Après un an de tractations avec Suez, la « demi-victoire » de sans-papiers exploités par un sous-traitant
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Un nouveau groupe de travailleurs sans papiers des centres de tri des déchets d’Ile-de-France devant les prud’hommesIls ont connu les horaires à rallonge, les tapis de tri aux cadences accélérées, les missions de nuit sur un site qui s’enchaînent avec des missions du matin sur un autre, les accidents du travail non déclarés, l’absence de congé maternité. Et cela pour une paye réduite, 60 euros la journée, 80 euros la nuit, dans un climat de racket et de harcèlement. « Il fallait aller toujours plus vite, et sans formation ni équipement de protection. Un jour, je suis rentré dans un four pour le nettoyer, le feu n’était même pas éteint à 100 % ! », se souvient encore Hicham, mercredi.
Ce sont ces travailleurs eux-mêmes qui ont fini par dénoncer l’entreprise sous-traitante, NTI, à l’inspection du travail. Laquelle a orchestré des contrôles dans quatre centres de tri franciliens, fin 2022. Les dirigeants de NTI ont liquidé leur société quelques semaines plus tard. Mais certains de ses salariés sans papiers ont pu continuer à travailler plusieurs mois dans les mêmes centres de tri, en #intérim cette fois, prouvent les contrats qu’ils ont montrés au Monde.
En août 2023, 11 travailleurs ont décidé les premiers de mettre ces dérives en lumière, en occupant le centre de tri XVEO de #Veolia, à Paris. Le Monde avait alors révélé les pratiques délétères de cette entreprise sous-traitante.
« Compte tenu des éléments du dossier NTI portés à [sa] connaissance », Veolia a rapidement proposé une solution à l’ensemble du groupe de sans-papiers lanceurs d’alerte. Elle a rempli les précieux Cerfa, ces documents administratifs de demande d’autorisation de travail qui leur ont permis de déposer des #demandes_de_régularisation en préfecture.
C’est ce qui a motivé un second groupe de 13 #travailleurs_sans_papiers exploités à sortir de l’ombre. (...) Le 12 juin 2024, ils ont déposé un dossier devant les #prud’hommes pour obtenir réparation des heures sous-payées. En parallèle, la CGT a entamé pour eux une discussion avec Suez, dans l’espoir que l’entreprise imite Veolia, et les embauche, ouvrant la voie à une possible régularisation.
Mais les discussions n’ont cessé de s’enliser, les travailleurs refusant que le retrait du contentieux aux prud’hommes devienne la condition d’un accord. Or, la nouvelle pression exercée sur les sans-papiers ces dernières semaines, par des opérations de contrôle d’identité policières hors norme, a rendu plus stressante encore leur situation. « Je me sens toujours en danger, dès qu’on me regarde dans le bus je me dis “ils savent, ils vont me dénoncer”, témoigne Bouzid, 33 ans, la voix tendue, les yeux las. On travaille ici ou là dans des conditions pires qu’avant, tu te fais 5 heures-14 heures à porter des trucs lourds sur les marchés, et ça pour 20 ou 30 euros ! Mais quel choix j’ai ? » Il secoue la tête : « Ça fait vraiment mal… On n’en peut plus de vivre ça. C’est ce qui nous a donné le courage de manifester. »
Le 1er juillet, les 13 sans-papiers se sont alignés devant l’entrée de #Suez par 39 °C. Le lendemain, ils sont entrés à l’intérieur quelques minutes. Le troisième jour, ils se sont scotchés la bouche. Et ainsi de suite, jusqu’à s’allonger sur l’esplanade.
Lundi 8 juillet, Suez a formulé une offre : six embauches, pas plus. « Suez a arrêté ses activités avec NTI dès qu’elle a eu connaissance de ces pratiques illégales et contraires à l’éthique du Groupe », soutient l’entreprise dans une réponse écrite au Monde, affirmant n’avoir eu recours à ce sous-traitant que « de manière ponctuelle et limitée ». C’est parce qu’elle a été « sensible aux difficultés de ces personnes » que Suez a proposé à certains ces promesses d’embauche, lesquelles « pourront appuyer [leurs] demandes de régularisation. » Sans expliquer pourquoi elle ne proposait que six embauches.