Laurence Léa Fontaine s’interroge sur la pertinence de la loi spéciale. « Mettre fin à un conflit après seulement cinq jours de grève, cela signifie que le droit de grève, un droit constitutionnel, est réduit à peu de choses », dit-elle.
Le fait d’imposer l’arbitrage de différends, comme le prévoit la loi spéciale, laisse peu de place à la négociation collective, poursuit Laurence Léa Fontaine. « En outre, cela ouvre la porte à un possible conflit d’intérêts. L’État, qui est la fois le législateur et l’un des plus importants donneurs d’ouvrage dans le secteur de la construction, pourra décréter les conditions de travail. » Selon l’article 23 de la loi spéciale, la ministre du Travail aura le pouvoir d’imposer les thèmes de l’arbitrage si la période de médiation aboutit à une impasse. « Une façon d’agir très critiquable d’un point de vue constitutionnel », note la juriste.
Au Canada, le droit de grève est un droit constitutionnel depuis 2015, tient à rappeler Laurence Léa Fontaine. « Cette année-là, un jugement de la Cour suprême du Canada a invalidé une loi de la Saskatchewan sur les services essentiels visant à restreindre l’exercice du droit de grève des employés du secteur public. Cela signifie que le droit de grève est désormais protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. » Depuis 1987, la Charte protégeait uniquement la liberté d’association, mais pas les moyens d’exercer cette liberté. En 2007, la Cour suprême a étendu la protection constitutionnelle à la négociation collective, tout en précisant que cela ne touchait pas le droit de grève.
« Si la Cour a décidé il y a deux ans de protéger constitutionnellement l’exercice du droit de grève, c’est parce que celui-ci a été réduit comme une peau de chagrin au cours des dernières décennies, en particulier dans le secteur des services publics, affirme la professeure. L’article 1 de la Charte canadienne souligne que les restrictions apportées à un droit protégé par la Constitution doivent être justifiées dans une société libre et démocratique. Si ce n’est pas le cas, on a l’obligation d’abroger ou de modifier une loi qui restreint un droit constitutionnel. »
Loin d’être des interventions ponctuelles et conjoncturelles ayant une portée limitée, les lois spéciales au Québec forment un ensemble cohérent de mesures dont les effets ont été structurants sur la gestion des conflits de travail. Depuis la fin des années 1960, une quarantaine de lois spéciales ont été adoptées par les différents gouvernements, ce qui relève, disent certains, d’une logique d’exceptionnalisme permanent. « Les lois spéciales sont devenues de véritables épées de Damoclès, souligne Laurence Léa Fontaine. Elles sont perçues comme des mécanismes normaux de gestion des conflits dans les relations de travail et dans la société en général, comme si elles faisaient maintenant partie de nos mœurs. »