• Mégafeux en Californie : le réchauffement climatique a bon dos
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/31/megafeux-en-californie-le-rechauffement-climatique-a-bon-dos_6136756_3232.ht

    Le climat est mis au premier rang des responsables des grands incendies des dernières années. Mais il n’est peut-être pas inutile de rappeler que ces catastrophes ont aussi des causes très immédiates qui tiennent aux forces économiques.

    Analyse. Si louables qu’ils soient, les gros titres sur le changement climatique – les « mégatitres », pourrait-on dire –, dégainés dès que s’enflamment quelques arpents, ont l’inconvénient d’occulter un élément important du débat sur les incendies : la dimension économique. A court terme, prévenir et lutter contre les feux est avant tout une affaire de gros sous. Il y aurait moyen de limiter l’impact des incendies à condition d’y mettre le prix.

    A long terme, il est clair que l’élévation des températures est responsable de l’intensification des incendies et de l’apparition des mégafeux, ces brasiers qui dévastent plus de 10 000 hectares et échappent au contrôle des pompiers. Pas besoin d’être climatologue pour comprendre que plus le bois est sec, plus il s’enflamme facilement.

    Même aux Etats-Unis, la plupart des médias ont mis sans ambiguïté le changement climatique au premier rang des responsables du dernier incendie en Californie, l’« Oak Fire », apparu le 22 juillet aux abords du parc de Yosemite. Un foyer relativement modeste (8 000 hectares), comparé à ce qui est devenu la norme dans le Golden State, mais qui, ayant coïncidé avec une canicule exceptionnelle sur la Côte est – où sont situées les principales chaînes de télévision –, a été vu comme la manifestation d’un pays en feu.

    Des causes humaines à 95 %

    Une fois posé le rôle du climat, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les incendies ont aussi des causes très immédiates qui tiennent aux forces économiques. En Californie, par exemple. Selon Cal Fire, l’agence californienne de lutte contre les incendies, les départs de feux sont à 95 % d’origine humaine. A elle seule, la compagnie électrique PG&E a été reconnue coupable de plusieurs incendies depuis 2015 : du plus meurtrier, le « Camp Fire » de 2018, qui a réduit en cendres la commune de Paradise, entraînant la mort de 85 personnes, au gigantesque « Dixie Fire », de 2021, qui a dévasté 405 000 hectares. A chaque fois, des étincelles sous des lignes mal entretenues ont provoqué le départ du feu (dans le cas du « Dixie Fire », un arbre mort est tombé sur un pylône ; l’enquête a montré qu’il aurait dû être déblayé depuis treize ans).

    La justice a condamné PG&E à plusieurs reprises à débroussailler. La compagnie traîne les pieds pour sauver sa marge bénéficiaire. Pourquoi les lignes ne sont-elles pas enterrées comme c’est le cas en Europe ? Cela aurait coûté trop cher aux capitalistes de l’époque de l’électrification…

    PG&E a commencé à enterrer quelques lignes. Depuis deux ans, l’entreprise a aussi déployé une stratégie imparable, et qui ne coûte rien : elle coupe le courant aux abonnés quand les vents sont trop violents. Cela ne l’a pas empêchée en 2021 de facturer un supplément « changement climatique » aux consommateurs pour financer les compensations qu’elle a été obligée de verser aux victimes des incendies qu’elle avait provoqués. Le climat a bon dos…
    En août 2020, nombre de départs de feux simultanés n’ont pu être traités à temps du fait de l’insuffisance de main-d’œuvre. Pourquoi cette pénurie ? Question financière

    Autre exemple : le débroussaillage et les incendies contrôlés. Selon les spécialistes, c’est l’un des moyens de lutte les plus efficaces contre les feux. Pourquoi n’y recourt-on pas davantage ? En Californie, le sujet est délicat. Quarante-sept pour cent des forêts appartiennent à l’Etat fédéral, Washington et Sacramento se renvoient les responsabilités sur le financement de la gestion des sous-bois. Mais, quelle que soit l’autorité de tutelle, les incendies contrôlés nécessitent du personnel, donc des moyens. Faute de quoi la situation risque de dégénérer comme au Nouveau-Mexique, en avril : 138 000 hectares ont été dévastés et des centaines de maisons détruites – l’incendie le plus important de l’histoire de l’Etat – à cause de deux feux mal programmés par le service fédéral des forêts.

    Une fois que le feu a démarré, il faut des avions, des camions-citernes, des bulldozers. La Californie a pris conscience qu’elle était sous-équipée face aux monstres pyrotechniques qui la menacent. En 2021, le gouverneur démocrate Gavin Newsom a proposé un plan anti-incendies d’un montant record de 2 milliards de dollars (1,97 milliard d’euros). L’Etat s’est doté de sept avions-citernes et de douze hélicoptères susceptibles de voler la nuit (les précédents dataient de la guerre du Vietnam). Pour l’une de leurs premières sorties nocturnes, les nouveaux Firehawk ont fait des prouesses contre l’Oak Fire. Preuve que même un feu « explosif » peut être réduit.

    Les pompiers, trop mal payés

    Encore faut-il les ressources humaines suffisantes. En août 2020, nombre de départs de feux simultanés sous l’effet de milliers d’éclairs « secs » n’ont pu être traités à temps du fait de l’insuffisance de main-d’œuvre. Pourquoi cette pénurie (bien que la Californie fasse appel à plusieurs milliers de prisonniers chaque année) ? Question financière là encore. Les pompiers sont très mal payés. « Moins de 13 dollars de l’heure, c’est inacceptable », s’exclamait Joe Biden en 2021. Le président a porté le salaire minimum des pompiers fédéraux à 15 dollars de l’heure, espérant attirer des recrues, tout en admettant que la compensation n’était pas suffisante. La Californie, de son côté, a augmenté ses effectifs de 13 % en 2022, portant à 11 300 le nombre de pompiers, mais, en cas de crise, l’Etat est obligé de faire appel à ses voisins de l’Ouest américain.

    Certains, enfin, reprochent aux habitants de s’installer dans des régions à risque, ces zones d’interface entre forêt et espaces périurbains. Pourquoi aller tenter le diable ? Le plus souvent, ce n’est pas par misanthropie mais par souci d’économies. En Californie, le coût du logement a atteint des proportions qui forcent retraités ou salaires modestes à s’exiler hors des villes. A Paradise, le quartier réduit en cendres abritait un « trailer park » de mobile homes peuplés de personnes âgées.

    Réduire en 2030 les émissions de gaz à effet de serre de 48 % à 52 % par rapport aux niveaux de 2005, comme le propose l’administration Biden, est un objectif louable. Mais l’élimination des énergies fossiles est une entreprise de longue haleine, qui touche, aux Etats-Unis, au cœur du fonctionnement de la démocratie. Ceux qui sont aux premières loges des catastrophes ne peuvent pas attendre que le Congrès adopte le Green New Deal – le plan climat proposé par les progressistes. Ou que la Cour suprême revienne sur la décision « Citizens United » de 2010 qui a levé les limites au financement électoral par les entreprises ou les syndicats. Et donné à l’industrie des carburants fossiles toute latitude pour influencer le débat politique et retarder la transition énergétique.

    #incendies #débroussaillage #logement