• Mineurs étrangers : le fichier antifraude bientôt imposé à tous les départements

    Le projet de #loi « #protection_des_enfants » prévoit de rendre obligatoires à tous les départements le recours au #fichier_anti-fraude concernant les #mineurs_non_accompagnés, ainsi que la transmission de #données_personnelles aux autorités préfectorales. Les associations y voient un « outil de lutte contre l’immigration irrégulière ».

    Il avait été instauré en 2019, officiellement pour lutter contre le « #nomadisme » des #jeunes_migrants, soupçonnés de tenter leur chance d’un département à l’autre pour être reconnus #mineurs et pris en charge par l’#Aide_sociale_à_l’enfance. Le fichier « antifraude » (dit « #AEM », pour aide à l’#évaluation_de_la_minorité) revient, en force, sur le devant de la scène dans le cadre du projet de loi relatif à la « protection des enfants », examiné cette semaine à l’Assemblée nationale.

    Le texte prévoit en effet de le rendre obligatoire à tous les départements, alors qu’une poignée de récalcitrants – dont #Paris, la #Seine-Saint-Denis et le #Val-de-Marne – résistaient jusqu’alors, malgré les #sanctions_financières établies par un décret datant de juin 2020, venant réduire le montant de la contribution forfaitaire de l’État versée pour l’évaluation de la #minorité et la #prise_en_charge des jeunes. La somme passait, pour les départements refusant d’y avoir recours, de 500 à 100 euros.

    Depuis 2019, le gouvernement invite les #départements, sur la base du volontariat, à renvoyer les jeunes se présentant comme mineurs vers la préfecture, où un certain nombre de #données_personnelles (prise d’#empreintes_digitales, photos, #adresse_de_domiciliation, #numéro_de_téléphone...) sont alors collectées et enregistrées. Ces dernières sont ensuite comparées au fichier dit « #Visabio », qui répertorie les demandes de #visa formulées depuis l’étranger et peut biaiser les déclarations des jeunes se présentant comme mineurs, puisque certains d’entre eux tentent d’abord une demande de visa en se déclarant majeurs, dans le but de s’éviter la traversée par la mer.

    « Certains départements ne prennent même plus la peine de faire l’évaluation pour un jeune si la préfecture dit qu’il se trouve dans Visabio », souligne Jean-François Martini, juriste au Gisti. Selon le Groupe d’information et de soutien des immigrés, 77 départements ainsi que la métropole de Lyon auraient déjà recours au fichier AEM permettant la collecte d’informations. Pourtant, jusqu’à présent, impossible de mesurer l’éventuelle « fraude » à laquelle pourraient s’adonner les jeunes migrants en recherche de protection en France.

    « Rien ne justifie l’utilisation de ce fichier »

    Aucun chiffre, aucun bilan, rappelle Camille Boittiaux, référente MNA chez Médecins du monde, ne permettent d’« objectiver le phénomène de “nomadisme” ». « Rien ne justifie l’utilisation de ce fichier. Les arguments avancés par le gouvernement ne sont pas convaincants. Les MNA sont encore une fois considérés comme des migrants, de potentiels fraudeurs, avant d’être vus comme des #enfants. »

    Pourquoi donc vouloir rendre obligatoire un #fichier_biométrique controversé, auquel même la Défenseure des droits a manifesté son opposition, dans un avis critique adressé à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale fin juin, pointant un texte « pas à la hauteur des besoins que l’on note en #protection_de_l’enfance », rappelant, au passage, que le droit des MNA de refuser de transmettre leurs #informations_personnelles « n’est plus considéré ni prévu » ?

    Pour les associations d’aide aux migrants et aux MNA, comme pour le député Guillaume Chiche, la réponse est simple : il s’agit de faire de la protection de l’enfance un « outil de #lutte_contre_l’immigration_irrégulière ». « On passe du champ de la protection de l’enfance à un système policier, et le fichier AEM en est le premier pont », prévient Jean-François Martini. Dans un communiqué interassociatif (https://www.gisti.org/spip.php?article6614) rassemblant le Gisti, La Cimade, Infomie, Médecins du monde et le Secours catholique, ces organisations dénoncent un « #fichage policier systématique » et la « nocivité » de ce fichier. « Depuis sa mise en œuvre par la plupart des départements métropolitains, c’est une catastrophe pour les jeunes à tous points de vue », poursuit le juriste auprès de Mediapart.

    La référente MNA de Médecins du monde pointe, elle aussi, les « effets délétères » du fichier dans les départements où il a déjà été mis en place : « On a constaté que certains mineurs craignaient le passage en préfecture et décidaient de ne pas intégrer le système de la protection de l’enfance. D’autres sont laissés sans mise à l’abri en attendant le passage à la préfecture. D’autres encore n’ont ni mise à l’abri ni évaluation après consultation du fichier par le département. » Une sorte de #tri faisant fi du principe de #présomption_de_minorité, qui doit normalement garantir une protection aux jeunes se déclarant mineurs durant toute la durée de leurs démarches.

    « L’article 15 relève exclusivement de la gestion de flux migratoires, relève le député Guillaume Chiche, membre de la commission des affaires sociales. On organise la délivrance de renseignements sur les MNA aux autorités préfectorales. Pire, on oblige les départements à leur présenter les MNA ! » Avec le risque, aux yeux du député ex-LREM, de « reléguer les travailleurs sociaux au rang d’enquêteurs et de supplétifs des forces de l’ordre ». « Il n’y a plus de #secret_professionnel, cela rompt le lien de #confiance avec les jeunes », déplore-t-il.

    Mélange des genres

    Dans son avis, la Défenseure des droits exprime « ses profondes inquiétudes » quant à l’article 15, qui tend « davantage à traiter du #contrôle_migratoire qu’à une réelle amélioration de la protection des mineurs non accompagnés ». MNA qui relèvent, rappelle-t-elle, uniquement des dispositifs de la protection de l’enfance « jusqu’à l’établissement de leur âge par une décision judiciaire », et qui devraient être exclus de procédures relevant « d’un contrôle et d’une gestion des flux migratoires ».

    Un mélange des genres « intolérable » pour le Gisti. « On ne peut pas à la fois faire de la protection de l’enfance et mettre en œuvre des mesures elles-mêmes affichées comme de la lutte contre l’immigration irrégulière, estime Jean-François Martini. Le résultat de l’évaluation finit entre les mains d’une préfecture qui peut en tirer un argument pour prononcer une mesure d’éloignement, on organise une collaboration objective entre professionnels de la protection de l’enfance et services des préfectures. »

    Contacté, le département du Val-de-Marne n’a pas donné suite à l’heure où nous publions cet article. Désormais passé à droite, celui qui faisait partie des derniers « résistants » au fichier AEM et avait même déposé un recours auprès du Conseil d’État avec la Seine-Saint-Denis pour contester le décret du 23 juin 2020, risque de changer de cap. En Seine-Saint-Denis, le fichier est jugé « inacceptable » et reste à ce jour inutilisé.

    « Ce n’est pas notre rôle, tranche Stéphane Troussel, président du Conseil départemental. Les départements ne sont pas des supplétifs du ministère de l’intérieur. C’est à ce titre qu’on a refusé d’appliquer le décret jusqu’ici. Avec le recours obligatoire au fichier, on va fouler au pied la libre administration des collectivités territoriales. L’État devrait aller au bout de sa logique : s’il considère que cela relève de la question migratoire, à lui de prendre en charge la mise à l’abri et l’évaluation ! »

    Difficile, pour Dominique Versini, adjointe en charge de la protection de l’enfance à Paris, de dire si le département pourra continuer de « résister » bien longtemps : « Avec la Seine-Saint-Denis et la #Gironde, on n’a pas cessé de subir des #pressions. On a été pointés du doigt par le gouvernement comme des “gauchistes” qui voudraient favoriser l’appel d’air. On a essayé de nous attaquer par le porte-monnaie avec le décret réduisant la contribution forfaitaire. On a admis le fait de ne pas recevoir l’argent de l’État, qui représente une perte de 2,2 millions d’euros de recettes par an pour Paris, parce que nos valeurs l’emportaient. Mais là, le problème, c’est que le recours au fichier va être rendu obligatoire par la loi... », appréhende l’élue.

    Alors que le gouvernement mène déjà une politique de lutte contre l’immigration illégale « très dure », il « passe » désormais par les départements, selon elle, pour récupérer des jeunes à expulser. « C’est une façon d’utiliser la protection de l’enfance au profit d’une politique de lutte contre l’immigration illégale et cela me choque profondément », dénonce l’ancienne ministre, qui souligne une violation de la Convention internationale des droits de l’enfant et de la présomption de minorité, les jeunes étant contraints de se rendre en préfecture avant même d’avoir fait l’objet d’une évaluation. « La puissance du ministère de l’intérieur l’emporte sur le secrétariat en charge de la protection de l’enfance et je le déplore », poursuit Dominique Versini.
    Rien pour améliorer le quotidien des mineurs étrangers

    Le projet de loi prévoit par ailleurs d’interdire le placement des mineurs à l’#hôtel, mais introduit tout de même un caractère d’urgence, avec une durée maximale de deux mois, qui laisse planer le doute : « Deux mois, c’est déjà énorme ! Il y a entre 7 500 et 10 000 enfants placés à l’hôtel, et cela répond quasiment tout le temps à des situations d’#urgence et de #mise_à_l’abri. Donc cela ne va rien changer », alerte Guillaume Chiche, ajoutant qu’une majorité des enfants placés à l’hôtel sont des MNA. « Quand j’ai interpellé le ministre [Adrien Taquet] en commission, il a répondu que la durée de deux mois correspondait au temps qu’il fallait aux départements pour évaluer la minorité. Il y a donc un #droit_d’exception pour les MNA, et il est criminel d’organiser le tri entre les enfants. »

    En 2020, 4 750 jeunes se sont présentés à Paris pour une évaluation (contre 1 500 en 2015). Les MNA représentent un tiers des enfants confiés à l’#ASE. Paris et la Seine-Saint-Denis comptabilisent, à eux seuls, 50 % des évaluations réalisées en France (et 70 % pour l’Île-de-France). Ces deux départements restent ceux qui accueillent le plus de mineurs isolés. Pour mieux prendre en compte les spécificités socio-économiques des départements, et notamment le niveau de pauvreté, le projet de loi prévoit de modifier les critères du système de #répartition des MNA sur le territoire français - créé en 2016 pour soulager les départements les plus sollicités.

    S’il ambitionne d’apporter une « réponse précise », guidée par « l’intérêt supérieur de l’enfant et la pérennisation de notre système de protection de l’enfance », force est de constater que le projet de loi reste à mille lieues des enjeux (lire notre analyse : https://www.mediapart.fr/journal/france/160621/enfants-en-danger-un-projet-de-loi-mille-lieues-des-enjeux), et que rien ou presque ne vise à améliorer la prise en charge et le quotidien des MNA, dont l’histoire et le parcours migratoire sont souvent traumatisants.

    Rien concernant ces jeunes voyant d’abord leur minorité contestée, exclus du dispositif de protection et laissés à la #rue durant la durée de leur recours, puis reconnus majeurs par le juge des enfants [un jeune sur deux à saisir le juge serait reconnu mineur - ndlr]. Rien concernant ces jeunes reconnus mineurs par un département, puis réévalués majeurs dans un second département en raison du système de répartition imposé. Rien, enfin, concernant ces ex-MNA qui, à leur majorité et malgré une formation en apprentissage, parfois avec le soutien d’un employeur, sont menacés d’expulsion, révélant toutes les incohérences de l’État (lire ici ou là le récit de ces gâchis).

    Un projet de loi « de #maltraitance », juge Jean-François Martini. « Il n’y a rien sur la protection des enfants ! Qu’il s’agisse de l’évaluation, des #tests_osseux qu’on ne veut pas interdire ou de la possibilité de placement à l’hôtel dans des cas d’urgence, on les met en situation de #fragilité extrême, et on ose dire que la République fait le job », tacle Guillaume Chiche. Et Camille Boittiaux de conclure : « Il aurait pu y avoir des dispositions protectrices pour une vraie prise en charge de ce public. Mais ils sont uniquement sur le volet sécuritaire et le contrôle des enfants. C’est une occasion manquée. »

    https://www.mediapart.fr/journal/france/070721/mineurs-etrangers-le-fichier-antifraude-bientot-impose-tous-les-departemen
    #France #mineurs_étrangers #MNA #fraude #anti-fraude #antifraude #amende #préfecture #biométrie #chantage #résistance

    ping @etraces @karine4 @isskein

    • Pas de mesures anti-mineurs isolés étrangers dans le projet de loi relatif à l’enfance !

      Le 16 juin a été présenté en Conseil des ministres un projet de loi relatif à l’enfance qui a pour ambition de « garantir véritablement aux enfants un cadre de vie sécurisant et serein, et aux professionnels un exercice amélioré de leurs missions ». Plusieurs dispositions concernent les mineur⋅es isolé⋅es. Pour ces enfants, il n’est pas question de « cadre sécurisant et serein » mais d’un fichage policier systématique et d’une modification de la clé de répartition territoriale des prises en charge, sans tenir compte de leur intérêt.

      Le texte prévoit un recours systématique au fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM), qui fait du passage en préfecture un préalable à toute mesure de protection de l’enfance. L’utilisation de ce fichier depuis 2019 par de nombreux départements a démontré sa nocivité : mineur·es laissé·es à la rue dans l’attente de leur passage en préfecture, refus de mise à l’abri et d’évaluation à l’issue de la consultation des fichiers, édiction de mesures d’éloignement à l’égard de ceux et celles « déclaré⋅es » majeur⋅es, les privant de leur droit à un recours devant le ou la juge des enfants, etc. Le gouvernement veut maintenant imposer l’utilisation de ce fichier aux derniers départements qui refusent de confondre protection de l’enfance et lutte contre l’immigration [1].

      La clé de répartition nationale des mineur·es isolé·es entre les départements est modifiée en fonction de nouveaux critères qui ne tiennent aucun compte de l’intérêt de l’enfant : rien sur les délais interminables de transfert entre certains départements qui retardent leur scolarisation et leur prise en charge éducative ; et rien non plus sur les « doubles évaluations » qui conduisent des départements à remettre en cause la mesure de protection prise à l’initiative d’autres départements.

      Encore une occasion manquée pour le gouvernement de prendre des mesures de protection propres à se mettre en conformité avec les droits de l’enfant : détermination de la minorité basée sur l’état civil, présomption de minorité, prise en charge des jeunes majeur·es renforcée, droit au séjour sécurisé…

      Nous appelons donc au retrait de ces dispositions du projet de loi, à l’inclusion de mesures protectrices pour les mineur·es isolé·es et à un approfondissement de celles qui peuvent constituer des pistes d’amélioration de la protection de tous les enfants : prévention de la maltraitance dans les établissements, limitation des placements à l’hôtel, renforcement des normes d’encadrement, etc.

      https://www.gisti.org/spip.php?article6614

  • « Droit d’exception et paralysie de la justice favorisent l’avènement du far west », Nicolas Molfessis(Professeur à l’université Panthéon-Assas, secrétaire général du Club des juristes)
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/10/droit-d-exception-et-paralysie-de-la-justice-favorisent-l-avenement-du-far-w


    « Dès le 14 mars, les pouvoirs publics ont décidé de ne maintenir le fonctionnement de la justice que pour les seuls contentieux essentiels » (Photo : Le palais de justice de Bayonne fermé, le 16 mars, pour cause de coronavirus). Bob Edme / AP

    Face à la quasi-suspension des travaux de la #justice, le professeur de #droit_privé Nicolas Molfessis craint qu’au sein de la société se diffusent des comportements cyniques et que certains soient tentés de ne plus respecter leurs engagements légaux.

    Tribune. Pour le droit, la période actuelle est d’ores et déjà marquée par deux traits majeurs : d’une part, l’émergence et la propagation, fulgurante, d’un #droit_d’exception, appelé à la rescousse d’une crise dont les manifestations traversent la plupart des secteurs ; d’autre part, la paralysie, presque totale, du fonctionnement de l’institution judiciaire, et donc de la justice.

    Mis en miroir, ces deux mouvements, l’un de profusion voire d’explosion, l’autre de contraction sinon de disparition, favorisent l’avènement de ce qui pourrait ressembler au far west, cette société dans laquelle les individus se font justice à eux-mêmes.
    Dès le 14 mars, les pouvoirs publics ont décidé de ne maintenir le fonctionnement de la justice que pour les seuls « contentieux essentiels ». Ainsi, en matière civile, même les référés marqués par l’urgence font désormais l’objet d’une sélection. Pour le reste, comme la garde des sceaux l’a indiqué, les juridictions sont « fermées ».

    Comme une médecine d’urgence

    Le mot ne renvoie pas seulement à un état physique des juridictions, portes closes ; il exprime aussi un arrêt de la justice étatique : on « ferme » la justice, comme on le dirait d’une boutique qui cesse son activité. Comme l’a observé le premier président Jean-Michel Hayat [de la cour d’appel de Paris], « on a l’impression d’être dans une énorme machine qui d’un seul coup s’arrête… ». Or cette « machine », c’est celle qui, dans nos sociétés développées, règle majoritairement les conflits entre les hommes et les incite à respecter la règle de droit.
    A vue de règles, le droit n’a pourtant pas disparu, du moins une certaine forme de droit. L’avalanche de textes qui s’est abattue sur nous en quelques jours suffit à en attester. Ils promeuvent des règles dont l’objet premier est de mettre à l’écart, sans ménagement, le droit existant. C’est le propre du droit d’exception de se présenter comme une médecine d’urgence, un droit « d’autoconservation », disait [le philosophe allemand et juriste nazi] Carl Schmitt [1888-1985].

    Le résultat est là : qu’il s’agisse de procédure ou de droit substantiel, de droit du travail, de droit fiscal, de droit des sociétés, de droit des contrats, de droit des marchés publics, etc., nombre de principes essentiels sur lesquels repose notre système juridique ont été écartés pour éviter que tout ne s’écroule. Qui d’ailleurs se serait accommodé d’une lenteur ou d’une timidité des pouvoirs publics ? Qui aurait pu prétendre que le droit d’hier puisse régir la situation d’aujourd’hui ?
    Ces règles, pour nous protéger, inventent un monde fictif, celui dans lequel on fera comme si rien ne s’était passé, ou encore comme si on avait pu agir à temps. Comme lorsque l’on plonge un malade dans un coma artificiel pour lui éviter de souffrir et préserver ses fonctions vitales, le droit d’exception va jouer de la fiction juridique pour nous abstraire de la réalité. Surtout, dans ce monde juridique de crise, le lien de droit se relâche, la pression disparaît – au pénal comme au civil. Un #droit_du_débiteur voit le jour, entièrement dérogatoire.

    L’exception chasse le principe

    Les dettes fiscales, sociales, bancaires, civiles, sont l’objet de nombreuses mesures de grâce, souvent sur simple demande. La négociation, le gré à gré, entre débiteurs et créanciers, va se substituer à la contrainte juridique. Le modèle, officiel puisque venu d’en haut, n’est plus le paiement.

    Le droit d’exception atteint le lien d’obligation, y compris dans les rapports de droit privé : il paralyse le jeu des astreintes, des clauses pénales, des clauses résolutoires ou interfère avec les résiliations et renouvellement de conventions (Ord. n° 2020-306) ; il octroie des mesures de faveur à certaines entreprises, en raison de leur taille (Ord. n° 2020-316) ou de leur secteur d’activité (Ord. n° 2020-315). Mais ces textes, disparates et réactifs, dispensent leurs mesures sans percevoir les effets de système qui vont en résulter.

    Or l’appel à la solidarité peut certes faire beaucoup de bruit au dehors, il reste qu’en chacun de nous, la peur de l’avenir, les perspectives nées d’un effondrement de nos mondes et de notre condition, résonnent fortement. Chacun va donc jouer sa partition, avec plus ou moins de cynisme : les individus, pas plus que les Etats, les collectivités publiques, ou les entreprises, ne sont tous vertueux.

    Le risque est alors celui de comportements guidés par un principe de survie économique. A partir du moment où les juridictions sont fermées, où ne pas payer ses dettes devient un droit discrétionnaire accordé par l’Etat, où le temps juridique ne court plus, comment croire que les anciennes règles, notamment celles qui visaient à assurer la sécurité juridique des transactions, pourront toujours s’appliquer et être respectées ?

    L’exception chasse le principe

    Le droit est un système où prévalent l’imitation et les effets domino. Dès lors qu’une partie essentielle de notre droit se trouve suspendue, l’exception chasse le principe et il n’est plus possible de tolérer l’ancien droit, celui de l’ancien monde. Les uns accepteraient-ils de subir une règle que le droit d’exception a écartée pour d’autres ? Et comment le pourraient-ils quand ils sont eux-mêmes empêchés d’en répercuter les coûts ? A quoi s’ajoute l’effet désinhibiteur de la fermeture des juridictions, qui vient inciter à la violation des règles anciennes.

    Chacun le sait, notaires, avocats ou banquiers d’affaires, les acquisitions en cours subissent déjà les renonciations des acquéreurs, quand bien même la règle de droit ne les autoriserait pas à se dédire. Nombre d’entreprises ont également cessé unilatéralement de payer leurs fournisseurs pour des dettes échues, sans qu’aucune disposition de notre droit de crise ne le permette. Les preneurs de baux commerciaux n’entendent pas davantage payer les loyers de locaux qu’ils n’exploitent plus. La logique d’un droit d’exception est de se propager. L’effet d’entraînement est inéluctable.

    A ce stade, tout est donc en place pour détruire la #sécurité_des_transactions et favoriser des comportements qui ne s’exprimeront plus par le droit. Pour y remédier, l’Etat doit mesurer au plus vite qu’il ne pourra laisser aucun secteur hors du droit d’exception qu’il érige. La crise est globale, le droit qui la combat doit l’être aussi.

  • « Cette pandémie est la répétition générale de la catastrophe écologique », Laurent Jeanpierre

    https://www.nouvelobs.com/idees/20200321.OBS26403/laurent-jeanpierre-cette-pandemie-est-la-repetition-generale-de-la-catast

    TRIBUNE. Pour le professeur en science politique, la tragédie de l’épidémie, en mettant au grand jour les contradictions du néolibéralisme, a aussi une dimension utopique.

    La conjoncture actuelle met face à une suite ininterrompue d’événements inattendus et surprenants, d’incertitudes profondes, de dilemmes moraux et politiques, de revirements éventuels. Devant une telle situation, il convient de redoubler de prudence dans les réflexions qui traversent inévitablement l’esprit et dans les conclusions analytiques, même provisoires, qui sont susceptibles d’être tirées. Ces précautions prises, la pandémie actuelle apparaît d’un côté comme un concentré de toutes les crises vécues par les sociétés contemporaines mondialisées depuis la chute du bloc soviétique et fait figure, d’un autre côté, de répétition générale de la catastrophe écologique annoncée même si certains de ses traits diffèrent des grandes tensions qui travaillent les écosystèmes et la planète. Car contrairement aux bouleversements climatiques ou environnementaux, c’est une crise soudaine, rapide, perceptible à l’oeil nu par le plus grand nombre, peu contestée dans sa réalité, et surtout de portée planétaire.

    L’hégémonie chinoise

    Son avènement souligne une fois de plus que l’organisation actuelle de nos sociétés produit désormais d’immenses chocs réguliers et inévitables qui sont à la fois systémiques, brutaux et mortels à grande échelle. Il y en aura d’autres, tout le monde le pressent désormais. Ces chocs sont révélateurs non seulement des interdépendances entre nations, entre systèmes productifs, mais aussi des relations étroites entre sphères d’activité, entre grands domaines de la vie collective : la crise sanitaire entraînée par le virus provoque une crise économique mondiale et implique déjà de profonds changements politiques à la fois nationaux et internationaux. Qui aurait pu l’anticiper voire même l’imaginer ? Les savoirs étant spécialisés, et les enchaînements pas toujours évidents à saisir, cette interdépendance n’affleurait pas jusqu’à présent à la conscience, mais chacun constate qu’elle est bien réelle, qu’un simple virus peut faire vaciller le monde et ses agencements. Il y a, d’ores et déjà, des effets géopolitiques à cette épidémie dont témoignent les différences entre son mode de gouvernement dans les sociétés asiatiques et les sociétés occidentales.

    Les États asiatiques, la Chine en premier lieu, ont montré qu’ils étaient capables de maîtriser la crise plus vite et mieux que nous. Les Chinois offrent même aujourd’hui une aide humanitaire aux Européens partis en guerre contre le virus. Ils entendent profiter de la crise pour démontrer la supériorité fonctionnelle de leur modèle politique et accélérer le basculement d’hégémonie qui était en cours à l’échelle du système-monde capitaliste d’autant que les États-Unis vont être touchés de plein fouet et durablement par les effets sanitaires et économiques du virus à cause de leur déni de la gravité de la situation et de l’état désastreux et scandaleusement inégalitaire de leur système de santé.

    La crispation autoritaire des démocraties

    La Chine, avec son alliance de capitalisme néolibéral débridé et d’autoritarisme, imprime sa marque sur les modes de gouvernement de la crise par les autres pays, ce qui a pour effet d’accélérer des tendances, elles aussi déjà existantes, à la crispation autoritaire des démocraties libérales et de leurs gouvernants néolibéraux. L’appel à l’armée, le droit d’exception, les déclarations d’état d’urgence sanitaire ou général, les entorses au droit du travail, la marginalisation du travail parlementaire, lorsque celui-ci existe, en sont les premiers symptômes dans de nombreux États depuis quelques jours. Il y a une sorte de privilège apparent de l’autoritarisme dans la gestion de ces crises, un privilège qui n’est ni souhaitable, ni désirable, mais empiriquement observable. Ainsi est-ce le modèle historique même des démocraties occidentales qui, pour l’heure, est remis en question, avec la complicité des dirigeants actuels. Cela est d’autant plus vrai que de tels moments extraordinaires ont toujours été l’occasion depuis un demi-siècle, comme l’a notamment montré Naomi Klein, de mettre en place de nouvelles formules gouvernementales plus contraignantes et plus inégalitaires, qui n’auraient pas pu être acceptées en temps ordinaires. L’histoire récente nous apprend que l’exception, en matière de libertés civiles par exemple, tend à devenir la règle. Une crise de cette ampleur est toujours un moment de test pour de nouveaux modes de gouvernement. C’est vrai en Asie, mais aussi en Europe et en France. À Taïwan, en Chine, à Singapour, des dispositifs inédits d’usage des données personnelles, de contrôle et de surveillance des populations ont été mobilisés. En France, le mystérieux message du gouvernement que nous avons presque tous reçu sur nos téléphones portables est un symptôme de cette gouvernementalité de l’urgence qui s’expérimente en situation critique et anticipe des usages futurs. Et cela ajoute à l’angoisse de la période et aux incertitudes quant à l’avenir.

    Une crise de la reproduction

    La crise est révélatrice de l’une des contradictions désormais les plus profondes du néolibéralisme quant à la valeur qu’il accorde à la vie. On s’aperçoit en effet que la gravité de ce virus, longtemps sous-estimée ces derniers mois, n’est pas liée uniquement à sa létalité, ni à sa contagiosité, mais aussi à la capacité des systèmes de santé d’accueillir des patients nombreux en état grave pour des périodes de deux semaines environ. Les luttes du corps médical, uni depuis deux ans contre le gouvernement actuel en France, n’en prennent que plus de relief. Nul doute qu’elles reviendront en boomerang lorsque la phase la plus critique de la conjoncture présente sera passée. C’est d’ailleurs déjà le cas car beaucoup de médecins et d’infirmières ou d’infirmiers interrogent l’incurie et l’impréparation gouvernementales. C’est donc la santé des systèmes de santé qui est au coeur du problème. Et on constate que dans beaucoup de pays, elle est très fragile et beaucoup plus en France qu’en Corée du Sud par exemple. Partout, les services publics de la santé ont subi les effets d’une conception comptable où les hôpitaux sont gérés comme des hôtels, le taux de remplissage tenant lieu d’indicateur pertinent. Nul n’ignore plus que le gouvernement de l’hôpital n’est plus aux médecins, il est aux gestionnaires. Le capitalisme néolibéral, qui valorise en principe le « capital humain » comme pièce cardinale de la valorisation économique, se montre incapable, par aveuglement idéologique, d’entretenir les conditions d’entretien de la vie. Autrement dit, il n’est pas en mesure de « se reproduire », c’est-à-dire de prendre soin des institutions qui permettent sa reproduction, au premier chef les institutions de santé publique qu’il a livrées aux gestionnaires, au marché, ou externalisées à chaque individu responsable désormais d’entretenir son corps et sa santé. Toutes les vies ne sont toutefois pas affectées de la même manière par cette dislocation des systèmes de santé et cette bio-politique (ou thanato-politique) différentielle. La capacité à survivre à cette épidémie n’est pas la même pour tout le monde. Les prisonniers, les pauvres, les sans domicile, les migrants, certains soignants - et aussi toutes celles et tous ceux qui ne peuvent pas travailler à distance ou qui sont contraints par leurs patrons à la production - vont inévitablement souffrir et payer de leur vie plus que les autres.

    La dimension utopique

    Car ce qui vaut pour la santé vaut aussi pour l’environnement : le milieu naturel que nous dévastons par notre activité finit par ne plus permettre les conditions même de reproduction de notre activité. La crise du COVID 19, comme d’autres pandémies récentes depuis les années 1990, vient elle-même d’un dérèglement des relations entre humains et animaux ou plutôt d’une interférence entre des rapports anciens et traditionnels de relations aux animaux et des modes de production industriels de notre alimentation. Par bien des aspects, nous vivons une anticipation des crises écologiques à venir. Il y a le confinement, l’isolement, l’angoisse de la mort des proches, de sa propre mort : la dimension tragique du moment est très forte et elle va s’accentuer avec le temps d’autant que pèsent aussi les incertitudes évoquées précédemment quant aux leçons politiques qui seront tirées de la période. Mais il y a tout de même aussi une dimension utopique à la crise qui pourrait être portée : elle met en contact, une partie importante de la population, certes privilégiée, avec un emploi du temps libéré ou en tout cas altéré, elle nous fait éprouver des formes de solidarités ou de souci de l’autre qui disparaissent dans les sociétés contemporaines, elle nous oblige à la redéfinition de nos besoins, à une réflexion collective sur ce qu’il faut entendre par « première nécessité » et à des expériences de rationnement nécessaires lorsque les supermarchés se vident à cause de mouvements de panique et d’égoïsme. Les avions se sont arrêtés, on ne voyage plus, on consomme moins. En sommes-nous plus malheureux ? Pas sûr.

    La mise à l’épreuve de notre individualisme

    Autrement dit on est en train de vivre ce qu’il faudrait faire pour entamer véritablement la transition écologique au rythme nécessaire compte tenu des urgences climatiques et des limites planétaires. Bien sûr, il aurait été mieux de le faire de manière choisie que forcée, mais tout ce qu’une partie de la population voyait comme impossible ou trop contraignant dans les sociétés libérales, tout ce qu’il faudrait faire pour être à la hauteur de la catastrophe écologique globale à laquelle nous faisons face, nous nous rendons compte que nous pouvons le faire sous la contrainte d’un virus. Et nous nous rendons compte que ce n’est pas si douloureux, voire que c’est porteur d’une redéfinition intéressante de notre rapport aux autres, à nous-mêmes, aux biens matériels, au travail. Nous, citoyens occidentaux, avons le sentiment d’être dans un « double bind » : attachés à nos libertés individuelles et publiques, nous constatons qu’elles sont de peu d’utilité dans des moments comme celui-ci, et nous redécouvrons soudain quelques vertus à la contrainte. Cela nous plonge dans des maelstroms moraux : des gens très conservateurs se mettent à défendre leurs libertés parce que le gouvernement en fait trop, et des libéraux enjoignent à la discipline. Tout cela fait apparaître plus clairement les contradictions du libéralisme, cette fois envisagé sur le plan politique et moral. Le confinement met à l’épreuve l’individualisme qui fait son socle et interroge ainsi ses limites éthiques. En ce sens, il y a quelque chose de propiatoire dans cette crise même s’il est illusoire de penser que quelques mois mettront à bas ce qui a été construit pendant des décennies ou des siècles.

    L’arbitraire de l’économie

    Certes, cette dimension utopique de la crise en cours est loin d’être dominante - la dimension tragique et dystopique pèse et pèsera beaucoup. Bien sûr, cette dimension utopique est aussi source de peur pour les gouvernements car nous risquons de prendre goût à cette autre organisation sociale et existentielle. Mais on peut supposer qu’elle laissera des traces dans les mois et les années qui viennent et espérer qu’elle imprégnera notre avenir lorsque sonnera l’appel du « retour à la normale ». Toute crise ouvre de nouveaux possibles. Celle-ci fait apparaître par exemple le caractère arbitraire de ce qu’on nous définissait jusqu’ici comme la réalité la plus réelle, la plus intangible, la plus indéboulonnable : l’économie. En quelques jours, les gouvernements du monde entier ont été capables de libérer des capitaux qu’ils n’avaient jamais voulu libérer, même après la crise de 2008. Tout ce qui était de l’ordre de « l’impossible » - l’élévation des déficits publics, la renationalisation de certaines entreprises - n’était donc pas impossible, mais arbitrairement proscrit. Les agencements socio-économiques et sociopolitiques qui prévalaient jusqu’alors se révèlent purement idéologiques, parce que tout le monde peut constater qu’en situation extrême, on peut les changer très vite sans que cela ne pose aucun problème. Il en restera forcément quelque chose. Nous vivons donc une expérience contrefactuelle grandeur nature : une fraction importante de la population, celle qui n’est pas en première ligne du soin ou de la production, est en train d’expérimenter ce que pourrait être une existence dans laquelle une grande partie des coordonnées de la vie sous le capitalisme néolibéral est suspendue. C’est inestimable.

    21 mars 2020

    Laurent Jeanpierre, bio express Né en 1970, Laurent Jeanpierre est professeur de science politique à l’Université Paris VII, il est notamment l’auteur d’« In Girum - Les leçons politiques de ronds-points », paru à La Découverte en 2019.

    • Parceque tous ces professeurs toujours au masculin qui ont des postes dans de grandes universités monopolisent l’espace (médiatique et dans les postes les plus élevés avec salaire, prestige et capital social qui va avec) au détriment des femmes qui sont pourtant plus diplomées, plus écologistes et plus nombreuses dans les universités et qui sont effacées vu que les hommes prennent toute la place. Ca m’exaspère en ce moment et du coup j’utilise « manspreading » qui est l’expression qui désigne un homme qui ecarte ses cuisses dans les transports publiques pour etre plus confortable au détriment de l’espace des femmes qui doivent se serré sur elles mêmes.
      Ensuite je ne croi pas à l’anthropocène mais à l’ #andropocène car les pollueurs, tueurs, capitalistes, consomateurs compulsifs, viandards, putiers &co, ce sont nos mâles et ca me semble important de le souligner et à mon avis si on ne veut pas refaire comme d’habitude il faut réduire la voilure des hommes. Le fait que ca soit un point aveugle pour les collapsologues qui parlent du monde de demain est hyper-problématique - hors de question à mes yeux de renvoyer les femmes à la servitude comme les font les Rabi, PMO et autres ecolos collapso machos. Et vu que c’est aujourd’hui qu’on veut parlé d’un nouveaux monde a mes yeux la base de ce nouveau monde c’est que les hommes prennent moins de place, arrete de se mettre en avant, arret de dicter ce qui est bien et bon et la ferment un peu. Comme j’ai pas le temps ni la patience d’expliqué tout ca à chaque fois et que de toute façon quant je l’explique ca percute pas beaucoup de cerveaux masculins qui de toute façon n’écoutent pas trop les femmes surtout quant elles sont pas douces et gentilles à leur flatter l’égo alors j’utilise ce tag.

    • Merci pour l’explication, @mad_meg. C’est vrai que ça pose question, que les écologistes parlent toujours si peu de domination (genre, race, classe), que ça avance si lentement, et que l’angle féministe pour causer de ça soit toujours assuré par des féministes, comme si les écolos mâles ne pouvaient s’en saisir pour l’articuler avec le reste.

    • J’ai pensé à toi quand je parlait des femmes écologistes et à mon avis les collapsologues devraient mettre en avant des personnes comme Aude Vidal ou Starhawk plutot que leur mâles personne professorales. Ils sont meme pas foutu de cité une meuf et de toute façon la plus part ne s’est même pas rendu compte que les féministes sont écolo-végé-décroissantes depuis belles lurette. Pour la question raciale et de classe c’est vrai qu’ andropocène n’en tiens pas compte et c’est un problème. J’avais pensé à caucaso-andropocène ou andro-caucasopocène mais c’est pas aussi musicale et c’est un peu long. J’espère que tu pourra te faire entendre dans ce foutoir viriliste qu’est la pandémie et merci pour ton commentaire sororal @antonin1 .

    • Meric, @mad_meg. Une copine m’a posé la question d’écoféministes en France en ce moment qui ont des propos intéressants et je n’ai pas pensé spontanément à Aude Vidal car même si elle est écolo et féministe, elle n’articule pas trop les deux ensemble. Isabelle Stengers, Bernadette Bendaude-Vincent, des femmes écolos plutôt technocritiques, reviennent sur le devant de la scène : un livre pour Stengers que j’ai eu envie d’aimer mais trouvé assez banal, où elle s’affronte à la question de la catastrophe, encore, et Bensaude aurait écrit un truc bien sur vivre avec les virus que je ne trouve pas (sauf une tribune collective). Mais les deux ne me semble pas spécialement féministes. Reste Vinciane Despret qui est vraiment féministe. J’ai conseillé à ma pote d’inviter Isabelle Cambourakis. Je ne sais pas si elle a trop écrit elle-même mais elle peut témoigner de la vitalité de ce champ de réflexion et des pratiques qui vont avec et qui commencent à peine à exister en France (après le Royaume-Uni, les USA, la version décoloniale en Amérique du Sud). C’est assez à la mode, même, et j’espère que ça va produire encore plus de trucs.

      J’ai posté ici
      https://seenthis.net/messages/838344
      ce truc qui réunit des écoféministes de la nouvelle génération dont une est une copine d’enfance, Suzanne Husky, qui travaille un peu avec Starhawk.

      Clairement, les mecs technocritiques ou collapso n’ont aucune bonne raison de ne pas entrer en dialogue avec des femmes et surtout des féministes. D’ailleurs, c’est le cas dans à peu près tous les champs...

    • PS : J’adore andropocène pour la rime avec anthropocène (parce que sinon on dirait androcène). C’est vrai que nombre de sociétés patriarcales n’ont pas pourri leur environnement, mais ça a le mérite d’évoquer une dimension importante du problème.

    • Merci pour les reférences @antonin1
      Si tu veux te servir d’andropocène c’est open source ^^
      Pour l’éco-féminisme je pense aussi à ceci :
      https://www.revue-ballast.fr/feminisme-et-cause-animale
      mais c’est pas une approche focalisé sur l’environnement bien qu’à mes yeux l’arret de la consommation de viande soit une solution assez centrale pour réduire notre impacte écologique.

      pour ceci « les mecs technocritiques ou collapso n’ont aucune bonne raison de ne pas entrer en dialogue avec des femmes et surtout des féministes. » ils ont même toutes les bonnes raison de pas le faire car ca leur promet des bonniches à engrossées qui peuvent même plus se défendre à coup de contraceptif (polluants) et qui font les corvées dans la grotte pendant qu’ils se tirent la nouille à la chasse (nature, essentialisation toussa toussa).

    • ca leur promet des bonniches à engrossées qui peuvent même plus se défendre à coup de contraceptif (polluants) et qui font les corvées dans la grotte pendant qu’ils se tirent la nouille à la chasse (nature, essentialisation toussa toussa)

      Ah ah ! Ceci dit, je pense que la cause animale et l’écologie ne sont pas la même chose. Je rencontre souvent des animalistes qui s’en tapent, de l’agriculture et de l’écologie, qui n’ont pas le bagage des militant·es de base sur ces questions parce qu’en fait ils et elles envisagent la question animale du seul point de vue moral. Je n’ai rien contre mais j’aime bien le savoir à l’avance parce qu’autant je peux respecter un engagement moral, autant les faux écolos je les démasque et je les jette. Animalistes ou fascistes ou capitalistes, je n’aime pas qu’on instrumentalise l’écologie.

      Et sur la convergence avec le féminisme, c’est pas si juste, même si le virilocarnisme est un fait anthropologique très bien vu (parfois contradictoire avec des besoins physiologiques de femmes en couches ou en menstrues à qui on refuse la viande alors qu’elles en ont le plus besoin !). La chasse est de l’ordre de la prédation et l’élevage du soin (historiquement, ce sont plutôt les femmes qui en ont été chargées et c’est la principale dimension de l’élevage paysan). Et puis ce détail, que j’aime rappeler surtout aux hommes animalistes qui sortent l’argument féministe. Les animaux ne peuvent pas dire « Ne me libère pas, je m’en charge. » Et ça change tout !

    • Par delà le statut de l’auteur, et bien qu’on ne puisse le négliger, l’article me paraissait proposer (le 23 mars) une bonne synthèse des questions posées à nouveaux frais par la catastrophe sanitaire en cours (à dire vrai je n’ai pas vu mieux de ce point de vue). Bien sûr, j’ai, par exemple, tiqué sur l’expression unifiante « corps médical » employée par l’auteur (concision oblige ?) qui occulte que les #luttes de soignants et soignantes n’ont été ralliées que tardivement par les médecins et autres titrés, effectivement plus aptes à jouer le rôle de porte parole (les alliances ne sont pas seulement affaire d’affinités, elles trimballent avec elles le monde dont elles sont issues ; les « conversions » à la lundi matin, c’est du roman à l’eau de rose).
      Une telle synthèse montre une bonne part de ce qu’il faut tenir ensemble ce qui me parait permettre un gain de temps par rapport à l’éparpillement obligé des lectures, analyses, phénomènes. Ce n’est pas comme ça qu’elle est lue ici, si elle l’est, tant pis.

      #crise_sanitaire #crise_économique #écologie #économie #ttrvail #géopolitique #gouvernementalité #droit_d’exception #libertés

    • @colporteur c’est sympas de pas me remercier de te répondre et de montrer que tu as rien compris ou que tu t’en fiche qu’on oublie 50% de l’humanité dans la synthèse du monde de demain. Il n’y a pas d’ « au dela du statut de l’auteur » justement c’est ce que j’essaye d’expliqué (en pure perte car @antonin1 connais deja bien tout ca) et du coup je le lirais pas ton mec avec sa synthèse qui efface la moitié de l’humanité pour son monde de demain pareil que celui d’hier.

    • Je ne pige pas pourquoi tu ajoutes ce # ici @mad_meg.

      C’est vrai que c’etait pas une question et du coup excuse moi d’avoir cru que tu voulais une explication. Je ne connais pas cette loi qui impose de lire avant de tagger. Ta honte tu te la garde, je la prend pas.

    • Bien sûr, j’ai, par exemple, tiqué sur l’expression unifiante « corps médical » employée par l’auteur (concision oblige ?) qui occulte que les #luttes de soignants et soignantes n’ont été ralliées que tardivement par les médecins et autres titrés

      Je lis aussi malgré ces lacunes que tu notes, @colporteur, mais au bout d’un moment, devant la pléthore de trucs intéressants qui tournent, je comprends qu’on éprouve le besoin de filtrer les vieux mâles bourges et blancs ! Les autres aussi écrivent des trucs intéressants.

  • « Il n’est pas besoin de beaucoup de mots » : #dérogations à tout va dans les #universités

    L’#ordonnance « relative à l’organisation des #examens et #concours pendant la #crise_sanitaire née de l’#épidémie de #covid-19 » a été examinée hier après-midi en conseil des ministres, et est donc parue au Journal officiel de ce matin. Cette ordonnance appartient à la deuxième vague des ordonnances prévues par la loi d’urgence du 23 mars 2020, après la vague des 25 ordonnances du 25 mars, dont les médias se sont largement fait l’écho.

    Il faut bien comprendre que cette ordonnance est une intervention du #pouvoir_exécutif dans ce qui représente normalement le champ de compétences du #Parlement. L’objectif de cette ordonnance n’est donc pas le même que l’objectif d’un #décret : il est d’abord et avant tout de modifier des dispositions de valeur législative, que le #Président_de_la_République et le #gouvernement n’ont normalement pas la possibilité de modifier par eux-mêmes, mais qu’ils peuvent tout de même modifier parce que le Parlement les y a exceptionnellement habilités.

    On est donc en présence d’un #droit_d’exception dans tous les sens du terme : #exception sur la forme, parce que le gouvernement intervient dans le champ du Parlement pour modifier des textes de #valeur_légale, conformément à la procédure des ordonnances (article 38 de la Constitution) ; exception sur le fond, parce cette ordonnance introduit un nombre important de modifications qui sont certes justifiées par l’épidémie et ses conséquences, mais qui, il ne faut pas le perdre de vue, sont aussi, pour nombre d’entre elles, des modifications que le #MESRI souhaite introduire ou généraliser depuis des années (#examens_à_distance, et notamment en #télésurveillance ; délibérations par #visioconférence ; pouvoirs forts des chefs d’établissements ; différenciations entre établissements). Il est très probable, de ce point de vue, que le provisoire actuel se révèle rapidement transitoire : les mesures prévues dans ces ordonnances représentent un galop d’essai fantastique pour le MESRI.

    Il est aussi important de noter, d’emblée, que l’ordonnance est très courte. On pourrait être tenté d’y voir le signe que les dérogations introduites sont en nombre limité. Il faut plutôt l’analyser, nous semble-t-il, comme la marque du caractère très général des nouveaux pouvoirs que l’ordonnance attribue, et du faible nombre de #garde-fous mis en place : il n’est pas besoin de beaucoup de mots pour dire que l’on peut déroger à tout va au droit existant, dès lors que le choix est fait de ne pas encadrer outre mesure ces dérogations.


    *

    Au-delà de ces considérations générales, on peut reprendre le contenu de l’ordonnance dans l’ordre, au risque d’être un peu long.

    1° Temporalité des #règles_dérogatoires

    Les mesures prises dans cette ordonnance ont une durée de vie doublement limitée : limitée dans le temps (elles sont applicables du 12 mars – elles peuvent donc avoir un effet rétroactif – au 31 décembre 2020) et limitée dans la finalité (elles doivent être « nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie » et aux conséquences « des mesures prises pour limiter cette propagation »).

    Deux remarques sur ce point :

    Comme pour la #prorogation des mandats des présidents et conseils centraux, le choix a donc été fait d’une durée très longue de 9 mois 1/2. Ce choix est un peu étonnant, surtout depuis qu’on a réalisé que le choix du MESRI de proroger possiblement jusqu’au 1er janvier 2021 les mandats des présidents et conseils centraux n’est finalement pas la règle générale applicable aux établissements publics qui ne relèvent pas du MESRI (cf. l’article 6 de l’ordonnance du 27 mars 2020 adaptant le droit applicable au fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives pendant l’état d’urgence sanitaire, qui prévoit des prorogations allant, selon les cas, jusqu’au 30 juin et jusqu’au 31 octobre 2020).
    Il sera important de s’assurer que les modifications introduites sur le fondement de cette ordonnance ne perdurent pas dans certains établissements : elles doivent être strictement limitées aux deux barrières temporelles précédemment évoquées. Et dans tous les cas, comme dit plus haut, même si ces #limitations_temporelles existent, le risque est réel que ces modifications soient ensuite pérennisées, conformément à cette logique – maintes fois observée ailleurs – selon laquelle le droit d’exception préfigure le #droit_commun.

    2° Transformation des règles d’accès à l’enseignement supérieur et de délivrance des #diplômes

    Le chapitre Ier de l’ordonnance (articles 2 à 4) concerne l’accès aux formations de l’enseignement supérieur et la délivrance des diplômes de l’#enseignement_supérieur. Ces trois articles ont vocation à réduire (à « assouplir », dit-on en novlangue) de manière très importante les conditions légales du code de l’éducation par l’attribution de pouvoirs exceptionnels.

    Deux questions sont traitées dans ce chapitre : la détermination du contenu des « #adaptations » (articles 2 et 4) ; la détermination de l’#autorité_compétente pour prendre ces mesures d’adaptation (article 3).

    2.1 Le contenu possible des « adaptations » extrêmement large. On note immédiatement deux choses importantes :

    S’agissant des modifications des modalités d’accès aux #formations de l’enseignement supérieur, il n’est rien dit du contenu possible de ces modifications si ce n’est que chaque autorité qui intervient légalement dans la procédure d’accès aux formations (rectorat, universités) a le droit de changer les règles « nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire », c’est-à-dire sans que les règles existantes puissent y faire obstacle. Ce grand silence, sur un sujet aussi sensible, interpelle car il laisse une marge de manœuvre très importante à chaque université et à chaque #rectorat pour adapter la procédure de l’article L. 612-3 du #code_de_l’éducation. Ce point appelle une vigilance toute particulière.
    Ceci dit, lorsque, s’agissant de la modification des modalités de délivrance des diplômes, une liste est établie, elle est en réalité si large qu’elle permet, là aussi, tout ou presque (modification de la nature des épreuves, de leur nombre, contenu, coefficient, conditions d’organisation, et notamment possibilité de dématérialisation complète).

    La plus grande liberté est donc laissée sur les modifications de contenu, et les pratiques vont vraisemblablement être très variables sur le territoire, mettant définitivement un terme à ce qui restait d’idéal d’#égalité des étudiant·es devant le #service_public de l’enseignement supérieur.

    Il faut bien voir que l’exercice risque d’être particulièrement brutal pour les étudiant·es, en particulier que toutes ces modifications peuvent leur être imposées de manière extrêmement rapide, en l’occurrence dans un délai qui peut être réduit jusqu’à deux semaines, par dérogation à l’article L. 613-1 du #code_de_l’éducation qui prévoit, lui, que les modalités du #contrôle_des_connaissances « doivent être arrêtées dans chaque établissement au plus tard à la fin du premier mois de l’année d’enseignement et elles ne peuvent être modifiées en cours d’année ».

    Mais le problème principal va vraisemblablement se porter, dans les prochaines semaines, sur les #examens_à_distance, que l’ordonnance autorise à mettre en place de manière généralisée. On observe deux points très problématiques à ce sujet :

    Le premier tient dans le fait que l’ordonnance s’est bien gardée d’établir des garanties procédurales et techniques permettant d’assurer l’#égalité_de_traitement des étudiant·es et la lutte contre la fraude, à la différence de ce qu’elle fait, un peu plus loin dans l’ordonnance, pour les examens et concours d’accès à la fonction publique (renvoi à un décret fixant ces garanties). On pourrait penser que les conditions de l’article D. 611-12 du code de l’éducation continuent de s’appliquer1, mais faute de précision, ces conditions ne nous éclairent guère, de sorte que le pragmatisme à toute épreuve de certain·es collègues risque de bien vite les écraser.
    Le deuxième point a trait au fait que ces conditions d’organisation seront décidées sans beaucoup de discussion collective – puisque, comme on va le voir, l’essentiel des pouvoirs est concentré entre les mains du président de l’ université – et pourront même être imposées aux enseignant·es qui les refuseraient, si l’on en croit les termes de l’ordonnance.

    Il est impératif que ces examens à distance ne représentent pas l’aiguillon de leur généralisation pour les années à venir dans les universités. Le débat critique à leur égard reste entier. C’est particulièrement le cas pour ce qui concerne les examens dits « en télésurveillance ». Ils posent des problèmes juridiques multiples — en termes de droit des données à caractère personnel et en termes de droit à l’image, en particulier— quand bien même les règles du code de l’éducation seraient respectées, ils suscitent un fort scepticisme dans la communauté universitaire, qui n’a pas particulièrement envie de devenir le terrain d’essai de l’immixtion des dispositifs de vidéosurveillance à l’intérieur des domiciles privés, ils reviennent à enrichir de nouveaux intermédiaires privés — soit les prestataires de services. Et ils coûtent finalement cher, plus cher qu’un examen en présentiel.

    De ce point de vue, dans le cas où des universités choisiraient de recourir aux examens par télésurveillance dans les prochaines semaines, il est crucial qu’il soit veillé à ce que le plein consentement des étudiant·es soit obtenu : on ne saurait leur imposer d’être filmés à leur domicile. On ne peut qu’être atterré à cet égard, de la réponse de Pierre Beust – l’universitaire de référence, selon la DGESIP, sur les conditions d’examens par télésurveillance en France – lors du webinaire sur « la continuité pédagogique : la question cruciale des examens » (à partir de 1H07), qui explique sans ciller qu’un·e étudiant ·e qui refuserait de passer un examen en télésurveillance bénéficierait de moins de « bienveillance », donc en pâtirait2.

    2.2 S’agissant de la détermination de l’autorité compétente pour prendre ces mesures d’adaptation (article 3), l’ordonnance vient confirmer la tendance lourde du droit de l’enseignement supérieur au renforcement toujours croissant du rôle du président. Celui-ci reçoit compétence pour procéder lui-même – seul, donc – à toutes ces modifications, dès lors qu’il considère que les organes collégiaux sont empêchés de délibérer « dans des délais compatibles avec la continuité du service », ce qui est pour le moins vague. Le court-circuitage des #CFVU est donc très largement ouvert. On note en outre que quand bien même les organes collégiaux délibèrent « dans des délais compatibles avec la continuité du service », ils peuvent toujours décider de déléguer leurs #compétences au président. On reproduit à la petite échelle des universités ce que l’on a observé la semaine dernière au Parlement avec la loi d’urgence : le réflexe systématique devant le caractère exceptionnel de l’épidémie que nous vivons est de renforcer la #concentration_des_pouvoirs, et donc l’#autoritarisme, et ce réflexe semble aujourd’hui être conçu avec une évidence telle qu’il n’est plus même discuté. C’est très inquiétant quant à ce que cela dévoile de nos représentations intellectuelles des processus de prise de décision collective.

    3° Transformation des règles relatives aux examens et concours de la fonction publique

    Le chapitre II de l’ordonnance (article 5 et 6) concerne les examens et concours d’accès à la fonction publique. Pour le résumer simplement, toutes les adaptations sont possibles, et en particulier le recours à la visioconférence peut être généralisé. La question du projet de décret « fixant les conditions de recours à la visioconférence pour l’organisation des concours des chargés de recherche et des directeurs de recherche des établissements publics scientifiques et technologiques et des enseignant·es-chercheur·ses des établissements d’enseignement supérieur au titre de l’année 2020 » n’a donc plus lieu d’être : l’ordonnance permet désormais de ne pas appliquer les dispositions du décret du 22 décembre 2017 fixant les conditions de recours à la visioconférence pour l’organisation des voies d’accès à la fonction publique de l’État, qui impose un nombre minimum de membres du jury physiquement présents.

    Deux observations toutefois : ces règles nouvelles ne sont pas immédiatement applicables puisqu’il est prévu que « les garanties procédurales et techniques permettant d’assurer l’égalité de traitement des candidats et la lutte contre la fraude sont fixées par décret » ; surtout, on ne sait pas à ce stade qui, précisément, prendra la décision de déroger « à l’obligation de la présence physique des candidats ou de tout ou partie des membres du jury ou de l’instance de sélection, lors de toute étape de la procédure de sélection » : est-ce au niveau de chaque établissement qui ouvre un poste ? Ou est-ce au niveau de l’État que seront pris, concours par concours, les décisions ?

    À ce stade, on a aussi encore du mal à voir précisément l’ampleur des conséquences du deuxième point du chapitre II de l’ordonnance. Pour les #concours qui étaient en cours mais non achevés à la date du 12 mars 2020, « la liste complémentaire établie par le jury du concours précédent peut être utilisée afin de pourvoir des vacances d’emplois ». Par ailleurs, diverses mesures destinées à prolonger la validité des listes complémentaires ou des listes d’aptitude des concours sont décidées. Et enfin, point important, lorsqu’un concours est en cours ou a été ouvert entre le 12 mars et le 31 décembre 2020, il est prévu que les candidats doivent remplir les conditions générales prévues pour l’accès au corps auxquels ils postulent au plus tard à la date d’établissement de la liste classant par ordre de mérite les candidats déclarés aptes par le jury, et non, comme c’était le cas jusqu’ici, au jour de la première épreuve.

    https://academia.hypotheses.org/21693
    #université #fac #facs #pérennisation #ESR #stratégie_du_choc #in_retrospect

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    citation pour @etraces :

    Il est impératif que ces examens à distance ne représentent pas l’aiguillon de leur généralisation pour les années à venir dans les universités. Le débat critique à leur égard reste entier. C’est particulièrement le cas pour ce qui concerne les examens dits « en télésurveillance ». Ils posent des problèmes juridiques multiples — en termes de droit des données à caractère personnel et en termes de droit à l’image, en particulier— quand bien même les règles du code de l’éducation seraient respectées, ils suscitent un fort scepticisme dans la communauté universitaire, qui n’a pas particulièrement envie de devenir le terrain d’essai de l’immixtion des dispositifs de vidéosurveillance à l’intérieur des domiciles privés, ils reviennent à enrichir de nouveaux intermédiaires privés — soit les prestataires de services. Et ils coûtent finalement cher, plus cher qu’un examen en présentiel.

    • Il faut bien comprendre que cette ordonnance est une intervention du #pouvoir_exécutif dans ce qui représente normalement le champ de compétences du #Parlement. L’objectif de cette ordonnance n’est donc pas le même que l’objectif d’un #décret : il est d’abord et avant tout de modifier des dispositions de valeur législative, que le #Président_de_la_République et le #gouvernement n’ont normalement pas la possibilité de modifier par eux-mêmes, mais qu’ils peuvent tout de même modifier parce que le Parlement les y a exceptionnellement habilités.

      et

      On reproduit à la petite échelle des universités ce que l’on a observé la semaine dernière au Parlement avec la loi d’urgence : le réflexe systématique devant le caractère exceptionnel de l’épidémie que nous vivons est de renforcer la #concentration_des_pouvoirs, et donc l’#autoritarisme, et ce réflexe semble aujourd’hui être conçu avec une évidence telle qu’il n’est plus même discuté. C’est très inquiétant quant à ce que cela dévoile de nos représentations intellectuelles des processus de prise de décision collective.

      #ordonnance #loi_d'exception

    • Dans les universités, la tentation de la télésurveillance des examens

      Faute de pouvoir organiser des #partiels classiques pour cause de #risque_sanitaire, certaines universités réfléchissent à une télésurveillance des examens, via des prestataires privés. Un dispositif contesté et coûteux, que le gouvernement encourage.

      Évaluera ou n’évaluera pas ? « Pour l’instant, c’est les grandes négociations », glisse un vice-président d’une université parisienne. Depuis le début du mois d’avril, les discussions sur les modalités d’examen font rage dans les facultés, qui ne rouvriront pas leurs portes avant la rentrée de septembre.

      Mercredi 22 avril, la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal, dans une interview accordée à 20 Minutes, a recommandé d’organiser « un maximum d’épreuves ne nécessitant pas la présence physique des étudiants sur les campus », tout en estimant que les modalités de ces épreuves relevaient de la « #liberté_pédagogique » des établissements.

      Les votes s’enchaînent dans les #CFVU, les commissions chargées des règles des examens dans chaque université. Une partie des syndicats étudiants, comme l’Unef, s’opposent à l’organisation de partiels classiques, certains réclamant une #neutralisation du semestre ou l’instauration du « #10_améliorable » (validation automatique du semestre, avec une note minimale de 10 pour tous les étudiants). Des demandes irrecevables pour la plupart des établissements, qui souhaitent maintenir une forme d’évaluation et mettent sur pied les modalités filière par filière.

      La plupart des universités ont déjà annoncé vouloir privilégier le #contrôle_continu et adapter fortement les examens de fin d’année. À l’université Lumière-Lyon II, la consigne est d’éviter ou d’alléger autant que possible les examens « en temps contraint », explique Valérie Haas, vice-présidente à la formation. Les enseignants sont donc invités à privilégier des « devoirs maison », sans que l’étudiant ne soit obligé de se connecter à une heure fixe. Certains étudiants pourront bénéficier d’un accès à l’examen « pendant 24 heures ». Le tout en passant par des plateformes comme #Moodle, installées dans la plupart des universités.

      D’autres établissements ont déjà annoncé l’organisation d’examens à distance, selon des modalités très diverses, comme les universités de Bretagne (UBO), de Nancy, de Lille ou de Rouen. Avec une inquiétude : ces partiels ne risquent-ils pas d’entraîner une hausse des #fraudes et de mettre en péril la sacro-sainte valeur des #diplômes ? C’est sur cette angoisse que cherchent à se positionner les entreprises spécialisées dans la télésurveillance des examens.

      Pour réduire les risques de #triche, le ministère de l’enseignement supérieur conseille aux universités de privilégier les épreuves « simples » et courtes, comme des #questionnaires_à_choix_multiples (#QCM), ou au contraire des examens mettant l’accent sur « l’esprit critique », moins propices au copier-coller. « Il s’avère difficile d’éviter la recherche d’informations sur le Web », note-t-il, lucide.

      Les disciplines comptant peu d’étudiants pourraient aussi s’orienter vers l’organisation d’oraux par #visioconférence, qui permettent de vérifier l’identité du candidat. Mais, dans des facultés comptant souvent des centaines d’étudiants par amphithéâtre, la surveillance des partiels reste une grande illusion. D’où la tentation de recourir à des prestataires extérieurs.

      Dès le début du confinement, le ministère de l’enseignement supérieur a transmis aux universités une fiche mentionnant les noms de plusieurs entreprises spécialisées dans la télésurveillance d’examens, en précisant les volumes de partiels pouvant être organisés et les tarifs pratiqués, de l’ordre de 10 euros par heure d’examen et par étudiant en moyenne. Une manière de mettre l’option sur la table, sans remettre en cause la liberté de choix des établissements.

      Techniquement, les détails divergent, mais la plupart des entreprises listées par le ministère proposent une #captation_d’image. « D’abord, l’étudiant installe le logiciel et l’autorise à fermer toutes les autres applications. Ensuite il se prend en photo avec sa carte d’identité », explique Benoît Sillard, PDG de #TestWe, l’une des sociétés citées par le ministère.

      « Pendant l’examen, une photo est prise toutes les quelques secondes. Cela forme un mini-film qui est automatiquement analysé pour détecter des anomalies : un autre visage qui apparaît ou l’étudiant qui s’en va. Dans ce cas, une vérification est faite par une personne physique pour voir ce qu’il s’est passé », détaille l’entrepreneur, lui-même passé par les ministères de l’éducation nationale et de la recherche en tant que spécialiste numérique au début des années 2000. Ces surveillants peuvent être fournis par les universités ou par les prestataires, moyennant finance.

      Contacté par Mediapart, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche minimise le recours à ce type de prestation : « Le nombre d’établissements ayant prévu de recourir aux examens télésurveillés devrait être limité. Il s’agirait majoritairement d’écoles, et dans une moindre mesure d’universités. » Les facultés de médecine ou de pharmacie, en particulier, pourraient être tentées par le dispositif.

      Le ministère estime que l’ordonnance du 27 mars « donne aux établissements assez de souplesse pour organiser les évaluations sous des formes variées », citant notamment « l’organisation d’oraux en visioconférence ou de quizz à questions et réponses aléatoires », et que la plupart des solutions envisagées rendent « le risque de triche très faible et donc ne nécessitent pas de recours à la télésurveillance ».

      Reste que le sujet suscite de vives oppositions dans les universités, où chaque UFR – ou filière disciplinaire – dispose d’une certaine marge de manœuvre. « Nous voulions interdire l’organisation d’examens synchrones [en temps réel] », raconte Jennifer Buyck, élue du syndicat Snesup à la CFVU de l’université Grenoble-Alpes, qui soulève des objections éthiques et pratiques à la télésurveillance : fracture numérique pour de nombreux étudiants, mauvaises conditions de travail au domicile, accentuation de la précarité en période de confinement, logiciel jugé intrusif et liberticide…

      « Le point commun entre tout ça, c’est une rupture d’égalité des étudiants », souligne l’enseignante-chercheuse, dont la proposition a été rejetée. « Il n’y a pas de garde-fous », s’inquiète-t-elle.

      Des reproches injustifiés, tente de pondérer Benoît Sillard, qui estime que les examens encadrés par sa société sont « exactement les mêmes, en dématérialisé, que dans une salle de cours ». Le PDG de TestWe affirme avoir été très sollicité par des établissements du supérieur ces dernières semaines et avoir déjà organisé plusieurs milliers d’examens surveillés. « Les grandes écoles ont vite basculé », résume-t-il, rappelant que sa société a déjà travaillé avec l’ENA ou de grosses écoles de commerce comme l’EM Lyon. « C’est plus long du côté des facs », admet-il, tout en assurant être en « négociations très avancées » avec plusieurs universités.

      Ces dernières années, des universités ont déjà eu recours à ce type de télésurveillance pour contourner des blocages dus à des mouvements étudiants. C’est le cas à Nanterre ou à l’université Paul-Valéry de Montpellier, où des examens à distance se sont tenus au printemps 2018 après le rejet d’un recours administratif déposé par des syndicats étudiants.

      Ailleurs, la télésurveillance est expérimentée à petite échelle, notamment pour les étudiants dans l’impossibilité d’assister aux examens pour raisons professionnelles ou médicales. Ce devait être le cas cette année pour certaines licences de langue à Nancy, où les étudiants volontaires se voyaient demander le paiement de 200 euros de frais « non remboursables » pour bénéficier de ce service, confié par l’université de Lorraine à la société #Managexam.

      La société vend aussi son outil à l’université de Caen, présentée comme « en pointe sur la question » par le ministère, tout comme Sorbonne-Université, qui travaille avec #Proctorexam, un concurrent.

      À l’université de Caen, le dispositif est expérimenté depuis plusieurs années sur « une petite centaine d’étudiants », sur les 30 000 que compte l’université, précise son président, Pierre Denis. Essentiellement dans le cadre de formations à distance, par exemple pour des étudiants résidant à l’étranger. « Nous n’envisageons pas d’étendre ce système massivement », affirme-t-il, s’exprimant également au nom de la conférence des présidents d’université (CPU). « Avec la #fracture_numérique, ce ne serait ni adapté, ni #éthique, ni peut-être même faisable », estime-t-il.

      Selon un sondage en cours de finalisation réalisé par l’université de Caen, au moins 5 % des effectifs, soit 1 500 étudiants, ne sont actuellement pas dans des conditions leur permettant de passer des examens. Des solutions techniques (clefs 4G, autorisations de déplacement) ou organisationnelles (évaluation décalée ou par oral) sont actuellement à l’étude.

      L’université d’Aix-Marseille a déjà acté qu’elle n’aurait pas recours à la télésurveillance d’examens et qu’elle s’orienterait principalement vers le contrôle continu. « Nous distribuons 1 500 colis alimentaires par semaine. Près de 600 étudiants n’ont pas un accès numérique satisfaisant, les conditions d’#égalité n’étaient pas réunies pour organiser des examens », détaille Éric Berton, président d’Aix-Marseille Université (AMU).

      Un choix qui est aussi économique. Lionel Nicod, le vice-président à la formation de l’AMU, a fait ses comptes : « On arrivait à 1,6 million d’euros rien que pour les premières années de licence. Entre dépenser cette somme pour des examens ou la garder pour soutenir nos étudiants à la rentrée, le choix a été vite fait. » Les tarifs indicatifs recensés par le ministère auprès des différentes entreprises varient de 1,50 euro pour des « examens non surveillés », ressemblant à une simple visioconférence, jusqu’à 17 euros par étudiant et par examen, si l’entreprise fournit les surveillants.

      Le gouvernement a trouvé une parade pour réduire ces coûts prohibitifs : une sorte de #commande_groupée. Le ministère de l’enseignement supérieur indique à Mediapart que la #Fédération_inter-universitaire_de_l’enseignement_à_distance (#Fied) propose une adhésion gratuite à tous les établissements du supérieur. Une action « discutée » avec les services du ministère, précise-t-il.

      L’opération doit permettre aux établissements de passer une sorte de commande groupée et de « profiter du contrat cadre que la Fied a passé avec la société Managexam et permettant un tarif préférentiel de 1 euro HT l’examen (par étudiant) réalisé en télésurveillance par prise de photos […]. Compte tenu du fait que le recours à la télésurveillance ne sera pas massif, cela restera très acceptable dans les coûts », détaille le ministère.

      Même avec une réduction, l’idée fait bondir Mélanie Luce, présidente de l’Unef. « Les étudiants sont dans des situations très précaires, sans emploi ni droits au chômage ou au RSA, vivent parfois dans des taudis ou peinent à se nourrir, et on serait prêts à dépenser des millions d’euros pour nous forcer à passer des examens télésurveillés ? C’est aberrant. » Et le temps presse pour les universités, qui doivent se positionner ces semaines-ci sur la question : selon la loi, elles doivent informer les étudiants des modalités d’évaluation choisies au moins 15 jours avant la date de l’examen.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/010520/dans-les-universites-la-tentation-de-la-telesurveillance-des-examens?xtor=

      #privatisation

      Article de @mathieup (@wereport)

    • Rennes : les étudiants vont être télé-surveillés pendant les examens de fin d’année

      Afin de terminer l’année malgré la crise sanitaire, l’Université Rennes 1 met en place la « télé-surveillance » lors des examens de fin d’année. Un système inédit dans l’Université Bretonne, qui crée le débat autour de la sécurité des données personnelles.

      https://www.francebleu.fr/infos/education/rennes-les-etudiants-vont-etre-tele-surveilles-pendant-les-examens-de-fin

    • Examens à distance à l’Université de Lille : Solidaires étudiant∙es saisit le #tribunal_administratif en urgence

      Soutenu par la FSE et la section SUD éducation de l’Université de Lille, Solidaires étudiant.e.s a déposé un recours en urgence devant le Tribunal administratif ce 2 mai 2020, demandant la suspension de la décision de l’Université de Lille imposant des examens en ligne à ses étudiant.e.s.

      Les modalités d’examen attaquées sont précisées dans un document appelé « Plan de Continuité Pédagogique », adopté le 10 avril par la Commission de la Formation et de la Vie Universitaire (CFVU), instance de l’université compétente en matière d’organisation des formations. Cette décision doit être suspendue, car les examens en ligne constituent une rupture d’égalité entre les étudiant.e.s discriminant les plus précaires (situation de handicap, mauvaise santé physique ou psychologique, accès au numérique fragile).

      Des alternatives aux examens en ligne ont été proposées par des élu.es au sein de la CFVU, telles que la note plancher à 12/20, ou a minima le recours exclusif aux examens asynchrones. Toutes ces alternatives ont pourtant été balayées d’un revers de main par la présidence, qui a refusé de les soumettre au vote dans un déni total de démocratie. Tandis que plusieurs universités de France ont fait le choix de la validation automatique du semestre, la CFVU de l’Université de Lille a donc validé, dans la précipitation et l’opacité, la tenue d’examens en ligne, sans aucune considération pour les inégalités qu’ils creusent. Elle est même allée jusqu’à autoriser le recours à la télésurveillance sans aucune information concernant la protection des données, en dépit de tout bon sens et des risques juridiques encourus.

      Cet « acharnement à évaluer » et ses dérives ne correspondent pas à la vision que nous portons d’un enseignement supérieur égalitaire et émancipateur, vision qui doit être réaffirmée et non bafouée en contexte de crise sanitaire. Après l’avis qui sera rendu par le juge administratif, nous souhaitons qu’un dialogue constructif soit enfin ouvert avec les instances de l’université de Lille, afin d’envisager toutes les solutions qui permettraient de rassurer les étudiant.e.s, et de surmonter cette crise sans pénaliser aucun.e d’entre eux.elles.

      https://academia.hypotheses.org/23625
      #justice

    • Quelles universités télésurveillent ? Une recension participative

      Academia a déjà fait une recension participative des conditions d’études pendant le confinement, des modalités du contrôle des connaissances modifiées en raison du confinement. Nous souhaiterons recenser les usages particuliers de la télésurveillance dont l’usage nous avait semblé pouvant devenir problématique ((Sur Academia, voir Et maintenant la reconnaissance faciale pour les examens ?, 27 avril 2020 et Dans les universités, la tentation de la télésurveillance des examens, sur Mediapart, 3 mai 2020.)). La question se pose d’autant plus que la rentrée ne laisse pas augurer une reprise normale en présentielle ((Même si nous n’avons aucune information à ce stade. Cf. Plan de déconfinement officiel du MESRI, 5 mais 2020.)).

      Antérieurement à l’épidémie, les universités suivantes avaient déjà utilisé de la télésurveillance de manière plus ou moins ponctuelle (liste à compléter) : France Université Numérique (pour les MOOC), Université de Caen Normandie, Sorbonne Université, Université de Bourgogne (très ponctuellement), Université de Lorraine (très ponctuellement).

      Depuis l’épidémie, cette liste s’est allongée (voir le détail ci-dessous). Des débats assez vifs ont eu lieu dans plusieurs universités sur ce sujet au mois d’avril, à l’occasion des modifications des modalités de contrôle des connaissances. Sous réserve d’autres informations, le constat que l’on peut faire à ce stade est le suivant :

      Un grand nombre d’universités n’évoquent pas la télésurveillance dans leurs MCC modifiées, soit qu’elles fixent d’autres conditions de tenue des examens, soit qu’elles laissent les composantes libres de déterminer ces conditions.
      Seules quelques rares universités ont indiqué expressément repousser la télésurveillance dans leurs MCC. C’est le cas d’Aix-Marseille Université (« assurer ce type d’évaluation au domicile de l’étudiant est possible grâce à des services de télésurveillance payants mais AMU ne souhaite pas y recourir ») et de l’université Paris-Saclay (« Remplacement des épreuves écrites par un devoir à distance, sans télésurveillance »).
      Plusieurs universités ont choisi d’ouvrir expressément la possibilité de recourir à de la télésurveillance, ce qui ne signifie pas toujours que celle-ci est pratiquée (choix des composantes). C’est le cas de l’université de Rennes-1 (mise en œuvre confirmée), de l’université de Bourgogne (mise en œuvre ponctuelle antérieure à l’épidémie) ou de l’université de Rouen Normandie (pas de mise en œuvre connue à ce stade).

      On voit donc que la télésurveillance n’est pas encore une pratique généralisée dans les universités françaises, en dépit des préconisations de la direction générale de l’Enseignement supérieur et de l’Insertion professionnelle (DGESIP) qui la recommande vivement depuis le début de l’épidémie. Cependant, l’épidémie de covid-19 aura fortement contribué à sa progression, et c’est très inquiétant.

      L’année prochaine sera une année charnière. Les décisions stratégiques à ce sujet sont prises ces jours-ci dans les universités, dans le cadre de la préparation de la prochaine rentrée universitaire.

      https://academia.hypotheses.org/23438

    • #Rennes-1, la télésurveillance et la CNIL

      Étonnamment, la télésurveillance des examens – qui monte en uissance depuis plusieurs années – était largement restée sous les radars de la communauté universitaire, qui n’y avait guère prêté attention. L’accélération du recours à celle-ci depuis l’épidémie de covid-19 est en train de changer la donne, avec le désastreux soutien de la direction générale de l’Enseignement supérieur et de l’Insertion professionnelle, qui n’hésite pas à aller jusqu’à renvoyer vers des solutions privées de reconnaissance faciale.

      À l’évidence, le marché des examens suscite bien des convoitises, le marchands font du forcing, et Academia a donc engagé un travail de recension, afin d’identifier précisément les établissements qui, sous prétexte d’épidémie, choisissent de franchir allègrement le pas.

      À ce sujet, l’université de Rennes-1 occupe particulièrement l’attention ces derniers jours. Non qu’elle soit la première à se lancer dans des examens en télésurveillance. Mais parce qu’elle est la première où l’on observe une vive résistance. La contestation monte en puissance, et elle est cruciale, car il ne fait pas de doute que ces examens en télésurveillance sont appelés à se développer fortement, dès l’année prochaine.

      Academia reviendra prochainement sur les différents dangers que soulève le développement de la télésurveillance. On peut d’ores et déjà noter que, comme le signale le tweet de @argaryen di-dessus, alertant la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL), que ces examens soulèvent différents problèmes majeurs en termes de droit des données à caractère personnel, en particulier lorsqu’ils supposent que l’étudiant∙e « accepte » de filmer l’intérieur de son domicile. Si l’article 9 du RGPD n’est pas toujours en cause, se pose, dans tous les cas, la question de la valeur du consentement donné par un∙e étudiant∙e, qui, s’il n’est pas donné, entraîne une conséquence négative très lourde : l’impossibilité de passer ses examens. Il serait important, effectivement, que la CNIL se prononce.

      Au titre des critiques, on peut tout de suite ajouter, aussi, le fait que l’université de Rennes-11 fait signer un document aux étudiant∙es par lequel elle

      « décline toute responsabilité en cas de problème technique inhérent au lieu de passage de [leur] examen pendant l’épreuve. Cela concerne, sur [leur] lieu de résidence : l’alimentation électrique ; la connexion internet ; le fonctionnement des équipements utilisés et de leurs périphériques ».

      Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette manière de faire est sobre et efficace : une signature, et tous les problèmes d’inégalités sont réglés ! Alors disons-le tout aussi simplement : faire porter toute la responsabilité technique, matérielle et opérationnelle des examens sur les seuls étudiant∙es, c’est contraire au principe d’égalité. C’est considérer que, si les étudiants n’ont pas accès aux mêmes moyens matériels pour composer, ils ne peuvent que s’en prendre à eux-mêmes.

      Une belle image de la mission sociale de l’université.

      Rappelons aussi, au passage, que l’article D. 611-12 du Code de l’éducation prévoit que

      « La validation des enseignements contrôlée par des épreuves organisées à distance sous forme numérique, doit être garantie par […] la vérification que le candidat dispose des moyens techniques lui permettant le passage effectif des épreuves ».

      C’est bien singulier que penser que « vérifier que le candidat dispose des moyens techniques lui permettant le passage effectif des épreuves », c’est la même chose qu’exiger des étudiant∙es d’assumer toute la responsabilité technique, matérielle et opérationnelle des examens qu’ils sont contraints de passer, sous peine de ne pas se voir délivrer leurs diplômes.

      https://academia.hypotheses.org/23510

    • Comment les étudiant·es sont-ils télésurveillé·es ? Mode d’emploi par L’Étudiant

      Après les cours, les examens à distance : à l’avenir, vous aurez peut-être de moins en moins besoin de vous déplacer pour passer vos épreuves. /
      Les cours en ligne n’ont certainement plus de secrets pour vous. Mais qu’en est-il de l’évaluation à distance ? L’Etudiant vous explique comment fonctionne la télésurveillance des examens depuis chez vous.

      Le 16 mars 2020, toutes les universités de France ont fermé leurs portes en raison de l’épidémie de coronavirus. Alors que les partiels approchent, plusieurs solutions existent pour vous évaluer : reporter les examens, les annuler au profit du contrôle continu, ou bien les remplacer par un examen en ligne ou un devoir à la maison. (..)

      Ainsi, de nombreux établissements font le choix de l’évaluation en ligne. Comment la vérification de l’identité est-elle effectuée  ? Quelle connexion est nécessaire  ? La télésurveillance mise en place à l’université de Caen pour leurs formations à distance est un bon exemple. Voyons son mode d’emploi.
      Un examen blanc pour tester l’outil

      Tout d’abord, vous recevez comme pour n’importe quel examen une convocation à l’examen en ligne. Dans celle-ci, se trouvent des liens pour télécharger l’application, mais également d’autres liens pour vous aider à utiliser la plateforme.

      Une à deux semaines avant les épreuves, un système d’examen blanc a également été mis en place à Caen : « Tous les étudiants qui utilisent pour la première fois l’appli sont invités à participer à une session factice afin d’identifier les éventuels problèmes mais aussi pour minimiser le facteur stress », indique Alice Niezborala, directrice des partenariats chez Managexam, société Edtech qui développe ces examens délocalisés avec huit écoles et universités.
      Le tour de la pièce à 360°

      Les candidats installent l’application sur leur ordinateur pour l’épreuve. Ils doivent également lire et accepter un règlement intérieur. Ce document signale les documents acceptés pendant l’examen et les différentes étapes indispensables à la vérification préalable. « Faire le tour de sa pièce avec sa webcam à 360 degrés pour vérifier que vous êtes bien seul ou vérifier qu’il n’y a pas de documents à portée de main pour les examens qui n’acceptent pas de documents », énumère par exemple Alice Niezborala. Une équipe de surveillants se charge de la vérification visuelle, ou bien l’établissement a son propre « staff » de surveillance.
      (…)
      Présenter ses papiers à la webcam

      La vérification d’identité est la partie délicate, car elle est un rempart contre la fraude. « C’est une étape de la télésurveillance. Une présentation des cartes d’identité à la webcam est demandée. Ces données restent cryptées et ne sont accessibles qu’en fin d’épreuve », assure Alice Niezborala. Ensuite, la gestion de la « pseudoisation » des copies revient à Managexam qui rend les copies anonymes avant l’envoi aux correcteurs de l’établissement.
      Des coupures surveillées (…)
      Et après  ?

      Et après l’épreuve, que devient la copie  ? « En fonction des établissements, les professeurs désignés peuvent venir corriger à l’écran ou bien nous exportons les copies pour des corrections à la main. Un rapport de télésurveillance est envoyé avec un système de drapeaux de couleur dans la timeline. Ils notifient là où il y a pu y avoir un problème, une coupure », explique Alice Niezborala. Le rôle de Managexam s’arrête ici. Les sessions sont ensuite entièrement anonymisées sous 12 mois, conformément au délai de prescription pour les recours.
      Télésurveillance et surveillance en replay

      Créée en 2012, Managexam travaille sur les solutions d’évaluation à distance au sens large, la télésurveillance, les sessions de rattrapage en ligne, les tests de positionnement. La société propose pour le moment trois options :
      – Managexam Live, une solution de télésurveillance comme celle proposée à l’université de Caen  ;
      – Managexam Replay, où l’étudiant, autonome, est enregistré durant l’épreuve et qui est monitoré par la suite  ;
      – Managexam Auto, qui fonctionne à partir de captures d’écrans et qui est davantage destiné à des pays où les connexions sont instables.
      L’entreprise de EdTech travaille avec huit établissements d’enseignement supérieur, parmi lesquels La Rochelle Business School, Montpellier Business School, Kedge, l’IDRAC et une seule université, à Caen. Pour cette dernière, la première session de télésurveillance en ligne a eu lieu le 1er février 2018. 122 examens se sont tenus sur une journée, avec huit télésurveillants.

      https://academia.hypotheses.org/23436

    • EU lawmakers call for online exam proctoring privacy probe

      Students in the Netherlands are resisting use of software to stop cheating on exams, citing concerns about consent, intrusion and security of personal data.

      European lawmakers have demanded an investigation into whether online proctoring software violates student privacy rights, arguing that it is unfair for universities to force students to use exam monitoring tools that capture their personal biometric data.

      The coronavirus pandemic has spurred many universities to turn to software such as Proctorio, used by about 500 institutions globally, mainly in the US, to stop students cheating when sitting online exams at home.

      But in the Netherlands, a student petition against Proctorio has gathered close to 5,000 signatures and triggered a political row.

      “My concern is that the data that are collected are biometric data: faces and eyes,” said Paul Tang, a Dutch Labour Party MEP who, with a colleague, has asked the European Commission to investigate whether such online proctoring complies with the bloc’s General Data Protection Regulation (GDPR).

      “If you don’t have an option [not to use online proctoring], what does consent mean? And that’s the whole idea of GDPR,” he told Times Higher Education. “You can’t switch your university.”

      Proctorio works by monitoring a student through their computer’s camera and microphone to track things such as head and eye movements for suspicious behaviour, explained Thomas Fetsch, the company’s country manager for Germany.

      For example, if it detected that a student was looking only at one corner of their screen, or constantly glancing down at a notepad – and if this behaviour was unusual compared with that of coursemates – the software might alert the university that it suspected the student of copying out answers.

      The software can ask for “room scans”, which require students to pan around their environments with their laptop cameras. The petition against Proctorio, which focuses on its use at Tilburg University, has called these an “invasion of privacy”.

      The scans are designed to stop students sticking sheets of answers out of view of the laptop camera, said Mr Fetsch. Laptop microphones might also be monitored to check that no one else is in the room helping the student, he said.

      Alex Tess Rutten, chair of the Dutch Student Union, told THE that universities had turned to online proctoring “too easily”.

      “There are a number of good alternatives, like speaking exams,” she said.

      Students could be given a set time in which to complete an exam, after which lecturers quiz a random sample to check that they had truly understood the content and given their own answers, the Tilburg petition suggests.

      Some consider online proctoring to be essential given university closures. Willem van Valkenburg, executive director of online learning at Delft University of Technology, said “online proctoring is a necessary and suitable solution in this Covid-19 situation, where the campus is closed”, because universities wanted to minimise disruptions and delays to students’ education.

      Tilburg’s rector, Klaas Sijtsma, has defended the use of Proctorio, arguing that it will help to defend the value of the university’s degrees and will be used only “where it is necessary”.

      But the institution’s law school has decided against using the software – a decision hailed as a victory by those petitioning against Proctorio.

      Online proctoring “can be used only if the infringement of the privacy can be legitimised”, said Maurice Adams, the school’s vice-dean for education, who stressed that this was also the position of the wider university.

      “We at Tilburg Law School have looked at the proposed exams and have concluded that we do not need online proctoring for our exams. Of course, the opinion of our students is very important in this regard: we have discussed the matter with them and listened carefully to their concerns,” he said.

      “Every institution is grappling with this issue,” said Mr Tang. “But what I find surprising is I see universities using different options,” he explained, with some institutions providing more alternatives than others.

      Concern is not confined to the Netherlands. The Australian National University has had to reassure students after they raised privacy concerns about Proctorio.

      Another worry is what will happen to students’ data after they take their exam, said Ms Rutten.

      Mr Fetsch said that while sound and video recordings of students taking exams were stored, only universities – not the company – were able to link these to identifying information. Data from European universities were stored in Frankfurt, he said, and had to be retained so that universities could check exam integrity at a later date.

      Some US universities have given Proctorio permission to train its fraud-detection AI on datasets – such as video or audio recordings – generated when students at those institutions sat their exams, he added.

      https://www.timeshighereducation.com/news/eu-lawmakers-call-online-exam-proctoring-privacy-probe

      #Pays-Bas

    • Coronavirus : imbroglio autour de la télésurveillance des examens à l’université #Rennes-I

      En donnant la possibilité de recourir à une surveillance en ligne des épreuves en raison de la crise sanitaire, l’établissement a suscité une levée de boucliers parmi les étudiants.

      https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/05/22/coronavirus-imbroglio-autour-de-la-telesurveillance-des-examens-a-l-universi

    • Non à la télésurveillance des examens. Une tribune

      Des étudiants qui, pour valider leur semestre universitaire, doivent installer sur leur ordinateur personnel un logiciel de surveillance qui les filme en continu, contrôle les programmes qu’ils utilisent, et décrypte à l’aide de « l’intelligence artificielle » les bruits de la pièce dans laquelle ils travaillent pour s’assurer qu’on ne leur souffle pas de réponses : nous ne sommes pas dans un mauvais roman de science-fiction inspiré par George Orwell, mais dans la France du printemps 2020. Tirant prétexte de la situation sanitaire, plusieurs universités et écoles ont en effet prévu de faire passer des examens et partiels à l’aide de ces logiciels espions fournis par des entreprises privées, dont une liste est même mise à disposition sur le site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

      Cette forme particulièrement intrusive de surveillance des individus dans un cadre éducatif n’a malheureusement rien de très surprenant : elle procède de logiques déjà installées, auxquelles l’épidémie donne une accélération foudroyante. Une logique de violation toujours plus forte des libertés individuelles et des données personnelles, d’abord, dont le projet d’application « Stop-Covid », dénoncé par de nombreux chercheurs, juristes, intellectuels, hommes et femmes politiques, est le symbole le plus récent. Une logique de gestion autoritaire des rapports humains au sein des institutions d’enseignement supérieur, ensuite, qui place la lutte supposée contre la triche aux examens au-dessus de considérations éthiques et juridiques. Enfin, une logique opportuniste de certains secteurs d’activité qui profitent de la pandémie pour mettre au point et vendre cher au secteur public des outils de gestion de crise.
      Liberticides et immoraux

      Nous appelons les universitaires à refuser en bloc ces dispositifs à la fois illégaux, onéreux, liberticides et immoraux.

      Illégaux parce que les règles de droit françaises et européennes, fixées dans le RGPD et garanties par la Cnil, n’autorisent pas la collecte de données personnelles – et encore moins le contrôle audio et vidéo au sein d’un domicile – sans libre consentement ou motif impérieux d’ordre public. Onéreux, parce que les premiers chiffres avancés évoquent des millions d’euros par université pour organiser des examens de licence, soit une dépense aberrante pour des établissements qui ont des besoins bien plus pressants pour aménager leurs infrastructures, aujourd’hui éloignées des normes d’hygiène souhaitables pour y assurer la reprise des cours. Liberticides parce que sous le prétexte de la validation d’un semestre universitaire, pour reproduire artificiellement les conditions de surveillance d’un examen, c’est l’intimité même des individus qui est violée, sans aucune garantie sur l’usage des données et des images, créant de dangereux précédents pour d’autres institutions ou entreprises tentées de contrôler leurs élèves ou leurs employés. Immoraux parce qu’à l’heure d’une pandémie faisant des dizaines de milliers de morts dans notre pays, c’est faire preuve d’une violence inconsidérée que de vouloir faire passer la validation prétendument stricte des examens avant la protection des droits individuels et la prise en compte des difficultés collectives.
      Connexions limitées ou défaillantes

      Car les étudiantes et les étudiants ne sont pas dans les conditions normales d’une fin d’année universitaire. Certains vivent le deuil, l’angoisse, l’isolement ; d’autres aident leurs familles en gardant des enfants, en faisant l’école à la maison, en travaillant dans un « commerce essentiel ». Beaucoup n’ont pas accès à des outils informatiques satisfaisants, disposent de connexions limitées ou défaillantes, et vivent dans une précarité matérielle accrue par la catastrophe sanitaire en cours. Pour les institutions éducatives, devant des problèmes sociaux et psychologiques aussi évidents, ce sont la « confiance » et la « bienveillance » qui devraient guider les modalités d’évaluation, pour reprendre des termes si souvent martelés dans les campagnes de communication, et si souvent oubliés dans les politiques publiques.

      D’autant qu’il est possible d’imaginer bien d’autres types d’évaluation que le sacro-saint partiel en temps limité : sans prétendre offrir des solutions clefs en main applicables à toutes les disciplines, nous constatons toutes et tous l’inventivité dont font preuve de nombreux collègues pour adapter leur enseignement et sa validation sans perdre en exigence. Précisons bien qu’il ne s’agit pas ici d’adopter une posture banalement technophobe : nous utilisons amplement les outils numériques qui peuvent être mis au service d’une pédagogie de qualité. Mais nous refusons de cautionner les démarches qui, profitant de l’irruption d’une crise sans précédent, suivant la pente d’une société technicienne toujours plus inventive en mécanismes de contrôle, des drones aux systèmes de reconnaissance faciale, suivant les intérêts d’acteurs attirés par de lucratifs marchés à conquérir, suivant les rêves de décideurs qui espèrent dématérialiser toujours davantage le système éducatif, entendent installer des formes inacceptables de surveillance au sein de l’enseignement supérieur.

      https://academia.hypotheses.org/23765