• « Les “gilets jaunes” veulent rompre avec le sentiment de dépossession », Ivan Bruneau et Julian Mischi
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/03/les-gilets-jaunes-veulent-rompre-avec-le-sentiment-de-depossession_5404581_3

    Pour les chercheurs Ivan Bruneau et Julian Mischi, le mouvement de contestation sociale traduit le malaise des populations établies dans les communes rurales en rupture avec tout, notamment les organisations politiques absentes de ces zones.

    Tribune. Le mouvement des « #gilets_jaunes » a donné lieu à de nombreuses analyses à chaud, parfois très survolantes, comme celles ayant mis l’accent sur « les frustrations des classes moyennes » ou « l’individualisation des inégalités ». Il nous semble préférable de revenir aux conditions qui rendent possibles la contestation, lesquelles peuvent être en partie communes aux zones urbaines et rurales, comme le sentiment d’injustice fiscale, mais le mouvement est aussi révélateur de la transformation des #conditions_de_vie et de travail des populations rurales et périurbaines. Certains observateurs ont déjà souligné avec justesse l’enjeu de la mobilité et le rôle central de l’automobile dans le monde rural. Au-delà, l’irruption politique des « gilets jaunes » dans l’espace public des petites communes apparaît comme une réaction collective aux multiples formes de #dépossession qu’ils subissent depuis de nombreuses années.

    Les campagnes françaises sont bien sûr diverses mais elles se caractérisent en général par la surreprésentation en leur sein des catégories populaires relevant du salariat (#ouvriers et #employés) ou du #travail_indépendant (petits artisans, commerçants et agriculteurs). La part considérable des actifs faiblement diplômés contraste avec la faible présence des classes supérieures et des professions intellectuelles, qui résident surtout dans les métropoles. Cette #ségrégation_sociospatiale s’explique par la pression du marché immobilier, mais aussi par le fait que les emplois intellectuels et de direction se concentrent dans les grandes villes alors que les activités de fabrication ou de logistique se déploient désormais essentiellement dans les périphéries rurales et périurbaines. Une telle distance spatiale entre classes sociales, sur fond de séparation entre « travail intellectuel » et « travail manuel », nourrit la mobilisation des « gilets jaunes », qui insistent sur le mépris dont ils se sentent victimes. C’est leur vécu et leur rapport au #travail qui alimentent le rejet de ce qu’ils perçoivent comme l’arrogance d’élites nationales et régionales ne connaissant pas leur quotidien, leurs pratiques, leurs savoirs.

    La distance spatiale entre classes sociales s’est renforcée

    Ainsi, au sein même des territoires ruraux, la distance spatiale entre classes sociales s’est renforcée dans la dernière période. Les dirigeants des entreprises résident de moins en moins sur place. Auparavant les cadres des usines ou des entreprises publiques étaient fréquemment des individus issus de familles « du coin » qui avaient connu une promotion interne et s’engageaient dans la #vie_locale. Rarement d’origine populaire, les nouveaux responsables, davantage mobiles, sont désormais seulement de passage à la tête des établissements en proie à des réorganisations managériales. Plus diplômés, ils connaissent peu le travail réalisé concrètement dans les ateliers et services, travail qu’ils n’ont jamais exercé directement. Vivant le plus souvent dans les #métropoles régionales ou à Paris, ils s’investissent peu dans la vie des communes contrairement à leurs prédécesseurs. Ils ne vont pas prendre part aux activités sportives avec les autres salariés ou fréquenter les mêmes commerces. Leurs enfants ne vont pas à l’école du bourg avec ceux des familles populaires. Ce sont en quelque sorte des citadins de passage, leur distance avec les #classes_populaires_locales est indissociablement sociale et spatiale.

    Le phénomène est général, il s’observe tant dans les usines que dans les établissements bancaires, hospitaliers ou encore scolaires. Symbole de ces mutations favorisant l’éloignement des figures intellectuelles du quotidien des classes populaires rurales : les enseignants des nouvelles générations s’insèrent de plus en plus rarement dans les petites communes où ils sont nommés. Tout comme les médecins ou cadres administratifs des collectivités locales, ils sont nombreux à venir chaque jour des zones urbaines pour exercer sur place. Pour les administrés, il en résulte un sentiment de dépossession à l’aune duquel on peut comprendre leur sensibilité à la violence du discours expert et à la #domination_culturelle des élites politiques nationales.

    Ce sentiment de dépossession est renforcé par l’évolution de la structuration politique des territoires. Les processus récents de fusion des communautés de communes constituent la dernière étape d’une évolution de plus longue durée marquée par l’éloignement du pouvoir décisionnel. Depuis une vingtaine d’années, le développement des structures intercommunales, de leurs budgets et de leurs compétences a accentué à la fois l’influence des « communes-centres » et le rôle des élus dirigeant ces assemblées, présidents et vice-présidents en particulier. La #distance_sociale entre la population et ces « grands élus » nourrit le sentiment de ne pas avoir d’emprise sur les décisions affectant la vie quotidienne, et ce d’autant plus que les enjeux communautaires sont peu discutés au niveau communal.

    Délitement des partis politiques, notamment de gauche

    La raréfaction des débats publics liés à l’élaboration des politiques locales prend place dans un affaiblissement plus général des mécanismes représentatifs. Les campagnes pour les élections municipales se font parfois sans réunion publique, et aujourd’hui les projets de « commune nouvelle » (regroupement de communes) peuvent être réalisés sans consultation de la population. La participation des habitants est peu sollicitée dans l’ensemble, et cette fragilisation de « la démocratie locale » n’est pas compensée par la présence de relais partisans.

    En effet, le délitement des partis politiques, et notamment des organisations de gauche (PCF, PS, PRG), est plus accentué dans ces zones rurales. Si les classes populaires peuvent encore s’appuyer sur des réseaux syndicaux, même fragilisés, elles ne disposent plus de relais proprement politiques. Certes le Front national a connu une forte progression électorale ces dernières années dans les campagnes mais le soutien dans les urnes ne se traduit quasiment jamais par un développement militant de l’organisation, qui a, par exemple, de grandes difficultés à constituer des listes pour les élections municipales. Cette crise des #sociabilités_militantes explique aussi probablement le rôle que jouent les barrages des « gilets jaunes », lieux de rencontres et de discussions, interclassistes et politiquement divers.

    Ivan Bruneau et Julian Mischi ont codirigé avec Gilles Laferté et Nicolas Renahy « Mondes ruraux et classes sociales » (EHESS, 2018)

  • La France refuse de rendre les objets royaux du Bénin - Culture / Next
    http://next.liberation.fr/culture-next/2017/03/23/la-france-refuse-de-rendre-les-objets-royaux-du-benin_1555888

    Première pour une ancienne colonie africaine, le Bénin demandait officiellement la restitution des trônes, statues et bijoux pillés en 1892 et actuellement exposés au musée du Quai-Branly. Paris argue de son bon droit.

    L’article date d’il y a quelques mois.
    Pathétique décision, mais pas vraiment surprenant de la part d’un pays qui a pu remplir ses musées grâce aux nombreux pillages dans son ancien empire colonial et qui peut se targuer maintenant de les protéger par amour de l’Art, oui oui oui. Le colonialisme est intrinsèque à la République française, ça c’est une certitude !
    Ça vaudrait le coup de faire une petite manif au Quai Branly et dans tous les musées qui possèdent des œuvres pillées.
    #colonisation #art #Bénin #Afrique #pillage #domination_culturelle

    • Tout n’est pas au quai Branly, la plus somptueuse oeuvre est la statu du Dieu Gou


      qui est au Musee du Louvres.

      Cette sculpture du dieu gou est la seule effigie en fer de taille humaine issue de l’art africain. Gou est une divinité Vodum du métal, des forgerons et de la guerre au Bénin. Originaire de Doumé elle fut volée lors d’une expédition par le roi Glélé qui l’installa dans son palais royal. La France en fit l’acquisition après l’occupation du royaume du Dahomey.

      http://www.lankaart.org/article-benin-dieu-gou-40482691.html

    • La restitution d’œuvres d’art : « Une question de dignité »
      http://www.lemonde.fr/festival/article/2017/08/17/la-restitution-d-uvres-d-art-une-question-de-dignite_5173397_4415198.html

      Lionel Zinsou, homme politique et financier franco-béninois, a créé, en 2005, une fondation à Cotonou puis, en 2013, le premier musée consacré à l’art contemporain africain, à Ouidah.

      Il y a moins d’un an, l’actuel président de la République du Bénin a demandé aux autorités françaises le rapatriement de sculptures prises en 1892 lors du sac du palais royal d’Abomey. Une fin de non-recevoir lui a été ­opposée. Quelle est votre position sur cette question ?

      Il faut d’abord préciser ce que sont ces œuvres : les trônes des rois Guézo, Glélé et Béhanzin, les statues anthropomorphes et symboliques les représentant, les regalia du roi Béhanzin, issues de commandes royales. Ces œuvres ont un aspect rituel et leur puissance est liée à leur qualité esthétique : elles sont au point de convergence de la beauté et du pouvoir. Leur force ­symbolique ne fait donc pas plus de doute que le fait que ces objets ont été pillés.

      La France ne conteste pas ce point : ils sont entrés en sa possession par le don du général Alfred Dodds, qui a conquis le Dahomey pour la France à la fin du XIXe siècle. Ils sont aujourd’hui ­conservés au Musée du quai Branly, à Paris.

      La demande de restitution est en effet une initiative du président de la République du Bénin, le 26 août 2016, relayée par un courrier entre ministres des affaires étrangères – avec la réponse que l’on sait de Jean-Marc Ayrault le 12 décembre 2016 : « Conformément à la législation en ­vigueur, ils sont soumis aux principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et ­d’insaisissabilité. En conséquence, leur ­restitution n’est pas possible. »

      Est-il pensable d’en rester là, à une ­réponse d’ordre exclusivement juridique ? Je ne le pense pas. La puissance de la ­demande ne doit pas être sous-estimée. La nécessité de faire revenir en Afrique le plus possible de ce qui fait son identité est profondément ressentie par les populations.

    • @valnum juridiquement oui c’est du recel. Et si je ne me trompe pas, même quand tu ne sais pas que c’est volé mais que tu n’as pas vérifié la source tu peux être accusé de recel. Mais ici, je cite l’article :

      les principes juridiques d’inaliénabilité, imprescriptibilité et insaisissabilité des collections publiques

      En gros si le propriétaire est maintenant l’État, le droit est de son côté ! Vu que ce sont les États qui écrivent les lois, autant se mettre bien directement n’est ce pas. L’État vole et pille mais organise son impunité et l’insaisissabilité de ce qu’il a pu récolter, avec une petite couche d’imprescriptibilité pour être sûr que ça ne sera pas remis en cause un peu plus tard. Efficace ! C’est le pillage des ressources de l’Afrique appliqué à l’Art.