Si je me suis pas déconnecté pour retrouver mes amis ou à cause d’une soudaine réaction allergique aux machines, alors pourquoi ? Je vois au moins trois raisons, de plus en plus claires à mesure que ma période de jeûne s’éloigne.
Vivre pleinement en ligne implique une présence de tous les instants, qui peut conduire au burn-out numérique (c’était mon cas). On peut ressentir une profonde fatigue, et je comprends l’envie de se reposer (un fantasme inaccessible pour beaucoup de gens). Rien que de très ordinaire comme désir. Les vidéos de vacances buzzent plus que les vidéos sur la déconnexion, mais pour les mêmes raisons.
Nous sommes curieux. Nous avons envie de visiter d’autres villes, d’autres pays, d’autres planètes… Quand on passe sa vie sur le Net (que je compare à un territoire), on peut aspirer à d’autres paysages (surtout quand on se limite à Facebook et Twitter).
La pleine présence en ligne serait contradictoire avec l’expérience optimale. En tous cas, c’est indéniable pour moi. Hyperconscience, hapax existentiel, sentiment océanique… le Net est un tue-l’amour en ce domaine (et le besoin des pionniers du Net de s’adonner à la médiation n’est pas étranger à ce phénomène). Je crois que de plus en plus de gens perçoivent un manque existentiel lié à notre mode de vie actuel sur le Net, manque que j’imagine lié aux écrans, en tout cas aux limitations de nos interfaces (souvent elles réduisent le champ perceptif plus qu’elles ne l’élargissent, tout en comprimant le temps).
Je ne comprends vraiment pas en quoi le monde déconnecté est plus vertueux ou plus « authentique » que le monde connecté. Les études de Daniel Miller et de toute l’anthropologie numérique vont dans ce sens : la connection est une forme de sociabilité. Il y a plein de manière d’être sociable et les mondes connectés et déconnectés ne fonctionnent pas de manière binaire. Les burn-out numériques ne sont pas du à la « connexion » mais plus à une mauvaise gestion de celle-ci. De plus, il n’y a aucun problème à pouvoir déconnecter, cette possibilité est essentielle. Le jour où on ne pourra plus se déconnecter il faudra s’inquiéter mais cela n’a rien à voir avec une quelconque « meilleur situation » du monde déconnecté au monde connecté. C’est différent et nos sensibilités différent à ce propos, les expériences ne sont pas les mêmes.