Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 8 % des personnes vivant en Europe sont des personnes migrantes. En 2012, la section Europe de l’OMS lance le projet Phame. Phame (Public Health Aspects of Migrations in Europe, Migration et santé publique en Europe) soutient les services de santé publique des pays soumis à d’importants flux migratoires. Ses objectifs sont au nombre de trois : compenser l’impact négatif du parcours migratoire, réduire les inégalités des états de santé en facilitant l’#accès_aux_soins, et garantir les #droits_à_la santé des personnes migrantes. En recensant les meilleures pratiques et les éventuelles lacunes des services de santé publique, le projet sollicite la #coordination des interventions et l’établissement de plans d’urgence adaptés. Certes, les #services_de_santé ne peuvent, à eux seuls, assurer une #prise_en_charge globale de la santé des personnes migrantes et agir sur l’ensemble des #déterminants_sociaux tels que le #logement, l’#éducation, l’#emploi et la #protection_sociale. L’#OMS Europe insiste donc sur la nécessité de mettre en place des #actions_intersectorielles en réponse aux enjeux spécifiques à la santé de ces personnes, d’autant que l’ensemble des déterminants sociaux ont un impact sur l’état de santé des personnes.
Sous une appellation unique – « les personnes migrantes » – se cachent des situations complexes, régies selon le #titre_de_séjour, le #droit_d’asile, la protection des frontières, les conventions européennes et internationales et les clauses humanitaires. Notre dossier prévoit de définir ces catégories, dont les #situations_sanitaires varient aussi selon leur #statut_administratif. On ne saurait considérer de manière uniforme ces personnes dont la santé est fonction de l’âge, du sexe, de la situation dans le pays d’origine, mais surtout des #risques encourus lors du #parcours_migratoire. Arrivées dans une zone de langue et de culture différentes, il leur est quasi impossible de se repérer sans aide dans un #système_de_soins inconnu, de se plier aux contraintes de #dépistages, dont ils peuvent redouter les conséquences, d’accorder de l’attention à des gestes de santé éloignés de la simple nécessité de survivre.
Incluses dans l’appellation générale de « personnes migrantes » se trouvent les mêmes catégories hautement vulnérables : les enfants exposés, utilisés, exploités, qui mûrissent trop vite avec parfois, mais c’est loin d’être la règle, des développements spectaculaires, et puis les #femmes, qui ont rarement le choix de leur vie, sont souvent traitées comme des marchandises, ayant elles-mêmes la charge d’#enfants nés durant leur parcours chaotique.
Les professionnels de santé confrontés aux problèmes de santé ou, au contraire, à la non-demande de soins de personnes migrantes, se réfèrent à des grilles diagnostiques où figurent tout à la fois les maladies transmissibles, les maladies chroniques (diabète, hypertension artérielle notamment) et les séquelles de traumatismes sur des corps dont l’usure est majorée par une hygiène de vie précaire, la malnutrition, la prise quotidienne de risques, et trop souvent la vie à la rue.
Comment nommer ce mal venu d’ailleurs ? Cette question nous obsède depuis plusieurs semaines avec la menace de la Covid-19, mais elle est en fait très ancienne. On craint depuis fort longtemps ces maladies étranges contractées sous les tropiques et autres lieux perçus hostiles, au point d’ouvrir des services spécialisés en médecine tropicale, et d’enseigner dans les facultés de médecine les maladies des populations immigrées. On redoute la résurgence de pathologies désormais bien maîtrisées dans nos régions, et on s’inquiète également de l’ancrage des maladies de la misère chez ces personnes étrangères recueillies sur notre territoire. S’ils sont, comme le montrent les chiffres, de plus en plus nombreux à souhaiter entrer sur les territoires européens, saurons-nous endiguer les conséquences sur leur santé physique et psychique de parcours de vie aussi difficiles et souvent violents ?
On constate que dans les situations d’urgence les mesures ne se discutent pas et sont généralement adaptées, mais les professionnels de santé observent également des manifestations plus torpides, souvent consécutives à des agressions physiques et psychiques, qui se pérennisent et pour lesquelles les symptômes ne sont pas toujours lisibles ou s’expriment tardivement. Dans le vaste champ de la #santé_mentale, les services susceptibles de répondre à ces troubles au long cours sont peu disponibles et leur répartition est inégale sur le territoire français.
Une pratique ordinaire de soins fait le constat des conditions de vie souvent marginales de la plupart de ces personnes. Lorsque l‘organisation de la vie quotidienne est déstructurée, un accompagnement et un suivi particuliers sont nécessaires pour leur permettre un accès explicite et légitime aux ressources du système de soins en place et à la solidarité du régime de protection sociale. Or, le plus souvent, en France comme dans les pays voisins, l’accès à des filières de soins adaptées aux personnes migrantes est balisé par des contraintes administratives qui restreignent leur portée et retardent les soins.
L’état de santé des étrangers en France, quelle que soit leur catégorie, est mal connu car la variable « étranger » ou « pays d’origine » ne figure pas dans les grandes enquêtes nationales de santé. Il n’y a donc pas de #donnés_épidémiologiques synthétiques sur l’état de santé des personnes immigrées. Néanmoins nous disposons de quelques connaissances. L’Académie de médecine a consacré en 2019 un numéro de son Bulletin à « La santé des migrants » puis a publié en février 2020 un rapport sur L’Immigration en France : situation sanitaire et sociale, qui proposait dix recommandations. Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) publie et actualise des dossiers dédiés à la santé physique et mentale des migrants en France. Le ministère des Solidarités et de la Santé a publié en juin 2018 une « Instruction relative à la mise en place du parcours santé des migrants primo-arrivants »quel que soit leur statut administratif.
Nous espérons que ce dossier dédié à la santé des migrants contribuera de manière complémentaire aux connaissances existantes. Le thème retenu pour ce dossier est vaste, universel, sans cesse remanié. Volontairement, l’accent a été mis sur les groupes les plus vulnérables, femmes et enfants, et sur la prise en compte de la santé mentale, en particulier des #stress_post-traumatiques, afin d’éviter la chronicisation des #troubles_psychiques.
Il est bien dans l’optique du Haut Conseil de la santé publique de promouvoir les actions intersectorielles. Dans les problématiques relevant de la santé des personnes migrantes, chaque échelon territorial, et le département plus particulièrement, doit veiller à la cohérence entre ces actions. Certaines conventions existent entre des services de l’Éducation nationale, du Logement, de la Justice et de la Santé, mais la plupart du temps, ce sont des structures privées, associations ou fondations, qui prennent l’initiative de ces mises en réseau.
Qu’il s’agisse des services publics ou du secteur privé, la voix des professionnels comme celle des bénévoles, engagés auprès des populations migrantes, est toujours forte. Il faut au moins toute cette intensité et cette vigilance pour que l’accueil et la protection de leur santé s’établissent et se maintiennent dans le respect de la dignité et de la protection des droits de la personne.