• Merci à Samir Hchicha pour cet extrait partagé. A lire
    Témoignage d’un ancien haut gradé de la SM et du DRS par la suite. Il raconte comment s’est déroulée la grande manipulation durant les années 1990 91 92 ...en Algérie

    NB : si d’aventure quelque orientaliste se poserait béatement la question de savoir pourquoi nous faisons les liens entre Daech et la secte Hijra w Takfir, qu’il lise ceci

    >> Faux tracts islamistes

    À l’époque, il est vrai, les islamistes se distinguaient par les prêches incendiaires de Ali Benhadj chaque vendredi (en alternance dans les mosquées de Kouba et de Bab El Oued). Les marches imposantes réunissant plusieurs dizaines de milliers de sympathisants du FIS qu’ils organisaient chaque jeudi à Alger mettaient en valeur les capacités mobilisatrice de ce parti et faisaient peur aux militaires. Ces démonstrations de force devenaient une menace certaine pour les intérêts de la caste au pouvoir. (Bien avant le contexte de la guerre du Golfe et profitant de la faiblesse des pouvoirs publics, les leaders du FIS développaient un discours violent comme en témoigne l’interview de Ali Benhadj, parue dans le quotidien l’Horizondaté du 23 février 1989 dans laquelle il déclare : « si le pluralisme permet à des partis politiques de propager des idées et des opinions en contradiction avec les croyances de l’Islam, il sera mit fin à cette pratique démocratique. Le musulman ne peut admettre l’apparition de partis qui prônent la contradiction avec l’Islam, tout en refusant la vision occidentale du multipartisme » ou celle de Abbassi Madani, parue dans l’hebdomadaire Algérie Actualitésdaté du 24 décembre 1989, affirmant, je cite : « Si la démocratie est un cadre de dialogue et de respect de l’opinion, nous sommes d’accord avec ce concept, par contre nous n’acceptons pas que l’élu soit en contradiction avec l’Islam, sa charia et ses valeurs ».

    Le FIS qui avait en effet pris cause pour l’Irak en reprochant aux dirigeants algériens leur manque d’engagement aux cotés des irakiens, était monté au créneau contre le régime jugé trop « laïc » et trop « détaché de l’Islam »)

    Cette période coïncidait aussi avec l’apparition de l’activisme de la secte d’El Hidjra oua Takfir, une organisation extrémiste, dont l’idéologie est importée par certains moudjahidine « afghans » de retour en Algérie et qui fait référence au courant salafiste, apostasiant tous ceux qui ne font pas référence à leur doctrine. Cette secte minoritaire et nullement en rapport avec nos traditions séculaires autorisait même le meurtre du père, de la mère, du frère ou de la sœur si celui ci ou celle ci ne se conformait pas aux lois islamiques. Toute transgression est punie par la mort.
    La secte d’El Hidjra oua Takfir gagnait certes du terrain mais pas au point d’être considérée comme une menace sérieuse. Avec une meilleure sensibilisation des responsables des partis islamiques et avec plus de rigueur, les services de sécurité et la justice auraient pu facilement éradiquer ce fléau. Hélas ces mesures ne cadraient pas avec le programme des généraux.

    Au même moment où apparaissait au grand jour la secte d’El Hidjra oua Takfir, les services secrets algériens s’attelaient à reconstituer le MIA (mouvement islamique armé, voir les détails sur cette affaire plus loin). D’où la volonté délibérée des généraux de faire l’amalgame autour du FIS, parti en plein essor.

    Pour contrer cet activisme du FIS, nous fûmes amener à exploiter les dissensions qui existaient à l’intérieur de ce parti et à recourir à la presse « indépendante » pour sensibiliser l’opinion sur le danger de la « menace » islamique, en exploitant les propos excessifs de certains dirigeants du FIS, et en encourageant les « intellectuels » à dénoncer l’extrémisme islamique.

    En somme le DRS mettait de « l’huile sur le feu » pour donner l’impression que le FIS est un parti qui cherche à imposer une dictature islamique.

    Mes officiers se chargeaient même de la distribution (auprès des journalistes, des associations féministes, …) et de l’affichage (dans les mosquées, les cités universitaires de Bouzareah, Delly-Brahim, les campus des universités de Bab Ezzouar, la fac centrale…) de tracts et communiqués signés au nom du FIS, que rédigeait en fait le capitaine Djaafar Khelifati. Cet officieux originaire d’El Harrach, très pieu, qui recevait directement ses instructions du colonel Smaïn Lamari via le commandant Amar Guettouchi, aurait (selon un rapport que m’avait fait parvenir le capitaine Chetibi Farouk en mars 1991, mais auquel je n’ai accordé aucune suite) un lien familial avec Ali Benhadj.

    Ces faux communiqués créaient la zizanie chez les dirigeants islamistes (le but initial était de créer un conflit entre Abbassi Madani et Ali Benhadj sur l’auteur des tracts, l’un suspectant l’autre de rédiger des communiqués sans consultation ou concertation préalable) car les « fetwas » (décrets religieux) contenues dans les faux communiqués de la DCE appelaient les fidèles à se débarrasser des « taghouts » (mécréants), à refuser la démocratie « occidentale et décadente », et incitaient les gens à la peur.

    Souvent les faux communiqués contenaient des appels au Djihad, à la désobéissance ou au soulèvement et à prendre les armes contre le pouvoir si la loi électorale ou le découpage électoral ne respectaient pas la volonté populaire, l’ouverture de camps d’entraînement aux militants du FIS désirant aller combattre auprès des troupes irakiennes lors de la guerre du Golfe, l’instauration d’un régime théocratique, l’application de la charia (la loi coranique) …

    Par la suite et dès la fin 1992 ce fut au nom du GIA que les écrits concoctés par nos services commencèrent à être diffusés, soit pour s’attaquer au FIS et à ses dirigeants, soit pour revendiquer des attentats ou des assassinats, soit pour imposer le couvre feu dans les zones islamiques comme Blida, Médéa, Aïn-Defla…, ou encore pour exiger le départ des étrangers ou pour menacer les intérêts français.

    C’est en rendant une visite de courtoisie au responsable du CPO pour saluer mes anciens officiers, lors de mon séjour en Algérie en 1993, que je prie connaissance de ce qui se poursuivait. Le capitaine Djaafar Khelifati a été secondé du lieutenant Djerafi Abdelaziz, un officier originaire du Khroub, qui était sous mes ordres à Constantine durant les années 1980 et que j’avais aidé pour qu’il soit nommé en tant que chef de BSS à Jijel puis à Tébessa.

    Cet officier, qui était un bon ami, avait partagé la même chambre que moi lors du stage de six mois que nous avons effectués à Moscou. Voilà pourquoi rien ne m’a été caché lors de mes visites. Par honnêteté aussi je dois dire que ces officiers faisaient ce sale boulot à contrecœur et non pour faire plaisir au chef de la DCE.

    Un sceau du FIS a été confectionné et permettait de donner une « authentification » à ces faux tracts. Le style des responsables du FIS était parfaitement imité puisque chaque tract débutait et était clôturé par un verset du Coran. Après l’emprisonnement des chouyoukhs, l’apparition des faux communiqués s’est poursuivie, les orientations qui y étaient contenue obéissaient au développement de la situation et au gré des responsables du DRS. Au début c’était au nom de la direction du FIS qu’étaient signés ces faux tracts, ensuite aux noms de la « direction légitime », des « fidèles », des groupes prônant la « continuité », organisation islamique X, groupe Y, mouvement Z.etc, jusqu’à l’apparition des groupes armés qui appelaient à combattre le pouvoir mécréant, revendiquaient des attentats, refusaient le dialogue, et même condamnaient les leaders du FIS.

    Dès janvier 1991, de nombreux « faux » communiqués attribués au FIS furent même lus pendant le journal télévisé de 20 heures. Brouiller les pistes et créer la suspicion au sein même des militants du FIS a permis à la SM de faire de ce parti une sorte de nébuleuse. Ces faux tracts incitaient à faire croire et à démontrer que le FIS est traversé par plusieurs courants, que sa direction n’était pas homogène et que Abbassi Madani et Ali Benhadj n’étaient pas en mesure de contrôler leur troupe, tout comme ils n’avaient aucune maitrise sur les éléments de El Hidjra oua Takfir ou sur les « Afghans » (islamistes de retour d’Afghanistan qui n’ont pourtant pas rejoint le FIS) ou sur le noyau du MIA (puisque ni Abdelkader Chebouti ni Mansouri Miliani n’ont adhéré au FIS).

    Pour nos chefs, dès cette époque, l’objectif était clair (et nos instructions l’étaient tout autant) : la diabolisation du FIS visait à faire de ce parti un « épouvantail », dans le but de constituer contre lui un « front » civil qui légitimerait plus tard l’intervention de l’armée.

    En décembre 1990, lors d’une réunion présidée par le général Nezzar à Béni Messous à laquelle étaient conviés les principaux responsables de la SM, le ministre de la Défense nous fit part de mesures pour contrer le FIS, qui ne serait toléré que s’il ne dépasse pas les 30 % des votes lors des élections législatives qui étaient alors prévues pour le 30 juin 1991. Sinon l’ANP serait amenée à « prendre ses responsabilités ». La direction de l’Armée n’avait que deux solutions (mais en réalité une seule alternative) : soit la prise du pouvoir directement (ce qui était exclu compte tenu de la lourde responsabilité vis-à-vis de l’opinion internationale, de la réaction défavorable des pays occidentaux et d’un éventuel embargo des soutiens financiers internationaux), soit l’instauration d’une direction collégiale avec une façade civile. Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que c’est cette dernière option qui avait les faveurs du commandement de l’armée.

    Le scénario excluant le FIS de la course au pouvoir a donc était envisagé dès décembre 1990, il fallait seulement mettre en place les conditions favorables à son exécution.

    Un plan d’action concocté par les « conseillers » (les généraux Mohamed Touati et Abdelmadjid Taright) de Khaled Nezzar et dont l’exécution fut confiée au DRS, a été alors soumis au Président de la République pour approbation.

    J’avais fait part de certaines réserves au colonel Smaïn Lamari, notamment sur certains aspects antidémocratiques de ce plan dit « particulier » puisqu’il ne ciblait que le FIS, alors que les pouvoirs publics avaient la latitude de ne pas lui accorder l’agrément en 1989, et que la Constitution du 23 février 1989 accordait les pouvoirs au chef de l’État de dissoudre le Parlement.

    >> Le plan « Nezzar » comportait notamment des mesures discriminatoires comme :

    – l’éloignement des islamistes (excepté ceux qui collaborent avec la SM) des postes sensibles.
    – l’adoption d’un découpage électoral « taillé sur mesure ».
    – le soutien au FLN.
    – la corruption des partis démocratiques grâce à l’octroi de subventions, l’accès aux médias lourds.

    Drôle de conception de la démocratie, qui n’est tolérée que si le pouvoir n’échappe pas aux mains des militaires. L’alternance signifie pour eux remplacer le FLN par un FLN bis ou à la limite accepter un parti démocratique « domestiqué et docile » qui obéirait aux parrains de la mafia politico-financière.

    Abordant le chapitre de la lutte contre les « extrémistes », le général Nezzar recommandait, je cite :

    – la division des courants religieux en provoquant, en exploitant et en avivant leurs antagonismes.
    – la dépréciation de l’image du FIS vis-à-vis des libertés démocratiques et des libertés individuelles.
    – l’exploitation de « l’inculture » des extrémistes.
    – la mise en cause médiatique des leaders du FIS par la publication d’images, de propos et discours attestant de leur incapacité à traiter les grands problèmes économiques.
    – l’emploi judicieux et savamment orchestré des médias avec l’assistance de professionnels.

    C’était là une dérive dangereuse, car de quel droit le ministre de la défense incite-t-il les cadres de l’Armée à devenir des hors la loi ? A quelle fin décide-t-il d’un programme d’action psychologique ? Si les islamistes commettent des délits n’y a-t-il pas la justice pour les sanctionner ? S’il y avait des extrémistes n’aurait-il pas été plus judicieux de procéder à leur arrestation ?

    Pourquoi cette provocation, pourquoi cette culture de la haine et pourquoi chercher coûte que coûte la confrontation avec une partie du peuple algérien ? Qualifier les Abdelkader Hachani, Mohamed Saïd, Abbassi Madani, Annouar Haddam… d’incultes c’est aller un peu vite en besogne et si l’on comparaissait intrinsèquement ces derniers aux Nezzar, Smaïn Lamari, Brahim Fodhil Cherif, Kamel Abderrahmane, Mohamed Lamari (pour ne citer que ceux que j’ai personnellement connu) le constat ne serait guère en faveur de ces derniers …

    Les responsables du DRS avec beaucoup de zèle, ont en tout cas sauté sur l’occasion pour mettre en pratique ce fameux plan d’action. Promotions, budget illimité et divers avantages leur étaient promis. Les primes des éléments du GIS ont été doublées, les cadres subalternes ont bénéficié de logements.

    En tant que militaire discipliné, même si je n’étais pas entièrement convaincu par la nécessité d’un tel plan, j’ai également suivi car les chefs ont réussi à nous faire croire que la république était en danger, que les islamistes étaient soutenus financièrement et politiquement par des puissances étrangères, qu’ils envisageaient de fusiller tous les cadres de la SM en cas de prise de pouvoir, qu’ils cherchent à déstabiliser le pays et à mettre en péril ses institutions…La rengaine qui a servi d’endoctriner les militaires et qui a embobiné une partie des citoyens.

    Cette campagne d’intox a eu de l’effet puisque au début presque tous les officiers se sont mobilisés derrière le commandement. Nous étions mêmes en première ligne puisqu’il s’agissait de défendre les institutions du pays et la légalité constitutionnelle.
    La lutte contre le FIS (je précise bien contre le FIS et non contre les islamistes, j’y reviendrai) devenait une réalité. Fin 1990- début 1991 le commandant Abderrahmane Benmerzouga, qui avait été mis sur la touche après le départ du général Betchine, fut chargé par le général Toufik, au nom de la « sacro-sainte alliance contre l’intégrisme », de prendre attache avec Mahfoud Nahnah pour transformer l’association caritative « El Islah oua El Irshad » qu’il dirigeait en parti politique afin de contrer l’influence grandissante du FIS. Mahfoud Nahnah
    (En compulsant les archives du DRS en 1991 et 1992, j’ai découvert que le commandant Abderahmane Benmerzouga était même chargé de la rédaction d’une revue pour le compte du parti HAMAS, et fréquentait assidument les locaux de ce parti à El Madania, il était en quelque sorte devenu l’éminence grisede Mahfoud Nahnah) accepta la proposition de créer le parti « HAMAS » qui deviendra plus tard le MSP (Mouvement de la Société pour la Paix), et cela malgré l’opposition de son second, le cheikh Mohamed Bouslimani, qui affirmait que la « politique souille la conscience » et préférera rester à la tête de l’association caritative « El Islah oua El Irshad » et donc loin des « magouilles politiciennes ». Lui aussi sera hélas assassiné.
    Nous étions alors loin d’en être conscient que le plan de sauvetage de l’Algérie inauguré en décembre 1990 pour éviter au pays de sombrer dans l’ère de « l’obscurantisme » allait conduire les Algériens à connaître les affres d’une guerre civile sanglante.

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