• Les Suédois victimes de la « coronaskam », la honte de la stratégie du pays face au Covid-19
    https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/31/en-suede-les-habitants-ont-la-coronaskam-la-honte-de-la-strategie-du-pays-fa

    L’année 2019 avait popularisé le mot « flygskam » : en suédois, la honte – « skam » – de prendre l’avion – « flyga » –, ce moyen de transport polluant. L’année 2020 a rapidement réglé le problème, en clouant au sol la majeure partie de la population mondiale. Pour autant, les Suédois ne se sont pas départis de leur sentiment de déshonneur. A la « flygskam » a succédé la « coronaskam » : littéralement, la « honte du corona ». En cause : la stratégie suédoise face à la pandémie due au coronavirus et la décision du gouvernement, à Stockholm, de ne pas confiner sa population. Chez ses voisins, ayant tous adopté des mesures plus restrictives, cette approche tout en douceur a d’abord suscité l’incompréhension, avant de provoquer l’effroi, et parfois, l’hostilité. Car au final, la Suède a enregistré 4,5 fois plus de morts que le Danemark, près de neuf fois plus que la Finlande et l’Islande, et onze fois plus que la Norvège.

    Or, les Nordiques veulent croire qu’ils ont plus de points communs que de différences : une histoire, une culture, des traditions, et même la langue pour certains. Bref, « une identité très forte, pas toujours facile à mesurer de l’étranger », assure Anna Hallberg, ministre suédoise des questions nordiques. Depuis 1952 – et jusqu’à l’arrivée du coronavirus – leurs ressortissants pouvaient même passer d’un pays à l’autre, sans montrer leur passeport. Mais « tout cela n’a rien à voir avec ce qui s’est passé depuis le début de la pandémie », martèle Bertel Haarder, député danois du Parti libéral et président du conseil de la liberté de circulation mis en place par les cinq pays. A partir du 1er janvier 2021, il va prendre la tête du Conseil nordique, dans un contexte complètement inédit.
    Non seulement, depuis le mois mars, les frontières ont fait leur réapparition dans la région, ce qui a causé un traumatisme dans les régions limitrophes, dont l’économie a été durement affectée. Mais de nombreux Suédois affirment être stigmatisés par leurs voisins. C’est le cas notamment d’une partie des 14 000 transfrontaliers qui vivent en Suède et travaillent en Norvège et dont certains disent être ostracisés par leurs collègues ou leurs employeurs. Chaque semaine, ils doivent se faire tester dans un centre de dépistage norvégien.
    « Pourtant, jusqu’à début décembre, les contaminations étaient plus élevées côté norvégien que suédois dans les localités frontalières », rappelle Kjell-Arne Ottosson. Député chrétien-démocrate, vivant dans la province suédoise du Värmland, « à 100 m de la Norvège », il ne décolère pas : « Sur un chantier à Oslo, des ouvriers suédois ont dû porter une veste de couleur orange et manger dans une salle séparée », affirme-t-il. Même ceux qui vivent en Norvège depuis des années font part de leur malaise. « Au printemps, on nous traitait comme des pestiférés », assure Johan Öberg. Habitant à la frontière, côté norvégien, il en a parlé à des journaux locaux. « Depuis, quand je discute avec les parents du club de hockey de ma fille, par exemple, ils me demandent d’abord si cela ne me dérange pas qu’ils me posent des questions sur la Suède. » Des interrogations devenues désormais inévitables pour les Suédois à l’étranger, qui ne savent pas toujours y répondre. (...) Pour certains, la honte finit par être intériorisée : « Quand la frontière a été brièvement ouverte cet été, je suis allé faire du kayak sur mon lac préféré, juste à côté de chez moi en Norvège, raconte Kjell-Arne Ottosson. D’habitude, je vais boire un café après, mais j’y ai renoncé. Je ne me sentais pas bien, j’avais l’impression de violer la loi, d’être un criminel. Pourtant, je ne faisais rien d’illégal. »Des Norvégiens, propriétaires de maisons secondaires en Suède, se sont eux aussi retrouvés exposés à la « coronaskam », après avoir passé la frontière. Un millier d’entre eux a d’ailleurs porté plainte contre l’Etat norvégien, qui leur impose une quarantaine de dix jours, à leur retour de Suède. La ministre suédoise Anna Hallberg va jusqu’à parler de « harcèlement » et s’inquiète d’une polarisation, dont elle craint qu’elle laisse des marques durables, qui « mettront du temps à guérir ». Bertel Haarder regrette pour sa part, « le sentiment de défiance », qui s’est installé dans les régions transfrontalières, compliquant l’intégration des cinq pays nordiques : « A l’avenir, certains pourraient hésiter à chercher du travail ou déménager dans le pays voisin », observe-t-il.

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