle qui consiste à réduire des pensées complexes, nuancées et entre elles bien différentes à des #slogans vides. Malhonnêteté intellectuelle que de prétendre que ces penseurs prônent le « #relativisme », soit que « tout se vaut ». C’est une vieille et bien bête critique. En réalité, chacun de ces philosophes met au point une nouvelle méthode et de nouveaux outils conceptuels, qui révèlent de nouveaux objets ou portent sur d’autres un regard différent.

      Ainsi l’#empirisme_transcendental de Deleuze permet de penser la phénoménalité du monde sur fond de réalité virtuelle, dont elle serait comme la solution ou cristallisation, mais que jamais elle n’épuiserait. Cela donne des pages époustouflantes sur la littérature, la peinture, le cinéma, mais aussi la physique, la biologie, les mathématiques et, bien entendu, l’histoire de la philosophie. On ne peut dire à l’avance les forces et virtualités qui nous habitent et les puissances de transformation qui hantent le monde. Vivre, vivre pleinement, c’est s’y engager, les saisir, en faire quelque chose.

      Ainsi l’archéologie et la généalogie de Foucault visent à nous rendre étrangers à nous-mêmes, et par conséquent à considérer comme des constructions aux conditions historiques bien précises, des comportements, des institutions, des hiérarchies, des systèmes d’inclusion et d’exclusion que nous estimions jusque-là parfaitement naturels et nécessaires, inamovibles.

      Ainsi la fameuse #déconstruction de Derrida démontre à son tour l’instabilité de nos schèmes métaphysiques, des distinctions, divisions et hiérarchies qui les constituent et les défont en même temps.

      La critique de ce que nous sommes

      Toujours il s’agit de se demander : comment faire la différence – entre la servitude et la liberté, le pouvoir et la multitude, l’éthique et la politique, la pensée et la bêtise, la raison et la folie, la parole et l’écriture, la joie et la tristesse ? Toujours il s’agit de se demander : peut-on vivre autrement, c’est-à-dire plus librement, d’une façon plus lucide, moins bête, plus humaine ? Toujours il s’agit de comprendre les nouveaux visages du pouvoir. Toujours il s’agit de combattre les nouvelles formes d’assujettissement, irréductibles à la seule coercition, sans se voiler derrière l’illusion que « nous vivons après tout en démocratie », « allez voir comment ça se passe en Chine ou au Kazakhstan ». Comme s’il y avait d’un côté le camp de l’humanisme, du droit, de la liberté, de la démocratie, de l’universel ; et de l’autre le camp de tout ce qui s’y oppose. Comme si les choses n’étaient pas plus compliquées que cela, et que l’on n’avait plus le droit de revendiquer la complexité, la critique de ce que nous sommes, au nom de ce que nous pouvons être.

      Foucault disait : on ne gagne rien à s’emparer de notions générales, qu’on peut mettre à toutes les sauces. Prenons l’humanisme : une fois qu’on l’a clamé sur les toits, on est bien avancé. Le libéralisme se réclame de l’humanisme. Mais le communisme s’en réclamait aussi (et peut-être encore). Le fascisme aussi. Prenons le débat actuel, qui bat son plein en cette période électorale. Déclin ou Progrès ? Fin de la Civilisation ou Tournant ? Grand Remplacement ou Grand Redressement ? Degringolada ou Remontada ? Haine ou Amour de soi (et de la France) ? Autant de pièges à cons, de fausses alternatives, de pôles si généraux qu’ils sont vides de tout sens. C’est cela qui est triste à pleurer, et non le souffle, la vie, le chavirement qui traversent les pensées de Deleuze, Derrida et Foucault. La philosophie se méfie des schémas simples et des notions générales. Seul l’intéresse le sur-mesure.
      La bêtise de l’apothicaire

      Ouvrez Proust et les signes ou Différence et répétition de Deleuze et vous verrez ce qu’il y est dit des capacités inouïes et encore insoupçonnées de notre faculté de connaissance et de raisonnement à épouser notre imagination, nos sensations, notre mémoire, à produire du sens, des valeurs, des savoirs, le tout dans une folle gaîté.

      Lisez L’autre cap de Derrida, et vous y verrez un plaidoyer pour une Europe de la rationalité, des Lumières, de l’héritage judéo-chrétien, et en même temps de l’ouverture à la différence, de l’accueil, de l’hospitalité. Vous y verrez une raison qui s’interroge elle-même, se déconstruit, mais toujours dans le but de plus d’humanité.

      Foucault, lui, répétait qu’il ne souhaitait pas prouver que les sciences humaines étaient, dans leur conception de l’Homme, dans l’erreur, mais qu’elles étaient inévitablement amenées, au nom de la Science et de l’Homme, à faire de certains hommes et de certaines femmes – et, oui, de ceux qui ne tombent ni dans un camp ni dans l’autre – des « vies infâmes » (des anormaux, des monstres, des moins qu’hommes). Ne faut-il pas se réjouir des outils qu’il nous fournit afin de rendre ces groupes plus visibles et plus humains, afin d’engager des luttes pour leurs droits et leur dignité ?

      On est loin du « tout se vaut ».

      La philosophie sert à une chose, disait Nietzsche : nuire à la bêtise. A quoi reconnaît-on la bêtise ? A l’incapacité de distinguer les problèmes et les poser correctement. La bêtise pose les mauvaises questions et entraîne donc les solutions qu’elle mérite. La bêtise de Charles Bovary, comme celle de sa femme, sont inoffensives. Mais la vraie bêtise, dangereuse, c’est celle de Homais l’apothicaire. C’est la bêtise savante et conquérante, mue par la peur et le ressentiment, qui a soif de pouvoir et s’y accroche. Homais défendait les Lumières et attaquait l’Eglise, mais comme un imbécile. Le woke et la cancel culture sont le nouveau clergé à abattre. Vive l’Universel, la Raison, l’Homme, la France ! On se croirait aux comices agricoles ou dans la grande campagne parallèle de l’Homme sans qualité.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/les-anti-woke-et-le-virus-de-la-betise-20220115_SUKIWMXWMVHL3GYAVYR6Q7R3H

  • Tribune de l’#Observatoire_du_décolonialisme
    –-> observatoire déjà signalé ici :
    https://seenthis.net/messages/901103
    https://seenthis.net/messages/905509

    « #Décolonialisme et #idéologies_identitaires représentent un quart de la #recherche en #sciences_humaines aujourd’hui »

    Les tenants du décolonialisme et des idéologies identitaires minimisent ou nient leur existence. La montée en puissance de ces #idéologies dans la recherche est pourtant flagrante et on peut la mesurer, démontrent les trois universitaires.

    Dans les débats sur le terme d’#islamo-gauchisme, beaucoup ont prétendu qu’il n’existait pas, puisque ni les islamistes ni les gauchistes n’emploient ce terme. De même, dans de multiples tribunes et émissions, les tenants du décolonialisme et des idéologies identitaires minimisent ou nient leur existence en produisant des chiffres infimes et en soulignant qu’il n’existe pas de postes dont l’intitulé comprend le mot décolonialisme. À ce jeu-là, un essai intitulé « Les Blancs, Les Juifs et nous » [nom du livre de Houria Bouteldjane, porte-parole du Parti des Indigènes de la République, NDLR] ne serait évidemment pas #décolonial, puisqu’il n’y a pas le mot « décolonial » dedans.

    Parler de « décolonialisme », ce n’est donc pas s’intéresser au mot « décolonial » mais aux notions qui le structurent dont le vocabulaire est un reflet, mais pas seulement. La rhétorique, la syntaxe, la stylistique : tout participe à un ensemble qui détermine le caractère d’un écrit. Par exemple, « pertinent » est un adjectif qui nous sert à caractériser un essai. On dit par exemple d’un article qu’il est « pertinent » - Mais le mot « pertinent », c’est nous qui l’employons. Il n’est pas présent dans le texte évalué. C’est le propre du jugement de dégager une idée synthétique à partir des mots exprimés.

    Mais soit, faisons le pari des mots et jouons le jeu qui consiste à croire que les #mots disent le contenu. Mais alors : de tous les mots. Et pas seulement de ceux que l’on nous impose dans un débat devenu byzantin où un chef d’entreprise-chercheur nous explique que tout ça est un micro-phénomène de la recherche qui n’a aucun intérêt, que le mot ne pèse que 0,001% de la recherche en sciences humaines et où, par un psittacisme remarquable, on en vient presque à prouver que la sociologie elle-même ne publie rien.

    Partons simplement d’un constat lexical : sous le décolonialisme tel que nous pensons qu’il s’exprime en France dans l’université au XXIe siècle, nous trouvons les idées qui « déconstruisent » les sciences - la #race, le #genre, l’#intersectionnalité, l’#islamophobie, le #racisme. Que ces mots occupent les chercheurs avec des grilles de lecture nouvelles, tantôt pour les critiquer tantôt pour les étayer et que ces mots - dans le domaine bien précis des Lettres - occupent une place qu’ils n’occupaient pas autrefois - ce qui dénote une évolution de la discipline.

    Dans un premier temps, nous nous intéresserons au fonctionnement des #blogs à visée scientifique, dont nous pensons qu’ils constituent un lieu de la littérature marginale scientifique. Puis dans un second temps, à la #production_scientifique au prisme des #publications présentes à travers les revues et les livres. On s’intéressera en particulier à l’#OpenEdition parce que c’est précisément un lieu-outil où la recherche se présente aux instances gouvernantes comme un mètre-étalon des livrables de la recherche.

    Notre vocabulaire réunit quelques mots identifiés comme représentatifs des thématiques décoloniales et intersectionnelles, sans préjuger du positionnemenent de l’auteur soit pour ou contre (décolonial, #postcolonial, #discriminations, race(s), genre(s), racisme(s), intersectionnalité et synonymes). Il nous suffit d’acter que le sujet occupe une place plus ou moins importante dans le débat.

    Sur OpenEdition, réduit à la part des blogs (Hypotheses) et événements annoncés (Calenda) : une recherche « courte » sur « genre, race et intersectionnalité » donne près de 37578 résultats sur 490078 (au 20 mars 2021) soit 7% de la recherche globale. Ce qui à première vue semble peu. Une recherche étendue sur « racisme et #discrimination » présente d’ailleurs une faible augmentation avec 32695 occurrences sur 39064 titres, soit 8% des objets décrits sur la plateforme.

    Toutefois, si on s’intéresse à la période 1970-2000, le nombre de résultats pour le motif « racisme discrimination » est de 9 occurrences sur 742 documents soit à peine 1% des objets d’études. En 20 ans, la part représentée par des sujets liés à ces mots-clés a donc été multipliée par 7.

    À ce volume, il faut maintenant ajouter les recherches sur « décolonial ». Le mot est totalement absent de la recherche avant 2001, comme le mot « #islamophobie ». Le mot « #post-colonial », c’est 76 documents. Après 2002, le mot « décolonial » pèse 774 tokens ; « post-colonial » (et son homographe « postcolonial »), c’est 58669 ; islamophobie : 487. Au total, ces mots comptent donc au 20 mars 59930 occurrences et représentent 12% des blogs et annonces de recherche. Maintenant, si nous prenons l’ensemble des mots du vocabulaire, ils représentent 89469 documents soit 20% des préoccupations des Blogs.

    Si maintenant, on s’intéresse à la production scientifique elle-même représentée par des articles ou des livres : une recherche sur « racisme genre race intersectionnalité discrimination » renvoie 177395 occurrences sur 520800 documents (au 20 mars), soit 34% des documents recensés.

    Le rapport entre le volume de résultats montre que la part d’étude sur « racisme et discrimination » ne pèse en fait que 43962 documents (au 20 mars), soit 9% de la recherche globale mais 25% des résultats du panel. Si nous réduisons la recherche à « genre, race et intersectionnalité », on trouve en revanche 162188 documents soit 31% du volume global - un tiers - mais 75% du panel.

    Cet aperçu montre à quel point ces objets occupent une place importante dans les publications, sans préjuger de l’orientation des auteurs sur ces sujets : critiques ou descriptifs. Simplement on montre ici que les préoccupations pressenties par l’Observatoire du Décolonialisme et des idéologies identitaires ne sont pas vaines.

    À titre de comparaison, pour toute la période 1970-2021, la recherche sur « syntaxe et sémantique » c’est 55356/520849 items, soit 10% de la recherche pour une thématique qui représente 48% des enjeux de recherches en linguistique qui elle-même ne pèse que 115111 items en base toute sous-discipline confondue, soit 22% de la recherche (22% qui peuvent parfaitement créer une intersection avec l’ensemble de la recherche décoloniale comme par exemple cet article : « Quelle place occupent les femmes dans les sources cunéiformes de la pratique ? » où l’on identifie les tokens linguistiques comme « écriture cunéiforme » et des tokens intersectionnels dans le sommaire : « De l’histoire de la femme à l’histoire du genre en assyriologie » ).

    Maintenant, si on reprend ces mêmes motifs de recherche globaux appliqués aux seuls revues et livres, on réalise que le total de publications sur ces sujets est de 262618 sur 520809 (au 20 mars) soit 50.4% de la recherche exprimée à travers les publications scientifiques.

    La recherche en décolonialisme pèse donc 20% de l’activité de blogging et d’organisation d’événements scientifiques et la moitié (50%) de la part des publications.

    Que faut-il comprendre d’une telle donnée ? Dans un premier temps, il faut déjà acter la forte pénétration des enjeux de recherches liés aux thématiques décoloniales, pour d’excellentes raisons sans doute qu’il n’est pas question de discuter.

    Presque la moitié des activités du cœur de l’évaluation des carrières - revues et livres - passe par la description toutes disciplines confondues des objets de la sociologie. La disparité avec les activités scientifiques d’édition journalière ou d’annonces d’événements ne contredit pas bien au contraire cette envolée.

    Le marché symboliquement lucratif en termes d’enjeux de carrière de l’édition est saturé par les thématiques décoloniales qui sont porteuses pour les carrières jugées sur les publications sérieuses. Cette situation crée un #appel_d’air du côté de l’activité fourmillante des marges de la recherche où se reportent les activités scientifiques « fondamentales » parce qu’elles trouvent dans ces nouveaux lieux des moyens de faire subsister simplement leurs thématiques.

    Andreas Bikfalvi dans son article intitulé « La Médecine à l’épreuve de la race » rappelle certaines données de la science qui confirment l’orientation générale. Car, si les sciences sociales sont très touchées par l’idéologie identitaire, les #sciences_dures et même les #sciences_biomédicales n’en sont pas exemptées.

    Une recherche sur la plateforme scientifique Pubmed NCBI avec comme mot-clé racism ou intersectionality montre des choses étonnantes. Pour racism, il y avait, en 2010, seulement 107 entrées, avec ensuite une augmentation soutenue pour atteindre 1 255 articles en 2020. Par ailleurs, en 2018, il y avait 636 entrées et, en 2019, 774 entrées, ce qui signifie une augmentation de 100 % en à peine deux ans, et 62 % en à peine un an.

    Avant 2010, le nombre d’entrées s’était maintenu à un niveau très faible. Pour intersectionality, il n’y avait que 13 entrées en 2010, avec, en 2020, 285 entrées.

    L’augmentation de ces deux mots-clés suit donc une évolution parallèle. C’est certainement explicable par les événements récents aux États-Unis, à la suite de l’apparition de groupes militants de « #justice_sociale », dans le sillage du mouvement « #Black_Lives_Matter », qui ont eu un impact significatif dans les différentes institutions académiques. Cela ne reflète donc pas l’augmentation des problèmes raciaux, mais une importation récente de ces problématiques dans la recherche.

    Le rapport entre les différentes entrées lexicales dans la galaxie de la pensée décoloniale à travers certaines unités lexicales caractérise un discours hyperbolique. On voit parfaitement que la comparaison de l’emploi de certaines expressions comme « #écriture_inclusive » ou « #place_de_la_femme » qu’un regard hâtif pourrait dans un premier temps juger faible est en nette surreprésentation par rapport à des unités liées comme « place de l’enfant » ou « écriture cursive ».

    Inutile d’effectuer ici une analyse scientométrique précise. Mais on peut dire que la qualité des divers articles des journaux est variable si on se réfère au facteur impact, depuis des publications marginales comme Feminist Legal Studies (IF : 0,731) à des revues parmi les plus prestigieuses au monde, comme New England Journal of Medicine (NEJM) (IF : 74.699) et The Lancet (IF : 60.392). Les titres et le contenu de ces articles sont aussi évocateurs.

    Pour citer quelques exemples : « Devenir une communauté antiraciste néonatale » (1). L’article prône une prise de conscience critique basée sur les stratégies visant à améliorer l’équité en santé, à éliminer les biais implicites et à démanteler le racisme en néonatalogie et périnatalogie. « Vers une neuroscience compassionnelle et intersectionnelle : augmentation de la diversité et de l’équité dans la neuroscience contemplative » (2). Un cadre de recherche appelé « neuroscience intersectionnelle » est proposé, qui adapte les procédures de recherche pour être plus inclusif et plus « divers ». « Intersectionnalité et traumatologie dans la bio-archéologie » (3). Ici, les auteurs parlent de l’utilité du concept d’intersectionnalité de K. Crenshaw dans l’examen des squelettes lors des fouilles archéologiques. « Six stratégies pour les étudiants en médecine pour promouvoir l’antiracisme » (4). Ici, on prône l’introduction de l’activisme racialiste dans les programmes des études de médecine à la suite du racisme anti-noir, de la brutalité policière et de la pandémie de Covid-19. 1

    Entre les 0,01% de mots de la recherche décoloniale identifiés par certains lexicomètres et nos 50%, la marche est grande. On entend déjà les uns hurler au blasphème, les autres à la caricature et les troisièmes déclarer qu’entre deux extrêmes, la vérité est forcément entre les deux.

    Ce #dogme de la #parité d’où émerge la voie médiane est une illusion rhétorique - mais quand bien même : disons que de 1 à 50, la vérité soit 25 : cela signifie donc qu’un quart de la recherche en Sciences Humaines est occupée aujourd’hui par ces questions transverses - ce qui est non négligeable. Mais pour couper court au débat stérile qu’entraîneront les ratiocinations, rappelons deux ou trois choses que l’on voit en première année de licence de lettres :

    Il n’est pas exclu qu’une idéologie repose sur des mots, mais une idéologie repose surtout et avant tout sur une argumentation : le #vocabulaire n’en est que le grossissement superficiel. Supposer que des mots-clés permettent le recensement d’une idéologie est une proposition à nuancer : elle néglige la stylistique des titres et résumés de thèses, la façon contournée de dire les choses. Bref, comme le disait un kremlinologue, les mots servent à cacher les phrases.

    Or, dans leur étude reprise par « Le Monde », nos collègues n’ont retenu que trois mots et sous une forme unique (racialisé et pas racisé, intersectionnalité et pas intersectionnel, etc.). Ils négligent par exemple genre ou #féminin ou islamophobie…

    Cette étude suppose aussi que l’ idéologie qu’ils minimisent se trouve dans les documents officiels qui ont été choisis par eux. Mais le corpus dans lequel nos collègues cherchent est nécessairement incomplet : les annonces de colloques et de journées d’étude, les interventions ponctuelles dans les séminaires et les séminaires eux-mêmes ne sont pas pris en compte, ni les ateliers et autres événements para-institutionnels.

    Les écrits des universitaires dans la presse ne figureront pas non plus. Un site comme GLAD ne sera vraisemblablement pas pris en compte alors qu’il est saturé de ces mots clés. Un titre comme « Les blancs, les juifs et nous » ne comporte aucun mot déclencheur et n’apparaît ni dans son étude, ni dans la nôtre. On peut multiplier les exemples : il suffit qu’au lieu de genre on ait « féminin » (« Déconstruire le féminin ») pour que cette thématique soit gommée. Efficace ?

    En réalité, partir de #mots-clés suppose le principe de #déclarativité : l’idéologie serait auto-déclarée, conformément à la théorie performative du langage propre au discours intersectionnel. Selon ce principe, il n’existerait aucun texte islamo-gauchiste ni antisémite, puisqu’ils ne comportent pas ces mots-clés dans leur propre description.

    Avec ce raisonnement, il n’existerait pas non plus de thèse médiocre, ni excellente puisque ces mots n’y seront pas repérables… Les termes à repérer sont donc nécessairement neutres axiologiquement : si des mots sont repérables, c’est qu’ils sont considérés comme acceptables et qu’ils pénètrent le champ de la recherche. La recrudescence repérée de ces mots-clés indiquerait alors une idéologie de plus en plus affichée. Il faut donc prendre en compte l’évolution numérique comme un indice fort.

    Pour obtenir des conclusions plus solides, il faudrait contraster des chiffres relatifs, pour comparer ce qui est comparable : les thématiques ou les disciplines (avec des termes de niveaux différents comme « ruralité » ou « ouvrier » ; voire des domaines disciplinaires plus larges : narratologie, phonologie…). On peut aussi circonscrire d’autres champs d’analyse (Paris 8 sociologie, au hasard) ou regarder combien de thèses ou articles en sociologie de la connaissance ou en esthétique, etc. Il y aurait de quoi faire un état des lieux de la recherche…

    1. Vance AJ, Bell T. Becoming an Antiracist Neonatal Community. Adv Neonatal Care 2021 Feb 1 ;21(1):9-15.

    2. Weng HY, Ikeda MP, Lewis-Peacock JA, Maria T Chao, Fullwiley D, Goldman V, Skinner S, Duncan LG, Gazzaley A, Hecht FM. Toward a Compassionate Intersectional Neuroscience : Increasing Diversity and Equity in Contemplative Neuroscience. Front Psychol 2020 Nov 19 ;11:573134.

    3. Mant M, de la Cova C, Brickley MB. Intersectionality and Trauma Analysis in Bioarchaeology. Am J Phys Anthropol 2021 Jan 11. doi : 10.1002/ajpa.24226.

    4. Fadoju D, Azap RA, Nwando Olayiwola J. Sounding the Alarm : Six Strategies for Medical Students to Champion Anti-Racism Advocacy. J Healthc Leadersh, 2021 Jan 18 ;13:1-6. doi : 10.2147/JHL.S285328. eCollection 2021.

    https://www.lefigaro.fr/vox/societe/decolonialisme-et-ideologies-identitaires-representent-un-quart-de-la-reche

    et déjà signalé par @gonzo ici :
    https://seenthis.net/messages/908608

    #Xavier-Laurent_Salvador #Jean_Szlamowicz #Andreas_Bikfalvi
    –—

    Commentaire sur twitter de Olivier Schmitt, 27.03.2021 :

    Cette tribune est tellement bourrée d’erreurs méthodologiques qu’elle en dit beaucoup plus sur la nullité scientifique des auteurs que sur la recherche en SHS.
    Pour gonfler leurs stats, ils comptent toutes les occurrences du mot « racisme ». Vous travaillez sur le racisme et avez ce terme dans votre publication ? Vous êtes forcément un postcolonial tenant des idéologies identitaires...
    Idem, et ce n’est pas anodin, ils incluent l’occurence « post-colonial » (avec le tiret). Qui est simplement un marqueur chronologique (on parle par exemple couramment de « sociétés post-coloniales » en Afrique ou en Asie) et n’a rien à voir avec une idéologie « postcoloniale »
    Et oui, un tiret à de l’importance... Mais donc vous êtes historien et travaillez sur, au hasard, Singapour après l’indépendance (donc post-colonial), et bien vous êtes un tenant des idéologies identitaires...
    Et même en torturant les données et les termes dans tous les sens pour gonfler complètement artificiellement les chiffres, ils arrivent à peine à identifier un quart des travaux...
    C’est définitivement pathétiquement débile.
    Et puisqu’ils veulent « mesurer » et « objectiver », un truc comme ça dans n’importe quelle revue un minimum sérieuse, c’est un desk reject direct...

    https://twitter.com/Olivier1Schmitt/status/1375855068822523918

    Sur les #chiffres en lien avec les recherches sur les questions post- / dé-coloniales, voir ce fil de discussion :
    https://seenthis.net/messages/901103
    #statistiques

    ping @isskein @cede @karine4

    • Les fallaces de l’anti-décolonialisme

      fallace
      (fal-la-s’) s. f.
      Action de tromper en quelque mauvaise intention.
      Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1873-1874, tome 2, p. 1609.

      Vendredi 26 mars 2021 le journal Le Figaro a mis en ligne sur son site internet une tribune signée par #Xavier-Laurent_Salvador, #Jean_Szlamowicz et #Andreas_Bikfalvi intitulée « Décolonialisme et idéologies identitaires représentent un quart de la recherche en sciences humaines aujourd’hui ». Ce texte qui avance à grandes enjambées vers un résultat fracassant tout entier contenu dans le titre est fondé sur une méthodologie défaillante et une argumentation confuse. Il a principalement provoqué des éclats de rire, mais aussi quelques mines attérées, parmi les sociologues, les géographes, les historiens, les politistes, les linguistes ou les anthropologues de ma connaissance qui ont eu la curiosité de le lire. Cependant sa publication était attendue et constitue, en quelque sorte, l’acmé de la maladie qui frappe le débat public sur l’Université en France depuis de longs mois. Le contexte impose donc de s’y attarder un peu plus.

      Je voudrais le faire ici en montrant la série impressionnante de fallaces logiques qu’il contient. Des fallaces que l’on retrouve d’ailleurs, avec quelques variations, dans d’autres productions de l’Observatoire du décolonialisme que les trois auteurs ont contribué à fonder. En employant ce terme un peu désuet je désigne un ensemble d’arguments ayant les apparences de la logique mais dont l’intention est de tromper ceux à qui ils sont adressés. Le terme est toujours fréquemment employé en anglais sous la forme fallacy pour désigner des ruses argumentatives que le raisonnement scientifique devrait s’interdire, particulièrement dans les sciences humaines et sociales. Il est évidemment ironique de constater que des intellectuels qui prétendent depuis des mois que l’Université française est corrompue par l’idéologie et le manque d’objectivité le font au moyens de procédés d’argumentation grossièrement fallacieux. C’est pourtant le cas et ce constat, à lui seul, justifie d’exposer les méthodes de ce groupe. Au-delà, ces procédés en disent aussi beaucoup sur l’offensive idéologique menée par ceux qui, à l’image des trois signataires, prennent aujourd’hui en otage l’Université, et particulièrement les sciences humaines et sociales, pour accréditer l’idée selon laquelle toute critique des inégalités et des discrimnations, comme toute entreprise d’élaboration conceptuelle ou méthodologique pour les mettre en évidence — particulièrement celles qui touchent aux questions du genre et de la race — devrait être réduite au silence car suspecte de compromission idéologique « décoloniale » ou « islamo-gauchiste ».

      Les auteurs de cette tribune, deux linguistes et un médecin, sont familiers des prises de position dans les médias. On ne peut donc les suspecter d’avoir fait preuve d’amateurisme en publiant cette tribune. Tous les trois sont par exemple signataires de l’appel des cent qui dès novembre 2020 exigeait de la Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche qu’elle rejoigne son collègue de l’Éducation nationale dans la lutte contre « les idéologies indigéniste, racialiste et ‘décoloniale’ » à l’Université. Si l’on doit au Ministre de l’Intérieur Géral Darmanin d’avoir le premier agité le spectre de l’islamo-gauchisme dans la société française à l’automne 2020, c’est en effet Jean-Michel Blanquer qui marqua les esprits au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty en évoquant les « complices intellectuels » de ce crime et en déclarant que, je cite, « le poisson pourrit par la tête ». Il n’est évidemment pas possible de déterminer si l’activisme des cent, qui a conduit à la création de l’Observatoire du décolonialisme en janvier 2021 et à de très nombreuses interventions médiatiques de ses animateurs depuis, est à l’origine du changement de cap de Frédérique Vidal ou s’il n’a fait que l’accompagner, ce qui est plus probable. Il est certain, en revanche, que la Ministre de l’Enseignement supérieur, en évoquant à son tour la « gangrène » islamo-gauchiste à l’Université le 14 février 2021 et en annonçant une enquête sur le sujet, a satisfait les demandes de ces cent collègues. Ceux-ci sont d’ailleurs, de ce fait, les seuls à pouvoir se féliciter de l’action d’une ministre qui a réussi à fédérer contre elle en quelques mois — la polémique sur l’islamo-gauchisme étant la goutte d’eau qui fait déborder le vase — tout ce que le monde de la recherche compte de corps intermédiaires ou d’organismes de recherche ainsi que 23.000 signataires d’une pétition demandant sa démission.

      Que signifient exactement « décolonial » et « idéologies identitaires » pour ces auteurs ? Il n’est pas aisé de répondre à cette question car les définitions proposées sur le site de l’association sont assez sibyllines. On devine cependant que ces labels s’appliquent à tout un ensemble d’idées qui ont pour caractéristique commune de questionner la domination masculine et le racisme mais aussi la permanence du capitalisme et contribuent de ce fait, pour les membres de l’Observatoire, à une « guerre sainte menée contre l’occident ». Dans cette auberge espagnole conceptuelle il n’est cependant pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que les convives ont quelques obsessions. L’écriture inclusive, l’identité, l’intersectionalité, le « wokisme », la racialisation, les études sur le genre ou l’analyse du fait « postcolonial » en font partie.

      À défaut d’une définition claire, concentrons-nous sur la stratégie d’argumentation des membres de l’Observatoire. Jusque là ceux-ci ont adopté une stratégie que l’on peut qualifier, sans jugement de valeur, d’anecdotique. Elle vise en effet à isoler dans le flot de l’actualité universitaire un événement, un livre ou une prise de position et à réagir à son propos de manière souvent brève ou ironique, voire sur le ton du pastiche que prisent ces observateurs. On trouve par exemple en ligne sur leur site un recueil de textes « décoloniaux », un générateur de titres de thèses « décoloniales », un lexique humoristique du « décolonialisme »… Quant aux interventions dans les médias elles se font l’écho des initiatives du gouvernement en soulignant leurs limites (par exemple en réfutant l’idée que le CNRS puisse mener l’enquête demandée par la ministre), ciblent des institutions soupçonnées de trop grande compromission avec le « décolonialisme » comme la CNCDH qui publie l’enquête la plus approfondie et la plus reconnue sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie en France. Elles relaient aussi les positions d’intellectuels critiques des discriminations positives ou du « multiculturalisme ».

      Ces interventions privilégient un mode d’action singulier dans l’espace académique qui constitue la première fallace que nous pouvons attribuer à ce groupe, à savoir l’attaque ad hominem contre des chercheuses et des chercheurs (mais aussi contre des militantes et militants des mouvements anti-raciste et féministe). Nahema Hanafi, Nonna Mayer et plus récemment Albin Wagener en ont par exemple fait les frais. En soi, critiquer les arguments avancés par des personnes n’est évidemment pas un problème (c’est d’ailleurs ce que je fais ici). Mais critiquer, plus ou moins violemment, des personnes dont on ignore ou déforme les arguments en est bien un. On ne compte plus dans les textes ou interviews des membres de cet Observatoire les références à des ouvrages cités par leur quatrième de couverture, les allusions moqueuses à des recherches dont les auteur•es ne sont même pas cité•es et peut-être pas connu•es, les références à des saillies d’humoristes pour analyser des travaux de recherche ou les petites piques visant à disqualifier telle ou tel collègue. Cette fallace a d’autres variantes comme celle de l’homme de paille (on devrait d’ailleurs dire ici dela femme de paille tant il existe un biais genré dans le choix des cibles de cet Observatoire) qui consiste à fabriquer des individus imaginaires qui incarnent de manière stylisée la dangereuse chimère « décoloniale ». Le travail ethnographique de Nahema Hanafi est par exemple violemment attaqué au motif qu’il ferait « l’éloge d’un système criminel », rien de moins.

      Une autre variante de cette fallace consiste à suggérer des associations d’idées saugrenues par le détour du pastiche ou de l’ironie qui permettent aussi de critiquer sans lire mais qui remplissent un autre rôle, plus original : celui de détourner l’attention du public quant on est soi-même critiqué. Albin Wagener, qui a mené un travail d’objectivation précis de certains mots-clés considérés comme « décoloniaux » dans la production des sciences humaines et sociales (voir plus bas), est par exemple moqué dans une vidéo imitant la propagande nord-coréenne. Plus grave encore, les sciences sociales « décoloniales » et « intersectionnelles » selon l’Observatoire sont incarnées dans une autre vidéo sous les traits du personnage de Hitler joué par Bruno Ganz dans une scène très souvent détournée du film « La Chute » d’Oliver Hirschbiegel. La stratégie d’argumentation emprunte ici à la fallace du « hareng rouge » consistant pour ces auteurs à utiliser des arguments grotesques ou scandaleux pour détourner l’attention de critiques plus fondamentales qui leur sont faites. En l’occurrence, suggérer que les sciences sociales « décoloniales » ou l’analyse du phénomène raciste sont nazies est à la fois pathétique et insultant. Mais ce parallèle permet aussi de faire diversion — par l’absurde. Ce qu’il s’agit en effet de cacher c’est justement que la version du républicanisme « anti-décolonial » proposée par l’Observatoire reproduit dans ses modes d’intervention des pratiques de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la droite « alternative » ou alt-right. Le paralogisme « c’est celui qui dit qui l’est » — aujourd’hui courant dans les milieux d’extrême-droite — fait donc son entrée, avec l’Observatoire du décolonialisme, dans le milieu académique.

      Une seconce fallace de l’argumentation est à l’oeuvre dans les prises de position des anti-décolonialistes : l’argumentation ad nauseam ou répétition sans fin des mêmes arguments. Au lieu de faire ce qui est attendu dans le monde académique, à savoir une enquête sérieuse et patiente sur chaque cas de « décolonialisme » que l’on voudrait critiquer, les membres de l’Observatoire emploient depuis des mois une stratégie consistant plutôt à distiller quelques éléments de langage sur de multiples supports en profitant des effets de caisse de résonance des réseaux sociaux. Le mécanisme est simple : tel article sur le site de l’Observatoire s’appuie sur une tribune du Point qui suscite elle-même un autre article dans le Figaro qui provoque un tweet d’une figure politique ou journalistique très suivie, lequel suscite des dizaines ou des centaines de réponses, mentions et autres retweets. De cette manière l’Observatoire et ses membres s’installent dans l’espace public sur la simple base de leur activisme de la visibilité. Ironie : un journal un peu plus sérieux cherchera alors à analyser ce phénomène et pour cela donnera la parole de manière disproportionnée aux membres de l’Observatoire ou ravivera le cliché éculé des « guerres de tranchées » universitaires qui laisse penser que tout cela, au lieu d’être une offensive inédite contre la liberté de l’enseignement et de la recherche est un effet pervers de la vie universitaire elle-même. À n’en pas douter, un autre journal trouvera bientôt ces personnalités singulières ou attachantes et se proposera d’en faire le portrait…

      Pourquoi, dès lors, des réactions plus nombreuses peinent-elles à émerger pour contrer cette logorrhée anti-décoloniale ? L’explication tient dans la loi dite de Brandolini, ou « bullshit asymmetry principle » : énoncer une ineptie ne prend que quelques minutes alors que la réfuter sérieusement prend du temps. Celles et ceux qui sont la cible des attaques de l’Observatoire ou qui envisagent de critiquer ses thèses déclarent donc souvent forfait par manque de temps mais aussi par manque d’intérêt pour la polémique en elle-même dont le niveau est accablant. Plus grave, critiquer les thèses de l’observatoire ou émettre des idées considérées comme lui par « décoloniales » expose de plus en plus souvent à des tirs de barrage considérables sur les réseaux sociaux et à des insultes et des menaces. La fallace de l’argumentation ad nauseam porte, en effet, bien son nom : dès lors que l’un des membres de l’observatoire, ou un influenceur qui se fait le relais de ses thèse, désigne aux réseaux de ses soutiens une cible à viser, celle-ci reçoit des centaines de messages infamant qui sont en soi un motif légitime d’inquiétude et supposent un surcroit de travail pour les signaler aux autorités, quand bien même il est très probable que rien ne sera fait pour les arrêter.

      La troisième fallace que l’on peut observer dans les prises de position de l’Observatoire du décolonialisme consiste évidemment à ne sélectionner dans l’ensemble de la production des sciences sociales que les quelques exemples de travaux susceptibles d’alimenter la thèse défendue, à savoir celle d’une augmentation de la production académique sur le genre, le racisme ou le « décolonialisme ». Cette fallace, que l’on qualifie souvent de « cueillette de cerises » (cherry picking) est inhérente à l’argumentation anecdotique. On ne s’attend évidemment pas à ce que les cas sélectionnés par l’Observatoire soient choisis autrement que parce qu’ils valident la thèse que celui-ci défend. Ceci étant dit on peut quand même faire remarquer que s’il existait un Observatoire de l’inégalitarisme celui-ci montrerait sans peine que la thématique du creusement des inégalités progresse fortement dans les SHS en ce moment. Un observatoire du pandémisme montrerait que de plus en plus d’articles s’intéressent récemment aux effets des structures sociales sur les pandémies et un observatoire du réseautisme que la métaphore du « réseau » a plus le vent en poupe que celle de la « classe ». En bref : le fait que des chercheurs inventent des concepts et les confrontent à la réalité sociale est inhérent à l’activité scientifique. Le fait qu’ils le fassent de manière obsessionnelle et à partir de ce qui constitue leur rapport aux valeurs, comme dirait Max Weber, aussi. La seule question qui vaille au sujet de ces recherches est : sont-elles convaincantes ? Et si l’on ne le croit pas, libre à chacun de les réfuter.

      Venons donc maintenant à l’originalité de la tribune du Figaro. Elle propose en effet un nouveau style argumentatif fondé sur une étude empirique aspirant à une telle quantification. Il s’agit en effet ni plus ni moins que d’évaluer la part des sciences humaines et sociales gangrénées par le « décolonialisme ». On imagine que les auteurs se sont appliqués puisque cette mesure est d’une certaine façon ce qui manquait jusque là à leur bagage et qu’elle répond à la demande de la ministre Frédérique Vidal tout en ambitionnant de contrer les arguments quantitatifs avancés par deux collègues qui ont au contraire montré la faiblesse de l’idée de conversion des sciences sociales au décolonialisme à partir d’analyses de corpus.

      Rappelons ces deux études dont nous disposons. D’un côté Albin Wagener a mesuré le poids quelques mots-clé dans un éventail assez large de sources (theses.fr, HAL, Cairn et Open Edition). Sa conclusion : les travaux employant des termes comme « décolonial », « intersectionnel », « racisé » ou « islamo-gauchisme » augmentent depuis les années 2010 mais restent marginaux (0,2% des thèses soutenues ou à venir en 2020, 3,5% du total des publications dans Open Editions et 0,06% dans HAL). D’un autre côté David Chavalarias a analysé le contenu de 11 millions de comptes Twitter pour mettre en évidence la marginalité du terme « islamo-gauchisme » et de ses variantes qui ne sont présents que dans 0,019% des tweets originaux analysés mais dont on peut caractériser l’origine dans des comptes de l’extrême-droite dont beaucoup ont été suspendus par Twitter parce qu’ils pratiquaient l’astroturfing, un ensemble de pratique visant à diffuser massivement des contenus en automatisant l’envoi de tweets ou les retweets de ces tweets. David Chavalarias a souligné la singularité de la stratégie du gouvernement français qui a contribué massivement en 2020 à faire sortir ce terme des cercles d’extrême-droite pour l’amener sur le devant de la scène, une stratégie proche de celle de l’alt-right américaine.

      La fallace la plus évidente que contient le texte du Figaro relève du domaine des conclusions hâtives (hasty conclusion). Les auteurs en arrivent en effet à une conclusion impressionnante (« La recherche en décolonialisme pèse donc 20% de l’activité de blogging et d’organisation d’événements scientiques et la moitié (50%) de la part des publications. ») mais au prix de raccourcis logiques si évidents et grossiers qu’ils ont conduit la plupart des lecteurs de ce texte à déclarer forfait après quelques lignes et qu’ils auraient dû mettre la puce à l’oreille de tous ceux qui eurent à le lire jusqu’au bout, par exemple au Figaro (à moins que personne ne l’ait lu jusqu’au bout dans ce journal ?). Citons les quatre plus importants : le manque de spécificité de la méthode, son manque d’homogénéité, l’introduction de biais massifs d’échantillonnage et un problème confondant de mesure.

      La méthode retenue consiste d’abord à identifier quelques mots-clé considérés comme des signaux permettant de constituer un corpus de documents représentatifs des idées « décoloniales ». On en s’attardera pas sur un des problèmes possibles de ce type de méthodes qui est qu’elle conduisent à mêler dans le corpus des documents mentionnant ces mots-clés pour des raisons très différentes (pour adhérer à un chois de concept, pour le critiquer, pour le moquer…). Les auteurs évoquent ce défaut au début de l’article et ce n’est pas le plus grave. Beaucoup plus stupéfiante en effet est l’absence de prise en compte de la polysémie des termes choisis. Faisons-en la liste : « genre », « race » et « intersectionnalité » sont d’abord mentionnés mais la recherche a été vite élargie à « racisme » et « discrimination » puis à « décolonial », « post-colonial » et « islamophobie ». Les auteurs prennent la peine de signaler qu’ils ont inclus un « homographe » de « post-colonial » (à savoir « postcolonial ») mais il ne leur vient semble-t-il pas à l’esprit que certains de ces termes sont surtout polysémiques et peuvent être employés dans des contextes totalement étrangers aux questions idéologiques qui obsèdent l’Observatoire du décolonialisme. C’est notamment le cas de « genre » et de « discrimination » dont l’emploi conduit à compter dans le corpus des articles sur le genre romanesque ou la discrimination entre erreur et vérité. Un collègue m’a même fait remarquer que les trois auteurs se sont, de fait, inclus dans leur propre corpus dangereusement décolonial, sans doute par mégarde. L’un a en effet utilisé le mot « genre », pour décrire « un navigateur d’un genre un peu particulier », l’autre le même terme pour parler de de musique et le troisième — qui n’a pas de publications dans OpenEdition — mentionne quant à lui dans PubMed des méthodes permettant de « discriminer des échantillons ». Nos auteurs ont cru avoir trouvé avec leurs calculs l’arme fatale de l’anti-décolonialisme. Il semble que c’est une pétoire qui tire sur leurs propres pieds…

      Un autre problème mérite aussi d’être soulevé concernant les mots-clé choisis. Ceux-ci mélangent des concepts des sciences sociales et des termes décrivant des faits qui sont reconnus comme tels très largement. Ainsi, même si l’on laisse de côté la question de l’islamophobie, le « racisme » et les « discriminations » sont des faits reconnus par le droit et mesurés régulièrement dans quantité de documents. On pourrait comprendre que la méthode des auteurs consiste à cibler des concepts dont ils pensent qu’ils sont problématiques et dont il s’agirait dès lors de suivre l’expansion. Mais en incluant « racisme » et « discriminations » dans la sélection du corpus les auteurs trahissent une partie de l’obsession qui est la leur. Ils ne contestent en effet pas seulement le droit des sciences sociales à élaborer comme bon leur semble leur vocabulaire mais aussi leur droit à s’intéresser à certains faits comme le racisme ou les discriminations. Faudrait-il donc confier l’objectivation de ces faits à d’autres disciplines ? Ou bien tout simplement décider que ces faits n’existent pas comme le font certains régulièrement ?

      La méthode pose aussi un problème d’échantillonnage qui ne semble pas avoir vraiment effleuré les auteurs. Ceux-ci construisent un corpus fondé principalement sur la plateforme OpenEdition considérée comme « un lieu-outil où la recherche se présente aux instances gouvernantes comme un mètre-étalon des livrables de la recherche » Il faut sans doute être assez éloigné de la recherche pour considérer ce choix comme pertinent, surtout lorsque l’on restreint encore le corpus en ne gardant que les blogs et événements scientifiques… Les instances d’évaluation de la recherche sont en effet — c’est d’ailleurs heureux — bien plus intéressées par les publications dans des revues de premier rang, qu’elles soient en accès libre ou pas, que par des billets de blog. Et il est de notorité commune que OpenEdition ne couvre pas tout le champ de la production scientifique et n’a pas été créé pour cela.

      Enfin, last but not least, les auteurs de ce texte utilisent pour mesurer le phénomène qui les intéresse une fallace très connue — mais dont beaucoup pensaient qu’elle avait été éradiquée de la recherche en sciences sociales — la fallace du juste milieu (ou golden mean fallacy). Celle-ci consiste à considérer que si l’on dispose de deux évaluations discordantes d’un même phénomène on peut utiliser la moyenne des deux comme solution. Essayons de suivre le raisonnement des auteurs de la tribune : « Entre les 0,01% de mots de la recherche décoloniale identiés par certains lexicomètres et nos 50%, la marche est grande. On entend déjà les uns hurler au blasphème, les autres à la caricature et les troisièmes déclarer qu’entre deux extrêmes, la vérité est forcément entre les deux. Ce dogme de la parité d’où émerge la voie médiane est une illusion rhétorique - mais quand bien même : disons que de 1 à 50, la vérité soit 25 : cela signie donc qu’un quart de la recherche en Sciences Humaines est occupée aujourd’hui par ces questions transverses - ce qui est non négligeable. » On admirera la logique qui consiste à déclarer le choix moyen — et pas médian d’ailleurs comme l’écrivent les auteurs (mais laissons cela de côté) — comme une « illusion rhétorique » (imputée à un étrange « dogme de la parité », encore un hareng rouge sans doute…) tout en faisant ce choix dans la même phrase à coups de tirets et de guillemets… On admirera aussi la logique qui assimile 0,01 à 1… À ce niveau de pifométrie, il est dommage que les auteurs ne soient pas allés jusqu’au bout de leur logique en déclarant que 100% de la recherche en sciences humaines et sociales est gangrénée par le décolonialisme. Ils auraient pu alors, comme le Dr Knock de Jules Romains, ériger en maxime le fait que, dans ces disciplines, « tout homme bien portant est un malade qui s’ignore ».

      On pourrait encore signaler au moins deux autres fallaces logiques dans ce texte. La première est l’absence de la moindre préoccupation pour la littérature pertinente sur le problème abordé. La bibliométrie (le fait de compter des publications) est pourtant une méthode reconnue de la sociologie comme de l’histoire des sciences et de nombreuses recherches l’ont appliquée au sciences sociales. Si les auteurs de ce texte avaient fait preuve d’un peu de modestie et s’étaient intéressés à cette littérature — ce qu’auraient fait des chercheurs — ils auraient évité de se fourvoyer à ce point. Ils auraient aussi découvert qu’un des résultats les plus fondamentaux de ces disciplines est que les « fronts de la recherche » progressent non pas à la mesure des occurrences de mots-clé dans la littérature scientifique mais à celle des citations des articles qui la composent.

      On peut dès lors invoquer une dernière fallace qui caractérise ce texte, celle du raisonnement circulaire : les résultats de la recherche étaient évidemment entièrement contenus dans ses prémisses et tout l’appareil méthodologique employé ne visait qu’à prouver des préjugés et à recouvrir ce tour de magie d’un voile de scientificité au moyen de divers artifices comme celui de l’argument d’autorité dont relèvent dans ce texte l’usage de mots compliqués employés à plus ou moins bon escient comme « panel », « token » ou « principe de déclarativité » et celui de raisonnements si manifestement confus qu’ils semblent forgés pour un canular scientifique. Le raisonnement établissant qu’en élargissant la recherche on arrive à baisser le nombre total d’articles décomptés est un modèle du genre : « Sur OpenEdition, réduit à la part des blogs (Hypotheses) et événements annoncés (Calenda) : une recherche « courte » sur « genre, race et intersectionnalité » donne près de 37578 résultats sur 490078 (au 20 mars 2021) soit 7% de la recherche globale. Ce qui à première vue semble peu. Une recherche étendue sur « racisme et discrimination » présente d’ailleurs une faible augmentation avec 32695 occurrences sur 39064 titres, soit 8% des objets décrits sur la plateforme. » Tempête sous un crâne !

      À quoi peut donc bien servir ce texte si malhonnête dans son argumentation ? Il semble évident qu’il ne sert à rien pour l’avancement des connaissances sur l’évolution des sciences humaines et sociales. Reste donc son efficacité politique. En affirmant haut et fort que le quart de la recherche française en sciences humaines et sociales est gangréné par le « décolonialisme » (une affirmation que n’importe quel journaliste un peu au fait du monde de la recherche aurait dû trouver immédiatement ridicule, mais semble-t-il pas celles et ceux qui éditent les tribunes du Figaro) les auteurs de ce texte alimentent évidemment une panique morale dont l’Université est aujourd’hui la cible et qui vise à justifier des politiques de contrôle gouvernemental sur l’activité d’enseignement et de recherche et, pour faire bonne mesure, la baisse des budgets qui leur sont consacrés (tout ceci étant déjà en bonne voie). Une panique morale qui vise aussi à intimider et menacer celles et ceux qui travaillent sur les inégalités et les discriminations liées au genre et à l’expérience raciale dans notre société. Une panique morale qui vise enfin à polariser l’opinion en lui livrant — pour quel profit politique à venir ? — des boucs émissaires décoloniaux, intersectionnels et islamo-gauchistes à blâmer pour toutes les calamités qui affligent aujourd’hui notre société.

      https://gillesbastin.github.io/chronique/2021/04/07/les-fallaces-de-l'antidecolonialisme.html

    • Leila Véron sur twitter

      Je vous résume l’"Observatoire" du décolonialisme en quatre points (les gens, le propos, la rhétorique, les méthodes)
      1) « observatoire » autoproclamé sans légitimité institutionnelle, composé de chercheuses et de chercheurs et de leur cercle amical bien au-delà de la recherche
      2) le propos. Propos proclamé : défendre la science, la rationalité, le débat contradictoire. Propos réel : en grande partie, des billets d’humeur sur la société, la politique, et leurs collègues.
      3) le ton : celui de la constatation indignée (ça me fait penser à ce que disait Angenot sur le style pamphlétaire, ça évite d’avoir à argumenter, genre c’est EVIDENT que c’est scandaleux), de l’insulte peu originale (ils aiment bcp liberté égalité débilité), tendance à la litanie
      La rhétorique : un peu de vrai, pas mal de faux, et beaucoup d’invérifiable/ fantasmé/ présenté de manière exagérée/tordue/de mauvaise foi. Ca me fait penser aux rhétoriques des théories du complot.
      Quand ces gens qui prétendent défendre la science ont essayé d’appuyer leurs propos sur une étude chiffrée argumentée, que croyez-vous qu’il arriva ? Ils racontèrent n’importe quoi, @gillesbastin a relevé leurs erreurs grotesques : https://gillesbastin.github.io/chronique/2021/04/07/les-fallaces-de-l'antidecolonialisme.html

      Je ne sais pas ce que je préfère, le fait d’assimiler 0,01 à 1 ou de dire « certains disent que c’est 0,01% de la recherche qui est décoloniale, nous on disait 50%, ben on n’a qu’à choisir le milieu ma bonne dame ». La rigueur scientifique !

      4) la méthode : le contraire de l’argumentation scientifique et en plus ils l’assument : « On fait dans le pamphlet et dans l’ironie » déclare M. Salvador (co-fondateur). On pourrait rajouter le trollage, avec des vidéos et montages de collègues

      Je ne me remets pas de cette citation de XL Salvador « Si on est réduits à sortir un observatoire qui a ce ton, c’est bien parce qu’on n’arrive pas à mener ce débat. C’est un appel au secours d’amant éconduit »
      Bien vu pour l’incapacité à mener un débat scientifique...
      .. mais cette métaphore sérieusement ! J’ai envie de dire qu’il y a d’autres moyens que l’insulte et le pleurnichage pour gérer sa peine d’amant éconduit, non ?
      Conclusion : contradictions, les gens de l’observatoire hurlent au danger de la politisation dans la science et sont archi engagées politiquement dans des sujets divers qui excèdent largement la recherche (ce qui est leur droit, mais le niveau de mauvaise foi est énorme).
      J’ai oublié, stratégie : le matraquage. Les mêmes dénonciations, les mêmes textes vides, les mêmes pastiches, les mêmes vannes dans des bouquins, articles, site1, site2, site3... et sur twitter.
      Ca conduit à des situations où ces gens qui dénoncent l’écriture inclusive et la recherche sur l’écriture inclusive finissent par ne quasi plus parler que de l’écriture inclusive (alors que ce qu’ils et elles faisaient avant avait un autre niveau !) Marche aussi pour la race.
      On leur souhaite une bonne fin de carrière chez Causeur ou CNews, et un bon courage à toutes les chercheuses et chercheurs qui ont déjà assez de luttes à mener et qui se prendront leurs attaques. Par expérience : n’hésitez pas à porter plainte si besoin est (insulte, diffamation).

      https://twitter.com/Laelia_Ve/status/1405257470709317634

  • Decolonisation and humanitarian response

    As part of our annual Careers in Humanitarianism Day, we were joined by:

    #Juliano_Fiori (Save the Children, and PhD Candidate at HCRI)
    – Professor #Patricia_Daley (Oxford University)
    – Professor #Elena_Fiddian-Qasmiyeh (UCL)

    in discussion (and sometimes disagreement!) on the notions of humanitarianism and decolonisation.

    https://www.youtube.com/watch?list=PLcf7O1Y_SOZQ24s6vCT8rtR9ANGs0nzEi&v=BSTjc3YCH9I&feature=youtu.b


    #décolonialité #décolonialisme #humanitaire #conférence

    ping @cede @isskein @karine4

    • Migration, Humanitarianism, and the Politics of Knowledge —> An Interview with #Juliano_Fiori.

      Elena Fiddian-Qasmiyeh: In this issue of Migration and Society we are interested in the overarching theme of “Recentering the South in Studies of Migration.” Indeed, it is increasingly acknowledged that studies of and policy responses to migration and displacement often have a strong Northern bias. For instance, in spite of the importance of different forms of migration within, across, and between countries of the “global South” (i.e., “South-South migration”), there is a significant tendency to focus on migration from “the South” to countries of “the North” (i.e., South-North migration), prioritizing the perspectives and interests of stakeholders associated with the North. Against this backdrop, what is your position with regard to claims of Eurocentrism in studies of and responses to migration?

      Juliano Fiori: To the extent that they emerge from immanent critiques of colonialism and liberal capitalism, I am sympathetic toward them.1 Decentering (or provincializing) Europe is necessarily an epistemological project of deconstruction. But to contribute to a counterhegemonic politics, this project must move beyond the diagnosis of epistemicide to challenge the particular substance of European thought that has produced systems of oppression.

      The idea of “decolonizing the curriculum” is, of course, à la mode (Sabaratnam 2017; Vanyoro 2019). It is difficult to dispute the pedagogical necessity to question epistemic hierarchies and create portals into multiple worlds of knowledge. These endeavors are arguably compatible with the exigencies of Enlightenment reason itself. But, though I recognize Eurocentrism as an expression of white identity politics, I am wary of the notion that individual self-identification with a particular body of knowledge is a worthy or sufficient end for epistemic decolonization—a notion I associate with a prevalent strain of woke post-politics, which, revering the cultural symbols of late capitalism but seeking to resignify them, surely produces a solipsistic malaise. Decolonization of the curriculum must at least aim at the reconstruction of truths.

      Eurocentrism in the study of human migration is perhaps particularly problematic—and brazen—on account of the transnational and transcultural histories that migrants produce. Migrants defy the neat categorization of territories and peoples according to civilizational hierarchies. They redefine the social meaning of physical frontiers, and they blur the cultural frontier between Self and Other. They contribute to an intellectual miscegenation that undermines essentialist explanations of cultural and philosophical heritage. Migration itself is decentering (Achiume 2019).

      And it is largely because of this that it is perceived as a threat. Let’s consider Europe’s contemporary backlash against immigration. The economic argument about the strain immigration places on the welfare state—often framed in neo-Malthusian terms—can be readily rebutted with evidence of immigrants’ net economic contribution. But concerns about the dethroning of “European values” are rarely met head-on; progressive political elites have rather responded by doubling down on calls for multiculturalism from below, while promoting universalism from above, intensifying the contradictions of Eurocentricity.

      It is unsurprising that, in the Anglophone world, migration studies developed the trappings of an academic discipline—dedicated university programs, journals, scholarly societies—in the late 1970s, amid Western anxieties about governing increased emigration from postcolonial states. It quickly attracted critical anthropologists and postcolonial theorists. But the study of the itinerant Other has tended to reinforce Eurocentric assumptions. Migration studies has risen from European foundations. Its social scientific references, its lexicon, its institutional frameworks and policy priorities, its social psychological conceptions of identity—all position Europe at the zero point. It has assembled an intellectual apparatus that privileges the Western gaze upon the hordes invading from the barrens. That this gaze might be cast empathetically does nothing to challenge epistemic reproduction: Eurocentrism directs attention toward the non-Western Other, whose passage toward Europe confirms the centrality of Europe and evokes a response in the name of Eurocentrism. To the extent that Western scholars focus on South-South migration, the policy relevance of their research is typically defined by its implications for flows from South to North.

      The Eurocentrism of responses to forced migration by multinational charities, UN agencies, and the World Bank is not only a product of the ideological and cultural origins of these organizations. It also reflects the political interests of their principal donors: Western governments. Aid to refugees in countries neighboring Syria has been amply funded, particularly as the European Union has prioritized the containment of Syrians who might otherwise travel to Europe. Meanwhile, countries like India, South Africa, and Ivory Coast, which host significant numbers of regional migrants and refugees, receive proportionally little attention and support.

      It is an irony of European containment policies that, while adopted as a measure against supposed threats to Europeanness, they undermine the moral superiority that Eurocentrism presupposes. The notion of a humanitarian Europe is unsustainable when European efforts to deter immigration are considered alongside the conditions accepted for other regions of the world. A continent of more than half a billion people, Europe hosts just under 2.3 million refugees; Lebanon, with a population of six million, hosts more than 1.5 million refugees from Syria alone. It should be noted that, in recent years, European citizens’ movements have mobilized resources to prevent the death of people crossing the Mediterranean. Initiatives like Alarm Phone, Open Arms, Sea Watch, and SOS MEDITERRANEE seem to represent a politicized humanitarianism for the network age. But in their overt opposition to an emboldened ethnonationalist politics, they seek to rescue not only migrants and refugees, but also an idea of Europe.

      EFQ: How, if at all, do you engage with constructs such as “the global North,” “the global South,” and “the West” in your own work?

      JF: I inevitably use some of these terms more than others, but they are all problematic in a way, so I just choose the one that I think best conveys my intended meaning in each given context. West, North, and core are not interchangeable; they are associated with distinct, if overlapping, ontologies and temporalities. As are Third World, South, and developing world.

      I try to stick to three principles when using these terms. The first is to avoid the sort of negative framing to which your work on South-South encounters has helpfully drawn attention (i.e., Fiddian-Qasmiyeh 2015, 2018; Fiddian-Qasmiyeh and Daley 2018). When we come across one of these terms being deployed negatively, it invariably describes that which is not of the West or of the North. As such, it centers Europe and North America, and it opens up an analytical terrain on which those residing beyond the imagined cultural bounds of these regions tend to be exoticized. When I need to frame something negatively, I try to do so directly, using the appropriate prefix.

      Second, I try to avoid setting up dichotomies and continuities. Placing East and West or North and South in opposition implies entirely dissimilar bodies, separated by a definite, undeviating frontier. But these terms are mutually constitutive, and it is rarely clear where, or even if, a frontier can be drawn. Such dichotomies also imply a conceptual equilibrium: that what lies on one side of the opposition is ontologically equivalent to what lies on the other. But the concept of the West is not equivalent to what the East represents today; indeed, it is questionable whether a concept of the East is now of much analytical value. South, West, North, and East might be constructed dialectically, but their imagined opposites are not necessarily their antitheses. Each arguably has more than one counterpoint.

      Similarly, I generally don’t use terms that associate countries or regions with stages of development—most obviously, least developed, developing, and developed. They point toward a progressivist and teleological theory of history to which I don’t subscribe. (The world-systems concepts of core, semiperiphery, and periphery offer a corrective to national developmental mythologies, but they are nonetheless inscribed in a systemic teleology.) The idea of an inexorable march toward capitalist modernity—either as the summit of civilization or as the point of maximum contradiction—fails to account for the angles, forks, and dead ends that historical subjects encounter. It also tends to be founded on a Eurocentric and theological economism that narrows human experience and, I would argue, mistakenly subordinates the political.

      Third, I try to use these terms conceptually, without presenting them as fixed unities. They must be sufficiently tight as concepts to transmit meaning. But they inevitably obscure the heterogeneity they encompass, which is always in flux. Moreover, as concepts, they are continuously resignified by discursive struggles and the reordering of the interstate system. Attempts to define them too tightly, according to particular geographies or a particular politics, can give the impression that they are ahistorical. Take Boaventura de Sousa Santos’s definition of the South, for example. For Santos, the South is not a geographical concept: he contends that it also exists in the geographical North (2014, 2016). Rather, it is a metaphor for the human suffering caused by capitalism and colonialism. It is anticapitalist, anticolonialist, antipatriarchal, and anti-imperialist. According to this definition, the South becomes representative of a particular left-wing politics (and it is negative). It thus loses its utility as a category of macrosociological analysis.

      Ultimately, all these terms are problematic because they are sweeping. But it is also for this reason that they can be useful for certain kinds of systemic analysis.

      EFQ: You have written on the history of “Western humanitarianism” (i.e., Fiori 2013; Baughan and Fiori 2015). Why do you focus on the “Western” character of humanitarianism?

      JF: I refer to “Western humanitarianism” as a rejoinder to the fashionable notion that there is a universal humanitarian ethic. Within both the Anglophone academy and the aid sector, it has become a commonplace that humanitarianism needs to be decolonized, and that the way to do this is to recognize and nurture “local” humanitarianisms around the world. In the last decade and a half, enthusiasm for global history has contributed to broader and more sophisticated understandings of how humanitarian institutions and discourses have been constructed. But it has also arguably contributed to the “humanitarianization” of different altruistic impulses, expressions of solidarity, and charitable endeavors across cultures.

      The term “humanitarian” was popularized in English and French in the first half of the nineteenth century, and it soon became associated with humanistic religion. It thus connoted the existence of an ideal humanity within every individual and, as Didier Fassin (2012) has argued, it has come to represent the secularization of the Christian impulse to life. It was used to describe a wide range of campaigns, from abolition and temperance to labor reform. But all promoted a rationalist conception of humanity derived from European philosophy. That is, an abstract humanity, founded upon a universal logos and characterized by the mind-body duality. What is referred to today as the “humanitarian system”—of financial flows and liberal institutions—has been shaped predominantly by Western power and political interests. But the justification for its existence also depends upon the European division between the reasoned human and the unreasoned savage. The avowed purpose of modern humanitarianism is to save, convert, and civilize the latter. To cast modern humanitarian reason as a universal is to deny the specificity of ethical dispositions born of other conceptions of humanity. Indeed, the French philosopher François Jullien (2014) has argued that the concept of “the universal” itself is of the West.

      Of course, there are practices that are comparable to those of Western humanitarian agencies across different cultures. However, claiming these for humanitarianism sets them on European foundations, regardless of their author’s inspiration; and it takes for granted that they reproduce the minimalist politics of survival with which the Western humanitarian project has come to be associated.

      So why not refer to “European humanitarianism”? First, because it must be recognized that, as a set of evolving ethical practices, humanitarianism does not have a linear intellectual genealogy. European philosophy itself has of course been influenced by other traditions of thought (see Amin 1989; Bevilacqua 2018; Hobson 2004; Patel 2018): pre-Socratic Greek thinkers borrowed from the Babylonians, the Persians, and the Egyptians; Enlightenment philosophes had exchanges with Arab intellectuals. Second, reference to the West usefully points to the application of humanitarian ideas through systems of power.

      Since classical antiquity, wars and ruptures have produced various narratives of the West. In the mid-twentieth century, essentialist histories of Western civilization emphasized culture. For Cold War political scientists, West and East often represented distinct ideological projects. I refer to the West as something approaching a sociopolitical entity—a power bloc—that starts to take form in the early nineteenth century as Western European intellectuals and military planners conceive of Russia as a strategic threat in the East. This bloc is consolidated in the aftermath of World War I, under the leadership of the United States, which, as net creditor to Europe, shapes a new liberal international order. The West, then, becomes a loose grouping of those governments and institutional interests (primarily in Europe and North America) that, despite divergences, have been at the forefront of efforts to maintain and renew this order. During the twentieth century, humanitarians were sometimes at odds with the ordering imperatives of raison d’état, but contemporary humanitarianism is a product of this West—and a pillar of liberal order.2

      EFQ: With this very rich historically and theoretically grounded discussion in mind, it is notable that policy makers and practitioners are implementing diverse ways of “engaging” with “the global South” through discourses and practices of “partnership” and supporting more “horizontal,” rather than “vertical,” modes of cooperation. In turn, one critique of such institutionalized policy engagement is that it risks instrumentalizing and co-opting modes of so-called South-South cooperation and “hence depoliticising potential sources of resistance to the North’s neoliberal hegemony” (Fiddian-Qasmiyeh and Daley 2018: 2). Indeed, as you suggested earlier, it has been argued that policy makers are strategically embracing “South-South migration,” “South-South cooperation,” and the “localisation of aid agenda” as efficient ways both “to enhance development outcomes” and to “keep ‘Southerners’ in the South,” as “part and parcel of Northern states’ inhumane, racist and racialised systems of border and immigration control” (Fiddian-Qasmiyeh and Daley 2018: 19). What, if any, are the dangers of enhancing “policy engagement” with “the South”? To what extent do you think that such instrumentalization and co-option can be avoided?

      JF: The term “instrumentalization” gives the impression that there are circumstances under which policy engagement can be objectively just and disinterested. Even when framed as humanitarian, the engagement of Western actors in the South is inspired by a particular politics. Policy engagement involves an encounter of interests and a renegotiation of power relations; for each agent, all others are instruments in its political strategy. Co-option is just a symptom of negotiation between unequal agents with conflicting interests—which don’t need to be stated, conscious, or rationally pursued. It is the means through which the powerful disarm and transform agendas they cannot suppress.

      The “localization agenda” is a good example. Measures to enable effective local responses to disaster are now discussed as a priority at international humanitarian congresses. These discussions can be traced at least as far back as Robert Chambers’s work (1983) on participatory rural development, in the 1980s. And they gathered momentum in the mid-2000s, as a number of initiatives promoted greater local participation in humanitarian operations. But, of course, there are different ideas about what localization should entail.

      As localization has climbed the humanitarian policy agenda, the overseas development divisions of Western governments have come to see it as an opportunity to increase “value for money” and, ultimately, reduce aid expenditure. They promote cash transfer programming as the most “empowering” aid technology. Localization then becomes complementary to the integration of emergency response into development agendas, and to the expansion of markets.

      Western humanitarian agencies that call for localization—and there are those, notably some branches of Médecins Sans Frontières, that do not—have generally fallen in line with this developmental interpretation, on account of their own ideological preferences as much as coercion by donor governments. But they have also presented localization as a moral imperative: a means of “shifting power” to the South to decolonize humanitarianism. While localization might be morally intuitive, Western humanitarians betray their hubris in supposing that their own concessions can reorder the aid industry and the geostrategic matrix from which it takes form. Their proposed solutions, then, including donor budgetary reallocations, are inevitably technocratic. Without structural changes to the political economy of aid, localization becomes a pretext for Western governments and humanitarian agencies to outsource risk. Moreover, it sustains a humanitarian imaginary that associates Westerners with “the international”—the space of politics, from which authority is born—and those in disaster-affected countries with “the local”—the space of the romanticized Other, vulnerable but unsullied by the machinations of power. (It is worth stating that the term “localization” itself implies the transformation of something “global” into something local, even though “locals”—some more than others—are constitutive of the global.)

      There are Southern charities and civil society networks—like NEAR,3 for example—that develop similar narratives on localization, albeit in more indignant tones. They vindicate a larger piece of the pie. But, associating themselves with a neomanagerial humanitarianism, they too embrace a politics incapable of producing a systemic critique of the coloniality of aid.

      Yet demands for local ownership of disaster responses should also be situated within histories of the subaltern. Some Western humanitarian agencies that today advocate for localization, including Save the Children, once faced opposition from anticolonial movements to their late imperial aid projects. More recently, so-called aid recipient perception surveys have repeatedly demonstrated the discontent of disaster-affected communities regarding impositions of foreign aid, but they have also demonstrated anguish over histories of injustice in which the Western humanitarian is little more than an occasional peregrine. It is the structural critique implicit in such responses that the localization agenda sterilizes. In the place of real discussion about power and inequalities, then, we get a set of policy prescriptions aimed at the production of self-sufficient neoliberal subjects, empowered to save themselves through access to markets.

      While some such co-option is always likely in policy engagement, it can be reduced through the formation of counterhegemonic coalitions. Indeed, one dimension of what is now called South-South cooperation involves a relatively old practice among Southern governments of forming blocs to improve their negotiating position in multilateral forums. And, in the twenty-first century, they have achieved moderate successes on trade, global finance, and the environment. But it is important to recognize that co-option occurs in South-South encounters too. And, of course, that political affinities and solidarity can and do exist across frontiers.

      EFQ: You edited the first issue of the Journal of Humanitarian Affairs, which focused on “humanitarianism and the end of liberal order” (see Fiori 2019), and you are also one of the editors of a forthcoming book on this theme, Amidst the Debris: Humanitarianism and the End of Liberal Order. New populisms of the right now challenge the liberal norms and institutions that have shaped the existing refugee regime and have promoted freer movement of people across borders. Can decolonial and anticolonial thinking provide a basis for responses to displacement and migration that do more than resist?

      JF: Any cosmopolitan response to migration is an act of resistance to the political organization of the interstate system.4 As blood-and-soil politicians now threaten to erect walls around the nation-state, the political meaning and relevance of cosmopolitan resistance changes. But if this resistance limits itself to protecting the order that appears to be under threat, it is likely to be ineffective. Moreover, an opportunity to articulate internationalisms in pursuit of a more just order will be lost.

      In recent years, liberal commentators have given a great deal of attention to Trump, Salvini, Duterte, Orbán, Bolsonaro, and other leading figures of the so-called populist Right. And these figures surely merit attention on account of their contributions to a significant conjunctural phenomenon. But the fetishization of their idiosyncrasies and the frenzied investigation of their criminality serves a revanchist project premised on the notion that, once they are removed from office (through the ballot box or otherwise), the old order of things will be restored. To be sure, the wave that brought them to power will eventually subside; but the structures (normative, institutional, epistemological) that have stood in its way are unlikely to be left intact. Whether the intention is to rebuild these structures or to build new ones, it is necessary to consider the winds that produced the wave. In other words, if a cosmopolitan disposition is to play a role in defining the new during the current interregnum, resistance must be inscribed into strategies that take account of the organic processes that have produced Trumpism and Salvinism.

      French geographer Christophe Guilluy offers an analysis of one aspect of organic change that I find compelling, despite my discomfort with the nativism that occasionally flavors his work. Guilluy describes a hollowing out of the Western middle class (2016, 2018). This middle class was a product of the postwar welfarist pact. But, since the crisis of capitalist democracy in the 1970s, the internationalization of capital and the financialization of economies have had a polarizing effect on society. According to Guilluy, there are now two social groupings: the upper classes, who have profited from neoliberal globalization or have at least been able to protect themselves from its fallout; and the lower classes, who have been forced into precarious labor and priced out of the city. It is these lower classes who have had to manage the multicultural integration promoted by progressive neoliberals of the center-left and center-right. Meanwhile, the upper classes have come to live in almost homogenous citadels, from which they cast moral aspersions on the reactionary lower classes who rage against the “open society.” An assertion of cultural sovereignty, this rage has been appropriated by conservatives-turned-revolutionaries, who, I would argue, represent one side of a new political dichotomy. On the other side are the progressives-turned-conservatives, who cling to the institutions that once seemed to promise the end of politics.

      This social polarization would appear to be of significant consequence for humanitarian and human rights endeavors, since their social base has traditionally been the Western middle class. Epitomizing the open society, humanitarian campaigns to protect migrants deepen resentment among an aging precariat, which had imagined that social mobility implied an upward slope, only to fall into the lower classes. Meanwhile, the bourgeois bohemians who join the upper classes accommodate themselves to their postmodern condition, hunkering down in their privileged enclaves, where moral responses to distant injustices are limited to an ironic and banalizing clicktivism. The social institutions that once mobilized multiclass coalitions in the name of progressive causes have long since been dismantled. And, despite the revival of democratic socialism, the institutional Left still appears intellectually exhausted after decades in which it resigned itself to the efficient management of neoliberal strategies.

      And yet, challenges to liberal order articulated through a Far Right politics create a moment of repoliticization; and they expose the contradictions of globalization in an interstate system, without undermining the reality of, or the demand for, connectivity. As such, they seem to open space for the formulation of radical internationalisms with a basis in the reconstruction of migrant rights. In this space, citizens’ movements responding to migration have forged a politics of transnational solidarity through anarchistic practices of mutual aid and horizontalism more than through the philosophizing of associated organic intellectuals. Fueled by disaffection with politics, as much as feelings of injustice, they have attracted young people facing a precarious future, and migrants themselves; indeed, there are movements led by migrants in Turkey, in Germany, in Greece, and elsewhere. They construct social commons with a basis in difference, forming “chains of equivalence.” Decolonial and anticolonial thinking is thus more likely to influence their responses to migration and displacement than those of Western governments and conventional humanitarian agencies. Indeed, beyond the political inspiration that horizontalism often draws from anticolonial struggles, decolonial and postcolonial theories offer a method of deconstructing hierarchy from the inside that can transform resistance into the basis for a pluralist politics built from the bottom up. But for this sort of internationalism to reshape democratic politics, the movements promoting it would need to build bridges into political institutions and incorporate it into political strategies that redress social polarization. To the extent that this might be possible, it will surely dilute their more radical propositions.

      I rather suspect that the most likely scenario, in the short term at least, involves a political reordering through the reassertion of neoliberal strategies. We could see the development of the sort of political economy imagined by the early neoliberal thinker Gottfried Haberler (1985): that is, one in which goods, wages, and capital move freely, but labor doesn’t. This will depend on the consolidation of authoritarian states that nonetheless claim a democratic mandate to impose permanent states of emergency.

      https://www.berghahnjournals.com/view/journals/migration-and-society/3/1/arms030114.xml

      #migrations

    • Conceptualising the global South and South–South encounters

      Long before the institutional interest in ‘engaging with’, and ostensibly mobilising and co-opting actors from across the global South, rich, critical literatures have been published in diverse languages around the world, demonstrating the urgency of developing and applying theoretical and methodological frameworks that can be posited as Southern, anti-colonial, postcolonial and/or decolonial in nature.[1] These and other approaches have traced and advocated for diverse ways of knowing and being in a pluriversal world characterised (and constituted) by complex relationalities and unequal power relations, and equally diverse ways of resisting these inequalities – including through historical and contemporary forms of transnational solidarities.

      Of course, the very term ‘South’ which is included not once but twice in the title of the Handbook of South-South Relations, is itself a debated and diversely mobilised term, as exemplified in the different usages and definitions proposed (and critiqued) across the Handbook’s constituent chapters.

      For instance, a number of official, institutional taxonomies exist, including those which classify (and in turn interpellate) different political entities as ‘being’ from and of ‘the South’ or ‘the North’. Such classifications have variously been developed on the basis of particular readings of a state’s geographical location, of its relative position as a (formerly) colonised territory or colonising power, and/or of a state’s current economic capacity on national and global scales.[2]

      In turn, Medie and Kang (2018) define ‘countries of the global South’ as ‘countries that have been marginalised in the international political and economic system’. Indeed, Connell (2007) builds upon a long tradition of critical thinking to conceptualise the South and the North, respectively, through the lens of the periphery and the metropole, as categories that transcend fixed physical geographies. And of course, as stressed by Sabelo Ndlovu-Gatsheni and Kenneth Tafira in their contribution to the Handbook, such geographies have never been either static or defined purely through reference to physical territories and demarcations:

      ‘imperial reason and scientific racism were actively deployed in the invention of the geographical imaginaries of the global South and the global North.’

      Through conceptualising the South and North through the lenses of the periphery and metropole, Connell argues that there are multiple souths in the world, including ‘souths’ (and southern voices) within powerful metropoles, as well as multiple souths within multiple peripheries. As Sujata Patel notes in her chapter in the Handbook, it is through this conceptualisation that Connell subsequently posits that

      ‘the category of the south allows us to evaluate the processes that permeate the non-recognition of its theories and practices in the constitution of knowledge systems and disciplines’.

      It enables, and requires us, to examine how, why and with what effect certain forms of knowledge and being in the world come to be interpellated and protected as ‘universal’ while others are excluded, derided and suppressed ‘as’ knowledge or recognisable modes of being.[3] Indeed, in her chapter, Patel follows both Connell (2007) and de Sousa Santos (2014) in conceptualising ‘the South’ as ‘a metaphor’ that ‘represents the embeddedness of knowledge in relations of power’.

      In turn, in their contribution to the Handbook, Dominic Davies and Elleke Boehmer centralise the constitutive relationality of the South by drawing on Grovogu (2011), who defines ‘the term “Global South” not as an exact geographical designation, but as “an idea and a set of practices, attitudes, and relations” that are mobilised precisely as “a disavowal of institutional and cultural practices associated with colonialism and imperialism”’ (cited in Davies and Boehmer). Viewing the South, or souths, as being constituted by and mobilising purposeful resistance to diverse exploitative systems, demonstrates the necessity of a contrapuntal reading of, and through, the South.

      As such, as Ndlovu-Gatsheni and Tafira powerfully argue in their chapter,

      ‘the global South was not only invented from outside by European imperial forces but it also invented itself through resistance and solidarity-building.’

      In this mode of analysis, the South has been constituted through a long history of unequal encounters with, and diverse forms of resistance to, different structures and entities across what can be variously designated the North, West or specific imperial and colonial powers. An analysis of the South therefore necessitates a simultaneous interrogation of the contours and nature of ‘the North’ or ‘West’, with Mignolo arguing (2000) that ‘what constitutes the West more than geography is a linguistic family, a belief system and an epistemology’.

      Indeed, the acknowledgement of the importance of relationality and such mutually constitutive dynamics provides a useful bridge between these rich theoretical and conceptual engagements of, with and from ‘the South’ on the one hand, and empirically founded studies of the institutional interest in ‘South–South cooperation’ as a mode of technical and political exchange for ‘international development’ on the other. In effect, as noted by Urvashi Aneja in her chapter, diverse policies, modes of political interaction and ‘responses’ led by political entities across the South and the North alike ‘can thus be said to exist and evolve in a mutually constitutive relationship’, rather than in isolation from one another.

      An important point to make at this stage is that it is not our aim to propose a definitive definition of the South or to propose how the South should be analysed or mobilised for diverse purposes – indeed, we would argue that such an exercise would be antithetical to the very foundations of the debates we and our contributors build upon in our respective modes of research and action.

      Nonetheless, a common starting point for most, if not all, of the contributions in the Handbook is a rejection of conceptualisations of the South as that which is ‘non-Western’ or ‘non-Northern’. As noted by Fiddian-Qasmiyeh (here and in the Handbook), it is essential to continue actively resisting negative framings of the South as that which is not of or from ‘the West’ or ‘the North’ – indeed, this is partly why the (still problematic) South/North binary is often preferred over typologies such as Western and non-Western, First and Third World, or developed and un(der)developed countries, all of which ‘suggest both a hierarchy and a value judgment’ (Mawdsley, 2012).

      In effect, as Fiddian-Qasmiyeh argues in the Handbook (drawing on Brigg), such modes of negative framing risk ‘maintaining rather than disrupting the notion that power originates from and operates through a unidirectional and intentional historical entity’. She – like other contributors to the Handbook addressing the relationships between theoretical, conceptual and empirical dynamics and modes of analysis, response and action – advocates for us to ‘resist the tendency to reconstitute the power of “the North” in determining the contours of the analysis’, while simultaneously acknowledging the extent to which ‘many Southern-led responses are purposefully positioned as alternatives and challenges to hegemonic, Northern-led systems’.

      This is, in many ways, a ‘double bind’ that persists in many of our studies of the world, including those of and from the South: our aim not to re-inscribe the epistemic power of the North, while simultaneously acknowledging that diverse forms of knowledge and action are precisely developed as counterpoints to the North.

      As noted above, in tracing this brief reflection on conceptualisations of the South it is not our intention to offer a comprehensive definition of ‘the South’ or to posit a definitive account of Southern approaches and theories. Rather, the Handbook aims to trace the debates that have emerged about, around, through and from the South, in all its heterogeneity (and not infrequent internal contradictions), in such a way that acknowledges the ways that the South has been constructed in relation to, with, through but also against other spaces, places, times, peoples, modes of knowledge and action.

      Such processes are, precisely, modes of construction that resist dependence upon hegemonic frames of reference; indeed, the Handbook in many ways exemplifies the collective power that emerges when people come together to cooperate and trace diverse ‘roots and routes’ (following Gilroy) to knowing, being and responding to the world – all with a view to better understanding and finding more nuanced ways of responding to diverse encounters within and across the South and the North.

      At the same time as we recognise internal heterogeneity within and across the South/souths, and advocate for more nuanced ways of understanding the South and the North that challenge hegemonic epistemologies and methodologies, Ama Biney’s chapter in the Handbook reminds us of another important dynamic that underpins the work of most, perhaps all, of the contributors to the Handbook. While Biney is writing specifically about pan-Africanism, we would argue that the approach she delineates is essential to the critical theoretical perspectives and analyses presented throughout the Handbook:

      ’Pan-Africanism does not aim at the external domination of other people, and, although it is a movement operating around the notion of being a race conscious movement, it is not a racialist one … In short, pan-Africanism is not anti-white but is profoundly against all forms of oppression and the domination of African people.’

      While it is not our aim to unequivocally idealise or romanticise decolonial, postcolonial, anti-colonial, or Southern theories, or diverse historical or contemporary modes of South South Cooperation and transnational solidarity – such processes are complex, contradictory, and at times are replete of their own forms of discrimination and violence – we would nonetheless posit that this commitment to challenging and resisting all forms of oppression and domination, of all peoples, is at the core of our collective endeavours.

      With such diverse approaches to conceptualising ‘the South’ (and its counterpoint, ‘the North’ or ‘the West’), precisely how we can explore ‘South–South relations’ thus becomes, first, a matter of how and with what effect we ‘know’, ‘speak of/for/about’, and (re)act in relation to different spaces, peoples and objects around the world; subsequently, it is a process of tracing material and immaterial connections across time and space, such as through the development of political solidarity and modes of resistance, and the movement of aid, trade, people and ideas. It is with these overlapping sets of debates and imperatives in mind, that the Handbook aims to explore a broad range of questions regarding the nature and implications of conducting research in and about the global South, and of applying a ‘Southern lens’ to such a wide range of encounters, processes and dynamics around the world.[4]

      […]

      From a foundational acknowledgement of the dangers of essentialist binaries such as South–North and East–West and their concomitant hierarchies and modes of exploitation, the Handbook aims to explore and set out pathways to continue redressing the longstanding exclusion of polycentric forms of knowledge, politics and practice. It is our hope that the Handbook unsettles thinking about the South and about South–South relations, and prompts new and original research agendas that serve to transform and further complicate the geographic framing of the peoples of the world for emancipatory futures in the 21st century.

      This extract from Elena Fiddian-Qasmiyeh and Patricia Daley’s Introduction to The Handbook of South-South Relations has been slightly edited for the purposes of this blog post. For other pieces published as part of the Southern Responses blog series on Thinking through the Global South, click here.

      References cited

      Anzaldúa, G., 1987. Borderlands/La Frontera: The New Mestiza. San Francisco: Spinsters/Aunt Lute.

      Brigg, M., 2002. ‘Post-development, Foucault and the Colonisation Metaphor.’ Third World Quarterly 23(3), 421–436.

      Chakrabarty, D., 2007. Provincializing Europe: Postcolonial Thought and Historical Difference. Princeton, NJ: Princeton University Press.

      Connell, R., 2007. Southern Theory: The Global Dynamics of Knowledge in Social Science. London: Polity.

      Dabashi, H., 2015. Can Non-Europeans Think? London: Zed Books.

      de Sousa Santos, B., 2014. Epistemologies of the South: Justice Against Epistemicide. Boulder, CO: Paradigm Publishers.

      Dussel, E., 1977. Filosofía de Liberación. Mexico City: Edicol.

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      * Notes

      [1] For instance, see Anzaldúa 1987; Chakrabarty 2007; Connell 2007; de Sousa Santos 2014; Dussell 1977; Grosfoguel 2011; Kwoba et al. 2018; Mignolo 2000; Ndlovu-Gatsheni 2013; Quijano 1991, 2007; Said 1978; Spivak 1988; Sundberg 2007; Trinh T. Minh-ha 1989; Tuhiwai Smith 1999; wa Thiong’o 1986; Wynter 2003.

      [2] Over 130 states have defined themselves as belonging to the Group of 77 – a quintessential South–South platform – in spite of the diversity of their ideological and geopolitical positions in the contemporary world order, their vastly divergent Gross Domestic Product (GDP) and per capita income, and their rankings in the Human Development Index – for a longer discussion of the challenges and limitations of diverse modes of definition and typologies, see Fiddian-Qasmiyeh 2015.

      [3] Also see Mignolo 2000; Dabashi 2015.

      [4] Indeed, Connell notes that ‘#Southern_theory’ is a term I use for social thought from the societies of the global South. It’s not necessarily about the global South, though it often is. Intellectuals from colonial and postcolonial societies have also produced important analyses of global-North societies, and of worldwide structures (e.g. Raúl Prebisch and Samir Amin).

      https://southernresponses.org/2018/12/05/conceptualising-the-global-south-and-south-south-encounters
      #développement

    • Exploring refugees’ conceptualisations of Southern-led humanitarianism

      By Prof Elena Fiddian-Qasmiyeh, Principal Investigator, Southern Responses to Displacement Project

      With displacement primarily being a Southern phenomena – circa 85-90% of all refugees remain within the ‘global South – it is also the case that responses to displacement have long been developed and implemented by states from the South (a construct we are critically examining throughout the Southern Responses to Displacement project – see here). Some of these state-led responses to displacement have been developed and implemented within the framework of what is known as ‘South-South Cooperation’. This framework provides a platform from which states from the global South work together to complement one another’s abilities and resources and break down barriers and structural inequalities created by colonial powers. It can also be presented as providing an alternative mode of response to that implemented by powerful Northern states and Northern-led organisations (see here).

      An example of this type of South-South Cooperation, often driven by principles of ‘internationalism,’ can be found in the international scholarship programmes and schools established by a number of Southern states to provide primary, secondary and university-level education for refugees from across the Middle East and North Africa. In particular, since the 1960s, Cuba has provided free education through a scholarship system for Palestinian refugees based in camps and cities across the Middle East following the Nakba (the catastrophe) and for Sahrawi refugees who have lived in desert-based refugee camps in Algeria since the mid-1970s.

      In line with the Southern Responses to Displacement project, which aims to purposefully centralise refugees’ own experiences of and perspectives on Southern-led initiatives to support refugees from Syria, throughout my previous work I have examined how Palestinian and Sahrawi refugees have conceptualised, negotiated or, indeed, resisted, diverse programmes that have been developed and implemented ‘on their behalf.’ While long-standing academic and policy debates have addressed the relationship between humanitarianism, politics and ideology, few studies to date have examined the ways in which refugee beneficiaries – as opposed to academics, policymakers and practitioners – conceptualise the programmes which are designed and implemented ‘for refugees’. The following discussion addresses this gap precisely by centralising Palestinian and Sahrawi graduates’ reflections on the Cuban scholarship programme and the extent to which they conceptualise political and ideological connections as being compatible with humanitarian motivations and outcomes.

      This blog, and my previous work (here and here) examines how Palestinian and Sahrawi refugees have understood the motivations, nature and impacts of Cuba’s scholarship system through reference to identity, ideology, politics and humanitarianism. Based on my interviews with Palestinians and Sahrawis while they were still studying in Cuba, and with Palestinian and Sahrawi graduates whom I interviewed after they had returned to their home-camps in Lebanon and Algeria respectively, this short piece examines the complex dynamics which underpin access to, as well as the multifaceted experiences and outcomes of, the scholarship programme on both individual and collective levels.
      Balancing ‘the humanitarian’

      Although both Palestinian and Sahrawi interviewees in Cuba and Sahrawi graduates in their Algeria-based home-camps repeatedly asserted the humanitarian nature of the Cuban scholarship programme, precisely what this denomination of ‘humanitarianism’ might mean, and how compatible it could be given the ideological and political links highlighted by Palestinian graduates whom I interviewed in a range of refugee camps in Lebanon, requires further discussion.

      The contemporary international humanitarianism regime is habitually equated with the principles of humanity, impartiality, neutrality and independence (Ferris 2011: 11), and a strict separation is firmly upheld by Western humanitarian institutions between morality and politics (as explored in more detail by Pacitto and Fiddian-Qasmiyeh 2013). However, many critics reject the assertion that humanitarianism can ever be separated from politics, since ‘“humanitarianism” is the ideology of hegemonic states in the era of globalisation’ (Chimni 2000:3). Recognising the extent to which the Northern-led and Northern-dominated humanitarian regime is deeply implicated in, and reproduces, ‘the ideology of hegemonic [Northern] states’ is particularly significant since many (Northern) academics, policymakers and practitioners reject the right of Southern-led initiatives to be denominated ‘humanitarian’ in nature on the basis that such projects and programmes are motivated by ideological and/or faith-based principles, rather than ‘universal’ humanitarian principles.

      Palestinians who at the time of our interviews were still studying in Cuba, in addition to those who had more recently graduated from Cuban universities, medical and dentistry schools and had ‘returned’ to their home-camps in Lebanon, repeatedly referred to ‘ideology’, ‘politics’, ‘humanitarianism’ and ‘human values’ when describing the Cuban scholarship programme. Yet, while they maintained that Cuba’s programme for Palestinian refugees is ‘humanitarian’ in nature, Palestinian graduates offered different perspectives regarding the balance between these different dimensions, implicitly and at times explicitly noting the ways in which these overlap or are in tension.

      Importantly, these recurrent concepts are to be contrasted with the prevalent terminology and frames of reference arising in Sahrawi refugees’ accounts of the Cuban educational programme. Having also had access to the Cuban educational migration programme, Sahrawi graduates’ accounts can perhaps be traced to the continued significance of Spanish – the language learned and lived (following Bhabha 2006:x) in Cuba – amongst graduates following their return to the Sahrawi refugee camps, where Spanish is the official language used in the major camp-based Sahrawi medical institutions.

      As such, in interviews and in informal conversations in the Sahrawi camps, Cuban-educated Sahrawis (commonly known as Cubarauis) consistently used the Spanish-language term solidaridad (solidarity) to define both the nature of the connection between the Sahrawi people and Cuba, and the nature of the scholarship programme; they also regularly cited Cuban revolutionary figures such as José Martí and Fidel Castro. In contrast, no such quotes were offered by the Palestinian graduates I interviewed in Lebanon, even if the significance of Fidel Castro and Ché Guevara was noted by many during our interviews in Cuba.

      Explaining his understanding of the basis of the scholarship programme for Palestinians, Abdullah elaborated that this was:

      ‘mainly prompted because Cuban politics is based upon human values and mutual respect, and in particular upon socialism, which used to be very prominent in the Arab world during that time.’

      In turn, referring to the common visions uniting both parties and facilitating Cuba’s scholarship programme for Palestinian refugees, Hamdi posited that:

      ‘Certain ideological and political commonalities contributed to this collaboration between the Cuban government and the PLO. However, the humanitarian factor was present in these negotiations.’ (Emphasis added)

      These accounts reflect the extent to which ideology and humanitarianism are both recognised as playing a key role in the scholarship programme, and yet Hamdi’s usage of the term ‘however’, and his reference to ‘the humanitarian factor’, demonstrate an awareness that a tension may be perceived to exist between ideology/politics and humanitarian motivations.

      Indeed, rather than describing the programme as a humanitarian programme per se, eight of my interviewees offered remarkably similar humanitarian ‘qualifiers’: the Cuban education programme is described as having ‘a humanitarian component’ (Marwan), ‘a humanitarian dimension’ (Younis), a ‘humanitarian aspect’ (Saadi), and ‘humanitarian ingredients’ (Abdel-Wahid); while other interviewees argued that it is ‘a mainly humanitarian system’ (Nimr) which ‘carr[ies] humanitarian elements’ (Hamdi) and ‘shares its humanitarian message in spite of the embargo [against Cuba]’ (Ibrahim).

      As exemplified by these qualifiers, Palestinians who participated in this programme themselves recognise that humanitarianism was not the sole determining justification for the initiative, but rather that it formed part of the broader Cuban revolution and a particular mode of expressing support for other liberation movements, including the Palestinian cause.

      In terms of weighting these different motivating and experiential elements, Mohammed argued that the ‘humanitarian aspect outweighs the ideological one’, emphasising the ‘programme’s strong humanitarian aspect’. In turn, Ahmed and Nimr declared that the Cuban scholarships were offered ‘without conditions or conditionalities’ and without ‘blackmailing Palestinians to educate them’.

      These references are particularly relevant when viewed alongside critiques of neoliberal development programmes and strategies which have often been characterised by ‘tied aid’ or diverse economic, socio-political and gendered conditionalities which require beneficiaries to comply with Northern-dominated priorities vis-à-vis ‘good governance’ – all of which are, in effect, politically and/or ideologically driven.

      Concurrently, Khalil argued that the programme is ‘humanitarian if used correctly’, thereby drawing attention to the extent to which the nature of the programme transcends either Cuba’s or the PLO’s underlying motivating factors per se, and is, rather, characterised both by the way in which the programme has been implemented since the 1970s, and its longer-term impacts.

      With reference to the former, claims regarding the absence of conditionalities on Cuba’s behalf must be viewed alongside the extent to which Palestinians could only access the scholarships if they were affiliated with specific Palestinian factions (as I explore in the book): can the programme be ‘truly’ humanitarian if individual participation has historically been contingent upon an official declaration of ideological commonality with a leftist faction and/or the Cuban internationalist project?

      With universality, neutrality and impartiality being three of the core ‘international’ humanitarian principles, a tension is apparent from the perspective of ‘the Northern relief elite’ who arguably monopolise the epithet humanitarian (Haysom, cited in Pacitto and Fiddian-Qasmiyeh 2013: 6). Indeed, although José Martí’s humanitarian principle to ‘compartir lo que tienes, no dar lo que te sobra’ (‘to share what you have, not what is left over’) has historically guided many of the Cuban state’s revolutionary programmes on national(ist) and international(ist) levels, precisely who Cuba should share with (on a collective) has often been geopolitically framed. Whilst designed to overcome the historical legacy of diverse exclusionary processes in Cuba, the programme could itself be conceptualised as being guided by an ideological commitment to inclusion with exclusionary underpinnings.

      The imposition of a hegemonic discourse leaves people out, primarily on ideological grounds. Ideological repression means that everybody who questions the regime in a fundamental way is basically left out in the dark. There is a creation of boundaries between Self and Other that leaves very little room for fundamental critique. However, the existence of a hegemonic discourse, and demands for students to publicly assert their affiliation to an official ideological stance, whether this refers to Cuban or Palestinian discourses, should not necessarily be equated with the exclusion of individuals and groups who do not share particular opinions and beliefs.

      In the case explored in this blog and in the book it is based on, a distinction can therefore perhaps be usefully made between the collective basis of scholarships primarily being offered to groups and nations with political and ideological bonds to Cuba’s revolutionary project, and the extent to which individual Palestinian students have arguably negotiated the Cuban system and the factional system alike to maximise their personal, professional and political development. To achieve the latter, individuals have developed official performances of ideological loyalty to access and complete their university studies in Cuba, whilst ultimately maintaining or developing political and ideological opinions, and critiques, of their own.

      With reference to the broader outcomes of the programme, is it sufficient to announce, as seven Palestinian graduates did, that the project was ‘humanitarian’ in nature precisely because the beneficiaries of the scheme were refugees, and the overarching aim was to achieve professional self-sufficiency in refugee camps?

      In effect, and as explored in my other research (here) Cuba’s programme might appear to fall under the remit of a developmental approach, rather than being ‘purely’ humanitarian in nature, precisely due to the official aim of maximising self-sufficiency as opposed to addressing immediate basic needs in an emergency phase (with the latter more readily falling under the remit of ‘humanitarian’ assistance).

      Nonetheless, Cuba’s aim to enhance refugees’ self-sufficiency corresponds to the UNHCR’s well-established Development Assistance to Refugees approach, and programmes supporting medium- and long-term capacity building are particularly common in protracted refugee situations. At the same time, it could be argued that the distinction between humanitarianism and development is immaterial given that the rhetoric of solidarity underpins all of Cuba’s internationalist projects, whether in contexts of war or peace, and, furthermore, since Cuba has offered scholarships not only to refugees but also to citizens from across the Global South.

      Related to the programme’s reach to citizens and refugees alike, and simultaneously to the nature of the connection between humanitarianism and politics, Younis drew attention to another pivotal dimension: ‘although the educational system had a humanitarian dimension, I don’t think it is possible to separate the human being from politics’. Cuba’s political (in essence, socialist) commitment to the ‘human being’ was reasserted throughout the interviews, with Saadi, for instance, referring to Cuba’s prioritisation of the ‘relationship between a human being and a fellow human being’, and Khalil explaining that Cuba had adopted ‘the cause of the human being, and that’s why it supported Palestinians in their struggle’.

      While critiques of Northern-led human rights discourses have been widespread, and such critiques have often paralleled or influenced critical analyses of humanitarianism (as I explore elsewhere), in their responses Palestinian graduates invoked an alternative approach to supporting the rights of human beings.

      By conceptualising Cuba’s commitment to human beings as being inherently connected to politics, graduates, by extension, also highlighted that politics cannot be separated from approaches geared towards supporting humanity, whether external analysts consider that such approaches should be labelled ‘development’ or ‘humanitarianism’. Whilst absent from the terminology used by Palestinian graduates, it can be argued that the notion of solidarity centralised in Cubaraui (and Cuban) accounts captures precisely these dimensions of Cuba’s internationalist approach.
      Moving Forward

      These dynamics – including conceptualisations of the relationship between politics, ideology, and humanitarianism; of short-, medium- and long-term responses to displacement; and how refugees themselves negotiate and conceptualise responses developed by external actors ‘on their behalf’ – will continue to be explored throughout the Southern Responses to Development from Syria project. This ongoing research project aims, amongst other things, to examine how people displaced from Syria – Syrians, Palestinians, Iraqis, Kurds … -, experience and perceive the different forms of support that ‘Southern’ states, civil society groups, and refugees themselves have developed in Lebanon, Jordan and Turkey since the outbreak of the Syrian conflict in 2011. This will include reflections on how refugees conceptualise (and resist) both the construct of ‘the South’ itself and diverse responses developed by states such as Malaysia and Indonesia, but also by different groups of refugees themselves. The latter include Palestinian refugees whose home-camps in Lebanon have been hosting refugees from Syria, but also whose educational experiences in Cuba mean that they are amongst the medical practitioners who are treating refugees from Syria, demonstrating the complex legacies of the Cuban scholarship programme for refugees from the Middle East.

      *

      For more information on Southern-led responses to displacement, including vis-à-vis South-South Cooperation, read our introductory mini blog series here, and the following pieces:

      Carpi, E. (2018) ‘Empires of Inclusion‘

      Fiddian-Qasmiyeh, E. (2019) ‘Looking Forward. Disasters at 40′

      Fiddian-Qasmiyeh, E. (2018) Histories and spaces of Southern-led responses to displacement

      Fiddian-Qasmiyeh, E. (2018) Internationalism and solidarity

      Fiddian-Qasmiyeh, E. (2018) Refugee-refugee humanitarianism

      Fiddian-Qasmiyeh, E. (2014) The Ideal Refugees: Islam, Gender, and the Sahrawi Politics of Survival

      Fiddian-Qasmiyeh, E. and Daley, P. (2018) Conceptualising the global South and South–South encounters

      Featured Image: A mural outside a school in Baddawi camp, N. Lebanon. Baddawi has been home to Palestinian refugees from the 1950s, and to refugees from Syria since 2011 (c) E. Fiddian-Qasmiyeh, 2017

      https://southernresponses.org/2019/04/08/exploring-refugees-conceptualisations-of-southern-led-humanitaria

      #réfugiés #post-colonialisme #ressources_pédagogiques

  • En #France, les recherches sur la #question_raciale restent marginales

    Avec des relents de maccarthysme, une violente campagne politico-médiatique s’est abattue sur les chercheurs travaillant sur les questions raciales ou l’#intersectionnalité en France, les accusant de nourrir le « #séparatisme ». Dans les faits, ces recherches sont pourtant dramatiquement marginalisées.

    « L’université est une matrice intellectuelle, aujourd’hui traversée par des mouvements puissants et destructeurs qui s’appellent le #décolonialisme, le #racialisme, l’#indigénisme, l’intersectionnalité. » Lors de l’examen du projet de loi dit « séparatisme », à l’instar de la députée Les Républicains (LR) #Annie_Genevard, beaucoup d’élus se sont émus de cette nouvelle #menace pesant sur le monde académique.

    Que se passe-t-il donc à l’université ? Alors que des étudiants font aujourd’hui la queue pour obtenir des denrées alimentaires et que certains se défenestrent de désespoir, la classe politique a longuement débattu la semaine dernière de « l’#entrisme » de ces courants intellectuels aux contours pour le moins flous.

    Après les déclarations du ministre de l’éducation nationale Jean-Michel #Blanquer en novembre dernier – au lendemain de l’assassinat de #Samuel_Paty, il avait dénoncé pêle-mêle les « #thèses_intersectionnelles » et « l’#islamo-gauchisme » qui auraient fourni, selon lui, « le terreau d’une fragmentation de notre société et d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes » –, Emmanuel #Macron a lui-même tancé, dans son discours des Mureaux (Yvelines), le discours « postcolonial », coupable, selon lui, de nourrir la haine de la République et le « séparatisme ».

    À l’Assemblée, Annie Genevard a invité à se référer aux « travaux » du tout récent #Observatoire_du_décolonialisme qui a publié son manifeste dans un dossier spécial du Point, le 14 janvier. Appelant à la « riposte », les signataires – des universitaires pour l’essentiel très éloignés du champ qu’ils évoquent et pour une grande partie à la retraite – décrivent ainsi le péril qui pèserait sur le monde académique français. « Un #mouvement_militant entend y imposer une critique radicale des sociétés démocratiques, au nom d’un prétendu “#décolonialisme” et d’une “intersectionnalité” qui croit combattre les #inégalités en assignant chaque personne à des identités de “#race” et de #religion, de #sexe et de “#genre”. » « Nous appelons à mettre un terme à l’#embrigadement de la recherche et de la #transmission_des_savoirs », affirment-ils.

    À Mediapart, une des figures de cette riposte, la sociologue de l’art #Nathalie_Heinich, explique ainsi que « nous assistons à la collusion des militants et des chercheurs autour d’une #conception_communautariste de la société ». Ces derniers mois, différents appels ont été publiés en ce sens, auxquels ont répondu d’autres appels. S’armant de son courage, Le Point a même, pour son dossier intitulé « Classe, race et genre à l’université », « infiltré une formation en sciences sociales à la Sorbonne, pour tenter de comprendre cette mutation ».

    Derrière le bruit et la fureur de ces débats, de quoi parle-t-on ? Quelle est la place réelle des recherches sur les questions raciales ou mobilisant les concepts d’intersectionnalité à l’université française ? La première difficulté réside dans un certain flou de l’objet incriminé – les critiques mélangent ainsi dans un grand maelström #études_de_genre, #postcolonialisme, etc.

    Pour ce qui est des recherches portant principalement sur les questions raciales, elles sont quantitativement très limitées. Lors d’un colloque qui s’est tenu à Sciences-Po le 6 mai 2020, Patrick Simon et Juliette Galonnier ont présenté les premiers résultats d’une étude ciblant une quinzaine de revues de sciences sociales. Les articles portant sur la « #race » – celle-ci étant entendue évidemment comme une construction sociale et non comme une donnée biologique, et comportant les termes habituellement utilisés par la théorie critique de la race, tels que « racisé », « #racisation », etc. – représentent de 1960 à 2020 seulement 2 % de la production.

    La tendance est certes à une nette augmentation, mais dans des proportions très limitées, montrent-ils, puisque, entre 2015 et 2020, ils comptabilisent 68 articles, soit environ 3 % de l’ensemble de la production publiée dans ces revues.

    Pour répondre à la critique souvent invoquée ces derniers temps, notamment dans le dernier livre de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud, Race et sciences sociales (Agone), selon laquelle « race » et « genre » auraient pris le pas sur la « classe » dans les grilles d’analyses sociologiques, le sociologue #Abdellali_Hajjat a, de son côté, mené une recension des travaux de sciences sociales pour voir si la #classe était réellement détrônée au profit de la race ou du genre.

    Ce qu’il observe concernant ces deux dernières variables, c’est qu’il y a eu en France un lent rééquilibrage théorique sur ces notions, soit un timide rattrapage. « Les concepts de genre et de race n’ont pas occulté le concept de classe mais ce qui était auparavant marginalisé ou invisibilisé est en train de devenir (plus ou moins) légitime dans les revues de sciences sociales », relève-t-il.

    Plus difficile à cerner, et pourtant essentielle au débat : quelle est la place réelle des chercheurs travaillant sur la race dans le champ académique ? Dans un article publié en 2018 dans Mouvements, intitulé « Le sous-champ de la question raciale dans les sciences sociales française », la chercheuse #Inès_Bouzelmat montre, avec une importante base de données statistiques, que leur position reste très marginale et souligne qu’ils travaillent dans des laboratoires considérés comme périphériques ou moins prestigieux.

    « Les travaux sur la question minoritaire, la racialisation ou le #postcolonial demeurent des domaines de “niche”, largement circonscrits à des revues et des espaces académiques propres, considérés comme des objets scientifiques à la légitimité discutable et bénéficiant d’une faible audience dans le champ académique comme dans l’espace public – à l’exception de quelques productions vulgarisées », note-t-elle soulignant toutefois qu’ils commencent, encore très prudemment, à se frayer un chemin. « Si la question raciale ne semble pas près de devenir un champ d’étude légitime, son institutionnalisation a bel et bien commencé. »

    Un chemin vers la reconnaissance institutionnelle qu’ont déjà emprunté les études de genre dont la place – hormis par quelques groupuscules extrémistes – n’est plus vraiment contestée aujourd’hui dans le champ académique.

    Deux ans plus tard, Inès Bouzelmat observe que « les études raciales sortent de leur niche et [que] c’est une bonne chose ». « Le sommaire de certaines revues en témoigne. Aujourd’hui, de plus en plus, la variable de race est mobilisée de manière naturelle, ce qui n’était vraiment pas le cas il y a encore dix ans », dit-elle.

    Pour #Eric_Fassin, qui a beaucoup œuvré à la diffusion de ces travaux en France, « il y a une génération de chercheurs, ceux qui ont plus ou moins une quarantaine d’années, qui ne sursaute pas quand on utilise ces concepts ». « Il n’y a plus besoin, avec eux, de s’excuser pendant une demi-heure en expliquant qu’on ne parle pas de race au sens biologique. »

    #Fabrice_Dhume, un sociologue qui a longtemps été très seul sur le terrain des #discriminations_systémiques, confirme : « Il y a eu toute une époque où ces travaux-là ne trouvaient pas leur place, où il était impossible de faire carrière en travaillant sur ce sujet. » Ceux qui travaillent sur la question raciale et ceux qui ont été pionniers sur ces sujets, dans un pays si réticent à interroger la part d’ombre de son « #universalisme_républicain », l’ont souvent payé très cher.

    Les travaux de la sociologue #Colette_Guillaumin, autrice en 1972 de L’Idéologie raciste, genèse et langage actuel, et qui la première en France a étudié le #racisme_structurel et les #rapports_sociaux_de_race, ont longtemps été superbement ignorés par ses pairs.

    « Travailler sur la race n’est certainement pas la meilleure façon de faire carrière », euphémise Éric Fassin, professeur à Paris VIII. Lui n’a guère envie de s’attarder sur son propre cas, mais au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, il a reçu des menaces de mort par un néonazi, condamné à quatre mois de prison avec sursis en décembre dernier. Il en avait déjà reçu à son domicile. Voilà pour le climat.

    Lorsqu’on regarde les trajectoires de ceux qui se sont confrontés à ces sujets, difficile de ne pas voir les mille et un obstacles qu’ils ou elles ont souvent dû surmonter. Si la raréfaction des postes, et l’intense compétition qui en découle, invite à la prudence, comment ne pas s’étonner du fait que pratiquement toutes les carrières des chercheurs travaillant sur la race, l’intersectionnalité, soient aussi chaotiques ?

    « La panique morale de tenants de la fausse opposition entre, d’un côté, les pseudo-“décoloniaux/postcoloniaux/racialistes” et, de l’autre, les pseudo-“universalistes” renvoie à une vision conspirationniste du monde de la recherche : les premiers seraient tout-puissants alors que la recherche qui semble être ciblée par ces vagues catégories est, globalement, tenue dans les marges », affirme le sociologue #Abdellali_Hajjat.

    Le parcours de ce pionnier, avec #Marwan_Mohammed, de l’étude de l’#islamophobie comme nouvelle forme de #racisme, ne peut là aussi qu’interroger. Recruté en 2010 à l’université Paris-Nanterre, avant d’avoir commencé à travailler la question de l’islamophobie, il a fini par quitter l’université française en 2019 après avoir fait l’expérience d’un climat de plus en plus hostile à ses travaux.

    « On ne mesure pas encore les effets des attentats terroristes de 2015 sur le champ intellectuel. Depuis 2015, on n’est plus dans la #disputatio académique. On est même passés au-delà du stade des obstacles à la recherche ou des critiques classiques de tout travail de recherche. On est plutôt passés au stade de la #censure et de l’établissement de “listes” d’universitaires à bannir », explique-t-il, égrenant la #liste des colloques sur l’islamophobie, l’intersectionnalité ou le racisme annulés ou menacés d’annulation, les demandes de financements refusées, etc.

    En 2016, il fait l’objet d’une accusation d’antisémitisme sur la liste de diffusion de l’#ANCMSP (#Association_nationale_des_candidats_aux_métiers_de_la_science_politique) en étant comparé à Dieudonné et à Houria Bouteldja. Certains universitaires l’accusent, par exemple, d’avoir participé en 2015 à un colloque sur les luttes de l’immigration à l’université Paris-Diderot, où étaient aussi invités des représentants du Parti des indigènes de la République. Qu’importe que ce chercheur n’ait aucun rapport avec ce mouvement et que ce dernier l’attaque publiquement depuis 2008… « Je suis devenu un indigéniste, dit-il en souriant. Pour moi, c’est une forme de racisme puisque, sans aucun lien avec la réalité de mes travaux, cela revient à m’assigner à une identité du musulman antisémite. »

    Abdellali Hajjat travaille aujourd’hui à l’Université libre de Bruxelles. « Lorsque l’on va à l’étranger, on se rend compte que, contrairement au monde académique français, l’on n’a pas constamment à se battre sur la #légitimité du champ des études sur les questions raciales ou l’islamophobie. Sachant bien que ce n’est pas satisfaisant d’un point de vue collectif, la solution que j’ai trouvée pour poursuivre mes recherches est l’exil », raconte-t-il.

    « Moi, j’ai choisi de m’autocensurer »

    #Fabrice_Dhume, qui mène depuis plus de 15 ans des recherches aussi originales que précieuses sur les #discriminations_raciales, notamment dans le milieu scolaire, a lui aussi un parcours assez révélateur. Après des années de statut précaire, jonglant avec des financements divers, celui qui a été un temps maître de conférences associé à Paris-Diderot, c’est-à-dire pas titulaire, est aujourd’hui redevenu « free lance ».

    Malgré la grande qualité de ses travaux, la sociologue #Sarah_Mazouz, autrice de Race (Anamosa, 2020) a, elle, enchaîné les post-doctorats, avant d’être finalement recrutée comme chargée de recherche au CNRS.

    Autrice d’une thèse remarquée en 2015, intitulée Lesbiennes de l’immigration. Construction de soi et relations familiales, publiée aux éditions du Croquant en 2018, #Salima_Amari n’a toujours pas trouvé de poste en France et est aujourd’hui chargée de cours à Lausanne (Suisse). Beaucoup de chercheurs nous ont cité le cas d’étudiants prometteurs préférant quitter l’Hexagone, à l’image de #Joao_Gabriel, qui travaille sur les questions raciales et le colonialisme, et qui poursuit aujourd’hui ses études à Baltimore (États-Unis).

    Derrière ces parcours semés d’obstacles, combien surtout se sont découragés ? Inès Bouzelmat a choisi de se réorienter, raconte-t-elle, lucide sur le peu de perspectives que lui ouvraient l’université et la recherche françaises.

    Certains adoptent une autre stratégie, elle aussi coûteuse. « Moi, j’ai choisi de m’autocensurer », nous raconte une chercheuse qui ne veut pas être citée car elle est encore en recherche de poste. « Dans ma thèse, je n’utilise jamais le mot “race”, je parle “d’origines”, de personnes “issues de l’immigration”… Alors que cela m’aurait été très utile de parler des rapports sociaux de race. Même le terme “intersectionnalité” – qui consiste simplement à réfléchir ensemble classe-race et genre –, je me le suis interdit. Je préfère parler “d’imbrication des rapports sociaux”. Cela revient au même, mais c’est moins immédiatement clivant », nous confie cette sociologue. « Le pire, c’est parler de “#Blancs”… Là, c’est carrément impossible ! Alors je dis “les Franco-Français”, ce qui n’est pas satisfaisant », s’amuse-t-elle.

    « Oui, il y a eu des générations d’étudiants découragés de travailler sur ces thématiques. On leur a dit : “Tu vas te griller !”… Déjà qu’il est très dur de trouver un poste mais alors si c’est pour, en plus, être face à une institution qui ne cesse de disqualifier votre objet, cela devient compliqué ! », raconte le socio-démographe Patrick Simon, qui dirige le projet Global Race de l’Agence nationale pour la recherche (ANR).

    La #double_peine des #chercheurs_racisés

    L’accès au financement lorsqu’on traite de la « race » est particulièrement ardu, l’important projet de Patrick Simon représentant, à cet égard, une récente exception. « On m’a accusé d’être financé par la French American Fondation : c’est faux. Mes recherches ont bénéficié exclusivement de financements publics – et ils sont plutôt rares dans nos domaines », indique Éric Fassin.

    « Il est difficile d’obtenir des financements pour des travaux portant explicitement sur les rapports sociaux de race. Concernant le genre, c’est désormais beaucoup plus admis. Travailler sur les rapports sociaux de race reste clivant, et souvent moins pris au sérieux. On va soupçonner systématiquement les chercheurs de parti-pris militant », affirme la sociologue Amélie Le Renard, qui se définit comme défendant une approche féministe et postcoloniale dans sa recherche. « Nous avons aussi du mal à accéder aux grandes maisons d’édition, ce qui contribue à renforcer la hiérarchisation sociale des chercheurs », ajoute-t-elle.

    https://www.youtube.com/watch?v=spfIKVjGkEo&feature=emb_logo

    Certains se tournent donc vers des #maisons_d’édition « militantes », ce qui, dans un milieu universitaire très concurrentiel, n’a pas du tout le même prestige… Et alimente le cercle vicieux de la #marginalisation de ces travaux comme leur procès en « #militantisme ».

    Pourquoi les signataires des différentes tribunes s’inquiétant d’un raz-de-marée d’universitaires travaillant sur la race, l’intersectionnalité, se sentent-ils donc assaillis, alors que factuellement ces chercheurs sont peu nombreux et pour la plupart largement marginalisés ?

    « J’ai tendance à analyser ces débats en termes de rapports sociaux. Quel est le groupe qui n’a pas intérêt à ce qu’émergent ces questions ? Ce sont ceux qui ne sont pas exposés au racisme, me semble-t-il », avance le sociologue Fabrice Dhume, pour qui les cris d’orfraie de ceux qui s’insurgent de l’émergence – timide – de ces sujets visent à faire taire des acteurs qui risqueraient d’interroger trop frontalement le fonctionnement de l’institution elle-même et son propre rapport à la racisation. « Dans ce débat, il s’agit soit de réduire ceux qui parlent au silence, soit de noyer leur parole par le bruit », affirme-t-il.

    « Il y a aussi une hiérarchie implicite : tant que ces recherches étaient cantonnées à Paris VIII, “chez les indigènes”, cela ne faisait peur à personne, mais qu’elles commencent à en sortir… », s’agace-t-il, en référence à une université historiquement marquée à gauche et fréquentée par beaucoup d’étudiants issus de l’immigration ou étrangers.

    Dans ce paysage, les chercheurs eux-mêmes racisés et travaillant sur les discriminations raciales subissent souvent une forme de double peine. « Ils sont soupçonnés d’être trop proches de leur objet. Comme si Bourdieu n’avait pas construit tout son parcours intellectuel autour de questions qui le concernent directement, lui, le fils de paysans », souligne Patrick Simon.

    La sociologue #Rachida_Brahim, autrice de La Race tue deux fois (Syllepse, 2021), raconte comment, lors de sa soutenance de doctorat, son directeur de thèse, Laurent Mucchielli, et le président du jury, Stéphane Beaud, lui ont expliqué qu’en allant sur le terrain racial, elle était « hors sujet ». « Le fait que je sois moi-même d’origine algérienne m’aurait empêchée de prendre de la distance avec mon sujet », écrit-elle.

    Au cours de notre enquête, nous avons recueilli plusieurs témoignages en ce sens de la part de chercheurs et singulièrement de chercheuses qui, pour être restés dans l’institution, ne souhaitent pas citer nommément leur cas (voir notre Boîte noire). « Ce sont des petites remarques, une façon insistante de vous demander de vous situer par rapport à votre sujet de recherche », raconte une chercheuse.

    De la même manière que les féministes ont longtemps dû répondre à l’accusation de confondre militantisme et sciences au sein des études de genres, les chercheurs racisés osant s’aventurer sur un terrain aussi miné que le « racisme systémique » doivent constamment montrer des gages de leur #objectivité et de leur #rigueur_scientifique.

    « Le procès en militantisme est un lieu commun de la manière dont ces travaux ont été disqualifiés. C’est la façon de traiter l’objet qui définit le clivage entre ce qui est militant et ce qui est académique. Sont en réalité qualifiés de “militants” les travaux qui entrent par effraction dans un champ qui ne reconnaît pas la légitimité de l’objet », analyse Patrick Simon.

    Comme les études de genre ont massivement été portées par des femmes, les questions raciales intéressent particulièrement ceux qui ont eu à connaître de près le racisme. Ce qui n’est pas, manifestement, sans inquiéter un monde universitaire encore ultra-majoritairement blanc. « Les chercheurs assignés à des identités minoritaires sont souvent discrédités au prétexte qu’ils seraient trop proches de leur sujet d’étude ; en miroir, la figure du chercheur homme blanc est, de manière implicite, considérée comme neutre et les effets sur l’enquête et l’analyse d’une position dominante dans plusieurs rapports sociaux sont rarement interrogés », souligne de son côté Amélie Le Renard.

    « Il y a eu des générations de chercheurs qui n’ont pas réussi à trouver leur place dans l’institution. Ce qui est intéressant, c’est que certains commencent à émerger et qu’ils appartiennent à des minorités. Et c’est à ce moment-là que des universitaires s’élèvent pour dire “ça suffit, c’est déjà trop”, alors qu’ils devraient dire “enfin !” », insiste Éric Fassin.

    Depuis quelques mois, et le tragique assassinat de Samuel Paty par un islamiste, les attaques à l’encontre de ces chercheurs ont pris un tour plus violent. Ceux qui travaillent sur l’islamophobie s’y sont presque habitués, mais c’est désormais tous ceux qui travaillent sur les discriminations ethno-raciales, la #colonisation, qui sont accusés d’entretenir un #esprit_victimaire et une rancœur à l’égard de l’État français qui armerait le terrorisme.

    « Quand le ministre de l’éducation nationale vous associe à des idéologues qui outillent intellectuellement les terroristes, c’est très violent », affirme une chercheuse qui a particulièrement travaillé sur la question de l’islamophobie et a, dans certains articles, été qualifiée de « décoloniale ».

    « Les termes employés sont intéressants. Qu’est-ce qu’on sous-entend quand on dit que les “décoloniaux infiltrent l’université” ou qu’on reprend le terme d’“entrisme” ? Cela dit que je n’y ai pas ma place. Alors que je suis pourtant un pur produit de l’université », analyse cette maîtresse de conférences d’origine maghrébine, qui ne souhaite plus intervenir dans les médias pour ne pas subir une campagne de dénigrement comme elle en a déjà connu. « C’est terrible parce qu’au fond, ils arrivent à nous réduire au #silence », ajoute-t-elle en référence à ceux qui demandent que le monde académique construise des digues pour les protéger.

    Le grand paradoxe est aussi l’immense intérêt des étudiants pour ces thématiques encore peu représentées dans l’institution. En attendant, l’université semble organiser – avec le soutien explicite du sommet de l’État – sa propre cécité sur les questions raciales. Comme si la France pouvait vraiment se payer encore longtemps le luxe d’un tel #aveuglement.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/080221/en-france-les-recherches-sur-la-question-raciale-restent-marginales?onglet

    #recherche #université #auto-censure #autocensure #assignation_à_identité #neutralité #décolonial

    ping @karine4 @cede

    • La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf

      Pendant ces dernières heures, j’ai pris le temps de tenter une approche purement « comptable » (urgh) concernant la fameuse et néanmoins ridicule polémique à propos de la supposée « gangrène islamogauchiste » qui serait à l’œuvre au sein de nos respectables universités. Ce billet de recherche sera simple, et je vais d’abord dire ce qu’il n’est pas, suite aux quelques échanges bienveillants que j’ai pu avoir avec certain.e.s collègues qui auront le plaisir de se reconnaître – et je les remercie d’ailleurs sincèrement pour leurs remarques.

      Disclaimer, donc (comme on dit en bon français) : cette mini-étude n’a pas pour vocation à consolider les arguments des pourfendeurs de l’islamogauchisme. Il part simplement de l’expression « gangrène » et tend à leur montrer, chiffres à l’appui, qu’on est très très loin d’une explosion de ces concepts qu’ils ne maîtrisent pas (comme « intersectionnalité » ou « décolonial », qui renvoient par exemple tous deux à des positionnements épistémologiques et des fondements théoriques bien précis, n’en déplaisent à ceux qui sont trop fainéants pour n’y voir qu’une bouillasse méprisable, là où se trouve un champ d’intérêt extrêmement fécond et inspirant). En gros, l’idée n’est pas de dire « ne vous alarmez pas, confrères conservateurs, c’est en fait une idéologie marginale« , mais plutôt de dire « 1. il n’y a pas d’idéologie, mais de la recherche et 2. si on s’amusait à la compter, on obtient des résultats ridicules qui n’autorisent ni vos invectives, ni votre inculture sur ces sujets ».

      Et au passage, la grenouille dans le titre (pour être clair), ce sont bien ceux qui accusent l’université de dérives idéologiques. Spoiler : tout est idéologie de toute manière puisque tout peut être politique, et tous les corps de métier sont d’ailleurs traversés par des expériences militantes – et heureusement, c’est ça la démocratie ! Il y a autant de militantisme possible à l’université que dans la culture, le milieu associatif, le journalisme et même (mais si si si) le monde de l’entreprise. Donc cessons d’agiter des fantômes pour nous faire peur, et surtout cessons les chasses aux sorcières qui visent précisément les universitaires – les régimes qui organisent cela n’ont rien de démocratique, et ma crainte principale se loge bien là, d’ailleurs. Ma démarche est donc la suivante : vous voulez du sérieux ? On va faire la base de la démarche scientifique : regarder les faits et compter. Cela ne devrait pas être si compliqué que cela, tout le monde peut suivre.

      Je l’exprime ici, en tant que chercheur : ce que des esprits mal intentionnés et peu curieux nomment « islamogauchisme » constitue un ensemble d’études interdisciplinaires que je vous encourage à aller explorer, au moins par pure curiosité intellectuelle – comme je m’évertue, autant que faire ce peut, à lire un maximum d’approches variées. C’est tout le principe de la recherche. Pour pouvoir effectuer mon étude arithmétique, j’ai choisi d’utiliser quelques mots-clé souvent réexploités pour accuser les universitaires d’islamogauchisme : « décolonial », « intersectionnel », « intersectionnalité », « racisé », « racialisé » – puis, pour la blague, « islamogauchisme » et « islamogauchiste ». Je suis donc allé voir ce que nous donnaient 4 des moteurs de recherche scientifiques les plus utilisés : theses.fr et HAL pour la partie générale, puis CAIRN et Open Edition pour la partie plus directement dédiée aux sciences humaines.

      Pourquoi les sciences humaines et pas la sociologie, arguera l’esprit pingre ? Parce que les études dites intersectionnelles ou décoloniales occupent en fait un champ interdisciplinaire très vaste : on y retrouve les études anglophones, la sociologie, la géographie, la démographie, le droit, les sciences du langage, la philosophie, l’anthropologie, les sciences de l’information et de la communication, l’économie, la psychologie, les études littéraires ou encore les arts. Bref, inutile de taper comme un sourd sur cette pauvre sociologie qui se donne pourtant beaucoup de mal (avec des moyens dérisoires) pour comprendre la société qui nous entoure. Nous autres, scientifiques des SHS, sommes donc toutes et tous coupables, rassurez-vous. Et pourquoi, comme on me l’a demandé, ne pas inclure les expressions « gender studies » ou « écriture inclusive » ? Parce que faut pas non plus exagérer : faites donc une liste de toutes les notions de sciences humaines que vous ne comprenez pas et que donc, par définition, il faudrait arrêter d’étudier, et ça sera plus simple. Et si vous ne comprenez pas pourquoi « race », « postcolonial » ou « islam » n’y figurent pas, j’ai des réponses, mais elles ne sont pas dignes d’un carnet de recherche.

      Voici donc la première partie de cette rapide étude : elle est assez simple, puisqu’elle donne des données plutôt brutes. Pour chaque portail dédié à l’archivage des publications scientifiques, il s’est agi de rentrer simplement les mots-clé pour une simple recherche, puis de les transformer en pourcentage par rapport au total de publications répertoriées. De ce point de vue, on est loin du calcul statistique complexe (je rappelle à mon lectorat que je suis linguiste, que j’ai fait un Bac L à l’époque, et que je fais ce que je peux pour ne pas sombrer). Mais comme les pourfendeurs de l’islamogauchisme brandissent souvent la neutralité de la raison face à des chercheur.e.s qui, selon eux, auraient succombé à l’idéologie et à l’émotion, alors chiche : voici des chiffres, soit les représentants les plus aboutis du mythe de la prétendue neutralité scientifique et de l’objectivité rationnelle. Mieux : des données, de la data. Et le tout dans une infographie avec des couleurs et des dessins.

      Premier à passer sur le grill d’un simple comptage, le portail HAL répertorie un ensemble plutôt impressionnant de références scientifiques déposées. Toutes disciplines confondues, on arrive à un pourcentage excessivement faible concernant les mots-clés proposés. Ironie du sort : la seule publication qui sort lorsqu’on rentre le terme « islamogauchiste » est celle de Pierre-André Taguieff, à qui l’on attribue souvent à tort la naissance de cette expression bien connue des milieux d’extrême-droite (il n’en reste pas moins qu’il a largement participé à sa popularisation et à sa normalisation médiatique, sans être lui-même d’ailleurs sympathisant des milieux d’extrême-droite – je tiens ici à le préciser, avant qu’on ne m’accuse de manœuvre diffamatoire). Il convient également de signaler qu’on retrouve également dans ces publications des travaux qui critiquent justement les études décoloniales et intersectionnelles, ce qui fait monter artificiellement les chiffres – sans compter le fait que certaines publications cumulent plusieurs de ces mots-clés. Bref, pour le dire vite : ce pourcentage de 0,038 % est donc probablement surévalué.

      Sur Theses.fr, on remarque une légère augmentation des résultats en terme de pourcentages. Il faut dire ici, de surcroît, que le portail doctoral en question répertorie à la fois les thèses soutenues et les thèses démarrées, ce qui fait que là aussi, on se retrouve avec un cumul de travaux qui n’en sont pas tous au même stade – ce qui est à la fois heureux et bien normal, quand on connaît le processus doctoral, ses exigences et ses coups du sort. Quoiqu’il arrive, vous me direz (et vous aurez raison) que c’est bien gentil de mélanger des concepts de sciences humaines à des thèses de médecine ou de biologie moléculaire, mais qu’il faut être un peu sérieux – et que si pluridisciplinarité il y a, il faut donc aller regarder plus précisément du côté des domaines de recherche concernés. Je suis entièrement d’accord, donc allons-y.

      Et là, pas de surprise : sur CAIRN comme sur Open Edition, qui totalisent tous deux une masse non négligeable de publications répertoriées et accessibles pour les adeptes des sciences dites « molles » ou « subtiles », évidemment, le pourcentage augmente. Mais vous l’aurez remarqué : le pourcentage sur le total de publications répertoriées est très très loin d’être significatif, tout au contraire : on reste aux alentours des 2%, ce qui montre la faible représentativité des études décoloniales ou intersectionnelles. Et là, autre contre-argument : mais c’est facile de prendre le nombre de publications sur le total ! Evidemment, en 1992, on n’utilisait probablement pas ces notions en France ! Tout juste : attardons-nous donc sur l’évolution de ces mots-clé depuis 2011, histoire d’avoir une représentativité plus fine sur le total de publications. Mais même là, il faut se rendre à l’évidence : on est loin d’une écrasante hégémonie des études intersectionnelles, par exemple.

      CAIRN ne figure pas dans les résultats, tout simplement parce que son moteur de recherche ne permet pas de faire émerger des résultats annuels – sinon je l’aurais fait. Mais déjà, avec HAL, Theses.fr et Open Edition, on remarque les mots-clé incriminés sont bel et bien en augmentation depuis 2011, mais qu’ils rencontrent aussi un certain tassement depuis deux ans – ce qui est à vrai dire plutôt inquiétant, car cela souligne le retard de la France sur des questions de recherche qui sont assez largement investies ailleurs dans le monde (et pas qu’aux Etats-Unis, le grand Satan des néoréacs français) – sans pour autant que cela soit d’ailleurs associé à des postures militantes. Cela étant, le tassement de ces mots-clés depuis 2011 n’a de sens que si on regarde leur pourcentage total par rapport à l’évolution de l’ensemble des publications sur les portails en question. Regardons un peu.

      Les accusateurs d’islamogauchisme pourront se réjouir et pointer du doigt une tendance à la hausse ; cela dit, on remarque une dynamique différente en fonction du portail. Là où le nombre de thèses marque une augmentation qui reste régulière, par exemple, on ne peut que constater la faiblesse des pourcentages par an. C’est sur Open Edition que ce type de courbe reste le plus intéressant à analyser : on voit une évolution croissante, bien que timide, de l’intérêt pour les sujets que permettent d’analyser les études intersectionnelles et décoloniales, quelle que soit la discipline d’ancrage. Mais attention aussi : sur Open Edition, on se bat à coups de revues scientifiques notamment, et en regardant sur ce portail, vous trouverez une évolution nette des publications scientifiques qui critiquent en fait les études décoloniales et intersectionnelles – en d’autres termes, l’augmentation de publication n’est pas tant dû à l’ancrage épistémologique dans ces champs, mais aux débats interdisciplinaires qui surgissent en raison de leurs méthodes ou de leurs concepts. En bref, cette évolution montre plus une vitalité des débats (tiens tiens) qu’une homogénéisation des épistémologies et des méthodologies.

      Que dire après tout cela ? Qu’avant de juger un terme sur de simples rumeurs colportées sur une chaîne de télé trop racoleuse ou un réseau social trop électrique, il suffit d’aller lire. Parce que lire reste encore la meilleure réponse à apporter à l’ignorance, aux idées reçues, aux raccourcis commodes, aux paresses intellectuelles ou aux ignorances légitimes. Ne pas savoir, ce n’est pas grave : nous sommes toutes et tous ignares sur bien des sujets. Ne pas savoir et prétendre que l’on a pas besoin de savoir pour se faire une idée, c’est non seulement bête à manger du foin et dommage en général, mais c’est surtout dangereux pour nos fragiles régimes démocratiques – et surtout pour l’indépendance de la recherche. Au final, on a le droit de questionner, de débattre et de discuter autour de ces questions (et encore heureux) : mais faisons-le dignement.

      PS : Au passage, ce n’est plus la peine de commander une étude au CNRS concernant l’islamogauchisme, du coup.

      PS bis : Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec ma démarche, bien entendu. Depuis la première publication de cette mini-étude sur Twitter, j’ai eu quelques messages un peu vifs : ceux qui disent que l’islamogauchisme n’aiment pas mes chiffres et m’accusent de ne pas mesurer « l’impact » par exemple, ou encore de ne pas vouloir voir la réalité derrière les chiffres (???). Et celles et ceux qui pensent qu’il ne faut pas donner du grain à moudre avec des chiffres. J’ai envie de répondre que dans ce genre de situation, il peut y avoir une pluralité de méthodes et de démarches, et que rien ne leur empêche de concorder à des moments opportuns. En tout cas, c’est ma modeste contribution, et ma modeste démarche.

      https://sysdiscours.hypotheses.org/352

      déjà signalé par @marielle ici :
      https://seenthis.net/messages/904269

  • Comment les militants décoloniaux prennent le pouvoir dans les universités

    Au lieu de lutter contre l’influence grandissante du #décolonialisme dans l’#enseignement_supérieur et la recherche, le gouvernement vient de faire adopter une #loi qui la favorise, s’alarment.

    Le modèle de formation des « #élites » ne passe plus, tant s’en faut, par les universités. Les meilleurs étudiants qui fréquentent les #classes_préparatoires dans des établissements du secondaire ne rencontrent plus les chercheurs de nos laboratoires. Ces établissements sont affranchis des équivalences que pilotait naguère la seule université. Un élève redoublant sa khâgne obtient aujourd’hui sa licence par décision du conseil de classe. Des écoles centrales, des écoles d’ingénieurs, des écoles nationales supérieures et des instituts peuvent désormais délivrer un doctorat en parallèle des universités. Des organismes para-universitaires « partenaires » , les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE) contrôlent la formation des enseignants. L’université est donc dorénavant dépouillée de sa prérogative : la certification du diplôme, qu’elle partage avec des institutions concurrentes.

    Affaiblie, l’université a vu de surcroît son mode de gouvernance changer. Le « management par délégation de responsabilité » , une méthode organisationnelle qui fait peser sur les subordonnés les conséquences des orientations de la hiérarchie en laissant l’illusion de partager ses choix, y est désormais implanté « top-down » , des institutions de l’Union européenne au laboratoire universitaire. Ses ravages dans le milieu hospitalier dont tout le monde constate aujourd’hui l’ampleur sont identiques dans l’enseignement supérieur.

    Or la recherche est un enjeu national qui pourrait être planifié par les pouvoirs publics. Ce n’est pourtant pas le cas : les orientations stratégiques sont promues par des incitations financières à répondre à des projets dont les cadres sont préconçus par les institutions de l’Union européenne. Et celles-ci, comme l’a récemment montré notre collègue #Bernard_Rougier dans Le Point , utilisent ce moyen « pour imposer un #modèle_multiculturel » . Les financements s’obtiennent au final en s’inscrivant dans ces cadres qui, en #sciences_humaines, font la part belle à l’#inclusivisme et aux #théories_décoloniales.

    On a assisté, parallèlement, à un démantèlement des filières de validation scientifique classiques au profit de logiques d’évaluation et de « reporting » menées par des comités anonymes. C’était ouvrir la porte à toutes les demandes sociales ou politiques qui deviennent le critère principal des gestionnaires des établissements d’enseignement supérieur cherchant à flatter les responsables publics. On obtient alors à l’université une synthèse du pire de ce que peuvent produire la planification bureaucratique et le management capitaliste.

    Dans ce contexte, nous avons alerté dans une tribune collective sur la montée du #mouvement_décolonial dans les établissements d’enseignement supérieur. À la faveur du délitement de nos missions, des chercheurs militants, confondant #propagande et #recherche, ont investi le monde académique et procèdent à une occupation méthodique des postes-clés : élections de présidents et des conseils universitaires, commission de recrutements pour la cooptation des jeunes maîtres de conférences et recrutements de vacataires ou d’allocataires de bourses de thèses. Ces derniers sont contraints de suivre un mouvement qui leur promet la sortie de la précarité à laquelle ils se croient condamnés.

    La #précarité des postes est une réalité qui pèse lourdement sur les orientations scientifiques puisqu’elle transforme des fonctions indépendantes en missions ponctuelles. Au plan national, dans le supérieur, le taux de contractualisation des emplois administratifs est de 38,8 % du total des postes (filière BIATSS). Ces agents ont une mission capitale : ils sont responsables des aspects financiers du fonctionnement des composantes des universités. C’est le nerf de la guerre. Et une part non négligeable de ces recrutements temporaires est liée aux orientations du cadre européen imposant aux laboratoires universitaires leur mode de fonctionnement et leurs finalités.

    Le domaine de l’enseignement n’est pas épargné. La carrière du chercheur libre au service de l’État-stratège est devenue un Graal inaccessible : songeons que l’âge moyen d’entrée dans la carrière est aujourd’hui de 33 ans ; l’âge de soutenance de thèse est de 29 ans. Conséquence ? La précarisation des emplois va grandissant et la stabilité des équipes de recherche est remise en cause.

    À cette situation financière peu favorable au développement d’une recherche de long terme s’ajoute une mécanique électorale clientéliste : à l’université, que l’on soit précaire ou titulaire, on vote tout le temps. Et on ne vote pas pour un représentant, comme c’est d’ordinaire la règle, mais pour un chef de service susceptible d’accorder emplois, primes et augmentations. Pour ceux qui ne rentrent pas dans cette logique, des phénomènes de censure, d’intimidation, de discrimination politique ont été instaurés, créant ainsi des clivages inédits qui forcent des jeunes doctorants à un alignement idéologique sur des courants politiques légitimés par le nombre d’obligés et de vacataires recrutés, autant dire leur armée.

    C’est dans ce contexte qu’intervient la promotion de la #loi_de_programmation_de_la_recherche (#LPR) élaborée par le gouvernement et adoptée par le Parlement fin décembre au terme de la procédure accélérée (ce qui n’est pas anodin). La loi consiste entre autres à supprimer l’étape de « qualifications nationales » pour les professeurs. Aujourd’hui, les recrutements des chercheurs sont conditionnés par l’examen devant le Conseil national des universités (CNU). Bien qu’étant très loin d’être parfait, ce mécanisme assurait le développement national et homogène de l’institution. Ce ne sera désormais plus le cas. L’étape de la vérification de la qualité des travaux des candidats par le Conseil national des universités est supprimée et les recrutements directs des professeurs par les universités sont autorisés.

    Les militants du #décolonialisme et de l’#intersectionnalité seront dorénavant libres de poursuivre leur entreprise d’accaparement de l’université au gré de politiques universitaires locales. Pour répondre à de pseudo-besoins territoriaux - en réalité politiques - ou favoriser l’implantation de filières présumées « innovantes » , les présidences clientélistes de certaines universités pourront, sans rendre aucun compte, favoriser cette orientation.

    Une telle évolution fait peser en outre une menace non négligeable sur le recrutement des professeurs de l’enseignement secondaire de demain. Car n’oublions pas qu’un étudiant de 2021 sera un professeur certifié en 2025. Si son cursus de formation n’est plus harmonisé ou n’est plus composé que d’#études_décoloniales, qu’enseignera-t-il demain en classe à des collégiens et des lycéens ?

    En lançant l’#Observatoire_du_décolonialisme_et_des_idéologies_identitaires, nous appelons à mettre un terme à l’embrigadement de la recherche et de la transmission des savoirs. Dans ce cadre, nous dénonçons la loi de programmation de la recherche (LPR) qui donne des marges de manoeuvre inédites aux ennemis de l’universalisme.

    * Samuel Mayol est maître de conférences en sciences de gestion. Xavier-Laurent Salvador, agrégé de lettres modernes, est maître de conférences en langue et littérature médiévales. L’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires dispose d’un site internet : decolonialisme.fr

    Des chercheurs militants, confondant propagande et recherche, ont investi le monde académique et procèdent à une occupation méthodique des postes-clés

    https://www.lefigaro.fr/vox/societe/comment-les-militants-decoloniaux-prennent-le-pouvoir-dans-les-universites-
    #ESR #université #facs #France

    Quelques extraits, de vraies perles...

    Les militants du #décolonialisme et de l’#intersectionnalité seront dorénavant libres de poursuivre leur entreprise d’accaparement de l’université au gré de politiques universitaires locales.

    Si son cursus de formation n’est plus harmonisé ou n’est plus composé que d’#études_décoloniales, qu’enseignera-t-il demain en classe à des collégiens et des lycéens ?

    En lançant l’#Observatoire_du_décolonialisme_et_des_idéologies_identitaires, nous appelons à mettre un terme à l’embrigadement de la recherche et de la transmission des savoirs.

    –—
    ajouté au fil de discussion sur le #séparatisme et autre dérives...
    https://seenthis.net/messages/884291

    ping @isskein @cede @karine4

    • L’#Observatoire_du_décolonialisme_et_des_idéologies_identitaires

      Ce site propose un regard critique, tantôt profond et parfois humoristique, sur l’émergence d’une nouvelle tendance de l’Université et de la Recherche visant à « décoloniser » les sciences qui s’enseignent. Il dénonce la déconstruction revendiquée visant à présenter des Institutions (la langue, l’école, la République, la laïcité) comme les entraves des individus. Le lecteur trouvera outre une série d’analyses et de critiques, une base de données de textes décoloniaux interrogeable en ligne, un générateur de titre de thèses automatique à partir de formes de titres, des liens d’actualités et des données sur la question et un lexique humoristique des notions-clés.

      Cet observatoire n’a pas pour but de militer, ni de prendre des positions politiques. Il a pour but d’observer et d’aider à comprendre, à lire la production littéraire, scientifique et éditoriale des études en sciences humaines ou prétendument scientifiques orientées vers le décolonialisme. Il veut surtout aider à comprendre la limite entre science et propagande.

      L’équipe :


      http://decolonialisme.fr

    • La gauche sans les minorités. Réflexions à partir de S. Beaud et G. Noiriel : « L’article de S. Beaud et G. Noiriel est problématique tant dans l’analyse des phénomènes de racialisation qu’il propose que dans les conséquences stratégiques qu’ils en tirent. La gauche ne se reconstruira pas à partir de diagnostics approximatifs. Les coalitions qu’ont construit les mouvements antiracistes ces dernières années, comme certaines données électorales tracent une autre voie. » https://blogs.mediapart.fr/julien-talpin/blog/080121/la-gauche-sans-les-minorites-reflexions-partir-de-s-beaud-et-g-noiri ...

    • À propos de Beaud et Noiriel : l’enfermement identitaire n’est pas le lot de quelques-uns
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      Beaud et Noiriel n’aiment pas « la racialisation du discours public », dans lequel ils voient un effet de « l’américanisation de notre vie publique ». Elle installerait une frange importante de la population dans un « enfermement identitaire ». Elle contredirait ainsi la construction nécessaire d’alliances politiques autour de la question sociale, seule à même selon eux de rassembler les catégories populaires au lieu de les diviser. Les identités raciales, ajoutent-ils, ne sont qu’une illusion et la marque d’un oubli : « La classe sociale d’appartenance [reste] le facteur déterminant autour duquel s’arriment les autres dimensions de l’identité des personnes ».

      LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR
      >> Crise de légitimité, colères sociales et stratégie macronienne de la muleta

      On ne juge pas d’un livre à partir de quelques pages. Celles qui sont proposées semblent toutefois très problématiques, d’autant plus qu’elles ne font que reprendre un vieux débat, celui qui oppose depuis quelques décennies l’attention au « social » et la préoccupation du « sociétal ». Ce débat est tout aussi improductif aujourd’hui qu’il l’était naguère.
      L’imaginaire et le réel

      La réflexion de nos deux auteurs procède d’un syllogisme. La « classe » est du côté de la réalité objective, la « race » est du côté de la représentation, donc de l’imaginaire ou de l’illusion. Or on ne peut fonder une visée politique critique sur une abstraction. S’il faut penser une « identité des personnes », il faut donc l’appuyer sur une identité de classe et non de race.

      Il est vrai que la notion de race s’expose toujours aux belles démonstrations de Claude Lévi-Strauss expliquant naguère que la race humaine n’existait pas au sens biologique du terme. Pourtant, si la race n’existe pas… elle n’en tue pas moins [1]. La race est une idée sans base matérielle biologique ; mais la racialisation qui la met au cœur de son projet est une force matérielle propulsive et pas seulement une idée.

      Or cette racialisation n’est pas le fruit de « l’américanisation ». Elle est une réalité inscrite dans une histoire qui est d’abord nationale. N’avons-nous pas le triste privilège d’avoir enfanté la première Bible du racisme théorique, avec le désolant auteur de l’Essai sur l’inégalité des races humaines, Arthur de Gobineau (1853) ? Et c’est bien chez nous qu’une longue acculturation nourrie par le fait colonial a produit ce qui n’est pas seulement un impensé, mais une pratique incessante de la discrimination, fonctionnant avant tout au faciès. Les médias possédés par « les entreprises américaines mondialisées » ont bon dos, pour disculper nos propres dominants et ceux qui les soutiennent. Il est tellement facile d’expliquer que c’est la faute aux autres…

      Tout mouvement qui se dresse, en totalité ou en partie, contre l’iniquité, la violence et la discrimination produite par le capitalisme dominant devrait être tenu pour légitime. Mais aucun mouvement n’est à l’abri d’évolutions qui, à l’arrivée, pourraient contredire l’objectif fondamental d’égalité et de liberté. L’enfermement identitaire est alors tout aussi meurtrier que l’indifférenciation, celle qui place tout combat particulier sous l’égide d’une norme présumée majoritaire.

      D’un autre côté, on peut mettre en doute l’idée que la seule réalité sociale est celle de la classe. Beaud et Noiriel savent bien que la classe est un rapport social, donc une construction historique et pas un matériau préexistant. À proprement parler, l’existence des classes ne précède pas celle de la lutte des classes : c’est au contraire la lutte elle-même qui les constituent, les font… et les défont.

      C’est par leur mise en mouvement et l’expérience de leurs conflits que les ouvriers, dispersés par leurs lieux, leurs statuts et leurs sociabilités, ont façonné leur conscience d’eux-mêmes, qu’ils ont ont défini leur rapport à la société qui les enserre et qu’ils se sont institués en classe s’affirmant en tant que telle. « Au début était la classe » : laissons cela à la légende…

      L’identité de la classe « objective » est une abstraction. La classe est un tout historique dans lequel s’entremêlent, de façon mouvante, de l’objectif et du subjectif, des positions sociales – définies par un classement – des pratiques organisées et des représentations qui deviennent des moteurs pour l’action. La classe est une réalité ; elle n’est toutefois pas une « chose », un objet qu’il suffit de catégoriser, de mesurer et de décrire.
      Réunir les catégories populaires dispersée

      Où en est-on aujourd’hui ? Les catégories populaires forment toujours l’ossature des sociétés. Mais l’unification relative qui a marqué l’histoire ouvrière sur deux siècles a laissé la place à une nouvelle dispersion. Le mouvement ouvrier a perdu de son souffle et le peuple n’a plus de groupe central. L’enjeu est, à nouveau, de réunir ce qui ne l’est pas.

      Le kaléidoscope social contemporain est le produit des logiques qui régissent l’organisation sociale. Elles sont connues depuis longtemps : exploitation, domination, aliénation, discrimination forment un tout, réuni par le modèle capitaliste de production et de distribution des ressources, matérielles comme symboliques. Les contours de celles et ceux que l’on peut rassembler en découlent : exploité-e-s, dominé-e-s, dépossédé-e-s, discriminé-e-s constituent l’univers des classes dites « subalternes ».

      Selon les moments, c’est un aspect ou un autre de la position subalterne qui crée le besoin de relever la tête, de se rassembler et d’agir. Quand le groupe ouvrier était en expansion spectaculaire, on pouvait penser que la question sociale du salariat était celle autour de laquelle tout pouvait se penser et se construire. Cette question n’a pas perdu de son acuité ; mais elle n’est plus la source unique ni même principale de l’engagement. Chaque espace de contestation devrait donc être considéré dans son égale dignité. Dans l’univers pluriel du peuple « sociologique », il n’y a pas de groupe central autour duquel tous les autres pourraient se rassembler. Dans le paysage foisonnant des luttes contemporaines, il est hasardeux d’assigner à chacune sa place dans une hiérarchie immuable.

      Traitant des mouvements réputés « identitaires » ou « minoritaires », Beaud et Noiriel évoquent l’importance de la dialectique du « eux » et du « nous » dans leur fonctionnement mental. Ils en perçoivent les limites ; il est dommage qu’ils n’étendent pas la critique à la totalité des champs de la lutte sociale.
      L’enfermement identitaire ne menace pas que les « minoritaires »…

      Il est vrai que l’affirmation de soi par la différence avec autrui est un facteur premier de conscience commune pour un groupe social. Les historiens savent depuis longtemps que la dynamique du « eux » et « nous » est un marqueur symbolique puissant, qui a fonctionné dans l’histoire ouvrière. Mais on sait aussi que le « eux-nous » a ses limites. La désignation de l’adversaire sous la forme indistincte du « eux » pousse à condamner le responsable et pas toujours la logique sociale qui produit la séparation de l’exploiteur et de l’exploité, du dominant et du dominé, du haut et du bas. Quand la complexification de la vie sociale rend plus difficile la désignation des responsables particuliers, la tentation est grande de désigner du doigt le bouc émissaire, que l’on va chercher du côté du plus familier. Ce sont ces raccourcis qui, couplés à la montée du ressentiment, forment aujourd’hui le socle des dérives autoritaires érodant toute dynamique démocratique. De ce point de vue, la survalorisation du « social » n’est pas une garantie : la défense des « petits » n’est-elle pas un cheval de bataille de l’extrême droite ?

      Plus fondamentalement, le « eux-nous » est opérationnel tant qu’il s’agit de penser un groupe dans sa dynamique spécifique : « nous » les ouvriers, par exemple. Mais il perd de sa force, quand l’enjeu n’est plus la reconnaissance du groupe par ses propres membres, mais par la société tout entière. Alors, l’objectif n’est plus seulement d’exalter une différence, mais de montrer en quoi la dignité reconnue d’une catégorie sociale est une chance pour la société elle-même.

      Dans ce moment-là, y a-t-il un risque d’« enfermement identitaire » ? Incontestablement, oui. Mais ce risque n’est pas propre aux mouvements « racialisés » ou minoritaires ; il peut toucher les mouvements « sociaux », quand bien même ils seraient numériquement dominants. Le mouvement ouvrier n’a pas été épargné par sa propre variante identitaire, cet « ouvriérisme » dont, fort heureusement, le socialisme historique et le communisme français du XXème siècle se sont globalement gardés. Et si l’on considère un mouvement récent, comme celui des Gilets jaunes, il serait bien imprudent d’affirmer qu’il n’a pas été atteint, au moins en partie, par les globalisations dangereuses du « eux » et « nous », du « peuple » et de « l’élite », mêlant ainsi l’exigence juste de démocratie citoyenne active et les rideaux de fumée du « tous pourris ».

      Il est décidément trop commode d’opposer le mouvement pur de toute dérive que serait le mouvement basé sur le « social » et celui qui, parce qu’il ne porterait pas sur le rapport d’exploitation, serait voué à l’enfermement identitaire et à l’éternelle minorité. Tout mouvement critique conscient devrait à la fois cultiver sa spécificité, affirmer sa légitimité et se garder du piège de l’identité. Tout individu a besoin de se définir par ses appartenances ; on court grand risque, néanmoins, à faire de l’une d’entre elles, sociale, religieuse, raciale ou ethnique et culturelle, un absolu qui tracerait une frontière indépassable entre les « identités ». Reconnaître le droit à l’identification n’est pas se soumettre au culte des identités.
      Le clivage du « social » et de « l’identitaire » est un piège

      À l’encontre de la primauté supposée du « social », on affirmera ici une autre piste de réflexion.

      1. Les inégalités et les discriminations forment un tout indissociable. Parce que nos sociétés sont plus polarisées que jamais, elles nourrissent la tentation de légitimer la mise à l’écart : le non-civilisé, le barbare, le sauvage, l’autre, l’étranger, l’immigré, le non-national sont alors les boucs émissaires idéaux. L’incertitude extrême du temps et l’instabilité planétaire exacerbent en outre l’obsession de la protection : nos identités menacées devraient être défendues.

      Lutter contre les inégalités et agir contre les discriminations, sans établir une hiérarchie entre elles, sont deux faces d’un même combat. Tout engagement critique a son versant positif : on se bat contre les inégalités et les discriminations, parce que l’on croit nécessaires et possibles l’égalité et la dignité. Le tracé de frontières entre les luttes est en ce sens une impasse. Un mouvement qui se dresse contre la subordination sociale des individus et des groupes n’est ni « social » ni « sociétal » ni « identitaire » en soi. À un moment ou à un autre, son horizon peut conduire le regard vers une société où l’égalité et la dignité sont réunies par une même logique d’émancipation individuelle et collective.

      Abandonnons les lubies du « fondamental » et du « secondaire ». Chaque lutte contre un effet de l’ordre-désordre social participe à sa façon d’un combat de société : contre un modèle dominant de société, pour une autre conception de ce qui fait société…

      2. On ne lira pas les pages nouvelles du combat émancipateur avec les lunettes du passé et la nostalgie est en cela tout aussi dangereuse que les certitudes faciles de l’oubli. Il ne sert à rien de rêver des identités perdues, de la classe ouvrière abandonnée et du mouvement ouvrier à rebâtir. Le point de départ de la réflexion politique alternative devrait être dans l’observation attentive des mouvements critiques tels qu’ils sont. Or, sur ce point, rien ne serait pire que de délégitimer tel ou tel combat, ou à l’inverse de décerner des brevets de légitimité « anti-système ». Les mobilisations autour du climat, contre les violences faites aux femmes, contre le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie, les mouvements des précaires, les défilés contre les projets de réforme des retraites, les manifestations des Gilet jaunes, les courants anti-consuméristes, les essais d’organisation alternative du travail et de la vie sociale…

      En bref, les traces persistantes du mouvement ouvrier et les pousses nouvelles de la contestation participent du grand rêve de l’émancipation humaine. Ce sont ces mouvements – au pluriel – qui sont le terreau de toute construction future. Que le point de départ du combat « anti-systémique » soit la position sociale, le mal-vivre, la mise à l’écart des femmes, l’angoisse de l’implosion climatique, les valeurs humanistes, la passion altermondialiste, le refus des discriminations ou la peur du fascisme : tout cela importe peu. Seule compte la mise en mouvement…

      3. La juxtaposition des mouvements ne suffit pourtant pas à en faire une force agissante. L’idée grandit, sous bien des appellations (convergence, coordination, fédération, intersectionnalité…) qu’il est nécessaire de passer de l’addition simple à la mise en commun. Des formes de rapprochement se sont esquissées, dans la dernière période, il est vrai pour l’instant à la marge. Mais, en dehors du récit libéral-autoritaire de l’extrême centre et du récit autoritaire et excluant de l’extrême droite, il n’y a pas de grand récit unificateur apte à rassembler une majorité populaire portée vers l’émancipation. Dès lors, les classes populaires apparaissent sous la forme d’une multitude qui lutte, séparément ou pas, contre ce qui la meurtrit ; elles ne constituent pas pour autant un peuple en mesure de maîtriser politiquement son destin. La question est donc posée, en termes nouveaux, du « bloc historique », indissociablement social, politique et symbolique, qui portera l’exigence d’autres modèles sociaux et cela jusque dans les institutions.

      Ce récit et ce bloc n’ont aucune chance d’émerger et de s’imposer, si le préalable est de séparer le bon grain et l’ivraie, le mouvement légitime et celui qui ne l’est pas. Tout mouvement qui se dresse, en totalité ou en partie, contre l’iniquité, la violence et la discrimination produite par le capitalisme dominant mérite d’être pris en considération. Mais aucun mouvement n’est à l’abri d’évolutions qui, à l’arrivée, pourraient contredire l’objectif fondamental d’égalité, de liberté et de solidarité. L’enfermement identitaire est alors tout aussi meurtrier que l’indifférenciation, celle qui place tout combat particulier sous l’égide d’une norme présumée majoritaire.

      La légitimité et la part de risque valent pour chaque composante, et pas pour quelques-unes d’entre elles. Nul ne peut être écarté du grand œuvre ; nul ne doit se croire immunisé a priori de tout errement possible."
      Roger Martelli
      http://www.regards.fr/idees-culture/article/a-propos-de-beaud-et-noiriel-l-enfermement-identitaire-n-est-pas-le-lot-de ...

    • À propos d’un texte de S. Beaud et G. Noiriel : critique des impasses ou impasses d’une critique ?

      Un article de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, publié par Le Monde diplomatique de janvier 2021 sous le titre « Impasses des politiques identitaires », a suscité d’intenses controverses et des appropriations intéressées, notamment de la part de médias (Marianne), d’idéologues (par exemple Laurent Bouvet) ou de collectifs (le Printemps républicain) qui se sont spécialisés depuis longtemps dans la disqualification des mouvements antiracistes au nom de la « République » et de sa sauvegarde.

      Discuter la contribution de S. Beaud et G. Noiriel est nécessaire non seulement en raison des enjeux qu’elle soulève, ainsi que de la grande valeur de leurs travaux respectifs antérieurs[1], mais aussi de leur engagement tenace en faveur d’une science sociale critique des rapports de domination. Or, dans le cas présent, force est d’admettre que, comme on dit, le compte n’y est pas. On se bornera ici à se tenir au plus près de l’article publié pour en discuter la démarche et les présupposés, sans omettre que l’article en question est extrait d’un livre qui vient de paraître, plus précisément de son introduction et de sa conclusion1.

      Quelle est, présentée avec nuance, l’idée directrice de ce texte ? Que les revendications de minorités et des mouvements prétendant en défendre les intérêts (revendications et mouvements hâtivement qualifiés d’ « identitaires ») menacent d’enfermer les acteurs qui les défendent, en les rendant prisonniers de prétendues « politiques identitaires », jamais définies en tant que telles et réduites à un dénominateur commun imaginaire.

      Amalgames

      1. Quels sont les acteurs des « politiques » mises en cause ? Faute de les distinguer, l’article amalgame des chercheurs et universitaires (auxquels est réservé le titre d’« intellectuels »[2]), des organisations et mouvements (jamais clairement identifiés alors qu’ils sont très divers[3]), ou encore des mobilisations et des actions (dont ne sont retenus que des « coups de forces ultraminoritaires »[4]). Cet amalgame permet de construire à peu de frais des « politiques identitaires » globalisées, comme si elles prétendaient toutes à la définition de politiques globales et alors même que la quasi-totalité de celles et ceux qui sont (ou semblent) visés se réclament de l’égalité et non d’une quelconque « identité ».

      On voit d’ailleurs à quel point le pari de S. Beaud et G. Noiriel de se tenir sur un plan purement scientifique ne tient pas, puisqu’ils reprennent, là encore sans discussion, une expression – « identitaire » – extrêmement problématique et qui n’est nullement issue du champ scientifique mais de polémiques médiatiques et politiques. Ainsi parlent-ils de « politiques identitaires », ou dans leur livre de « gauche identitaire » (p. 17), sans s’interroger sur la valeur scientifique d’une telle notion, qui tend à amalgamer des courants qui revendiquent la défense d’une « identité » européenne qu’ils jugent menacée (en l’occurrence des mouvements d’extrême droite, bien souvent néofascistes), d’autres qui utilisent la notion d’« identité » pour critiquer les assignations identitaires, et d’autres encore qui usent d’une rhétorique de l’« identité » dans une perspective de revalorisation symbolique de groupes subalternes. Peut-on véritablement se débarrasser de ces différences d’usages en se contentant d’affirmer que tous « parlent le même langage » ?

      Symptomatique de ce schématisme, S. Beaud et G. Noiriel renvoient dos-à-dos la pétition intitulée « Manifeste pour une République française antiraciste et décolonialisée » diffusée par Mediapart le 3 juillet 2020, et l’« Appel contre la racialisation de la question sociale », initialement publié par Marianne le 26 juillet 2020. Avec cette conséquence : attribuer aux signataires de la première pétition l’objectif de « défendre un projet politique focalisé sur les questions raciales et décoloniales occultant les facteurs sociaux ».

      Ce disant, S. Beaud et G. Noiriel leur prêtent un projet politique global alors que les signataires interviennent ici exclusivement contre l’effacement de l’histoire coloniale et esclavagiste dont témoignent notamment les violences policières (dont les victimes sont très souvent issues de l’immigration postcoloniale). Comment peut-on négliger que nombre de ces signataires interviennent de longue date contre les politiques de classe qui accroissent les inégalités socio-économiques et dégradent les conditions de vie des classes populaires ? Et comment peut-on évoquer une prétendue occultation des facteurs sociaux en laissant ainsi entendre que la question raciale ne relèverait pas de mécanismes sociaux[5] ou ne serait pas une composante de la question sociale ?

      En revanche, S. Beaud et G. Noiriel passent ici sous silence l’universalisme abstrait de l’appel publié par Marianne : un universalisme qui, sous couvert de la proclamation d’une universalité de droits égaux, dissimule les oppressions et occulte des discriminations et ségrégations structurelles que sociologues, économistes ou démographes n’ont pourtant aucune peine à mettre en évidence quand on leur en donne les moyens statistiques[6]. Comme si l’universalité concrète n’était pas encore à conquérir et pouvait l’être sans mobilisations menées à partir de ces situations d’oppression.

      Or cette mise en scène polémique permet à nos auteurs de déplorer, en des termes un tantinet méprisants, une supposée guéguerre entre deux « camps » qui menacerait la position de surplomb d’universitaires défendant l’indépendance de la recherche[7] :

      « Ces affrontements identitaires, où chaque camp mobilise sa petite troupe d’intellectuels, placent les chercheurs qui défendent l’autonomie de leur travail dans une position impossible ».

      Sans nier la tension qui peut exister entre la recherche théorique et l’intervention politique, on voit mal en quoi la mobilisation politique de chercheurs menacerait l’indépendance de leurs recherches, ou comment celle-ci serait garantie par le refus d’intervenir directement dans le débat politique[8].

      Et on ne peut s’empêcher de relever cet étrange paradoxe : publier dans un mensuel journalistique un extrait (discutable) est le type même d’intervention politique que S. Beaud et G. Noiriel récusent, alors que le second, dans une note de son blog, attribue un malentendu au titre choisi par Le Monde diplomatique :

      « Même si le titre qu’a choisi la rédaction du Monde Diplomatique (”Impasses des politiques identitaires”) a pu inciter une partie des lecteurs à penser que notre propos était politique, ce que je regrette pour ma part, il suffit de le lire sérieusement pour comprendre que notre but est justement d’échapper à ce genre de polémiques stériles. ».

      Comme si le « propos » de cet extrait n’avait rien de « politique », même en un sens minimal, dans la mesure où il renvoie à des options politiques et critique d’autres options politiques.

      2. Qu’auraient donc en commun les acteurs qui, à des titres divers, rompent avec l’universalisme abstrait ? S. Beaud et G. Noiriel l’affirment : leur sous-estimation ou leur ignorance des déterminations de classe des discriminations et des oppressions subies par des minorités en raison de telle ou telle origine, couleur de peau et/ou religion.

      C’est évidemment inexact s’agissant des universitaires et chercheurs qui, en France, font plus ou moins référence à l’intersectionnalité sans négliger, bien au contraire, les déterminations de classe. C’est totalement réducteur s’agissant de nombre de militant·es, de mouvements et d’organisations en lutte contre le racisme qui n’ignorent pas que l’oppression raciale s’imbrique avec l’exploitation de classe. C’est unilatéral s’agissant des mobilisations de masse les plus récentes. C’est abusivement simplificateur s’agissant des revendications d’appartenance d’habitants des quartiers populaires, souvent parfaitement conscients de l’existence d’inégalités de classe dont ils sont les victimes ; même si cette conscience s’exprime parfois dans un langage davantage territorial (le « quartier ») qu’économique, cela sans doute en raison même du chômage qui sévit si fortement parmi les jeunes de ces quartiers.

      Raccourcis

      1. Mais d’où vient l’importance prise par les affrontements dont S. Beaud et G. Noiriel dénoncent le simplisme ? D’où viennent, en particulier, face à un universalisme proclamé mais largement démenti, l’adhésion d’inégale intensité de minorités opprimées à des appartenances particulières et leur participation à des mobilisations spécifiques ?

      Une évocation du nouveau monde médiatique est mise au service d’une critique de la prétendue « américanisation du débat public ». Cette critique empruntée sans discernement au bavardage médiatique fait office d’explication de la centralité qu’aurait acquise la dénonciation du racisme dans le débat public, imputable de surcroît à des « émotions ». Alors que la contestation et les mobilisations correspondantes sont, en France, généralement minorées, marginalisées, déformées voire traînées dans la boue dans les grands médias audiovisuels et par la presse de droite (qu’on pense à la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019 ou des mobilisations contre les violences policières de l’été 2020), S. Beaud et S. Noiriel ne craignent pas d’affirmer :

      « Le racisme étant aujourd’hui l’un des sujets politiques les plus aptes à mobiliser les émotions des citoyens, on comprend pourquoi sa dénonciation occupe une place de plus en plus centrale dans les médias. »

      Quels médias, si l’on excepte la presse indépendante et les « réseaux sociaux » dont l’audience est minoritaire ? Quelle étude empirique, même sommaire, permet à des chercheurs attachés à de telles études d’affirmer cette prétendue centralité de la dénonciation du racisme dans les médias ? Cela d’autant plus que la plupart des travaux scientifiques sur la question des discriminations raciales sont à peu près inconnus de la plupart des journalistes comme des responsables politiques, que les chercheurs·ses travaillant sur ces questions sont rarement sollicité·es par les médias de grande écoute et que cette question est loin d’être au cœur de l’agenda politique.

      Pour ne prendre qu’un exemple, a-t-on jamais vu les inégalités ethno-raciales constituer un point sur lequel on interroge les candidats à l’élection présidentielle au cours des vingt dernières années ? La dimension raciale des violences policières est-elle véritablement discutée dans les médias de grande écoute ? Au contraire, les polémiques médiatisées sont polarisées par une débauche de mots vides ou vidés de tout contenu précis, mais sans cesse ânonnés par lesdits journalistes et responsables politiques : « communautarisme », « séparatisme », « racialisme » ou encore « indigénisme ».

      Ces polémiques médiatisées sont même parvenues à s’emparer de la mobilisation mondiale de l’été 2020 contre les crimes racistes commis par la police et à s’enflammer autour d’un prétendu « racisme anti-blanc ». De même, on a vu un ancien joueur de football, Lilian Thuram, être régulièrement accusé de « racisme anti-blanc » pour avoir pointé des formes de racisme profondément ancrées dans les sociétés européennes. Les associations et les mobilisations les plus incisives sont malmenées, tandis que les « débats vraiment faux » prolifèrent, sans impliquer ni atteindre les premiers concernés.

      C’est pourtant à la médiatisation des « polémiques identitaires dans le débat public » que S. Beaud et G. Noiriel attribuent les revendications d’appartenance d’une partie des jeunes :

      « Étant donné l’importance prise par les polémiques identitaires dans le débat public, il n’est pas surprenant qu’une partie de ces jeunes puissent exprimer leur rejet d’une société qui ne leur fait pas de place en privilégiant les éléments de leur identité personnelle que sont la religion, l’origine ou la race (définie par la couleur de peau). »

      C’est là, à l’évidence, attribuer une importance disproportionnée au « débat public » dans la manière dont les individus se représentent le monde social. Sans doute les catégories produites et diffusées dans l’espace public par ses principaux tenanciers – les porte-voix journalistiques et politiques – ont-elles une influence non-négligeable. La référence aux catégories diffusées dans l’espace public est bien souvent négative et réactive : c’est généralement parce que les musulman·es sont pris·es à partie dans des médias de grande écoute qu’ils ou elles sont amené·es à se revendiquer comme tel·les. Mais, surtout, on peut penser que c’est l’expérience directe des ségrégations ethno-raciales (dans les villes, à l’école ou au travail) par des groupes sociaux qui, généralement, n’ont pas accès aux médias qui est ici déterminante. Elle ne nourrit pas, ou pas seulement, des opinions mal fondées en attente de validation par des chercheurs forts d’une indépendance proclamée.

      2. Cette « explication » par le rôle du débat public est confortée par une autre. S. Beaud et G. Noiriel connaissent fort bien – à la différence des indignés mobilisés par Marianne, Le Point et Valeurs actuelles – les discriminations subies par ces jeunes. Mais quand ils n’affirment pas qu’ils seraient d’autant plus émotifs qu’ils sont livrés à une médiatisation imaginaire, ils attribuent leurs revendications d’appartenance (dont ils présument parfois qu’elles seraient exclusives d’autres appartenances) à des déficits en capital économique et culturel :

      « Malheureusement, les plus démunis d’entre eux sont privés, pour des raisons socio-économiques, des ressources qui leur permettraient de diversifier leurs appartenances et leurs affiliations. ».

      Pourquoi ne pas dire plus clairement que ces « déficits » résultent des discriminations et de multiples mécanismes inégalitaires – où se mêlent une variété de facteurs (de classe, de race, de territoires, de genre, etc.) – qu’ils subissent (et qu’ils connaissent bien souvent) ?

      Les risques d’isolement, voire d’enfermement, existent sans doute, mais ils résultent pour une part essentielle des discriminations elles-mêmes, si bien que lutter contre ces risques passe en premier lieu par une lutte pied à pied contre ces discriminations et contre l’ensemble des mécanismes d’infériorisation sociale subis par celles et ceux qui cumulent le fait d’être issu·es des classes populaires et de l’immigration postcoloniale. Or S. Beaud et G. Noiriel nous offrent, en guise d’analyse de ces risques, une longue citation de Michael Walzer sur des impasses rencontrées par le nationalisme noir des années 1960 aux États-Unis, qu’il étend (sans nuances) au mouvement « Black Lives Matter » pour déplorer l’incapacité à nouer des alliances avec d’autres minorités.

      D’où il résulterait que les risques indéniables d’isolement sont attribués à la minorité concernée, alors que cette longue citation n’évoque même pas l’implacable répression des mouvements noirs par le pouvoir politique états-unien (allant jusqu’au meurtre des principaux dirigeants de ces mouvements) mais aussi les politiques de cooptation des élites noires, notamment au sein du Parti Démocrate. En outre, il est pour le moins audacieux, notamment de la part de chercheurs qui prétendent s’élever au-dessus du sens commun et fonder leurs affirmations sur des enquêtes, de transposer sans plus ample examen l’explication de M. Walzer à la situation française ; d’autant plus que ce dernier ne saurait en aucun cas être considéré comme un spécialiste de ces questions…

      Somme toute, S. Beaud et G. Noiriel inversent les rapports de causes à conséquences, comme si les « politiques identitaires », davantage postulées que constatées (en particulier dans le cas français), résultaient en premier lieu des limites des mobilisations antiracistes elles-mêmes, et non de l’incapacité ou du refus du mouvement syndical et des gauches politiques à s’emparer de revendications et d’aspirations légitimes[9]. Au détour d’une phrase, pourtant, on peut lire :

      « En outre, ces générations sociales ont dû faire face politiquement à l’effondrement des espoirs collectifs portés au XXe siècle par le mouvement ouvrier et communiste. » Quand le fondamental devient surplus…

      Ce qui est décisif en effet, par-delà « l’effondrement des espoirs collectifs », c’est la capacité d’inscrire dans une perspective générale des combats qui menacent de rester morcelés sans que ce morcellement soit imputable aux prétendues « politiques identitaires » : un morcellement qui concerne en réalité toutes les luttes sociales, y compris celles portées par le mouvement ouvrier « traditionnel » et, notamment, par les syndicats. Les appartenances à des minorités opprimées qui se revendiquent et se mobilisent comme telles ne sont pas des substituts ou des dérivatifs par rapport à d’autres appartenances ou mobilisations qui seraient prioritaires. Ce sont les composantes – potentielles et réelles – d’un combat englobant ; mais il ne peut être englobant qu’à condition de les inclure à part entière dans une politique d’émancipation qui reste à inventer.

      *

      (...) http://www.contretemps.eu/beaud-noiriel-race-classe-identite-gauche ....

  • #LRPR. Le retour du #délit_d’entrave dans les #universités et autres immondices législatives

    UPDATE 1/2/2021 : L’#amendement#1255 (délit d’entrave) a été déclaré recevable par les services de l’Assemblée. Il sera donc bien discuté, quelque part entre demain soir et jeudi-vendredi selon la vitesse d’avancement des débats. Compte tenu du nombre d’amendements, leur discussion va aller très vite : il y a un réel danger qu’il soit adopté.

    Et c’est reparti pour un tour. Ce lundi 1er février à partir de 16h, l’Assemblée nationale commence la discussion en hémicycle du projet de loi confortant le respect des principes républicains (LRPR), tel qu’il a été amendé après plusieurs semaines de débats en commission.

    Academia a déjà lancé l’alerte sur le fait qu’il existe un vrai risque pour que l’enseignement supérieur et la recherche soient directement intégrés dans ce texte, qui est un grand fourre-tout liberticide, articulé autour de l’idée d’une lutte finale, qui serait actuellement en cours, entre la République, d’un côté, et « l’idéologie séparatiste », de l’autre côté.

    Rappelons que quelques universitaires poussent fort en ce sens, en particulier du côté de Vigilance Universités et de l’ « Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires » tout récemment créé en partenariat avec Le Point. Pour la droite et l’extrême droite parlementaires, ces collectifs possédant leur rond de serviette au Point sont du pain-béni : ils seraient la preuve d’un appel à l’aide, qui proviendrait des tréfonds d’une communauté universitaire terrorisée par les ayatollahs américanisés du genre, de la race, de l’islamisme, du décolonialisme, de l’intersectionnalité (nous ne caricaturons pas : nous en sommes à ce niveau de discours, désormais…), pour que le législateur intervienne dans ces territoires perdus de la République que seraient devenues les universités.

    C’est pourquoi de nombreux amendements concernant l’ESR avaient été déposés il y a trois semaines par les Républicains. Jusqu’ici, toutes ces tentatives ont lamentablement échoué : clairement, la majorité gouvernementale ne souhaite pas rouvrir un front du côté des universités, même si, dans le même temps, certains députés de premier plan de la République en marche donnent crédit au discours – forgé, rappelons-le, dans les rangs de l’extrême droite – selon lequel il existerait dans les universités une

    « montée inquiétante de l’idéologie portant le racialisme, portant le séparatisme racial, portant l’indigénisme, le décolonialisme » (Eric Poulliat, rapporteur de la loi).

    Il était évidemment naïf de croire qu’on s’en tiendrait là, tout comme il est naïf de penser qu’on viendra à bout de ces idées en les ignorant, comme semblent le croire un certain nombre de chefs d’établissements d’enseignement supérieur. De façon peu surprenante, une nouvelle vague d’amendements concernant l’ESR a été déposée ces tout derniers jours. Très rapide tour d’horizon à chaud, avant examen, nous l’espérons, plus approfondi.

    Le nouveau délit d’entrave

    On remarquera d’abord que le « délit d’entrave » de la loi de programmation de la recherche tente de faire son grand retour, après sa censure par le Conseil constitutionnel le 21 décembre dernier1, ce qui était à craindre, puisque le Conseil constitutionnel avait fait le choix de ne pas le censurer sur le fond, mais pour de simples raisons de procédure parlementaire. C’est le sens de l’amendement n° 1255 des députés Benassaya et Therry, qui proposent d’ajouter l’alinéa suivant à l’article 431-1 du code pénal :

    « Le fait d’entraver ou de tenter d’entraver, par des pressions ou des insultes sur les enseignants universitaires, l’exercice des missions de service public de l’enseignement supérieur est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

    C’est exactement ce contre quoi la communauté universitaire s’était élevée pendant les débats sur la LPR : une grande pénalisation de l’enseignement supérieur à partir d’une infraction largement indéfinie et permettant l’intervention des forces de police à l’intérieur des campus sans autorisation des présidences d’université, et ce, au nom, nous dit l’exposé sommaire de l’amendement, de « la libre expression et l’indépendance des enseignants-chercheurs ». « Entrave », par la voie de « pressions », à « l’exercice des missions de service public de l’enseignement supérieur » : les blocages sont évidemment concernés, mais plus généralement toute forme de chahut dans les établissements, qu’il s’agisse d’un débat un peu animé ou d’un conseil d’administration interrompu2
    L’interdiction du voile à l’université

    Cinq amendements des Républicains (les n° 20, 203, 878, 1152 et 1613) et un du Rassemblement national (le n° 1645) concernent le port du voile à l’université, en dépit du net rejet des précédentes tentatives de la mi-janvier. On ne reviendra pas à nouveau sur ce point : donner suite à une telle proposition, alors que nous sommes en présence d’étudiant·es majeur·es et responsables, c’est, d’abord, ouvrir grand la porte à la restriction générale des convictions dans l’espace public ; c’est, ensuite, restreindre de manière considérable le droit d’accès à l’enseignement supérieur ; c’est, enfin, porter une atteinte forte aux libertés académiques, dont, rappelons-le, les étudiant·es sont aussi titulaires au titre des « franchises universitaires » qui leur accordent une liberté d’expression particulièrement protégée dans les campus.

    Hors ces deux séries d’amendements, on retrouve par ailleurs toutes les mesures dont l’introduction avait déjà été tentée en commission par les Républicains. Citons pêle-mêle :

    L’obligation de remise dans les six mois d’un rapport sur « les dérives idéologiques dans les établissements d’enseignement supérieur » (amendements n° 138, 756 et 1831), dans la lignée de la demande, en novembre dernier, d’une mission d’information sur le sujet par les députés Aubert et Abad.
    Une succession de mesures néo-vichystes, telles que l’obligation pour chaque établissement d’enseignement supérieur de « propose[r] à l’ensemble des étudiants de participer aux commémorations nationales et veille[r] à ce qu’il soit organisé, sur le temps universitaire, la lecture du message du chef de l’État et du ministre chargé des anciens combattants » (amendement n° 2085) ou l’organisation dans ces mêmes établissements, « à chaque rentrée scolaire », d’« un serment à la Constitution et au drapeau pour l’ensemble de la communauté éducative, des élèves et des étudiants » (amendement n° 2078).
    La mise en place, à la demande de la quasi-intégralité des députés Les Républicains, d’ « enquêtes administratives » avant tout recrutement dans l’éducation nationale et l’enseignement supérieur, afin d’identifier celle ou celui qui « adhérerait manifestement à des thèses antirépublicaines » (amendements n° 793 et 1454).
    La subordination des subventions aux projets étudiants « à la participation des représentants des associations sollicitant ces aides aux formations sur la prévention et la lutte contre le séparatisme que leur établissement d’enseignement supérieur organise annuellement » (amendement n° 1174).
    La possibilité de mettre en place, autour d’un « référent laïcité », « un comité de sûreté en relation permanente avec le responsable de l’administration, de la collectivité ou de l’établissement public dont il dépend afin de l’assister dans ses missions » (amendement n° 1169), parce que, nous explique l’exposé sommaire, les universités sont « particulièrement prises au dépourvu face au séparatisme qui s’attaque à elle ».

    On signalera en outre l’amendement n° 2300, qui vient, cette fois, des rangs centristes et qui témoigne d’une volonté d’une véritable reprise en main des universités par l’État : il est proposé d’étendre le pouvoir dont disposent aujourd’hui les recteurs de suspendre les décisions des universités à toutes les décisions qui leur paraissent contraires « au principe de neutralité du service public ».

    Il y aurait tellement à dire encore : nous nous en tiendrons là en ce dernier dimanche de janvier 2021.

    Ajoutons pourtant, au titre de ce premier panorama, que certains députés proposent d’étendre aux syndicats le pouvoir de dissolution des associations, en visant directement le syndicat Sud Education 93 (amendement n° 1923). Et on aura compris que nous nous trouvons à un vrai tournant : toutes les barrières sont en train de tomber. Elles sont en train de tomber non pas du côté de groupuscules extrémistes, mais au sein de partis dits « de gouvernement », appelés à exercer le pouvoir d’État à plus ou moins brève échéance et qui sont intimement persuadés, désormais, que les universités sont devenues anti-républicaines.

    Cela ne sort pas de nulle part. Une poignée de collègues irresponsables — moins d’une centaine sur une population d’enseignant∙es-chercheurs et chercheuses de plus de 100 000 personnes — attise le feu, en coulisses et publiquement, et ce depuis le 30 mars 2018 au moins, à force de manifestes de 100, d’appel des 76 et autres observatoires tout aussi ridicules les uns que les autres, et autres procédés diffamatoires, qui servent parfaitement leur objet : mettre en danger les jeunes collègues entrant à l’université.

    Terminons donc par ces mots du professeur Bernard Rougier (Université Paris-3 Sorbonne Nouvelle), dialoguant avec une subtilité toute scientifique avec le ministre de l’intérieur dans le Figaro du vendredi 29 janvier 2021 :

    « Il existe, dans le monde académique en particulier, une mise en circulation des thématiques racialistes et indigénistes à travers des programmes de recherches, des colloques, des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR) etc. Si les financements publics privilégient, par effet de mode et de mimétisme anglo-saxon, des thématiques autour d’un « racisme d’État » de nature systémique et organique, on offre une légitimation au discours islamiste qui s’est spécialisé, lui, dans la lutte contre la prétendue « islamophobie d’État ». Ce que l’action publique condamne d’un côté, elle le légitime en laissant faire de l’autre, ce qui pointe le risque d’une certaine schizophrénie ».

    https://academia.hypotheses.org/30564

    #facs #France #recevabilité #loi_confortant_le_respect_des_principes_républicains #principes_républicains #séparatisme #idéologie_séparatiste #décolonialisme #indigénisme #séparatisme_racial #Benassaya #Therry #ESR #enseignement_supérieur #entrave #liberté_d'expression #blocages #voile #franchises_universitaires #dérives_idéologiques #commémorations_nationales #serment #drapeau #enquêtes_administratives #lutte_contre_le_séparatisme #référent_laïcité #comité_de_sûreté #neutralité #neutralité_du_service_public #racisme_d'Etat

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  • Communiqué de presse :

    Avec @damienabad, nous demandons au président de l’Assemblée nationale de créer une mission d’information sur les dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires.

    https://twitter.com/JulienAubert84/status/1331588699264479233

    #Julien_Aubert #Damien_Abad

    #cancel_culture #dérives_intellectuelles_idéologiques #mission_d'information #culture_de_l'annulation #ostracisation

    –-> on y parle aussi #toponymie_politique...

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    • "Islamo-gauchisme" : les députés LR Damien Abad et Julien Aubert demandent une mission d’information

      Le président du groupe LR Damien Abad (Ain) et le VP Julien Aubert (Vaucluse) demandent l’ouverture d’une mission d’information sur « les dérives idéologiques dans les milieux universitaires », mercredi 25 novembre 2020, dans une lettre au président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand. Citant une tribune parue dans Marianne le 24 août 2020, les députés fustigent « l’importation depuis les États-Unis » d’une « cancel culture » qui, selon eux « désigne la volonté de réduire au silence dans l’espace public tous ceux qui portent des paroles ou un comportement jugés ’offensants’ ». Ils dénoncent aussi les « courants islamo-gauchistes puissants dans l’enseignement supérieur » (lire ici) tels que pointés par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer (lire ici). Ces phénomènes s’illustreraient par « l’impossibilité de faire des conférences dans les IEP ou les universités ».

      https://www.aefinfo.fr/depeche/640570-islamo-gauchisme-les-deputes-lr-damien-abad-et-julien-aubert-demanden

    • « Nous appelons à la résistance contre une culture de la déconstruction identitaire. » La tribune de Julien Aubert et Robin Reda

      Les députés LR dénoncent « les menaces de procès, insultes et harcèlements » qui ont suivi la proposition de création, à l’Assemblée nationale, d’une mission d’information sur les dérives idéologiques à l’université.

      La République Française ne connaît que des citoyens français. Elle ne les définit ni par leur ethnie, genre, ou religion et n’aborde ces sujets que lorsqu’il est nécessaire de combattre des discriminations qui ne sauraient exister. Elle ne reconnaît aucune tribu, clan ou regroupement particulier. Il ne peut y avoir en République qu’une communauté : la Nation.

      Cette conception sage et héritée de deux siècles de démocratie se heurte aujourd’hui à une obsession pour les questions identitaires, importée de l’étranger. Les Etats-Unis, traumatisés par la question raciale, se sont construits en société du melting-pot, qui a abouti à des revendications minoritaires, puis à la discrimination positive fondée sur la différence et la singularité.

      Ce différentialisme a contaminé une extrême gauche désorientée par l’échec du communisme, qui s’est trouvé un nouveau destin dans la rancœur à l’encontre de la République. Elle a fait sienne une grille de l’Histoire forgée dans la repentance, la culpabilité coloniale et un antiracisme dévoyé comme nouveau ciment idéologique. Elle a ainsi réintroduit dans le débat public une obsession pour la race, tout à sa volonté de faire corps avec un nouveau corps social « régénéré » par l’immigration et le métissage, une société de communautés juxtaposées. Sa recherche des victimes du système l’a poussé à faire du peuple une addition de minorités par définition persécutées - LGBT, femmes, immigrés, musulmans... - et à réussir une OPA intellectuelle sur une partie de la gauche modérée

      Il en résulte que se développent aujourd’hui dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans les tribunaux mais aussi les lieux de savoir, une culture de la déconstruction identitaire particulièrement belliqueuse et sectaire. De manière plus inquiétante, les relais de ce qu’il faut bien appeler une idéologie se sentent suffisamment forts pour tenter de museler les parlementaires qui souhaitent s’informer et prendre la mesure du phénomène.

      Dérives. C’est ici des menaces de procès, insultes et harcèlements à l’attention de deux députés proposant une mission d’information sur les dérives idéologiques à l’université. A rebours des témoignages multiples d’étudiants, personnalités politiques et intellectuels pointant le développement d’une culture d’ostracisation à l’université, à l’égard de ceux qui ne partagent pas les thèses décoloniales, genrées ou communautaristes d’une certaine extrême gauche, ce tir de barrage n’avait qu’une vocation : intimider et enterrer l’affaire. Leur fureur redoubla lorsqu’au lieu de s’aplatir, l’un des deux auteurs de la proposition de mission aggrava son cas en résistant et pointant publiquement les professeurs et présidents d’université prompts à agiter complaisamment l’épouvantail du fascisme ou du maccarthysme. Eux qui adorent promouvoir le name and shame à l’américaine n’ont pas apprécié qu’on leur applique leurs méthodes.

      C’est ailleurs, une association, le GISTI (Groupe d’Informations et de soutien aux Immigrés) qui s’autorise à dénoncer auprès de Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, un député, président de mission d’information sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme, parce qu’il a osé contredire cette association en cours d’audition et récuser l’affirmation selon laquelle la France serait un Etat raciste aux lois discriminatoires et illégitimes. Il faut dire qu’il avait sans doute aggravé son cas en rappelant la proximité du GISTI avec d’autres associations comme le FASTI qui avait ouvertement imputé les attentats islamistes perpétrés contre la France à « la politique néocoloniale discriminante, xénophobe et raciste de la France ».

      Il ne s’agit pas d’incidents isolés.

      Ces idéologues ont en commun de partager des thèses anti-républicaines d’une nouvelle extrême gauche imprégnée d’une culture de la pénitence occidentale et d’une détestation de tout ce que la France représente. Celle-ci fait du Français « non-genré et non-racisé » le grand satan de l’Histoire, quand l’étranger ou le minoritaire demeure le réprouvé de l’Histoire.

      Complaisance. Ces nouveaux fascistes adeptes du racisme à l’envers n’aiment la liberté d’expression que pour eux-mêmes. Ils se servent de chaque remise en cause des dérives identitaires pour générer de la vexation et in fine de la sécession. Leur lecture de l’Histoire, à la seule chandelle de la couleur de l’identité singulière, n’est pas compatible avec le récit de ceux restés fidèles à l’universalisme et à une politique aveugle aux origines, guidée par l’intérêt général.

      Ces doctrinaires en sont conduits à une coupable complaisance envers les fondamentalistes conservateurs islamistes, qu’ils voient comme le nouveau lumpenprolétariat, une classe populaire de substitution capable de les conduire au pouvoir. Les plus naïfs ne comprennent pas qu’ils en sont les idiots utiles.

      Nous souhaitons par cette tribune alerter la majorité silencieuse. Il ne peut pas y avoir de concession, de dialogue ou de complaisance à l’égard d’un courant politique qui en réalité s’en prend à la République. Nous en appelons à la Résistance.

      https://www.lopinion.fr/edition/politique/nous-appelons-a-resistance-contre-culture-deconstruction-identitaire-231157

    • Mission « #racisme » de l’Assemblée nationale : les dérapages d’un président

      Invité par la Mission d’information de l’Assemblée nationale « sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter », le Gisti a été auditionné le 24 septembre dernier, après un certain nombre d’autres associations et d’expert.es.

      Les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’audition de Danièle Lochak, qui représentait le Gisti, devant les quelques rares membres présent.es de cette Mission, nous ont amenés à saisir l’ensemble des parlementaires membres de cette Mission, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, pour leur faire part de notre stupéfaction face à la partialité et l’agressivité du président de la Mission, M. Robin Reda, et aux erreurs grossières qu’il a proférées, dénaturant l’audition qu’il a utilisée comme une tribune pour afficher ses positions partisanes.

      La vidéo de l’audition est accessible sur le site de l’Assemblée nationale (http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9535885_5f6c41b26de5a), ainsi que son compte-rendu écrit (http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9535885_5f6c41b26de5a).

      Ci-dessous le courrier adressé par le #Gisti aux membres de la Mission et au président de l’Assemblée nationale.

      Paris, le 12 octobre 2020

      À Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

      À Mesdames et Messieurs les députés,
      membres de la Mission d’information sur l’émergence
      et l’évolution des différentes formes de racisme
      et les réponses à y apporter

      Nous souhaitons appeler votre attention sur les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’audition de Mme Danièle Lochak le 24 septembre dernier.

      Madame Lochak a été entendue en sa double qualité de Professeure émérite de droit public à l’Université de Paris Nanterre et Présidente honoraire du Gisti par les membres de la mission d’information sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme.

      Elle a présenté un exposé liminaire, dans lequel elle a procédé à une analyse de la législation relative aux étrangers et des pratiques constatées de la part des autorités publiques, pour démontrer en quoi de nombreuses inégalités de traitement fondées sur la nationalité constituent en réalité des discriminations fondées sur les origines, voire des discriminations raciales et comportent de ce fait un effet stigmatisant.

      Reprenant immédiatement la parole à l’issue de la présentation de cet exposé introductif, le président de la mission, Monsieur Robin Reda, a adopté un comportement insolite en ce genre de circonstances. Il s’est exprimé en ces termes : « Un peu plus, un peu moins, de toutes manières, ce qui nous intéresse, c’est le fond du propos, dont je dois dire, Madame, qu’il m’a énormément choqué mais je ne suis pas surpris au regard des prises de positions du Gisti et moi qui me croyais d’une droite relativement modérée, je me découvre totalement fasciste au regard de ce que vous dites, avec lesquels je suis en désaccord sur tous les points. Mais on est là pour en débattre et la démocratie a ceci de beau que nous invitons aussi des organisations qui appellent ouvertement à enfreindre la loi, je pense notamment à la Marche des sans-papiers organisée le 17 octobre, à laquelle le Gisti est associé. Si on est sans-papiers et que l’on défile ouvertement sans se faire arrêter, on viole la loi et non seulement on viole la loi mais en plus, l’État est trop faible pour vous interpeller ».

      Madame Lochak a rappelé qu’il n’y avait là aucune violation de la loi puisque la liberté de manifester ne prévoit pas d’exceptions pour les personnes sans papiers. Elle a fait remarquer qu’il arrivait souvent, au demeurant, que des personnes sans papiers soient régularisées, ce qui atteste que leur revendication peut être entendue par l’administration. Monsieur Reda a alors ajouté qu’à cette Marche du 17 octobre, le Gisti défilait avec des mouvements indigénistes – comme si le fait d’apparaître comme signataire d’un appel parmi plus d’une centaine d’organisations impliquait l’adhésion aux positions de la totalité des signataires, et alors même que plusieurs des associations déjà auditionnées par la mission sont également signataires de cet appel à la Marche du 17 octobre, sans que Monsieur Reda s’en soit ému.

      Monsieur Reda a ensuite demandé « si la France serait toujours coloniale et s’il faudrait lui imposer une forme de démarche vengeresse qui mettrait en cause la République-même », avant de s’interroger lui-même, de façon particulièrement insultante pour l’organisation représentée par Madame Lochak et pour elle-même, sur la question de savoir si la mission qu’il préside « ne devrait pas s’intituler : Émergence d’une forme d’antiracisme dangereux en ce qu’il menace l’ordre républicain », suggérant explicitement que le Gisti serait le vecteur de cet « antiracisme dangereux ».

      Le monologue agressif du président de la Mission d’information s’est poursuivi pendant la majeure partie de l’audition, alors qu’il avait lui-même rappelé que celle-ci devait pouvoir se dérouler « en toute tranquillité ». Ce n’est que dans les dix dernières minutes que la rapporteure a donné l’occasion à Madame Lochak de développer ses arguments.

      Par son comportement, le président a clairement outrepassé ses prérogatives, dévoyé sa fonction et dénaturé cette audition en principe destinée à recueillir les connaissances d’experts, à poser des questions utiles et à enrichir les travaux de la Mission. Il l’a utilisée en effet comme une tribune pour afficher des positions partisanes, en agressant la personne auditionnée, non sans proférer une série d’erreurs grossières et de contre-vérités.

      Ces manquements aux obligations inhérentes à ses fonctions et la violence des attaques portées par Monsieur Reda contre Madame Lochak, et à travers elle contre le Gisti, nous paraissent d’autant plus préoccupants que la Mission mise en place par la Conférence des Présidents traite d’un sujet « sensible » et que, pour cette raison précisément, son déroulement exige, a fortiori de la part de son président, une parfaite neutralité.

      Compte tenu de l’importance de l’enjeu de la Mission, nous demandons que ce courrier soit annexé à son futur rapport.

      Pour la même raison, vous comprendrez que ce courrier soit rendu public.

      Veuillez croire, Mesdames, Messieurs, à l’assurance de nos salutations.
      Vanina Rochiccioli
      Présidente du Gisti

      https://www.gisti.org/spip.php?article6492=

    • La #cancelculture pour les nuls

      Faire taire : tel est l’objectif que se donnent celles et ceux qui pratiqueraient — consciemment ou non — la cancel culture. Depuis quelques mois, on assiste à une recrudescence de commentaires sur l’existence d’une #cancelculture à la française, qui consisterait à déboulonner les statues, à « couper la République en deux » (Emmanuel Macron), ou plus pratiquement, à entraver la tenue de « débats »1 ou à censurer des oeuvres2.

      Il est pourtant une #cancelculture bien française, qui se reconnaît difficilement comme telle, et qui se pratique dans l’espace de communication feutrée des universités : le harcèlement sur les listes professionnelles, à l’endroit des jeunes chercheurs et, plus souvent encore, des jeunes chercheuses.

      Pour ce billet, nous nous appuyons sur les archives de la liste Theuth, spécialisée en épistémologie et histoire des sciences. Nous ne souhaitons pas particulièrement stigmatiser une liste de diffusion qui a été, par le passé, un beau lieu de débat professionnel et scientifique. Cette liste en effet n’est pas modérée a priori3, ce qui favorise les débats ou les échanges. Elle diffère ainsi grandement des listes où les modérateurices, en autonomie ou soumis·es à un protocole complexe de censure, comme H-France, Histoire eco, la liste de diffusion de l’Association française d’histoire économique4, ou encore geotamtam, qui regroupe des centaines de géographes ; ces listes sont modérées a priori ; les lecteurices n’ont pas accès aux épiques échanges invisibles ont lieu avant la publication ou la censure — ni même idée de leur existence, puisqu’aucune justification publique et régulière de l’activité de modération n’est jamais publiée sur lesdites listes. Parmi les sujets les plus censurés sur ces dernières listes citées, on trouve ainsi toutes les considérations touchant aux conditions de travail et d’emploi dans l’enseignement supérieur et la recherche, jugées « non scientifiques », ou sans rapport avec l’objet de la liste de diffusion, et plus récemment, les informations touchant aux attaques contre les « libertés académiques ». C’est ainsi que, pendant des années, l’emploi dans l’ESR et ses conditions n’ont fait l’objet d’aucune discussion au sein de certaines sociétés savantes, les privant de facto d’un levier sur une évolution dégradant considérablement les conditions d’exercice et la science telle qu’elle se fait. En ce sens, Theuth n’est pas représentative de nombre de listes de diffusion universitaire et reste un espace professionnel bien vivant.

      La conjonction entre un échange récent sur Theuth, à propos de l’Observatoire du décolonisme, et le fait que plusieurs membres, également membres de Vigilances Universités, y pratiquent de façon régulière le harcèlement sexiste et dominant à l’endroit de jeunes chercheuses et de jeunes chercheurs — visant in fine à les faire taire — nous conduit aujourd’hui à resaisir le pseudo-débat autour du décolonialisme à l’université au prisme du harcèlement des subalternes de l’ESR5. Ce harcèlement prend plusieurs formes : en général, des interpellations à n’en plus finir sur l’usage « scandaleux » (sic) de l’écriture inclusive ou de la langue anglaise ; moins fréquemment, l’attaque ad hominem et l’injure publique6. Ces comportements, qui s’apparentent à du harcèlement avec ciblage spécifique des femmes et des jeunes chercheurs et chercheuses ne font pas l’objet d’une modération a posteriori effective7.

      Le harcèlement professionnel ne laisse pas indemnes les membres d’une communauté scientifique. Plusieurs collègues ont d’ailleurs quitté Theuth, fatiguées des remarques sexistes continuelles. Dans le contexte récent de mise en lumière de l’association Vigilance Universités, à la manœuvre dans l’élaboration et la publication de plusieurs tribunes cette année8, la rédaction d’Academia a découvert avec stupéfaction que ceux-là mêmes qui prônaient le maccarthysme universitaire, pratiquaient quotidiennement le harcèlement sur une liste professionnelle bien familière. Attaques publiques et dévalorisation publiques apparaissent, sous ce nouveau jour, comme les deux mamelles de la domination professionnelle de ceux qui sont habituellement prompts à se poser comme victimes de la supposée #cancelculture des militant·es gauchistes9. Ce faisant, et sans modération de la part de leurs collègues titulaires, ce sont bien les « dominé·es » de l’ESR, les non-titulaires, les femmes et les personnes racisées, qui se trouvent privées d’un espace de travail serein. Il est ainsi plus simple de cancel celles et ceux à qui ces personnes malveillantes dénient toute légitimité ou qui, en raison d’une politique plus que malthusienne de l’emploi universitaire, ont intérêt à se taire, à oublier même certains sujets ou certaines pratiques de la recherche, s’iels veulent être un jour recruté·es.

      Nous choisissons de reproduire trois réponses de la liste, sélectionnées au sein de son archive publique, avec l’accord de leurs autrices et de leur auteur, afin de donner à d’autres les moyens de se défendre contre la mâle #cancelculture à la française.

      - Observatoire du décolonialisme, Vigilance universités et domination (janvier 2021)
      - « Les convulsions qui indiquent la fin prochaine » : point médian, écriture inclusive et réactions d’arrière-garde (novembre 2020)
      - Au revoir TheuthienNEs : quitter la liste pour en refuser le sexisme (décembre 2018)

      https://academia.hypotheses.org/30581

    • Accusation d’"#islamo-gauchisme" à l’université : des députés réclament une mission d’information

      Deux députés Les Républicains demandent la création d’une mission d’information parlementaire sur les « dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires ». La Conférence des présidents d’université affirme qu’elle « partage l’indignation de toute la communauté universitaire ».

      La polémique n’en finit pas… Deux députés Les Républicains, Julien Aubert et Damien Abad, ont adressé un courrier au président de l’Assemblée nationale dans lequel ils dénoncent « les dérives intellectuelles idéologiques qui se manifestent dans les milieux universitaires », indique l’Assemblée dans un communiqué.

      Les deux députés réclament la création d’une mission d’information parlementaire. Si l’Assemblée nationale accepte la création de cette mission d’information, une délégation de la commission sera alors chargée d’étudier cette question et de publier un rapport.

      « Islamo-gauchisme »

      Les parlementaires pointent deux faits dans leur courrier. L’importation, selon eux, de la « cancel culture » américaine « qui désigne la volonté de réduire au silence dans l’espace public tous ceux qui portent des paroles ou un comportement jugés offensants ». Mais aussi l’existence de supposés "courants « islamo-gauchistes » puissants dans l’enseignement supérieur".

      Ces députés font écho aux propos du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, qui pointait « l’islamo-gauchisme qui fait des ravages à l’université », six jours après l’assassinat de Samuel Paty. La Conférence des présidents d’université (CPU) s’était alors indignée de ces mots. D’autant que le terme « islamo-gauchisme », qui a été inventé par des intellectuels réactionnaires dans les années 2000, a en effet longtemps été l’apanage des penseurs d’extrême-droite. De plus en plus répandu, il désigne « l’alliance ou la collusion entre des groupes d’extrême gauche et des mouvances islamistes », explique un de ces créateurs, le politologue Pierre-André Taguieff, dans une tribune publiée dans Libération.

      « Odieuses calomnies »

      Pour la CPU, cette demande de mission d’information « reflète la totale méconnaissance du fonctionnement de l’institution universitaire, de la recherche et de la formation » de ces parlementaires. « Elle signale surtout, au nom de l’opportunisme populiste, l’irrespect et la remise en cause des libertés académiques, principe fondamental de valeur constitutionnelle et présent dans toute démocratie ».

      Elle s’indigne par ailleurs d’un post Twitter de Julien Aubert, qui désigne sept présidents d’universités comme « coupables » de la « censure » qu’il entend dénoncer dans les universités. Cette publication, avec des photos des profils des présidents, est un « mépris des droits les plus élémentaires de la personne humaine », condamne la CPU dans un communiqué publié ce lundi 30 novembre.

      La CPU tient « à apporter son soutien aux universitaires qui subissent, ces derniers jours, d’odieuses calomnies », a-t-elle réagi. En attendant la décision de l’Assemblée, elle affirme qu’elle est « solidaire de ses collègues et partage l’indignation de toute la communauté universitaire ».

      https://www.letudiant.fr/educpros/actualite/accusation-d-islamogauchisme-a-l-universite-deux-parlementaires-demandent-

    • "Islamo-Gauchisme" : #Christelle_Rabier porte #plainte contre Julien Aubert - Info HuffPost

      La chercheuse Christelle Rabier, maîtresse de conférence à l’EHESS, vient de porter plainte contre Julien Aubert, député Les Républicains, pour "injure publique".

      Le terme “islamo-gauchiste” sera-t-il considéré bientôt comme une injure ? Christelle Rabier, historienne des sciences et de la médecine, maîtresse de conférence à l’École des Hautes Études en sciences sociales (EHESS) à Marseille, a porté plainte mardi 23 février contre le député Julien Aubert (LR) pour un tweet où elle est désignée comme “islamo-gauchiste” aux côtés de sept autres chercheurs.

      Dans le tweet en question, qui date du 26 novembre 2020, le député du Vaucluse écrit : “Universités : les coupables s’autodésignent. Alors que la privation du débat, l’ostracisation et la censure est constatée par nombre de professeurs, étudiants ou intellectuels, certains se drapent dans des accusations de fascisme et de #maccarthysme.”

      Sous ce texte, un montage photo affiche les comptes Twitter de sept universitaires, dont un président d’université. La plainte, qui a été déposée le 23 février et consultée par Le HuffPost, fait état d’un délit d’“injure publique envers un fonctionnaire public”.

      “Jeter le #discrédit sur les universitaires”

      “Pour que ce soit de la diffamation, il faut que ce soit quelque chose de précis, justifie au HuffPost son avocat au Barreau de Paris, Maître Raphaël Kempf. Si nous attaquions pour diffamation, cela voudrait dire que l’on considère que le terme ‘islamo-gauchisme’ correspondrait à une certaine réalité.”

      Si le terme “islamo-gauchisme” n’apparaît pas dans le tweet dont il est l’objet, c’est bien de cela qu’il s’agit, ainsi que de “dérives idéologiques”, et de “cancel culture”, dont les universitaires seraient “coupables”.

      “Pour comprendre le tweet, il faut lire son tweet précédent, explique l’avocat. Les ‘Coupables’ de quoi ? D’“islamo-gauchisme’, de ‘cancel culture’, de ‘censure’... Le but est de jeter le discrédit et l’anathème sur les universitaires. Il faut lire ça comme un tout.” De mémoire d’avocat, ce serait la première fois que ces termes sont présentés comme des injures.
      “Cancel culture” et “islamo-gauchisme”

      Pour pleinement comprendre ce tweet, il faut en effet revenir un peu en arrière. La veille, le 25 novembre, Julien Aubert et le président du groupe Les Républicains, Damien Abad, ont demandé à l’Assemblée nationale la création d’une mission d’information “sur les dérives idéologiques dans les milieux universitaires”.

      Dans leur communiqué de presse, il est question de lutter à la fois contre la “cancel culture” et “les courants islamo-gauchistes puissants dans l’enseignement supérieur” (voir le tweet ci-dessous). Une annonce qui provoque la polémique. Des professeurs d’université et des chercheurs s’érigent contre une “chasse aux sorcières” et accusent les députés de “maccarthysme”.

      Les protestations du monde universitaire ne freinent pas la volonté du député LR. Le lendemain, il publie le tweet en question, et affiche les comptes de ceux qui sont, pour lui, des preuves vivantes de la nécessité de cette mission d’information parlementaire.

      À l’époque, les réactions ont été vives. La Conférence des présidents d’université (CPU) parle d’une “#faute_grave” du député. L’Alliance des universités appelle à “de la dignité et de la retenue dans les propos”. L’Université de Rennes 2 considère que “c’est une dérive grave”.

      “Une telle désignation, de la part d’un représentant de la Nation, constitue une faute grave”, écrit la CPU dans son communiqué datant du 30 novembre, avant de fustiger la mission d’information qui “signale, au nom de l’opportunisme populiste, l’irrespect et la remise en cause des libertés académiques, principe fondamental de valeur constitutionnelle et présent dans toute démocratie.”

      https://twitter.com/CPUniversite/status/1333342242195578880

      “Une #attaque brutale et inouïe”

      Pour Christelle Rabier, qui fait partie des universitaires ainsi désignés, c’est “un choc”. “Je ne suis pas la seule à avoir été très affectée par cette attaque brutale et inouïe, de la part d’un député, en dehors de l’hémicycle”, témoigne-t-elle dans la vidéo en tête d’article.

      “C’est méconnaître nos métiers, l’engagement qu’on a au quotidien auprès de nos étudiants et de nos collègues, tempête-t-elle. Les mots me manquent.”

      Pour elle, la meilleure façon de répondre est de porter plainte, “pour que les députés sachent qu’il n’est pas possible de s’en prendre impunément à des universitaires au titre de leur fonction, d’enseignant et de chercheur.”

      Une décision qui “n’a pas été prise simplement” et qu’elle porte finalement seule. “Certains des mis en cause jugeaient que c’était vraiment du buzz électoraliste et qu’il fallait juste faire taire”, raconte la chercheuse. La réaction collective se borne à demander à ce que le tweet, qui n’a pas été supprimé par Twitter, n’apparaisse dans aucune publication médiatique sur le sujet.

      Elle décidera de se lancer en solo dans la bataille judiciaire. Elle espère que cette plainte, si son issue lui est favorable, pourra faire jurisprudence et précisera “dans quelle mesure un député peut utiliser sa parole sur un réseau social pour s’en prendre à un ou plusieurs agents de la fonction publique.”

      Une décision renforcée par les déclarations de sa ministre de tutelle, Frédérique Vidal, sur “l’islamo-gauchisme” qui “gangrène l’université”. “Ces affirmations sont gravissimes, estime-t-elle. Pour moi qui suis historienne, ‘islamo-gauchisme’, c’est comme ‘judéo-bolchevique’.”
      Pas de protection fonctionnelle

      Si elle ne porte plainte que trois mois plus tard, c’est parce qu’elle espérait disposer d’une “protection fonctionnelle” de la part de l’établissement où elle travaille, l’EHESS, liée à son statut de fonctionnaire et qui permet notamment de bénéficier d’une assistance juridique.

      Une aide juridique et financière qui avait notamment été accordée par exemple aux quatre policiers mis en examen après le passage à tabac de Michel Zecler en décembre dernier.

      En novembre, le président de son université aurait envoyé un signalement au Procureur de la République, indiquant qu’elle a fait l’objet d’un tweet diffamatoire. Mais sa demande de protection fonctionnelle sera finalement refusée.

      “Elle lui a été refusée en pratique, précise son avocat Me Kempf. Dans les discours, ils lui ont accordée, mais de fait ils l’ont refusée. Ils considèrent qu’intenter une procédure contre Julien Aubert serait contribuer à une publicité tapageuse. Mais ce n’est absolument pas à l’université de décider à la place de la victime d’un délit de la meilleure procédure à mettre en place.”

      C’est donc à ses propres frais que la chercheuse s’est lancée dans cette procédure. “Cela a choqué beaucoup de collègues, au sein de mon établissement et à l’extérieur, estime-t-elle. Quand ils ont découvert que pour une affaire aussi grave, je ne bénéficie pas du soutien de mon institution.” Christelle Rabier a déposé un recours contre cette décision et son avocat attaqué l’EHESS devant le tribunal administratif.

      Contacté par Le HuffPost, le député Julien Aubert n’a pas souhaité apporter de commentaire.

      https://www.huffingtonpost.fr/entry/islamo-gauchisme-christelle-rabier-porte-plainte-contre-julien-aubert

  • Qui est complice de qui ? Les #libertés_académiques en péril

    Professeur, me voici aujourd’hui menacé de décapitation. L’offensive contre les musulmans se prolonge par des attaques contre la #pensée_critique, taxée d’islamo-gauchisme. Celles-ci se répandent, des réseaux sociaux au ministre de l’Éducation, des magazines au Président de la République, pour déboucher aujourd’hui sur une remise en cause des libertés académiques… au nom de la #liberté_d’expression !

    Je suis professeur. Le 16 octobre, un professeur est décapité. Le lendemain, je reçois cette menace sur Twitter : « Je vous ai mis sur ma liste des connards à décapiter pour le jour où ça pétera. Cette liste est longue mais patience : vous y passerez. »

    C’est en réponse à mon tweet (https://twitter.com/EricFassin/status/1317246862093680640) reprenant un billet de blog publié après les attentats de novembre 2015 (https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/161115/nous-ne-saurions-vouloir-ce-que-veulent-nos-ennemis) : « Pour combattre le #terrorisme, il ne suffit pas (même s’il est nécessaire) de lutter contre les terroristes. Il faut surtout démontrer que leurs actes sont inefficaces, et donc qu’ils ne parviennent pas à nous imposer une politique en réaction. » Bref, « nous ne saurions vouloir ce que veulent nos ennemis » : si les terroristes cherchent à provoquer un « conflit des civilisations », nous devons à tout prix éviter de tomber dans leur piège.

    Ce n’est pas la première fois que je reçois des #menaces_de_mort. Sur les réseaux sociaux, depuis des années, des trolls me harcèlent : les #insultes sont quotidiennes ; les menaces, occasionnelles. En 2013, pour Noël, j’ai reçu chez moi une #lettre_anonyme. Elle recopiait des articles islamophobes accusant la gauche de « trahison » et reproduisaient un tract de la Résistance ; sous une potence, ces mots : « où qu’ils soient, quoi qu’ils fassent, les traîtres seront châtiés. » Je l’analysais dans Libération (https://www.liberation.fr/societe/2014/01/17/le-nom-et-l-adresse_973667) : « Voilà ce que me signifie le courrier reçu à la maison : on sait où tu habites et, le moment venu, on saura te trouver. » J’ajoutais toutefois : « l’#extrême_droite continue d’avancer masquée, elle n’ose pas encore dire son nom. » Or ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, les menaces sont signées d’une figure connue de la mouvance néonazie. J’ai donc porté #plainte. C’est en tant qu’#universitaire que je suis visé ; mon #université m’accorde d’ailleurs la #protection_fonctionnelle.

    Ainsi, les extrêmes droites s’enhardissent. Le 29 octobre, l’#Action_française déploie impunément une banderole place de la Concorde : « Décapitons la République ! »

    C’est quelques heures après un nouvel attentat islamiste à Nice, mais aussi après une tentative néofasciste avortée en Avignon. Avant d’être abattu, l’homme a menacé d’une arme de poing un commerçant maghrébin. Il se réclamait de #Génération_identitaire, dont il portait la veste avec le logo « #Defend_Europe », justifiant les actions du groupe en Méditerranée ou à la frontière franco-italienne ; un témoin a même parlé de #salut_nazi (https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/vaucluse/avignon/avignon-homme-arme-couteau-abattu-policiers-1889172.htm). Le procureur de la République se veut pourtant rassurant : « c’est un Français, né en France, qui n’a rien à voir avec la religion musulmane ». Et de conclure : « nous avons plus affaire à un #déséquilibré, qui semble proche de l’extrême droite et a fait des séjours en psychiatrie. Il n’y a pas de revendication ». « Comme dans le cas de l’attentat de la mosquée de Bayonne perpétré par un ancien candidat FN en octobre 2019 » (https://www.mediapart.fr/journal/france/281019/attentat-bayonne-l-ex-candidat-fn-en-garde-vue?onglet=full), note Mediapart, « le parquet national antiterroriste n’a pas voulu se saisir de l’affaire ». Ce fasciste était un fou, nous dit-on, pas un terroriste islamiste : l’attaque d’Avignon est donc passée presque inaperçue.

    Si les #Identitaires se pensent aux portes du pouvoir, c’est aussi que certains médias ont préparé le terrain. En une, l’#islamophobie y alterne avec la dénonciation des universitaires antiracistes (j’y suis régulièrement pointé du doigt) (https://www.lepoint.fr/politique/ces-ideologues-qui-poussent-a-la-guerre-civile-29-11-2018-2275275_20.php). Plus grave encore, l’extrême droite se sent encouragée par nos gouvernants. Le président de la République lui-même, qui a choisi il y a un an de parler #communautarisme, #islam et #immigration dans #Valeurs_actuelles, s’inspire des réseaux sociaux et des magazines. « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’#ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. » Selon Le Monde du 10 juin 2020, Emmanuel Macron vise ici les « discours racisés (sic) ou sur l’intersectionnalité. » Dans Les Inrocks (https://www.lesinrocks.com/2020/06/12/idees/idees/eric-fassin-le-president-de-la-republique-attise-lanti-intellectualisme), je m’inquiétais alors de cet #anti-intellectualisme : « Des sophistes qui corrompent la jeunesse : à quand la ciguë ? » Nous y sommes peut-être.

    Car du #séparatisme, on passe aujourd’hui au #terrorisme. En effet, c’est au tour du ministre de l’Éducation nationale de s’attaquer le 22 octobre, sur Europe 1, à « l’islamo-gauchisme » qui « fait des ravages à l’Université » : il dénonce « les #complices_intellectuels du terrorisme. » « Qui visez-vous ? », l’interroge Le JDD (https://www.lejdd.fr/Politique/hommage-a-samuel-paty-lutte-contre-lislamisme-blanquer-precise-au-jdd-ses-mesu). Pour le ministre, « il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des #thèses_intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre #modèle_républicain ». Cette idéologie aurait « gangrené une partie non négligeable des #sciences_sociales françaises » : « certains font ça consciemment, d’autres sont les idiots utiles de cette cause. » En réalité, l’intersectionnalité permet d’analyser, dans leur pluralité, des logiques discriminatoires qui contredisent la rhétorique universaliste. La critique de cette assignation à des places racialisées est donc fondée sur un principe d’#égalité. Or, à en croire le ministre, il s’agirait « d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. » Ce qui produit le séparatisme, ce serait donc, non la #ségrégation, mais sa dénonciation…

    Si #Jean-Michel_Blanquer juge « complices » celles et ceux qui, avec le concept d’intersectionnalité, analysent la #racialisation de notre société pour mieux la combattre, les néofascistes parlent plutôt de « #collabos » ; mais les trolls qui me harcèlent commencent à emprunter son mot. En France, si le ministre de l’Intérieur prend systématiquement le parti des policiers, celui de l’Éducation nationale fait de la politique aux dépens des universitaires. #Marion_Maréchal peut s’en féliciter : ce dernier « reprend notre analyse sur le danger des idéologies “intersectionnelles” de gauche à l’Université. »


    https://twitter.com/MarionMarechal/status/1321008502291255300
    D’ailleurs, « l’islamo-gauchisme » n’est autre que la version actuelle du « #judéo-bolchévisme » agité par l’extrême droite entre les deux guerres. On ne connaît pourtant aucun lien entre #Abdelhakim_Sefrioui, mis en examen pour « complicité d’assassinat » dans l’enquête sur l’attentat de #Conflans, et la gauche. En revanche, le ministre ne dit pas un mot sur l’extrême droite, malgré les révélations de La Horde (https://lahorde.samizdat.net/2020/10/20/a-propos-dabdelhakim-sefrioui-et-du-collectif-cheikh-yassine) et de Mediapart (https://www.mediapart.fr/journal/france/221020/attentat-de-conflans-revelations-sur-l-imam-sefrioui?onglet=full) sur les liens de l’imam avec des proches de #Marine_Le_Pen. Dans le débat public, jamais il n’est question d’#islamo-lepénisme, alors même que l’extrême droite et les islamistes ont en commun une politique du « #conflit_des_civilisations ».

    Sans doute, pour nos gouvernants, attaquer des universitaires est-il le moyen de détourner l’attention de leurs propres manquements : un professeur est mort, et on en fait porter la #responsabilité à d’autres professeurs… De plus, c’est l’occasion d’affaiblir les résistances contre une Loi de programmation de la recherche qui précarise davantage l’Université. D’ailleurs, le 28 octobre, le Sénat vient d’adopter un amendement à son article premier (https://www.senat.fr/amendements/2020-2021/52/Amdt_234.html) : « Les libertés académiques s’exercent dans le respect des #valeurs_de_la_République », « au premier rang desquelles la #laïcité ». Autrement dit, ce n’est plus seulement le code pénal qui définirait les limites de la liberté d’expression des universitaires. Des collègues, désireux de régler ainsi des différends scientifiques et politiques, appuient cette offensive en réclamant dans Le Monde la création d’une « instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux #principes _épublicains et à la liberté académique »… et c’est au nom de « la #liberté_de_parole » (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-) ! Bref, comme l’annonce sombrement le blog Academia (https://academia.hypotheses.org/27401), c’est « le début de la fin. » #Frédérique_Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, le confirme sans ambages : « Les #valeurs de la laïcité, de la République, ça ne se discute pas. »


    https://twitter.com/publicsenat/status/1322076232918487040
    Pourtant, en démocratie, débattre du sens qu’on veut donner à ces mots, n’est-ce pas l’enjeu politique par excellence ? Qui en imposera la définition ? Aura-t-on encore le droit de critiquer « les faux dévots de la laïcité » (https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/101217/les-faux-devots-de-la-laicite-islamophobie-et-racisme-anti-musulmans) ?

    Mais ce n’est pas tout. Pourquoi s’en prendre aux alliés blancs des minorités discriminées, sinon pour empêcher une solidarité qui dément les accusations de séparatisme ? C’est exactement ce que les terroristes recherchent : un monde binaire, en noir et blanc, sans « zone grise » (https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/260716/terrorisme-la-zone-grise-de-la-sexualite), où les musulmans feraient front avec les islamistes contre un bloc majoritaire islamophobe. Je l’écrivais dans ce texte qui m’a valu des menaces de décapitation : nos dirigeants « s’emploient à donner aux terroristes toutes les raisons de recommencer. » Le but de ces derniers, c’est en effet la #guerre_civile. Qui sont donc les « #complices_intellectuels » du terrorisme islamiste ? Et qui sont les « idiots utiles » du #néofascisme ?

    En France, aujourd’hui, les #droits_des_minorités, religieuses ou pas, des réfugiés et des manifestants sont régulièrement bafoués ; et quand des ministres s’attaquent, en même temps qu’à une association de lutte contre l’islamophobie, à des universitaires, mais aussi à l’Unef (après SUD Éducation), à La France Insoumise et à son leader, ou bien à Mediapart et à son directeur, tous coupables de s’engager « pour les musulmans », il faut bien se rendre à l’évidence : la #démocratie est amputée de ses #libertés_fondamentales. Paradoxalement, la France républicaine d’Emmanuel #Macron ressemble de plus en plus, en dépit des gesticulations, à la Turquie islamiste de Recep Tayyip Erdogan, qui persécute, en même temps que la minorité kurde, des universitaires, des syndicalistes, des médias libres et des partis d’opposition.

    Pour revendiquer la liberté d’expression, il ne suffit pas d’afficher des caricatures ; l’esprit critique doit pouvoir se faire entendre dans les médias et dans la rue, et partout dans la société. Sinon, l’hommage à #Samuel_Paty serait pure #hypocrisie. Il faut se battre pour la #liberté_de_la_pensée, de l’engagement et de la recherche. Il importe donc de défendre les libertés académiques, à la fois contre les menaces des réseaux sociaux et contre l’#intimidation_gouvernementale. À l’heure où nos dirigeants répondent à la terreur par une #politique_de_la_peur, il y a de quoi trembler pour la démocratie.

    https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/011120/qui-est-complice-de-qui-les-libertes-academiques-en-peril
    #Eric_Fassin #intersectionnalité #SHS #universalisme #Blanquer #complicité

    –—

    Pour compléter le fil de discussion commencé par @gonzo autour de :
    Jean-François Bayart : « Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’Etat en France »
    https://seenthis.net/messages/883974

    ping @isskein @karine4 @cede

    • Une centaine d’universitaires alertent : « Sur l’islamisme, ce qui nous menace, c’est la persistance du déni »

      Dans une tribune au « Monde », des professeurs et des chercheurs de diverses sensibilités dénoncent les frilosités de nombre de leurs pairs sur l’islamisme et les « idéologies indigénistes, racialistes et décoloniales », soutenant les propos de Jean-Michel Blanquer sur « l’islamo-gauchisme ».

      Tribune. Quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty, la principale réaction de l’institution qui est censée représenter les universités françaises, la Conférence des présidents d’université (CPU), est de « faire part de l’émotion suscitée » par des propos de Jean-Michel Blanquer sur Europe 1 et au Sénat le 22 octobre. Le ministre de l’éducation nationale avait constaté sur Europe 1 que « l’islamo-gauchisme fait des ravages à l’université », notamment « quand une organisation comme l’UNEF cède à ce type de choses ». Il dénonçait une « idéologie qui mène au pire », notant que l’assassin a été « conditionné par des gens qui encouragent cette #radicalité_intellectuelle ». Ce sont des « idées qui souvent viennent d’ailleurs », le #communautarisme, qui sont responsables : « Le poisson pourrit par la tête. » Et au Sénat, le même jour, Jean-Michel Blanquer confirmait qu’il y a « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’#enseignement_supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits. Et cela conduit à certains problèmes, que vous êtes en train de constater ».

      Nous, universitaires et chercheurs, ne pouvons que nous accorder avec ce constat de Jean-Michel Blanquer. Qui pourrait nier la gravité de la situation aujourd’hui en France, surtout après le récent attentat de Nice – une situation qui, quoi que prétendent certains, n’épargne pas nos universités ? Les idéologies indigéniste, racialiste et « décoloniale » (transférées des campus nord-américains) y sont bien présentes, nourrissant une haine des « Blancs » et de la France ; et un #militantisme parfois violent s’en prend à ceux qui osent encore braver la #doxa_antioccidentale et le prêchi-prêcha multiculturaliste. #Houria_Bouteldja a ainsi pu se féliciter début octobre que son parti décolonial, le #Parti_des_indigènes_de_la_République [dont elle est la porte-parole], « rayonne dans toutes les universités ».

      La réticence de la plupart des universités et des associations de spécialistes universitaires à désigner l’islamisme comme responsable de l’assassinat de Samuel Paty en est une illustration : il n’est question dans leurs communiqués que d’« #obscurantisme » ou de « #fanatisme ». Alors que le port du #voile – parmi d’autres symptômes – se multiplie ces dernières années, il serait temps de nommer les choses et aussi de prendre conscience de la responsabilité, dans la situation actuelle, d’idéologies qui ont pris naissance et se diffusent dans l’université et au-delà. L’importation des idéologies communautaristes anglo-saxonnes, le #conformisme_intellectuel, la #peur et le #politiquement_correct sont une véritable menace pour nos universités. La liberté de parole tend à s’y restreindre de manière drastique, comme en ont témoigné récemment nombre d’affaires de #censure exercée par des groupes de pression.

      « Nous demandons à la ministre de prendre clairement position contre les idéologies qui sous-tendent les #dérives_islamistes »

      Ce qui nous menace, ce ne sont pas les propos de Jean-Michel Blanquer, qu’il faut au contraire féliciter d’avoir pris conscience de la gravité de la situation : c’est la persistance du #déni. La CPU affirme dans son communiqué que « la recherche n’est pas responsable des maux de la société, elle les analyse ». Nous n’en sommes pas d’accord : les idées ont des conséquences et les universités ont aussi un rôle essentiel à jouer dans la lutte pour la défense de la laïcité et de la liberté d’expression. Aussi nous étonnons-nous du long silence de Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, qui n’est intervenue le 26 octobre que pour nous assurer que tout allait bien dans les universités. Mais nous ne sommes pas pour autant rassurés.

      Nous demandons donc à la ministre de mettre en place des mesures de #détection des #dérives_islamistes, de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République en créant une instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux principes républicains et à la liberté académique. Et d’élaborer un guide de réponses adaptées, comme cela a été fait pour l’éducation nationale.

      Premiers signataires : Laurent Bouvet, politiste, professeur des universités ; Jean-François Braunstein, philosophe, professeur des universités ; Jeanne Favret-Saada, anthropologue, directrice d’études honoraire à l’Ecole pratique des hautes études ; Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation nationale (2002-2004) ; Renée Fregosi, politiste, maîtresse de conférences HDR en science politique ; Marcel Gauchet, philosophe, directeur d’études émérite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales ; Nathalie Heinich, sociologue, directrice de recherche au CNRS ; Gilles Kepel, politiste, professeur des universités ; Catherine Kintzler, philosophe, professeure honoraire des universités ; Pierre Nora, historien, membre de l’Académie française ; Pascal Perrineau, politiste professeur des universités ; Pierre-André Taguieff, historien des idées, directeur de recherche au CNRS ; Pierre Vermeren, historien, professeur des universités

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      Liste complète des signataires :

      Signataires

      Daniel Aberdam, directeur de recherches à l’INSERM – Francis Affergan, professeur émérite des Universités – Alya Aglan, professeur des Universités – Jean-François Agnèse, directeur de recherches IRD – Joëlle Allouche-Benayoun, chargée de recherche au CNRS – Éric Anceau, maître de conférences HDR – Julie d’Andurain, professeur des Universités – Sophie Archambault de Beaune, professeur des Universités – Mathieu Arnold, professeur des Universités – Roland Assaraf, chargé de recherche au CNRS – Philippe Avril, professeur émérite des Universités – Isabelle Barbéris, maître de conférences HDR – Clarisse Bardiot, maître de conférences HDR – Patrick Barrau, maître de conférences honoraire – Christian Bassac, professeur honoraire des Universités – Myriam Benarroch, maître de conférences – Martine Benoit, professeur des Universités – Wladimir Berelowitsch, directeur d’études à l’EHESS – Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche au CNRS – Maurice Berger, ancien professeur associé des Universités – Marc Bied-Charrenton, professeur émérite des Universités – Andreas Bikfalvi, professeur des Universités – Jacques Billard, maître de conférences honoraire – Jean-Cassien Billier, maître de conférences – Alain Blanchet, professeur émérite des Universités – Guillaume Bonnet, professeur des Universités – ​Laurent Bouvet, professeur des Universités – Rémi Brague, professeur des Universités – Joaquim Brandão de Carvalho, professeur des Universités – Jean-François Braunstein, professeur des Universités – Christian Brechot, professeur émérite des Universités – Stéphane Breton, directeur d’études à l’EHESS – Jean-Marie Brohm, professeur émérite des Universités – Michelle-Irène Brudny, professeur honoraire des Universités – Patrick Cabanel, directeur d’études, École pratique des hautes études – Christian Cambillau, directeur de recherches émérite au CNRS – Belinda Cannone, maître de conférences – Dominique Casajus, directeur de recherches émérite au CNRS – Sylvie Catellin, maître de conférences – Brigitte Chapelain, maître de conférences – Jean-François Chappuit, maître de conférences – Patrick Charaudeau, professeur émérite des Universités – Blandine Chelini-Pon, professeur des Universités – François Cochet, professeur émérite des Universités – Geneviève Cohen-Cheminet, professeur des Universités – Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherche au CNRS – Cécile Cottenceau, PRAG Université – Philippe Crignon, maître de conférences – David Cumin, maître de conférences HDR – Jean-Claude Daumas, professeur émérite des Universités – Daniel Dayan, directeur de recherches au CNRS – Chantal Delsol, membre de l’Académie des sciences morales et politiques – Gilles Denis, maître de conférences HDR – Geneviève Dermenjian, maître de conférences HDR – Albert Doja, professeur des Universités – Michel Dreyfus, directeur de recherche au CNRS – Philippe Dupichot, professeur des Universités – Alain Ehrenberg, directeur émérite de recherche au CNRS – Marie-Claude Esposito, professeur émérite des Universités – Jean-Louis Fabiani, directeur d’études à l’EHES – Jeanne Favret-Saada, directrice d’études honoraire à l’EPHE – Laurent Fedi, maître de conférences – Rémi Ferrand, maître de conférences – Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale – Michel Fichant, professeur émérite des Universités – Dominique Folscheid, professeur émérite des Universités – Nicole Fouché, chercheuse CNRS-EHESS - Annie Fourcaut, professeur des Universités – Renée Fregosi, maître de conférences HDR retraitée – Pierre Fresnault-Deruelle, professeur émérite des Universités – Marc Fryd, maître de conférences HDR – Alexandre Gady, professeur des Universités – Jean-Claude Galey, directeur d’études à l’EHESS – Marcel Gauchet, directeur d’études à l’EHESS – Christian Gilain, professeur émérite des Universités – Jacques-Alain Gilbert, professeur des Universités – Gabriel Gras, chargé de recherche au CEA – Yana Grinshpun, maître de conférences – Patrice Gueniffey, directeur d’études à l’EHESS – Éric Guichard, maître de conférences HDR – Jean-Marc Guislin, professeur émérite des Universités – Charles Guittard, professeur des Universités – Philippe Gumplowicz, professeur des Universités – Claude Habib, professeur émérite des Universités – François Heilbronn, professeur des Universités associé à Sciences-Po – Nathalie Heinich, directrice de recherche au CNRS – Marc Hersant, professeur des Universités – Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS – François Jost, professeur émérite des Universités – Olivier Jouanjan, professeur des Universités – Pierre Jourde, professeur émérite des Universités – Gilles Kepel, professeur des Universités – Catherine Kintzler, professeur honoraire des Universités – Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS – Bernard Labatut, maître de conférence HDR – Monique Lambert, professeur des Universités – Frédérique de La Morena, maître de conférences – Philippe de Lara, maître de conférences HDR – Philippe Larralde, PRAG Université – Dominique Legallois, professeur des Universités – Anne Lemonde, maître de conférences – Anne-Marie Le Pourhiet, professeur des Universités – Andrée Lerousseau, maître de conférences – Franck Lessay, professeur émérite des Universités – Marc Levilly, maître de conférences associé – Carlos Levy, professeur émérite des Universités – Roger Lewandowski, professeur des Universités – Philippe Liger-Belair, maître de conférences – Laurent Loty, chargé de recherche au CNRS – Catherine Louveau, professeur émérite des Universités – Danièle Manesse, professeur émérite des Universités – Jean-Louis Margolin, maître de conférences – Joseph Martinetti, maître de conférences – Céline Masson, professeur des Universités – Jean-Yves Masson, professeur des Universités – Eric Maulin, professeur des Universités – Samuel Mayol, maître de conférences – Isabelle de Mecquenem, PRAG Université – Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des Universités – Marc Michel, professeur émérite des Universités –​ Jean-Baptiste Minnaert, professeur des Universités – Nathalie Mourgues, professeur émérite des Universités – Lion Murard, chercheur associé au CERMES – Franck Neveu, professeur des Universités – Jean-Pierre Nioche, professeur émérite à HEC – Pierre Nora, membre de l’Académie française – Jean-Max Noyer, professeur émérite des Universités – Dominique Ottavi, professeur émérite des Universités – Bruno Ollivier, professeur des Universités, chercheur associé au CNRS – Gilles Pages, directeur de recherche à l’INSERM – Marc Perelman, professeur des Universités – Pascal Perrineau, professeur des Universités – Laetitia Petit, maître de conférences des Universités – Jean Petitot, directeur d’études à l’EHESS – Béatrice Picon-Vallin, directrice de recherches au CNRS – René Pommier, maître de conférences – Dominique Pradelle, professeur des Universités – André Quaderi, professeur des Universités – Gérard Rabinovitch, chercheur associé au CNRS-CRPMS – Charles Ramond, professeur des Universités – Jean-Jacques Rassial, professeur émérite des Universités – François Rastier, directeur de recherche au CNRS – Philippe Raynaud, professeur émérite des Universités – Dominique Reynié, professeur des Universités – Isabelle Rivoal, directrice de recherches au CNRS – Jean-Jacques Roche, professeur des Universités – Pierre Rochette, professeur des Universités – Marc Rolland, professeur des Universités – Danièle Rosenfeld-Katz, maître de conférences – Bernard Rougier, professeur des Universités – Andrée Rousseau, maîtresse de conférences – Jean-Michel Roy, professeur des Universités – François de Saint-Chéron, maître de conférences HDR – Jacques de Saint-Victor, professeur des Universités – Xavier-Laurent Salvador, maître de conférences HDR – Jean-Baptiste Santamaria, maître de conférences – Yves Santamaria, maître de conférences – Georges-Elia Sarfati, professeur des Universités – Jean-Pierre Schandeler, chargé de recherche au CNRS – Pierre Schapira, professeur émérite des Universités – Martine Segalen, professeur émérite des Universités – Perrine Simon-Nahum, directrice de recherche au CNRS – Antoine Spire, professeur associé à l’Université – Claire Squires, maître de conférences – Marcel Staroswiecki, professeur honoraire des Universités – Wiktor Stoczkowski, directeur d’études à l’EHESS – Jean Szlamowicz, professeur des Universités – Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS – Jean-Christophe Tainturier, PRAG Université – Jacques Tarnero, chercheur à la Cité des sciences et de l’industrie – Michèle Tauber, maître de conférences HDR – Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences HDR – Alain Tedgui, directeur de recherches émérite à l’INSERM – ​Thibault Tellier, professeur des Universités – Françoise Thom, maître de conférences HDR – André Tiran, professeur émérite des Universités – Antoine Triller, directeur de recherches émérite à l’INSERM – Frédéric Tristram, maître de conférences HDR – Sylvie Toscer-Angot, maître de conférences – Vincent Tournier, maître de conférences – Christophe Tournu, professeur des Universités – Serge Valdinoci, maître de conférences – Raymonde Vatinet, professeur des Universités – Gisèle Venet, professeur émérite des Universités – François Vergne, maître de conférences – Gilles Vergnon, maître de conférences HDR – Pierre Vermeren, professeur des Universités – Nicolas Weill-Parot, directeur d’études à l’EPHE – Yves Charles Zarka, professeur émérite des Universités – Paul Zawadzki, maître de conférences HDR – Françoise Zonabend, directrice d’études à l’EHESS

      https://manifestedes90.wixsite.com/monsite

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-
      #manifeste_des_cents #manifeste_des_100 #décolonial #ESR #enseignement_supérieur

    • De la liberté d’expression des « voix musulmanes » en France

      Le traumatisme né de l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020 impose une réflexion collective profonde, aussi sereine que possible. L’enjeu est fondamental pour la société française qui, d’attentat revendiqué par une organisation constituée en attentat mené par un « loup solitaire », de débat sur le voile en débat sur Charlie, et de loi antiterroriste en loi contre le « séparatisme » s’enferre depuis plusieurs décennies dans une polarisation extrêmement inquiétante autour des questions liées à l’islam.

      Le constat de la diffusion, au sein des composantes se déclarant musulmanes en France, de lectures « radicales » et qui survalorisent la violence est incontestable. L’idéologie dite « djihadiste » demeure certes marginale, mais possède une capacité d’adaptation manifeste, liant les enjeux propres au monde musulman avec des problématiques françaises. Internet lui offre une caisse de résonance particulière auprès des plus jeunes, générant du ressentiment, mais aussi des frustrations. La #prison et la #délinquance, sans doute autant que certaines mosquées et associations cultuelles, constituent d’autres espaces de #socialisation à cette vision mortifère du monde.

      En revanche, les interprétations des racines de cette diffusion divergent, donnant lieu à des #controverses_scientifiques et médiatiques qui n’honorent pas toujours les personnes concernées. Il est manifeste que face à un problème complexe, l’analyse ne saurait être monocausale et ne se pencher que sur une seule variable. L’obsession pour la part purement religieuse du phénomène que légitiment certains chercheurs et qui est au cœur des récentes politiques du gouvernement français fonctionne comme un #écran_de_fumée.

      S’attaquer par des politiques publiques aux « #prêcheurs_de_haine » ou exiger la réforme d’un Islam « malade » sans autre forme de réflexion ou d’action ignore la dimension relationnelle de la #violence et des tensions qui déchirent la France.

      Quand les « islamo-gauchistes » doivent rendre des comptes

      Cette perspective revient à négliger l’importance de la #contextualisation, oubliant d’expliquer pourquoi une interprétation particulière de l’islam a pu acquérir, via sa déclinaison politique la plus fermée, une capacité à incarner un rejet de la société dominante. En somme cette lecture méconnaît comment et pourquoi une interprétation radicale du #référent_islamique trouve depuis quelques années une pertinence particulière aux yeux de certains, et pourquoi ce serait davantage le cas en #France qu’ailleurs en Europe. Elle revient surtout à oublier la nature circulaire des dynamiques qui permet à un contexte et à une idéologie de s’alimenter mutuellement, désignant alors de façon simpliste celui qui « aurait commencé » ainsi que — et c’est là une funeste nouveauté des derniers mois — ses « collabos » affublés du label « islamo-gauchiste » et qui devraient rendre des comptes.

      Beaucoup a ainsi été écrit et dit, parfois trop rapidement. En tant que chercheur et citoyen, je ressens autant de la lassitude que de la tristesse, mesurant combien mon champ professionnel développe de façon croissante une sorte d’incommunicabilité, entrainant des haines tenaces et donnant de plus en plus souvent lieu à de la diffamation entre ses membres. Il m’apparait que la perspective faisant toute sa place à la #complexité des phénomènes politiques et sociaux a, d’une certaine manière, perdu la partie. Marginalisée dans les médias, elle devient manifestement de plus en plus inaudible auprès d’institutions publiques en quête de solutions rapides et brutales, faisant souvent fi du droit. L’approche nuancée des sciences sociales se trouve reléguée dans des espaces d’expression caractérisés par l’entre-soi politique, scientifique ou, il faut le reconnaitre, communautaire (ce dernier parfois prompt à tordre le discours et à le simplifier pour se rassurer).

      « Liberté d’expression », mais pas pour tout le monde

      Cette mécanique de parole complexe reléguée ne concerne pas uniquement les chercheurs. Ma frustration de « perdant » n’a au fond que peu d’importance. Elle renvoie toutefois à un enjeu beaucoup plus fondamental qui concerne l’espace de représentation et d’expression des musulmans français. Dans un contexte de fortes tensions autour de la question musulmane, il s’agit là d’un blocage récurrent dont les pouvoirs publics et une grande partie des médias se refusent à percevoir la centralité. La faiblesse des espaces offerts aux voix qui se revendiquent musulmanes et sont reconnues comme légitimes par leurs coreligionnaires constitue un angle mort que les tenants de la « liberté d’expression » auraient tout intérêt à aborder. Autant que le contrôle policier et la surveillance des appels à la haine sur Internet et dans les mosquées, c’est là un levier nécessaire pour contenir la violence et lutter contre elle.

      La liberté d’expression n’a jamais été totale, et certains tabous légitimes demeurent ou évoluent avec le temps. Pensons à la pédocriminalité dans les années 1970, ou aux caricatures sur les juifs et l’argent dans les années 1930. Parmi les tenants d’une laïcité intégrale, qui a déjà discuté avec une femme voilée ? Partons tout d’abord du principe que l’ignorance de l’Autre et de sa propre histoire constitue une racine de la #polarisation grave de la société française. Admettons ensuite qu’il est important pour chacun d’avoir une perception juste de ses concitoyens et aussi, en démocratie, de se sentir correctement et dignement représenté à une variété d’échelons.

      La figure de #Hassen_Chalghoumi, imam d’origine tunisienne d’une mosquée en Seine–Saint-Denis très fréquemment mobilisé dans les grands médias, symbolise un dysfonctionnement patent de ce mécanisme de #représentation. Sa propension à soutenir des positions politiques à rebours de ses « ouailles » supposées, en particulier sur la Palestine, mais surtout son incapacité à s’exprimer correctement en français ou même à avoir un fond de culture générale partagée ne constitue aucunement des caractéristiques rédhibitoires pour faire appel à lui quand un sujet en lien avec l’islam émerge. Pire, il semblerait même parfois que ce soit exactement le contraire comme quand Valeurs actuelles, alors accusé d’avoir caricaturé la députée Danièle Obono en esclave, a fait appel à lui pour défendre la liberté d’expression et l’a placé, détail sans doute potache, mais tellement symptomatique de mépris affiché, devant une plaque émaillée « Licence IV » (autrefois utilisée pour désigner les débits de boissons alcoolisées).

      Pour les millions de Français d’origine musulmane dont l’élocution française est parfaite et qui partagent les mêmes références culturelles populaires que la majorité des Français, reconnaissons qu’il est parfaitement humiliant d’avoir l’impression que les médias n’ont pas d’autre « modèle » à mobiliser ou à valoriser pour entendre une voix décrite comme musulmane. Comment dès lors ne pas comprendre la défiance envers les médias ou la société dans son ensemble ?

      L’ère du #soupçon

      Certes, il revient aux musulmans au premier chef de s’organiser et de faire émerger des figures représentatives, dépassant ainsi la fragmentation qui est celle de leur culte, ainsi que la mainmise exercée par les États d’origine, Maroc, Algérie et Turquie en tête. Les luttes internes sont elles-mêmes d’une grande violence, souvent fondées sur le « narcissisme des petites différences » de Sigmund Freud. Toutefois, reconnaissons que l’expérience démontre que les restrictions ne sont pas seulement internes à la « communauté ». Il y a plus de vingt ans déjà, le sociologue #Michel_Wieviorka avait pointé du doigt l’incapacité de la société française à accueillir les voix se revendiquant comme musulmanes :

      "Plutôt que d’être perçus comme des acteurs qui inventent et renouvellent la #vie_collective — avec ses tensions, ses conflits, ses négociations —, les associations susceptibles de passer pour « ethniques » ou religieuses […] sont couramment ignorées, soupçonnées de couvrir les pires horreurs ou traitées avec hostilité par les pouvoirs publics. […] À force de rejeter une association sous prétexte qu’elle serait intégriste et fermée sur elle-même, à force de lui refuser toute écoute et tout soutien, on finit par la constituer comme telle."

      De la chanteuse #Mennel (candidate d’origine syrienne à une émission sur TF1 et qui alors portait le foulard) à #Tariq_Ramadan (certes de nationalité suisse) en passant par l’humoriste #Yassine_Belattar et le #Comité_contre_l’islamophobie_en_France (CCIF), les occasions d’exclure les voix endogènes qui revendiquent une part d’#islamité dans leur discours et sont à même de servir de référence tant cultuelle que politique et culturelle ont été nombreuses. Parfois pleinement légitimes lorsque des accusations de viols ont été proférées, des dispositifs de contrôle imposent de « montrer patte blanche » au-delà de ce qui devrait légitimement être attendu. Non limités à l’évaluation de la probité, ils rendent en plus toute critique adressée à la société française et ses failles (en politique étrangère par exemple) extrêmement périlleuses, donnant le sentiment d’un traitement différencié pour les voix dites musulmanes, promptes à se voir si facilement criminalisées. Dès lors, certaines positions, pourtant parfaitement raisonnables, deviennent indicibles.

      Revendiquer la nécessité de la #lutte_contre_l’islamophobie, dont l’existence ne devrait pas faire débat par exemple quand une femme portant le foulard se fait cracher dessus par des passants fait ainsi de manière totalement absurde partie de cette liste de tabous, établie sans doute de manière inconsciente par des années d’#injonctions et de #stigmatisations, héritées de la période coloniale.

      Une telle mécanique vient enfin légitimer les logiques d’#exclusion propres au processus de #radicalisation. Elle s’avère dès lors contreproductive et donc dangereuse. Par exemple, dissoudre le CCIF dont l’action principale est d’engager des médiations et de se tourner vers les institutions publiques est à même de constituer, en acte aux yeux de certains, la démonstration de l’inutilité des #associations et donc l’impossibilité de s’appuyer sur les institutions légales. C’est une fois encore renvoyer vers les fonds invisibles de l’Internet les #espaces_d’expression et de représentation, c’est ainsi creuser des fossés qui génèrent l’#incompréhension et la violence.

      Il devient impérieux d’apprendre à s’écouter les uns les autres. Il demeure aussi nécessaire de reconnaitre que, comme l’entreprise a besoin de syndicats attentifs et représentatifs, la société dans son ensemble, diverse comme elle est, a tout à gagner à offrir des cadres d’expression sereins et ouverts à ses minorités, permettant aussi à celles-ci de revendiquer, quitte à ne pas faire plaisir à moi-même, à la majorité, ou au patron.

      https://orientxxi.info/magazine/de-la-liberte-d-expression-des-voix-musulmanes-en-france,4227
      #religion

    • « La pensée “décoloniale” renforce le narcissisme des #petites_différences »

      80 psychanalystes s’insurgent contre l’assaut des « #identitaristes » dans le champ du savoir et du social

      « Les intellectuels ont une mentalité plus totalitaire que les gens du commun » écrivait Georges Orwell (1903-1950), dans Essais, Articles et Lettres.

      Des militants, obsédés par l’#identité, réduite à l’#identitarisme, et sous couvert d’antiracisme et de défense du bien, imposent des #idéologies_racistes par des #procédés_rhétoriques qui consistent à pervertir l’usage de la langue et le sens des mots, en détournant la pensée de certains auteurs engagés dans la lutte contre le racisme qu’ils citent abondamment comme #Fanon ou #Glissant qui, au contraire, reconnaissent l’#altérité et prônent un nouvel #universalisme.

      Parmi ces militants, le Parti des indigènes de la République -dit le #PIR- qui s’inscrit dans la mouvance « décoloniale ».

      La pensée dite « décoloniale » s’insinue à l’Université et menace les sciences humaines et sociales sans épargner la psychanalyse. Ce phénomène se répand de manière inquiétante et nous n’hésitons pas à parler d’un #phénomène_d’emprise qui distille subrepticement des idées propagandistes. Ils véhiculent une idéologie aux relents totalitaires.

      Réintroduire la « #race » et stigmatiser des populations dites « blanches » ou de couleur comme coupables ou victimes, c’est dénier la #complexité_psychique, ce n’est pas reconnaître l’histoire trop souvent méconnue des peuples colonisés et les traumatismes qui empêchent la transmission.

      Une idéologie qui nie ce qui fait la singularité de l’individu, nie les processus toujours singuliers de #subjectivation pour rabattre la question de l’identité sur une affaire de #déterminisme culturel et social.

      Une idéologie qui secondarise, voire ignore la primauté du vécu personnel, qui sacrifie les logiques de l’#identification à celle de l’identité unique ou radicalisée, dénie ce qui fait la spécificité de l’humain.

      Le livre de Houria Bouteldja, porte-parole du PIR, intitulé Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire (La Fabrique, 2016), soutenu par des universitaires et des chercheurs du CNRS, prétend défendre les #victimes - les « indigènes » - alors qu’il nous paraît en réalité raciste, antisémite, sexiste et homophobe et soutient un islamisme politique. L’ensemble du livre tourne autour de l’idée que les descendants d’immigrés maghrébins en France, du fait de leurs origines, seraient victimes d’un “#racisme_institutionnel” - voire un #racisme_d’Etat-, lequel aboutirait à véritablement constituer des “#rapports_sociaux_racistes”.

      L’auteure s’adresse aux « Juifs » : « Vous, les Juifs » : des gens qui pour une part seraient étrangers à la « blanchité », étrangers à la « race » qui, depuis 1492, dominerait le monde (raison pour laquelle elle distingue les « Juifs » des « Blancs »), mais qui pour une autre part sont pires que les « Blancs », parce qu’ils en seraient les valets criminels.

      Fanon, auquel les décoloniaux se réfèrent, ne disait-il pas : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous ».

      Le #racialisme pousse à la #position_victimaire, au #sectarisme, à l’#exclusion, et finalement au #mépris ou à la #détestation du différent, et à son exclusion de fait. Il s’appuie sur une réécriture fallacieuse de l’histoire qui nie les notions de #progrès de #civilisation mais aussi des racismes et des rivalités tout aussi ancrés que le #racisme_colonialiste.

      C’est par le « #retournement_du_stigmate » que s’opère la transformation d’une #identité_subie en une #identité_revendiquée et valorisée qui ne permet pas de dépasser la « race.

      Il s’agit là, « d’#identités_meurtrières » (#Amin_Maalouf) qui prétendent se bâtir sur le meurtre de l’autre.

      Ne nous leurrons pas, ces revendications identitaires sont des revendications totalitaires, et ces #dérives_sectaires, communautaristes menacent nos #valeurs_démocratiques et républicaines en essentialisant les individus, en valorisant de manière obsessionnelle les #particularités_culturelles et en remettant à l’affiche une imagerie exotique méprisante que les puissances coloniales se sont évertuées à célébrer.

      Cette idéologie s’appuie sur ce courant multiculturaliste états-unien qu’est l’#intersectionnalité en vogue actuellement dans les départements des sciences humaines et sociales. Ce terme a été proposé par l’universitaire féministe américaine #Kimberlé_Crenshaw en 1989 afin de spécifier l’intersection entre le #sexisme et le #racisme subi par les femmes afro-américaines. La mouvance décoloniale peut s’associer aux « #postcolonial_studies » afin d’obtenir une légitimité académique et propager leur idéologie. Là où l’on croit lutter contre le racisme et l’oppression socio-économique, on favorise le #populisme et les #haines_identitaires. Ainsi, la #lutte_des_classes est devenue une #lutte_des_races.

      Des universitaires, des chercheurs, des intellectuels, des psychanalystes s’y sont ralliés en pensant ainsi lutter contre les #discriminations. C’est au contraire les exacerber.

      #Isabelle_de_Mecquenem, professeure agrégée de philosophie, a raison de rappeler que « emprise » a l’avantage de faire écho à l’article L. 141-6 du #code_de_l'éducation. Cet article dispose que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique (…) ». Rappelons que l’affaire Dorin à l’Université de Limoges relève d’une action sectaire (propagande envers les étudiants avec exclusion de toute critique).

      Il est impérieux que tout citoyen démocrate soit informé de la dangerosité de telles thèses afin de ne pas perdre de vue la tension irréductible entre le singulier et l’universel pour le sujet parlant. La #constitution_psychique pour Freud n’est en aucun cas un particularisme ou un communautarisme.

      Nous appelons à un effort de mémoire et de pensée critique tous ceux qui ne supportent plus ces logiques communautaristes et discriminatoires, ces processus d’#assignation_identitaire qui rattachent des individus à des catégories ethno-raciales ou de religion.

      La psychanalyse s’oppose aux idéologies qui homogénéisent et massifient.

      La psychanalyse est un universalisme, un humanisme. Elle ne saurait supporter d’enrichir tout « narcissisme des petites différences ». Au contraire, elle vise une parole vraie au profit de la singularité du sujet et de son émancipation.
      Signataires
      Céline Masson, Patrick Chemla, Rhadija Lamrani Tissot, Laurence Croix, Patricia Cotti, Laurent Le Vaguerèse, Claude Maillard, Alain Vanier, Judith Cohen-Solal, Régine Waintrater, Jean-Jacques Moscovitz, Patrick Landman, Jean-Jacques Rassial, Anne Brun, Fabienne Ankaoua, Olivier Douville, Thierry Delcourt, Patrick Belamich, Pascale Hassoun , Frédéric Rousseau, Eric Ghozlan, Danièle Rosenfeld-Katz, Catherine Saladin, Alain Abelhauser, Guy Sapriel, Silke Schauder, Kathy Saada, Marie-José Del Volgo, Angélique Gozlan, Patrick Martin-Mattera, Suzanne Ferrières-Pestureau, Patricia Attigui, Paolo Lollo, Robert Lévy, Benjamin Lévy, Houria Abdelouahed, Mohammed Ham, Patrick Guyomard, Monique Zerbib, Françoise Nielsen, Claude Guy, Simone Molina, Rachel Frouard-Guy, Françoise Neau, Yacine Amhis, Délia Kohen, Jean-Pierre Winter, Liliane Irzenski, Jean Michel Delaroche , Sarah Colin, Béatrice Chemama-Steiner, Francis Drossart, Cristina Lindenmeyer, Eric Bidaud, Eric Drouet, Marie-Frédérique Bacqué, Roland Gori, Bernard Ferry, Marie-Christine Pheulpin, Jacques Barbier, Robert Samacher, Faika Medjahed, Pierre Daviot, Laetitia Petit, David Frank Allen, Daniel Oppenheim, Marie-Claude Fourment-Aptekman, Michel Hessel, Marthe Moudiki Dubreuil, Isabelle Floch, Pierre Marie, Okba Natahi, Hélène Oppenheim-Gluckman, Daniel Sibony, Jean-Luc Gaspard, Eva Talineau, Paul Alerini, Eliane Baumfelder-Bloch, Jean-Luc Houbron, Emile Rafowicz, Louis Sciara , Fethi Benslama, Marielle David, Michelle Moreau Ricaud, Jean Baptiste Legouis, Anna Angelopoulos, Jean-François Chiantaretto , Françoise Hermon, Thierry Lamote, Sylvette Gendre-Dusuzeau, Xavier Gassmann, Guy Dana, Wladi Mamane, Graciela Prieto, Olivier Goujat, Jacques JEDWAB, Brigitte FROSIO-SIMON , Catherine Guillaume, Esther Joly , Jeanne Claire ADIDA , Christian Pierre, Jean Mirguet, Jean-Baptiste BEAUFILS, Stéphanie Gagné, Manuel Perianez, Alain Amar, Olivier Querouil, Jennifer Biget, Emmanuelle Boetsch, Michèle Péchabrier, Isabel Szpacenkopf, Madeleine Lewensztain Gagna, Michèle Péchabrier, Maria Landau, Dominique Méloni, Sylvie Quesemand Zucca

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/25/la-pensee-decoloniale-renforce-le-narcissisme-des-petites-differences_601292

      #pensée_décoloniale #psychanalyse #totalitarisme

    • Les sciences sociales contre la République ?

      Un collectif de revues de sciences humaines et sociales (SHS) met au défi le ministre de l’éducation nationale de trouver dans ses publications des textes permettant de dire que l’intersectionnalité inspire le terrorisme islamiste.

      Dans le JDD du 25 octobre, le ministre de l’éducation nationale déclarait qu’il y avait, dans les universités, un combat à mener. Contre l’appauvrissement de l’enseignement supérieur ? Contre la précarité étudiante ? Contre les difficultés croissantes que rencontrent tous les personnels, précaires et titulaires, enseignants et administratifs, à remplir leurs missions ? Contre la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), qui va amplifier ces difficultés ? Non : contre « une partie non négligeable des sciences sociales françaises ». Et le ministre, téméraire : face à cette « #gangrène », il faut cesser la « #lâcheté ».

      On reste abasourdi qu’un ministre de l’#éducation_nationale s’en prenne ainsi à celles et ceux qui font fonctionner les universités. Mais pour aberrants qu’ils soient, ces propos n’étonnent pas tout à fait : déjà tenus, sur Europe 1 et au Sénat, ils prolongent ceux d’Emmanuel Macron, en juin 2020, dans Le Monde, qui accusait les universitaires d’ethniciser la question sociale et de « casser la République en deux ». Plutôt que de se porter garant des libertés académiques, attaquées de toutes parts, notamment dans le cadre du débat parlementaire actuel, Jean-Michel Blanquer se saisit de l’assassinat d’un professeur d’histoire et géographie pour déclarer la guerre aux sciences sociales, qui défendraient des thèses autorisant les violences islamistes ! Sa conviction est faite : ce qui pourrit les universités françaises, ce sont les « thèses intersectionnelles », venues des « universités américaines » et qui « veulent essentialiser » les communautés.

      Ignorance ministérielle

      Le ministre « défie quiconque » de le contredire. Puisque les revues scientifiques sont, avec les laboratoires et les universités, les lieux d’élaboration des sciences sociales, de leurs controverses, de la diffusion de leurs résultats, c’est à ce titre que nous souhaitons mener cette contradiction, ses propos révélant son ignorance de nos disciplines, de leurs débats et de leurs méthodes.

      La démarche scientifique vise à décrire, analyser, comprendre la société et non à décréter ce qu’elle doit être. Les méthodes des sciences sociales, depuis leur émergence avec Emile Durkheim dans le contexte républicain français, s’accordent à expliquer les faits sociaux par le social, précisément contre les explications par la nature ou l’essence des choses. A ce titre, elles amènent aussi à rendre visibles des divisions, des discriminations, des inégalités, même si elles contrarient. Les approches intersectionnelles ne sont pas hégémoniques dans les sciences sociales : avec d’autres approches, que, dans leur précieuse liberté, les revues font dialoguer, elles sont précisément l’un des outils critiques de la #désessentialisation du monde social. Néologisme proposé par la juriste états-unienne Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980, le terme « intersectionnalité » désigne en outre, dans le langage actuel des sciences sociales, un ensemble de démarches qui en réalité remontent au XIXe siècle : il s’agit d’analyser la réalité sociale en observant que les #identités_sociales se chevauchent et que les logiques de #domination sont plurielles.

      Dès 1866, Julie-Victoire Daubié, dans La Femme pauvre au XIXe siècle, montre la particularité de la situation des ouvrières, domestiques et prostituées obligées de travailler pour survivre, faisant des femmes pauvres une catégorie d’analyse pour le champ de la connaissance et de la politique, alors que lorsqu’on parlait des pauvres, on pensait surtout aux hommes ; et que lorsqu’on parlait des femmes, on pensait avant tout aux bourgeoises.

      Une politique répressive de la pensée

      Plus près de nous, l’équipe EpiCov (pour « Epidémiologie et conditions de vie »), coordonnée par la sociologue Nathalie Bajos et le démographe François Héran, vient de publier des données concernant l’exposition au Covid-19 à partir de critères multiples parmi lesquels la classe sociale, le sexe, le lieu de naissance. Une première lecture de ces données indique que les classes populaires travaillant dans la maintenance (plutôt des hommes) et dans le soin (plutôt des femmes) ont été surexposées, et que, parmi elles, on compte une surreprésentation de personnes nées hors d’Europe. Une analyse intersectionnelle cherchera à corréler ces données, entre elles et avec d’autres disponibles, pour mieux comprendre comment les #discriminations s’entrelacent dans la vie des personnes. Où sont l’essentialisation, l’encouragement au communautarisme ? Pour les chercheurs et chercheuses en sciences sociales, il s’agit simplement, à partir de données vérifiées par des méthodes scientifiques, validées entre pairs et ouvertes à la discussion, de faire leur travail.

      L’anathème que le ministre lance traduit une politique répressive de la pensée. Nous mettons M. Blanquer au défi de trouver un seul texte publié dans la bibliothèque ouverte et vivante de nos revues qui permette de dire que l’intersectionnalité inspire le #terrorisme_islamiste. Se saisir d’un mot, « intersectionnalité », pour partir en guerre contre les sciences sociales et, plus généralement, contre la liberté de penser et de comprendre la société, est une manœuvre grossière. Si elle prend, nos universités devront troquer la liberté de chercher (qui est aussi la liberté de se tromper) pour rien moins qu’une science aux ordres, un obscurantisme ministériel. On voit mal comment la République pourrait en sortir grandie.

      Le collectif des revues en lutte, constitué en janvier 2020 autour de l’opposition aux projets de LPPR et de réforme des retraites, rassemble aujourd’hui 157 revues francophones, pour l’essentiel issues des sciences humaines et sociales.

      https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/11/02/les-sciences-sociales-contre-la-republique_6058195_1650684.html

    • Academic freedom in the context of France’s new approach to ’separatism’

      From now on, academic freedom will be exercised within the limits of the values ​​of the Republic. Or not.

      For months, France has been severely weakened by a deepening economic crisis, violent social tensions, and a health crisis out of control. The barbaric assassination of history professor Samuel Paty on October 16 in a Paris suburb and the murder of Vincent Loquès, Simone Barreto Silva, Nadine Devillers in the Notre-Dame basilica in Nice on October 29 have now plunged the country into terror.

      Anger, bewilderment, fear and a need for protection took over French society. French people should have the right to remain united, to understand, to stay sharp, do everything possible not to fall into the trap set by terrorists who have only one objective: to divide them. It is up to politics to lead the effort of collective elaboration of the mourning, to ensure the unity of the country. But that’s not what is happening. Politics instead tries to silence any attempt at reflection tying itself in knots to point the finger at the culprit, or, better yet, the culprits.

      In the narrative of the French government, there are two direct or indirect sources responsible for the resurgence of terrorism: abroad, the foreign powers which finance mosques and organizations promoting the separatism of Islamic communities, and consequently - as is only logical on the perpetually slippery slope of Macronist propaganda - terrorism; at home, it is the academics.

      It is true that the October attacks coincided with tensions which have been increasing for months between France and Turkey on different fronts: Syria, Libya, Nagorno-Karabakh, and above all the Eastern Mediterranean. And it is also true that the relationship between international tensions and the resurgence of terrorism needs to be explored. However, the allusion to the relationship between the role of academics and these attacks is simply outrageous and instrumental, aimed only at discrediting the category of academics engaged in recent weeks in a desperate struggle to prevent the passing of a Research programming law, which violently redefines the methods of funding and management of research projects, the status, the prerogatives as well as the academic freedom of university professors.
      Regaining control?

      “A teacher died and other teachers are being blamed for it" wrote the sociologist Eric Fassin, alluding to a long series of attacks that have been reiterated in recent months on the French university community – a community guilty, according to Macron and his collaborators, of excessive indulgence in the face of “immigration, Islam and integration”.

      “I must regain control of these subjects”, said Emmanuel Macron a year ago to the extreme right-wing magazine Valeurs Actuelles. A few months later, in the midst of a worldwide struggle against racism and police violence, Macron, scandalized by the winds of revolt – rather than by racism and police violence in themselves – explained to Le Monde that "The academic world has been guilty. It has encouraged the ethnicization of social issues, thinking that this was a good path to go down. But the outcome can only be secessionist.” The Minister of National Education Jean-Michel Blanquer, presenting in June 2020 to the Senate’s commission of inquiry on Islamist radicalization, had evoked for his part, “the permeability of the academic world with theories that are at the antipodes of the values of the Republic and secularism”, citing specifically “the indigenist theories”.

      A few days after the homicide of Samuel Paty, in an interview with Europe 1, the minister accused academics of “intellectual complicity with terrorism”, adding that “Islamo-leftism wreaks havoc in the University”… “favoring an ideology that only spells trouble”. Explaining himself further in Le Journal Du Dimanche, on October 24, Blanquer reiterated these accusations, specifying: "There is a fight to be waged against an intellectual matrix coming from American universities and intersectional theses that want to essentialize communities and identities, at the antipodes of the Republican model, which postulates the equality between human beings, independently of their characteristics of origin, sex, religion. It is the breeding ground for a fragmentation of societies that converges with the Islamic model”.
      A Darwinian law

      Such accusations and interferences have provoked many reactions of indignation, including that of the Conférence of University Presidents. However, nothing was sufficient to see the attack off. On Friday evening, after the launch of a fast-track procedure that effectively muzzled the debate, the Senate approved the research programming law. In many respects, this is the umpteenth banal neo-liberal, or, more exactly, admittedly Darwinian, reform of the French university: precarisation of the work of teachers, concentration of the funds on a limited number of “excellent” poles and individuals, promotion of competition between individuals, institutions and countries, strengthening of the managerial management of research, weakening of national guarantee structures and, more generally, weakening of self-governance bodies.

      But this law also contains a clear and astounding plan to redefine the respective roles of science and politics. The article of the law currently in force, which very effectively and elegantly defined the meaning of academic freedom:

      “Teacher and researchers enjoy full independence and complete freedom of expression in the exercise of their teaching functions and their research activities, subject to the reservations imposed on them, in accordance with university traditions and the provisions of this code, the principles of tolerance and objectivity”, has been amended by the addition of this sentence:

      “Academic freedoms are exercised with respect for the values ​​of the Republic”

      This addition which is in itself an outrage against the principles of the separation of powers and academic freedom has been joined by an explicit reference to the events of these days:

      “The terrible tragedy in Conflans-Sainte-Honorine shows more than ever the need to preserve, within the Republic, the freedom to teach freely and to educate the citizens of tomorrow”, states the explanatory memorandum. "The purpose of this provision is to enshrine this in law so that these values, foremost among which is secularism, constitute the foundation on which academic freedoms are based and the framework in which they are expressed.”

      The emotion engendered by the murder of innocent people was therefore well and truly exploited in an ignoble manner to serve the anti-democratic objective of limiting academic freedoms and setting the choices of the subjects to be studied, as well as the “intellettual matrix” to be adopted under the surveillance today of the presidential majority and tomorrow, who knows?

      To confirm this reading of the priorities of the majority and the fears it arouses, on Sunday November 1, Thierry Coulhon, adviser to the President of the Republic was appointed, through a “Blitzkrieg”, head of the Haut Council for the Evaluation of Research and Higher Education (Hceres), the national body responsible for the evaluation of research.

      A few details of this law, including the amendment on the limits of research freedom, may still change in the joint committee to be held on November 9. But the support of academics, individuals, organizations, scholarly journals, for the Solemn appeal for the protection of academic freedom and the right to study is now more urgent and necessary than ever.

      https://www.opendemocracy.net/en/can-europe-make-it/academic-freedom-in-the-context-of-frances-new-approach-to-separatism

    • Les sciences sociales contre la République ?

      Le 2 novembre 2020, l’AG des Revues en Lutte a répondu dans Le Monde au ministre J.-M. Blanquer qui entend combattre « une partie non négligeable des sciences sociales françaises », au prétexte de la lutte anti-terroriste.

      Cette tribune, que nous reproduisons ci-dessous, rejoint de très nombreuses prises de position récentes, contre l’intervention de J.-M. Blanquer, mais aussi contre E. Macron qui accuse les universitaires de « casser la République en deux » et contre deux amendements ajoutés à la LPPR (déjà parfaitement délétère) au Sénat : « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République » et « les trouble-fête iront en prison ».

      Voici quelques-unes de ces prises de position :

      - Appel solennel pour la protection des libertés académiques et du droit d’étudier, sur Academia : https://academia.hypotheses.org/27287
      - Libertés académiques : des amendements à la loi sur la recherche rejetés par des sociétés savantes, dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/02/libertes-academiques-des-amendements-a-la-loi-sur-la-recherche-rejetes-par-d
      – Lettre ouverte aux Parlementaires, par Facs et labos en lutte, RogueESR, Sauvons l’Université et Université Ouverte : rogueesr.fr/lettre-ouverte-lpr/
      - Communiqué de presse : retrait de 3 amendements sénatoriaux à la LPR, par le collectif des sociétés savantes académiques : https://societes-savantes.fr/communique-de-presse-retrait-de-3-amendements-senatoriaux-a-la-lpr
      – « Cette attaque contre la liberté académique est une attaque contre l’État de droit démocratique », dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/02/cette-attaque-contre-la-liberte-academique-est-une-attaque-contre-l-etat-de-
      - Communique de presse national, par Facs et labos en lutte, RogueESR, Sauvons l’Université et Université Ouverte : rogueesr.fr/communique_suspendre_lpr/
      - Intersectionnalité : Blanquer joue avec le feu, par Rose-Marie Lagrave : https://www.liberation.fr/debats/2020/11/03/intersectionnalite-blanquer-joue-avec-le-feu_1804309
      - Qui est complice de qui ? Les libertés académiques en péril, par Eric Fassin : https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/011120/qui-est-complice-de-qui-les-libertes-academiques-en-peril
      - Les miliciens de la pensée et la causalité diabolique, par Seloua Luste Boulbina : https://blogs.mediapart.fr/seloua-luste-boulbina/blog/021120/les-miliciens-de-la-pensee-et-la-causalite-diabolique
      - L’islamo-gauchisme : comment (ne) naît (pas) une idéologie, par Samuel Hayat : https://www.nouvelobs.com/idees/20201027.OBS35262/l-islamo-gauchisme-comment-ne-nait-pas-une-ideologie.html
      – Après Conflans : gare aux mots de la démocratie, par Olivier Compagnon : https://universiteouverte.org/2020/10/27/apres-conflans-gare-aux-mots-de-la-democratie
      – Toi qui m’appelles islamo-gauchiste, laisse-moi te dire pourquoi le lâche, c’est toi, par Alexis Dayon : https://blogs.mediapart.fr/alexis-dayon/blog/221020/toi-qui-mappelles-islamo-gauchiste-laisse-moi-te-dire-pourquoi-le-la
      - « Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’État en France », par Jean-François Bayart : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/jean-francois-bayart-que-le-terme-plaise-ou-non-il-y-a-bien-une-islamophobie

      On peut également mentionner les nombreux numéros de revues académiques, récents ou à venir, portant sur l’intersectionnalité, cœur de l’attaque du gouvernement. Les Revues en Lutte en citent plusieurs dans un superbe fil Twitter (https://twitter.com/RevuesEnLutte/status/1321861736165711874?s=20).

      Un collectif de revues de sciences humaines et sociales (SHS) met au défi le ministre de l’éducation nationale de trouver dans ses publications des textes permettant de dire que l’intersectionnalité inspire le terrorisme islamiste.

      Tribune

      Dans le JDD du 25 octobre, le ministre de l’éducation nationale déclarait qu’il y avait, dans les universités, un combat à mener. Contre l’appauvrissement de l’enseignement supérieur ? Contre la précarité étudiante ? Contre les difficultés croissantes que rencontrent tous les personnels, précaires et titulaires, enseignants et administratifs, à remplir leurs missions ? Contre la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), qui va amplifier ces difficultés ? Non : contre « une partie non négligeable des sciences sociales françaises ». Et le ministre, téméraire : face à cette « gangrène », il faut cesser la « lâcheté ».

      On reste abasourdi qu’un ministre de l’éducation nationale s’en prenne ainsi à celles et ceux qui font fonctionner les universités. Mais pour aberrants qu’ils soient, ces propos n’étonnent pas tout à fait : déjà tenus, sur Europe 1 et au Sénat, ils prolongent ceux d’Emmanuel Macron, en juin 2020, dans Le Monde, qui accusait les universitaires d’ethniciser la question sociale et de « casser la République en deux ». Plutôt que de se porter garant des libertés académiques, attaquées de toutes parts, notamment dans le cadre du débat parlementaire actuel, Jean-Michel Blanquer se saisit de l’assassinat d’un professeur d’histoire et géographie pour déclarer la guerre aux sciences sociales, qui défendraient des thèses autorisant les violences islamistes ! Sa conviction est faite : ce qui pourrit les universités françaises, ce sont les « thèses intersectionnelles », venues des « universités américaines » et qui « veulent essentialiser » les communautés.
      Ignorance ministérielle

      Le ministre « défie quiconque » de le contredire. Puisque les revues scientifiques sont, avec les laboratoires et les universités, les lieux d’élaboration des sciences sociales, de leurs controverses, de la diffusion de leurs résultats, c’est à ce titre que nous souhaitons mener cette contradiction, ses propos révélant son ignorance de nos disciplines, de leurs débats et de leurs méthodes.

      La démarche scientifique vise à décrire, analyser, comprendre la société et non à décréter ce qu’elle doit être. Les méthodes des sciences sociales, depuis leur émergence avec Emile Durkheim dans le contexte républicain français, s’accordent à expliquer les faits sociaux par le social, précisément contre les explications par la nature ou l’essence des choses. A ce titre, elles amènent aussi à rendre visibles des divisions, des discriminations, des inégalités, même si elles contrarient. Les approches intersectionnelles ne sont pas hégémoniques dans les sciences sociales : avec d’autres approches, que, dans leur précieuse liberté, les revues font dialoguer, elles sont précisément l’un des outils critiques de la désessentialisation du monde social. Néologisme proposé par la juriste états-unienne Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980, le terme « intersectionnalité » désigne en outre, dans le langage actuel des sciences sociales, un ensemble de démarches qui en réalité remontent au XIXe siècle : il s’agit d’analyser la réalité sociale en observant que les identités sociales se chevauchent et que les logiques de domination sont plurielles.

      Dès 1866, Julie-Victoire Daubié, dans La Femme pauvre au XIXe siècle, montre la particularité de la situation des ouvrières, domestiques et prostituées obligées de travailler pour survivre, faisant des femmes pauvres une catégorie d’analyse pour le champ de la connaissance et de la politique, alors que lorsqu’on parlait des pauvres, on pensait surtout aux hommes ; et que lorsqu’on parlait des femmes, on pensait avant tout aux bourgeoises.
      Une politique répressive de la pensée

      Plus près de nous, l’équipe EpiCov (pour « Epidémiologie et conditions de vie »), coordonnée par la sociologue Nathalie Bajos et l’épidémiologiste Josiane Warszawski, vient de publier des données concernant l’exposition au Covid-19 à partir de critères multiples parmi lesquels la classe sociale, le sexe, le lieu de naissance. Une première lecture de ces données indique que les classes populaires travaillant dans la maintenance (plutôt des hommes) et dans le soin (plutôt des femmes) ont été surexposées, et que, parmi elles, on compte une surreprésentation de personnes nées hors d’Europe. Une analyse intersectionnelle cherchera à corréler ces données, entre elles et avec d’autres disponibles, pour mieux comprendre comment les discriminations s’entrelacent dans la vie des personnes. Où sont l’essentialisation, l’encouragement au communautarisme ? Pour les chercheurs et chercheuses en sciences sociales, il s’agit simplement, à partir de données vérifiées par des méthodes scientifiques, validées entre pairs et ouvertes à la discussion, de faire leur travail.

      L’anathème que le ministre lance traduit une politique répressive de la pensée. Nous mettons M. Blanquer au défi de trouver un seul texte publié dans la bibliothèque ouverte et vivante de nos revues qui permette de dire que l’intersectionnalité inspire le terrorisme islamiste. Se saisir d’un mot, « intersectionnalité », pour partir en guerre contre les sciences sociales et, plus généralement, contre la liberté de penser et de comprendre la société, est une manœuvre grossière. Si elle prend, nos universités devront troquer la liberté de chercher (qui est aussi la liberté de se tromper) pour rien moins qu’une science aux ordres, un obscurantisme ministériel. On voit mal comment la République pourrait en sortir grandie.

      https://universiteouverte.org/2020/11/03/les-sciences-sociales-contre-la-republique

    • Islamisme : où est le déni des universitaires   ?

      Dans une tribune publiée par « le Monde », une centaine de professeurs et de chercheurs dénoncent les « idéologies indigénistes, racialistes et décoloniales » de leurs pairs, lesquelles mèneraient au terrorisme. Les auteurs rejouent ainsi la rengaine du choc des cultures qui ne peut servir que l’extrême droite identitaire.

      Comment peut-on prétendre alerter sur les dangers, réels, cela va sans dire, de l’islamisme en se référant aux propos confus et injurieux de Jean-Michel Blanquer ? Or, une récente tribune du Monde (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-), au lieu de contribuer à une nécessaire clarification, n’a pas d’autre fonction que de soutenir un ministre qui, loin de pouvoir se prévaloir d’une quelconque expertise sur les radicalités contemporaines, mène en outre une politique régressive pour l’école, c’est-à-dire indifférente à la reproduction des inégalités socio-culturelles dont s’accommode l’idéologie méritocratique. Faire oublier cette politique en détournant l’attention, d’autres que lui l’ont fait. Il convient seulement de ne pas être dupe.

      Car que disent les auteurs (certains d’entre eux, fort estimables, ont probablement oublié de relire) ? Que « l’islamo-gauchisme », ni défini ni corrélé au moindre auteur, est l’idéologie « qui mène au pire », soit au terrorisme. Ceux qui la propagent dans nos universités, « très puissants dans l’enseignement supérieur », commettraient d’irréparables dégâts. Et l’on invoque pêle-mêle l’indigénisme, le racialisme et le décolonialisme, sans le moindre souci de complexification, ni même de définition, souci non utile tant le symptôme de la supposée gangrène serait aisément repérable : le port du voile.

      Plus de trente ans après l’affaire de Creil, et quantité de travaux sociologiques, on n’hésite donc toujours pas à nier l’équivocité de ce signe d’appartenance pour le réduire à un outil de propagande. Chercher à comprendre, au lieu de condamner, serait une manifestation de l’esprit munichois. Que la Conférence des présidents d’université (CPU) proteste contre les déclarations du ministre, en rappelant utilement la fonction des chercheurs, passe par pertes et profits, l’instance que l’on ne peut soupçonner d’un quelconque gauchisme étant probablement noyautée par des islamistes dissimulés !

      Cette tribune rejoue, une fois encore, une vieille rengaine, celle du #choc_des_civilisations : « haine des Blancs », « doxa antioccidentale », « #multiculturalisme » (!), voilà les ennemis dont les universitaires se réclameraient, ou qu’ils laisseraient prospérer, jusqu’à saper ce qui fait le prix de notre mode de vie. Au demeurant, les signataires de la présente tribune sont profondément attachés aux principes de la République et, en l’espèce, à la liberté de conscience et d’expression. C’est au nom de celle-ci qu’ils se proposent de dénoncer les approximations de leurs collègues.

      Choisir le #débat plutôt que l’#invective

      Concernant l’#indigénisme, sa principale incarnation, le Parti des indigènes de la République (PIR) a totalement échoué dans sa volonté d’être audible dans nos enceintes universitaires. Chacun sait bien que l’écho des thèses racistes, antisémites et homophobes d’#Houria_Bouteldja est voisin de zéro. Quant au #décolonialisme, auquel l’indigénisme se rattache mais qui recouvre quantités d’autres thématiques, il représente bien un corpus structuré. Néanmoins, les études sur son influence dans nos campus concluent le plus souvent à un rôle marginal. Et, quoi qu’il en soit, ses propositions méritent débat parce qu’elles se fondent sur une réalité indiscutable : celle de l’existence d’injustices « épistémiques », c’est-à-dire d’#injustices qui se caractérisent par les #inégalités d’accès, selon l’appartenance raciale ou de genre, aux positions académiques d’autorité.

      D’une façon générale, il ne fait aucun doute que la communauté scientifique a, dans le passé, largement légitimé l’idée de la supériorité des hommes sur les femmes, des Blancs sur les Noirs, des « Occidentaux » sur les autochtones, etc. Mais, à partir de ce constat, les décoloniaux refusent la possibilité d’un point de vue universaliste et objectif au profit d’une épistémologie qui aurait « une couleur et une sexualité ». Ce faisant, ils oublient #Fanon dont pourtant ils revendiquent l’héritage : « Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. En aucune façon je ne dois tirer du passé des peuples de couleur ma vocation originelle. […] Ce n’est pas le monde noir qui me dicte ma conduite. Ma peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques. » Nous devons choisir le débat plutôt que l’invective.

      L’obsession antimulticulturaliste

      Quant à l’obsession antimulticulturaliste (« #prêchi-prêcha », écrivent-ils), elle est ignorante de ce qu’est vraiment ce courant intellectuel. A de nombreux égards, ce dernier propose une conception de l’#intégration différente de celle cherchant à assimiler pour égaliser. Il est donc infondé de le confondre avec une vision ethno-culturelle du lien politique. Restituer à l’égal sa différence, tel est le projet du multiculturalisme, destiné en définitive à aller plus loin dans l’instauration de l’#égalité que n’était parvenue à le faire la solution républicaine classique. Le meilleur de ce projet, mais non nécessairement sa pente naturelle, est sa contribution à ce que l’un de nous nomme la « #décolonisation_des_identités » (Alain Renaut), conciliation que les crimes de la #colonisation avaient rendue extrêmement difficile. Bref, nous sommes très éloignés du « prêchi-prêcha ».

      Enfin, un mot sur la « #haine_des_Blancs ». Cette accusation est non seulement stupéfiante si elle veut rendre compte des travaux universitaires, mais elle contribue à l’#essentialisation « racialiste » qu’elle dénonce. En effet, elle donne une consistance théorique à l’apparition d’un nouveau groupe, les Blancs, qui auparavant n’était pas reconnu, et ne se reconnaissait pas, comme tel. Dès lors, en présupposant l’existence d’une idéologie racialiste anti-française, anti-blanche, on inverse les termes victimaires en faisant de la culture dominante une culture assiégée. Ce tour de passe-passe idéologique ne peut servir que l’extrême droite identitaire.

      Toutes nos remarques critiques montrent qu’au lieu d’amorcer un nécessaire débat, la tribune ici analysée témoigne du déni dont pourtant des intellectuels non clairement identifiés sont accusés. Comment interpréter ce « manifeste » autrement que comme un appel à censurer ?

      https://www.liberation.fr/debats/2020/11/04/islamisme-ou-est-le-deni-des-universitaires_1804439

    • « Les libertés sont précisément foulées aux pieds lorsqu’on en appelle à la dénonciation d’études et de pensée »

      Environ deux mille chercheurs et chercheuses dénoncent, dans une tribune au « Monde », l’appel à la police de la pensée dans les universités signé par une centaine d’universitaires en soutien aux propos de Jean-Michel Blanquer sur « l’islamo-gauchisme ».

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/04/les-libertes-sont-precisement-foulees-aux-pieds-lorsqu-on-en-appelle-a-la-de

    • Open Letter: the threat of academic authoritarianism – international solidarity with antiracist academics in France

      A critical response to the Manifesto signed by over 100 French academics and published in the newspaper Le Monde on 2 November 2020, after the assassination of the school teacher, Samuel Paty.

      At a time of mounting racism, white supremacism, antisemitism and violent far-right extremism, academic freedom has come under attack. The freedom to teach and research the roots and trajectories of race and racism are being perversely blamed for the very phenomena they seek to better understand. Such is the contention of a manifesto signed by over 100 French academics and published in the newspaper Le Monde on 2 November 2020. Its signatories state their agreement with French Minister of Education, Jean-Michel Blanquer, that ‘indigenist, racialist, and “decolonial” ideologies,’ imported from North America, were responsible for ‘conditioning’ the violent extremist who assassinated school teacher, Samuel Paty, on 16 October 2020.

      This claim is deeply disingenuous, and in a context where academics associated with critical race and decolonial research have recently received death threats, it is also profoundly dangerous. The scholars involved in this manifesto have readily sacrificed their credibility in order to further a manifestly false conflation between the study of racism in France and a politics of ‘Islamism’ and ‘anti-white hate’. They have launched it in a context where academic freedom in France is subject to open political interference, following a Senate amendment that redefines and limits it to being ‘exercised with respect for the values of the Republic’.

      The manifesto proposes nothing short of a McCarthyist process to be led by the French Ministry for Higher Education, Research and Innovation to weed out ‘Islamist currents’ within universities, to take a clear position on the ‘ideologies that underpin them’, and to ‘engage universities in a struggle for secularism and the Republic’ by establishing a body responsible for dealing with cases that oppose ‘Republican principles and academic freedom’. The ‘Islamogauchiste’ tag (which conflates the words ‘Islam’ and ‘leftists’) is now widely used by members of the government, large sections of the media and hostile academics. It is reminiscent of the antisemitic ‘Judeo-Bolshevism’ accusation in the 1930s which blamed the spread of communism on Jews. The ‘Islamogauchiste’ notion is particularly pernicious as it voluntarily confuses Islam (and Muslims) with Jihadist Islamists. In other words, academics who point out racism against the Muslim minority in France are branded allies of Islamist terrorists and enemies of the nation.

      This is not the only contradiction that shapes this manifesto. Its signatories appear oblivious to how its feverish tone is redolent of the antisemitic witch-hunts against so-called ‘Cultural Marxists’ that portrayed Jewish intellectuals as enemies of the state. Today’s enemies are Muslims, political antiracists, and decolonial thinkers, as well as anyone who stands with them against rampant state racism and Islamophobia.

      Further, when seen in a global context, the question of who is in fact ‘importing’ ideas from North America is worth considering. The manifesto comes on the back of the Trump administration’s executive order ‘on Combating Race and Sex Stereotyping’ which effectively bans federal government contractors or subcontractors from engaging what are characterised as ideologies that portray the United States as ‘fundamentally racist or sexist’. Quick on Trump’s heels, the British Conservative Party moved to malign Critical Race Theory as a separatist ideology that, if taught in schools, would be ‘breaking the law’.

      We are concerned about the clear double standards regarding academic freedom in the attack on critical race and decolonial scholarship mounted by the manifesto. In opposition to the actual tenets of academic freedom, the demands it makes portray any teaching and research into the history or sociology of French colonialism and institutionalised racism as an attack on academic freedom. In contrast, falsely and dangerously linking these scholarly endeavours to Islamic extremism and holding scholars responsible for brutal acts of murder, as do the signatories of the Manifesto, is presented as consistent with academic freedom.

      This is part of a global trend in which racism is protected as freedom of speech, while to express antiracist views is regarded as a violation of it. For the signatories of the manifesto – as for Donald Trump – only sanitised accounts of national histories that omit the truth about colonialism, slavery, and genocide can be antiracist. In this perverse and ahistorical vision, to engage in critical research and teaching in the interests of learning from past injustices is to engage in ‘anti-white racism’, a view that reduces racism to the thoughts of individuals, disconnecting it from the actions, laws and policies of states and institutions in societies in which racial socioeconomic inequality remains rife.

      In such an atmosphere, intellectual debate is made impossible, as any critical questioning of the role played by France in colonialism or in the current geopolitics of the Middle East or Africa, not to mention domestic state racism, is dismissed as a legitimation of Islamist violence and ‘separatism’. Under these terms, the role of political and economic elites in perpetuating racism both locally and on a global scale remains unquestioned, while those who suffer are teachers and activists attempting to improve conditions for ordinary people on the ground.

      In the interests of a real freedom, of speech and of conscience, we stand with French educators under threat from this ideologically-driven attack by politicians, commentators and select academics. It is grounded in the whitewashing of the history of race and colonialism and an Islamophobic worldview that conflates all Muslims with violence and all their defenders with so-called ‘leftist Islamism’. True academic freedom must include the right to critique the national past in the interests of securing a common future. At a time of deep polarization, spurred by elites in thrall to white supremacism, defending this freedom is more vital than ever.

      https://www.opendemocracy.net/en/can-europe-make-it/open-letter-the-threat-of-academic-authoritarianism-international-sol

    • Qui pour soutenir les « coupables de dérives intellectuelles idéologiques dans les universités » ?

      Mercredi 25 novembre 2020 : deux députés demandent la « création d’une mission d’information sur les dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires », et le font publiquement savoir par un communiqué de presse.

      Ni la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ni la Conférence des présidents d’université, ni l’Udice, l’association autoproclamée des dix plus grandes « universités de recherche » françaises, ne bougent le petit doigt.

      Jeudi 26 novembre 2020 : l’un des deux députés précédents, un certain Julien Aubert, se sentant pousser des ailes, décide d’aller plus loin, et dresse une liste de sept universitaires, dont un président d’université, qui ont en commun d’avoir dit sur les réseaux sociaux le dégoût que leur inspire l’idée même de « dérives intellectuelles idéologiques ». Publiant leurs photos de profils et leurs comptes Twitter personnels, le député jubile, avec le message suivant :

      « Les coupables s’autodésignent. Alors que la privation du débat, l’ostracisation et la censure est constatée par nombre de professeurs, étudiants ou intellectuels, certains se drapent dans des accusations de fascisme et de maccarthysme. »

      La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, la Conférence des présidents d’université et l’Udice ne bougent pas davantage le petit doigt.

      Vendredi 27 novembre 2020 : L’Auref, l’Alliance des universités de recherche et de formation, qui regroupe rien de moins que 35 universités, décide de sortir du bois, et il faut la saluer. Il faut dire, aussi, que l’un de ses membres, le président de l’université de Bordeaux Montaigne, figure par les « coupables » désigné par le député Aubert. Le communiqué choisit de rester tout en rondeur : il « appelle à plus de calme et de retenue dans les propos, de dignité et de respect de l’autre dans le légitime débat public, de mobilisation sur les vrais enjeux de la France et de son université ». Mais il a le mérite, lui, d’exister.

      L’université de Rennes 2, de son côté, annonce se réserver « le droit de donner une suite juridique à cette dérive grave ». C’est en effet une vraie question, à tout le moins sur le terrain de la diffamation.

      Du côté de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, de la Conférence des présidents d’université et de l’Udice, en revanche, rien. Toujours rien. Désespérément rien.

      Ils bougeront un jour, c’est sûr, il le faudra bien, comme ils avaient bougé après les propos de Jean-Michel Blanquer sur l’islamo-gauchisme. Mais bouger comme ils le font, à la vitesse d’escargots réticents, ce n’est pas un soutien résolu et indéfectible dans la défense des libertés académiques. Ces gens ne sont tout simplement pas à la hauteur de l’Université.

      https://academia.hypotheses.org/29081

    • Chasse aux sorcières. Un député contre-attaque

      Loi recherche, libertés académiques et furie parlementaire..
      Comme elles venaient cette fois de députés, j’ai demandé au Président de l’@AssembleeNat de se saisir des attaques personnelles contre des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche.
      Rien ne va plus.

      https://twitter.com/Sebastien_Nadot/status/1332350483437150209


      https://academia.hypotheses.org/29133

      #Sébastien_Nadot

    • La liste des coupables s’allonge. Au tour des universités ?

      Au Journal officiel de ce 3 décembre 2020, on trouve le décret portant dissolution d’un « #groupement_de_fait », l’« Association de défense des droits de l’homme – #Collectif_contre_l’islamophobie_en_France » (https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=-nWvo0jS6QqmBjWn9EPe_u_AvWkqbw3aGTWSBldcbDg=). Cette association était plus connue sous le nom de « #CCIF ».

      Ce décret de #dissolution inhabituellement long – trois pages – a déjà largement été commenté et dénoncé1. Academia se permet néanmoins d’insister sur un point : il est important de lire avec attention l’argumentation de ce décret — ce qu’en droit, on nomme les motifs — et d’observer par quels sautillements logiques le gouvernement en arrive aux pires conclusions. C’est même crucial pour la communauté de l’ESR, dans un contexte bien particulier d’attaques contre les libertés académiques. Certes, ce n’est pas la même artillerie qui est déployée contre le CCIF, d’un côté, et contre les universités et les scientifiques, de l’autre ; mais les petits bonds logiques qui y conduisent présentent de très fortes ressemblances.

      Prenons le premier des motifs du décret :

      « En qualifiant d’islamophobes des mesures prises dans le but de prévenir des actions terroristes et de prévenir ou combattre des actes punis par la loi, [le CCIF] doit être regardé comme partageant, cautionnant et contribuant à propager de telles idées, au risque de susciter, en retour, des actes de haine, de violence ou de discrimination ou de créer le terrain d’actions violentes chez certains de ses sympathisants ».

      Et voyons à quelle conclusion ce motif conduit :

      « Considérant que par suite, [le CCIF] doit être regardé comme provoquant à la haine, à la discrimination et à la violence en raison de l’origine, de l’appartenance à une ethnie, à une race ou à une religion déterminée et comme propageant des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ».

      Voilà donc un raisonnement qui se déploie de manière très décomplexée. Voir de l’islamophobie dans certaines évolutions arbitraires et discriminatoires de l’action anti-terroriste, c’est, première conséquence, prendre le « risque » de susciter du terrorisme ; et dans tous les cas, cela doit, seconde conséquence, être regardé comme une provocation à la haine, à la discrimination et à la violence en raison de l’origine, de l’appartenance à une ethnie, à une race ou à une religion déterminée et comme une propagation des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence.

      Ce mode bien particulier de raisonnement appelle deux remarques.

      La première remarque a trait au choix bien précis des mots qui sont employés dans le décret de dissolution du 2 décembre 2020. Ce décret fait référence, en réalité, à deux infractions pénales :

      - Il suggère d’abord l’infraction de provocation directe à des actes de terrorisme. Au terme de l’article 421-2-5 du code pénal, en effet, « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000€ d’amende ».
      - Il suggère ensuite l’infraction d’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale. Au terme de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en effet, « ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement ».

      Mais le décret ne fait que suggérer ces infractions : il en reprend des formules, mais il ne dit pas qu’elles ont été commises par le CCIF. Il ne le dit pas parce que ces infractions n’ont pas été commises. Si elles l’avaient été, des poursuites pénales auraient immédiatement été engagées. Les outils de la police administrative — ici la dissolution d’une association — viennent donc suppléer les outils de la répression pénale, en singeant ces derniers : puisque le CCIF n’était pas sérieusement attaquable devant le juge pénal, le pouvoir exécutif choisit de l’attaquer par la voie administrative, et pour cela, il mime le vocabulaire pénal, tout en s’affranchissant, évidemment, de toutes les garanties qui caractérisent le procès pénal.

      La seconde remarque est, pour les universités, la plus importante. La dissolution du CCIF est largement justifiée par des propos tenus par l’association et ses dirigeants, au titre de leur liberté d’expression et sans qu’aucune infraction pénale n’ait été commise. La Ligue des droits de l’homme l’a bien identifié dans son communiqué : avec ce décret « le gouvernement s’engage sur la voie du délit d’opinion », un délit qui, précisément, n’existe pas. Un des motifs retenus dans le décret est, de ce point de vue, significatif :

      « sous couvert de dénoncer les actes de discriminations commis contre les musulmans, [le CCIF] défend et promeut une notion d’islamophobie particulièrement large, n’hésitant pas à comptabiliser au titre des ‘actes islamophobes‘ des mesures de police administrative, voire des décisions judiciaires, prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ».

      Ainsi donc, qualifier des pans de la lutte contre le terrorisme d’actes « islamophobes » est désormais interdit. Ce n’est pas interdit sur le plan pénal ; mais c’est sanctionné par le pouvoir exécutif, qui use pour cela de ses outils de police administrative.
      Quels enseignements pour l’enseignement supérieur et la recherche ?

      Ces petits bonds logiques grâce auxquels Emmanuel Macron, Jean Castex et Gérald Darmanin, les trois signataires du décret, justifient des atteintes à la libre expression sont évidemment inquiétants quant à l’état général des droits et libertés en France. Or, on observe quelques tressaillements du même ordre du côté de l’enseignement supérieur et de la recherche, et c’est sur ce point que nous aimerions insister à présent. Bien sûr, la situation du CCIF et celle de l’ESR restent incomparables, dans la mesure où, du côté de l’ESR, la grande machinerie de la police administrative n’a pas été mise en branle comme elle l’a été pour le CCIF. En revanche, des petits bonds logiques du même ordre que ceux dont le CCIF a été victime se multiplient jusqu’au sein des plus prestigieux établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Plus inquiétant encore, ils se diffusent dans des cercles de plus en plus officiels au parlement et au gouvernement.

      L’établissement de relations entre des recherches scientifiques, d’un côté, et des qualifications pénales, de l’autre, sans pour autant que le moindre début de délit ne puisse être établi, se retrouve désormais couramment sous la plume de certain·es universitaires. Nathalie Heinich, directrice de recherche CNRS (classe exceptionnelle), membre du Centre de recherches sur les arts et le langage (CNRS/ EHESS), s’y prête allègrement par exemple : comme elle l’a récemment déclaré au Times Higher Education2, « les affirmations des universitaires sur le ‘racisme systématique’ et le ‘racisme d’État’ sont un encouragement direct au terrorisme ». Un encouragement direct au terrorisme, dit-elle : la référence à l’article 421-2-5 du code pénal, évoqué plus haut, est à nouveau explicite. À l’instar de ce que fait le pouvoir exécutif dans le décret de dissolution du CCIF, le vocabulaire du droit pénal est appelé à la rescousse pour attaquer certaines formes d’expression, sans, pour autant, qu’aucun début d’infraction pénale ne puisse être mobilisé.

      Ces références mal contrôlées au droit pénal auxquelles se livrent certain·es universitaires ne sont pas sans effets. Elles sont désormais reprises non sans opportunisme par certaines des plus hautes autorités de l’État. C’est le cas du député Julien Aubert qui, après avoir appelé avec le président du groupe des Républicains de l’Assemblée nationale à la mise en place d’une « mission d’information sur les dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires », dresse des listes d’universitaires qu’il désigne comme « coupables ». C’est le cas, aussi, du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer lorsqu’il parle, à propos des universités, de « complicité intellectuelle du terrrorisme ».

      Quand un parlementaire et un ministre, l’un et l’autre de premier plan, décident de mobiliser du vocabulaire pénal et de parler de « culpabilité » et de « complicité » à propos d’universitaires, il y a lieu d’être inquiet·es. Pour Jean-Michel Blanquer, agrégé de droit public, ces références pénales se font en toute connaissance de cause, d’ailleurs, si l’on veut bien se souvenir que, dans son autre vie, il a publié des travaux très sérieux au sujet des relations entre responsabilité pénale et responsabilité politique. Notons que l’un de ses ouvrages s’appelait La responsabilité des gouvernants, ce qui, c’est le moins qu’on puisse dire, est un titre qui résonne aujourd’hui étrangement concernant le ministre Blanquer.

      Dans un tel contexte, le décret de dissolution du CCIF est riche d’enseignements et justifie ce long billet d’Academia. Résumons les choses : si le CCIF a été dissout, ce n’est pas sur la base d’infractions pénales, puisqu’il n’était pas sérieusement possible d’actionner ces infractions, alors même qu’on n’a cessé d’en étendre le champ depuis vingt ans. Si le CCIF a été dissout, c’est par des références abusives à des infractions pénales, sur la base de quoi des mesures de police administrative ont été actionnées par le pouvoir exécutif, dont les motifs, nous l’avons vu, se situent d’abord et avant tout sur le terrain de la liberté d’expression.

      Que peut-on dans ces conditions craindre pour l’enseignement supérieur et la recherche ? Dès lors que l’on observe, aujourd’hui, que des collègues et du personnel politique de premier plan singent eux aussi des infractions pénales pour critiquer des recherches scientifiques, on peut légitimement craindre qu’un mouvement de terrain du même ordre que celui dont le CCIF a été la victime se réalise s’agissant des universités. Tout y mène.

      L’exclusion du champ académique

      Ce risque ne viendra sans doute pas du droit pénal lui-même, en tout cas pas dans un premier temps. Certes, on se souvient que la loi de programmation de la recherche a déjà étendu brusquement le champ du droit pénal universitaire, avec le nouveau délit d’atteinte au bon ordre et à la tranquillité des établissements. Mais on peut espérer que ce délit ne sorte pas sans dommage du contrôle du Conseil constitutionnel ; surtout, il ne suffira pas pour attaquer les recherches qui représentent « un encouragement direct au terrorisme », pas plus que la législation pénale anti-terroriste n’a suffi pour s’attaquer aux propos du CCIF. C’est donc vers de nouvelles formes juridiques de contraintes, autres que celles que propose le droit pénal, que le débat est en train de se déplacer plus ou moins consciemment, comme il s’est déplacé pour le CCIF. La voie la plus simple, pour cela, consiste à inventer de nouvelles limites à la libre expression des enseignant·es et des chercheur·ses, afin d’exclure du champ académique, et donc du champ des libertés académiques, certains propos et certain·es collègues.

      Cette démarche d’exclusion hors du champ des libertés académiques, dont les fondements épistémologiques ne sont pas neufs3, a pris une dimension professionnelle particulière depuis quelques années. Épistémologiquement, il s’agit de « faire coupure » entre ce qui est bonne science et mauvaise science, selon un principe médical de l’amputation pour éviter la propagation de la gangrène au corps entier : certain·es rappellent ainsi régulièrement que les sciences sociales critiques ne sont pas des sciences militantes, l’invocation du « militantisme » disqualifiant la légitimité épistémologique des travaux menés par des hommes et des femmes engagé∙es. Olivier Beaud, voix écoutée et reconnue de l’association Qualité de la science française, s’exprimait ainsi dans Le Monde du 2 décembre :

      « Je refuse l’inquisition politique mais je refuse aussi le silence qui serait de la lâcheté intellectuelle et reviendrait à cautionner des universitaires dont la pratique serait de surdéterminer leurs recherches censément scientifiques (donc objectives) par des considérations lourdement idéologiques, fût-ce au motif de défendre telle ou telle minorité ».

      L’article du Monde précise ensuite les propos d’Olivier Beaud : selon lui, des universitaires « radicaux » auraient délaissé la distinction opérée par Max Weber entre le « jugement de fait », qui fonde leurs recherches, et le « jugement de valeur », qui fonde leurs opinions.

      En se référant ainsi à la « neutralité axiologique » de Max Weber, Olivier Beaud tord la pensée d’un homme profondément engagé dans la construction de l’État prussien par les sciences économiques et sociales. Par chance pour notre démonstration, la traduction commandée à Julien Freund par Raymond Aron et parue en 1963 dans un contexte de guerre froide, a fait récemment l’objet de plusieurs éditions critiques qui retraduisent en français le texte original Du métier de savant (Wissenschaft als Beruf, 1917)4. Pour celles et ceux qui ont eu accès au texte de Weber par la seule traduction française, la lecture de cette traduction révisée est très éclairante : l’universitaire, pour faire science, a besoin d’une « inspiration », qui donne un sens à son travail, notamment ses tâches calculatoires ; cette inspiration a partie liée avec une question éthique, intime et indispensable : « quelle est la vocation de la science pour l’ensemble de la vie de l’humanité ? Quelle en est la valeur ? ».

      De nos jours, il est fréquent que l’on parle d’une « sciences sans présupposés, écrit Max Weber. Une telle science existe-t-elle ? Tout dépend ce que l’on entend par là. Tout travail scientifique présuppose la validité des règles de la logique et de la méthode, ces fondements universels de notre orientation dans le monde. Ces présupposés-là sont les moins problématiques du moins pour la question particulière qui nous occupe. Mais on présuppose aussi que le résultat du travail scientifique est important au sens où il mérite d’être connu. Et c’est de là que découlent, à l’évidence, tous nos problèmes. Car ce présupposé, à son tour, ne peut être démontré par les moyens de la science. On ne peut qu’en interpréter le sens ultime, et il faut le refuser ou l’accepter selon les positions ultimes que l’on adopte à l’égard de la vie
      — Weber, 1917 [2005], p. 36

      Les problèmes que Max Weber5 repérait hier sont les nôtres aujourd’hui : certains ou certaines disqualifient le travail scientifique de leurs collègues, non à l’aune de leur qualité scientifique intrinsèque, reposant sur la qualité de la réflexion, de la documentation, de l’analyse, mais par les présupposés qui ont initié la recherche.

      Ces derniers mois, les choses sont devenues très claires de ce point de vue : il y a des recherches dont certain·es ne veulent plus.

      C’est leur scientificité même qui est déniée : ces recherches sont renvoyées à de la pure « idéologie », sans qu’aucune explication précise ne soit jamais donnée, si ce n’est la référence à une autre idéologie, qu’il s’agisse des « valeurs de la République » ou de « l’unité de la nation ». « L’unité de la nation », c’est ce à quoi renvoyait l’association Qualité de la science française dans un récent communiqué : « il fait peu de doute que se développent dans certains secteurs de l’université des mouvances différentialistes plus ou moins agressives, qui mettent en cause l’unité de la nation, et dont l’attitude envers les fondamentalismes est ambiguë ». La comparaison sémantique avec les textes académiques prônant le maccarthysme est à ce titre très éclairante,