Il y a plusieurs phases dans la vie d’un réseau social, cette espèce d’espace devenu organisme qui semble croître indéfiniment. Au départ, quelques pionniers, exhaltés par leur participation à l’extension du monde, la redéfinition des relations entre les hommes, à travers des machines. Tout le monde se croise et se découvre, inventant de nouvelles règles relationnelles, élaborant des projets communs, dessinant de nouveaux horizons. Les contributions trouvent un écho, souvent positif, dans l’esprit gobal qui émerge du système. Puis le réseau s’étend, se gonfle, les distances s’acroissent. Dans la multiplication des règles et accords tacites s’affirment des standards de comportements que renforcent les effets de retroactions du système. Les contributions trouvent des échos de plus en plus lointains et de plus en plus rare. Elles deviennent des bouteilles jetées à la mer, où qui tombent dans des puits sans fond. C’est par exemple à se moment là que certains utilisateurs zélés usent et abusent de la copie d’écran pour pouvoir dénoncer les contributions supprimées, en y plaquant une projection de l’autre, en imaginant sa culpabilité, en acceptant comme standard comportemental qu’une contribution supprimée n’est nécessairement pas assumée par un auteur que l’on imagine, autre que soi. Le clash remplace le traditionnel flame et devient la figure de style qui permet le buzz. Selon les standards comportementaux adoptés, la suppression de contribution aurait plus de sens que la contribution elle-même, incapables que sont devenus les acteurs du système de voir à quelle accumulutation absurde de contributions ils se livrent eux-mêmes, incapables de percevoir l’ empilement de fatuité auquel ils contribuent dans leur chute vertigineuse au fond de ce puit, incapables de supprimer quoi que soit, obsédés par la capitalisation et l’accumulation relationnelle sur soi-même devenu marque. Alors, tout le monde ou presque a rejoind le réseau, chacun y a créé sa place, reproduisant cette position qu’il avait en dehors, le chanteur, le journaliste, le politique, .. les nouveaux horizons ont largement disparus derrière la reproduction des rôles et des règles qui prévalaient déjà par ailleurs. Ce ne sont plus les contributions qui sont jetées à la mer, mais les utilisateurs eux-mêmes, qui flottent sur des vagues successives, s’entrechoquent sans plus rien comprendre de l’univers dans lequel ils baignent, tentant désespérement de contribuer toujours plus pour retrouver l’illusion d’exister dans ce nouvel espace, devenu le ventre de la baleine. Alors bientôt, pris par des sensations de nausées, et dans un éclair de conscience lucide sur les profondeurs de l’abîme, les profils ne suppriment pas seulement leurs contributions, il se suppriment eux-mêmes, désertant les utopies devenues des systèmes digestifs infestés de robots et autres utilisateurs automatisés dont la conscience pourrit lentement sous les effluves des interactions les plus manipulatrices. Le réseau qui n’avait d’autre finalité que d’extraire le miel du compost des utilisateurs a dévoré sa ressource et disparait dans l’agonie, alors que plus loin naissent de nouvelles créatures, encore plus belles, et plus inquiétantes.