• #Budget : « On a une image totalement déformée de la #dépense_publique »

    « Nous dépensons trop », a déclaré #François_Bayrou le 15 avril sur le budget 2026. Le gouvernement prévoit de nouvelles #coupes_budgétaires, de 40 milliards d’euros, pour l’année prochaine. Décryptage avec l’économiste #Christophe_Ramaux.

    Deux mois après avoir fait adopter un budget 2025 qui rognait déjà sur les dépenses publiques, le ministre de l’Économie, #Eric_Lombard, a annoncé, en fin de semaine dernière, de nouvelles coupes budgétaires de l’ordre de 40 milliards d’euros. Le 15 avril, François Bayrou a confirmé cette annonce permettant, selon lui, de maintenir l’objectif de #déficit à 4,6 % du PIB en 2026.

    Pour Christophe Ramaux, enseignant à l’université Paris 1, chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne, la dépense publique n’est pas un #indicateur_économique pertinent. Entretien avec cet enseignant à l’université Paris 1, chercheur au centre économique de la Sorbonne et membre des Économistes atterrés, qui préconise plutôt d’aller chercher des #recettes pour combler le #déficit.

    Basta ! : Le ministre de l’Économie, Eric Lombard, ne cesse de rabâcher un chiffre : 57% de notre produit intérieur brut (PIB) serait consacré à la dépense publique. En répétant ce montant, qu’il juge colossal, il sous-entend que l’État est déjà très généreux. Couper dans la dépense publique serait donc sans grandes conséquences sociales. Mais la France est-elle réellement ce pays qui dépense de l’argent public à tout va ?

    Christophe Ramaux : On a une image totalement déformée de la dépense publique. Quand on dit que la dépense publique c’est 57% du PIB, la plupart des gens imagine que l’on prélève plus de la moitié de la richesse créée par le privé, qui serait le seul secteur productif, pour payer les fonctionnaires. Tout est faux dans cette phrase.

    La dépense publique est un indicateur très imparfait. On mélange un peu tout dedans et on fait des doubles comptes. Par exemple, elle comprend les salaires versés aux fonctionnaires, dont les cotisations sociales… Mais ces mêmes cotisations sont à nouveau comptées dans les dépenses de retraite ! Le chiffre de 57% du PIB n’est pas faux, mais il ne correspond pas à une part du PIB. Ce n’est pas parce que la dépense publique est à 57% que la dépense privée est à 43%. Au contraire, si on calculait la dépense privée de la même manière que l’on calcule la dépense publique, elle serait de l’ordre de 200% du PIB.

    Même si le gouvernement refuse d’employer le mot. Sommes-nous face à une politique austéritaire ?

    La part des #services_publics dans le PIB n’a pas augmenté depuis 40 ans. Donc il y a bien eu de l’#austérité. Pourquoi je dis ça ? Parce que, normalement, plus une société est riche, plus elle consacre de l’argent pour ce qu’on appelle les « #biens_supérieurs » : l’#éducation, la #santé, la #culture. Il ne vous a pas échappé que ce sont les terres d’excellence des services publics.

    Or, il y a beaucoup plus de bacheliers aujourd’hui que dans les années 1980, on aurait donc dû consacrer plus d’argent à l’éducation. On ne l’a pas fait. De même, la population vieillit donc on aurait dû augmenter les dépenses de santé. Cela n’a pas été le cas. Donc il y a bien eu de l’austérité.

    A quoi servent précisément les 1670 milliards d’euros de dépense publique ?

    Contrairement aux idées reçues, sur les 1670 milliards, un quart seulement sert à payer les #fonctionnaires. Environ une moitié (710 milliards) est consacrée aux « #prestations_sociales » et aux « transferts sociaux en nature de produits marchands » – la part remboursée des médicaments et des consultations médicales.

    Les prestations sociales (530 milliards, en 2023) financent essentiellement les #retraites (380 milliards), mais aussi le #chômage, le #revenu_de_solidarité_active (#RSA), l’#allocation_adulte_handicapé (#AAH), les #allocations_familiales… Les transferts sociaux en nature de produits marchands comptent pour 180 milliards. Quant au quart restant, il constitué de divers postes : aide aux ménages et aux entreprises, intérêts de la #dette (50 milliards), etc.

    La dépense publique n’est pas un puits sans fond. Et il faut savoir que le secteur public est productif ! Le calcul du PIB le prend d’ailleurs en compte. Sur les 3000 milliards de PIB actuel, environ 20% est ajouté par les fonctionnaires, soit 470 milliards. L’argent n’est donc pas dilapidé, puisqu’un quart de la dépense publique (salaire des fonctionnaires) augmente le #PIB !

    De même, les trois autres quarts offrent des débouchés pour le privé. Les retraités, que font-ils de leur retraite ? Ils font les courses, ils consomment. De même pour les chômeurs. La #commande_publique ? Elle finance en grande partie le privé, notamment le secteur du BTP si on pense à la construction d’écoles, de routes… Ce ne sont pas les fonctionnaires qui manient la truelle ! Donc quand on réduit la dépense publique, cela a inévitablement un effet sur le privé.

    Si on préserve la dépense publique, comment réduire le déficit ?

    Le #déficit_public est avant tout un problème de #recettes. Depuis 2017, premier mandat d’Emmanuel Macron, la dépense publique en pourcentage du PIB n’a pas augmenté. Ce qui a baissé, ce sont les #prélèvements_obligatoires (#impôts et #cotisations_sociales). On n’a jamais eu de baisse aussi élevée des ces prélèvements en un temps aussi court. On pense bien sûr à la suppression de l’#impôt_sur_la_fortune, #ISF, du prélèvement forfaitaire unique, à la baisse de l’#impôt sur les sociétés ou encore à la suppression de la #taxe_d’habitation (20 milliards d’euros), essentiellement payée par les ménages les plus riches. En tout, on arrive sur une baisse de 60 à 70 milliards de recettes.

    Au lieu de réduire la dépense publique, on pourrait évidemment aller chercher de nouvelles recettes. Déjà en revenant sur cette contre-révolution fiscale mise en place par Emmanuel Macron. On pourrait aussi remettre en cause certaines niches fiscales et sociales. Une part du déficit de la sécu pourrait être comblée si on cessait de ne pas soumettre à cotisation sociale une partie des revenus comme les heures supplémentaires, l’intéressement la participation, la prime de partage de la valeur (ex « #prime_Macron »)…

    https://basta.media/budget-on-a-une-image-totalement-deformee-de-la-depense-publique
    #dépenses_publiques #France #économie #fiscalité

  • « Le viol n’est pas une pénétration non consentie, mais imposée », Emmanuelle Piet, Ernestine Ronai
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/01/le-viol-n-est-pas-une-penetration-non-consentie-mais-imposee_6589446_3232.ht

    Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à débattre d’une nouvelle définition légale du #viol, un détail sémantique d’apparence anodine s’avère en réalité décisif. La proposition actuelle définit le viol comme une « pénétration non consentie ». Nous demandons qu’elle soit remplacée par une définition plus juste et juridiquement efficace : « Le viol est une pénétration imposée. »

    Pourquoi ce changement est-il crucial ? Parce qu’il recentre la loi sur la réalité du crime et sur son auteur. Le viol n’est pas un problème de consentement flou, soumis à des interprétations douteuses, mais un acte de domination, une violence imposée. En l’état actuel, la formulation proposée place le projecteur sur la victime et son #consentement – ou son absence de consentement – plutôt que sur l’acte commis par l’agresseur.

    Dans les tribunaux, cela a des conséquences dramatiques. Aujourd’hui déjà, des victimes doivent prouver qu’elles ont résisté, qu’elles ont dit non avec suffisamment de force, qu’elles ne se sont pas laissé faire. Le consentement devient une arme retournée contre elles.

    L’agresseur, lui, peut se contenter d’affirmer qu’il n’a pas compris, qu’il pensait que c’était « ambigu ». Une défense qui fonctionne trop souvent et qui permet à des violeurs d’échapper à la justice. Si la charge de la preuve reste la même, les victimes seront toujours, demain, obligées de prouver qu’elles n’ont pas consenti et qu’il en était conscient.

    Mettre fin à une logique perverse

    Or, ce qui fait un viol, ce n’est pas l’absence d’un « oui » foncièrement enthousiaste, ce n’est pas la subjectivité de la victime (et comment le prouver ?), c’est la présence d’une contrainte, d’une menace, d’un abus de pouvoir ou d’une ruse pour parvenir à imposer l’acte sexuel. C’est cela, la stratégie de l’agresseur. C’est cela qu’il faut regarder, ce sont ces preuves-là qu’il faut chercher, c’est cela qu’il faut graver dans le droit. Cette conviction profonde vient de nos quarante années passées auprès des victimes de viols et de violences sexuelles.

    Changer cette simple phrase de la proposition de loi, ce n’est pas qu’une question de mots. C’est mettre fin à une logique perverse qui pèse sur les victimes. C’est dire clairement que le viol est un acte de l’agresseur, et non un défaut de réaction de la victime. C’est aligner notre droit sur la réalité de la #violence_sexuelle en renforçant la portée de la violence, de la menace, de la contrainte et de la surprise.

    Les législateurs ont une responsabilité historique. Si la France veut être à la hauteur de son ambition féministe, elle doit inscrire dans sa loi une définition du viol qui protège véritablement les victimes et empêche les prédateurs de se cacher derrière des faux-semblants.

    Nous appelons donc les députés à voter cette modification essentielle. Pour que le droit dise enfin ce qu’il doit dire : le viol est une pénétration imposée à une victime. Elle n’y est pour rien. Il n’avait pas le droit.

    Emmanuelle Piet est présidente du Collectif féministe contre le viol ; Ernestine Ronai est présidente de l’Observatoire des violences envers les femmes du département de la Seine-Saint-Denis et coordinatrice de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains.

    « Inscrire le non-consentement dans la loi sur la définition du viol est au mieux inutile, au pire contre-productif » (17 février 2025)
    https://archive.ph/q8xAd#selection-2039.0-2039.117

    Introduire le consentement dans la définition du viol : piège ou avancée ? (14 octobre 2024)
    https://archive.ph/gBg5X#selection-1999.0-1999.74

    #féminisme #renversement

  • De l’#économie_de_guerre à la #guerre_sociale

    Pour financer le projet de #réarmement européen, le pouvoir et le camp néolibéral convoquent l’économie de guerre. Mais derrière cette appellation, ils pensent à tout autre chose qu’à une mobilisation des moyens économiques pour la sécurité du pays : imposer par la ruse leur agenda d’#austérité sociale.

    L’expression est désormais dans tous les discours. Elle sature même l’espace public. Du matin au soir, responsables politiques, économistes, observateurs géopolitiques convoquent « l’économie de guerre » pour souligner la gravité du moment.

    L’appellation est si claire qu’elle ne paraît appeler ni précision ni contestation. L’humiliation publique du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, par Donald Trump et son vice-président, J. D. Vance, les doutes qui planent sur la solidité de l’alliance transatlantique alimentent un climat de peur et d’angoisse partout en Europe. Chaque État membre a compris l’urgence de se réarmer et d’affirmer la #sécurité et l’indépendance du continent. Pourtant, dans aucun pays, en dehors de la France, on ne parle d’économie de guerre. Les autres États préfèrent évoquer des plans de réarmement, de renforcement de leurs capacités militaires, de sécurité.

    Avec raison, selon un connaisseur du monde de la défense, irrité par le détournement des concepts, la « grandiloquence inutile » des débats en France : « Mais de quoi parle-t-on ? Nous ne sommes pas en guerre. Il ne s’agit pas de consacrer l’essentiel de nos ressources à la guerre comme en 1914 mais d’augmenter les #dépenses_militaires pour les porter à 3-3,5 % du PIB. Pendant toute la guerre froide jusqu’en 1994, la France a consacré 5 % de son PIB à sa défense. On ne parlait pas alors d’économie de guerre. »

    Une économie sous le contrôle de l’État

    De nombreux travaux ont été menés par des historiens et des économistes sur les économies de guerre, un sujet malheureusement très fréquent dans l’histoire. Même s’il y a eu de nombreuses évolutions dans le temps, tous relèvent des caractéristiques précises dans les économies de guerre modernes.

    Cela peut paraître une évidence, mais il faut quand même l’énoncer : une économie de guerre s’applique à un pays en guerre, comme en Ukraine actuellement. Le conflit entraîne des pénuries, des ruptures dans les approvisionnements (énergie, produits alimentaires, matières premières) qui amènent le pouvoir à mobiliser toutes ses ressources pour assurer sa défense et sa sécurité.

    « La première grande mobilisation moderne, c’est la levée en masse au moment de la Révolution. Mais l’économie de guerre au sens actuel intervient avec l’industrialisation qui amène des guerres totales », explique Cédric Mas, historien militaire*. La guerre de 1914 est l’exemple le plus souvent cité : l’ensemble des moyens humains, économiques et financiers ont été alors mobilisés pour assurer la défense du pays. Alors qu’il n’existait pas d’impôt sur le revenu en France, l’épargne française fut requise pour payer l’effort de guerre, sous la direction de l’État.

    Car à circonstances exceptionnelles, moyens et mesures exceptionnels. « La défense ne peut plus être faite en laissant le libre jeu au marché, à la concurrence », rappelle Cédric Mas. Les besoins militaires, les ruptures et les pénuries dans les approvisionnements amènent le pouvoir à prendre des mesures coercitives pour répondre aux demandes des armées et assurer la défense du pays et sa survie.

    « Dans une économie en guerre, la production et la consommation se retrouvent organisées par l’État », résume Éric Monnet, directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’École d’économie de Paris. « L’économie de guerre, c’est la subordination de l’appareil productif et des importations à l’effort militaire », complète Éric Dor, professeur d’économie à l’Ieseg School. En un mot, tout est décidé et orienté par l’État. L’économie devient totalement administrée, sous la conduite d’entités centralisées.

    Cette prise en main par l’État des moyens économiques se traduit souvent par des dispositions complémentaires drastiques comme la fin de la liberté de circulation des capitaux, le rationnement de certains produits, un contrôle des prix, voire une fixation autoritaire des prix. Ces mesures sont souvent accompagnées de taxations exceptionnelles contre les « profiteurs de guerre ».

    La seule énumération de ces mesures ne laisse aucun doute sur le sujet : ce n’est pas à ce cadre réglementaire que se réfèrent les responsables politiques et certains économistes lorsqu’ils convoquent actuellement l’économie de guerre dans leurs propos. La plus petite disposition qui marquerait les prémices d’un retour à une économie administrée leur ferait pousser des cris d’orfraie.
    Dans les pas du rapport Draghi

    Le plan de réarmement européen n’imagine d’ailleurs pas cela. Il s’inscrit, sans le dire explicitement, dans la continuité du rapport Draghi. Présenté à l’automne, celui-ci pointait la nécessité d’une reprise en main rapide des États membres, d’une relance des investissements productifs et dans la recherche, sous peine de disqualification européenne face à la Chine et aux États-Unis. Nombre de responsables européens avaient applaudi, déclarant que le rapport Draghi devait devenir la « feuille de route » de l’Union européenne (UE). Avant d’ajouter : « Mais il y a le veto allemand. »

    Le revirement stratégique du futur chancelier allemand, Friedrich Merz, appelant son pays et l’Union à devenir indépendants des États-Unis et à assumer la défense du continent a provoqué un électrochoc. Brusquement, nombre de verrous qui pesaient sur la zone euro ont sauté. Les dépenses d’investissement militaires, comme le demandait la France depuis deux décennies, pourraient ne plus être comptabilisées dans les règles du traité de Maastricht. L’utilisation de fonds européens pourrait être rendue possible.

    Surtout, l’Allemagne se dit prête à abandonner sa politique économique restrictive et à lancer un vaste plan de relance d’investissements dans la défense et les infrastructures stratégiques. Un changement attendu depuis quinze ans, mais qui reste conditionné à l’adoption d’une réforme constitutionnelle brisant les règles d’airain sur le déficit budgétaire.

    Saisissant ce moment unique, la Commission européenne pousse les feux. Même si les chiffres annoncés sont loin des efforts préconisés par le rapport Draghi, ils s’inscrivent dans cet esprit. Ils entérinent un effort massif d’investissement pour la défense et les infrastructures stratégiques. Le rapport prévoit aussi un recours massif à l’épargne privée européenne, censée poser les fondements d’une union de l’épargne et des capitaux. Un succédané de l’Union bancaire que Mario Draghi et les responsables européens appellent de leur vœu.
    Les leçons du plan Biden

    « Tel qu’il est présenté à ce stade, il pourrait s’apparenter à un vaste plan de relance industriel européen à partir de la défense », analyse Éric Monnet. Alors que les économies européennes sont en stagnation depuis une décennie, que le continent est menacé de déclassement industriel, l’idée de saisir l’urgence du moment et d’utiliser les dépenses militaires considérées comme un puissant levier de recherche, d’innovation et de soutien industriel, pour assurer à la fois la sécurité du continent et remettre l’économie européenne sur les rails, fait sens.

    Est-ce un des objectifs poursuivis par l’UE ? Beaucoup de flou, d’incertitudes, d’ambiguïtés demeurent. Au point que certains redoutent que, passé les déclarations martiales, celles-ci n’aboutissent qu’« à des paroles verbales », et qu’une fois de plus l’Europe ne soit pas au rendez-vous.

    Car au-delà des annonces, un cadre précis doit être dressé. En matière de défense, c’est la commande publique qui donne normalement l’impulsion. Mais qui décidera, l’UE, les États ou les industriels ? L’Union européenne est-elle prête à mettre entre parenthèses son principe de « libre concurrence » pour donner une préférence européenne, voire nationale dans certains cas ? En un mot, y aura-t-il une organisation, une planification pour mener ce projet de réarmement européen ?

    Les réponses à ces questions sont essentielles pour la suite. Car les leçons du vaste plan de réindustrialisation lancé par Joe Biden au travers de plusieurs programmes (Inflation reduction Act, Chips Act, Renewable energy and efficency Act) doivent être tirées. Malgré les centaines de milliards de dollars apportés par le Trésor américain, les retombées ont été jugées insuffisantes par les Américains. L’échec relatif de ce plan a participé à la réélection de Donald Trump.

    Pour l’économiste James Galbraith, la déception du plan Biden découle d’une faute originelle : le refus d’intervention étatique. À la différence du New Deal lancé par Roosevelt, Joe Biden a refusé d’engager le pouvoir étatique et les ressources publiques pour définir, arrêter, contrôler les productions et les techniques nécessaires, préférant s’en remettre aux entreprises privées pour faire ces arbitrages. Or celles-ci décident des productions, des technologies à mettre en œuvre en fonction de leurs intérêts, du profit et du pouvoir qu’elles peuvent en escompter, pas en fonction de l’intérêt général.

    Le plan européen risque d’être confronté aux mêmes ambiguïtés, faute d’éclaircissements. À cela s’ajoute une autre inconnue, de taille : l’appareil industriel européen est-il en capacité de répondre aux besoins de défense européens ? Face à l’urgence invoquée, les milliards que l’UE entend demander à l’épargne privée européenne ne vont-ils pas se transformer en achats massifs d’équipements américains ou autres, avec de faibles retombées pour le continent ?
    L’agenda inchangé du néolibéralisme

    Alors que l’Europe pourrait s’engager dans une transformation existentielle, on attendrait des échanges sérieux, des éclaircissements approfondis. Des débats ont commencé dans d’autres pays sur les buts et les modalités de ce projet. En France, rien de tel.

    La nécessité d’augmenter les dépenses militaires que les gouvernements successifs ont négligées pendant plus de vingt ans ne fait pas débat. La question de savoir comment mobiliser de nouvelles ressources dans un contexte de délabrement budgétaire et d’endettement massif après huit années de macronisme mérite, elle, d’être analysée, discutée, arbitrée. Et ne peut se satisfaire de réponses simplistes.

    Mais pour le pouvoir, tout se résume pour l’instant à un seul slogan : l’économie de guerre. La peur et l’urgence étant censées éteindre toutes les réflexions.

    « Il est difficile de parler d’austérité, de réforme. Tout cela ne passe plus auprès de la population. Mais le logiciel néolibéral reste inchangé. Comme au moment du covid, ils mobilisent le champ lexical militaire pour faire passer des mesures qui ne passeraient pas autrement », relève Cédric Mas.

    Au nom de la défense de la nation face à l’impérialisme russe, le camp néolibéral est reparti sans attendre en campagne. « Augmenter le temps de travail, restreindre l’accès à l’assurance-chômage, partir en retraite plus tard, simplifier radicalement la vie des entreprises, libérer l’innovation sont désormais des impératifs sécuritaires », s’est empressé d’écrire l’économiste Nicolas Bouzou, régulièrement rémunéré par les entreprises du CAC 40 pour publier des études « positives ».

    Depuis, c’est le concours Lépine des propositions de réformes, plus brutales et régressives les unes que les autres. Tout y passe : l’âge et le financement de la retraite, la énième réforme de l’assurance-chômage, le temps de travail, les services publics, l’environnement... Le tout sur fond de déréglementation absolue, de suppression des normes, des règles, des lois qui brident l’énergie, qui entravent la liberté du capital. C’est-à-dire l’inverse d’une économie de guerre.

    Par ruse, ce qui est présenté comme un impératif de sécurité face à la montée des tensions géopolitiques avec la Russie et aux incertitudes américaines se transforme en une guerre sociale. Ce qui pourrait devenir un plan de relance militaire et industriel européen se décline à nouveau sous forme d’austérité et de régression, pour le seul profit du capital.
    L’indispensable adhésion

    Sans aucune prise de distance, Emmanuel Macron a repris cet agenda, le même qu’il décline depuis huit ans. Tout en appelant à la mobilisation et à l’unité, il a tenu à souligner d’emblée que les augmentations de dépenses militaires seraient faites « sans impôt », mais avec des « réformes », appelant tous les corps sociaux à lui donner des idées.

    Cette obstination du chef de l’État à défendre « quoi qu’il en coûte » tous les préceptes néolibéraux, qui ont pourtant démontré leurs failles, voire leur faillite, depuis plus d’une décennie ne peut que surprendre. Surtout pour un responsable qui ne cesse de prôner le changement, la mobilité intellectuelle face aux événements du monde.

    Comment peut-il croire que ces régressions sociales qu’il avance depuis huit ans et qui suscitent un rejet grandissant pourront brusquement être acceptées sous le motif de la sécurité ? Comment penser faire l’unité quand il exonère par avance, au mépris des fondements de la République, les puissances d’argent de toute contribution à la sécurité et à la défense du pays ? Plus prosaïquement, comment espérer mobiliser l’argent des Français quand dans le même temps le gouvernement nourrit une insécurité sociale à tous les niveaux, qui ne peut qu’alimenter la défiance ?

    « Dans toutes les économies de guerre, il y a un élément indispensable pour soutenir la mobilisation des ressources et la cohésion d’un pays : c’est l’adhésion de la population. Sinon, cela se transforme en révolte ou en rejet. C’est ce qui s’est passé en 1918 en Russie », rappelle Éric Monnet. En plantant d’emblée un cadre déséquilibré, renforçant des inégalités déjà galopantes, Emmanuel Macron risque de ne jamais trouver cette adhésion.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/090325/de-l-economie-de-guerre-la-guerre-sociale
    #macronisme #France #guerre #néolibéralisme #mots #vocabulaire #terminologie #industrialisation #plan_de_réarmement_européen #réarmement_européen #rapport_Draghi #Allemagne #infrastructures_stratégiques #déficit_budgétaire #épargne_privée #relance_industriel #économie #réindustrialisation #plan_Biden #champ_lexical #réformes_sociales #déréglementation #ruse #régressions_sociales

  • « Pour Donald Trump, stratégie et #géopolitique sont solubles dans l’affairisme et le lucre », Jean-Sylvestre Mongrenier
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/03/05/pour-donald-trump-strategie-et-geopolitique-sont-solubles-dans-l-affairisme-

    Prêtons-nous à ce « jeu » intellectuel, qui n’en est pas un. Les bonnes grâces de Trump envers Poutine suffiront-elles pour que Moscou reprenne le contrôle de l’Eurasie postsoviétique et de ses confins occidentaux (l’Europe centrale et orientale) ? Voici plus de trois décennies que la doctrine russe de l’« étranger proche » a été énoncée, et la Russie n’a pu empêcher les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale et du Caucase de prendre du champ.
    Lire aussi | Article réservé à nos abonnés La Chine, spectatrice perplexe du rapprochement entre Trump et Poutine

    En Europe, la satellisation de la Biélorussie est bien avancée, mais pas suffisamment pour qu’Alexandre Loukachenko entre directement en guerre contre l’Ukraine. Quant à cette dernière, elle a réagi contre le noyautage russe et la captation de l’Etat : trois ans après une « opération militaire spéciale » censée prendre Kiev en trois jours, l’armée russe n’a pas même réussi à prendre la totalité du Donbass. Il importe de conserver à l’esprit que l’Ukraine est invaincue.

    Surtout, quid de la zone d’influence qui, selon la thèse du Dreikaiserbund, devrait revenir aux Etats-Unis ? L’Europe rêvée par Trump, divisée et fragmentée, serait à la merci de Moscou qui, après l’effondrement espéré de l’OTAN, pourrait s’en servir pour oxygéner l’économie russe. De cette manière, les rapports entre Moscou et Pékin seraient rééquilibrés au sein d’une alliance en passe de dominer la masse terrestre euro-asiatique.

    Le cauchemar de Halford J. Mackinder (1861-1947), de Nicholas Spykman (1893-1943) et des penseurs anglo-américains qui inspirèrent la longue stratégie de containment (« endiguement ») deviendrait réalité : nous assisterions au triomphe posthume de Karl Haushofer (1869-1946), partisan dans l’entre-deux-guerres d’un bloc eurasiatique uni face à la « Grande Ile » nord-américaine.

    En Asie-Pacifique, il serait hasardeux d’inscrire le lâchage de l’Ukraine dans une stratégie de consolidation de la zone d’influence américaine. Pourvu que Xi Jinping accepte d’acheter plus de blé et de gaz aux Etats-Unis et de leur vendre des terres rares, Trump pourrait lâcher Taïwan, maillon central des alliances régionales américaines, du Japon aux Philippines. Si cela s’avérait juste, l’hégémonie américaine dans le Pacifique prendrait fin. Ironie de l’histoire, Trump aurait concédé à Pékin une « sphère de coprospérité de la Grande Asie », ce qui avait été refusé au Japon lors de la seconde guerre mondiale.

    Une conception sociale-darwinienne du marché

    En guise de compensation, lit-on, Trump pourrait vouloir organiser une sorte d’« Empire des Amériques ». Mais croit-il pouvoir l’obtenir à coups de guerres commerciales ? Au faîte de leur puissance, les Etats-Unis des années 1990-2000 ne sont pas parvenus à constituer une zone de libre-échange des Amériques, de l’Alaska à la Terre de Feu. Déjà, la Chine est le principal partenaire commercial de la plupart des pays latino-américains. In fine, les conceptions géopolitiques panaméricaines prêtées à Trump se réduiraient à une police des frontières sur le Rio Grande et le long de la frontière canadienne.
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En Amérique latine, la Chine s’impose dans l’« arrière-cour » des Etats-Unis

    Comment #Trump voit-il donc le monde ? Tout comme pour les thuriféraires de la globalisation, dans les années 1990, la Terre serait plate : un marché planétaire dont les enjeux sont réductibles au commerce et à l’accès aux ressources naturelles. Indices boursiers, opérations immobilières et enrichissement privé tiennent lieu d’indicateurs. La différence avec les « globalistes » exécrés réside dans sa conception sociale-darwinienne du marché : le libre jeu des forces économiques serait une lutte perpétuelle, sans grands dessein, progrès et idéaux.

    https://justpaste.it/gok8b

    • « Donald Trump poursuit une vision paranoïaque, erronée et indigente de l’économie »
      CHRONIQUE, Stéphane Lauer
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/03/10/donald-trump-poursuit-une-vision-paranoiaque-erronee-et-indigente-de-l-econo

      En dépit de l’incrédulité générale, Donald Trump a finalement déclenché une #guerre_commerciale en décrétant des #droits_de_douane tous azimuts. Ou plutôt une drôle de guerre, aux buts changeants en fonction de l’ennemi désigné, rythmée par des chantages, des revirements brutaux et des délais de grâce à géométrie variable. Un sentiment de pagaille s’installe. Le fait du prince semble avoir pris le dessus sur toute rationalité économique. La méthode comme la justification posent question.

      Des droits de douane de 25 % sur les exportations canadiennes et mexicaines à destination des Etats-Unis devaient entrer en vigueur dès mardi 4 mars, avant que l’application ne soit reportée au 2 avril. Déjà, un premier report avait été décidé en février. Celles venant de Chine sont frappées à un taux de 20 %, jusqu’à nouvel ordre, tandis que l’Union européenne ne sait toujours pas quel régime lui sera appliqué, mais les Vingt-Sept savent qu’ils ne perdent rien pour attendre. L’agriculture, l’acier et l’aluminium vont être à leur tour concernés, sans parler des « droits de douane réciproques », sorte de loi du talion, dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants.

      Ça va bien se passer, assure le président des Etats-Unis, qui prévoit « un peu de perturbation, mais ça [lui] va. Il n’y en aura pas beaucoup ». Cette méthode Coué ne trompe personne : entre les anticipations d’inflation, le recul de Wall Street, la perturbation des chaînes de production, les mesures de rétorsion contre les Etats-Unis et la confiance des ménages américains qui flanche, les dégâts sont déjà là.

      Une balle dans le pied

      Faisant fi des avertissements lancés par la plupart des économistes et des institutions internationales, Trump s’entête sur une guerre commerciale qualifiée le 31 janvier par le Wall Street Journal de « plus stupide de l’histoire ». « Notre profonde inquiétude est que cela pourrait être le début d’une spirale destructrice qui nous ramènerait à la guerre commerciale des années 1930 », avertit Andrew Wilson, le secrétaire général adjoint de la Chambre internationale de commerce, qui représente des milliers d’entreprises dans 130 pays.

      L’ex-promoteur immobilier agit comme s’il voulait appliquer des hausses de loyer dans une copropriété de Manhattan, afin d’améliorer son retour sur investissement. Mais les échanges internationaux ne sont ni une partie de Monopoly ni un jeu à somme nulle, où les pertes des uns se traduisent par les gains des autres. Sous le couvert de « révolution du bon sens », censée faire revenir les usines et les emplois, les Etats-Unis sont en train de se tirer une balle dans le pied, et la planète entière doit se préparer à faire les frais de cette automutilation.

      Enfermé dans sa bulle cognitive, Trump poursuit une vision paranoïaque, erronée et indigente de l’économie. La paranoïa d’abord. Son obsession sur les droits de douane s’est construite sur la croyance que les Etats-Unis, première puissance mondiale, sont abusés par un système international, dont ils sont pourtant l’architecte. Il prétend que l’Union européenne aurait été créée pour « foutre en l’air » son pays, alors que les Américains ont encouragé sa construction pour s’assurer des débouchés et endiguer le communisme.

      Difficile également de croire que le Mexique et le Canada ne seraient que des profiteurs de leur encombrant voisin. Le premier permet aux Etats-Unis de bénéficier de coûts de production qui dopent leur compétitivité. Le second leur fournit les matières premières dont ils ont besoin pour faire tourner leur économie. Mais, dans la tête de Trump, les deux pays ne sont que des passeurs de drogue et d’immigration illégale qu’il faut sanctionner, voire, pour le Canada, annexer.

      Raisonnements à courte vue

      Ensuite, cette guerre commerciale repose sur des principes erronés. Le solde commercial d’un pays dépend moins de la compétitivité des produits qu’il importe que de ses fondamentaux macroéconomiques. Tant que les Etats-Unis investiront plus qu’ils n’épargnent et qu’ils consommeront davantage qu’ils ne produisent, le déficit commercial demeurera gigantesque. Il n’y a aucune arnaque à la clé, simplement des mécanismes économiques de base, dont Donald Trump croit pouvoir s’affranchir.

      Les excédents allemands et chinois s’expliquent pour des raisons diamétralement opposées : la production excède la demande intérieure, ce qui stimule les exportations. De fait, le virage économique annoncé par le futur chancelier allemand, Friedrich Merz, qui envisage d’investir massivement dans les infrastructures et de s’endetter davantage, aura bien plus d’effet sur la réduction des excédents allemands que tous les droits de douane décrétés par Trump.

      Ce qui conduit à la troisième caractéristique : une conception indigente de l’#économie. Trump suit des raisonnements à courte vue, qui ont eu suffisamment de résonance dans l’opinion pour le faire élire, mais qui n’ont aucune chance de régler les problèmes, pourtant bien réels, du pays.
      Les inégalités aux Etats-Unis n’ont jamais été aussi criantes. Selon Moody’s Analytics, la moitié des dépenses de consommation (contre 36 % en 1995) sont réalisées par les 10 % les plus riches. En bas de l’échelle, un nombre croissant d’Américains sont exclus du marché immobilier, les salaires réels font du sur-place et l’espérance de vie chute année après année.

      Trump a réussi à capter la colère des perdants de la mondialisation, mais ce n’est pas en réduisant les impôts des plus riches et en taxant les importations qu’il parviendra à améliorer leur sort. Malgré les gesticulations d’Elon Musk pour réduire la dépense publique, le #déficit budgétaire va continuer à se creuser, rendant encore plus hypothétique le rééquilibrage du commerce extérieur.

      In fine, la facture de la drôle de guerre sera réglée par l’Américain moyen, qui verra son pouvoir d’achat amputé. Mais il est tellement plus facile de désigner des boucs émissaires hors des frontières que de réparer l’Amérique de l’intérieur en matière d’éducation, de santé et d’infrastructures.

  • « Le gouvernement de Trump, même s’il est organisé à la manière d’une cour impériale, est un gouvernement révolutionnaire »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/02/28/le-gouvernement-de-trump-meme-s-il-est-organise-a-la-maniere-d-une-cour-impe

    « Si Mao, père de la terrible Révolution culturelle chinoise, et Trump ont peu de choses en commun sur le plan de l’idéologie, de la géographie ou de la coiffure, écrit Orville Schell, un des plus grands sinologues américains, ils peuvent tous deux être considérés comme des agents de l’insurrection. » La Révolution culturelle de Mao Zedong [lancée en 1966] était un ambitieux projet de rupture avec le passé, mais c’était aussi le règlement de comptes personnel d’un vieil homme parvenu à la fin de ses jours. Une fois le décor planté et la révolution lancée, elle a mené sa propre vie, engendrant des conséquences inattendues, que même les plus brillants stratèges n’auraient pas pu anticiper.

    Il en ira très probablement de même de l’insurrection trumpienne. Mais pour bien comprendre l’Amérique d’aujourd’hui, il faut avant tout comprendre que le gouvernement au pouvoir, même s’il est organisé à la manière d’une cour impériale, est un gouvernement révolutionnaire.

    Il fallait une personne comme l’actuel président des Etats-Unis pour rejeter toute possibilité de politique basée sur des valeurs communes, des intérêts partagés ou une solution gagnant-gagnant. Pour Mao, la politique était une guerre de classes ; pour Trump, c’est un #transactionnalisme à somme nulle. Les Etats naissent inégaux et, comme le formula l’historien grec Thucydide [au Ve siècle avant notre ère], « le fort fait ce qu’il peut faire et le faible subit ce qu’il doit subir ». Trump, note pour sa part Vladimir Poutine, « ne se contente pas de dire ce qu’il pense, il dit ce qu’il veut ». Dans pareil contexte, les Européens perdent un temps précieux à se demander à quoi ressemblera le plan de Trump pour l’Ukraine et à se plaindre de ne pas être assis à la table des négociations.

    Réalignement des civilisations

    Les révolutions n’ont jamais de programme détaillé. On ne sait pas précisément ce que Trump compte obtenir de ses négociations avec Poutine. Un point est en revanche très clair : le président américain entend accomplir de grandes choses, et il entend les accomplir vite, très vite.

    La Conférence de Munich sur la sécurité a mis un terme au débat ouvert au Forum de Davos [qui s’est tenu fin janvier] autour de cette question : faut-il prendre Trump au sérieux (donc pas au pied de la lettre) ou au pied de la lettre (donc pas au sérieux) ? Nous voilà désormais fixés : il faut le prendre à la fois au sérieux et au pied de la lettre. Le président américain pense réellement ce qu’il dit. Lorsqu’il parle d’une prise de contrôle du Groenland ou du canal de Panama, il n’envoie pas des signaux, il dit son intention. Il est convaincu que l’intérêt stratégique des Etats-Unis est de faire du Canada le cinquante et unième Etat américain. Il pense fermement pouvoir nouer un partenariat stratégique avec Moscou et, comme il le dit depuis son premier mandat, en être empêché par « l’Etat profond » américain. Nous ignorons pour l’instant si Trump est réellement prêt à quitter l’OTAN. Nous savons en revanche avec certitude que l’OTAN n’est pour lui qu’une autre facette de cet « Etat profond » qui essaie de lui lier les mains.

    Ce que Trump propose à Poutine, c’est non seulement la perspective de mettre fin à la guerre en Ukraine selon les conditions de Moscou, mais aussi la mise en place de grandes négociations pour réorganiser le monde, à l’instar de celles entre Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev [dans les années 1980] qui ont mis fin à la guerre froide. Tout cela implique très certainement une réduction de la présence américaine en Europe, mais aussi la nécessité d’une coopération russo-américaine au Moyen-Orient et en Arctique. Trump promet à Poutine – promesse à prendre au pied de la lettre – que, demain, les sanctions seront levées, la Russie sera réintégrée à l’économie mondiale et Moscou retrouvera son statut de grande puissance, perdu au cours des humiliantes années 1990. Il espère ainsi convaincre la Russie de rompre son alliance avec la Chine et de se tourner vers les Etats-Unis.

    Les relations des Américains avec Poutine se trouvent au cœur de la grande stratégie trumpienne de réalignement des civilisations. Dans le brillant livre To Run the World [« Diriger le monde », 2024, non traduit], qui retrace l’histoire de la guerre froide, Sergey Radchenko développe la #logique_raciale qui a poussé les Soviétiques à accepter de s’engager, dans les années 1970, dans une diplomatie de la détente avec le monde capitaliste. Pour expliquer sa décision de passer un accord avec les Américains, le chef soviétique Leonid Brejnev a déclaré à ses camarades : « Le président Nixon a dit un jour : “Vous pouvez nous détruire sept fois, et nous pouvons vous détruire sept fois.” Je lui ai répondu qu’après cela, les Blancs auront disparu, et qu’il ne resterait que les Noirs et les Jaunes. » Trump espère ardemment que Poutine sera prêt à adopter la logique de Brejnev.

    La montée du nationalisme européen

    Que signifie la révolution trumpienne pour l’Europe ? Comme l’a judicieusement observé le politologue américain Hal Brands au lendemain du fiasco de Munich, « l’Europe est en train de devenir un acteur mineur aux yeux du monde ». Elle est victime de sa propre prévisibilité et de son manque d’imagination politique. Les deux réunions de dirigeants européens organisées à Paris, censées montrer la force et la détermination du continent, n’ont fait qu’étaler son actuelle faiblesse. Certains dirigeants européens, comme le premier ministre hongrois, Viktor Orban, et le premier ministre slovaque, Robert Fico, ne sont pas venus. D’autres en sont repartis déçus.

    En vérité, à l’heure actuelle, l’Europe ne peut pas donner les garanties sécuritaires nécessaires à l’Ukraine sans le soutien des Américains. Trump a parfaitement conscience de la faiblesse des Européens et il traitera leurs élites de la même façon qu’il a traité l’establishment républicain qui a tenté de se distancier de lui après l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 : il va les punir et les humilier. Le discours de J. D. Vance à Munich en est une démonstration exemplaire. En déclarant à la veille des élections allemandes son soutien au parti d’extrême droite Alliance pour l’Allemagne (AfD), le vice-président américain a clairement fait entendre que Washington était prêt à semer le chaos en Europe si elle n’emboîtait pas le pas aux Etats-Unis. Dans le monde de Trump, il n’y a pas d’alliés, il n’y a que des amis personnels, des ennemis personnels, et le #déficit_commercial américain. Comme l’a dit un jour Mao : « Qui sont nos amis ? Qui sont nos ennemis ? C’est là la principale question de la révolution. »

    Que peut faire l’#Europe ? L’Europe n’est pas en mesure de garantir, à la place des Etats-Unis, la souveraineté de l’Ukraine. Ses capacités militaires sont médiocres, et il faudra du temps pour redresser la barre. Sur le plan politique, l’Europe est fragmentée. Elle est vulnérable aux trolls de Poutine et aux messages sur X d[’Elon] Musk. Tout ce qu’elle peut faire, c’est donc tenir, et elle est suffisamment résiliente pour cela, en attendant le moment où la révolution trumpienne sera vaincue par les forces mêmes qu’elle a déchaînées.

    La stratégie révolutionnaire de #Trump est audacieuse, mais risquée. Poutine rompra-t-il vraiment ses liens avec la Chine, sachant que Trump n’est à la Maison Blanche que pour un temps ? L’économie mondiale s’accommodera-t-elle des droits de douane de Trump ? Et les électeurs américains avaleront-ils la pilule de l’inflation qui devrait enfler à vitesse grand V ? Le problème avec une révolution, c’est qu’au mieux son chef la dirige, mais il ne la contrôle jamais.

    Paradoxalement, le plus grand espoir de l’#Europe pour résister aux pressions actuelles est à chercher du côté de la montée du #nationalisme européen anti-Trump. Elle est déjà perceptible dans la réaction allemande au discours de Vance et dans la volonté du probable futur chancelier, Friedrich Merz, de mettre en place une défense européenne autonome. Une montée également perceptible dans la réaction des Danois au rêve trumpien d’annexer le Groenland. Et dans les discours furieux du gouvernement canadien.

    L’Union européenne est née de la volonté de se prémunir contre les nationalismes européens. Comble de l’ironie, son meilleur atout pour survivre aujourd’hui à la tempête Trump semble être la mobilisation de ces mêmes nationalismes européens.

    Traduit de l’anglais par Valentine Morizot

    Ivan Krastev est président du Centre pour les stratégies libérales, à Sofia, et membre de l’Institut autrichien des sciences humaines, à Vienne. Il a notamment publié « Le Destin de l’Europe » (Premier Parallèle, 2017) et, avec Stephen Holmes, « Le Moment illibéral » (Fayard, 2019).

    #racisme

    • "La révolution trumpienne sera vaincue par les forces mêmes qu’elle a déchaînées" (?)

      « L’absurdité des obsessions de Trump illustrée par une histoire d’œufs »
      CHRONIQUE Philippe Escande
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/02/28/l-absurdite-des-obsessions-de-trump-illustree-par-une-histoire-d-ufs_6569078

      Ce week-end s’ouvre la période des carnavals. Dans certains, on se lance encore des œufs, symbole du passage vers le jeûne du carême. C’est en direction de leur président, Donald Trump, que beaucoup d’Américains aimeraient en jeter quelques-uns, en signe de mécontentement.

      Mais ils ne le feront pas, ils sont bien trop chers ! Leur prix a été multiplié par plus de 2,5 en un an, jusqu’à 12 dollars (11,50 euros) la douzaine et ils sont devenus, pour l’Américain moyen, le symbole de l’#inflation qui ravage son pouvoir d’achat.
      En cause, une épidémie de #grippe_aviaire qui n’en finit pas de décimer les élevages américains et les a conduits à sacrifier déjà plus de 160 millions de volailles. En catastrophe, le département de l’agriculture a annoncé un nouveau plan d’aide de 1 milliard de dollars, après 2 milliards investis depuis 2022. Cette affaire d’œufs, aliment sacré du brunch, illustre l’absurdité des positions extrémistes du nouveau pouvoir sur ses deux obsessions du moment : la fermeture des frontières et la déréglementation.

      La sécurité alimentaire est aussi celle des importations

      Le département de l’agriculture a indiqué qu’une centaine de millions d’#œufs supplémentaires seraient importés en mars. N’en déplaise aux absolutistes de la souveraineté nationale, la sécurité alimentaire consiste aussi à sécuriser des importations plutôt qu’à les combattre. Surtout quand une contagion ravage tout le territoire. Monde à l’envers, c’est la Turquie qui va imposer des taxes à l’exportation face à la demande américaine.

      Cette affaire démontre aussi magistralement que le rêve d’un Etat sans règles ni fonctionnaires peut tourner au cauchemar. La tronçonneuse du département de l’efficacité gouvernementale, conduit par Elon Musk, a déjà entamé les effectifs de vétérinaires et d’inspecteurs du département de l’agriculture dont on a tant besoin aujourd’hui.

      Selon le New York Times, des milliers d’emplois y ont déjà été supprimés, notamment dans les services d’inspection des plantes et des animaux pour surveiller les infestations. [et blablablo]Les lois et les règles sont parfois étouffantes et liberticides, mais elles ont été créées pour permettre aux hommes de vivre en société. D’où le défoulement bref du carnaval. Celui de Donald Trump durera malheureusement plus que quelques jours.

    • « Le légendaire investisseur américain Warren Buffett renvoie Donald Trump à ses responsabilités économiques de base : garder le dollar stable », Isabelle Chaperon
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/02/24/le-legendaire-investisseur-americain-warren-buffett-renvoie-donald-trump-a-s

      Un homme de 94 ans peut se permettre de donner quelques conseils à un « jeunot » de 78 ans, même si ce dernier est président des Etats-Unis. Le légendaire investisseur américain Warren Buffett a profité de la lettre annuelle à ses actionnaires, publiée samedi 22 février, pour renvoyer Donald Trump à ses responsabilités économiques de base : garder le dollar stable.

      Evidemment, au-delà de son âge canonique, le patron de Berkshire Hathaway a quelques arguments à faire valoir pour être écouté. En 1956, il rachetait une entreprise de textile mal en point qui n’avait pas payé d’impôts depuis dix ans, rappelle-t-il : depuis, sa holding a versé plus de 101 milliards de dollars (96 milliards d’euros) au Trésor américain (dont quasi 27 milliards de dollars en 2024), « bien plus que n’importe quelle entreprise américaine, y compris les titans de la tech ».
      Cet argent – et les futures contributions de Berkshire –, dépense-le « avec sagesse », enjoint-il dès lors à « Oncle Sam », alias « Oncle Donald ». Prends soin des gens qui ont eu la malchance de « tirer la courte paille » dans la vie, ajoute le donateur démocrate, « ils le méritent ». Et surtout, poursuit-il, « n’oublie jamais que nous avons besoin que tu maintiennes une devise stable et que ce résultat requiert à la fois de la sagesse et de la vigilance de ta part ».

      Hypothèse d’une #dévaluation massive du dollar

      Ce message, assorti d’un appel à se méfier de la monnaie papier, dont la valeur peut s’évaporer si la « folie fiscale prévaut », ressemble bien à une mise en garde face au risque d’un retour de flamme inflationniste, nourri notamment par une éventuelle prolongation des baisses d’impôts par la nouvelle administration. Une inquiétude qui se manifeste à la fois chez les chefs d’entreprise et les consommateurs américains, selon les derniers baromètres publiés.
      Mais difficile de ne pas y voir également une allusion à l’hypothèse, qui bruisse à Wall Street, d’une dévaluation massive du #dollar orchestrée par Donald Trump, histoire de faire baisser la valeur de l’énorme #dette_américaine détenue hors des Etats-Unis. Sous le nom de code « accord de Mar a Lago », ce scénario de fiction consiste à faire pression sur le reste du monde, à coups de menaces sur les droits de douane ou la sécurité, afin d’obtenir une appréciation de l’euro ou du yuan. Le vieux sage d’Omaha (Nebraska) est là pour rappeler que les entreprises américaines ont surtout besoin de stabilité. De savoir que, dans le film Fantasia (1940), des Studios Disney, l’apprenti sorcier, c’était Mickey et non Donald, ne rassurera personne.

  • Le tournant historique de Donald Trump à la Maison Blanche : « révolution du bon sens » ou réaction conservatrice ?


    Henry « Enrique » Tarrio, ex-chef de file des Proud Boys, groupe d’extrême droite impliqué dans l’attaque du Capitole en  2021, après sa libération, à Miami, en Floride, le 22  janvier 2025. GIORGIO VIERA / REUTERS

    La grâce accordée par le nouveau président américain aux émeutiers du Capitole, y compris aux plus violents d’entre eux, ainsi que la remise en cause des politiques antidiscrimination illustrent un bouleversement étatique, moral et sociétal.

    Il l’avait annoncé, une majorité d’électeurs l’a voulu : dès les premiers jours de son mandat, Donald Trump conduit un bouleversement étatique, moral et sociétal aux Etats-Unis. Dans son discours inaugural, lundi 20 janvier, il a promis une « révolution du bon sens ». Des termes antinomiques qui dessinent une réaction conservatrice à certaines évolutions récentes de la société américaine, notamment la reconnaissance et la promotion de la diversité sexuelle et raciale. Cette réaction s’accompagne d’une novlangue populiste observée dans d’autres pays, qui remplace les faits par la répétition de slogans.

    Rien ne l’illustre davantage que la grâce présidentielle accordée aux 1 500 émeutiers – « les otages » – du 6 janvier 2021 au Capitole, à quelques exceptions près. L’intention de Donald Trump ne faisait guère de doute. Depuis quatre ans, grâce à des relais médiatiques puissants, il avait promu l’idée que les coupables de cette insurrection étaient des victimes. Mais la décision de gracier aussi les auteurs de violences contre les 140 policiers blessés représente le marqueur le plus fort de ce début de mandat. Selon le site Axios, elle aurait été prise « à la dernière minute », saluée par cette phrase du président, rapportée par un conseiller : « Et puis merde. Relâchez-les tous. »

    Cette décision, critiquée par 58 % des Américains selon un sondage Reuters, a provoqué le trouble chez de nombreux élus républicains au Congrès. Le principal syndicat de policiers – Fraternal Order of Police – s’est ému de cette grâce générale, profitant notamment à 174 personnes condamnées pour avoir agressé les forces de l’ordre avec des objets dangereux voire létaux. Les experts en violences extrémistes s’alarment d’une invitation à la récidive ou au passage à l’acte pour des individus ou des groupes armés se sentant protégés par la bienveillance de la Maison Blanche. « L’Etat de droit est mort », a commenté Michael Fanone, officier de police de Washington ayant défendu le Capitole, sur CNN mercredi.

    [...]

    La ministre de la justice pourra compter sur un nouvel allié à Washington. Donald Trump a choisi Ed Martin, avocat de plusieurs émeutiers du #6_janvier_2021, comme procureur par intérim du district de Columbia (DC). Ed Martin était présent au Capitole le jour de l’assaut. Il avait écrit sur Twitter : « Comme un mardi gras à DC aujourd’hui : amour, foi et joie. »

    https://www.lemonde.fr/international/article/2025/01/23/donald-trump-propose-un-renversement-des-valeurs-a-la-societe-americaine_651

    https://justpaste.it/herdp

    #Trump #extreme_droite #policiers #justice #immigration #minorités #affirmative_action #genre #écologie

    • Donald Trump tente de mettre en place une « présidence impériale » aux Etats-Unis
      https://www.lemonde.fr/international/article/2025/01/22/donald-trump-en-quete-d-un-pouvoir-executif-elargi_6509813_3210.html

      Les premières décisions du nouveau président américain à son arrivée à la Maison Blanche témoignent de la volonté de se soustraire au système de contrôles et de contre-pouvoirs.

      Un paradoxe apparaît déjà à l’aube du nouveau mandat de Donald Trump. Le président des Etats-Unis veut, dans le même mouvement, réduire le périmètre de l’Etat fédéral, en sabrant dans ses effectifs et ses agences, et tester les limites du #pouvoir_exécutif, afin de l’étendre. Si la première mission a été confiée à l’entrepreneur Elon Musk, l’autre volet a été pensé, prémédité, préparé par l’entourage de Donald Trump depuis des mois. Il s’agit d’étendre au maximum ce que l’historien américain Arthur Schlesinger (1917-2007) avait appelé, dès 1973, « la présidence impériale  », se soustrayant de plus en plus au système de contrôles et de contre-pouvoirs.

      La première vague de décrets présidentiels l’a illustré. La Maison Blanche veut politiser la haute fonction publique, bien au-delà des milliers de postes changeant à chaque administration. Elle parle sans arrêt du retour de la « méritocratie », là où elle attend une loyauté à toute épreuve. Elle ouvre aussi des débats juridiques explosifs, amenés à être tranchés par la Cour suprême, dominée par les juges conservateurs.

      Mardi 21 janvier, une vingtaine de procureurs d’Etats démocrates ont déposé deux plaintes distinctes pour contester la volonté de Donald Trump, exprimée dans un décret, de remettre en cause le #14e_amendement de la #Constitution sur le #droit_du_sol. Les conseillers du président, en particulier le chef adjoint de l’administration, Stephen Miller, grand ordonnateur de la nouvelle politique migratoire, veulent supprimer ce droit pour les enfants de sans-papiers. « Le président a largement dépassé le cadre de ses fonctions avec ce décret, et nous lui demanderons des comptes », a expliqué le procureur général de Californie, Rob Bonta, qui veut la suspension immédiate de l’application du décret. Ce n’est que le début d’une gigantesque bataille, à l’issue incertaine.

      « Sceller les frontières »

      L’autre point, concernant la #politique_migratoire, où Donald Trump veut aussi repousser les limites de son pouvoir concerne la mobilisation de l’armée. Plusieurs présidents, dont le démocrate Barack Obama (2009-2017) et le républicain George W. Bush (2001-2009), ont déployé la #garde_nationale pour appuyer les services chargés de policer la frontière. Mais Donald Trump veut élargir cette participation. Il a demandé au Pentagone de lui présenter, sous dix jours, un plan de mobilisation du commandement nord des Etats-Unis (USNORTHCOM) afin de « sceller les frontières ». Les termes flous du décret suggèrent une véritable opération militaire, et non une simple assistance logistique. En outre, Donald Trump n’a pas écarté l’emploi de l’armée au Mexique même pour traquer les cartels.

      Ce flou entretenu dans les termes se retrouve dans un autre décret signé lundi, portant sur « la fin de l’instrumentalisation du gouvernement fédéral ». Il s’agit de l’une des promesses constantes de Donald Trump, de la campagne jusqu’à son discours d’investiture, faite sans jamais éclaircir sa mise en œuvre. Le décret appelle le ministre de la justice et le directeur national du renseignement – postes que devraient occuper Pam Bondi et Tulsi Gabbard, en cas de confirmation au Sénat – à passer en revue les activités de tous les services concernés, au cours des quatre années du mandat de Joe Biden.

      Cet examen pourrait concerner aussi bien les enquêtes sur l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole – donc, une mise en cause possible de l’ex-procureur spécial Jack Smith, des magistrats, de la police fédérale (FBI) – que celles visant directement Donald Trump, comme son inculpation pour la rétention et la dissimulation illégale de centaines de documents classifiés, à Mar-a-Lago, sa résidence en Floride. Un tel décret ouvre un champ possible pour des rétorsions et une vendetta.

      Autre liberté sécuritaire, prise par la Maison Blanche : celle concernant ses propres rangs. Mettant en cause un « processus bureaucratique » et une « habilitation sécurité défaillante », la nouvelle administration a décidé de court-circuiter les vérifications traditionnelles, préalables à l’obtention de laissez-passer permanents. Selon un décret signé par Donald Trump, le conseiller juridique de la Maison Blanche va communiquer aux services secrets une liste, à effet immédiat, de personnes habilitées à accéder au complexe de la Maison Blanche et aux outils informatiques. Ils bénéficieront d’un accès aux informations classifiées de niveau top-secret.

      #frontières

    • Investiture de Donald Trump : l’onde de choc du second mandat confirmée par une série de décrets sur le #climat et l’#immigration
      https://www.lemonde.fr/international/article/2025/01/21/investiture-de-donald-trump-climat-immigration-6-janvier-le-choc-du-second-m

      A peine investi, le nouveau président américain a mis en scène la signature d’un grand nombre de textes, d’abord devant ses militants, puis dans le bureau Ovale.
      Par Piotr Smolar (Washington, correspondant) et Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)
      Publié le 21 janvier 2025

      Donald Trump descend lentement les marches de la Capital One Arena, devant la foule extatique de ses partisans réunis dans l’arène sportive. Il est le 47ᵉ président des Etats-Unis depuis quelques heures, lundi 20 janvier, et porte à la main un classeur noir. Sur la scène, un bureau a été installé avec le sceau présidentiel. C’est là qu’il signe, sous les applaudissements, une série de #décrets_présidentiels dont le contenu est résumé de façon lapidaire par un conseiller. La #mise_en_scène est inédite, entre spectacle sportif et politique, celle d’un nouveau pouvoir hors norme. Montrant à la foule ses premières signatures, Donald Trump a ensuite quitté la scène en lançant des stylos, comme un champion de tennis sur le court frappant les balles de la victoire vers les tribunes.

      Onde de choc, saturation des antennes : ainsi s’est présentée cette première journée du 47ᵉ président, après la cérémonie d’investiture. Depuis des semaines, ses conseillers préparaient l’opinion publique à une rupture nette, par une rafale de décrets présidentiels. Elle a eu lieu. Sur la scène de l’arène, Donald Trump a commencé par révoquer 78 décrets de son prédécesseur, Joe Biden, concernant aussi bien la baisse du prix de certains médicaments, les programmes de lutte contre les discriminations que les sanctions contre certains colons juifs violents en Cisjordanie. Puis il a annoncé – comme en 2017 – un retrait de l’accord de Paris sur le climat. Washington quitte également l’Organisation mondiale de la santé.

      Cette mise en scène relevait du grand art, en matière de #communication_politique. Le leader et son peuple ne faisaient qu’un, sans intermédiaire ni contre-pouvoir. « La nation entière s’unit rapidement derrière notre agenda », avait prétendu le président, au cours de son discours d’investiture. La mise en scène suivante a eu pour cadre le bureau Ovale, peu avant 20 heures. Pendant une interminable séquence, Donald Trump, assis derrière le Resolute desk, a signé les décrets présidentiels suivants, répondant volontiers aux multiples questions des journalistes. « Oh, en voici un gros ! », s’enthousiasmait-il, à l’annonce de certains documents.

      Marqueurs identitaires forts

      Les décrets sont de différentes sortes. Des marqueurs identitaires forts, spécialement adressés à l’électorat trumpiste, étaient au rendez-vous. Il s’agit d’abord d’une grâce présidentielle quasi complète, corrigeant « une grave injustice nationale », pour les plus de 1 500 personnes condamnées pour l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Parmi les bénéficiaires de ce pardon figurent des auteurs de violences contre les 140 policiers blessés ce jour-là. Seuls 14 membres des milices extrémistes armées des Oath Keepers et des Proud Boys ont bénéficié d’une réduction de peine. Le blanchiment d’une insurrection et d’une tentative de coup d’Etat est ainsi achevé. « Ce qui a été fait à ces gens est scandaleux », a estimé Donald Trump, avançant que, dans de nombreux cas, les violences auraient été commises par des « agitateurs extérieurs ». Les coupables sont des victimes, les victimes sont des suspects.

      La priorité assumée, au cœur de ces décrets présidentiels, concerne la question migratoire. La pression à la frontière a baissé de façon très significative depuis des décrets signés par Joe Biden, en juin 2024. Le nombre d’interpellations de clandestins dans la seconde moitié de l’année a diminué de plus de 70 % par rapport à la même période en 2023. Au cours de l’année fiscale 2024, le département de la sécurité intérieure a organisé près de 700 000 reconduites à la frontière et expulsions, un chiffre sans précédent depuis 2010. Mais toute la campagne de Donald Trump a reposé sur l’idée centrale d’une invasion incontrôlée pendant quatre ans.

      Elle justifie, selon le président, une déclaration d’état d’urgence nationale et la désignation des cartels mexicains comme organisations terroristes. Elle implique des mesures pratiques et opérationnelles, comme la fin du programme d’admissions légales pour deux ans, sous conditions de ressources financières, mis en place avec Cuba, le Venezuela, Haïti et le Nicaragua.
      L’administration annonce son intention de finir la construction du mur à la frontière avec le Mexique, de déployer l’armée – notamment la garde nationale – dans cette zone frontalière. L’armée a déjà été largement sollicitée depuis dix ans par les administrations successives, mais uniquement dans des missions logistiques, en soutien de la police aux frontières. Un élargissement de ses missions – « sceller les frontières et préserver la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité » – risque d’être contesté sur-le-champ devant les tribunaux.

      Remise en cause du droit du sol

      D’autres mesures, censées illustrer la rupture en matière migratoire, peuvent aussi se heurter aux limites de cet unilatéralisme de l’exécutif. La réhabilitation annoncée de la politique « remain in Mexico », impliquant que les candidats à l’asile restent au Mexique avant l’examen de leur dossier par la justice américaine, réclame au préalable la pleine coopération des autorités de ce pays. Sans cela, aucune inversion possible des flux. Sans cela, impossible, également, de rétablir le « Title 42 », ces dispositions du code sanitaire, adoptées sous Trump 1, qui permettaient de reconduire à la frontière les migrants sans qu’ils puissent déposer une demande d’asile. Certains membres de l’équipe Trump envisagent des accords d’expulsion vers des pays tiers et non vers celui d’origine des sans-papiers, sur le modèle de celui, très controversé et onéreux, qu’avait conclu, en 2022, le Royaume-Uni avec le Rwanda, sans jamais pouvoir l’appliquer.

      Le dernier point phare des décrets présidentiels concerne la mise en cause du droit du sol. Il s’agit d’une ambition ancienne de la droite nationaliste, obsédée par l’idée raciste d’un « grand remplacement » de la population blanche par les migrants. Lundi soir, Donald Trump a qualifié une nouvelle fois ce droit du sol de « ridicule », prétendant à tort que son pays était le seul à l’appliquer. Un étrange adjectif pour qualifier le 14ᵉ amendement de la Constitution américaine. Ratifié en 1868, il accorde la citoyenneté américaine à toute personne « née ou naturalisée aux Etats-Unis ». L’équipe Trump, qui se prépare à une lutte judiciaire jusqu’à la Cour suprême, veut réinterpréter les termes de cet amendement, pour supprimer l’automaticité dans le cas d’enfants nés de parents en situation irrégulière.

      La vague de décrets présidentiels porte également sur l’#énergie et l’#environnement. Aucun droit de douane n’a été décidé, alors que Donald Trump avait menacé dans sa campagne d’imposer 10 % de prélèvement sur toutes les importations et 60 % sur celles en provenance de Chine. « Au lieu de taxer nos citoyens pour enrichir d’autres pays, nous imposerons des droits de douane et des taxes aux pays étrangers pour enrichir nos citoyens », a déclaré Donald Trump dans son discours d’investiture. Mais aucun décret n’a suivi, si ce n’est une étude sur la politique commerciale américaine et l’annonce de la création d’une agence chargée de collecter des droits de douane (External Revenue Service), par opposition à l’Internal Revenue Service (IRS), qui collecte l’impôt sur le revenu.

      Ce sursis a d’abord soulagé les marchés financiers, qui sont remontés. Toutefois, Donald Trump a douché cet optimisme en semblant envisager l’introduction d’une taxe de 25 %, dès le 1ᵉʳ février sur les produits importés du Mexique et du Canada. Le président met en cause ces pays en raison d’abus supposés dans les échanges commerciaux et du trafic de fentanyl, drogue faisant des ravages aux Etats-Unis. Cette menace avait déjà été formulée en décembre 2024. La Bourse a dès lors baissé, et le dollar s’est raffermi.

      La politique fiscale, grande absente

      M. Trump n’a pas exclu d’imposer, à terme, des droits de douane sur toutes les importations, mais il a précisé qu’il n’était pas prêt. En réalité, deux écoles s’affrontent au sein de ses équipes : les partisans des droits généralisés et ceux qui préfèrent des tarifs ciblés sur certains produits stratégiques (la défense, la pharmacie et les minerais). Surtout, le nouveau président semble vouloir les utiliser dans des négociations globales, tout particulièrement avec la Chine. Il a réitéré son souhait de rencontrer son homologue Xi Jinping.

      Quant à TikTok, il a donné un sursis de soixante-quinze jours à l’application qui devait être bannie des Etats-Unis le 19 janvier. « Si je ne conclus pas l’accord, cela ne vaut rien. Si je conclus l’affaire, cela vaut peut-être 1 milliard de dollars [960 millions d’euros] », a commenté Donald Trump, en proposant un accord léonin. Il suggère de donner gratuitement la moitié de la propriété du réseau social à des intérêts américains en échange de sa signature. Enfin, les Européens ont été invités à réduire leurs déficits ou à acheter plus d’hydrocarbures américains.

      Autre absent de la journée, la politique fiscale, alors que les baisses d’impôts font partie des promesses essentielles de Donald Trump. Mais cette dernière est du ressort du Congrès. Le président a simplement évoqué la non-taxation des pourboires, dans un meeting en fin de soirée. Toutefois, des décrets commencent à mettre en œuvre les préconisations d’Elon Musk, chef du bureau de réduction des dépenses du gouvernement. Plusieurs décrets ont exigé « un gel immédiat des réglementations », le « gel des embauches » et la fin du télétravail pour les fonctionnaires fédéraux.

      En revanche, M. Trump a invoqué l’inflation, un poison pour la présidence Biden. « Je demanderai à tous les membres de mon cabinet de mobiliser les vastes pouvoirs à leur disposition pour vaincre ce qui était une inflation record et faire baisser rapidement les coûts et les prix », a-t-il déclaré. Sauf que l’inflation, qui avait atteint un record annuel de 9,1 % en juin 2022, est retombée à 2,9 %. Les experts estiment que les expulsions de la main-d’œuvre étrangère et les droits de douane pourraient la ranimer.

    • « Si Trump essaie de faire baisser le dollar, qu’est-ce qui pourrait mal tourner ? », Barry Eichengreen, Economiste
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/01/22/si-trump-essaie-de-faire-baisser-le-dollar-que-pourrait-il-se-passer-de-mal_

      L’une des idées politiques les plus étonnantes aux Etats-Unis ces derniers temps est que le nouveau président américain, Donald Trump, et son équipe envisageraient de faire activement baisser le dollar dans le but de stimuler la compétitivité des #exportations_américaines et de réduire le #déficit_commercial. Si Trump essaie, réussira-t-il ? Et que pourrait-il se passer de mal ?

      La méthode la plus brutale consisterait à s’appuyer sur la Réserve fédérale (Fed) pour assouplir la politique monétaire. Trump a certes renoncé à remplacer le président de la Fed, Jerome Powell, mais il pourrait pousser le Congrès à modifier la loi sur la Réserve fédérale pour amoindrir son indépendance. Le taux de change du dollar s’affaiblirait considérablement, le but recherché. Mais une politique monétaire plus souple entraînerait une accélération de l’inflation, ce qui neutraliserait l’impact de la baisse du taux de change du dollar. Il n’y aurait aucune amélioration de la compétitivité américaine.

      Autre voie possible : le département du Trésor pourrait utiliser la loi fédérale International Emergency Economic Powers Act pour taxer les détenteurs officiels étrangers de titres du Trésor, en retenant une partie de leurs paiements d’intérêt. Cela dissuaderait les banques centrales étrangères d’accumuler des réserves en dollars, ce qui ferait baisser la demande de billets verts. Problème : réduire la demande de bons du Trésor américain pour affaiblir le dollar ferait aussi grimper les taux d’intérêt. Par ailleurs, le risque de voir les investisseurs étrangers surréagir et liquider entièrement leurs avoirs en dollars n’est pas à exclure.

      Plus classiquement, le Trésor pourrait aussi utiliser les dollars de son fonds de stabilisation des changes pour acheter des devises. Mais augmenter l’offre de dollars de cette manière serait inflationniste. La Fed réagirait donc en retirant ces mêmes dollars des marchés, et stériliserait ainsi l’opération.

      Le prix à payer

      Enfin, il est question d’un accord, à Mar-a-Lago (Floride), entre les Etats-Unis, la zone euro et la Chine, faisant écho aux accords du Plaza signés dans les murs du célèbre hôtel new-yorkais, en 1985, pour s’engager dans des ajustements politiques coordonnés afin d’affaiblir le #dollar. Complétant les mesures prises par la Fed, la Banque centrale européenne et la Banque populaire de Chine augmenteraient alors leurs taux d’intérêt. Les gouvernements chinois et européens pourraient également intervenir sur le marché des changes, en vendant des dollars. Pour les convaincre, Trump pourrait agiter la menace des droits de douane, tout comme Richard Nixon avait utilisé une surtaxe à l’importation pour contraindre d’autres pays à réévaluer leur monnaie en 1971, ou comme le secrétaire au Trésor James Baker a invoqué la menace du protectionnisme pour sceller les accords du Plaza.

      En 1971, cependant, la croissance en Europe et au Japon était forte, de sorte que la hausse de leurs devises ne posait pas de problème. En 1985, c’est l’inflation, et non la déflation, qui constituait le danger immédiat, prédisposant l’Europe et le Japon à un resserrement monétaire. En revanche, la zone euro et la Chine sont actuellement confrontées au double spectre de la stagnation et de la déflation. Dans ce scénario, elles devront donc mettre en balance le danger d’un resserrement monétaire pour leurs économies et les dommages causés par les droits de douane de Trump.

      Face à ce dilemme, l’#Europe céderait probablement et accepterait une politique monétaire plus stricte comme prix à payer pour faire reculer Trump sur les droits de douane et préserver la coopération avec les Etats-Unis en matière de sécurité. En revanche, la Chine, qui considère les Etats-Unis comme un rival géopolitique, prendrait probablement la direction opposée. Ainsi, un supposé « accord de Mar-a-Lago » dégénérerait en un accord bilatéral américano-européen, qui ferait peu de bien aux Etats-Unis tout en causant un tort considérable à l’Europe.

      Barry Eichengreen est professeur d’économie et de sciences politiques à l’université de Californie à Berkeley. © Project Syndicate, 2025.

    • « Mettre les tarifs douaniers à 20 % est une très mauvaise idée, qui pénalisera les Etats-Unis » : la réponse des deux économistes auxquels la Maison Blanche s’est référée
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/01/23/mettre-les-tarifs-douaniers-a-20-est-une-tres-mauvaise-idee-qui-penalisera-l

      Pour justifier le projet trumpiste d’instaurer des droits de douane élevés, Stephen Miran, chef des conseillers économiques de Donald Trump, s’est appuyé sur les travaux des chercheurs Arnaud Costinot (MIT) et Andres Rodriguez-Clare (Berkeley). A la demande du « Monde », ces deux économistes ont accepté de lui répondre par le biais de cette tribune.

      La future administration Trump se prépare à imposer des tarifs substantiels sur toutes les #importations aux #Etats-Unis. Le nouveau secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a invoqué l’argument du « tarif optimal » pour justifier une telle décision. Le nouveau président du Council of Economic Advisers, l’organisme de conseil économique de la Maison Blanche, Stephen Miran, citant nos propres travaux, propose 20 % comme « référence » pour le tarif optimal américain. Nous pensons que c’est une très mauvaise idée.

      L’argument du tarif optimal n’est pas nouveau. Il est presque aussi ancien que le célèbre plaidoyer de l’économiste britannique David Ricardo [1772-1823] en faveur du libre-échange. Il repose sur l’idée que les pays disposent d’un pouvoir de marché et qu’ils peuvent en tirer profit. Tout comme une grande entreprise peut augmenter ses profits en manipulant la quantité qu’elle vend à ses consommateurs et qu’elle achète à ses fournisseurs, un grand pays peut s’enrichir en manipulant le volume de ses exportations et importations et, in fine, leurs prix. Les taxes à l’importation et à l’exportation sont les outils pour atteindre cet objectif, les tarifs à l’importation étant bien plus courants que les taxes à l’exportation pour diverses raisons économiques et politiques.

      Pour comprendre comment fonctionne l’argument du #tarif_optimal, supposons que le gouvernement américain impose un tarif douanier sur le vin français. Toutes choses étant égales par ailleurs, les consommateurs américains font alors face à des prix plus élevés et réduisent leur demande. Cela pourrait exercer une pression à la baisse sur les prix auxquels les producteurs de vin français seraient disposés à vendre, générant ainsi des gains pour les Etats-Unis, qui pourraient avoir accès à du vin de Bordeaux et à d’autres terroirs français à prix réduit à la frontière, même si les consommateurs américains paieraient toujours un prix plus élevé en magasin en raison du tarif ajouté.

      Outil pédagogique

      Les grands pays, comme les Etats-Unis, disposent d’un certain pouvoir de marché. Ce qui est moins clair, c’est de savoir à quel point. Cela dépend de plusieurs facteurs, difficiles à mesurer. Par exemple, le pouvoir de marché dépend de la facilité avec laquelle les exportateurs étrangers peuvent trouver des marchés alternatifs pour écouler leur production. Si les viticulteurs français ne peuvent plus vendre librement leurs produits aux consommateurs américains, peuvent-ils les vendre aux Allemands ou aux Chinois ? Si oui, le prix des vins français ne changera pas beaucoup et le tarif douanier optimal devrait être plus faible.
      En outre, le succès ou l’échec de l’exercice du pouvoir de marché ne peut être évalué uniquement à partir de l’impact des tarifs sur les prix des importations américaines. L’objectif ultime d’un tarif optimal est d’enrichir les Etats-Unis en abaissant le prix de ce qu’ils achètent (par exemple, du vin français) par rapport à ce qu’ils vendent (par exemple, des Tesla). Cela ne peut être évalué sans prendre en compte l’impact des tarifs sur les prix des exportations américaines. Ces prix pourraient augmenter si les tarifs provoquent une appréciation du dollar américain – dans ce cas, le tarif optimal devrait être plus élevé.

      L’incertitude autour de ces facteurs ouvre la porte à des tarifs différents en fonction du modèle économique choisi. Le chiffre de 20 %, tiré de notre propre étude, n’est qu’une « référence » dans la mesure où il provient du modèle économique le plus simple possible. Cela en fait un excellent outil pédagogique, mais pas un guide utile pour la politique publique.

      De nombreuses questions, en économie, sont difficiles. Celle de savoir quel est le #pouvoir_de_marché des Etats-Unis en fait partie. Nous avons assisté à de nombreux séminaires animés sur les mérites et les limites de divers modèles économiques et estimateurs économétriques conçus pour répondre à cette question. Nous ne pensons pas que ces séminaires deviendront moins animés dans les années à venir.

      Le « dilemme du prisonnier »

      Heureusement, chercher à savoir quel est le pouvoir de marché des Etats-Unis est aussi la mauvaise question à poser. D’un point de vue académique, il est intéressant de comprendre pourquoi, en l’absence de règles et d’institutions internationales, un pays peut avoir intérêt à exploiter son pouvoir de marché en adoptant des politiques protectionnistes. D’un point de vue politique, cependant, ces considérations donnent une image trompeuse et incomplète de l’impact des tarifs américains. La raison en est la riposte étrangère.

      L’argument du tarif optimal suppose que, lorsque les étrangers font face à des barrières commerciales plus élevées aux Etats-Unis, ils restent passifs, s’appauvrissent et n’imposent pas leurs propres #droits_de_douane sur les biens américains. Cela n’arrivera pas.

      Les membres de la nouvelle administration Trump sont conscients de la possibilité d’une riposte étrangère. Mais ils conçoivent les tarifs comme un « jeu de la poule mouillée ». A condition que les Etats-Unis s’engagent à maintenir des tarifs douaniers élevés, ils pensent que les étrangers choisiront de maintenir à leur faible niveau leurs propres tarifs, par crainte d’entrer dans une #guerre_commerciale coûteuse. Cependant, ce jeu est la mauvaise métaphore pour décrire les guerres commerciales.

      Les guerres commerciales s’apparentent davantage à un « dilemme du prisonnier ». Des cambrioleurs sont arrêtés, mais aucune preuve ne les incrimine. Si tous se taisent, ils s’en sortent. Pourtant, au lieu de rester silencieux, les prisonniers sont toujours tentés de témoigner contre leurs partenaires en échange d’une peine plus légère. Mais, ce faisant, ils finissent tous par purger une peine plus longue. De même, les pays ayant un certain pouvoir de marché à exploiter ont intérêt à augmenter leurs barrières commerciales, quelle que soit l’attitude des autres. Le problème est que, lorsqu’ils le font tous, aucun d’entre eux ne parvient à rendre ses importations moins chères : ils finissent tous par s’appauvrir.

      Pulsions protectionnistes

      A maintes reprises, nous avons vu des pays riposter aux tarifs douaniers américains. En 1930, le Canada a répondu au Smoot-Hawley Tariff Act en imposant des tarifs sur les biens américains avant même que la loi n’entre en vigueur. En 2018 et en 2019, la Chine a répondu à chaque vague de tarifs de la première administration Trump en ciblant 100 milliards de dollars [96 milliards d’euros] d’exportations américaines. Cette semaine, le Canada a annoncé qu’il préparait déjà des tarifs de rétorsion sur le whisky du Tennessee et le jus d’orange de la Floride. Le Mexique et l’Union européenne ont fait des annonces similaires.
      Le système commercial mondial qui a émergé après la seconde guerre mondiale a été conçu précisément pour contrôler les pulsions protectionnistes des pays et éviter de répéter les guerres commerciales des années 1930. Il a permis de maintenir une coopération commerciale pendant des décennies.

      L’économie mondiale a changé. La #Chine a émergé comme une nouvelle puissance hégémonique. Il est naturel que la politique économique évolue et s’adapte à ces nouvelles circonstances. Mais les tarifs ne sont pas l’outil puissant capable de résoudre tous les problèmes, contrairement à ce que croit la nouvelle administration Trump. Retenir sa domination dans les secteurs de la haute technologie, regagner une place dans les nouveaux secteurs verts, et restaurer la prospérité dans les régions en difficulté, pour ne citer que quelques objectifs, sont des priorités essentielles pour les années à venir. Une politique économique plus riche et diversifiée est nécessaire, avec les tarifs jouant au mieux un rôle auxiliaire.

      Poursuivre une politique de hausse des tarifs mènerait probablement à une nouvelle guerre commerciale mondiale. Ses conséquences, malheureusement, ne sont pas difficiles à prévoir : moins de commerce et, surtout, moins de coopération internationale sur les grands enjeux de notre époque que sont la guerre, la pauvreté et le changement climatique.

      Arnaud Costinot est professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT) ;
      Andres Rodriguez-Clare est professeur d’économie à l’université de Californie à Berkeley.

      Arnaud Costinot et Andres Rodriguez-Clare, deux spécialistes du commerce international

      Pendant sa campagne, le candidat Donald Trump a proposé de faire passer les droits de douane de 2 % à 20 % (et trois fois plus pour les produits chinois). La quasi-totalité des économistes de la planète, horrifiés, ont pronostiqué un retour de l’#inflation aux Etats-Unis, voire une spirale de représailles destructrice pour tous les pays. Mais pourquoi 20 % ? Parce qu’un économiste trumpiste, Stephen Miran, l’a présenté comme le « tarif optimal » pour enrichir les Etats-Unis. Ce docteur en économie de Harvard de 41 ans, ayant fait sa carrière sur les marchés financiers, a été nommé depuis président du conseil économique (Council of Economic Advisers) à la Maison Blanche. En novembre 2024, il avait publié un rapport pour Hudson Bay Capital, dans lequel il défendait la thèse des 20 %, qu’il suggérait de coupler à une #dépréciation_du_dollar. Une telle politique permettrait, selon lui, de « remodeler fondamentalement les systèmes commerciaux et financiers mondiaux ».

      Dans son rapport, Miran se référait aux recherches d’Arnaud Costinot, du Massachusetts Institute of Technology, et d’Andres Rodriguez-Clare, de l’université de Californie à Berkeley : « A titre de référence, le chapitre du Handbook of International Economics de Costinot et Rodriguez-Clare (2014) indique que le tarif optimal pour les Etats-Unis (…) est d’environ 20 %. En effet, tant que les tarifs ne dépassent pas 50 %, ils continuent d’améliorer le bien-être par rapport à un commerce totalement ouvert. »

      Le Monde a contacté les auteurs, deux spécialistes du commerce international, qui contestent cette interprétation. Dans leur étude, écrivent-ils dans le texte qu’ils ont adressé au journal, le chiffre de 20 % est purement théorique : il « provient du modèle économique le plus simple possible. Cela en fait un excellent outil pédagogique, mais pas un guide utile pour la politique publique ». Et, à les lire, ce tarif est parfaitement inadapté pour les Etats-Unis d’aujourd’hui.

      L’article de 2014 de Costinot et Rodriguez-Clare (« Trade Theory with Numbers : Quantifying the Consequences of Globalization ») , considéré comme important dans la communauté des spécialistes du commerce, s’employait à mesurer finement les gains du #commerce_international. A noter qu’Arnaud Costinot, 47 ans, est français. Polytechnicien, originaire de Dunkerque, il s’est très tôt intéressé aux problèmes redistributifs que pose le commerce international, qui fait des gagnants, mais aussi des perdants au sein de chaque pays.

  • Assurance chômage : les intermittents du spectacle dans le viseur du Medef
    https://www.latribune.fr/economie/france/assurance-chomage-les-intermittents-du-spectacle-dans-le-viseur-du-medef-1

    Le document patronal suggère de relever le nombre minimal d’heures travaillées par les intermittents du spectacle pour pouvoir bénéficier d’une #allocation_chômage de 507 heures sur les 12 derniers mois, à 580 heures pour les artistes, et 610 heures pour les techniciens. Les #intermittents du spectacle étant par la nature de leur activité plus fréquemment au #chômage que les autres salariés, leur branche profite plus des allocations qu’elle n’y contribue, et fait régulièrement l’objet de critiques en raison de son coût élevé pour l’assurance chômage.

    Pour rappel, le dernier accord sur l’assurance chômage signé en novembre 2023 avait prévu le maintien des règles d’indemnisation que le patronat voulait déjà initialement durcir. Chaque année, les 130.000 intermittents du spectacle occasionnent un #déficit à l’#Unedic - dont l’équilibre financier est bon - de près de 950 millions d’euros.

  • « PIX+ données » : compétences et culture de la donnée et de l’intelligence artificielle
    https://spote.developpement-durable.gouv.fr/offre/pix-donnees-competences-et-culture-de-la-donnee-et-

    PIX + Données est une nouvelle offre de parcours PIX conçue sur la thématique de la production, de la diffusion, de la protection et de l’utilisation des données dans un cadre (...)

    / mise à jour le 10 octobre 2024

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    #Offre_ouverte_à_l'interministériel,

    #gestion_et_analyse_des_données,

    #Accompagner_la_transformation,

    #Définir_et_piloter_la_politique_Donnée,

    #Offre_de_formation

  • #Féminisme. #Boycotter_les_hommes ? Après la victoire de Trump, le mouvement sud-coréen “#4B” gagne du terrain aux États-Unis

    Le mouvement sud-coréen préconise le refus de sortir avec des hommes et d’avoir des #relations_sexuelles avec eux, de se marier et de d’avoir des enfants de manière hétérosexuelle. Les recherches sur Internet à ce sujet ont bondi outre-Atlantique depuis le scrutin du mardi 5 novembre, et l’on a vu apparaître un hashtag dédié sur les réseaux sociaux.

    Après la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine, “qui a été alimentée par les électeurs masculins et qui, pour beaucoup, a ressemblé à un référendum sur les droits reproductifs”, certaines jeunes Américaines parlent de boycotter les hommes, rapporte NPR.

    L’idée, explique la radio américaine, vient du mouvement sud-coréen connu sous le nom de “4B”, ou des quatre “#non” (bi signifie “pas” en coréen). Il préconise le refus de sortir avec des hommes (#biyeonae), d’avoir des relations sexuelles avec des hommes (#bisekseu), de se marier de manière hétérosexuelle (#bihon) et de donner naissance à des enfants (#bichulsan).

    L’intérêt pour le mouvement 4B s’est accru aux États-Unis dans les jours qui ont suivi le scrutin du mardi 5 novembre, avec un pic des recherches sur Google et l’apparition du hashtag sur les réseaux sociaux.

    #Autoprotection

    Ce “mouvement féministe radical”, comme le décrit le New York Times, a commencé à prendre de l’ampleur en #Corée_du_Sud en 2019, “à une époque où les #femmes étaient confrontées aux #disparités de longue date en matière de #droits_des_femmes dans leur pays”, et il “s’est encore intensifié lors des élections de 2021 dans ce pays”.

    Aux États-Unis, des femmes commencent à adopter de telles idées sur Internet, “dans un geste de #défi et d’autoprotection”, constate le journal, qui considère toutefois qu’il est encore “trop tôt pour savoir dans quelle mesure une telle position pourrait devenir populaire”.

    “Il est temps de fermer votre utérus aux hommes”, explique un post sur X devenu viral, relayé par NPR. “Cette élection prouve plus que jamais qu’ils nous détestent et nous détestent fièrement. Ne les récompensez pas.”

    https://www.courrierinternational.com/article/feminisme-boycotter-les-hommes-apres-la-victoire-de-trump-le-
    #mariage #parentalité #boycott

    • Inside the growing ’4B’ movement empowering women after Trump’s win

      A feminist crusade has emerged online in a bold response to Donald Trump’s election and the rollback of reproductive rights in the U.S—and it’s taking inspiration from South Korea’s radical "4B” movement.

      It’s a movement born from anger, frustration, and a deep sense of betrayal prompting women to say “no” to everything relating to men: sex, marriage, childbirth, and dating. This refusal to engage with a male populace set on taking away women’s bodily autonomy is a political statement and demand for equality that refuses to be ignored.

      “No matter how loud, how kind, how respectful, how cute, men will still fucking hate you,” said a TikTok user in a compilation video showing women online preparing to adhere to 4B in America.

      And why are American women taking action? Because in Tuesday’s election, a majority of Gen Z men, or “podcast bros,” cast their votes for Trump—a man whose handpicked conservative Supreme Court majority stacked the deck against women’s rights and overturned Roe v. Wade. The president-elect is also a textbook misogynist who used sexist language in the weeks leading up to the election when he said he’d “protect” women “whether they like it or not.” He is a serial adulterer who was also found liable for sexual abuse and has been accused of assault by dozens of others—and American women have had enough.

      With mounting solidarity, they are banding together (with some even shaving their heads in protest so as not to appeal to the male gaze) to adopt the 4B strategy: no more children, no more marriages, no more dating men until women’s rights are restored.

      Late on Election Day, when it was clear Trump had won his latest bid for president, 26-year-old white nationalist Nick Fuentes posted a short and infuriating statement on X: “Your body, my choice. Forever.”

      Fuentes, who dined with Trump at Mar-a-Lago, later went on his show “America First” and said to his 113,000 followers, “Hey bitch! We control your bodies. Guess what? Guys win again, okay? Men win again.”

      This comes after reports by ProPublica of women like Amber Thurman and Josseli Barnica dying preventable deaths due to being turned away from hospitals in states with abortion bans.

      On TikTok, women have been airing their rage, grief, and disappointment in powerful waves of shared emotion. Within 48 hours after Trump’s victory over Vice President Kamala Harris, the “4B movement” hashtag started trending. Women joining the movement refuse to let their bodies be used as bargaining chips in a patriarchal society.

      This moment isn’t just about a loss of rights: It’s a reclamation of power.
      American women taking cues from South Korea

      The “4B” comes from South Korea, where women decided to protest gender-based violence and a large wage gap by saying “no” to four B’s: biyeonae (dating men), bisekseu (sex with men), bihon (marrying men), and bichulsan (childbirth), according to CBS News. The movement has contributed to a plummeting birth rate in the country, according to The New York Times.

      TikToker Mrs. Sallee shared her raw feelings with followers, her voice trembling with emotion.

      “I just looked up what the 4B movement is, and I literally fell to the ground crying,” she said. “I cannot believe that that was something that had to be done and that now we’re at rock bottom, and this is where we are at. I feel like I’m living in a different world today. This is so heartbreaking.”

      Social media influencer Drew Afualo, known for her bold feminist takes, weighed in on South Korea’s 4B campaign during an interview on the podcast “Soul Boom” with actor Rainn Wilson.

      “It turns out women are a lot more essential than you would think, than men believe them to be, because now the government is panicking,” she said. “They’re like, ‘What are we gonna do? We’re gonna die out unless women decide to start having kids again!’ And women are refusing until they are awarded the exact same rights and respect that men are awarded in this society.”

      Although a sex strike is novel in the U.S., Carrie Reiling, assistant professor of political science at Washington College, said it’s “part of a long history of sex strikes to achieve a particular political goal.”

      “What is different about the 4B movement is the inclusion of not dating men, rather than simple refusal to have sex with men, which was the focus of many of the other movements,” Reiling said.

      “The question for these women is if their goal is concrete enough to achieve anything. Will the connection between saying ‘no’ to men and their political aims be clear enough?” she asked. “While a 4B movement might draw attention and jumpstart a conversation about new feminist activist goals, women joining such a movement should ensure that their anger is not just toward men. They should also ask what compels women to vote this way and if a 4B movement can lead to progress on this front as well.”
      An epidemic of lonely—and violent—men

      Long before “podcast bros,” the conservative male digital sphere had coined language for how men see themselves and how they relate to women.

      The term “incel” took flight in 2016, becoming the popular identifier for chronically online young men on the far-right who frequented message boards and platforms like Reddit, 4chan, and Twitter. The term is short for “involuntary celibate,” meaning men who do not choose to be celibate but are forced to because women won’t date or sleep with them. Other stereotypes like “Chads” (popular men who get lots of female attention) and “Stacys” (unattainable women who only date Chads) emerged out of this period.

      Incels have since been linked to mass violence and terrorism. Fuentes is the evolution of the incels, now unafraid of voicing their abhorrent, sexist views because they feel emboldened by the nation’s newly elected leaders.

      In 2017, Surgeon General Vivek Murthy wrote about an American “loneliness epidemic” in the Harvard Business Review. Later, Boston Globe columnist Billy Baker wrote the book, “We Need to Hang Out,” on male loneliness. In 2023, a New York Times article urged young people under 30 to “have more sex” as they were the most sexless generation in U.S. history. An NPR piece walked men through how to make friends.

      The upshot: Men are lonely—and this has made them vulnerable to becoming radicalized.

      This all points to a disconnected, lonely, and socially awkward generation of Gen Z and millennial men who find Trump and Vice President-elect JD Vance’s simplistic masculinity and alpha male posturing appealing. Harris’ running mate, Minnesota Gov. Tim Walz, tried to appeal to this group by showing a more evolved version of masculinity, with little success.

      While women are just as likely to struggle with loneliness, they are used to fighting to find their place in a world that wants to shape them into their version of acceptable. Because women know how to build community for their well-being and survival, they’re built for times like these.

      In another powerful show of solidarity, “blue bracelet” started trending on TikTok. White women are running to craft stores to make and wear blue friendship bracelets, distinguishing themselves from Trump-supporting MAGA women to signal their support to women of color. It’s a move grounded in the real risk of being identified as perhaps a “fellow traveler” in a climate that’s increasingly hostile and unsafe to marginalized groups. For many, these bracelets are more than just a symbol: They’re a lifeline.

      “I think many women are at a loss for what to do, and are absolutely dismayed and betrayed by men who chose their wallet, or who knows what, over a women’s right to choose,” said Samantha Karlin, founder of Empower Global.

      Karlin has spearheaded a female leadership workshop in Washington, D.C.

      “I teach a concept called the locus of control—many things are outside of your control that can give you anxiety—and the election results certainly are causing many women to feel completely out of control,” she said. “Choosing to abstain from sex, dating, marriage—those are all things an individual can control, even if the country voted for a sexual predator, canned three abortion resolutions, and decided, again, a woman shouldn’t be president.”

      The 4B and blue bracelet movements aren’t about what women are withholding, but what they’re demanding—like safety, equality, and respect. And if the respect isn’t willingly given, women will emulate the many political movements that came before and mobilize to create it for themselves.

      https://www.dailykos.com/stories/2024/11/10/2284042/-Inside-the-growing-4B-movement-empowering-women-after-Trump-s-win

  • Le #contre-budget du #NFP ferait mieux que le budget de Barnier pour réduire le #déficit

    L’économiste #Anne-Laure_Delatte détaille l’#impact macroéconomique du contre-budget présenté par le NFP et démontre qu’il serait plus efficace pour réduire le déficit que celui proposé par le gouvernement.

    Dans leurs prévisions de croissance les plus récentes, les économistes de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) estiment que la croissance française, en 2025, serait divisée par deux si le budget déposé par le gouvernement Barnier était adopté en l’état.

    Plus précisément, leurs calculs aboutissent à un effet récessif de 0,8 point de PIB, une prévision proche de celle de 0,6 point de PIB (Produit intérieur brut) que j’ai présentée ici récemment. Cette réduction de l’activité serait accompagnée d’une suppression de 130 000 emplois, selon la même prévision. La décision de couper les dépenses publiques – tout en augmentant les prélèvements – a donc un coût social important.

    Sur les plateaux, dans les journaux, les intervenants répètent à l’envi que nous n’avons pas le choix : notre pays est endetté jusqu’au cou, il faut en passer par là pour réduire le déficit. Même quand il est établi que la dégradation budgétaire est en grande partie due à la baisse des prélèvements obligatoires depuis 2017 ? Oui, nous n’aurions pas le choix !

    Remettre en question cette affirmation est très difficile, voire inaudible : on passe pour un·e idéologue ou un·e irréaliste. Comme toujours, quand un récit s’installe aussi bien, il est utile de l’éprouver : existe-t-il une alternative moins douloureuse et crédible ?

    C’est précisément ce qu’affirme le Nouveau front populaire (NFP), qui a présenté sa propre stratégie budgétaire le 9 octobre 2024. Qu’est-ce qui diffère de celle du gouvernement Barnier ? Aurait-elle eu un coût social et des effets sur l’activité différents ?
    Différence de philosophie

    Comme le gouvernement, le NFP compte lever de nouvelles recettes. Mais dans une plus grande mesure, puisqu’elles sont chiffrées à 49 milliards d’euros, contre 30 pour le Projet de loi de finances (PLF) 2025. Au-delà des montants, leurs stratégies divergent.

    La dissemblance majeure tient à l’usage des recettes : « Grâce aux mesures fiscales [proposées], notre pays serait en mesure de réduire le déficit tout en augmentant immédiatement les investissements dans les services publics et les secteurs d’avenir », dit le document.

    Le NFP consacre donc une partie des 49 milliards à réduire le déficit budgétaire et le reste à financer des dépenses publiques dites d’avenir. La philosophie est très différente de celle du gouvernement Barnier, qui est centrée sur la simple réduction du déficit, au prix d’effets récessifs significatifs (la moitié de la croissance). A l’inverse, le contre-budget du NFP prévoit une augmentation des dépenses publiques. Comment est-ce que cela peut réduire le déficit public ? Est-ce soutenable ?

    Pour y répondre, je reprends la même méthodologie que précédemment, basée sur les multiplicateurs budgétaires de chaque mesure envisagée. Le tableau ci-dessous présente les mesures du contre-budget NFP et les traduit en impulsions budgétaires.

    Les lecteurs et lectrices intéressées trouveront les détails des mesures fiscales dans le document du NFP, mais pour cet exercice, on peut retenir trois grandes sources de recettes fiscales.

    Il y a d’abord la suppression d’exonérations de cotisations sociales (pour les salaires au-dessus de deux fois le Smic) et d’une partie du crédit impôt recherche (CIR). Ce bloc rapporterait 11 milliards d’euros par an. Viennent ensuite les différentes taxes sur le capital (ISF vert, suppression du prélèvement forfaitaire unique (PFU), taxation de l’héritage et des superprofits), qui généreraient 29,5 milliards d’euros par an. Enfin, un dernier bloc comprenant la réforme de la taxe sur les transactions financières, de la taxe solidarité avion et de la fiscalité des collectivités locales, rapporteraient 8,5 milliards d’euros chaque année. En tout, les recettes supplémentaires sont donc chiffrées à 49 milliards d’euros. Combien sont consacrés à réduire le déficit et combien à augmenter les dépenses publiques ?

    Comme le communiqué du NFP ne donne pas de détail, on peut se baser sur les nouvelles règles européennes qui exigent une réduction annuelle du déficit de 0,6 point de PIB, c’est-à-dire 18 milliards d’euros. Il resterait donc 31 milliards d’euros (soit un point de PIB) pour les dépenses d’avenir.

    Pour simuler les effets d’une telle impulsion, comme précédemment, j’utilise les multiplicateurs budgétaires et fiscaux issus du modèle Mésange développé par l’Insee et le Trésor (Bardaji et al. 2017), que je complète avec un multiplicateur issu du modèle de l’OFCE (impôt sur les sociétés). Ils sont présentés ci-dessous.

    Les deux colonnes présentent les effets en 2025 et 2026. Comme précédemment, il est intéressant de constater que les effets augmentent dans le temps car l’ajustement de la demande est progressif.

    Selon le modèle, les effets augmentent même pendant cinq ans, mais comme précédemment, je ne présente les simulations que pour les deux premières années, étant donné l’incertitude politique actuelle. Toutefois, si la valeur des multiplicateurs est la même qu’auparavant, leur effet va différer parce que les dépenses augmentent plutôt que de baisser. C’est ce que révèlent les résultats ci-dessous.

    Les dépenses publiques proposées par le NFP génèrent 0,78 point de PIB d’activité supplémentaire en 2025 et 1,06 point de PIB en 2026. Ce surcroît d’activité est toutefois réduit par les effets récessifs des prélèvements obligatoires, qui s’élèvent à 0,66 point de PIB au total (la somme des effets de chaque impôt en plus). Notons que l’effet le plus coûteux est lié à la réforme de la fiscalité du patrimoine qui « coûte » en tout 0,44 point de PIB.

    Toutefois, les effets récessifs sont inférieurs aux gains d’activité, ce qui entraîne un effet agrégé total positif dès la première année : une légère augmentation du PIB de 0,21 point, soit 6 milliards d’euros par rapport aux prévisions actuelles. Ce surcroît d’activité génère un peu plus de 3 milliards de recettes supplémentaires.
    Un autre budget est possible, et il serait plus efficace

    Ainsi, entre les 18 milliards d’euros de recettes directement consacrés à la réduction du déficit et les 3 milliards de recettes supplémentaires liées au surcroît d’activité, le déficit se réduit de 21 milliards d’euros en 2025.

    En 2026, sans autre impulsion budgétaire, le déficit est réduit de 6 milliards (0,21 point de PIB) ce qui suggère qu’un nouvel effort de 12 milliards d’euros est nécessaire pour atteindre l’objectif annuel.

    La simulation met donc en évidence que, avec cette stratégie budgétaire, l’effort à réaliser en 2026 est très inférieur à l’effort de 2025. Ce résultat est opposé aux implications macroéconomiques du PLF 2025, qui exige un effort budgétaire chaque année plus important à cause des effets récessifs des coupes de dépenses publiques.

    Pour conclure, le programme du Nouveau Front populaire propose une stratégie budgétaire qui augmente les dépenses publiques, stimule l’activité économique et permet de dégager des recettes supplémentaires.

    A quoi consacrer ces nouvelles dépenses ? Le document du NFP suggère des investissements dans la transition et les services publics. Cela peut se justifier en effet, car en matière de crise écologique, chaque euro dépensé aujourd’hui réduit les dépenses de réparation demain. De plus, la croissance générée est a priori moins intense en carbone.

    Il y a bien une autre politique possible que celle proposée par le gouvernement Barnier. Et elle donnerait de meilleurs résultats pour la France.

    https://www.alternatives-economiques.fr/contre-budget-nfp-ferait-mieux-budget-de-barnier-reduire-d/00112970
    #budget #économie #efficacité

  • Voici de quoi donner du grain à moudre aux cabinets de conseils juridiques en fiscalité et autres avocats du même tonneau. Ne mangeons pas les riches mais empêchons-les plutôt de nous manger ...

    Six mesures pour vraiment taxer les plus fortunés | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/six-idees-vraiment-taxer-plus-fortunes/00112819

    Pour concilier contraintes budgétaires et véritable justice fiscale, le gouvernement pourrait davantage mettre à contribution les plus riches. D’autant que pour y parvenir, les outils ne manquent pas.

    https://justpaste.it/4le23

    #déficit_public #fiscalité #gouvernement_Barnier #justice fiscale #Macronolepénie

  • Les #marchés_financiers : une #illusion de pouvoir

    Alors que la #France débat de son #budget, le discours reste centré sur la #dette et le #déficit publics, et sur l’#influence supposée des marchés financiers. Cette approche conforte un cadre budgétaire contraint qui pénalise la population, tout en entretenant le #mythe d’un pouvoir des marchés sur l’#économie. Cet article vise à montrer que cette domination des marchés n’est en réalité qu’une illusion.

    Introduction

    Alors que la France traverse une période cruciale de discussions budgétaires, le débat se concentre encore une fois autour du déficit et de la dette publics. En arrière-plan, les marchés financiers apparaissent comme des arbitres incontournables, qu’il faudrait apaiser pour éviter une hausse des taux d’intérêt. Cette vision, qui exagère le pouvoir des marchés sur notre économie, repose en grande partie sur des #choix_politiques issus de l’#idéologie_néolibérale et imposés par les #règles strictes de l’Eurozone, celles du #traité_de_Lisbonne. Ce carcan budgétaire auto-imposé enferme les États membres dans une #logique_financière qui empêche une gestion budgétaire pleinement orientée vers le #bien-être des populations.

    Les milliards d’euros versés chaque année en #intérêts ne font qu’alimenter des investisseurs privilégiés, et cette situation découle de décisions politiques, non de nécessités économiques. Cet article vise à déconstruire les mythes entourant la #dette_publique et le rôle prétendu des marchés financiers en montrant que leur pouvoir n’est qu’une illusion bien entretenue et que les contraintes financières de l’Eurozone sont d’abord politiques.

    Les limites à la dépense publique ne sont pas financières

    Il est tout d’abord utile de rappeler que, selon l’analyse de la #Théorie_Monétaire_Moderne (#MMT), un État qui dispose du monopole de création de sa devise, en régime de #taux_de_change_flottant, ne peut faire #faillite dans sa propre devise, à moins de le vouloir. Les limites à sa #dépense_publique ne sont donc pas financières, mais liées à la disponibilité des #ressources_réelles, qu’il s’agisse des ressources technologiques, des ressources naturelles, ainsi que de la force de travail.

    Les États membres de l’Eurozone sont toutefois un cas particulier, puisqu’ils fonctionnent dans un cadre contenant des limites financières, en réalité auto-imposées, que sont les ratios de 3 % sur le PIB du déficit public et de 60 % de la dette publique. Ces limites représentent donc des contraintes concernant la #politique_budgétaire des États, les empêchant de réaliser le déficit nécessaire pour atteindre le #plein_emploi.

    Dans ces conditions, et dans la mesure où le compte des Trésors nationaux ouvert à la #BCE doit disposer d’un solde en permanence positif, les États-membres doivent obtenir des #recettes_fiscales et émettre des #titres_d’État, ce qui, en raison de l’absence de garantie par la BCE, les rend dépendants des marchés financiers et exposés au risque du défaut. Cette situation souligne la nécessité d’une réévaluation des règles budgétaires au sein de l’Eurozone, afin de permettre à ces États de disposer de leur plein potentiel économique.

    La dette publique n’est pas un fardeau, mais une richesse

    Comme le montre l’identité comptable vérifiable dans tous les pays, la dette publique équivaut à la devise nationale créée par la dépense publique et non encore utilisée par le secteur privé pour payer les impôts. Elle représente, au centime près, la richesse financière nette des agents du secteur privé1. Il en découle que la dette publique n’est pas composée des seuls titres d’État. Elle englobe l’ensemble des passifs de l’État, à savoir le cash, les réserves bancaires et les titres d’État. Cette définition est partagée par les banques centrales, y compris la BCE selon le #traité_de_Maastricht. Il est important de souligner que l’émission de #titres_d’État ne crée pas de nouvelle devise, mais change simplement la forme de la devise, passant de « #réserves » à « #titres », tout comme on transfère un montant d’un compte courant non rémunéré vers un compte de dépôt rémunéré2.

    La dette publique (stock) est la somme des déficits annuels (flux). Dette et déficit sont donc étroitement liés, et ainsi, lorsque l’État cherche à réduire son déficit en augmentant les #taxes ou en réduisant ses #dépenses, cela diminue l’épargne du secteur privé. Dit autrement, lorsque l’État retire plus de devise nationale par les taxes qu’il n’en crée par la dépense, cela provoque de l’#austérité.

    Les titres d’État ne servent pas à financer les dépenses publiques

    L’émission des titres d’État est une pratique héritée des anciens régimes de taux de change fixes, qui est aujourd’hui dépassée. Ces titres ne sont aujourd’hui plus émis pour financer directement les dépenses publiques, mais plutôt pour réguler les taux d’intérêt, une fonction devenue moins nécessaire depuis que la BCE rémunère les réserves excédentaires. Mais également, leur émission permet d’offrir un actif financier sans risque.
    Il est donc nécessaire de questionner l’obligation d’émettre des titres d’État.

    Cependant, en Eurozone, une précision s’impose : l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit à la BCE d’octroyer des découverts aux Trésors nationaux, obligeant ces derniers à émettre des titres. Pourtant, les #euros sont créés par la BCE, lorsque les États membres dépensent, ce qui fait de l’Eurozone le créateur monopolistique de la monnaie. Exiger un solde positif permanent sur le compte du Trésor auprès de la BCE repose donc sur une #fiction, fondée sur l’idée que l’État doit gérer sa trésorerie comme une entreprise. Cette contrainte n’a aucun fondement économique. Elle est purement politique et elle s’inscrit dans l’idéologie néolibérale, laquelle perçoit l’État comme un mauvais gestionnaire et souhaite ainsi limiter son action.

    Comme le suggère #Warren_Mosler, le père de la MMT, il serait tout à fait possible de cesser d’émettre des titres d’État. Et, quoi qu’il en soit, si cette émission devait être maintenue pour offrir un actif sans risque, une politique de taux d’intérêt à zéro constituerait une solution efficace dans le but de limiter l’influence des marchés financiers3.

    Le #taux_d’intérêt est fixé par la banque centrale

    Il est essentiel de comprendre que les mouvements des taux d’intérêt appliqués aux titres d’État dépendent étroitement des décisions prises par la BCE. Les taux d’intérêt sont entièrement sous son contrôle, constituant ainsi des choix politiques. L’observation des politiques de taux d’intérêt dans différents pays le confirme : les taux appliqués aux titres d’État suivent de très près les taux directeurs de la banque centrale, comme en témoignent les deux graphiques suivants4.

    Dans l’Eurozone, le "#Whatever_it_takes" de #Mario_Draghi en 2012 a marqué un tournant en ramenant les taux d’intérêt sur les titres d’État à des niveaux raisonnables, en particulier pour la Grèce. Cet événement a montré de manière éclatante que, dès lors que la BCE garantit les titres émis par les États, ceux-ci ne peuvent pas faire défaut.

    La crise de la COVID-19 a également confirmé ce pouvoir d’intervention : la BCE et les autres banques centrales ont démontré qu’elles pouvaient contrer les pressions des marchés financiers par des opérations comme l’#assouplissement_quantitatif (#quantitative_easing). Ainsi, bien que les marchés puissent influencer les taux pour ajuster la prime de risque, leur impact reste marginal en comparaison du pouvoir des banques centrales.

    Il s’ensuit que la soutenabilité de la dette publique dépend de décisions politiques, du bon vouloir de la BCE. Ni le niveau de la dette publique ni celui des intérêts ne restreignent réellement l’espace budgétaire des États, car la BCE peut, à tout moment, décider si un pays peut continuer à dépenser ou doit faire défaut, indépendamment de son niveau d’endettement. L’exemple de la #Grèce est révélateur : en 2010, alors que son ratio dette/PIB atteignait 130 %, le pays faisait face à une crise. En revanche, fin 2021, avec un ratio supérieur à 200 %, la question de la dette publique n’était plus problématique. Cela démontre que la soutenabilité de la dette publique est avant tout une question politique, et non économique.

    Il n’y a pas de lien entre niveau de dette publique et #croissance

    Un argument récurrent dans les discussions sur la dette publique affirme qu’il existerait un #seuil_d’endettement au-delà duquel la #croissance_économique se verrait compromise. Cependant, aucune recherche rigoureuse n’a jamais confirmé l’existence d’un tel seuil. Ainsi que le montrent Yeva S. Nersisyan et L. Randall Wray5 « Il n’existe pas de seuils [du niveau de la dette publique] qui, une fois franchis, seront insoutenables ou réduiront la croissance du pays. ». En réalité, l’histoire économique regorge d’exemples où des niveaux élevés de dette publique ont coexisté avec une croissance soutenue, dès lors que l’État maintient un soutien économique actif.

    La démission de Liz Trusss, un bon exemple de l’absence de fondement de l’influence des marchés financiers

    Ce qu’il s’est passé en Angleterre en 2022, entraînant la démission de la Première ministre Liz Truss, illustre parfaitement l’absence de fondement de l’influence des marchés financiers. En réalité, cette démission résulte de la pression des marchés financiers, une décision politique dictée davantage par la crainte de leur réaction que par une contrainte économique réelle. En effet, le Royaume-Uni, en tant que créateur de sa propre monnaie, aurait pu continuer à financer ses politiques sans risque de défaut, notamment en contrôlant les taux d’intérêt via la Banque d’Angleterre6.

    Les #agences_de_notation : quelle légitimité ?

    L’intervention des agences de notation consolide l’idée dominante selon laquelle il est impératif d’apaiser les marchés financiers, quel qu’en soit le coût. Ces agences, des entreprises privées opérant sans réel contrôle démocratique, se voient attribuer un rôle démesuré dans l’évaluation des finances publiques. Leur influence, souvent considérée comme infaillible, façonne les politiques budgétaires des États, et leurs décisions impactent directement les choix économiques. Pourtant, ni leur compétence, ni leur intégrité ne sont systématiquement vérifiées. Confier à ces entités privées, efficaces promoteurs de la pensée néolibérale dominante, la capacité de décider de l’avenir budgétaire d’un pays constitue un grave manquement au principe de #souveraineté_nationale, et un véritable déni de démocratie.

    Conclusion : déconstruire l’emprise idéologique des marchés financiers

    Au terme de cette analyse, il est évident que l’importance excessive accordée aux marchés financiers dans les choix budgétaires des États membres de l’Eurozone découle de contraintes financières auto-imposées, et que cette situation confère un pouvoir illusoire aux marchés, la décision finale appartenant toujours à la BCE. Les États-membres, en s’enfermant dans une logique où ils se voient forcés de "plaire" aux marchés pour financer leurs dépenses, se privent d’un levier essentiel pour stimuler leur économie et répondre aux besoins de leur population.

    Cette dépendance aux marchés financiers masque la réalité politique qui se cache derrière la soutenabilité de la dette publique : à tout moment, la BCE peut garantir ou non les titres publics émis, ce qui souligne le caractère fondamentalement politique de cette question. Ainsi, ce n’est pas le niveau de la dette publique ou des taux d’intérêt qui limite la marge de manœuvre des États, mais bien les choix de #gouvernance qui priorisent la satisfaction des marchés plutôt que celle des citoyens.

    L’exemple de la crise de la COVID-19 a montré la capacité d’intervention des banques centrales pour stabiliser l’économie, indépendamment des pressions des marchés financiers. Il est donc aujourd’hui essentiel de reconsidérer les #règles_budgétaires de l’#Eurozone, afin de restaurer la souveraineté des États et recentrer la politique budgétaire sur le #bien-être_collectif, au lieu de céder aux impératifs des marchés. En prenant cette direction, les États pourront pleinement utiliser leurs ressources pour servir leurs citoyens, laissant derrière eux l’illusion d’un pouvoir des marchés qui n’est en réalité qu’une contrainte politique imposée.

    https://blogs.mediapart.fr/robert-cauneau/blog/251024/les-marches-financiers-une-illusion-de-pouvoir
    #finance #néolibéralisme

  • « Pour une assurance complémentaire gérée par la Sécurité sociale »

    Pour réduire le #déficit des dépenses publiques, le gouvernement propose de donner un coup de frein aux dépenses de #santé, qui représentaient, en 2022, 11,9 % du produit intérieur brut (PIB) de la France, nous plaçant en deuxième position des pays européens derrière l’Allemagne (12,6 %). Toutefois, en euros par habitant, l’Allemagne dépense en moyenne 20 % de plus que la France (4 343 euros versus 3 475 euros).
    La France est, en revanche, en tête des pays européens en matière de frais de gestion des financeurs des soins de santé : 6 % des dépenses de santé, contre 5 % en Allemagne et 3 % pour la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (« Lutter contre le gaspillage dans les systèmes de santé », OCDE, 2017).

    En effet, spécificité française, nous avons pour chaque soin une double gestion, par l’Assurance-maladie obligatoire, d’une part, et par les #assurances privées complémentaires, d’autre part. Si bien que les complémentaires dépensent 7,7 milliards de frais de gestion alors qu’elles remboursent 13 % des soins, tandis que la Sécurité sociale dépense 7,5 milliards de frais de gestion alors qu’elle rembourse près de 80 % des soins. Autrement dit, lorsqu’un assuré verse 100 euros à une assurance complémentaire (mutualiste ou non), seuls 75 euros sont utilisés pour payer les soins contre 96 euros s’il les confie à la Sécurité sociale.

    « Faire mieux avec moins »

    En abaissant de 70 % à 60 % le remboursement des consultations chez le médecin ou chez la sage-femme, le gouvernement veut diminuer la #dépense_publique en la transférant aux assurances privées. Mais celles-ci répercuteront automatiquement la hausse sur le montant de la prime versée par leurs assurés, après une hausse de 8 % en 2024, déjà. Cette mesure purement comptable n’entraînera donc aucune économie pour la société. Elle va coûter plus cher aux assurés et provoquera un accroissement des #inégalités_sociales_de_santé dans la mesure où les moins fortunés, notamment parmi les #retraités, seront amenés à dégrader le niveau de leur couverture santé.

    A l’inverse, l’intégration des mutuelles dans une « Grande Sécu » remboursant à 100 % un panier de #prévention et de #soins solidaire permettrait à la collectivité d’économiser 5,4 milliards d’euros par an, d’après un rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie, publié en janvier 2022 (« Quatre scénarios polaires d’évolution de l’articulation entre Sécurité sociale et assurance-maladie complémentaire »). A défaut de cette réforme structurelle majeure, la création d’une assurance complémentaire gérée par la Sécurité sociale permettrait de « faire mieux avec moins », selon le vœu du ministre du budget. En effet, la gestion de l’assurance-maladie obligatoire et d’une assurance-maladie complémentaire par un financeur unique permettrait de supprimer le doublon inutile des frais de gestion.

    Les milliards économisés pourraient à la fois être ristournés aux assurés et servir à réduire le déficit de la Sécurité sociale. Gagnant, gagnant ! Cette mesure de bon sens est faisable puisqu’elle existe déjà en Alsace-Moselle, où deux millions de salariés bénéficient, pour des raisons historiques, d’un régime de santé spécial. Sa généralisation dépend seulement de la volonté politique du gouvernement et des parlementaires de supprimer la rente des assurances-maladie privées dites « complémentaires », moins égalitaires, moins solidaires et surtout moins efficientes que la #Sécurité_sociale.

    François Bourdillon est médecin de santé publique ; Mady Denantes est médecin généraliste ; Anne Gervais est hépatologue au centre hospitalier universitaire (CHU) Bichat, à Paris ; André Grimaldi est diabétologue au CHU de la Pitié-Salpêtrière, à Paris ; Olivier Milleron est cardiologue au CHU Bichat.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/25/pour-une-assurance-complementaire-geree-par-la-securite-sociale_6359630_3232

  • De la véritable nature du déficit et de la dette publics | Le Club
    https://blogs.mediapart.fr/robert-cauneau/blog/141024/de-la-veritable-nature-du-deficit-et-de-la-dette-publics

    L’obsession française du déficit : un héritage dogmatique

    Depuis le traité de Maastricht en 1992, les règles budgétaires européennes contraignent les États membres à maintenir leur déficit en dessous de 3 % du PIB et leur dette publique en dessous de 60 % du PIB. Malgré leur manque de fondement économique, et même si leur pertinence est de plus en plus remise en question, ces seuils sont devenus des dogmes. Ils sont pourtant de nature politique. En effet, le « Whatever it takes » émis par Mario Draghi en 2012 et le "quoi qu’il en coûte" pendant la pandémie de Covid-19 ont clairement montré que la question de la soutenabilité de la dette publique n’est pas une question économique, mais essentiellement une question politique. La crainte d’une crise de la dette souveraine en France est donc largement infondée. Pourtant, une fois les crises passées, le discours sur la réduction du déficit et de la dette refait immédiatement surface.

    #dette_souveraine #déficit_public #croissance #capitalisme #économie_de_marché

    • Cosa si intende per “woke”

      La parola finita in prima pagina su Repubblica indicava un atteggiamento consapevole delle ingiustizie sociali, ma oggi ha una connotazione spesso dispregiativa e sarcastica.

      Nell’ampio dibattito che ha interessato i paesi anglosassoni negli ultimi anni sulle rivendicazioni delle cosiddette minoranze, che si parli di orientamento sessuale o identità di genere, di origini etniche o di disabilità, sono emerse diverse nuove parole che hanno poi cominciato ad affiorare nelle discussioni anche in Italia, prima nelle nicchie e poi in modo sempre più trasversale. Giovedì per esempio Repubblica ha pubblicato in prima pagina un editoriale del giornalista statunitense Bret Stephens, che era uscito pochi giorni prima sul New York Times, dal titolo “Perché l’ideologia woke fallirà”.

      L’articolo dà per inteso il significato di woke, una parola che in realtà non si è mai davvero affermata nel dibattito italiano, nel quale solitamente si fa ricorso ad altre espressioni che rientrano più meno nello stesso campo semantico, come “politicamente corretto” oppure “cancel culture”. Peraltro, negli stessi Stati Uniti l’aggettivo woke e il sostantivo wokeness sono parole sempre meno usate, se non con una chiara connotazione dispregiativa: a complicare ulteriormente la spiegazione non solo del suo significato, ma anche degli sviluppi nelle sue accezioni e usi.

      “Woke” non è davvero traducibile in italiano – vuol dire qualcosa come “consapevole” – ma indica, o almeno indicava originariamente, l’atteggiamento di chi presta attenzione alle ingiustizie sociali, legate principalmente a questioni di genere e di etnia, e non ne rimane indifferente, solidarizzando ed eventualmente impegnandosi per aiutare chi le subisce.

      Nel Novecento l’espressione “woke” esisteva già ed era usata soprattutto tra gli afroamericani, sia con l’accezione di “stare all’erta” rispetto a un pericolo, sia con quella più generica di essere a conoscenza di qualcosa.

      La sua diffusione col significato attuale però risale allo scorso decennio, quando fu usata nell’ambito delle proteste di Black Lives Matter per esprimere il concetto a cui è stata poi associata negli ultimi anni: cioè la consapevolezza su una serie di questioni e problemi legati al razzismo e al sessismo sistemico – nel senso di radicati nelle istituzioni e nelle dinamiche sociali – della società americana (e per estensione di quelle occidentali).

      Un termine quindi con un’accezione positiva, per chi lo usava riferendosi a un obiettivo e un’ambizione: si definivano woke per esempio le persone – perlopiù della cosiddetta generazione dei “millennial”, cioè i nati tra gli anni Ottanta e l’inizio dei Novanta – che facevano attivismo in piazza e sui social network, che partecipavano alle proteste antirazziste o alle marce per i diritti delle donne, che sensibilizzavano sull’importanza di utilizzare un linguaggio rispettoso e inclusivo per riferirsi alle minoranze.

      Man mano che la diffusione della parola è uscita dalle proteste di Black Lives Matter, ha iniziato a essere usata in altri modi.

      Con l’aumentare del coinvolgimento dei giovani americani nelle battaglie per i diritti, woke è diventata un’espressione riferita spesso a persone che sono considerate “alleate” delle minoranze ma che appartengono a categorie identitarie ritenute in una posizione di maggiore potere. Per esempio perché bianche, di sesso maschile, eterosessuali, cisgender (cioè che si riconoscono nel genere associato al sesso di nascita) o ricche, tutte caratteristiche che nell’ambito dei discorsi su questi temi vengono associate spesso al concetto di “privilegio”, inteso come vantaggio nella società contemporanea occidentale.

      Più recentemente, però, woke è diventata sempre meno una parola rivendicata dalle persone che teoricamente dovrebbe descrivere, e sempre più usata invece dai loro critici e dai conservatori americani per indicare quella che considerano una pericolosa tendenza della sinistra, dei progressisti e più in generale dei Democratici. Con woke, cioè, la destra americana intende solitamente quello che identifica come un atteggiamento di dogmatismo intollerante e censorio, applicato nei confronti delle parole e delle idee che vanno contro le più moderne sensibilità sulle questioni delle minoranze e dei diritti civili.

      Woke quindi è diventato un termine perlopiù negativo, usato con l’intento di ridicolizzare e attaccare i movimenti giovanili progressisti, associandoli alle loro espressioni più intransigenti e aggressive, presenti principalmente sui social network.

      Per esempio le campagne portate avanti in diversi campus universitari americani per allontanare professori accusati – spesso pretestuosamente o ingiustamente – di aver usato parole offensive, oppure quelle che chiedono il licenziamento di personaggi pubblici di vario tipo per via di dichiarazioni considerate controverse, o che mobilitano grandi e bellicose masse di account contro qualcuno che abbia detto una cosa considerata disdicevole rispetto alle suddette sensibilità.

      Queste dinamiche, che sono oggetto di riflessioni e studi anche preoccupati, soprattutto in ambito accademico, fanno più precisamente riferimento al fenomeno della “cancel culture”, e sono legate secondo molti non tanto all’impostazione ideologica woke quanto alle modalità con cui le piattaforme dei social network hanno reso il confronto tra idee diverse spesso violento, intollerante e polarizzato.

      Questi aspetti non sono soltanto discussi e criticati dai conservatori, tutt’altro: è in corso un vivace dibattito anche tra progressisti e persone di sinistra sui problemi che derivano da questo tipo di approccio al confronto politico e alla ricerca accademica. Anche tra opinionisti liberal, la parola woke viene talvolta usata per riferirsi genericamente a questo atteggiamento ritenuto in contrasto con i valori di tolleranza e dialogo a cui si ispira storicamente la sinistra.

      Ma insieme all’intenzione offensiva, negli Stati Uniti i principali utilizzatori del termine woke oggi se ne servono anche spesso come strumento di propaganda e polemica, evocando con un termine efficace un pericolo disegnato come universale e prevalente, “un’ideologia” estremista che governerebbe il pensiero progressista. È una minaccia che sfrutta la particolare e minacciosa visibilità degli atteggiamenti e dei toni aggressivi e perentori usati nelle polemiche virali sui social network, e ha permesso in più occasioni di mobilitare il complesso di persecuzione e la reazione di parte dell’elettorato conservatore (una pratica di comunicazione simile è quella, familiare anche in Italia, attivata dai predicatori contro “la teoria gender”).

      Nel suo editoriale tradotto da Repubblica, Stephens usa la parola woke in senso evidentemente dispregiativo. È un autore conservatore, i cui interventi sul New York Times sono stati spesso contestati, e tra le altre cose è noto per le sue posizioni scettiche riguardo alle responsabilità dell’uomo nella crisi climatica. Nel suo editoriale, dice in sostanza che quella che chiama “ideologia woke” non avrà successo in quanto movimento che «distrugge, divide gli americani, rifiuta e sostituisce i valori fondanti della nostra nazione», e che agisce «in modo prescrittivo, non per un vero dibattito o una vera riforma ma per indottrinamento e sradicamento».

      Stephens se la prende in particolare con la “critical race theory”, una teoria accademica che interpreta la storia, la cultura e le strutture politiche statunitense indagandone il ruolo nel razzismo sistemico della società. Da tema di nicchia, recentemente la “critical race theory” è diventata effettivamente un punto importante della campagna elettorale per il governatore dello stato della Virginia. I Repubblicani l’hanno usata come spauracchio, distorcendola e ingigantendola e insistendo sulle intenzioni dei Democratici di introdurla nelle scuole. Secondo alcuni analisti, questo aspetto della campagna elettorale ha effettivamente avuto un ruolo nell’esito delle elezioni, vinte dai Repubblicani, per quanto ci siano opinioni discordanti su quanto sia stato effettivamente determinante.

      All’editoriale di Stephens ha risposto il giorno dopo Charles Blow, editorialista del New York Times di orientamento liberal, che ha scritto che «la wokeness è stata descritta nei modi più iperbolici immaginabili, da ideologia a religione a culto» e per questo è stata abbandonata dai giovani che la usavano, ed è oggi prerogativa principalmente di chi vuole ridicolizzarla sottolineandone certi aspetti contraddittori, difficilmente comprensibili, elitari.

      In ogni caso, perlomeno quando non aveva ancora una connotazione così politicizzata, anche l’ex presidente degli Stati Uniti Barack Obama aveva criticato alcuni aspetti dell’atteggiamento di chi «si sente sempre politicamente woke», e ha «quest’idea di purezza, che non si debba mai scendere a compromessi». Aveva invitato i giovani a superare questo approccio:

      «Il mondo è incasinato, ci sono ambiguità, le persone che fanno cose molto buone hanno dei difetti, le persone contro cui combattete possono amare i loro figli e avere cose in comune con voi. Penso che un pericolo che vedo nei giovani e in particolare nei campus, accelerato dai social media, è l’idea che il cambiamento passi attraverso l’essere il più giudicante possibile verso le altre persone, e che questo basti.

      Se twitto o uso un hashtag su come hai fatto qualcosa di sbagliato, o hai usato la parola sbagliata, allora posso sedermi e sentirmi molto bene con me stesso perché avete visto quanto sono woke? Ti ho sgridato. Non è attivismo. (…) Se tutto quello che fai è lanciare pietre, probabilmente non vai molto lontano. È facile fare così.

      https://www.ilpost.it/2021/11/12/woke-significato

  • Budget français « cadenassé » par les traités européens ? Les explications de l’économiste David Cayla
    https://www.off-investigation.fr/budget-francais-cadenasse-par-les-traites-europeens-explications-d

    L’arrivée à Matignon de l’ancien commissaire européen Michel Barnier coïncide avec une surveillance accrue du budget français par la Commission européenne, qui a initié en juillet une procédure concernant le déficit public excessif de la France. Afin de comprendre l’influence de l’Union européenne (UE) sur le budget de notre pays, nous avons interviewé l’économiste David Cayla, qui vient de publier « La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? » Annoncé par la Commission européenne au début de l’été, le retour de la France dans une procédure pour déficit excessif rappelle que la gestion du budget fait partie des domaines où, de droite […]Lire la suite : Budget français « cadenassé » par les traités européens ? Les explications de l’économiste David (...)

    #Interviews

  • APPRENTISSAGE QUATRE LEVIERS POUR REPRENDRE LE CONTRÔLE Bruno Coquet
    https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2024/OFCEpbrief135.pdf

    Résumé

    Malgré une conjoncture ralentie et des aides publiques en légère diminution, les entrées en apprentissage sont restées très dynamiques en 2023. Avec 850 000 nouveaux contrats signés, le record de l’année précédente a été battu pour la quatrième fois consécutive. Fin 2023, 1,01 million d’apprentis étaient en cours de formation, 577 000 de plus que fin 2018, ce qui explique 38 % des créations d’emplois salariés marchands sur cette période. Cette hausse a bénéficié aux taux d’activité et d’emploi des jeunes de 15 à 24 ans (+3,7 et +4,3 points respectivement) entraînant la baisse de leur taux de chômage (de 20,9 % à 17,5 %). Mais la hausse de l’apprentissage reposant essentiellement sur une bascule du statut d’étudiant vers celui de salarié, le nombre de jeunes chômeurs a très peu diminué (-26 000). La réforme de 2018 a stimulé la demande et l’offre de travail en apprentissage, tout en solvabilisant une offre de formation élargie. Mais la chronique du développement de l’apprentissage coïncide surtout avec l’introduction de l’aide exceptionnelle à la fois très généreuse et non ciblée dans le cadre du plan de relance de 2020 : 458 000 emplois ont été créés dans son sillage, dont 252 000 n’auraient pas existé sans elle et 206 000 résultent indistinctement du cocktail incitatif combinant la réforme de 2018 et l’aide exceptionnelle. L’image de l’apprentissage a beaucoup bénéficié de cette promotion, notamment dans l’enseignement supérieur. Mais l’évolution du profil des apprentis va de pair avec une très faible efficience du point de vue de l’insertion en emploi, car le coût de cette politique est excessif : en 2023 la dépense nationale pour l’apprentissage aurait atteint 24,9 milliards d’euros, soit 26 000 € par apprenti, environ deux fois plus que ce qui est consacré à chaque étudiant du supérieur. Le resserrement des aides stabiliserait ce coût à 24,6 milliards d’euros en 2024, ce qui est incompatible avec la situation budgétaire actuelle étant donné l’inefficacité de cette dépense. Mais il est délicat de renoncer à ces fortes subventions car l’objectif présidentiel d’atteindre 1 million de nouveaux apprentis par an a conduit à promettre la stabilité des aides jusqu’en 2027, et aussi parce que l’emploi des jeunes et les organismes de formation en souffriraient. Nous proposons ici 4 leviers pour reprendre le contrôle du dispositif, avec à la clé une économie pouvant avoisiner 10 milliards d’euros en année pleine : (1) revenir au ciblage de l’aide unique de 2018, (2) redonner à la taxe d’apprentissage son rôle de financement des coûts pédagogiques, (3) revoir certains niveaux de prise en charge des contrats en les inscrivant dans une stratégie de politique publique et (4) examiner les droits sociaux attachés aux contrats d’apprentissage et la manière dont ils sont financés. Nous y ajoutons quatre pistes complémentaires susceptibles de renforcer l’efficience du dispositif.

    Un coût budgétaire très élevé bien que sous-estimé
    Les dépenses publiques soutenant l’apprentissage ont été très élevées en 2023 et le resteront en 2024. Le dernier bilan officiel évalue à 13,9 milliards d’euros la « dépense nationale » pour l’apprentissage en 202222. Ce chiffre porte cependant sur un périmètre très incomplet. La Cour des Comptes a chiffré le coût des dispositifs d’alternance à 16,8 milliards d’euros23. France Compétences ne publie plus ses dépenses annuelles mais ses « engagements » qui courent sur toute la durée prévue des contrats initiés au cours d’une année et dont la durée moyenne est actuellement de 17,7 mois24, ce qui rend son estimation difficilement comparable avec les deux sources précédentes. La revue des dépenses conduite par l’IGAS et l’IGF (2024) actualise certains chiffrages et apporte de nombreuses informations nouvelles, mais sans en consolider le coût. Compte tenu de ces informations, nous évaluons pour notre part la dépense de 2023 à 24,9 milliards d’euros en incluant les exonérations sociales et fiscales dont bénéficient ces contrats d’apprentissage25 (graphique 8 et tableau 1) et les dépenses d’assurance chômage dont la croissance suit avec un léger décalage celle du stock d’apprentis26. Ce chiffrage reste prudent, notamment parce que, comme tous les chiffrages officiels, il ne prend pas en compte certaines dépenses telles que le coût des trimestres de retraites alloués aux apprentis (12 milliards d’euros par an27), le dispositif prépa apprentissage, etc. À l’opposé, les bourses économisées du fait que certains apprentis n’y sont pas éligibles alors qu’ils l’auraient été en tant qu’étudiants nonapprentis pourraient légèrement abaisser notre estimation28. En 2023, un apprenti générait en moyenne plus de 26 000 € par an de dépenses publiques, soit environ deux fois le coût moyen d’un étudiant du supérieur suivant une voie classique29. En incluant les subventions différées de la protection sociale, ce coût pourrait aller jusqu’à doubler.

    L’efficience du dispositif reste très faible
    L’apprentissage est clairement présenté comme une politique de l’emploi et non une politique d’éducation ou d’enseignement supérieur32. C’est donc à cette aune qu’il faut l’évaluer : or, du point de vue de l’insertion en emploi des apprentis, l’efficience du dispositif est très faible. En effet, la hausse des dépenses a essentiellement bénéficié à des jeunes préparant un diplôme de l’enseignement supérieur (deux tiers des entrants en 2023, contre seulement un tiers en 2017) qui n’ont pas besoin de ce type de coups de pouce financiers étant donné que c’est le diplôme qu’ils obtiennent qui est déterminant pour leur employabilité, et non pas qu’il ait été acquis par la voie de l’apprentissage ou à l’issue d’un cursus classique.

    #apprentissage #déficit #politique_antiredistributive

  • Ami·e·s enseignant·e·s, vous avez aimé le "choc des savoirs" ? Vous allez adorer le "choc budgétaire". Rapport de 166 pages intitulé « Revue de dépenses : dispositifs en faveur de la jeunesse ».

    On notera que le rapport a été remis en avril 2024, bien avant qu’on commence à s’affoler sur le #déficit_budgétaire. C’était donc plié d’avance, déficit ou pas. Élèves, parents, enseignant·e·s, vous allez en prendre plein la gueule.

    https://cafepedagogique.net/2024/09/13/rapport-explosif-sur-les-suppressions-de-postes-et-de-classes

    Le rapport en question : https://cafepedagogique.net/wp-content/uploads/2024/09/igesr-igf-rapport-23-24-122b-revue-depenses-dispositifs-jeunesse-ca

  • Face à la hausse du #coût des #arrêts_de_travail, la #Caisse_nationale_d’assurance_maladie préconise de revoir le « système »

    Avec un #déficit annoncé plus élevé que les 11,4 milliards d’euros prévu et avant le vote du budget, la #Cnam affiche sa combativité. D’ici décembre, la Caisse va notamment contacter 30 000 à 40 000 salariés en arrêt depuis plus de dix-huit mois pour vérifier si leur absence se justifie toujours.

    La Caisse nationale d’#assurance_maladie devance l’appel. A quelques semaines de l’ouverture des débats parlementaires sur le financement de la Sécurité sociale pour 2025, son directeur général, Thomas Fatôme, remet sur le tapis la question du coût des arrêts de travail, trop « dynamique » à ses yeux. Lundi, lors d’un point presse au siège de la Cnam, il s’est spontanément « mis à la disposition du gouvernement et des parlementaires pour discuter de cette problématique », estimant que le système actuel est « questionnable en termes de #soutenabilité_financière et d’#équité ».

    Une façon d’orienter le prévisible tir à vue de Bercy et des parlementaires. Pour cause, le déficit de la branche maladie de la #Sécu devrait en fin d’année être encore plus élevé que les 11,4 milliards annoncés en juin. Alors que Bercy recherche activement près d’une quinzaine de milliards d’économies, l’#assurance_maladie est clairement en ligne de mire.

    « Des échanges, pas de contrôles »

    Or pour la Cnam, le coût des arrêts de travail a des allures de puits sans fond. En 2023, les #indemnités_journalières (IJ) versées aux assurés (hors Covid) ont atteint 15,8 milliards d’euros, moitié plus qu’en 2015. Un emballement que la Cnam peine à contenir. Et ce n’est pas faute d’y mettre du sien. En 2023, la campagne de vérification des prescriptions des médecins généralistes, la vérification de 1,2 million d’arrêts en cours, et les demandes d’explications réclamées à 900 entreprises de plus de 200 salariés présentant un taux d’absentéisme « atypique » ont certes permis de modérer la hausse du nombre d’arrêts (+ 1,8 % par rapport à 2022) mais pas leur coût (+ 6,1 %). Surtout, en l’absence de nouvelles mesures, le dérapage menace de se poursuivre pour la Cnam, avec un renchérissement des dépenses pour IJ de l’ordre de 8 % sur le premier semestre…

    Malgré cet échec relatif, la Cnam affiche sa combativité. Pour preuve, elle lance une série d’« actions » d’ici à décembre pour limiter la facture. Sa première cible : les assurés sociaux. D’ici la fin de l’année, 30 000 à 40 000 salariés en arrêt depuis plus de dix-huit mois devraient être contactés par ses services pour « #faire_le_point », et donc vérifier si l’#absence se justifie toujours. La situation de ceux en arrêt depuis plus de quatre ans sera aussi réexaminée. De même, les salariés qui ont cumulé plus de deux arrêts de travail en six mois (hors affections de longue durée et maternité) devraient recevoir un courrier de la Cnam leur proposant un « #accompagnement » mais aussi leur rappelant les règles entourant la délivrance des arrêts. A toutes fins utiles.

    Les médecins ne sont pas oubliés : quelque 7 000 généralistes, parmi les plus prescripteurs d’arrêt, vont être conviés à un « #entretien_confraternel ». « Il s’agit d’#échanges, pas de #contrôles », insiste Fatôme, peu soucieux de rallumer la guerre avec les syndicats de praticiens. L’occasion tout de même d’un petit coup de pression : la liste de leurs patients en arrêt depuis plus de dix-huit mois leur sera communiquée, tout comme les référentiels d’arrêts admis par pathologie : « Une gastro c’est trois jours, une grippe cinq jours… » glisse le DG de la Cnam.

    Equipe cyber en chasse

    Les entreprises sont aussi dans le collimateur : un nouveau millier d’entre elles vont devoir fournir des explications sur l’#absentéisme de leurs troupes, et le cas échéant seront invitée à intégrer un #programme_national_de_prévention. En parallèle, la lutte contre la #fraude s’intensifie. Les arrêts de travail sur papier, qui représentent encore 30 % du total, étant susceptibles d’être contrefaits, la Cnam enjoint aux médecins d’utiliser désormais un formulaire Cerfa sécurisé, donc non falsifiable ni photocopiable. Lequel deviendra obligatoire à compter de juin 2025. En outre, une équipe cyber va engager la chasse en ligne aux faux sites de délivrance d’arrêt de travail.

    Cet activisme de la Cnam la dédouane. Sans forcément apporter de solution pérenne à ses problèmes de gros sous. Car le coût des arrêts de travail dépend largement de facteurs qui lui échappent. Ainsi de la hausse des #salaires (et donc des indemnités journalières) à commencer par le smic qui a suivi l’inflation, de la baisse du #chômage et du vieillissement de la population active suite aux reports successifs de l’âge légal de la #retraite. Tout au plus, la Cnam peut espérer contrer l’augmentation tendancielle de la durée moyenne des IJ pour une même classe d’âge, et le recours plus systématique qu’autrefois aux arrêts de travail. d’où sa volonté de réviser les règles. Et d’abord pour les durcir, même si au passage ce pourrait être l’occasion de revenir sur certaines iniquités comme la moindre indemnisation des salariés en contrat depuis moins de six mois. Mais encore faudrait-il que cette dérive du coût des arrêts de travail ne soit pas le signe financièrement tangible d’une dégradation continue de l’#accès_aux_soins et de la santé physique et psychique de la population.

    https://www.liberation.fr/societe/face-a-la-hausse-du-cout-des-arrets-de-travail-la-caisse-nationale-dassur
    #vérification #maladie #France

    • @franceinfo
      https://x.com/franceinfo/status/1833382683705028634

      🔴 Indemnisation des arrêts de travail ➡️ "Nous avons convoqué 270 000 assurés en 2023. Dans à peu près 30% des cas, l’arrêt de travail n’est pas justifié", affirme Thomas Fatôme, directeur général de la caisse nationale de l’Assurance maladie.

      Nicolas Da Silva @dasilva_p13
      https://threadreaderapp.com/thread/1833410497363824999.html

      Pour rappel, la cour des comptes à évoqué le dossier des arrêts maladie dans son rapport du moi de mai. Il faut dire (au moins) deux choses à ce sujet :
      Premièrement, l’augmentation du coût des arrêts maladie n’est pas liée à un changement de comportement des assurés (prétendument plus opportunistes) mais à des causes structurelles :

      [(la Cour des comptes évoque une) hausse des arrêts pour « motif psychologique ». Il y aurait une dégradation de l’état de santé de la population. https://x.com/dasilva_p13/status/1796091981950546365?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E17960919 (en raison dune dégradation des conditions de travail et d’existence, ndc)]

      En particulier les indemnités augmentent du fait de la hausse (relative) des salaire, de l’augmentation de la population, de l’intégration de certains régimes au régime général de sécu, du #vieillissement de la population, des effets probables de la #pandémie, etc.

      Le rapport de la cour est bien en peine de montrer l’existence d’un effet d’opportunisme. A défaut de preuve, toute mesure sur les arrêts maladie est une pure mesure d’économie budgétaire (pas de moralisation/responsabilisation) des assurés.

      Deuxièmement, une fois n’est pas coutume le rapport explore l’hypothèse d’une augmentation des #recettes_de_la_sécurité_sociale en identifiant certaines formes d’évitement des cotisations sociales non justifiées (ou discutables).

      Les critiques de la cour pleuvent :
      « Des dispositifs dérogatoires nombreux aux objectifs imprécis » (p. 158)
      « un manque de transparence de certains intermédiaires » (p. 160)
      « Des montants importants distribués pour des objectifs macroéconomiques peu visibles » (p. 163)

      « Un financement de la sécurité sociale fragilisé, une équité du prélèvement social mise à mal » (p. 167)
      « Un principe de compensation des pertes de recettes de la sécurité sociale non mis en œuvre » (p. 169)

      « Une augmentation de la #perte_de_recettes équivalente à la hausse du déficit de la sécurité sociale entre 2018 et 2022 »
      On pourrait continuer encore et encore.

      Conclusion : il est faux de laisser penser que le déficit de l’assurance maladie est lié à une faute morale des assurés. Même la cour des comptes dit qu’il faut réfléchir aux recettes de la Sécu.
      Pour[quoi] ne pas parler de cela ?

    • Nicolas Da Silva sur X :

      Pour rappel, la cour des comptes à évoqué le dossier des arrêts maladie dans son rapport du moi de mai. Il faut dire (au moins) deux choses à ce sujet :

      Premièrement, l’augmentation du coût des arrêts maladie n’est pas liée à un changement de comportement des assurés (prétendument plus opportunistes) mais à des causes structurelles :

      En particulier les indemnités augmentent du fait de la hausse (relative) des salaire, de l’augmentation de la population, de l’intégration de certains régimes au régime général de sécu, du vieillissement de la population, des effets probables de la pandémie, etc.

      Le rapport de la cour est bien en peine de montrer l’existence d’un effet d’opportunisme. A défaut de preuve, toute mesure sur les arrêts maladie est une pure mesure d’économie budgétaire (pas de moralisation/responsabilisation) des assurés.

      Deuxièmement, une fois n’est pas coutume le rapport explore l’hypothèse d’une augmentation des recettes de la sécurité sociale en identifiant certaines formes d’évitement des cotisations sociales non justifiées (ou discutables).

      Les critiques de la cour pleuvent :
      « Des dispositifs dérogatoires nombreux aux objectifs imprécis » (p. 158)
      « un manque de transparence de certains intermédiaires » (p. 160)
      « Des montants importants distribués pour des objectifs macroéconomiques peu visibles » (p. 163)

      « Un financement de la sécurité sociale fragilisé, une équité du prélèvement social mise à mal » (p. 167)
      « Un principe de compensation des pertes de recettes de la sécurité sociale non mis en œuvre » (p. 169)

      « Une augmentation de la perte de recettes équivalente à la hausse du déficit de la sécurité sociale entre 2018 et 2022 »
      On pourrait continuer encore et encore.

      Conclusion : il est faux de laisser penser que le déficit de l’assurance maladie est lié à une faute morale des assurés. Même la cour des comptes dit qu’il faut réfléchir aux recettes de la Sécu.
      Pour ne pas parler de cela ?

      https://x.com/dasilva_p13/status/1833410497363824999?t=R0Toi85X0EyVvkwi1W6u5w

    • Hausse des arrêts de travail : le bluff des pouvoirs publics qui culpabilisent les salariés

      Dans la chasse aux économies, les indemnités journalières des arrêts maladie sont visées. Pourtant, leur hausse ces dernières années s’explique surtout par l’augmentation des salaires et le vieillissement de la population en activité.

      LeLe ministre de l’économie démissionnaire, Bruno Le Maire, a peut-être donné un avant-goût du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, durant son audition par la commission des finances de l’Assemblée nationale, lundi 9 septembre. Interrogé sur les perspectives d’économies pour remettre dans les clous le déficit public, il a clairement visé « notre modèle social », parce que « la Sécurité sociale, c’est 50 % [de la dépense publique] », et que « le pays vieillit ».

      En creux, il défendait ainsi la réforme des retraites. Mais en prime, il a ciblé les indemnités journalières (IJ) en cas d’arrêt maladie, qui ont, selon lui, « dérapé ». La veille, dans le journal Les Échos, le directeur général de l’assurance-maladie, Thomas Fatome, annonçait un autre dérapage, celui de la Sécurité sociale, dont le déficit devrait dépasser les 11,4 milliards d’euros annoncés en 2024, si la tendance du premier semestre se poursuit.

      Les recettes de la Sécurité sociale sont en baisse, les dépenses sont en hausse, et en particulier les indemnités journalières versées aux assuré·es en arrêt, à + 8 % depuis le début de l’année 2024. En 2023, elles augmentaient de 6,1 %, portant à 16 milliards ce poste de dépenses… sur les 470 milliards d’euros versés par les cinq branches de la Sécurité sociale. Les IJ étaient pourtant déjà ciblées en 2023, ainsi qu’en 2022. Sans effet, donc.

      L’assurance-maladie n’a pas ménagé ses efforts. Dans son rapport sur l’évolution des charges et produits pour 2025, elle rappelle avoir contrôlé 6 000 médecins aux prescriptions d’arrêts de travail jugées « atypiques », par rapport à la moyenne. Elle estime le « rendement » de ces contrôles à 150 millions d’euros.
      270 000 salariés contrôlés

      Les assuré·es ont également été controlé·es en nombre : 270 000 ont été ciblé·es, par exemple en raison d’arrêts de travail répétitifs, et « convoqué·es », explique à France Info le directeur général de l’assurance-maladie. Il ne veut pas jeter d’« anathème », mais tout de même : « Dans 30 % des cas, l’arrêt n’est pas justifié », assure-t-il. Ce qu’il ne précise pas, c’est que la somme récupérée sur ces contrôles des assuré·es est faible : 38 millions d’euros, selon le rapport de l’assurance-maladie.

      Les entreprises au fort taux d’absentéisme ont au contraire été ménagées : seules 336 entreprises de plus de 150 salarié·es ont été rencontrées. Elles ont bénéficié « d’actions de prévention et d’accompagnement attentionné ». Le « rendement » de ces 336 contrôles est cependant exceptionnel : 35 millions d’euros, presque autant que les contrôles des 270 000 assuré·es. Thomas Fatome a sans doute fait le calcul et s’engage, dans Les Échos, à renforcer les contrôles de ces entreprises aux « profils d’absentéisme atypiques ».

      Il prévoit aussi d’augmenter le contrôle des médecins généralistes qui prescrivent beaucoup d’arrêts de travail : 7 000 devraient recevoir cette année la visite d’un médecin-conseil. Et tou·tes les assuré·es en arrêt depuis 18 mois seront contacté·es pour vérifier « si leur arrêt est justifié ». Car « les abus, cela existe aussi ».
      Une hausse largement mécanique

      Les « abus » expliqueraient donc cette hausse des arrêts maladie, et les assuré·es seraient les premiers suspects et suspectes. Cette augmentation est pourtant largement mécanique, pour trois raisons au moins.

      Elle est d’une part portée par la hausse des salaires, et notamment du Smic (+ 5 % en 2022 et 2023), puisque les indemnités journalières sont égales à 50 % du salaire, avec un plafond d’indemnités calculé à 1,8 Smic. Dans son rapport sur la Sécurité sociale de mai dernier, la Cour des comptes prévenait que cette hausse des salaires continuerait « à avoir des effets en 2024 et au-delà ».

      Les IJ sont également liées à l’augmentation de la population active, + 2,5 % depuis 2017, mais aussi à son vieillissement. La part des plus de 55 ans en activité ne cesse de progresser avec les réformes des retraites successives. Et sans surprise, ces derniers sont plus souvent arrêtés : ils représentent « 18,3 % de la population active en 2022, et 27 % des journées indemnisées », rappelle la Cour des comptes.

      En prime, rappelle la Cour, l’assurance-maladie indemnise les arrêts de travail des indépendant·es depuis 2020 et des professionnelles et professionnels libéraux depuis 2021.

      Comment, dans ces conditions, parler d’une hausse des arrêts maladie abusive, donc rectifiable ? Au premier trimestre, l’assurance-maladie « ne sait pas expliquer » 40 % de la hausse des indemnités journalières, assure Thomas Fatome.
      Tirs croisés contre les arrêts maladie

      Dans son rapport, la Cour des comptes propose plusieurs scénarios de révision de la durée d’indemnisation à considérer : porter le délai de carence avant le versement des IJ par l’assurance-maladie, aujourd’hui de trois jours, à sept jours ; ou encore ne plus indemniser les arrêts courts, de moins de huit jours.

      Seulement, une telle mesure serait très inégalitaire : 70 % des salarié·es ne subissent aucune perte de salaire pendant leurs arrêts, car ils sont protégés par des conventions collectives et de généreuses complémentaires santé. Mais 30 % des salarié·es du privé, mal protégé·es, verraient leurs revenus lourdement chuter en cas de maladie.

      Thomas Fatome défend lui aussi la baisse de l’indemnisation des IJ, qu’il souhaite « plus soutenable », mais il aimerait en même temps que le système soit « plus juste » pour les salarié·es du privé les moins bien couvert·es. Est-ce seulement possible ?

      Autre piste de réflexion : l’indemnisation des fonctionnaires. Un rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales, commandé au printemps par l’ex-premier ministre Gabriel Attal et remis aux parlementaires cet automne, vise spécifiquement leurs arrêts maladie. Le rapport propose la baisse du taux de remplacement de leurs salaires, de 100 % aujourd’hui à 90 %. Autre piste : l’instauration d’un deuxième, voire d’un troisième jour de carence avant le versement des indemnités.

      Instauré par Nicolas Sarkozy, supprimé par François Hollande, puis rétabli par Emmanuel Macron, les effets du jour de carence des fonctionnaires ont été évalués par l’Insee dans la fonction publique d’État. La proportion d’agent·es absent·es pour raison de santé une semaine donnée n’a pas bougé. Mais c’est le type d’arrêt qui a évolué : les absences de deux jours ont fortement diminué, tandis que celles d’une semaine à trois mois ont augmenté. Dans ce cas-là, le jour de carence n’a donc permis aucune économie.

      https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/100924/hausse-des-arrets-de-travail-le-bluff-des-pouvoirs-publics-qui-culpabilise

  • La #démographie, prochain #défi global à haut risque

    Les dernières #projections des Nations unies promettent un #recul de la population mondiale à la fin du siècle, pour la première fois depuis sept cents ans. Un défi pour les sociétés et les économies contemporaines avec des risques politiques majeurs.

    « Le« Le plus grand défi auquel notre monde fait face. » Comme souvent, l’éditorialiste du Financial Times Martin Wolf résume parfaitement, dans un texte du 28 mai dernier, le sentiment qui domine les salles de marché, les bureaux des grandes organisations internationales et les rédactions des journaux économiques. Depuis quelques mois, la crainte d’un « hiver démographique » généralisé, autrement d’un affaiblissement plus rapide que prévu de la population mondiale, agite politiques, économistes et observateurs.

    Ce sont les dernières tendances statistiques publiées qui ont alimenté cette angoisse. Le 10 juillet dernier, les « Perspectives de la population mondiale » pour 2024 des Nations unies ont fait l’effet d’un choc. Alors que le précédent rapport d’il y a deux ans prévoyait un « plateau » de la population mondiale à partir de 2080 aux alentours de 10,4 milliards d’individus, celui-ci prévoit désormais un déclin à partir de cette date.
    Une nouvelle ère démographique ?

    Selon ces dernières perspectives, la population mondiale progresserait de 8,2 milliards d’individus aujourd’hui à 10,3 milliards en 2084 avant de se réduire de 100 millions de personnes en 2100. La nuance peut paraître mince et ne modifie pas le tableau d’une croissance de près de 25 % de la population mondiale d’ici la fin du siècle.

    Mais l’annonce a fait l’effet d’une bombe car, à l’horizon de la fin de ce siècle, la croissance démographique aura entièrement disparu de la surface du globe. Et cela, ce n’est pas un fait mineur. Ce serait la première fois depuis la grande peste du XIVe siècle que la population mondiale se réduit.

    Ce qui participe aussi de cette ambiance, c’est que, comme le décrit au Financial Times, le sous-secrétaire général de l’organisation pour les affaires sociales et économiques, Li Junhua : « Le paysage démographique a beaucoup évolué. » Voici quelques années, nul n’aurait parié sur cette baisse de la population mondiale. La question de la surpopulation était plutôt sur toutes les lèvres. On assiste indubitablement à un vrai changement de régime et nul ne sait si cette tendance baissière peut encore s’accélérer.

    C’est pourquoi tout le monde a l’œil sur les « indices de fécondité », c’est-à-dire le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer. Celui-ci recule partout, y compris dans des régions jusqu’ici caractérisées par une forte fécondité et cela avec une grande rapidité. Or ce chiffre est l’indicateur avancé de l’évolution de la population. Plus il est faible, moins les naissances sont nombreuses et moins le « potentiel » de croissance démographique est important.

    Or une étude publiée dans la revue médicale The Lancet en mai dernier dressait là aussi un tableau préoccupant de la situation. L’article estime, à partir de données multiples, incluant notamment des données médicales liées aux maladies, que « le nombre annuel global de naissance a atteint son pic en 2016 à 142 millions pour tomber en 2021 à 129 millions ». Et le taux de fécondité, lui, va basculer au niveau mondial sous la barre des 2,1 enfants par femme, c’est-à-dire sous le seuil dit de « renouvellement des générations » qui permet, théoriquement, de stabiliser la population.

    Ce chiffre était de 4,84 enfants par femme en 1950, il n’est plus que de 2,3 enfants par femme en 2021. En 2050, il ne serait plus que de 1,81 enfant par femme et en 2100 de 1,59… En conséquence, le nombre de naissances annuelles passera à 112 millions en 2050 et 72,3 millions en 2100. À partir de 2064, il pourrait y avoir plus de décès au niveau mondial que de naissances.

    Évidemment, ces projections de trente à soixante-quinze ans à l’avance sont toujours sujettes à caution, mais elles décrivent une tendance de fond. Une tendance à laquelle les zones de fertilité encore solides que sont l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud n’échapperont pas. Selon les projections publiées dans The Lancet, en 2100, seuls six pays auront encore un indice de fécondité supérieur à 2,1 : la Somalie, les Samoa, le Tchad, le Niger et le Tadjikistan. Et aucun ne dépassera le niveau de 2,5, la Somalie affichant alors un taux record de 2,45.
    Une « bonne nouvelle » ?

    Une telle situation est-elle si dramatique pour que chacun s’en émeuve ainsi ? La fin de la croissance effrénée de la population mondiale qui aura donc été multipliée par 6,4 en deux siècles, entre 1900 et 2100, pourrait finalement ne pas être une si mauvaise nouvelle.

    Chacun le sait, une population en forte croissance exige toujours davantage de la planète. Bien sûr, on peut, comme par le passé, espérer améliorer la productivité agricole. Mais outre que cette dernière a des limites intrinsèques, l’agro-industrie épuise les sols, ravage la biodiversité et accélère la crise écologique.

    Bien sûr, la démographie n’est pas le seul critère de la crise écologique. On y reviendra : tout dépend des modes de vie. Mais il faut bien reconnaître, sans cynisme, qu’une vie humaine a un « coût » écologique qu’il faut aujourd’hui prendre en compte. Une stabilisation de la population de la planète, par ailleurs à un niveau élevé, est donc plutôt bienvenue.

    Elle l’est, ici, d’autant plus que ces projections s’appuient sur des évolutions « naturelles » et non, comme au XIVe siècle, sur les effets d’une pandémie dévastatrice ou, dans certains moments de l’histoire, de guerres ou de massacres de grande ampleur.

    Après ce que certains démographes ont appelé la « transition démographique » – c’est-à-dire un taux de mortalité puis un taux de natalité faibles –, on trouverait un nouvel équilibre « humaniste » sans recourir à l’augmentation de la mortalité. Cette vision peut apparaître comme « néo-malthusienne », mais elle est plus humaniste que celle du vieil économiste anglais. Et surtout, pour être tenable, elle suppose de remettre en cause ce que ce dernier cherchait à sauvegarder, l’organisation sociale existante.

    Une population mondiale plus stable serait en effet une chance pour organiser la répartition des ressources mondiales dans le contexte de crise écologique majeure. L’idée serait alors de tenter de satisfaire les besoins de ces dix milliards d’êtres sans mettre en danger leur capacité à habiter la planète. Et pour cela, il faudrait évidemment changer entièrement de conception desdits besoins, autrement dit changer d’organisation sociale. Finalement, tout cela serait logique : la croissance démographique a été le fruit du capitalisme dominant, la stabilisation démographique appellerait un autre mode de production.

    Mais si l’on cherche à faire entrer cette nouvelle situation démographique dans un système économique fondé sur la croissance de la population, alors on va indéniablement au-devant de fortes turbulences. Et comme la plupart de nos observateurs réfléchissent à système social stable, il est logique qu’ils soient parcourus par un frisson d’angoisse.
    Un poids au pied de la croissance

    Dans les manuels d’économie, la première équation de base de la croissance économique est celle-ci : l’addition de la croissance démographique et des gains de productivité. C’est dire si le capitalisme a été, c’est le cas de le dire, « biberonné » à la hausse de la population. Car si l’expansion économique a permis la « transition démographique », l’inverse est tout aussi vrai.

    Pour créer toujours plus de valeur, il faut inévitablement des bras pour produire et des consommateurs pour acheter. Et si l’on veut toujours plus produire et acheter, il faut bien avoir toujours plus de producteurs et de consommateurs.

    En réalité, même les gains de productivité ne permettent pas de se passer de la croissance de la population, ils réduisent simplement cette dépendance. Car c’est ce que nous apprend l’histoire économique : si l’on peut produire avec moins de bras, il faudra, à terme, plus de bras pour produire toujours davantage.

    Mais il y a davantage. Le système productif est aussi sensible aux classes d’âge. Le choc démographique qui s’est engagé est aussi un choc de vieillissement de la population. Les naissances reculent, les décès sont plus tardifs. La part de la population âgée augmente donc mécaniquement. Cela signifie qu’une part « productive » de plus en plus restreinte de la population doit satisfaire les besoins d’une population « non productive » de plus en plus importante. Selon l’ONU en 2079, il y aura dans le monde plus de personnes âgées de plus de 65 ans que de jeunes de moins de 18 ans.

    Il faut le reconnaître : le capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui n’est pas prêt à faire face à un tel choc. La croissance, déjà en net ralentissement depuis un demi-siècle, ne pourrait encore que ralentir. D’autant que, autres éléments de la croissance économique, les gains de productivité sont de plus en plus réduits. Et que la doxa de la science économique affirme que les travailleurs plus âgés tendent à devenir moins productifs…

    Moins de producteurs, moins de productivité… On comprend donc la panique générale. Les systèmes d’État-providence, et particulièrement d’assurance-vieillesse, conçus autour de l’idée d’une croissance continue du PIB et de la population, vont subir la nouvelle évolution de plein fouet.

    Bien sûr, comme dans le cas de la crise écologique, certains secteurs se réjouissent et annoncent que le vieillissement de la population ouvre de « nouvelles perspectives ». Certains appellent cela la « silver economy » (l’économie « argentée ») : les personnes âgées ont des besoins spécifiques et des entreprises y voient déjà des opportunités de profits.

    Mais c’est là très largement une illusion. Ces « besoins » sont en effet largement des besoins de services à la personne. Or, les services de ce type sont très largement incompatibles avec la production capitaliste et, encore plus, dans un environnement de démographie faible. Ces activités sont en effet intenses en travail, un travail qui sera de plus en plus rare, et peu propices aux gains de productivité qui, souvent sont contraires à la satisfaction du client.

    L’exigence de profit vient alors percuter les besoins réels, laissant peu d’options : soit une dégradation dangereuse du service, comme les récents scandales dans les Ehpad l’ont montré ; soit des subventions publiques massives, alors même que les coûts liés au vieillissement vont exploser et qu’un service public est alors souvent plus efficace. Bref, les coûts de « l’hiver démographique » risquent d’être plus élevés que les bénéfices en termes de PIB et de finances publiques.

    Au niveau global, le ralentissement de la croissance du fait de la démographie sera sans doute plus marqué dans les pays avancés et dans certains pays asiatiques comme la Chine. Mais avec moins de croissance mondiale, les pays les plus pauvres risquent de rester piégés dans une forme de sous-développement, alors que, comme le remarquent les auteurs de l’étude du Lancet, « ces pays porteront une part de plus en plus croissante des naissances à venir » et que les modèles actuels de développement sont déjà en crise. Le monde sera donc plus instable et plus inégalitaire.
    La peur de « l’effacement »

    En avril dernier, le gouvernement sud-coréen a engagé une étude pour tester dans l’opinion la généralisation et l’étatisation d’une mesure déjà pratiquée par certaines entreprises : accorder une prime de 100 millions de wons, soit environ 67 300 euros, par enfant nouveau-né. En Corée du Sud, où un ministère des naissances a été installé en juillet dernier, la question démographique est, désormais, une priorité nationale.

    La fécondité y est la plus basse au monde et elle chute rapidement. Le seuil de renouvellement des générations a été enfoncé dans les années 1980, mais depuis vingt ans, le pays affiche la fécondité la plus basse du monde. En 2023, l’indice de fécondité était de 0,72 et il est attendu à 0,68 en 2024. C’est le seul pays du monde où les femmes en âge de procréer ont moins d’un enfant en moyenne.

    La situation est désormais préoccupante. Dans une tribune parue en décembre 2023 dans le New York Times, un éditorialiste, Ross Douthat, se demandait même si la « Corée du Sud n’était pas en train de disparaître ». En tout cas, les projections prévoient que la population sud-coréenne passerait de 52 millions d’habitants en un an à 38 millions en 2070, soit autant qu’en 1980.

    De ce point de vue, la Corée ne serait, comme le dit Ross Douthat, « qu’un aperçu de ce qui est possible pour nous », entendez en Occident. Aux problèmes économiques vient alors s’ajouter un enjeu « existentiel » qui, inévitablement a des conséquences politiques. La crise démographique ne peut se comprendre au seul niveau mondial, ses rythmes régionaux et nationaux en sont des aspects cruciaux. Pour certains pays, la population progressera plus lentement, pour d’autres, elle reculera franchement.

    La Corée du Sud n’est donc que la pointe avancée d’un iceberg de régions où la population est menacée de déclin : Chine, Japon et Europe. Car sur le Vieux Continent, la vague est déjà arrivée. Selon Eurostat, le pic de population de l’Union européenne devrait être atteint en 2026 à 453 millions d’habitants.

    À partir de ce moment, la population des Vingt-Sept devrait reculer pour atteindre 419 millions de personnes en 2100. Une baisse de 8 % qui prend néanmoins en compte un solde migratoire positif. Le solde naturel, lui, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès, est déjà négatif. Entre 2022 et 2099, il y aura dans l’UE 125 millions de décès de plus que de naissances.

    Les pays les plus avancés dans ce déclin sont l’Espagne (avec un indice de fécondité de 1,13), l’Italie (1,24) et plusieurs pays d’Europe centrale. Mais la vague emporte tout le monde. Proche du seuil de renouvellement des générations dans les années 2005-2015, l’indicateur de fécondité français a chuté ces dernières années pour atteindre 1,68 en 2023, selon l’Insee.

    Face à cette situation, deux solutions se présentent. La première est celle de l’immigration en provenance de pays à la démographie encore solide qui permet de réduire l’impact économique en fournissant aux pays des travailleurs et des consommateurs. C’est une réponse qui peut être efficace sur le plan économique. Une étude de la Fed de Dallas a montré en avril 2024 que l’immigration avait joué un rôle central dans la bonne performance de la croissance en 2022 et 2023 aux États-Unis. Une situation que l’on pourrait plaquer sur l’Espagne en Europe.

    Certes, ce n’est pas une solution miracle, comme le montre le cas allemand où le solde migratoire positif n’a pas sauvé la croissance. Cette option pose, par ailleurs, la question de l’égalité économique entre travailleurs arrivants et travailleurs « natifs ». C’est, de toute façon, une solution temporaire compte tenu du déclin global à venir des populations. Mais elle permet de tenir la tête hors de l’eau en cas de faibles naissances.

    Mais le choix de compenser les pertes de population par l’immigration est considéré par beaucoup comme une autre forme de « danger existentiel », culturel cette fois. Le déclin démographique devient un symptôme d’un déclin civilisationnel plus large. Ce réflexe nationaliste enclenche alors une autre solution fondée sur la priorisation des politiques natalistes pour les populations « natives » au détriment d’une politique d’immigration.

    Ce combat est mené par l’extrême droite, bien sûr, à commencer par les gouvernements hongrois ou italiens, mais pas seulement. En Corée et au Japon, les gouvernements « libéraux » se refusent à ouvrir les frontières. Et le président français Emmanuel Macron n’a pas hésité à faire du « réarmement démographique » une de ses priorités alors même qu’il durcissait les lois sur l’immigration. Comme dans d’autres domaines, la pression culturelle de l’extrême droite fait son œuvre.
    La réaction comme réponse

    La référence en termes de politique nataliste, c’est bien évidemment la Hongrie de Viktor Orbán. Ce dernier a mis en place des politiques de soutien à la natalité qui s’élèvent à pas moins de 5 % du PIB. Par comparaison, la France dépense 2,1 % de son PIB en politique familiale. Dans un premier temps, l’indice de fécondité hongrois s’est redressé, passant de 1,23 enfant par femme en âge de procréer en 2011 à 1,59 en 2020. Mais depuis, cet indice a stagné avant de retomber à 1,36 au premier semestre 2024.

    En Italie, où Giorgia Meloni a fait de la natalité une de ses priorités, un milliard d’euros a été mis sur la table pour soutenir les « mères italiennes » en plus des primes mises en place en 2021 par le précédent gouvernement de Mario Draghi. Mais, pour l’instant, cela ne fonctionne pas. En 2023, le pays a connu son plus faible nombre de naissance depuis sa création en 1861, soit 393 000.

    Cela confirme les affirmations des auteurs de l’article du Lancet : « l’indice de fécondité va continuer à décliner au niveau mondial et restera faible même avec la mise en place de politiques natalistes à succès ». Le mouvement est donc plus profond que ce que les politiques croient et ne se réglera pas à coups de subventions massives des naissances.

    Mais cette résistance même vient alimenter le discours de l’extrême droite. Car si la faible fécondité résiste à l’attrait de l’argent, ce serait en raison de la corruption des valeurs traditionnelles qui détournent les femmes de leur « naturelle » fonction génitrice. Tout cela est en conformité avec le discours d’un déclin démographique à enjeu civilisationnel. Le discours nataliste s’accompagne alors d’une rhétorique anti-wokiste qui peut aller très loin.

    Les responsables de la menace d’effacement démographique deviennent donc, pour l’extrême droite, les féministes et les « lobbies LGBT », mais, aussi, plus globalement tous les droits acquis par les femmes, y compris le droit à l’avortement. Les politiques natalistes sont donc aussi des politiques idéologiques. En Hongrie, les femmes se plaignent d’une « objectivation » de leur corps, considéré comme une « machine à bébés ». En d’autres termes : l’urgence démographique mène à une volonté de domination de la « production d’êtres humains » qui est la première pierre à un projet totalitaire et réactionnaire.
    Pourquoi la crise ?

    Et comme on l’a dit, les « libéraux » ne sont pas loin derrière… Et pour cause, l’analyse des causes de la situation démographique provenant de ces milieux est souvent assez bas de plafond, pas très éloignée d’une discussion de café du commerce. En tout cas, faute de pouvoir aller plus loin, on se contente souvent d’une explication « morale ».

    Dans le Financial Times, le responsable d’un centre viennois spécialisé avance ainsi ce type d’analyse : « Il est probable que la situation démographique ait à voir avec un changement de valeur dans la nouvelle génération pour qui avoir des enfants est moins important comme élément clé d’une vie réussie que pour les générations précédentes. »

    Autrement dit : la baisse des naissances serait le produit d’un choix souverain de l’individu fondé sur des critères hédonistes. Tout cela ressemble furieusement à une analyse sectorielle lambda. Mais on ne saura pas ce qui peut expliquer ces comportements. In fine, cette vision rejoint celle de l’extrême droite sur les effets délétères du « libéralisme sociétal » sur les naissances. Il s’ensuit que, là aussi, au nom de la rationalité économique, on s’efforcera de prendre le contrôle de la reproduction humaine.

    Dans toute cette affaire, on évite soigneusement de réfléchir aux conditions matérielles concrètes de la production d’êtres humains. Comme le rappelle l’essayiste états-unien Jason Smith dans un remarquable texte paru en juillet dans la revue new-yorkaise The Brooklyn Rail, « il n’y a pas d’indice “naturel” de fécondité ». La reproduction humaine est toujours étroitement liée aux conditions de reproduction sociale et aux besoins sociaux.

    Avant le capitalisme, les sociétés rurales « régulaient strictement les naissances » rappelle Jason Smith. Dès lors, les « transitions démographiques » ne sont pas étrangères au besoin massif de main-d’œuvre du capitalisme naissant et à l’apport du travail des enfants à la sauvegarde des ménages. Progressivement, le capitalisme a mué avec l’augmentation rapide de la productivité et a permis progressivement, et non sans mal, une libération du choix des femmes en matière de reproduction.

    Mais cette libération s’est faite au moment où le capitalisme occidental, avec la crise des années 1970, est entré en mutation. L’épuisement des gains de productivité a pesé sur les salaires réels et a conduit au développement du travail féminin, souvent cantonné à des salaires plus faibles. Alors les inégalités se creusaient, la progression sociale devenait de plus en plus difficile. Enfin, en accélérant son développement pour tenter de sauvegarder la croissance, les conditions écologiques n’ont cessé de se dégrader.

    Tous ces éléments peuvent être corrigés, mais pas réparés durablement par les politiques natalistes. On ne fait pas un enfant, même pour 100 millions de wons, lorsque l’on est incertain de son avenir personnel et de notre avenir collectif. Lorsque la pression sur le statut social, la santé ou le logement ne cesse d’augmenter, la difficulté à élever des enfants, mais aussi à projeter pour eux un avenir meilleur se dégrade. Or voici des certitudes que le capitalisme contemporain ne saurait donner.

    Ce qui est ici essentiel, c’est de bien percevoir que les données de la « production d’êtres humains » sont non seulement complexes, mais relatives à la situation dans laquelle on se situe. Les besoins et les exigences ne sont pas les mêmes dans les différentes sociétés. Comme le note Jason Smith, dans certains pays émergents, comme le Nigeria, le travail des enfants reste essentiel à la survie des ménages, mais, progressivement, le succès du développement capitaliste atteint ses propres limites, ce que même les Nations unies doivent reconnaître. Et de ce fait, il devient incapable de satisfaire les besoins qu’il crée pour son propre intérêt.
    L’avenir du capitalisme face à la crise démographique

    À quoi peut ressembler une économie en crise démographique ? On a vu que la pression du vieillissement d’une population en déclin sera sévère et en partie insoluble. Mais il n’y a pas de situation désespérée pour le capitalisme. Comme le rappelle Jason Smith, un des apports de Marx a été de précisément montrer la capacité du capital à produire de la valeur quelle que soit l’évolution de la population.

    Le capitalisme contemporain va donc s’efforcer de contourner l’obstacle pour continuer à produire de la valeur et, au moins, gagner du temps. Les tentatives de reprise en main sociale de la reproduction par une attaque directe sur les droits des femmes représentent la réponse de long terme possible, celle censée permettre de faire repartir la fécondité. C’est aussi pour cette raison qu’extrême droite et néolibéraux se retrouvent sur ce point. Mais il y a aura aussi des réponses plus directes.

    Le problème central de la nouvelle donne démographique pour le capitalisme est double : c’est, d’une part, une pénurie de travail qui le renchérirait et, d’autre part, un coût croissant des dépenses sociales. Pour continuer à produire de la valeur, il existe des réponses à ces deux défis. Le premier est évidemment d’automatiser le plus d’activités possible. L’intelligence artificielle (IA) ouvre là une possibilité permettant de relancer la productivité et maintenir un « surplus de population ». Mais son développement suppose des politiques classiques de soutien à « l’innovation » : financiarisation, baisses d’impôts sur le capital et subventions au secteur privé. Mais nul ne sait si ce développement est possible, que ce soit en termes techniques ou en termes de soutenabilité économique.

    Pour les emplois non automatisables, de nouvelles dérégulations du marché du travail permettant plus de précarité et offrant moins de droits permettront de contenir, malgré la pression, les salaires vers le bas. C’est d’ailleurs ce que l’on constate déjà dans plusieurs pays avancés comme les États-Unis où la croissance des salaires réels reste faible, malgré le plein-emploi.

    Enfin, il faudra achever d’en finir avec l’État social pour éviter que les dépenses publiques n’explosent et ne pèsent sur les profits. The Economist profitait en mai de la publication de l’étude du Lancet pour proposer ses solutions incontournables et notamment le report de l’âge de la retraite de plus de cinq ans « même si l’espérance de vie recule » et, bien évidemment, la privatisation le plus possible des pensions.

    Globalement, le monde que promet la crise démographique est un monde d’intensification des politiques actuelles. Une intensification qui finira immanquablement par aggraver la crise démographique. C’est bien pour cela que cette crise est aussi une opportunité pour construire une autre organisation sociale fondée sur la solidarité internationale, sur le respect des choix individuels et sur une logique de sortie de l’obsession de croissance.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/010924/la-demographie-prochain-defi-global-haut-risque
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  • Michel Barnier nommé premier ministre : « Emmanuel Macron a donné les clés du camion au RN »
    https://theconversation.com/michel-barnier-nomme-premier-ministre-emmanuel-macron-a-donne-les-c

    Il fallait convaincre LR de participer à l’alliance, mais aussi obtenir la neutralité du Rassemblement national et assurer qu’il ne censurerait pas immédiatement ce nouveau premier ministre. Or Barnier est apparu comme moins hostile au RN que Xavier Bertrand, élu contre le Rassemblement national, sur les terres de Marine Le Pen, dans les Hauts-de-France. Michel Barnier, lui, avait surpris son monde lors de la primaire des Républicains en 2021, en critiquant la politique européenne et les accords de Schengen, et en appelant à un renforcement du contrôle des frontières et à un durcissement de la politique nationale en matière d’expulsion des étrangers. Le RN s’est appuyé là-dessus pour dire qu’il avait évolué positivement. En soutenant Barnier, Le Pen évite d’apparaître comme responsable du blocage institutionnel ou du désordre potentiel et peut endosser l’habit de dirigeante « responsable ».