L’industriel a le vent en poupe, avec le récent label « stratégique » apposé par l’UE à son projet phare, l’extraction de lithium dans l’Allier. Mais en face, la résistance s’organise. Le week-end dernier, des opposants aux divers projets avaient rendez-vous en Dordogne pour coordonner leurs luttes.
Pour les opposant·es au projet de mine de lithium Emili, porté par le groupe Imerys dans l’Allier, les mauvaises nouvelles se suivent et se ressemblent. En juillet 2024, en plein débat public sur les enjeux du creusement à Échassières de la deuxième plus grande exploitation de lithium d’Europe, l’État français avait déjà décrété « d’intérêt national majeur » le projet phare du géant minier.
Le 25 mars, alors que se poursuivait l’enquête publique sur les demandes d’autorisation environnementale et de permis de construire déposées par Imerys pour des usines pilotes, la Commission européenne a inclus Emili dans une liste de quarante-sept chantiers « stratégiques » visant à assurer l’approvisionnement du continent en matières premières « critiques ».
Autant d’annonces qui font peser sur les débats tout le poids de l’État français et de l’Europe, résolus à ce que le complexe minier voie le jour et soit en mesure de fournir à la politique de transition énergétique la matière pour près de 700 000 batteries de voitures électriques par an, d’ici à 2028, tout en garantissant à l’entreprise une procédure simplifiée pour arriver à ses fins.
« Notre première réaction, c’est qu’ils se foutent du débat public, de la procédure en cours. Ils y vont au rouleau compresseur », résume Jacques Morisot, président de l’association Préservons la forêt des Colettes, un des collectifs bourbonnais qui s’opposent au projet Emili. Mais le militant a aussi une deuxième lecture de ces annonces tonitruantes. « Il s’agit peut-être d’un signe de faiblesse de leur part, veut-il croire. Ils sentent que ça monte et ils essaient de faire le forcing. »
Contre le « carnage » des mines
Car quelque chose est bel et bien en train de « monter », et pas que dans l’Allier. En ce dimanche matin, le hameau de Pierrefiche (Dordogne) bruisse d’une activité inhabituelle pour ce coin reculé du Périgord vert. Dans la vaste salle à manger d’un corps de ferme, puis sur les pelouses attenantes, une trentaine de représentant·es de différentes plateformes débattent des meilleurs moyens d’unir leurs forces pour faire plier leur adversaire commun, Imerys, et au-delà, la logique de l’extractivisme à tout prix.
Outre la délégation bourbonnaise, il y a les Bretons de Glomel (Côtes-d’Armor), en lutte contre l’extension par Imerys de la plus grande mine à ciel ouvert de France, consacrée à l’extraction de l’andalousite, un minerai prisé par la grande industrie pour ses propriétés réfractaires. Eux ont l’expérience de dizaines d’années d’exploitation d’un site par l’industriel, de la pollution de cours d’eau, attestée en dépit des dénégations de l’entreprise. Enfin, il y a les pressions exercées sur les opposant·es, notamment grâce à l’arme de la propriété foncière, à l’instar de cet ancien maire un peu trop remuant, dont le bail pour des terres agricoles qu’il exploitait a été résilié.
« Nous sommes ici pour mettre en commun nos cultures de lutte », explique Jules, membre de la délégation armoricaine. « Par exemple ici, en Dordogne, les ruisseaux ne sont pas cartographiés. Ce serait bien de le faire. Pour les histoires d’eau, on peut aider », complète Mélanie Ulliac, guide naturaliste et ancienne salariée de la réserve naturelle régionale des landes et marais de Glomel. « Nous, on connaît le carnage que ça va faire. »
L’assemblée compte un trio de Cantaliens, défenseurs de la narse de Nouvialle, une zone humide protégée de 400 hectares, point de passage de plusieurs espèces d’oiseaux migrateurs et dans le viseur de l’industriel en raison de son stock prodigieux (le plus grand d’Europe) de diatomite. La roche siliceuse, formée de coquillages microscopiques, est recherchée pour sa capacité de filtrage tant par les groupes pharmaceutiques qu’agroalimentaires.
Intérêt national contesté
Les Cantalien·nes peuvent se targuer de constituer le collectif le plus ancien présent à Pierrefiche – il a été créé en 1995, en réponse à un premier projet d’exploitation de la narse –, et le plus puissant, avec quelque 3 200 adhérent·es dans toute la France ainsi que le soutien de nombreux élus locaux.
Le projet industriel est pourtant, à ce stade, l’un des moins avancés. Si Imerys a obtenu, en décembre 2021, le classement de la zone par le préfet de région en « gisement d’intérêt national » et son inscription au schéma régional des carrières du Cantal, il n’a pas encore déposé de demande d’exploitation.
Mais la situation devrait rapidement évoluer. L’industriel a en effet racheté en janvier les activités diatomite de son concurrent Chemviron, filiale européenne de l’américain Kuraray. Il se retrouve ainsi à la tête de deux usines de transformation de la diatomite et d’une centaine d’hectares de terres au fond de la narse, alors que la seule carrière en activité, celle de Foufouilloux (Cantal), devrait être épuisée en 2027 ou 2028.
Dès lors, la demande d’autorisation préfectorale ne devrait plus tarder, estime Chantal Jean, membre du groupe de coordination du collectif de la Nouvialle. « Et après, tout va se précipiter », poursuit la militante, choquée par l’acharnement d’Imerys à vouloir exploiter son produit alors que « la filtration alimentaire est en régression, les entreprises alimentaires parvenant à se passer de la diatomite ». « Ils en sont à créer de nouveaux besoins, de nouveaux débouchés, comme des additifs dans la peinture ou le ciment », déplore-t-elle.
Le cénacle de Pierrefiche comprend également des scientifiques – naturalistes, archéologues – désireux de mettre leurs connaissances au service des militant·es, des représentant·es d’autres mobilisations, comme celle contre la prospection d’or en Haute-Vienne.
Luttes locales
Le gros des effectifs est toutefois constitué d’activistes locaux, rassemblés autour de deux projets d’Imerys : l’extension sur 40 hectares d’une exploitation de quartz à Lempzours, pour lequel l’industriel n’a pas encore déposé de dossier, et la création d’une nouvelle carrière du même minerai – utilisé dans la fabrication de silicium, une des dix-sept matières premières stratégiques listées par la Commission européenne – sur 45 hectares à Razac, un plateau forestier visible depuis le lieu de la réunion.
Hôte de l’assemblée et président du collectif « Sauvegardons Razac et le bassin de la Côle », Gérard Dufraisse l’affirme avec fermeté : il n’est pas un « NIMB », un « not in my backyard », soit en français un opposant à tout projet industriel pour la seule raison qu’il risque de ruiner son potager ou sa vue. Le médecin retraité était même plutôt favorable à cette nouvelle carrière, quand les représentants d’Imerys lui ont assuré, début 2022, que les machines ne creuseraient pas à plus d’un mètre de profondeur pour extraire du sol les galets de quartz, et uniquement sur le sol plat du plateau.
« Mais quand j’ai lu le dossier de l’enquête publique, j’ai découvert qu’ils prévoyaient de creuser à 10 mètres de profondeur, et qu’ils allaient descendre dans les pentes. Ce n’est absolument pas réhabilitable », relate-t-il. Sans compter la quarantaine de camions appelés à arpenter chaque jour la départementale « où on n’arrive déjà pas à se croiser en voiture », souligne le retraité.
Gérard Dufraisse est ainsi devenu militant malgré lui. « Je ne suis dans aucune de ces luttes, mais je découvre des manières de faire et je me réveille avec mon pays natal qui va être livré à des sociétés extractivistes. Parce que des galets, il y en a partout dans la région, explique-t-il. Ils ne s’arrêteront jamais si personne ne s’y met. »
Et aujourd’hui, l’ancien médecin hospitalier se réjouit de l’afflux des activistes dans son hameau. « Je suis ravi, tous ces gens sont extrêmement intéressants pour nous. On montre qu’il y a une solidarité qui se crée », commente-t-il.
La veille, les délégations ont arpenté la D77 de Thiviers à Pierrefiche, soit une marche de 6,5 kilomètres, au sein d’un cortège de plus de deux cents manifestant·es, égayé par des fanfares et de nombreux costumes, pour procéder au jugement de « Pelletassou », une marionnette géante accusée d’accaparement des territoires à son seul profit, mensonge et participation à un écocide. L’accusé a été condamné à une assignation à résidence perpétuelle dans l’église de Pierrefiche.
« C’était un peu trop sur un mode carnavalesque, les gens du coin vont nous prendre pour des saltimbanques », grommelle Gérard Dufraisse, avant de convenir qu’après tout, « les jeunes qui viennent s’installer dans le Périgord vert, ils sont comme ça, et ils ont une conscience écologique bien plus grande que la nôtre ».