Dans ce nouvel opus, Coline Picaud poursuit, prolonge et amplifie le projet qu’elle avait initié avec sa précédente bande dessiné, Disgrazia !1 Alors que cette dernière portait sur l’immigration italienne, cette fois-ci Coline Picaud se penche sur l’#immigration_maghrébine, toujours dans sa ville natale de Grenoble. Sa méthode, oscillant entre le journalisme de terrain et l’ethnographie, consiste à rencontrer des acteurs de cette immigration, de leur donner largement la parole et d’illustrer leur propos. Au cœur de son travail : l’histoire. En effet, son ambition est de rendre compte du processus migratoire dans sa ville depuis l’après Seconde Guerre mondiale. Pour cela, elle a rencontré, longuement, tout d’abord de vieux Algériens, puis des Marocains et des Tunisiens. Leur récit plonge dans la France coloniale puisque l’ère de l’indépendance n’avait pas encore sonné au moment où ils sont arrivés dans l’hexagone. Comme dans de nombreuses villes, les immigrés se fixent dans un quartier spécifique de Grenoble, #quartier_populaire et dégradé. Le lecteur découvre la réalité d’une vie aliénée, faite d’exploitation au travail, de conditions de vie urbaines difficiles, de racisme et de rejet latent de la part des populations locales. Les années passant, une vie familiale et communautaire s’organise, entrecoupée de luttes comme celle des foyers #Sonacotra dans les années 1970. Puis le quartier est en prise avec la #rénovation_urbaine qui vient déstructurer l’environnement de travailleurs désormais vieillis et retraités.
Un second chapitre est centré sur le témoignage de Zahra, une jeune fille franco-marocaine qui a livré ses impressions et sentiments en échange de cours d’alphabétisation. Cette partie est très intéressante car elle donne largement la parole à l’expérience d’une femme pour qui les difficultés sont plus marquées encore que pour les hommes, leurs maris. L’histoire des conditions de passage du permis de conduire par Zahra est particulièrement éloquente. Enfin la dernière partie offre une perspective actuelle, à partir des témoignages variés de Maghrébins arrivés récemment dans l’hexagone. Cette nouvelle génération de migrants grenoblois se compose d’étudiants, de travailleurs précaires (parfois sans-papiers) ou de réfugiés politiques. Leur histoire est très loin d’être une « success story », certains se faisant renvoyer (le cas de Sousou), d’autres réussissant après bien des épreuves à obtenir des papiers.
Ces récits de vie, kaléidoscopiques, offrent au lecteur une riche et vivante perspective de l’expérience d’immigration, valable bien au-delà du territoire grenoblois et constituent un sévère réquisitoire contre toutes les volontés dominantes de restreindre les possibilités migratoires. De ce point de vue, De l’autre côté de Coline Picaud apparaît comme un plaidoyer pour combattre les préjugés sur les migrations, sujet d’une actualité brûlante en cet automne 2015.