La nouvelle réduction, à hauteur de 30 euros de l’aide au logement social, que doivent compenser les bailleurs, sera effective sur la quittance reçue le 30 juin.
Le gouvernement n’en finit pas de détricoter le système des aides personnalisées au logement (APL). Il s’est promis de réaliser 2,1 milliards d’euros d’économies sur le budget annuel de la mission Cohésion des territoires, et les APL sont sa première cible. A cette fin, les 2,3 millions de locataires HLM qui perçoivent l’APL risquent de ne rien comprendre à la quittance de loyer qu’ils vont recevoir pour le mois de juin.
La réforme des aides, qui devait être mise en œuvre dès le 1er février 2018, va finalement être effective le 30 juin. Elle installe une baisse des APL de 30 euros par foyer et par mois en logement social. Pour la compenser, le gouvernement a décidé une diminution équivalente du loyer prise en charge par les bailleurs sociaux. Figureront ainsi sur les quittances de juin trois nouvelles lignes : une « baisse des APL », une « réduction de loyer de solidarité » (RLS) et enfin une ligne pour le rattrapage des cinq mois de retard entre février et juin.
Il faut dire que la complexité de cette réforme a nécessité de nombreux allers-retours et des échanges d’informations et de fichiers entre les bailleurs sociaux et les Caisses d’allocations familiales (CAF), qui calculent et versent les APL. Dans une simulation préparatoire, certains calculs lésaient 23 000 locataires de cinq centimes par mois et le gouvernement a alors exigé de les refaire pour éviter de trahir la promesse du secrétaire d’Etat à la cohésion des territoires, Julien Denormandie : que les locataires n’en soient pas « d’un seul euro de leur poche ».
« Environ 10 % de nos locataires s’attendaient à une baisse ou un remboursement de loyer et sont un peu déçus », raconte Fabrice Hainaut, directeur général de l’Office public d’habitat (OPH) du Puy-de-Dôme. La Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) avait, en effet, dans un courrier aux allocataires du 15 mai 2018, annoncé la baisse de loyer, mais il fallait lire sa lettre jusqu’au bout pour comprendre l’autre diminution concomitante de l’APL.
Lire aussi : Le modèle français du logement social en danger
« Les locataires sont inquiets »
« Il s’agit d’une réforme complexe, technocratique, bureaucratique, et injuste puisqu’elle pénalise les bailleurs comme nous, qui accueillons beaucoup de locataires très modestes, dont 60 % perçoivent l’APL, proteste Christophe Bouscaud, directeur de Orne Habitat. L’Etat invente la solidarité à l’envers et cela nous oblige à consacrer un temps plein à ces calculs, sur environ 6 000 quittances aux montants déjà très faibles, de 324 euros en moyenne, et 300 dossiers plus compliqués, de locataires partis ces derniers mois dont les comptes sont clos et qu’il faut refaire à la main… »
Un des plus gros bailleurs sociaux d’Europe, Paris Habitat, a mobilisé, lui, deux personnes à temps plein pour ses 36 000 locataires concernés, et a dépensé 65 000 euros de frais informatiques, non comptée la nécessaire communication.
De son côté, l’Etat économise 800 millions d’euros d’APL en 2018 et 2019, puis 1,5 milliard d’euros à partir de 2020, aux frais des bailleurs sociaux et aux dépens de leurs futurs investissements, constructions et réhabilitations, qu’ils revoient d’ailleurs tous à la baisse, souvent de moitié.
Cette réforme des APL s’ajoute à d’autres, comme la baisse d’autorité de cinq euros, le 1er octobre 2017, s’appliquant aux 6,5 millions d’allocataires, parc public et privé confondus, qui a fait beaucoup de bruit et était « une mauvaise décision » comme l’a reconnu, sur France 3, le 6 mai, Julien Denormandie. Cela n’empêche pas le gouvernement de prolonger la mesure en 2018, prise à l’origine pour les trois derniers mois de 2017, tout en décrétant le gel du barème qui lui permettra de grignoter encore quelques euros sur chaque quittance.
Lire aussi : Dans les quartiers, les projets de rénovation urbaine revus à la baisse
« Un tel gel pèsera plus lourd sur les ménages modestes, dont l’APL est élevée », souligne Manuel Domergue, de la Fondation Abbé-Pierre. Le dernier gouvernement du quinquennat de François Hollande avait aussi, à compter du 1er juillet 2016 puis du 1er janvier 2017, choisi d’écrêter dans le calcul du barème les loyers les plus élevés pour en alléger l’APL, ce qui a eu pour conséquence de diminuer ou supprimer cette aide à 1,5 % des allocataires, et d’intégrer dans le calcul de leurs ressources leur patrimoine de plus de 30 000 euros.
« Les locataires n’y comprennent plus rien et sont inquiets de cette avalanche de réformes qui se télescopent mais vont toutes dans le même sens d’une baisse des aides de l’Etat », témoigne Bernard Thoreau, de l’association de locataires Confédération nationale du logement (CNL) du Val-de-Marne.
Une mesure qui fonctionne à la baisse
Mais la réforme la plus douloureuse pour l’ensemble des locataires, y compris du privé, est à venir et devrait prendre effet d’ici le 1er juillet 2019. Elle consiste à ajuster, chaque trimestre voire chaque mois et non plus avec les deux ans de décalage de l’ancien système, le montant de l’APL aux revenus et à la situation familiale effective du ménage. La prise en compte instantanée des revenus, qui permet ce que les spécialistes appellent dans leur jargon la « contemporanéisation des prestations », sera possible à partir du 1er janvier 2019 grâce au prélèvement à la source de l’impôt.
Employeurs, Urssaf, caisses de retraite déclareront chaque mois au fisc les revenus qu’ils versent à leurs salariés, pensionnés ou chômeurs, et la CAF accédera à ces données et connaîtra « en temps réel » les ressources de ses allocataires. Le gouvernement ne voulait pas être accusé de se contenter de « coups de rabot » et avait demandé expressément à la caisse nationale des allocations familiales de ne pas toucher, comme c’est l’habitude, au barème et aux critères d’éligibilité. Il fallait, selon les termes de Julien Denormandie, pouvoir « raconter une histoire » et plaider, comme il l’a fait en septembre 2017, « une mesure juste, qui permettra d’économiser plus d’un milliard d’euros », peut-être même 1,3 milliard d’euros.
Mais la mesure ne fonctionne, en fait, qu’à la baisse. Un chômeur ou un jeune qui trouve ou retrouve un emploi et gagne plus verra, avec ce nouveau système, son APL baisser immédiatement : 600 000 personnes risquent ainsi, selon un connaisseur de ce secteur, de se voir supprimer l’APL du jour au lendemain. En revanche, en cas de chute de revenu, lors d’un licenciement ou d’un départ à la retraite, la CAF accorde déjà, sur demande et depuis longtemps, un relèvement rapide de l’allocation.
L’autre inconvénient majeur de cette variabilité fréquente des aides est de priver un public très modeste de toute visibilité sur ses ressources.