• TC : Une autorisation temporaire d’utilisation a été accordée pour l’anticorps #bamlanivimab. Or certains s’inquiètent de cette décision. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

      DG : Cette autorisation temporaire d’utilisation concerne en partie des gens fragiles et immunodéprimés. Or, si l’on administre à des personnes immunodéprimées un anticorps qui fonctionne plus ou moins, on risque de créer un milieu favorisant l’émergence de variants résistants à cet anticorps. Si ces mutants se diffusaient dans la population, nous aurions un problème supplémentaire. Pour cette raison, un accompagnement des patients est prévu dans le cadre de cette autorisation : ils resteront à l’hôpital pour être suivis. Ce qui est paradoxal pour un traitement censé éviter leur aggravation… Le but principal des antiviraux est en effet d’éviter la progression de la maladie, idéalement pour que les patients n’aient pas à aller à l’hôpital.

      #Dominique_Costagliola #traitements #antiviraux #anticorps_monoclonaux #trithérapies

  • Dominique Costagliola : « La seule solution est de reconfiner, et d’attendre que ça baisse » - 11/01/2021
    Troisième vague, variant britannique, écoles, télétravail... Dans un entretien décoiffant, l’épidémiologiste, grand prix de l’Inserm, plaide pour une réaction rapide.
    https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/dominique-costagliola-la-seule-solution-est-de-reconfiner-et-d-attendre-que
    Durée : 15 min


    Dominique Costagliola, épidémiologiste et spécialiste de biostatistique.
    François Guenet/INSERM

    Propos recueillis par Stéphanie Benz et Thomas Mahler
    publié le 11/01/2021 à 08:30 , mis à jour le 14/01/2021 à 10:27

    Elle est connue pour son franc-parler, et surtout pour la pertinence de ses analyses. L’épidémiologiste Dominique Costagliola, récemment récompensée pour l’ensemble de sa carrière par le Grand Prix de l’Inserm, a répondu aux questions de L’Express sur l’évolution de l’épidémie, la menace que fait peser sur nous le variant britannique et les espoirs liés au vaccin. Dans cet entretien décoiffant, il est également beaucoup question de courage politique, de bonne et de mauvaise science, des limites des comparaisons internationales et de ses bêtes noires du moment - le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer et la ministre du Travail, Elisabeth Borne, dont les décisions ne lui paraissent décidément pas à la hauteur des enjeux. Une interview sous le signe de l’urgence, alors que cette troisième vague tant crainte se dessine déjà.

    L’Express : Comment voyez-vous la situation incertaine dans laquelle nous nous trouvons actuellement, avec un plateau élevé de contaminations ?

    Dominique Costagliola : Même indépendamment de la diffusion éventuelle d’un nouveau variant plus contagieux, la situation n’est pas bonne. Les dernières données sont loin d’être positives. Nous avons un R0 qui a l’air d’être supérieur à 1, même si on prend en compte le fait qu’il y a eu beaucoup de tests durant la période des fêtes. L’épidémie semble bien repartie. Et cela ne pourra être que pire si le nouveau variant est bien plus transmissible. En revanche, nous avons des données en prépublication qui laissent penser que les vaccins ARN développés vont permettre de neutraliser ce nouveau variant. Ils devraient donc rester efficaces.

    Pouvons-nous encore être épargnés, alors que les pays voisins sont déjà fortement touchés par cette nouvelle vague ?

    On va peut-être éviter de reproduire les mêmes bêtises qu’au début de l’épidémie, en se disant que nos voisins sont dans cette situation parce qu’ils sont mauvais et qu’ils n’ont pas su gérer face au virus...

    On doit donc s’attendre au pire ?

    Je crois que oui. Affirmer qu’il faut vacciner à tout prix pour stopper cette nouvelle vague, c’est irréaliste, car nous ne disposons pas du nombre de doses suffisants, ni de l’infrastructure, pour vacciner 50 millions d’individus en un mois. Pour vous donner une idée, les États-Unis ont vacciné 2 millions de personnes, alors qu’ils avaient déclaré vouloir en vacciner 20 millions sur cette période. Cela montre que ce n’est pas si facile. Si vous regardez les réseaux sociaux américains, vous constaterez qu’il y a les mêmes polémiques qu’en France sur les problèmes de logistique. En Allemagne, ils ont beaucoup vacciné, mais ils se retrouvent en manque de doses. Et là-bas aussi, les polémiques sont virulentes sur la lenteur de la campagne de vaccination. Il faut donc avoir une politique adaptée en fonction des doses que nous allons avoir. N’oublions quand même pas que ces entreprises pharmaceutiques ont produit des quantités extraordinaires de vaccins dans des délais contraints, par rapport à ce qui se fait normalement.

    Dans ce contexte, le seul espoir est de cibler la vaccination sur les personnes qui ont le plus grand risque d’aller à l’hôpital, à la fois pour elles et pour l’ensemble de la société. Grâce à cela, on peut espérer que la troisième vague fera moins de dégâts. Il faut se souvenir qu’au mois de mars dernier, on trouvait horrible ces milliers de morts. La deuxième vague a fait plus de morts que la première, mais plus personne ne semble trouver ça grave. Aujourd’hui, nous nous en sortons peut-être mieux que nos voisins, mais ce n’est pas brillant. Vaccinons de façon urgente les personnes les plus à risque, ainsi que le personnel de santé.

    Face à la deuxième vague, le gouvernement a tardé à réagir, désavouant le Conseil scientifique qui avait pourtant averti de l’imminence d’une remontée épidémique en septembre. Sur le plan politique, pensez-vous qu’on évitera de refaire les mêmes erreurs ?

    Je n’en suis pas certaine. Avec la perspective d’un nouveau variant, la plupart des pays ont par exemple pris des décisions par rapport à l’école. Nous non... Par ailleurs, il est vrai que la campagne de vaccination est partie de façon poussive. Même s’il me semble excessif de se rouler par terre pour la semaine entre Noël et le Jour de l’An, alors que d’ordinaire il ne se passe jamais rien durant cette période. Le vaccin est notre espoir pour retrouver une vie normale. Mais ça ne se fera pas du jour au lendemain, par un claquement de doigts. D’autant plus que le vaccin d’AstraZeneca, le plus facile d’utilisation, a pris du retard. Il n’arrivera que début février.

    Vous trouvez donc exagérée la polémique autour de la campagne de vaccination ?

    Oui. Jamais le protocole n’a exigé un consentement par écrit, contrairement à ce qu’on a pu dire. Et il n’y a jamais eu un délai de rétractation de cinq jours. Il est seulement question d’une consultation pré-vaccinale au plus tard cinq jours avant la vaccination, qui doit permettre aux Ehpad de faire remonter le nombre de doses nécessaires. Gérard Larcher a brandi un dossier de 58 pages en s’indignant que celui-ci ait été distribué à son père en Ehpad, alors que le document d’information reçu par les résidents ne dépasse pas deux pages. Vous voyez le niveau de désinformation...

    Les mesures d’un couvre-feu étendu à 18 heures vous semblent-elles suffisantes ? Faut-il déjà aller plus loin ?

    Nous voyons que l’épidémie est en train de repartir. Mais, pour l’instant, nous ne savons pas dans quelle mesure ce couvre-feu étendu est efficace pour limiter la circulation des personnes et donc le nombre de contacts. Nous manquons de données là-dessus. Il est ainsi difficile d’évaluer ces décisions dans le Grand-Est et en Paca, car cela ne fait pas longtemps qu’elles ont été mis en place.

    Je m’étonne aussi du fait que le télétravail à 100% n’ait pas été rendu obligatoire. C’est comme si la ministre du Travail faisait un concours de qui est le plus nul avec celui de l’Éducation nationale...

    Pourquoi êtes-vous si sévère avec Jean-Michel Blanquer ?

    Il n’a pas fait une seule déclaration sensée sur le plan scientifique. Déjà, le fait que les enfants ne soient pas des grands transmetteurs peut se discuter. Mais même si on admet que les enfants transmettent moins, cela ne signifie nullement qu’ils ne transmettent pas du tout le Covid-19 ! Ce qui se passe dans les écoles, c’est que vous avez des enfants et adultes venus d’endroits différents qui se retrouvent durant toute la journée. Et à midi, à la cantine, ils mangent sans masques et se parlent. Puis le soir, ils repartent chez eux. Mais on nous assure que les enfants ne sont pas des vecteurs de transmission !

    Il est important de comprendre que ce qui compte, c’est le temps qu’on passe à côté d’autres personnes. Passer beaucoup de temps avec une personne moins contaminatrice peut-être plus dangereux que de croiser pendant 10 secondes un grand transmetteur. Il n’est pas facile de faire des bonnes enquêtes épidémiologiques sur les contaminations, mais ce qui ressort de façon claire des données dont nous disposons, c’est que ces contaminations se font dans toutes les circonstances où nous sommes sans masques et où nous parlons : bars, restaurants, familles, mais aussi cantines et activités sportives. Dire qu’il ne se passe rien à l’école, comme le fait Jean-Michel Blanquer, n’est pas logique. L’étude ComCor menée par Arnaud Fontanet montre par exemple qu’il y a plus de contaminations dans les familles avec enfants que sans enfants.

    Mais que faudrait-il faire pour l’école ?

    Je ne sais pas si nous allons réussir à éviter leur fermeture. Quand on voit la situation épidémique au Royaume-Uni, on peut être inquiet. Après, ce qui n’a pas été fait, et qu’on pourrait encore mettre en place, ce sont des systèmes d’aération minimisant les risques à l’école. Cette crise révèle d’ailleurs un problème concernant les infrastructures scolaires. La cantine ne dépend pas des établissements scolaires, mais de la municipalité. Et en France, si deux administrations doivent se mettre d’accord, c’est l’enfer.

    Dans tous les cas, on ne risque pas d’agir si, comme Jean-Michel Blanquer, on répète qu’il n’y aucun problème de contaminations dans les écoles. Le plus simple est de dire qu’il ne s’y passe rien, comme ça on n’a rien à faire...

    Comment expliquez-vous que le télétravail ne soit pas plus strictement appliqué ?

    Bien entendu, il est difficile pour certaines personnes, moi la première, de ne pas pouvoir se rendre au bureau. Mais le télétravail est malgré tout un moindre mal. C’est une mesure qui permet à beaucoup de salariés de continuer à travailler. Cela évite des grosses pertes de productivité, tout en minimisant les risques de transmissions, tant qu’on n’a pas vacciné massivement. Il faut prendre son mal en patience ! Assouplir les règles du télétravail depuis la rentrée, comme l’a annoncé la ministre du Travail Élisabeth Borne, ne va en tout cas pas dans la bonne direction. Au travail, on se contamine en faisant des pauses café, en mangeant, en fumant, toutes les circonstances où l’on parle tout en ne portant pas son masque et en ne respectant pas la distanciation sociale. Nous sommes des êtres sociaux, c’est dans notre nature...
    « Quand vous voyez les courbes d’incidence en Grande-Bretagne et en Irlande, nous n’avons sans doute pas beaucoup de temps »

    À quelle vitesse le variant britannique risque-t-il de s’imposer chez nous ?

    Quand vous regardez les courbes d’incidence, vous voyez une montée très rapide en Grande-Bretagne et Irlande. Ce qui signifie que nous n’avons sans doute pas beaucoup de temps... Les dispositifs pour le séquençage du virus existent en France, mais ce n’était peut-être pas assez organisé et nous ne remontions pas les informations. Rapidement, nous aurons ce type de données pour surveiller l’évolution du variant en France.

    Depuis le début de l’épidémie, il y a eu de nombreuses mutations, mais aucun n’a eu cet effet-là. Les données épidémiologiques montrent clairement une diffusion plus rapide du variant britannique. En revanche, nous manquons encore d’explications virologiques qui permettraient de comprendre pourquoi ce variant s’accrocherait plus facilement aux cellules et serait donc plus transmissible. C’est tout le problème dans cette surveillance des mutations. Il faut pouvoir coupler les aspects cliniques et virologiques. Quand Didier Raoult déclare en septembre que les mutants rendent le coronavirus moins dangereux, puis quelques jours plus tard qu’un nouveau variant serait au contraire plus virulent, il ne se base sur aucune donnée épidémiologique. Cela ne sert donc à rien !

    Certains ont un temps présenté la Suède comme un modèle, alors que ce pays enregistrait bien plus de morts que ses voisins scandinaves. De même, on a beaucoup célébré le modèle allemand, jusqu’à ce que les contaminations n’y explosent en fin d’année. Que pensez-vous de ces comparaisons internationales ?

    J’avais très vite averti qu’il faut se méfier de ces comparaisons. De même, aujourd’hui, je ne pense pas que les Allemands sont tout d’un coup devenus très mauvais et nous très bons. La composante la plus importante, c’est la force avec laquelle un pays est heurté par l’épidémie. En France, le virus circulait sans doute depuis plus longtemps. Dans l’Oise, il était probablement présent à bas bruit depuis décembre 2019. À Mulhouse, avec le rassemblement évangéliste, il y a eu un facteur multiplicateur dramatique qui a envoyé le virus dans de nombreuses régions françaises. Au début de l’épidémie, l’Allemagne n’a pas eu à faire face aux mêmes circonstances. Mais aujourd’hui, ce pays a plus de 1000 morts tous les jours. Cela démontre que les explications avancées sur le nombre de lits disponibles ou la décentralisation allemande sont sans doute assez fausses. Les Länder n’ayant pas été d’accord entre eux, ils ont d’ailleurs perdu trois semaines par rapport à la France face à la remontée de l’épidémie.

    D’autre part, les comparaisons se basent sur des chiffres qui sont souvent différents. Un pays comme la Suède ne faisait pas de tests, même moins que chez nous. Leur taux d’incidence ne signifiait donc rien. Quant aux décès liés au Covid, chaque pays a son système. Certains, comme la Belgique, ont délibérément choisi de sur-notifier, puisqu’il suffisait d’avoir une suspicion de Covid pour qu’un décès soit attribué au coronavirus. En revanche, les Allemands ont sans doute sous-notifié, en ne prenant en compte que les diagnostics certains. Au sein des pays occidentaux, les États-Unis sont ceux qui sont allés le plus loin en minimisant les chiffres. La preuve, c’est que l’excès de mortalité y est bien supérieur aux décès déclarés de Covid.

    On imagine aussi que la densité de la population est un facteur dans une maladie respiratoire transmissible. En Suède, cette densité est de 25 habitants par km2, contre 380 pour la Belgique. C’est un élément à prendre en compte, tout comme la proportion des personnes qui ont plus de 65 ans ou les niveaux socio-économiques.

    Mais le facteur le plus important reste, comme je vous le disais, la force avec laquelle l’épidémie frappe une zone géographique. En Europe, il est marquant de voir que le virus, qui avait touché les pays de façon très différente au printemps, n’a épargné aucun État durant l’automne et l’hiver. Si vous regardez la carte, seuls deux pays sont un peu moins impactés, la Finlande et la Norvège.

    Et est-il pertinent de faire une comparaison entre l’Europe et l’Asie ?

    Les pays asiatiques ont une démarche qui consiste à ne vouloir aucune circulation, même à bas bruit, du virus. Ils ne se contentent pas de simplement éviter de submerger leur système de soins. Même en Australie ou en Nouvelle-Zélande, si un cas est déclaré, on ne tergiverse pas, on reconfine tout un quartier et on dépiste massivement et isole les personnes infectées. Ensuite, il y a des mesures, comme en Corée du Sud, qu’on ne pourrait jamais imposer chez nous. Là-bas, l’application de traçage est obligatoire et les contrôles très stricts pour l’isolement.
    « La seule solution est de reconfiner, et d’attendre que cela baisse »

    Nous sommes-nous améliorés sur le triptyque « tester, tracer et isoler » ?

    Tant que le virus circule à bas bruit, il est important qu’on teste. On ne l’a pas bien fait en France. Dès juin, Jean-François Delfraissy avait aussi expliqué que si on voulait être au niveau de la Corée du Sud, il nous fallait 22 000 personnes pour s’occuper du traçage. Aujourd’hui, cela ne dépasse toujours pas les quelques milliers. Par ailleurs, ça me sidère qu’on ne mette en place qu’aujourd’hui, après neuf mois d’épidémie, l’arrêt de travail immédiat pour les personnes suspectées d’avoir le Covid et pour les cas contacts. Nous n’avons pas assez fait pour faciliter l’isolement absolu en cas de suspicion. Mais ces mesures de « tester, tracer et isoler » ne fonctionnent que si les contaminations sont faibles. Aujourd’hui, il est illusoire d’imaginer qu’on puisse contrôler une épidémie à ce niveau de circulation du virus. La seule solution est de reconfiner, et d’attendre que ça baisse...

    Vous feriez quoi si vous étiez aux manettes ?

    Il faut quand même dire qu’il est très difficile de prendre les bonnes mesures. Ne pas attendre que tout le monde finisse par constater qu’il est indispensable d’agir fait partie d’un courage politique qu’on n’a pas vu durant cette crise sanitaire. Encore une fois, nous sommes en train d’attendre l’évolution de l’épidémie avant de prendre des mesures plus fermes. Les Australiens et Néo-Zélandais agissent beaucoup plus en amont. C’est sans doute parce que c’est socialement acceptable chez eux. Imaginez si en France, on avait reconfiné dès septembre, il y aurait eu une opposition importante...

    Vous n’avez cessé de dénoncer la « mauvaise science » durant cette crise sanitaire. Pourquoi ?

    Ce que je fustige, ce sont les gens qui font des affirmations sans données solides. En science, ce ne sont pas les intuitions personnelles qui comptent, mais les données. Aujourd’hui, plus personne ne parle de l’hydroxychloroquine. Le nouveau truc à la mode sur Internet, c’est l’ivermectine, parasitaire utilisé contre la gale. Mais si vous regardez de près, la plupart des essais sont à fort risque de biais et ne permettent donc pas d’avoir une conclusion solide.

    Nous avons eu beaucoup d’études observationnelles pour les traitements testés face au Covid-19. Or il y a de nombreux problèmes méthodologiques auxquels on ne réfléchit pas. Quand vous faites un essai clinique randomisé, vous tirez au sort les personnes qui reçoivent un traitement et les autres qui servent de groupe contrôle. On sait de façon claire à partir de quand on commence le traitement, ce qu’on nomme le J-0. Mais dans une étude observationnelle, ce J-0 est souvent mal défini et les comparaisons avec un groupe de contrôle ont peu de sens. Publiée dans la revue Chest, une étude sur l’ivermectine prend ainsi en compte les patients traités cinq jours après leur arrivée à l’hôpital. Mais le groupe sans ivermectine est lui étudié dès l’arrivée des patients à l’hôpital. Or leur situation a forcément le temps de s’aggraver au cours de ces cinq jours d’écart. Pour son étude rétrospective, Didier Raoult avait lui décidé de ne prendre en compte dans son groupe de personnes traitées que les patients qui ont reçu l’hydroxychloroquine et l’azythromocyine plus de trois jours, plaçant ceux à qui on avait donné ces produits moins de trois jours dans le groupe contrôle, ce qui est absurde puisque c’est parce que leur situation évolue qu’ils ne prennent pas le traitement au moins trois jours.

    En plus, souvent, ces études ont des effectifs faibles, et ne sont pas significatives d’un point de vue statistique. II y a ainsi eu énormément d’études observationnelles mal fichues, y compris celles publiées dans des revues prestigieuses. Beaucoup de chercheurs étaient désireux de montrer un effet un peu positif de tel produit. Même pour l’article rétracté du Lancet, il était facile de voir qu’il y avait un problème évident. L’étude comparait différents pays du monde sans tenir compte du fait que le risque de mourir du Covid n’est pas le même d’un État à l’autre, car cela dépend des structures de la population, des niveaux de soin... Comment est-il possible que les « reviewers » du Lancet n’aient pas immédiatement vu que l’étude n’était pas stratifiée par pays ? C’est quelque chose de vraiment élémentaire.

    Y a-t-il aujourd’hui une meilleure coordination en France autour des essais sur le Covid ?

    Le Royaume-Uni a été très organisé au départ, en faisant un essai unique d’ampleur, Recovery, alors qu’en France, c’est parti dans tous les sens. Beaucoup de chercheurs académiques voulaient défendre leurs idées, avec des repositionnements de médicaments.

    Désormais, il y a un système mis en place au niveau de la nouvelle agence sur les maladies infectieuses et émergentes, qui a pris la suite de Reacting [consortium multidisciplinaire] et de Capnet [instance de concertation] pour prioriser les recherches. Et il y a des instances de coordination, un pour les essais à l’hôpital, et un autre pour les essais en villes. Les laboratoires pharmaceutiques ont aussi eu le temps pour mieux réfléchir à des recherches avant de passer à l’étape de l’homme et développent leur propres études. C’est moins chaotique.

    Pourquoi êtes-vous inquiète par rapport à cette nouvelle agence de recherche consacrée aux maladies infectieuses émergentes, créée le 1er janvier ?

    Cette agence est issue du rapprochement entre l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites) et Reacting. Mais le budget n’a pas été augmenté de manière conséquente, avec seulement 1 million supplémentaire alloué par rapport aux deux budgets antérieurs. Ce n’est pas raisonnable, sachant qu’Ebola peut revenir, et que de nouveaux virus vont apparaître. Vous avez une recherche fondamentale dont on ne sait parfois pas à quoi elle va servir, mais qui peut déboucher sur le vaccin à ARN. Ce n’est pas lors de la prochaine crise qu’il faudra financer la recherche, mais maintenant ! Au moment de la vache folle, on avait ainsi bénéficié de 200 millions de francs durant une année, puis plus rien après. C’est la façon la plus bête qui soit pour financer la recherche.

    Pensez-vous qu’on atteindra l’immunité collective à l’été ou à l’automne ?

    Déjà, si on arrive à vacciner les personnes à risque, on diminuera automatiquement la charge sur l’hôpital et les décès. Ce sera le premier effet du vaccin. L’immunité collective, si tout se passe bien, pourra effectivement être espérée pour l’été ou l’automne. Mais avec quand même une incertitude qu’il faut garder en mémoire : puisque les essais en phase 3 pour les vaccins n’ont, au mieux, débuté qu’en juillet dernier, nous n’avons pas encore une mesure très précise de leur durabilité.

    À l’échelle de l’Histoire, contrôler cette épidémie en moins de deux ans sera-t-il un exploit ?

    Absolument. Cela nous parait affreusement long. Je suis par exemple très frustrée de ne pas pouvoir voir mon petit neveu, qui a 2 ans. J’aurais raté des choses. Mais en même temps, il faut tenir bon pour cette période-là.

    #Dominique_Costagliola
    (article libéré en cours d’édition, comme on dit - edit 16/01, 11h ; je crois que c’est ok - l’article est truffé de liens vers d’autres articles de l’Express, je ne sais pas si ça sert. J’en profite pour remercier toutes les personnes qui contribuent ici, ça m’aide à tenir dans ces temps difficiles.)

  • Dominique Costagliola, solide comme un doc
    https://www.liberation.fr/france/2020/12/28/solide-comme-un-doc_1809823

    Et on pourrait rajouter, pour avoir relu la plupart de ses déclarations depuis six mois, qu’elle s’est très peu trompée, mêlant analyses documentées et prévisions mesurées. « Je ne parle que de ce que je connais », dit-elle.

    Cash, donc. Oui, sans l’ombre d’un doute. Quand on l’interroge sur les politiques, cela peut tomber dru. « Leur rôle n’est, certes, pas facile, je ne les critique pas trop. Sauf Blanquer. Il ne dit que des bêtises, il répète qu’il ne se passe rien à l’école. Idiotie. »