Il faut arrêter de dire que “#liberté” c’est moins fort que “#droit à l’#IVG”
Il faut arrêter de dire que “liberté” c’est moins fort que “droit à l’IVG”, ou que cette constitutionnalisation ne sert à rien… C’est faux, et c’est pas très stratégique parce que c’est exactement ce que les anti-IVG attendent de vous. Explications.
Commençons par pourquoi c’est faux. D’où vient ce débat sur la différence entre "liberté" et "droit" ? Ca vient du parcours législatif de l’un des textes qui a précédé la réforme constit, la proposition de loi de la Nupes qui a commencé en parlant de “droit à l’IVG“ ▻https://twitter.com/malopedia/status/1765154782837166190/photo/1
Après son examen et son adoption par l’Assemblée nationale, le texte était formulé différemment, mais parlait toujours de “droit à l’IVG”
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765155094515875893
https://static.piaille.fr/media_attachments/files/112/045/710/426/513/748/small/e5222dccb729b2ae.png Puis le texte est arrivé au Sénat. Quelques données à avoir en tête pour comprendre la suite :
1) Le Sénat est une chambre à la légitimité très contestable, parce que son mode de scrutin fait qu’elle est quasiment tout le temps acquise à la droite (62 ans sur 65).
Du coup, beaucoup au Sénat boivent ses paroles comme s’il était Portalis et Vedel réincarnés, alors que… ben non. C’est un politique malin et fourbe : il n’hésite pas à faire dire au droit ce qui l’arrange, même si parfois, c’est sciemment n’importe quoi.
Pour ma part, j’ai toujours trouvé injustifiée cette réputation de grand juriste qu’a Philippe Bas, cf par exemple 2 anciens tweets de 2022 et 2019 :
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765157045160771783
Le vrai objet de son amendement, c’était d’avoir un texte pas identique au mot près, et donc de retarder le texte, voire l’enterrer. La droite sénatoriale avait déjà réussi à plomber une précédente réforme constit en faisant exactement pareil : ▻https://twitter.com/malopedia/status/1762165117372752272
Mais ça, Philippe Bas ne pouvait pas le dire. Quand on est au théâtre, on joue la pièce. Donc au lieu d’avouer franco, il a sorti la flûte et l’aura de grand juriste. Ses arguments, c’était 1) qu’il y avait une faute de syntaxe… 🙄
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765157902191300855
https://static.piaille.fr/media_attachments/files/112/045/759/470/602/910/small/dbc59fff5f457cd5.png Et surtout, 2) ce gloubiboulga, je vous laisse lire, on va expliquer ensuite en quoi c’est du grand n’importe quoi.
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765158556301476248
https://static.piaille.fr/media_attachments/files/112/045/765/860/036/892/small/b63e5ac6fdf84895.png Il dit en substance qu’en parlant de “liberté”, alors la loi pourra opérer un équilibre entre l’IVG et les autres impératifs constitutionnels, alors que si on parle de “droit ”, alors ça serait au-dessus de tout et on pourrait plus rien changer à l’IVG par rapport à aujourd’hui.
C’est complètement stupide. Désolé, il n’y pas d’autre manière de le dire. Deux exemples.
Le préambule de 1946 (qui a valeur constitutionnelle) dispose que “chacun a le droit d’obtenir un emploi”. Allez vous pointer dans n’importe quel bâtiment de l’Etat pour exiger votre “droit à l’emploi”, pour voir si c’est au-dessus de tout, et dites moi comment ça s’est passé.
Second exemple (qui va surtout permettre de développer l’évidence) : la DDHC (qui a valeur constitutionnelle) dispose que les droits de l’Homme “sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression”.
Il est assez évident que liberté et propriété sont deux principes qui, pris absolument, ne peuvent être conciliés. Si je suis totalement libre, je suis libre de voler vos trucs, et du coup la propriété ne peut être garantie.
Idem pour liberté et résistance à l’oppression. Si je suis totalement libre, je suis libre de vous taper dessus, et donc de vous opprimer. Légère incompatibilité là aussi.
Alors comment on fait ? Ben on fait la solution évidente :
Le Conseil constitutionnel a toujours considéré qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les droits garantis par la Constitution, et donc que le législateur doit chercher un équilibre raisonnable permettant de tous les garantir convenablement.
Je suis libre, mais pas jusqu’à avoir le droit de violer votre propriété, ou le droit de vous opprimer. Assez logique.
C’est d’ailleurs littéralement ce que dit l’article 4 de la DDHC : les droits garantis par la Constitution doivent être conciliés entre eux.
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765160296493011296
https://static.piaille.fr/media_attachments/files/112/045/823/880/593/001/small/5f0d14f7a3e7befd.png Et qu’est-ce qui s’assure de la conciliation des différentes exigences constitutionnelles ? La loi, en aménageant ces équilibres, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Exemples :
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765160979095048645
https://static.piaille.fr/media_attachments/files/112/045/828/771/646/933/small/2efc5e2088d62e11.png https://static.piaille.fr/media_attachments/files/112/045/829/188/267/905/small/ec126f8c2aaf57fc.png Et avec un “droit à l’IVG”, il en aurait été de même... tout autant qu’il en sera de même avec la “liberté garantie d’avoir recours à l’IVG”.
C’est par exemple le rôle de la clause de conscience, qui existe (notamment) dans la loi, accompagnée de l’obligation d’indiquer à la patiente un médecin qui pratique l’IVG : ça permet de concilier droit à l’IVG, et liberté de conscience qui découle de ces textes là :
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765161441525481505
https://static.piaille.fr/media_attachments/files/112/045/840/113/933/767/small/9e4e566876b15b3a.png D’un côté, les médecins qui le veulent peuvent exercer leur liberté de conscience, et ce, sans empêcher que, de l’autre, les femmes puissent avoir accès à l’IVG.
(Je rentre pas dans le débat sur la clause spécifique, pas le sujet ici.)
Bref, un “droit constitutionnel” n’est pas différent d’une “liberté constitutionnelle”, l’un n’est pas au-dessus de l’autre ou de tout le reste. En vérité, relisez la DDHC, l’équivalence entre liberté et droit apparaît à plusieurs reprises…
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765162239361687729
Et certains articles par contre, ne disent pas si un principe est un droit ou une liberté, parce que c’est pareil : de l’article 10 on tire la liberté de conscience, de l’article 9 on tire le droit à la présomption d’innocence, des articles 7 et 8 les droits de la défense. ▻https://t.co/KisFqj8Ivt
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765162800714821932
Pour viser large (avec les "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République", les "objectifs à valeur constitutionnelle", les "principes à valeur constitutionnelle", etc etc), le Conseil constitutionnel parle “d’exigences constitutionnelles”.
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765163466300473412
Et je sais qu’il en restera pour ergoter que une liberté, c’est moins fort qu’un droit, parce que l’un des deux serait mieux garanti que l’autre, nanana, avec de la sémantique qui est peut être pertinente ailleurs, mais pas en droit. Parce qu’en droit, c’est faux :
Qu’on parle de l’un ou de l’autre, le Conseil constit répond toujours la même chose : la loi ne peut pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles. Qu’on parle de "droits constitutionnels”, de “libertés constitutionnelles” ou de d’autres exigences constit’
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765164540382093332
Bref, ce que dit Philippe Bas est donc faux et malhonnête (et il le sait très bien hein). Mais c’est Philippe Bas, il impressionne, il fait douter tout le monde. Mais continuons à nous intéresser au parcours du texte, parce que vous allez voir, ça vaut le coup.
Donc l’amendement Bas est adopté : quoi qu’il arrive, le texte Sénat ne sera pas identique au texte AN. Le Sénat pouvait donc tranquillement voter pour cette nouvelle rédaction, se faire passer pour pas trop rétrograde… tout en empêchant dans les faits la constitutionnalisation.
Pas de bol pour les sénateurs, en face, c’est-à-dire chez les défenseuses et défenseurs de l’IVG, ça répond “chiche”. Ou pour être plus exact : “même si le mot liberté est moins bien que droit (ce qui reste à prouver, on va y venir), c’est déjà ça de pris, donc ok, on tope”.
Et le Sénat a été pris à son propre piège.
Là, il faut introduire une autre donnée importante : si les deux chambres adoptaient un texte identique (donc si l’AN adoptait le même texte que celui sorti du Sénat), le texte devait ensuite être soumis à un référendum par Macron.
(Il y a débat sur est-ce que le PR y aurait été obligé, on considère en général que oui, mais qu’il n’y a rien pour l’y contraindre à part… la destitution. Bref, passons.)
Si l’AN adoptait le même texte, paf, référendum sur l’IVG. Pour tout plein de raisons, personne n’en voulait, et notamment pas Macron.
Donc Macron a déposé un projet (et pas une proposition) de loi constitutionnelle, reprenant quasi mot à mot le texte du Sénat. Et il se trouve que quand c’est un projet de loi (donc déposé par l’exécutif et pas par un parlementaire), il y a deux différences :
1) On peut passer par le Congrès du Parlement plutôt que par un référendum (et en l’occurrence, c’était plus simple)
Et surtout, 2) le Conseil d’Etat donne obligatoirement son avis sur le texte. Et c’est là que c’est beau, vous allez voir.
Consulté sur la question “droit” vs “liberté”, vous savez ce que dit le Conseil d’Etat ? Que c’est pareil. CQFD. Philippe Bas, conseiller d’Etat, réfuté par le Conseil d’Etat. Cébo.
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765167443905814921
https://static.piaille.fr/media_attachments/files/112/045/941/690/688/768/small/92d893a63a903100.png Une fois les doutes insidieux plantés par Philippe Bas dissipés, ça a convaincu le Planning familial par exemple (par la voix d’Albane Gaillot, autrice de la loi qui a fait passer l’IVG de 12 à 14 semaines).
▻https://twitter.com/malopedia/status/1765168269743227324
▻https://piaille.fr/@malauss/112045700158164671
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